# 293-05-85
1:293
## COMMENT VA LA MESSE
enquête d'Yves Daoudal\
et de Rémi Fontaine
### Avant-propos
*Cette enquête a été menée par le quotidien* PRÉSENT *à la suite de la circulaire romaine du 3 octobre 1984 autorisant sous conditions la messe traditionnelle : c'est-à-dire qu'elle a été menée à la fin de l'année 1984 et au début de l'année 1985. Pour qu'elle puisse être plus commodément conservée -- car elle constitue un document de référence, et un document historique sans équivalent -- et aussi pour qu'elle puisse être largement diffusée, la voici rassemblée en un seul volume.*
2:293
*La diffuser pourquoi ?*
*-- Parce que le drame de la messe est paradoxalement traité dans l'Église d'aujourd'hui comme une maladie honteuse, dont il faudrait parler le moins possible et à voix basse. Ou encore, comme une réalité ésotérique, à discuter en coulisse, seulement entre initiés. Mais il n'y a il ne doit y avoir rien d'ésotérique dans le catholicisme. Toute la vérité religieuse y appartient à tous : elle est publique, elle est catholique. Une telle enquête contribue donc à rétablir le débat, comme il se doit, en pleine lumière.*
*A peine avais-je annoncé l'institution de cette enquête qu'un accident de santé venait me tenir à l'écart de son déroulement. J'en ai alors confié la direction à Yves Daoudal, assisté de Rémi Fontaine. Les commentaires que j'aurais pu y faire au jour le jour, on en trouvera la substance et le résumé dans la Postface.*
Jean Madiran.
3:293
### Comment va la messe aujourd'hui
IL Y A EU DEPUIS QUINZE ANS ce fait sans précédent : l'interdiction dans l'Église de la messe traditionnelle, latine et grégorienne. Et maintenant, cet autre fait sans précédent : l'autorisation par Jean-Paul II de célébrer la messe interdite.
Que comprendre et qui croire ?
L'interdiction n'était pas valable, pas possible, j'entends bien. Mais il y a le fait : l'ensemble des évêques (à trois ou quatre exceptions près dans le monde entier) et la plus grande partie du clergé ont dit que la messe traditionnelle était interdite. Ils l'ont cru, ou du moins, ils l'ont fait croire. La messe traditionnelle était réputée morte, disparue, enterrée.
4:293
Au moment où tout le monde allait enfin le croire pour de bon -- du moins tout le monde panurgiquement moutonnier -- grande nouvelle, grande innovation, la messe traditionnelle n'est plus qu'une morte à éclipses et sous condition, un jour oui, un jour non, tantôt permise, tantôt défendue.
Il faut donc y regarder de plus près, a-t-on dit. Bien sûr, mais la fameuse circulaire romaine envoyée le 3 octobre aux conférences épiscopales ne résiste guère à un examen attentif. Elle est traversée par une contradiction interne.
Elle annonce en effet que Jean-Paul II en personne (*ipse*) a l'intention de se montrer favorable (*obsecundare*) aux groupes de prêtres et de fidèles qui demeurent attachés à la messe traditionnelle. Bon. Mais aussitôt la même circulaire décrète un rigoureux *apartheid* à l'encontre de ces groupes : avec eux, prescrit-elle, il faut n'avoir *nullam partem,* il faut les tenir *à part.*
Qu'en penser alors, et que faire ? Faut-il se fier à *l'intention* bienveillante attribuée au souverain pontife, ou à la *réalité* contraire instituée par la même circulaire ? Car en tout cas on ne peut faire les deux à la fois.
C'est l'un ou l'autre
*Ou bien* la bonne intention de Jean-Paul II annoncée par la circulaire n'est qu'une formule en l'air, une élégance de style à l'italienne, une rouerie vaticane.
5:293
*Ou bien* l'intention est réelle mais Jean-Paul II n'est pas en mesure d'empêcher ses bureaux de contrarier et d'annuler sa bonne intention.
C'est là-dessus que PRÉSENT mène une enquête approfondie. Là-dessus et sur la situation ainsi créée sur le terrain. Nous recueillons simultanément l'avis des personnalités ecclésiastiques et civiles les plus directement concernées. Comment va la messe depuis l'étrange circulaire du 3 octobre, -- circulaire prometteuse peut-être, ou peut-être au contraire annonciatrice d'un perfectionnement de la persécution, c'est ce que nous tâchons de savoir et ce que nous allons dire.
J. M.
6:293
### Pour un débat honnête et public
AU COURS de ces trois derniers mois, nous avons enquêté sur la situation faite à la messe traditionnelle dans notre pays. Aujourd'hui nous ouvrons nos dossiers.
Pourquoi une enquête sur la messe ? L'occasion nous a été fournie bien sûr par la lettre circulaire envoyée de Rome aux évêques par la Congrégation pour le culte divin. Cette lettre, datée du 3 octobre 1984, mais dont le contenu ne commença à être connu que le 16, donne la possibilité aux évêques de concéder un indult pour la célébration de la messe latine selon le missel de saint Pie V, dans son édition de 1962, mais sous d'étranges conditions.
7:293
Quelle est la signification de cet indult, quelle est la signification des conditions, tel est le point de départ de notre enquête. (Pour les premières réactions et les premiers commentaires, on se reportera aux numéros des 17, 18 et 20 octobre de PRÉSENT, et surtout à la brochure *La messe, état de la question, seconde section,* éditée par la revue ITINÉRAIRES).
Mais, plus profondément, plus fondamentalement, nous constatons depuis quinze ans une anomalie majeure : jamais, nulle part, en aucune occasion, il n'a été possible de susciter un débat honnête et public sur la messe. Depuis la promulgation de la messe de Paul VI, les observations, les réclamations, les suppliques des chrétiens fidèles à la messe traditionnelle se heurtent constamment à un mur de silence ou à une avalanche d'invectives. Jamais on n'oppose d'arguments à nos arguments.
Comme s'il s'agissait d'une question sentimentale, voire passionnelle. Ou comme si l'on devait traiter de la messe avec la même discrétion embarrassée dont on traite les maladies honteuses.
Cela n'est pas une attitude catholique. Rien de ce qui concerne la foi, le dogme, la liturgie, ne doit être caché. Aussi n'est-ce pas par vaine curiosité ou par goût d'indiscrète publicité que nous publions cette enquête, mais parce que notre état de journalistes catholiques nous en fait un devoir.
8:293
Nous nous sommes donc informés, à la mesure de nos moyens, de la situation sur le terrain. Nous avons interrogé des évêques, des prêtres, des laïcs, engagés d'une façon ou d'une autre dans la bataille de la messe.
Cette enquête nous a procuré quelques surprises. Des gens que l'on considère comme proches de nous ont refusé de nous répondre. Ce qui semble indiquer que le débat n'est pas seulement rejeté par les adversaires de la messe traditionnelle. En revanche, des gens dont le refus ne nous aurait pas étonné nous ont répondu de façon fort courtoise. Sans que le débat puisse véritablement porter sur le fond. Mais si l'on pouvait se parler, ce serait déjà un grand progrès.
Et si la circulaire de Rome, au-delà de son absurdité juridique (elle permet, et sous conditions, quelque chose qui n'a jamais été interdit), et de ses énormes contradictions internes, produisait cet effet, elle serait malgré tout bénéfique. Néanmoins notre enquête ne permet pas de se bercer d'illusions, si l'on considère la situation en général et à court terme.
La première date importante après la publication de la circulaire fut celle de la messe obtenue par Una Voce à l'église Saint-Étienne-du-Mont à Paris, le 15 décembre 1984. C'est pourquoi nous entrerons dans le vif du sujet par des entretiens avec Yves Gire, secrétaire général de l'association française Una Voce, et avec le curé de la paroisse.
9:293
Puis nous aurons Mgr Lefebvre, puis Mgr Decourtray, archevêque de Lyon et primat des Gaules. Ce qui est une première indication de l'éventail de nos investigations.
Yves Daoudal.
10:293
### I. -- « Una Voce »
UNA VOCE est une « association pour la sauvegarde du latin et du chant grégorien dans la liturgie catholique ». Dans son comité d'honneur on relève les noms de Maurice Duruflé, Olivier Messiaen, Jean Dutourd, Gustave Thibon, Jacques Vier... Son président est le compositeur Henri Sauguet. Le n° 118-119 de la revue *Una Voce* contient un dossier de 18 pages sur la circulaire romaine, avec son texte latin, une traduction française, un exposé d'Erie de Saventhem, président de la fédération internationale UNA VOCE, une revue de presse, etc. (UNA VOCE,10, rue de Rome, 75008 Paris.)
Le 15 décembre 1984, UNA VOCE a pu faire célébrer une messe traditionnelle en l'église Saint-Étienne-du-Mont à Paris. Ce n'était pas la première messe obtenue grâce à la circulaire romaine (il y eut notamment celle du pèlerinage de Credo à Ars, obtenue par Michel de Saint Pierre), mais elle eut un retentissement considérable en raison du lieu où elle fut célébrée et du nombre des participants. Voici le texte de l'entretien que nous avons eu avec Yves Gire, le secrétaire général d'UNA VOCE France.
11:293
-- *Comment avez-vous eu connaissance de la circulaire de Rome sur la messe traditionnelle ?*
*-- *Les journaux en ont parlé le 16 octobre, et le 17 nous avons eu le communiqué de l'épiscopat qui en donnait l'essentiel. Ensuite nous avons eu connaissance du texte latin, qui a été publié par *l'Osservatore romano* édition italienne, dans son numéro du 17 octobre, qui nous est parvenu quelques jours plus tard. Puis nous avons eu la traduction française de l'*Osservatore romano* dans son édition française (23 octobre).
-- *Avez-vous comparé le texte latin avec les traductions ?*
*-- *Oui bien sûr, et nous avons fait nous-mêmes une traduction, que nous publions dans le numéro de notre revue qui vient de paraître et est largement consacré à l'indult. Nous y publions aussi le texte latin.
-- *Et quelles sont les principales différences que vous avez constatées ?*
*-- *Il n'y en a pas beaucoup. Il y a *nullam partem,* que les évêques français ont traduit par *aucune connivence.* Nous avons mis : « *qui ne partagent pas les positions *». En fait il n'y a pas de grosses différences.
-- *Obsecundare ?*
*-- *Oui effectivement. Nous l'avons traduit par : « *venir en aide* »*.*
12:293
*-- Sive per modum consuetudinis sive per actus ?*
-- « *Soit de manière habituelle soit pour des cas particuliers.* »
*-- C'est très proche de la traduction officielle. Jean Madiran en a donné une autre très* *différente* ([^1]).
-- Oui je crois qu'on peut comprendre le texte de cette façon-là aussi. Mais ce n'est pas moi qui ai fait la traduction. Je ne suis pas latiniste.
-- *Vous avez demandé à bénéficier de l'indult, et comme chacun sait vous avez eu l'autorisation d'organiser une messe à Saint-Étienne-du-Mont pour le 20^e^ anniversaire de votre association. Comment cela s'est-il passé ?*
-- C'est toute une histoire ! Nous avons donc eu connaissance de l'indult le 16 octobre. Le 19, notre président Henri Sauguet a écrit au Cardinal pour bénéficier de l'indult à l'occasion de notre 20^e^ anniversaire prévu pour le 15 décembre. Nous avons reçu une première réponse verbale le 7 novembre. Un prêtre de l'archevêché nous disait : le Cardinal répond favorablement, et je suis désigné pour régler les modalités de la célébration.
13:293
Nous étions contents, mais c'est là que les difficultés ont commencé. Alors que le président avait précisé dans sa demande que notre association n'avait pas refusé le nouvel ordo et que nous l'avions même fait célébrer en certaines occasions, on a voulu nous faire signer une déclaration. Nous avons d'abord refusé, estimant que la parole -- écrite -- de notre président suffisait.
Notre président étant absent, c'est le vice-président qui s'est occupé de l'affaire. Il a ensuite accepté de rédiger lui-même une déclaration (et non de signer un formulaire), disant qu'il ne mettait pas en doute la légitimité de l'ordo de Paul VI, mais sans mentionner la rectitude doctrinale, car nous sommes une association de laïcs, nous n'avons pas à nous prononcer sur la rectitude doctrinale de la nouvelle messe, ce n'est pas de notre compétence.
Ils voulaient avoir aussi la liste de nos adhérents. Nous avons catégoriquement refusé. Jamais une association ne se livre à une telle opération. Ensuite on nous a fait lanterner pendant 15 jours avant de nous dire : ce sera à Saint-Étienne-du-Mont, ce sera le curé qui célébrera la messe, et toute publicité est interdite, seuls vos adhérents peuvent être informés. Nous avons donc informé nos adhérents, et immédiatement, évidemment, tout le monde l'a su. Nous n'y pouvions rien...
Ensuite nous avons pris contact avec le curé pour régler les modalités de la célébration. Nous lui avons demandé que ce soit une messe solennelle, avec diacre et sous-diacre, célébrée au maître autel. Il a absolument refusé. Il a exigé au contraire de célébrer la messe sur son autel face au peuple. Et il nous a appris que le Cardinal exigeait que lecture soit donnée au début de la messe de la demande du président et de la réponse du Cardinal.
14:293
Cette réponse, le président ne l'a reçue que le 6 décembre. Elle contenait des éléments inacceptables, par exemple la mention de notre *attachement* au missel de Paul VI et aux décisions du concile Vatican II. Et en conclusion ceux qui n'étaient pas d'accord sur ce qui venait d'être lu devaient se retirer. Nous avons refusé ce texte. Le président a écrit deux fois. Il devait être reçu par le Cardinal mais finalement il fut reçu par un prêtre. La réunion dura deux heures et demie, au cours desquelles il y eut rupture. Finalement on a abouti à un compromis : nous acceptions de lire la lettre, mais modifiée. Cette lettre modifiée, nous ne l'avons eue que le 13 décembre au soir (la messe était le 15). Nous n'étions pas tous d'accord et dans le conseil d'administration d'Una Voce les avis étaient partagés. Mais finalement on s'est dit que l'important était de sauver la messe.
-- *Et vous avez eu raison, car on ne se souviendra pas des entraves et des chinoiseries mais bien de ce que la messe traditionnelle a été célébrée officiellement. Je pense que pour vous cette messe a eu une grande importance ?*
*-- *Après coup, on s'est tous dit qu'on avait bien fait effectivement de maintenir notre projet. Et dès maintenant nous allons demander d'autres messes, en mettant bien en avant que cette foule immense n'est pas venue pour nous faire plaisir mais parce qu'elle désirait cette messe, et qu'elle ne la désire pas qu'une fois mais pour tous les dimanches.
15:293
-- *Sur un plan général quelles conséquences aura selon vous la circulaire de Rome ?*
*-- *Je pense comme Louis Salleron que désormais on ne pourra plus faire obstacle à la célébration de la messe traditionnelle. Il y aura des batailles, des difficultés, mais maintenant le mouvement va dans le bon sens. Mais nous ne faisons pas de prévisions. Nous allons continuer à nous battre. A la grâce de Dieu ! Comme disait sainte Jeanne d'Arc les hommes combattent et Dieu donne la victoire.
Il faut absolument que les catholiques qui veulent la messe traditionnelle se mobilisent. Qu'ils écrivent aux évêques. Qu'ils fassent connaître à Rome le résultat de leurs démarches. Et comme semble-t-il beaucoup d'évêques ne font aucun cas des demandes individuelles, il faut se réunir et demander la messe au nom d'un groupe de fidèles.
Puis nous avons demandé l'avis du curé de Saint-Étienne-du-Mont, M. l'abbé Perrelet. Celui-ci avait déclaré sur France-Inter qu'il n'avait pas été mécontent de célébrer la messe traditionnelle. Comme on va le voir, il semble avoir été ensuite quelque peu décontenancé par des lettres de protestation émanant des deux « camps ». Pour le reste, il va de soi que nous ne cautionnons pas la théologie très « œcuménique » de l'abbé Perrelet. Quant au « scoop » fantastique qu'il nous livre à la fin de l'entretien, nous ne le reproduisons que pour l'amusement du lecteur...
-- *Je fais une enquête pour le quotidien PRÉSENT au sujet de la lettre circulaire de Rome sur la messe traditionnelle.*
16:293
*-- *Oh, vous savez, je n'ai rien à dire, je n'ai pas regardé les choses de près.
-- *Mais vous avez été projeté au premier plan, avec la messe d'Una Voce.*
*-- *Je ne veux rien en dire. J'ai été découragé par toutes les lettres que j'ai reçues, d'un côté comme de l'autre. On m'écrit de gauche : c'est une honte de célébrer la messe de Pie V. Et on m'écrit de droite : vous avez refusé de respecter les rubriques du missel de 1962. Un correspondant m'écrit même que j'ai bafouillé. Mais je sais assez de latin pour ne pas bafouiller. Si je ne dis plus la messe en latin, je continue de lire les Pères de l'Église dans leur langue originelle.
-- *Quelle a été votre réaction lorsqu'on vous a désigné pour célébrer cette messe ?*
*-- *Je n'ai pas été désigné. On m'a demandé si j'acceptais, et je l'ai accepté sans problème, comme un service. Pour des petits groupes attachés à l'ancien rite, je ne vois pas d'inconvénients. Mais c'est une question vraiment très secondaire. Le véritable message de l'Église ce ne sont pas des pinailleries sur les rites. La célébration de la messe a beaucoup varié au cours des premiers siècles. L'essentiel est qu'il y ait référence à la Cène, et les paroles de la consécration.
-- *Et au sacrifice de la Croix ?*
*-- *Naturellement la Cène fait référence au sacrifice de la Croix, puisqu'il y a séparation des espèces à la consécration. Mais on a trop insisté sur le sacrifice.
17:293
Dans les premiers siècles on n'en parlait guère, pour bien se différencier des Juifs et des païens. De même on ne parlait pas d'autel mais de table. La notion de sacrifice ne doit pas être supprimée, bien sûr, mais il faut la nuancer.
-- *Avez-vous été surpris par la foule qui a assisté à votre messe pour Una Voce ?*
*-- *Pas vraiment. Il y a eu une telle publicité... Normalement elle était célébrée seulement pour Una Voce. Il y avait là des gens envoyés par Mgr Lefebvre, dans un esprit de manifestation et pour critiquer. Mais la grande majorité était composée de bons chrétiens.
-- *Est-ce qu'il vous arrive par ailleurs de célébrer la messe de saint Pie V ?*
*-- *Non jamais. Mais si je devais dire la messe dans un lieu où il est impossible de se procurer un autre missel que celui de saint Pie V, je m'en servirais sans aucun problème. Il ne faut pas attacher trop d'importance à ces questions. On perd son temps à discuter là-dessus. Se battre en France sur l'indult c'est perdre le sens de l'Église. Le pape l'a accordé en pensant à la Chine. C'est le cardinal Lustiger qui nous l'a expliqué ([^2]). Les catholiques chinois persécutés, traumatisés, sont restés attachés à leurs anciennes traditions. Pour ne pas les traumatiser davantage, le pape leur permet de garder la messe de saint Pie V. Mais ce n'est pas pour nous.
18:293
### II. -- Mgr Marcel Lefebvre
On ne présente pas Mgr Lefebvre. Rappelons seulement que c'est pour la messe traditionnelle qu'il a fondé le séminaire d'Écône, pour la messe traditionnelle qu'il ordonne chaque année de nombreux prêtres, pour la messe traditionnelle qu'il les envoie dans les prieurés répandus à travers le monde. Aux avant-postes de ce combat, c'est lui qui a reçu le plus de coups. Mais par sa persévérance il a obtenu les résultats que l'on sait. Voici ses réflexions sur la circulaire de Rome, quatre mois après sa publication, suivies de quelques notes sur son récent voyage en Afrique.
-- *Monseigneur, quel est votre sentiment sur la situation actuelle de la messe tradi**tionnelle après la circulaire du 3 octobre ?*
-- Si l'on considère cette situation par rapport à nos groupes, par rapport à la Fraternité, par rapport à notre apostolat, je crois qu'on peut dire qu'il existe 15 à 20 % de fidèles en plus qui assistent maintenant à la messe traditionnelle dans nos chapelles.
19:293
En ce sens le résultat de ce décret a tout de même été positif pour nous. J'ai eu d'ailleurs l'occasion de le dire au cardinal Ratzinger lorsque je l'ai vu avant de partir en Afrique. Il a paru très satisfait de ce résultat.
Par contre, je pense que ce serait une illusion de croire que ce décret a été fait pour nous favoriser. Les conditions et le *nullam partem* en témoignent.
*-- Justement, peut-on savoir, sait-on si le caractère inquisitoire de cette circulaire ne va pas contre le désir du souverain pontife en personne* (ipse) *de se montrer* *favorable* (obsecundare), *comme l'assure le document, aux groupes de prêtres et de* *fidèles qui demeurent attachés à la messe traditionnelle et notamment les vôtres ?*
-- Étant donné que le décret est en gestation depuis 4 ans, il y a certainement eu des difficultés. Si ce décret très simple (promis depuis 4 ans déjà par le cardinal Seper) avait reçu l'approbation de toute la curie romaine, il aurait été promulgué en l'espace de deux ou trois mois.
De plus, il nous avait été présenté explicitement par le cardinal Ratzinger avec de tout autres conditions. Il était fait pour les prêtres et ne passait donc pas par les autorisations des évêques. Il était vu d'une manière beaucoup plus large.
20:293
Pourquoi ces conditions ont-elles été posées ? Il semble bien que ce soient des oppositions de la part de la Congrégation pour le culte divin et particulièrement de Mgr Noè, son secrétaire, qui soient à l'origine de ces adjonctions qui rendent la circulaire du 3 octobre pratiquement inapplicable.
-- *Que peut-on savoir de l'attitude réelle du pape ?*
*-- *Il est très difficile de savoir ce qu'en pense le pape. Personnellement, je ne puis en juger que par l'audience que j'ai eue avec lui un mois après son élection.
Le Saint-Père semblait disposé à nous accorder la permission d'utiliser le missel de saint Pie V mais c'est le cardinal Seper qui est intervenu pour l'en empêcher et le pape n'a pas résisté.
Pour lui c'était une question disciplinaire. Ne considérant pas cela comme ayant un rapport direct avec la foi, il n'était pas gêné de penser personnellement que des groupes pouvaient encore utiliser le missel ancien.
Mais son entourage a sans doute d'autres préoccupations et se rend bien compte que s'ils abandonnent la question de la liturgie et qu'on retourne à la messe ancienne, ce n'est plus seulement la messe qui va y passer mais tout ce qu'ils ont fait depuis le concile.
-- *Avez-vous eu connaissance de cette commission de huit cardinaux qui aurait été instituée par le Saint-Père avant la circulaire du 3 octobre, pour établir qu'en définitive la messe tridentine n'avait jamais été juridiquement interdite ? Mais cette conclusion n'a pas été publiée...*
*-- *Oui, j'en ai entendu parler. L'attitude de Rome à notre égard n'en est que plus révoltante. Comme je l'ai dit au cardinal Ratzinger :
21:293
-- Vous nous traitez comme des prisonniers dans l'Église alors que vous savez pertinemment notre innocence. Le motif de notre inculpation, de notre condamnation, de notre persécution est caduc. Libérez-nous !
-- *Depuis longtemps vous avez insisté pour que le Saint-Siège sépare la question de la messe de la Fraternité. D'une certaine façon, vous venez d'obtenir gain de cause avec la circulaire. Mais voici que dans la pétition qui circule actuellement en faveur de votre Fraternité, les deux questions sont à nouveau bloquées. Pourquoi ? Est-ce un nouveau stade ou une initiative des auteurs de la pétition ?*
*-- *Ce n'est pas moi mais mon successeur, M. l'abbé Schmidberger, qui a eu l'initiative de cette pétition. Mais j'ai très bien admis la raison de cette pétition.
Bon nombre de fidèles nous ont écrit en effet pour demander : -- Pourquoi ne pas profiter de l'ouverture qui existe maintenant à Rome et réclamer davantage, pour insister auprès du Saint-Père.
Puisque le pape est favorable à un retour à la messe ancienne, étant donné que c'est elle qui a été le motif principal de la persécution d'Écône, est-ce qu'on ne pourrait pas demander également la levée des sanctions qui ont été prises injustement contre Écône à cause précisément de la liturgie que nous gardions ? Puisque le motif de la persécution est levé qu'on enlève aussi ses conséquences.
L'abbé Schmidberger a cru devoir donner satisfaction à ces fidèles et je l'approuve parfaitement.
22:293
-- *Bien que ce ne soit pas tout à fait le sujet de notre enquête, Monseigneur, vous revenez, avez-vous dit, d'un voyage de quinze jours en Afrique. Quelles conclusions tirez-vous de cette visite*
*-- *Cette visite avait un caractère particulier puisque je suis retourné sur les lieux de mon apostolat aussi bien au Sénégal qu'au Gabon.
Il m'est plus difficile qu'ailleurs, si la Fraternité veut faire quelque chose en Afrique, de ne pas avoir de contacts directs avec des évêques que je connais personnellement, dont un certain nombre ont été de mes élèves comme le cardinal Thiandoum que j'ai ordonné prêtre ou Mgr Ndione de Thiès au Sénégal que j'ai également ordonné prêtre.
Je suis donc allé sonder leurs intentions. Je pense que c'est le Gabon surtout qui représente le terrain le plus favorable et en même temps qui a le plus de besoins. Le Gabon n'a pas beaucoup de prêtres africains. Il n'a presque pas de vocations actuellement, ce qui n'est pas le cas du Sénégal qui a tout de même un certain nombre de prêtres africains par rapport à la population catholique et qui possède un séminaire qui se tient encore avec pas mal de vocations.
Le Gabon est aussi peut-être le plus accueillant. Il y a 3 évêques sur 5 qui sont de mes anciens élèves et j'ai été reçu par eux très affectueusement, je peux le dire. Je pense qu'ils ne seraient pas mécontents que je puisse réaliser là-bas ce que j'ai réalisé il y a bientôt 50 ans, en m'occupant du séminaire.
Car il y a tout de même une baisse notable de l'esprit surnaturel, de la spiritualité de l'Église depuis le concile. On a voulu se mettre au niveau des cérémonies profanes indigènes avec le tam-tam et le balafon, ces espèces de musiques purement profanes.
23:293
Et cela a des conséquences sur tout l'esprit religieux des Africains et même sur la moralité. Il n'y a plus cette discipline, cet esprit de pénitence, de surnaturel qui élevaient les fidèles et leur donnaient une certaine élévation morale.
Il serait temps de reprendre cela si l'on ne veut pas en arriver à une sorte de vaudou, une espèce de mélange de rite païen et de rite chrétien comme il s'en trouve à Haïti ou bien au Brésil.
-- *Et la messe ?*
*-- *Je crois que la hiérarchie, surtout depuis « l'indult », serait favorable à la possibilité de revenir à la messe traditionnelle. Je ne dis pas qu'ils y reviendront immédiatement parce que déjà la langue africaine domine (en évinçant le français considéré comme la langue « coloniale »). Mais comme il y a une poussière de tribus, il y a une poussière de langues africaines. Il y en a tellement que cela divise au lieu d'unir les populations...
Néanmoins, la population catholique elle-même était très attachée au latin et au grégorien. Nous en avons eu la preuve à Gonguila dans une mission dans laquelle je m'étais trouvé il y a près de 50 ans. Un groupe d'une dizaine de personnes entre 50 et 65 ans que j'avais connues autrefois comme enfants, nous ont chanté une messe grégorienne de l'Épiphanie d'une manière parfaite. Tout, depuis l'introït, le graduel, l'alleluia et cela sans répétition. Quand ils ont su que nous disions la messe en latin, ils ont simplement pris leur ancien « 800 » et ont voulu chanter cette messe en grégorien -- qu'ils n'ont peut-être pas entendu depuis vingt ans.
Ils l'ont chantée avec beaucoup de joie et de satisfaction, d'une manière admirable. C'est extraordinaire.
24:293
Si Dieu veut, nous comptons donc revenir avec la tolérance bienveillante de la hiérarchie. De toute façon, nous avons toujours un certain espoir -- pour quand, je ne sais pas -- que les choses vont finir un jour par s'arranger avec Rome, avec la grâce de Dieu.
25:293
### III. -- Mgr Decourtray
DÉBUT JANVIER, Mgr Decourtray, archevêque de Lyon, primat des Gaules, vice-président de la conférence épiscopale, a autorisé la célébration habituelle de la messe traditionnelle en l'ancienne église paroissiale d'Ambérieux-d'Azergues, entre Lyon et Villefranche-sur-Saône.
L'aumônier actuel est M. l'abbé Cottin. Non seulement Mgr Decourtray a autorisé cette messe, mais il a de plus incardiné l'aumônier « suspens a divinis » dans son diocèse, en lui laissant la possibilité de choisir son remplaçant en cas d'absence. Une telle situation est hélas extrêmement rare. A notre connaissance elle n'existe que dans un seul autre diocèse, à Nice, où Mgr Saint-Macary a permis qu'une messe traditionnelle soit célébrée de façon habituelle dans la chapelle de la confrérie des pénitents rouges par l'aumônier de la confrérie.
Ayant obtenu une interview du secrétaire de l'association et une autre de Mgr Decourtray, nous nous réjouissions de pouvoir présenter à nos lecteurs les deux points de vue en parallèle. A la dernière minute, nous avons connu une des plus grandes surprises de notre enquête : l'Association culturelle beaujolaise, très proche de PRÉSENT, refusait que l'on publie son interview. Par peur de s'attirer des ennuis.
26:293
Quels ennuis ? Nous ne savons pas. Attitude d'autant plus étrange que comme nous venons de le dire, les deux interviews étaient *parallèles.* Elles se complétaient de la façon la plus satisfaisante qui soit pour un journaliste, et elles n'étaient à aucun moment en opposition.
Ce qui en soi constituait un événement. Car ce n'est hélas pas si fréquent qu'une association traditionaliste et un de nos évêques se rencontrent et tombent d'accord, même sur un point précis et limité (qui concerne cependant l'un des deux principaux sujets de désaccord).
Afin de limiter la déplorable carence de l'Association culturelle beaujolaise, nous citerons deux propos de son secrétaire publiés par le journal *Rhône-Alpes* (puisque *Rhône-Alpes* -- comprenne qui pourra -- a la chance de ne pas être frappé de l'ostracisme de l'association)
Sur le climat de la négociation : « Il faut dire que nous avons reçu un accueil bienveillant et que nous avons le sentiment d'être entre gens de bonne foi. »
Sur les conditions : « Les conditions de l'indult auraient pu être présentées comme des fourches caudines ; l'abbé Cornillon (l'archidiacre chargé de ce secteur) nous a simplement demandé si nous reconnaissions la validité de la messe du pape Paul VI, et nous avons dit oui. »
Nous présentons donc ici la seule interview de Mgr Decourtray, que nous tenons à remercier publiquement pour la bienveillante amabilité avec laquelle il a bien voulu répondre à nos questions.
-- *Monseigneur, en application de l'indult sur la messe traditionnelle, vous avez permis qu'une telle messe soit célébrée de manière habituelle dans l'ancienne église paroissiale d'Ambérieux d'Azergues, et vous avez nommé comme chapelain le prêtre même qui y célébrait jusque là des messes* « *sauvages* »*.*
27:293
*Votre attitude tranche singulièrement avec celle de la plupart des autres évêques de France. Pourquoi avez-vous fait ce geste ?*
*-- *Il m'a paru bon d'utiliser cet indult dans le sens souhaité par le Saint-Père, c'est-à-dire de contribuer à assurer la paix des consciences de ceux qui fréquentaient déjà ce lieu et qui remplissaient les conditions.
-- *Quelles conditions avez-vous demandées ?*
*-- *Celles qui sont prévues par l'indult. Elles ont été acceptées par le prêtre, que j'ai relevé de sa suspense a divinis et qui a ainsi retrouvé une situation normale dans l'Église.
-- *Vous savez sans doute que beaucoup d'évêques ont une attitude opposée à la vôtre ?*
*-- *Opposée, vous pensez ? Je ne vois pas.
-- *C'est-à-dire que certains ne répondent pas, ou répondent dans le vague, ou imposent des conditions draconiennes quasiment policières.*
*-- *Là les conditions étaient celles de l'indult, elles ont été acceptées. C'est mon vicaire général qui s'en est occupé. J'ai ensuite rencontré le prêtre personnellement à deux reprises, puis j'ai également rencontré les dirigeants de l'association, les choses étant entendues, pour manifester notre accord.
28:293
-- *Mais il y a des évêques qui ne font pas du tout comme vous.*
*-- *C'est-à-dire que l'indult laisse de larges possibilités à chaque évêque. De là un certain éventail.
-- *Par exemple il y a des évêques qui refusent de permettre des messes habituelles.*
*-- *En l'occurrence l'église où ça se passe correspond aux conditions de l'indult. Il y a l'histoire de ces dernières années, il y a un contexte. C'est bon pour ce lieu. Je ne sais pas si c'est bon ailleurs.
-- *Néanmoins cette situation d'une messe* « *sauvage* » *qui aimerait ne plus l'être se retrouve en bien des endroits...*
*-- *Voyez-vous j'ai été évêque de Dijon. Je pense à telle ou telle ville où il y a de telles messes. Je suis persuadé qu'ils n'auraient pas accepté les conditions prévues par l'indult. Tandis qu'ici elles ont été acceptées. Dans un bon climat de simplicité, de vérité, sans rigidité. Je crois que dans ces cas-là il faut dépasser le cadre purement administratif. Il faut établir un échange, un climat qui permette de donner une autorisation honnête et constructive. J'insisterai volontiers sur le mot constructif. Je dois dire que pour moi la question des dispositions intérieures est tout à fait primordiale l'amour de l'Église, la communion avec le pape et les évêques. La lettre suit. Mais la lettre sans l'esprit risque de tuer, comme dit l'apôtre.
-- *Vous savez sans doute que vous mécontentez le clergé du secteur.*
29:293
-- Les choses ont été très bien expliquées par l'archidiacre. Il y a eu des rencontres, des échanges avec les prêtres, qui ont été constructifs, une sorte de contrat qui doit permettre, avec l'aide du Saint-Esprit, une meilleure compréhension, afin d'éviter que les choses se ferment, se durcissent, se bloquent. C'est ce que je souhaite. Je ne suis pas sûr que les prêtres soient si mécontents. De toute manière ce doit être un point de départ pour eux, pour mieux se comprendre, pour mieux travailler ensemble. Ma décision a été très pastorale. J'étais désireux de contribuer à la paix, et l'indult ouvrait une porte, offrait une chance. Il ne faut pas constituer une Église parallèle. Cela s'inscrit dans un travail d'assez longue haleine.
-- *Les attitudes différentes, voire opposées des évêques ne viendraient-elles pas d'une contradiction interne au texte de l'indult ? Entre la volonté d'apaisement du pape et les conditions très restrictives ?*
*-- *Je ne pense pas. Le pape demande instamment et constamment d'accepter et de mettre en œuvre les décisions du concile.
-- *Êtes-vous prêt à donner d'autres autorisations ?*
*-- *Votre question est trop générale. Je suis prêt, bien entendu. Mais il faut voir chaque cas particulier, et avec mes collaborateurs. Car dans le cas d'Ambérieux la décision a été prise en accord avec mes collaborateurs de l'archidiaconé.
-- *Est-ce que vous vous demanderiez l'autorisation pour vous-même ?*
30:293
-- Il y a un cas particulier ici à Lyon : il n'y a jamais eu la messe de saint Pie V, mais le rite lyonnais. Ça m'embarrasse, parce que l'indult, qui permet dans certaines conditions le retour au *missel romain* de 1962, ne vaut pas pour le diocèse. Mais j'ai résolu le problème par le bon sens.
-- *C'est-à-dire ?*
*-- *Je ne demande pas le retour au rite lyonnais à ceux qui demandent l'autorisation.
-- *Est-ce que vous célébreriez éventuellement la messe traditionnelle ?*
*-- *Si ça peut rendre service à l'Église dans tel ou tel cas, pourquoi pas ?
31:293
### IV. -- Mgr Simonneaux, Mgr Martin et le chanoine Porta
L'UN DES ASPECTS POSITIFS de la circulaire de Rome sur les possibilités de célébration de la messe traditionnelle est qu'elle fait voler en éclats la fausse collégialité post-conciliaire (du moins en France, et sur ce point précis). Les réponses des évêques sont très diverses, et il n'y a pas de « diocèse type ». Le cas de Lyon, que nous avons évoqué, est un cas particulier. Celui de Versailles, que nous évoquons aujourd'hui, en est un autre, fort différent, plus proche hélas de ce que pourrait être une « moyenne » des diocèses français.
Mgr Simonneaux, évêque de Versailles, ayant chargé Mgr Martin, vicaire épiscopal, de l'application de l'indult, c'est celui-ci que nous avons interrogé.
Mgr Martin nous a répondu sur un ton fort aimable. Mais pour ce qui est du fond de ses réponses, il en va autrement.
32:293
-- *Monseigneur, vous avez diffusé une lettre indiquant qu'il y aurait une messe célébrée selon le rite tridentin le dimanche 24 février à 9 h 30 à la chapelle de l'hôpital de Versailles. S'agit-il d'une messe unique ou d'une messe habituelle ?*
*-- *C'est la première fois que cette messe est autorisée. Tout dépendra de la façon dont ça se passera. Mais il ne peut être question d'avoir tous les dimanches une messe comme celle-là, ce qui constituerait une paroisse d'un type particulier. Il fallait commencer. Ça n'a pas été facile pour diverses raisons. Je ne suis pas personnellement hostile à ce qu'on ne recommence pas ([^3]), mais pour le moment on ne peut pas dire que ce sera une messe régulière.
-- *Cependant j'imagine que les gens qui demandent cette messe ne la demandent pas pour une fois mais désirent l'avoir habituellement.*
*-- *Je suis tout à fait d'accord. Mais la régularité, le lieu, l'heure, le style, font l'objet de beaucoup de suggestions. Je collecte tout cela. C'est une affaire d'organisation, donc politique au sens noble du mot. Et la politique est l'art du possible. Sur le plan pratique il y a un certain nombre de problèmes à résoudre dans la perspective du bien commun.
-- *D'après le début de votre lettre il semble que Mgr Simonneaux ait reçu beaucoup de demandes ?*
*-- *Non. Il y a eu pour tout le diocèse une quinzaine de lettres représentant environ 25 personnes. Pour le 24 l'association Una Voce va, je pense, inviter ses adhérents alors ça risque de faire du monde.
33:293
Je souhaite qu'il n'y ait pas de publicité de faite, afin que cette messe ne soit pas noyautée par l'abbé de Nantes ou des gens comme cela. Il n'est pas question d'organiser une messe traditionnelle extrémiste comme celle de Notre-Dame-des-Armées.
-- *Mais Mgr Simonneaux a écrit à un correspondant qu'à sa connaissance il n'y avait pas de messe de rite tridentin dans le diocèse...*
*-- *Vous savez que, même si on insiste beaucoup depuis le dernier concile sur l'Église peuple de Dieu plus que hiérarchie pyramidale, l'Église est quand même une hiérarchie, et quand dans un diocèse il y a malheureusement des prêtres qui ne reconnaissent pas l'autorité de l'évêque -- au sens spirituel du mot, pas administratif -- et célèbrent des sacrements qui risquent d'être invalides, l'évêque ne peut pas dire qu'il les connaisse.
-- *Je ne crois pas que ce soit le cas de l'abbé Porta. Je pense qu'il reconnaît parfaitement l'autorité spirituelle de l'évêque.*
*-- *L'abbé Porta n'a aucun pouvoir dans le diocèse.
-- *Parce que c'est l'évêque qui ne le reconnaît pas ! Et l'indult pourrait arranger les choses !*
*-- *Il faudrait -- même si le mot est un peu fort -- faire allégeance au pape d'aujourd'hui. On fait référence à l'Église de toujours.
34:293
Mais l'Église d'aujourd'hui c'est l'Église de toujours. Et si on se coupe de l'Église d'aujourd'hui au nom de l'Église de toujours on a une position schismatique au sens premier du mot.
-- *Certes, mais je crains que vous ne soyez très mal renseigné. Sinon vous ne pourriez pas mettre en doute l'* « *allégeance* » *de l'abbé Porta au pape Jean-Paul II.*
*-- *Je dis que l'abbé Porta ne fait pas obédience à l'évêque et que pour faire obédience à l'évêque il doit rompre complètement avec Mgr Lefebvre.
-- *Mais il ne fait pas partie de la Fraternité Saint-Pie X.*
*-- *Je ne sais pas. Mais il a accepté que soient organisées des confirmations dans le diocèse par Mgr Lefebvre. Il faut éviter les ambiguïtés. Il faut fondamentalement être d'accord. La messe de saint Pie V dans le cadre de l'indult c'est possible si l'évêque le permet, mais dans la mouvance de Mgr Lefebvre c'est impossible.
Mgr Martin ayant mis en cause les messes de la chapelle Notre-Dame des Armées et son chapelain le chanoine Porta, et nous ayant contraints à tenter de défendre celui-ci, nous avons ensuite demandé au chanoine de nous confirmer ce que nous avancions à son sujet.
35:293
-- *M. le chanoine, avons-nous eu raison de dire que vous n'appartenez pas à* l*a fraternité sacerdotale de Mgr Lefebvre ?*
*-- *Je ne fais pas partie de la Fraternité Saint-Pie X. Et je dis davantage : je n'ai jamais fait venir Mgr Lefebvre dans ma chapelle ni dans le diocèse. Je n'ai donc pas à rompre avec Mgr Lefebvre, puisque je n'ai pas de liens avec lui, en dehors de notre commune appartenance à l'Église et au sacerdoce catholique.
-- *De même, reconnaissez-vous l'autorité spirituelle de l'évêque ?*
*-- *Très certainement. Et je vais vous en donner deux preuves.
1\. Quand je suis arrivé dans cette chapelle, il y a huit ans, je me suis présenté à l'évêché avec un responsable de l'association des amis de Notre-Dame-des-Armées. Nous avons été reçus par le chancelier (avec qui je suis d'ailleurs en bons termes), mais monseigneur a refusé de nous rencontrer. L'année suivante, même visite, même refus. On ne peut contester que j'ai fait le premier pas. Depuis, le nouvel archiprêtre de la cathédrale a essayé d'arranger les choses. Mais il a échoué lui aussi.
2\. Depuis ma première messe dans la chapelle, j'ai toujours nommé le pape et l'évêque au *Memento* des vivants. Si je ne faisais pas allégeance à l'évêque, je ne le nommerais pas dans le canon.
Et permettez-moi de protester quand Mgr Martin parle de « messe extrémiste » ! Je ne suis pas extrémiste ! Pourquoi l'évêque ne vient-il pas lui-même constater ce que nous faisons et disons ?
36:293
On me traite de tous les noms. En 1980 l'évêque m'a traité de « prêtre apostat » dans un journal. J'ai un frère lazariste, deux sœurs religieuses, j'avais un oncle chanoine et une tante clarisse. Et moi je serais l'apostat de cette famille ? Me traiter d'apostat après 41 ans de sacerdoce ! On a même fait courir le bruit que j'étais un faux prêtre, au début, pour dissuader les gens de venir, alors que j'ai été ordonné le 19 mars 1944 à Constantine par Mgr Thiénard.
Quand les eudistes ont vendu cette chapelle, l'évêché n'en a pas voulu. Elle a été achetée par la mairie, qui l'a confiée à l'Association des amis de Notre-Dame-des-Armées. Et l'association a eu l'autorisation de l'évêque d'y faire célébrer -- discrètement -- la messe traditionnelle ! Et on ne nous connaît pas ? Et on me traite d'apostat ? Et maintenant d'extrémiste ? A quoi cela rime-t-il ? C'est ça, la charité sacerdotale ?
-- *Il y a demain une messe traditionnelle autorisée par l'évêque à la chapelle de l'hôpital. Quelle est votre réaction ?*
*-- *J'ai demandé à tous mes fidèles d'y aller. D'après Mgr Simonneaux il n'y a que quelques catholiques à Versailles qui demandent la messe traditionnelle ? Eh bien il va voir.
-- *Mais Mgr Martin a demandé de ne pas faire de propagande.*
*-- *Et pourquoi ? De quoi a-t-il peur ? Depuis quand fait-on la messe en secret dans un pays catholique ?
37:293
-- *Que pensez-vous des conditions de l'indult ?*
*-- *Elles sont draconiennes. Et illogiques. Si l'on veut la messe traditionnelle c'est qu'on ne veut pas de la nouvelle. C'est évident. Ce que je reproche à la messe de Paul VI, personnellement, c'est l'offertoire, et la suppression de *mysterium fidei* des paroles de la consécration. Toute la religion est dans ces deux mots : mystère de la foi, au moment de la consécration.
Il y a une chose certaine, c'est que le pape n'a mis aucune condition. La preuve c'est qu'il s'est mis en colère quand il les a vues. Moi aussi je sais des choses. Et je sais aussi que le pape a dit à un prêtre de Lyon : « Ah, ces évêques français ! Il faudrait que je les enlève tous et que j'en mette d'autres. Seulement si je le fais il y aura un schisme. » Et le pape a ajouté : « Ils ne veulent pas obéir. »
-- *Quelle est votre attitude face à la circulaire ?*
*-- *Je n'ai pas cru bon d'en parler à mes fidèles. A cause de ces conditions qui ne sont pas du pape mais qui ont été imposées par les évêques français par l'intermédiaire de Mgr Noè. Moi je vais demander l'autorisation directement à Rome au nom de mes 3.000 fidèles.
-- *Quelles peuvent être selon vous les conséquences de la circulaire ?*
*-- *Tout dépendra des évêques. La plupart sont furieux que le pape ait accordé cela, ou plutôt qu'il ait réussi à le faire passer malgré eux après quatre ans d'efforts ! L'indult peut faire du bien. Mais à cause de la résistance des évêques, ce sera long.
38:293
J'ajouterai qu'il y a beaucoup de gens nouveaux à venir ici, de gens qui avant la circulaire avaient le désir de la messe traditionnelle mais ne venaient pas par obéissance. J'avais déjà constaté ce phénomène avec le catéchisme : des gens, horrifiés par les nouveaux catéchismes, venaient me supplier de prendre leurs enfants, pour qu'ils reçoivent la bonne doctrine. Mais ils n'osaient pas venir à ma messe. Mgr Simonneaux dit qu'il ne me connaît pas, mais les catholiques qui veulent rester fidèles à la Tradition, eux me connaissent et savent ce qui se passe dans ma chapelle.
39:293
### V. -- Dom Gérard
NOS LECTEURS savent ce qu'est le miracle du Barroux : un monastère, un vrai, un grand monastère, avec tous ses bâtiments, son hôtellerie, ses dépendances, son cloître, son abbatiale, qui sort de terre en plein XX^e^ siècle, entre le Ventoux et les Dentelles de Montmirail.
Cela est l'œuvre de Dom Gérard, dont le rayonnement exceptionnel a attiré à lui des dizaines de jeunes prêts à se lancer dans cette aventure centrée sur le chant des psaumes et la messe de toujours ; et aussi la contribution financière de nombreux fidèles émerveillés de ce qui se passait au sommet de l'aride colline.
Dom Gérard est devenu (qu'il nous pardonne de le proclamer ainsi) un pôle de la vie spirituelle de notre temps. Cette enquête aurait donc été quelque peu bancale si nous n'avions pas recueilli son témoignage, précieux entre tous.
40:293
-- *Mon père, quelle est votre réaction devant la lettre circulaire de Rome sur la messe traditionnelle ?*
*-- *C'est une grande joie pour nous de constater que la messe traditionnelle recouvre enfin son droit de cité dans l'Église.
-- *Avec d'étranges restrictions...*
*-- *Les conditions sont contradictoires dans les termes. On demande aux évêques de concéder un indult dont ils ne veulent pas, et on propose de demander l'indult à des fidèles qui n'en ont pas besoin (puisqu'il ne faut pas que ce soient des gens qui critiquent la nouvelle messe).
Mais les gens font instinctivement une lecture très large de l'indult. Pour le brave chrétien du rang, la messe traditionnelle n'est plus interdite. Point final. C'est pourquoi dans toutes les chapelles où on la célèbre, et dans notre monastère, on voit apparaître des têtes nouvelles.
-- *Que faut-il faire ?*
*-- *Même si l'on voit le texte avec lucidité (les deux premières conditions sont abominables), il faut être conscient qu'on ne repassera pas le plat deux fois et qu'il faut se servir vite. C'est une occasion qu'on ne doit pas laisser passer. Il faut multiplier les demandes. Il faut que les prêtres qui regrettaient l'ancienne messe n'aient as peur des pièges ou des refus, qu'ils témoignent de leur joie de pouvoir célébrer le saint sacrifice selon le rite de la Tradition, qu'ils en témoignent haut et fort à toute occasion.
41:293
-- *Vous m'avez parlé des deux premières conditions* (*celles qui impliquent la constitution de ghettos*)*. Que pensez-vous des deux suivantes ?*
*-- *Elles ne sont pas mauvaises. Ne pas mélanger les rites, c'est bien. Prendre le missel de 1962, c'est bien. Cela supprime le dernier évangile, mais on ne va pas se faire tuer pour le dernier évangile (qui a été ajouté après saint Pie V). Ce à quoi nous tenons, c'est aux formules ciselées au cours des premiers siècles.
-- *Et vous dressez dans le numéro de février d'ITINÉRAIRES la liste impressionnante de toutes les prières de la messe apparues entre le I^er^ et le VI^e^ siècle.*
*-- *J'ai voulu montrer que la messe traditionnelle n'est pas la messe de saint Pie V, mais la messe du VI^e^ siècle. Un rite plus que millénaire. De ce fait, toucher à la messe, c'est toucher à la Tradition catholique. Saint Pie V n'a fait que codifier la messe traditionnelle, c'est-à-dire la rendre intouchable. Il faut lutter contre cette fausse perspective de la « messe de saint Pie V ». Saint Pie V c'était au XVI^e^ siècle. Mais la messe traditionnelle existait déjà depuis mille ans.
C'est pourquoi elle ne doit pas, elle ne peut pas disparaître. Dans l'Église, une coutume immémoriale a toujours force de loi. Un rite immémorial jouit d'une prescription sacrée.
42:293
La messe traditionnelle est un rite immémorial car ses formules plongent leurs racines dans le tuf originel de la liturgie. C'est ce fait qu'il faut invoquer, bien plus que la bulle *Quo Primum* de saint Pie V.
-- *Avez-vous essayé de faire jouer l'indult ?*
*-- *Nous avons essuyé deux refus, dans deux diocèses différents, pour un Père qui célèbre la messe le dimanche en dehors du monastère.
-- *Comment voyez-vous l'avenir ?*
*-- *Avec une certaine confiance. Le pape a la volonté d'apporter la paix. D'autre part les conditions de l'indult sont tellement contradictoires qu'elles finiront par tomber d'elles-mêmes. Il faut considérer l'indult dans sa nature propre qui est de rendre la messe. Assez d'analyses ! Il faut dire et faire dire la messe traditionnelle. Traduire l'indult en action. Je crois que maintenant la balle est dans notre camp.
D'après les réflexions entendues à l'issue de nos messes dominicales, ce qui m'apparaît de plus évident est que par la grâce du rite ancien les fidèles retrouvent la foi de leur enfance. Ils savent qu'ils ne sont pas trompés : *la règle de prière* est vraiment la *règle de* foi.
Ils se rendent compte, à un moment très précis de la messe, qu'il y a tout à coup un miracle qui se produit, quelque chose qui tranche avec tout le reste.
43:293
Cela est inscrit dans un geste auguste qui s'appelle *l'élévation.* C'est un geste d'une simplicité incroyable, qui s'accomplit dans le silence le plus complet. Simplement, les fidèles s'agenouillent et se prosternent : ils savent que tout d'un coup *Il est là.* En chair et en os. Alors, ils adorent.
Et ils voient ensuite que le prêtre ne touche pas l'hostie consacrée qu'il n'ait fait auparavant une génuflexion. Pendant la communion si une hostie tombait malencontreusement sur le sol, le célébrant la ramasserait sans doute, mais tôt après un diacre ou un acolyte viendrait ramasser, à l'aide d'un manuterge humide, les parcelles d'hostie qui auraient pu rester à terre.
Ces, gestes délicats expriment la foi mieux que n'importe quelle prédication. Un dominicain, professeur de théologie, m'a dit : « Je célèbre la nouvelle messe, mais je compense ses insuffisances par mon sermon. »
Non monsieur ; vous ne compensez rien. Ce que vous faites est beaucoup plus important que ce que vous dites. Au concile, vous avez inventé une expression : *l'Église des pauvres.* Eh ! bien, vous travaillez contre la foi des pauvres. Les pauvres, ceux que le malheur du temps a démunis, ceux qui sont sans culture et sans ressources, qui argumentent peu, *ceux-là regardent plus qu'ils n'entendent !*
Je viens de lire dans *The Wanderer* un sondage réalisé aux États-Unis : 65 % des catholiques dont le niveau d'études ne dépasse pas l'école primaire souhaitent assister à la messe traditionnelle. C'est pour ceux-là surtout qu'il est opportun de restaurer le rite traditionnel de la messe. Pour ceux-là qui ne vont pas dans les musées ni dans les bibliothèques, il y a chaque dimanche la sainte messe, chef-d'œuvre d'exactitude théologique et de beauté d'expression.
44:293
Le sondage auquel fait allusion le R.P. Dom Gérard a été réalisé par l'institut Gallup aux États-Unis et publié dans *The Wanderer* du 10 janvier 1985. Il s'agissait d'un sondage multithèmes. Les questions concernant la messe n'ont été posées qu'aux seuls catholiques. En conséquence l'échantillon n'était plus pleinement représentatif. C'est pourquoi Gallup estime la marge d'erreur à + ou - 6 points. Les résultats sont néanmoins très significatifs. Voici les réponses à la question : « *Si l'ancienne messe latine* (*tridentine*) *était rendue aisément praticable à des heures et en des lieux qui vous conviennent, et que vous puissiez y assister, le feriez-vous ? *» (Réponses en pourcentage.)
Oui Non Sans opinion
Hommes 51 37 12
Femmes 56 37 7
Moins de 30 ans 43 43 14
Entre 30 et 49 ans 53 40 7
50 ans et plus 65 27 8
Revenus inférieurs à 25.000 dollars 66 26 8
Revenus supérieurs à 25.000 dollars 46 44 10
Diplômés de l'université 52 42 6
Titulaires du baccalauréat 57 33 10
Niveau secondaire 56 35 9
Niveau primaire 65 31 5
45:293
### VI. -- Louis Salleron
THÉORICIEN, historien et professeur d'économie politique, principal auteur de la Corporation paysanne promulguée par le maréchal Pétain, principal fondateur du CEPEC (Centre d'études politiques et critiques), auteur de la doctrine de la diffusion de la propriété (dont une partie fut travestie en « participation »), Louis Salleron est également connu comme chroniqueur politique et religieux.
Pour ce qui nous concerne ici, Louis Salleron est avant tout l'auteur du livre de référence sur *La nouvelle messe.* (Nouvelles éditions latines, collection Itinéraires, 2^e^ édition 1976.) Ce livre est important non seulement parce que son analyse et ses commentaires sont d'une pertinence, d'une qualité et d'une précision tout à fait remarquables, mais aussi parce qu'il rassemble en un volume de nombreux documents indispensables à la connaissance du sujet. C'est donc à la fois un exposé des critiques qu'appelle la messe de Paul VI et un outil irremplaçable.
-- *Comment avez-vous eu connaissance de la circulaire ?*
46:293
-- Le premier endroit où je l'ai vue, c'est dans *l'Homme nouveau.* Puis dans la *Documentation catholique.*
*-- Avez-vous lu le texte latin ?*
*-- *Je ne crois pas qu'il ait paru ailleurs que dans ITINÉRAIRES ([^4]). Madiran l'a très bien traduit, notamment *sive per modum consuetudinis sive per actus* ([^5])*.*
*-- Que pensez-vous de cette circulaire ?*
*-- *Je l'ai déjà dit dans PRÉSENT. C'est une bonne chose, parce que malgré toutes les réserves, elle montre la légitimité fondamentale de la messe traditionnelle. On peut avoir tendance à crier victoire, ou bien à dire : ils se moquent de nous avec leurs conditions invraisemblables. Dès avant de voir le texte, j'avais dit qu'il fallait s'attendre à des tas de chinoiseries et que les évêques -- ou plutôt la bureaucratie, celle du. Vatican comme la nôtre -- mettraient des bâtons dans les roues. Mais mon opinion n'a pas changé, à savoir que c'est tout de même une reconnaissance de la messe « de saint Pie V ».
-- *Faut-il demander la permission aux évêques ?*
*-- *Ici à Versailles nous avons la messe traditionnelle à Notre-Dame des Armées. Le président de l'association m'a dit :
47:293
-- Puisqu'il s'agit d'une chapelle privée, on pourrait peut-être écrire à Mgr Simonneaux (évêque de Versailles). Je lui ai répondu : -- A mon avis n'en faites rien. L'évêque sait très bien ce qui se passe à Notre-Dame des Armées. On n'a pas besoin de le lui apprendre. Et puis il serait capable de nous donner la permission la plus étroite possible, c'est-à-dire par exemple pour un an (puisque dans la circulaire il est dit qu'il s'agit d'une expérience d'un an), et de ne pas la renouveler...
-- *Cela c'est pour les laïcs. Et les prêtres ?*
*-- *Il y a ceux qui disent déjà la messe traditionnelle : ils continueront sans rien demander, estimant qu'ils sont dans leur droit et que Rome ne fait que reconnaître ce droit. C'est ce que je leur conseille de faire. Ils disent la messe « de saint Pie V » parce qu'ils considèrent avec raison cette messe comme la messe légitime, qu'on n'a pas le droit d'abolir. La Tradition est la loi de l'Église. C'est une certitude théologique. L'Évangile est déjà une tradition, la consignation d'une tradition orale. La messe de saint Pie V c'est la messe de la Tradition. Les prêtres qui célèbrent la messe traditionnelle n'ont donc pas à demander la permission.
-- *Et les autres ?*
*-- *Je crois qu'il y en aura très peu à s'intéresser à l'indult. A cause de l'habitude prise de la messe en français.
-- *Comment voyez-vous maintenant la situation de la messe ?*
48:293
-- La circulaire est un démenti infligé aux évêques, qui prétendaient que la messe de Paul VI *remplaçait* la messe de saint Pie V et était obligatoire ([^6]). Mais une messe est légitime ou n'est pas légitime. L'indult ne change rien en ce sens que la messe traditionnelle a toujours été légitime et le demeure. La loi de l'Église, qui est la Tradition, ne peut pas interdire une messe traditionnelle (même sans parler de la bulle *Quo Primum*). On dit toujours la messe de « saint Pie V », mais il n'y a pas de messe de saint Pie V. Ce pape a collationné les rites traditionnels et il a *restauré* la Tradition. Il a accompli le travail que font les chartistes lorsqu'ils restituent un texte authentique à partir de manuscrits pleins de variantes, voire d'erreurs.
49:293
### VII. -- Michel de Saint Pierre
MICHEL DE SAINT PIERRE est le grand romancier catholique que tout le monde connaît. C'est aussi un excellent chroniqueur, voire un remarquable « reporter », comme en témoigne son tout dernier livre : *Sous le soleil de Dieu.*
Et il est aussi le président de l'association Credo, qui fête cette année son dixième anniversaire, et s'est battu avec constance et énergie au cours de ces dix ans contre les déviations post-conciliaires. Credo a toujours protesté contre l'interdiction de fait de la messe traditionnelle et constamment réclamé que soit reconnu le droit des fidèles à cette messe.
-- *Comment avez-vous eu connaissance de la circulaire du 3 octobre*
*-- *Un beau jour du mois d'octobre, j'ai appris comme bien d'autres que la messe dite de saint Pie V, la messe tridentine, celle que nous appelons et continuerons d'appeler « la messe de toujours » était de nouveau « autorisée ».
50:293
Nous apprenions donc, par la presse, que faisant droit à notre requête le Saint-Père nous accordait enfin « notre » messe. Nous ne connaissions pas encore la teneur exacte et complète du texte de la Congrégation romaine pour le Culte divin, dont il s'agissait : ce qui permettait à Jean Madiran d'écrire dans PRÉSENT du 18 octobre, qu'à Rome et à Paris, les commentaires précédaient les textes.
Depuis longtemps déjà, on m'annonçait de Rome l'autorisation en question -- qui devait témoigner de la « sollicitude » du Saint-Père envers les catholiques épris de tradition et souffrant dans l'Église. Or lesdites conditions imposées par la circulaire enfin connue (dans sa version française) par la presse religieuse officielle, ne traduisaient pas du tout ce paternel souci. Il nous fallait, en effet, avant d'être autorisés à faire célébrer par nos prêtres la messe de toujours qui n'avait jamais été abolie, reconnaître ceci et cela ; réserver ladite messe aux seuls membres de nos « groupes » demandeurs ; et ceci, non pas dans une église paroissiale, mais dans un oratoire plus ou moins inconnu et privé ; aux jours et conditions fixés par l'évêque ; etc. Autrement dit, notre messe devenait la messe des parias, celle des relégués, celle des impurs. Nous ne pouvions l'obtenir qu'en agitant longuement, devant l'évêché, notre crécelle de lépreux.
-- *Avez-vous demandé la permission*
*-- *En tout état de cause, notre association *Credo* a décidé d'appliquer la nouvelle autorisation romaine à notre pèlerinage national qui devait avoir lieu fin octobre, à Ars et à Lyon.
51:293
Sur l'initiative de M. Joël Chotard, président de notre section Rhône-Alpes, aidé de son vice-président, M. Paul Payet, l'évêque de Belley, Mgr René Dupanloup, dont dépend la paroisse d'Ars, fut pressenti, et donna fort amicalement son autorisation. Et voici le texte même de la lettre que Mgr Dupanloup écrivait le 19 octobre 1984 à M. Joël Chotard.
« *Cher Monsieur,*
« *En réponse à votre lettre du 16 octobre, et après conversation téléphonique avec M. Michel de Saint Pierre, je vous adresse ci-joint l'autorisation demandée.*
« *J'ai aussi averti M. le curé d'Ars de la situation.*
« *Je fais les meilleurs vœux pour les fruits de votre pèlerinage et pour une unité de plus en plus réelle de l'Église.*
« *Comme je l'ai fait avec M. M. de Saint Pierre, je me recommande aussi à vos prières.*
« *Veuillez agréer, cher Monsieur, l'expression de mes sentiments bien cordiaux et dévoués en Notre-Seigneur.*
« Signé : *René Dupanloup, évêque de Belley. *»
A cette lettre était jointe une note où l'évêque rappelait « les prescriptions de la Sacrée Congrégation pour le Culte Divin, concernant les possibilités d'utilisation du missel romain de l'édition typique de 1962 ». Pour mémoire, parmi les conditions « exigées par la lettre de Rome », figurait l'exigence suivante :
-- que cette célébration se fasse uniquement pour les membres de l'association *Credo* venus audit pèlerinage.
52:293
Je ne me privai point alors de faire remarquer -- notre messe tridentine devant être dite en l'église d'Ars même -- que je ne pouvais pas m'engager à chasser ceux des assistants qui ne seraient pas membres de *Credo ;* et que je ne pouvais pas davantage exiger la carte de membre de *Credo* à l'entrée.
Et le 27 octobre, nous eûmes une magnifique messe solennelle de saint Pie V dite par notre aumônier, avec célébrant, diacre et sous-diacre, en latin et en grégorien, dans la basilique même du saint Curé d'Ars, qui était « pleine à craquer ».
-- *Que pensez-vous faire à l'avenir ? Quelle est la situation de la messe après cette circulaire ?*
*-- *Les conditions mêmes dans lesquelles la messe à Saint-Étienne du Mont a été « arrachée » au consentement épiscopal, et non pas simplement « obtenue », nous font penser que s'il doit y avoir, vers la fin de l'année 1985, un rapport des évêques français sur les résultats de l'autorisation romaine, ce rapport sera défavorable -- comme l'avait été celui du cardinal Knox, touchant le même sujet.
Nous pensons également que nous devons multiplier à cet égard des communications personnelles à la Congrégation des rites, où travaillent, Dieu merci, des personnalités qui sont parfaitement au courant de la question, de la mauvaise volonté des évêques, (et des incroyables pressions qui ont été exercées par certaines assemblées épiscopales sur le Saint-Père lui-même afin que jamais la messe tridentine ne puisse réapparaître).
On peut d'ailleurs s'interroger sur cet acharnement, qui nous semble, quant à nous, purement et simplement diabolique.
53:293
D'autre part, nos associations, nos publications, nos groupes fidèles à la Tradition doivent provoquer et susciter les demandes personnelles et les demandes collectives touchant à la célébration de la messe de saint Pie V -- en communiquant un dossier complet à ladite Congrégation des rites.
Tout fidèle, d'autre part, doit pouvoir demander et obtenir la célébration de messes selon le rite de saint Pie V, à l'occasion, par exemple, des grands événements de sa vie familiale. A cet égard, je viens de recevoir des lettres qui indiquent sans doute possible les réticences opposées à ce genre de demandes par certains évêques.
Espérant et croyant que les demandes en question vont se multiplier, il faut absolument que Rome connaisse à quelles mesquineries, à quelle « gué-guerre », à quels insupportables obstacles de détail se heurtent et vont se heurter nos fidèles. Et pour nous résumer, il faut absolument que le Saint-Père sache à quel point ses intentions ont été bafouées, déviées ; et qu'il puisse mesurer le peu qu'il reste de son authentique et sincère sollicitude.
54:293
### VIII. -- L'abbé Sulmont
L'ABBÉ PHILIPPE SULMONT, curé de Domqueur en Picardie, est en fait curé de sept paroisses. Il est connu par son bulletin paroissial à la fois fièrement combatif et plein d'humour. (Curé de Domqueur, 80620 Domart-en-Ponthieu.) Ce bulletin a acquis une telle notoriété qu'il a constitué la matière de deux livres : *Un curé picard en campagne* (par Bernard Gouley -- éd. Fayard) et *Curé... mais catholique* (Téqui).
-- *Monsieur l'abbé, comment avez-vous eu connaissance de la circulaire de Rome sur la messe traditionnelle ?*
*-- *D'abord par la radio, Europe 1 je crois. On y annonçait la possibilité de célébration de la messe traditionnelle. Je me suis fort réjoui de la nouvelle. Quant aux conditions, je les ai regardées par curiosité, mais je ne les ai pas prises très au sérieux. J'ai constaté que M. Madiran était tout à fait de mon avis, si j'ose dire.
-- *Où avez-vous vu le texte ?*
55:293
*-- *J'ai lu ce qui fut publié dans *La Croix,* dont on ne savait pas trop bien si c'était le commentaire des évêques ou le texte lui-même. Quant au texte latin, je l'ai lu dans ITINÉRAIRES.
-- *Avez-vous comparé le texte latin et la traduction française qu'en a donnée l'épiscopat ?*
*-- *Oui bien sûr. Et avant même de voir le texte latin, le mot « connivence » m'avait gêné.
-- *Est-ce que la circulaire vous concerne personnellement ?*
*-- *Elle ne change absolument rien à ce que je faisais, puisque depuis des années et des années il est indiqué dans le programme des messes de la paroisse que toutes les messes sont dites selon le rite de saint Pie V, certaines en latin, d'autres avec une part de français. Mon évêque m'a souvent cherché des noises à propos du catéchisme, mais je ne crois pas qu'il ait fait des remarques sur le fait que mon bulletin annonçait la messe de saint Pie V.
-- *Les conditions comportent que la messe soit dite selon le missel publié en 1962.*
*-- *C'est une restriction bizarre. J'ai regardé tous les missels de mes paroisses, ils sont tous antérieurs à 1962.
-- *Pensez-vous demander l'autorisation ?*
*-- *Non, pas du tout. Je considère que je n'ai pas à la demander. Mais je considère aussi que la messe du 15 décembre à Saint-Étienne-du-Mont à Paris est un événement historique.
56:293
Je l'ai dit à mes paroissiens : si vous y allez vous garderez un grand souvenir de cette journée-là, car elle restera dans l'histoire.
-- *Que pensez-vous de la situation de la messe depuis la circulaire ?*
*-- *Je pense que pour l'avenir elle devrait libérer un certain nombre de prêtres qui se montraient timides et croyaient que par obéissance ils devaient célébrer la nouvelle messe. Certainement, parmi les 500 prêtres qui reçoivent mon bulletin, beaucoup ont le regret de ne pouvoir célébrer la messe traditionnelle et devraient se montrer plus audacieux.
-- *Vous pensez que beaucoup de prêtres demanderont l'autorisation ?*
*-- *Je ne le pense pas. Demander l'autorisation, c'est se faire ficher, en quelque sorte. Mais ils devraient pouvoir accepter plus facilement par exemple lors des obsèques où des mariages. Ce sont les prêtres qui ont été les plus touchés par la réforme. Les fidèles seraient plus à même de demander aux prêtres de dire la messe de saint Pie V. Il est probable que certains accepteraient sans en référer à l'évêché. Cela dépend aussi de l'attitude de l'évêque, bien entendu. Dans mon bulletin je propose aussi que les évêques se donnent la permission à eux-mêmes. Mais je n'en connais pas beaucoup qui soient prêts à le faire.
-- *Pensez-vous que grâce à cette circulaire la messe traditionnelle va pouvoir refaire surface ?*
57:293
*-- *Je me rallie à l'opinion de Louis Salleron, c'est-à-dire que l'affaire est gagnée maintenant, même si l'on ne doit pas se cacher que ce sera une œuvre de longue haleine de regagner du terrain.
58:293
### IX. -- L'abbé Lecarreux
L'ABBÉ LECARREUX est le fondateur de la Fraternité de la Transfiguration, installée à Mérigny dans le Berry. Il est curé de trois paroisses et les prêtres de sa fraternité desservent en outre cinq chapelles « sauvages ».
Son exceptionnel rayonnement spirituel fait que son influence a très largement dépassé ce cadre territorial et qu'on vient le voir de partout.
-- *Comment avez-vous eu connaissance de la circulaire du 3 octobre ?*
-- C'est gentiment André Figueras qui nous a téléphoné le 15 pour nous signaler l'événement. Puis le lendemain, nous l'avons appris par la presse locale.
Quant au texte latin officiel, je l'ai lu bien sûr dans ITINÉRAIRES de décembre mais j'ai pu l'obtenir également par *l'Osservatore romano.*
*-- Avez-vous demandé l'autorisation ?*
-- Non, parce que je l'ai depuis le 14 juillet 1570 ([^7]) !
59:293
Je suis en effet un curé officiel et je célèbre dans des paroisses officielles. C'est ce qu'il y a sans doute de plus curieux et de parfaitement stupide dans les conditions qu'impose la circulaire : les deux premières sont irrecevables pour les prêtres de mon état.
Je ne peux pas célébrer en privé devant un petit groupe à part alors que, tous les dimanches, je célèbre devant mes paroissiens qui assistent à cette messe depuis leur enfance.
*Ça ne tient pas debout,* me disait récemment un maire de la région lors d'une cérémonie locale. *Nous-mêmes, nous trouvons ces conditions ridicules. Maintenant, pour avoir la messe le dimanche, il va falloir vous construire une chapelle à côté de l'église !*
*-- Vous avez trois paroisses* « *officielles *» *mais vous avez aussi cinq autres lieux de* *culte* « *sauvages *»*, non* « *reconnus *»*. Envisagez-vous une démarche de* « *régulari**sation *»*.*
-- Non, car j'ai bien peur que cela me soit refusé. Si je demandais l'indult pour ces chapelles, on me dirait peut-être oui mais à condition qu'elles ne soient pas desservies par des prêtres ordonnés à Écône. Il faut d'abord qu'on reconnaisse Écône.
-- *Quelles sont les consignes que vous donnez ?*
-- Nous avons rédigé une feuille pour expliquer à nos gens comment, dans le concret, ils doivent demander l'indult. Cela se fait. Pour demander par exemple une messe de requiem, une messe anniversaire, une messe pour une réunion d'amicale. Il y a eu déjà beaucoup de réponses positives.
60:293
Je crois que même si le texte de l'indult est bâtard, il faut l'utiliser. C'est une porte ouverte à l'espérance. Nous n'avons pas le droit de la refermer.
-- *Que pensez-vous de la situation de la messe après cette circulaire ?*
-- C'est encore récent bien sûr. Mais ce qui est certain, c'est qu'on ne pourra plus faire marche arrière. Il y a maintenant une permission écrite de Rome.
La situation de la messe ne peut donc que se simplifier et s'éclaircir. Les gens qui nous ont vus être persécutés il y a dix ans pour la messe, vont se dire : -- *Mais alors cette messe traditionnelle, elle n'est pas si mauvaise que ça puisqu'elle est permise. Nous avons été trompés.* Et il y en a déjà beaucoup plus qui assistent à nos messes.
Le premier pas est franchi. Nous pouvons assister à d'autres événements qui seront sans doute favorables à la cause de la Tradition.
61:293
### X. -- Éric de Saventhem
Comme on le sait, Éric de Saventhem est le prestigieux président de la Fédération internationale Una Voce. Sa grande autorité morale donne un poids considérable à chacune de ses interventions.
-- *Quelle est votre réaction devant la lettre circulaire du Saint-Siège ?*
-- Il y a deux lectures possibles. La première est celle qui s'appuie d'abord sur les restrictions. Dans cette optique les effets de la circulaire ne peuvent être qu'une marginalisation, la création de ghettos. C'est ce que j'appelle la lecture discriminatoire.
Et il y a une autre lecture, celle que j'appelle conciliatrice. Elle se fonde sur les quatre brins de langage qui indiquent la volonté personnelle du pape. 1. Les résultats de l'enquête Knox sont enterrés. 2. « Ipse summus pontifex » : le souverain pontife lui-même. 3. « Obsecundare » : veut venir en aide (aux fidèles de l'ancien rite). 4. La sollicitude du père commun pour tous ses fils.
62:293
Si l'on s'appuie sur ces éléments on obtient des résultats tout à fait contraires à ceux qui résultent de la première. Dans cette optique, les évêques ne prendraient les restrictions que comme des moyens d'assurer le respect de la seule condition qui était importante pour le Saint-Père quand il avait fait la promesse à Mgr Lefebvre de permettre l'ancienne messe : *sine ullo contemptu,* sans aucun mépris de la nouvelle. Et nous pensons pouvoir dire de source sûre que cette lecture conciliatrice est celle du pape.
-- *Mais qui a autorité pour dire quelle lecture est la bonne ?*
*-- *C'est assez simple. Quand une demande est présentée à l'évêque, celui-ci va répondre en faisant sa lecture à lui. Il peut même refuser totalement, puisque la circulaire lui donne la *possibilité d'accorder un indult.* Si la réponse est négative, ou vexatoire, ou si elle comporte des formules de soumission exorbitantes, on doit faire recours à Rome. Selon nos informations, Rome est disposée à porter remède aux situations dans lesquelles les intentions du législateur suprême sont violées.
-- *Les réponses des évêques sont très diverses...*
*-- *En France, oui, et c'est une bonne chose. Mais en Allemagne, par exemple, tous les évêques (sauf un) répondent qu'il faut attendre l'assemblée plénière de l'épiscopat, qui aura lieu au printemps. C'est une attitude contraire à l'esprit de la circulaire, car c'est très délibérément que le pouvoir de décision a été donné aux ordinaires, pour éviter que les commissions liturgiques s'en mêlent.
63:293
-- *Pourquoi cette différence ?*
*-- *Parce que la situation est beaucoup plus nette en France, où il y a beaucoup de groupes, depuis longtemps, qui ont gardé la messe traditionnelle. Tandis qu'en Allemagne les seuls « groupes » sont pratiquement ceux qui sont rattachés à la Fraternité Saint-Pie X (et qui semble-t-il sont exclus du bénéfice de l'indult par la première condition), et le reste -- beaucoup plus nombreux -- est amorphe.
-- *Le geste de Mgr Decourtray autorisant une messe habituelle est particulièrement étonnant...*
*-- *Non, ce n'est pas étonnant. La lecture conciliatrice de l'indult fait apparaître qu'il est destiné en premier lieu à régulariser des situations « sauvages » existante, donc pour des célébrations régulières. « Per modum consuetudinis » vient en premier lieu, « per modum actus » en second lieu. La conférence des évêques anglais a renversé l'ordre : en ligne générale, elle conseille aux ordinaires de limiter les permissions à « des occasions spéciales ».
-- *Jean Madiran traduit* per actus *de façon très différente : par décrets* (*et non pour des cas exceptionnels*)*. Qu'en pensez-vous ?*
*-- *Je ne suis ni latiniste ni canoniste, mais cette traduction me paraît très défendable. Par contre je ne suis pas d'accord avec sa traduction de *explicite indicabuntur :* « qui en feront nommément (la demande) ».
64:293
C'est trop étroit. Les prêtres et les fidèles doivent être *clairement définis.* Mais cette définition peut être générique, et non nominative.
-- *Pensez-vous que la circulaire va changer la situation de la messe ?*
*-- *Bien sûr. D'abord parce que le climat psychologique est déjà changé. Nous savons qu'environ 30.000 lettres, dont 90 % de remerciements, sont arrivées à Rome. Quand 10.000 lettres arrivent chez le cardinal Ratzinger, chez le cardinal Oddi ou chez Mgr Mayer, ceux-ci en parlent dans les réunions. Ces lettres ont créé une impression très favorable, en raison du sens ecclésial qu'elles manifestent. Les cardinaux savent que ces lettres représentent 1 ou 2 % des gens qui pensent comme cela. Et ils se souviennent des sondages qui reflétaient cette réalité mais qui étaient restés abstraits pour eux. En revanche les informations contraires minimalisantes lancées par les évêques et les instituts liturgiques se trouvent discréditées. Le changement d'optique est irréversible. C'est un pont acquis.
-- *Comment voyez-vous l'avenir ?*
*-- *Je suis assez optimiste. S'il y a d'un côté multiplication de demandes, et de l'autre côté correction par Rome de certains cas graves de non-respect des intentions pontificales, par ces deux choses on arrivera à créer une pratique différente. Et il ne faut pas oublier que la circulaire peut être modifiée, donc améliorée, dès un an après sa publication.
65:293
Le grand problème est celui de la disponibilité des prêtres. Ils ont peur de s'engager et d'être ainsi dans le collimateur de l'évêque. Il faudrait que le pape lui-même célèbre une messe tridentine à Saint-Pierre de Rome. Cela changerait la psychologie sacerdotale.
66:293
### XI. -- Arnaud de Lassus
ARNAUD DE LASSUS est animateur de l'Action familiale et scolaire (AFS, 38 avenue Niel, 75017 Paris) où il poursuit le combat qu'il menait autrefois à la Cité catholique. La publication mensuelle de l'Action familiale et scolaire comporte de remarquables études qui sont autant de défenses de la famille catholique, du catéchisme catholique, de la cité catholique, et de la messe traditionnelle. Il nous donne ici son opinion sur la circulaire romaine, mais il cite aussi un cas concret qui retient l'attention.
-- *Comment avez-vous eu connaissance de la circulaire romaine sur la messe tradition**nelle ?*
-- Nous avons appris la nouvelle par la radio. Et le lendemain j'ai été frappé par les titres des journaux. Il y avait confusion entre la messe en latin et le rite traditionnel mais l'ensemble était assez saisissant, et somme toute plutôt favorable. C'était en gros : « La messe en latin revient. »
67:293
-- *Dans quelle édition avez-vous d'abord vu le texte ?*
-- Nous avons d'abord eu l'*Osservatore romano* en langue française, qui est arrivé assez tard, vers le 25 octobre (daté du 23). Et nous avons eu le texte latin par *Itinéraires* du mois de décembre.
-- *Avez-vous comparé le texte latin avec les traductions ?*
-- Non, puisque nous n'avons eu le texte latin que par *Itinéraires,* donc bien après avoir eu les traductions. J'avais appris par le *Supplément-Voltigeur* que des éléments de la traduction étaient défectueux. Puis j'ai vu la traduction de Jean Madiran. Entre « le souverain pontife désire aller au devant de ces groupes » et « le souverain pontife désire se montrer favorable à ces groupes » il y a plus qu'une nuance, par exemple. C'est pourquoi nous avons demandé à Jean Madiran l'autorisation de publier sa traduction dans notre revue.
D'un point de vue pratique, pour les laïcs, ce qui est le plus important ce sont ces mots du début : le Saint-Père désire se montrer favorable à ceux qui sont, qui restent fidèles à la messe traditionnelle.
-- *Que pensez-vous de la circulaire ?*
-- Cela dépend. Si vous vous placez sur le plan juridique, elle n'a aucun sens. Cela n'a aucun sens de donner une autorisation avec restrictions pour quelque chose qui est déjà autorisé. C'est comme si je vous autorisais à traverser le boulevard quand le feu est vert pour les piétons. Mais sur le plan psychologique il en va tout autrement. La circulaire donne la possibilité pratique de faire célébrer la messe traditionnelle dans des endroits où elle n'était pas célébrée.
68:293
Par exemple ma troisième fille s'est mariée le 8 décembre. La messe devait être dite par le frère du mari, moine de Fongombault. Avant la circulaire nous n'aurions pas pu avoir la messe traditionnelle. Il aurait fallu refuser le frère du marié et célébrer le mariage en dehors de notre paroisse. Grâce à la circulaire le moine de Fongombault a pu célébrer la messe traditionnelle (pour la première fois de sa vie, d'ailleurs, et il en était enthousiaste).
La circulaire nous permet de passer à travers des abus de pouvoir.
-- *Quelles ont été les conditions imposées par l'évêque pour cette messe de mariage ?*
*-- *Mon gendre a demandé l'autorisation mais il n'a signé aucun papier. L'évêque de Sées ne lui a posé aucune condition. Il faut exploiter l'indult à fond pour les mariages et les enterrements. Ce sont des occasions où psychologiquement l'évêque peut difficilement refuser. Mais il ne faut pas faire de compromis. On n'a pas le droit de faire un mal pour obtenir un bien. On n'a pas le droit pour obtenir la messe traditionnelle de signer un faux par exemple sur la « rectitude doctrinale » de la messe de Paul VI. On peut signer une déclaration selon laquelle la nouvelle messe est légitime, valide, et qu'elle ne contient pas d'hérésie formelle. Mais on ne peut pas aller au-delà.
69:293
Des amis m'ont dit : si vous demandez à bénéficier de l'indult, c'est que vous acceptez les conditions. Mais non. Je demande à en bénéficier, c'est tout, et sans reconnaître la « rectitude doctrinale » de la nouvelle messe. De plus on sait par des échos sérieux que le pape n'est absolument pas d'accord avec les conditions, qui ont été ajoutées par Mgr Noè.
Il faut saisir toutes les occasions. Ou bien la demande est acceptée, ou bien elle est refusée, et dans ce cas on envoie le dossier à Rome, et dans les deux cas l'opération est bénéfique. Si on ne l'utilise pas, on risque de voir la Congrégation pour le culte divin estimer que ça n'intéresse personne.
-- *Pensez-vous que la circulaire va changer quelque chose à la situation de la messe ?*
*-- *Il y a une situation qui évolue. D'un côté on voit des gens qui avaient d'abord adopté une attitude de refus se dire maintenant qu'il est peut-être bon de se servir de la circulaire. D'un autre côté on voit des gens qui n'auraient jamais assisté à une messe « de saint Pie V » par « obéissance » aller maintenant sans problème dans les lieux de culte traditionnels -- même non reconnus par les évêques ! Pour le bon peuple chrétien, c'est une reconnaissance officielle d'un rite considéré (à tort) comme périmé et condamné.
70:293
### XII. -- Pierre Debray
PIERRE DEBRAY est un converti qui se présente lui-même comme « descendant de Bleus de Vendée et fier de ses ancêtres », élevé dans un milieu de gauche et athée. Fondateur du mouvement Chrétiens pour un monde nouveau, il publie un *Courrier hebdomadaire,* où il défend la foi catholique avec énergie. « Quand les curés font violence à ma foi, je réagis, selon l'instinct de ma race, Bleus et Blancs confondus. Je prends ma fourche, ou du moins ce qui m'en tient lieu : une plume bien acérée, et j'enfonce. » Voici ce qu'il pense de la circulaire romaine sur la messe traditionnelle.
-- *Comment avez-vous eu connaissance de la circulaire du 3 octobre ?*
-- Par la presse comme tout le monde et pour ce qui est du texte latin officiel par ITINÉRAIRES.
-- *Avez-vous sollicité des autorisations ?*
-- Oui, plusieurs démarches ont été faites par nos amis. Réponses défavorables ou négociations en cours...
71:293
-- *Que pensez-vous de la situation de la messe après cette circulaire ?*
-- Trois « instructions pour l'application exacte de la nouvelle liturgie » furent publiées par Rome. Aucune ne fut appliquée en France. Le pape interdit la distribution de la communion par les femmes. Nos évêques l'encouragent. Dans la plupart des églises de France, la messe n'est pas célébrée selon le rite de Paul VI. Elle l'est plus ou moins et parfois pas du tout. Pourquoi voudrions-nous que soit autorisé le rite de saint Pie V par des gens qui n'ont trouvé dans celui de Paul VI qu'occasion de dévergondages liturgiques ? Ils feront le gros dos pendant un an et ensuite iront raconter à Rome que personne n'ayant réclamé le bénéfice de l'indult, « l'expérience » est close.
Trop de malheurs menacent l'Église, notre Occident chrétien est trop engagé dans la voie de l'apostasie pour qu'avec Jean Guitton, nous ne souhaitions pas un « œcuménisme interne ». Le catholicisme français ne peut se passer des traditionalistes. Il convient donc d'exploiter toutes les ressources qu'offre l'indult, dans son texte latin, le seul authentique.
Cela suppose que tous ceux qui désirent participer à la messe de saint Pie V, occasionnellement ou régulièrement, qu'ils soient ou non « traditionalistes », s'organisent, par diocèse et là où ils le peuvent par paroisse, afin d'exiger de l'évêque l'application de l'indult. Il convient que quelqu'un en prenne l'initiative. Una. Voce ? Credo ? Peu importe. Nous sommes disposés à entrer dans une large union. Qu'elle ne se réalise pas et le piège se refermera.
72:293
### XIII. -- L'abbé Houghton
DESCENDANT d'une famille de la haute aristocratie britannique (qui a donné par exemple, sur le plan religieux saint John Houghton, confesseur de saint Thomas More, et sur le plan politique un vice-roi des Indes), l'abbé Bryan Houghton est une figure haute en couleurs.
Ayant quitté sa paroisse à l'heure même de l'entrée en vigueur de la nouvelle messe (le 30 novembre 1969 à 0 heure), et ayant décidé de s'arrêter en France au premier olivier qu'il rencontrerait, il est depuis lors installé au château de Viviers (Ardèche), et dit sa messe quotidienne... au maître-autel de la cathédrale. Le dimanche il célèbre la messe dans différents lieux de culte traditionnels.
Les éditions Dominique Martin Morin ont publié deux admirables romans de l'abbé Houghton : *La Paix de Mgr Forester,* qui comporte des propositions précises pour résoudre le problème de la messe, et *Le mariage de Judith,* qui raconte les problèmes d'un jeune couple catholique vivant la période du concile et de l'après-concile.
Dans ces deux livres se trouvent l'humour extraordinaire de l'abbé Houghton, son sens aigu du drame romanesque et des pages magnifiques sur la messe et la spiritualité chrétienne.
73:293
-- *Monsieur l'abbé, comment avez-vous eu connaissance de la lettre circulaire de Rome sur la messe traditionnelle ?*
*-- *J'avais eu vent, plusieurs mois avant la publication de la lettre, par des conversations avec un évêque et avec le secrétaire d'un autre évêque, de deux pays différents, qu'il se préparait quelque chose qui nous « faciliterait la vie ». Quant au texte, je l'ai reçu de Rome en novembre.
-- *Qu'en pensez-vous ?*
*-- *Il faut toujours distinguer entre ce qu'on croit être les intentions et ce qu'on voit être les faits. Or l'intention est évidemment assez bonne, mais dans les faits le résultat est une sorte de brouillon. Cela n'a pas été composé du tout, a été fait à la va-vite.
-- *Ou bien est-ce que le texte ne révèle pas plutôt des contradictions entre certaines personnes ?*
*-- *C'est les deux choses. Il révèle des contradictions qui n'ont pas été résolues. Elles auraient été résolues si Mgr Noè ne l'avait pas livré à la presse prématurément. On dirait qu'on n'a pas eu le temps de résoudre les contradictions.
-- *Pourtant il y avait longtemps que le texte était en gestation.*
*-- *Oui. Et selon M. de Saventhem il y avait à l'origine plus de 17 conditions. Il n'y en a plus que 5.
74:293
-- *Quelle est la situation créée par l'indult ?*
*-- *Il n'est plus honteux maintenant de parler de l'ancienne messe. Elle était « interdite » et maintenant elle ne l'est plus. Par conséquent on peut discuter de la question sans aucun soupçon de désobéissance à l'Église officielle. En ce qui me concerne, un évêque m'a donné l'autorisation de célébrer habituellement la messe tridentine, tandis qu'un autre évêque me l'a refusée. Tout dépend de l'évêque : c'est là un très bon effet de l'indult, et très important : l'autorité de l'évêque lui est restituée au lieu d'être perdue dans une commission anonyme.
-- *Que pensez-vous des conditions ?*
*-- *Elles sont beaucoup trop restrictives. Il est ridicule de vouloir admettre les anciennes « brebis galeuses » dans le bercail et de les empêcher de se mêler aux autres.
-- *Certains vous reprochent de ne voir aucune difficulté dans la reconnaissance exigée de la* « *rectitude doctrinale* » *de la nouvelle messe.*
*-- *Il est évident que l'intention du législateur était orthodoxe, puisqu'il a admis parmi les quatre prières eucharistiques l'ancien canon romain, en estimant que les quatre sont équivalentes. Je ne dis pas que les trois autres soient bonnes, mais que c'était l'intention du législateur, qu'il faut soigneusement distinguer de l'intention des fabricants ([^8]).
75:293
Je ne mets pas en doute la rectitude doctrinale de la nouvelle messe, je la refuse parce qu'elle ne porte pas à la prière et qu'elle ouvre la porte à tous les abus possibles et imaginables, et de fait exprime mal ce qu'elle a l'intention d'exprimer. Il faudra réviser le nouvel ordo. Et cela viendra aussi.
-- *Vous avez rédigé vos observations sur la circulaire dans un texte en anglais daté du 11 novembre, ce qui soulignait malicieusement le thème principal de votre texte, à savoir que le document romain est un armistice.*
*-- *Oui. Au bout d'un an on pourra voir si les évêques ont déposé les armes. Il est possible que l'armistice ne marche pas. Dans ce cas il faudra que le problème soit résolu par l'autorité du Saint-Siège, si le Saint-Siège a encore une autorité. Mais si l'armistice réussit, il pourrait y avoir une paix convenable.
-- *Qu'est-ce qu'une paix convenable ?*
*-- *La suppression des contradictions de l'indult et la révision du nouvel ordo. Une paix convenable, c'est ce sur quoi j'ai écrit un livre : *La Paix de Mgr Forester...*
76:293
*-- Quels conseils donnez-vous aux prêtres et aux laïcs ?*
*-- *J'ai déjà assez de mal à me donner des conseils à moi-même. Mais il faut que les prêtres tiennent bon, et que les laïcs fassent autant de demandes que possible. Il faudrait suggérer aux évêques qu'il y ait une messe publique selon l'ancien rite permise dans tous les doyennés. Cela éviterait le piège de la demande d'autorisation. Le prêtre qui fait une demande est fiché comme traditionaliste et cela peut avoir des conséquences dommageables pour lui. Ce que je reproche à l'indult est qu'il ne manifeste pas cette noblesse que l'on attend de ceux que l'on appelle nos seigneurs. Il n'est pas noble, il n'est pas généreux. Il est mesquin.
77:293
### XIV. -- Le P. Joseph de Sainte Marie
LE RÉVÉREND PÈRE Joseph de Sainte Marie, o.c.d., est professeur à la faculté pontificale de théologie des carmes déchaux à Rome. Collaborateur de *la Pensée catholique,* la revue dirigée par l'abbé Luc Lefèvre, il a publié plusieurs livres dont une véritable *somme* sur la messe intitulée *L'Eucharistie salut du monde* (éditions du Cèdre), articulée à partir des problèmes que pose la concélébration, tant favorisée depuis le concile.
Le père Joseph de Sainte Marie a également envoyé à de nombreux prêtres une longue analyse de la circulaire de la Congrégation pour le culte divin. Plutôt que de tenter de la résumer, voici un entretien avec son auteur.
-- *Comment avez-vous reçu la circulaire du Saint-Siège sur la messe traditionnelle ?*
*-- *Je m'en suis d'abord beaucoup réjoui, parce qu'elle est un premier pas. Il est de la plus grande importance de savoir qu'elle est le fait de la volonté formelle du Saint-Père, une volonté qu'il a mis plusieurs années à réaliser.
78:293
En dehors du Saint-Père, on la doit beaucoup au cardinal Ratzinger dont la pensée est la suivante (et j'y adhère pleinement) : il faut que le rite traditionnel existe, il n'y a aucune raison qu'il n'existe pas mais il y a au contraire toutes les raisons qu'il existe, c'est le rite millénaire de l'Église latine, et il faut par ailleurs que le rite de Paul VI soit révisé et ramené dans la ligne de la Tradition, dont le rite de saint Pie V est l'expression historique, concrète, et en même temps la plus parfaite.
-- *Que pensez-vous des conditions imposées ?*
*-- *Elles sont évidemment en contradiction patente et radicale avec l'intention de l'indult, car l'intention du Saint-Père est de redonner leur place entière dans l'Église aux catholiques qui restent attachés au rite traditionnel et de les sortir de leur situation de marginalisation. Or le but, l'effet de ces quatre conditions est de renforcer la situation de marginalisation à laquelle on a contraint ces catholiques. Il est donc évident que ces conditions n'ont pas été posées par le Saint-Père lui-même et il n'est que trop facile de voir par qui elles l'ont été. On sait de bonne source que le Saint-Père a été très fâché en les voyant.
-- *Quelle doit être la réaction des fidèles ?*
*-- *Il faut savoir que ces conditions, par le fait qu'elles s'opposent à l'indult, sont destinées à tomber. C'est pourquoi il faut garder son calme, éviter les divisions et ne pas s'attarder pour cela à des différences de tendances (entre groupes traditionalistes) qui sont mineures dans l'immédiat même si elles sont importantes sur le fond.
79:293
Dans l'immédiat il faut un accord de tous ceux qui réclament la messe traditionnelle, un accord qui se manifeste par de nombreuses demandes faites aux évêques et dont il faut que le Saint-Siège soit informé.
-- *Les évêques ont des réactions diverses. Plusieurs, semble-t-il, envoient un texte* « *standard* » *que le demandeur n'a plus qu'à signer. Or celui-ci signe qu'il reconnaît la rectitude doctrinale du missel de Paul VI et qu'il s'en remet par avance aux conditions qui lui seront ultérieurement imposées.*
*-- *C'est un blanc-seing totalement inacceptable. Mais dans ces cas-là, il faut quand même faire sa demande (en utilisant d'autres formules) et l'important est que l'on sache à Rome l'existence de ces demandes et des réponses, acceptations ou refus, qui leur sont faites.
-- *A qui faut-il écrire à Rome ?*
*-- *Le mieux est d'écrire à la fois à Mgr Mayer, au cardinal Oddi et au cardinal Ratzinger. Mayer parce qu'il est le responsable de l'indult ; Ratzinger parce qu'il est la colonne vertébrale de l'affaire, et Oddi parce que c'est le clergé. Si l'on ne choisit qu'un seul nom, il faut choisir le cardinal Ratzinger ([^9]).
80:293
-- *Certains évêques ont une attitude très négative. D'autres ont une attitude curieusement positive. Ainsi on voit Mgr Decourtray, archevêque de Lyon et primat des Gaules, permettre une messe habituelle dans une ancienne église paroissiale et incardiner un prêtre pour cette messe, sans autre condition, semble-t-il, que la reconnaissance de la validité de l'ordo de Paul VI.*
*-- *C'est excellent, cela. Un des points positifs de l'affaire est que les désaccords entre les évêques vont se manifester. Par là une chance leur est offerte de sortir du carcan de la « collégialité ».
-- *Selon le curé de Saint-Étienne du Mont, le cardinal Lustiger aurait dit aux prêtres de Paris que le pape avait accordé l'indult en pensant aux catholiques de Chine.*
*--* (Rire). C'est évidemment complètement faux. Il l'a accordé pour toute l'Église latine, et peut-être plus particulièrement pour les catholiques de France et d'Allemagne. Je peux vous garantir que l'indult a été fait pour l'Occident...
-- *Que pensez-vous des diverses traductions du texte latin ?*
*-- *Je n'en pense rien, pour la bonne raison que je ne les ai pas vues. Dans la lettre que j'ai fait circuler en France je donne ma propre traduction.
81:293
-- *Quelles ont été les motivations du pape ?*
*-- *Je ne sais d'où vient cette volonté du Saint-Père. C'est d'autant plus mystérieux qu'il est un dévot de Paul VI. Je crois qu'il y a là une manifestation de son désir d'éviter d'augmenter les déchirements de l'Église et de chercher à recoudre un peu la tunique déchirée. On a parlé d'une politique machiavélique consistant à chercher à provoquer un éclatement parmi les tenants de la Tradition, entre les « durs » et ceux qui acceptent. Mais cela c'est la politique de ceux qui ont mis les conditions. Or nous voyons certaines divisions parmi... les évêques. Mais de notre côté ce n'est pas le moment de ressortir de vieilles querelles. Il faut faire front, d'abord obtenir que l'indult soit maintenu et élargi, avec la suppression ou un assouplissement considérable des conditions, qui sont inacceptables en elles-mêmes, et inapplicables. Les autres questions s'éclairciront par la suite.
82:293
### XV. -- Mgr Daloz et quelques autres
DEPUIS NOVEMBRE 1980, une soixantaine de fidèles assistent à la messe traditionnelle dans une salle municipale de Besançon. L'archevêque du diocèse est Mgr Lucien Daloz : un cas de raffinement dans la malveillance qui est rarement égalé.
Le prêtre qui dessert le groupe de Besançon est indépendant de la Fraternité Saint-Pie X ; il a été ordonné à Rome et incardiné à Cayenne. (Ces précisions sont importantes pour ce qui va suivre, car elles éliminent -- théoriquement -- la difficulté occasionnée par des liens quelconques avec Mgr Lefebvre et sa fraternité, la simple prononciation de ces deux noms donnant de l'urticaire aux évêques.)
A la suite de la publication de la circulaire romaine donnant la possibilité aux évêques de concéder un indult permettant la célébration de la messe traditionnelle, deux représentants de ce groupe demandèrent une audience à Mgr Daloz, archevêque de Besançon.
83:293
C'était le 13 novembre. En l'absence de toute réponse, les deux représentants du groupe écrivent de nouveau à l'archevêque le 15 décembre.
Cette fois ils obtiennent un entretien, qui se déroule le 6 janvier. Après avoir exposé leur situation et celle du prêtre qui leur dit la messe, ils demandent que leur soit attribué un lieu de culte à Besançon.
Et voici ce qu'exige alors Mgr Daloz.
1\. Dépôt de la liste exhaustive des membres du groupe avec noms et prénoms des intéressés.
2\. Engagement clair des dits membres stipulant qu'ils reconnaissent la légitimité et la rectitude doctrinale de la nouvelle messe, engagement qui sera publié dans la *Semaine diocésaine.* (Exigence injustifiée et sans objet, font remarquer les demandeurs, puisque aucun membre du groupe n'a pris, en aucun temps, en aucun lieu, une position contraire ni sur la légitimité ni sur la rectitude doctrinale -- au for externe.)
3\. Les célébrations seront faites pour les seules personnes énumérées ; s'il y a augmentation de plus de cinq personnes, l'indult sera retiré.
4\. L'évêque fixera les lieux de culte, les jours et les heures de son seul gré.
5\. L'évêque désignera un prêtre qui ne sera pas celui qui dessert le groupe actuellement.
6\. Toute publicité pour ces célébrations sera interdite sous peine de retrait de l'indult.
7\. La célébration se fera selon le missel de 1962 en latin exclusivement, (y compris l'épître et l'Évangile), sous peine de retrait de l'indult. (Disposition contraire au missel de 1962.)
84:293
Les représentants du groupe tentent alors de montrer à l'évêque quelles sont les intentions du pape, quelle est sa volonté d'apaisement. En vain. Mgr Daloz veut s'en tenir à la lettre des conditions et les appliquer dans toute leur rigueur. Il est vrai qu'il est difficile de les interpréter de façon plus draconienne, disons plus odieuse.
Le groupe rejetait alors à l'unanimité « les conditions inacceptables » et « les restrictions et limitations offensantes qui annihilent radicalement la mesure de paix et l'esprit de conciliation et de bienveillance du souverain pontife ». Cette décision était signifiée à l'archevêque par une lettre dont copie était envoyée à Rome avec le dossier (le 10 janvier).
Quelques jours plus tard Mgr Daloz répondait qu'il ne lui avait pas semblé être « trop strict », qu'il n'avait pas à modifier des conditions fixées par une Congrégation romaine, qu'il « souffrait » de la relégation en ghetto du groupe demandeur et qu'il souhaitait « une réconciliation dans notre Église ».
Quant à Mgr Mayer, pro-préfet de la Sacrée Congrégation pour le culte divin, il répondait le 9 février. Voici l'essentiel de cette réponse :
« Dans leur demande, les fidèles doivent se borner à reconnaître la légitimité et la rectitude doctrinale du missel romain de 1970, sans se livrer à des comparaisons ou des affirmations plus ou moins tendancieuses. En outre, le prêtre proposé pour la célébration, doit évidemment être en pleine communion avec l'Église catholique.
« Il est certain que, comme vous, votre archevêque souffre de cette situation. Renouvelez donc votre requête sans vous décourager, dans un esprit serein et inspiré par votre désir sincère de retrouver une plus grande communion avec la communauté ecclésiale. »
85:293
Cette lettre fut étudiée attentivement par les membres du groupe de Besançon. Le 20 février, les deux représentants transmettaient copie de la lettre à Mgr Daloz en lui faisant observer que les deux conditions exposées par Mgr Mayer étaient remplies.
« Nous attendons donc, Monseigneur, que, couvert comme vous l'êtes maintenant par le pro-préfet de la SC pour le culte divin, agissant ès qualités, vous accordiez sans plus tarder à notre groupe un lieu de culte pour la célébration de la messe romaine traditionnelle. »
Le 27 février, Mgr Daloz a répondu qu'il est entré en relation avec Mgr Mayer « en vue de chercher une solution qui respecte les dispositions prévues par le Saint-Père et qui promeuve l'esprit de réconciliation qui les a inspirées ». C'est pourquoi il veut prendre le temps d'étudier cette solution afin que tout soit clair et sans ambiguïté. (Nous nous abstenons de tout commentaire sur ce développement très récent qui ne clôt pas l'affaire.)
\*\*\*
L'histoire des catholiques traditionnels de Besançon est caractéristique d'une certaine malveillance épiscopale (ou d'une malveillance certaine, quoique courtoisement exprimée) assez habituelle, encore qu'elle atteigne à Besançon un sommet dans le raffinement.
Quoique. Nous avons appris que dans un autre diocèse on demandait non seulement une liste nominative des demandeurs mais aussi qu'ils soient constitués en association selon la loi de 1901 !
86:293
Dans d'autres diocèses, comme à Nancy, l'évêque répond qu'il ne peut rien faire parce qu'il s'agit de demandes individuelles.
Certains évêques répondent qu'il n'est pas question d'organiser une messe traditionnelle parce qu'il n'y a pas assez de demandes (ou parce que « vous êtes la première personne à me faire part de ce désir »). L'évêque de Pontoise ajoute : et parce qu'il n'y a pas de prêtre pour la célébrer (ce qui est notoirement faux, même en s'en tenant strictement au clergé diocésain légal).
Plusieurs évêques font des réponses dubitatives. Ils étudient la question... (Saint-Denis, Orléans...) L'archevêque de Paris est semble-t-il muet depuis la messe de Saint-Étienne-du-Mont.
Plusieurs évêques rappellent aux demandeurs qu'il existe des « messes en latin » ou « avec beaucoup de chants en latin » dans telles paroisses à telles heures, comptant sur la confusion messe de Paul VI en latin / messe traditionnelle. L'évêque de Nanterre (ou plus exactement son « secrétaire particulier ») va plus loin dans une réponse, il parle de « la messe dite de saint Pie V, (...) c'est-à-dire la messe de Paul VI -- missel de 1962 »...
Certains évêques envoient un formulaire ronéotypé vraisemblablement concocté par les bureaux de l'épiscopat puisqu'il ne comporte aucune mention d'un diocèse particulier mais un numéro de cote typique des formulaires administratifs. C'est le « blanc-seing inacceptable » dont nous avons parlé avec le père Joseph de Sainte Marie.
87:293
Le demandeur accepte par avance toutes les conditions qui seront fixées par l'évêque, avant même de formuler sa demande. En voici le texte :
« Je soussigné (prêtre, laïc) reconnais la légitimité en droit et la rectitude en doctrine du missel romain publié en 1970 par le Pontife romain Paul VI, en application des décisions du concile Vatican II.
« Je m'en remettrai aux conditions qui me seront précisées par votre réponse écrite, notamment sur les lieux et les jours de célébration.
« Je sollicite la faculté de (faire) célébrer l'eucharistie selon le rite latin publié au missel romain de 1962, dans le respect intégral de la lettre du 3 octobre 1984 émanant de la Congrégation romaine pour le culte divin et en pleine communion avec notre pape Jean-Paul II. »
Mgr Vilnet, évêque de Lille, président de la conférence épiscopale a ronéotypé sa propre réponse, qu'il ne juge pas opportun de signer.
« L'évêque de Lille a bien reçu votre lettre.
« Il vous fait parvenir le texte intégral des dispositions prises et des conditions posées par le pape Jean-Paul II pour que, si ces conditions sont remplies, l'évêque du lieu puisse envisager, selon son jugement prudentiel et pastoral, d'accéder à une demande telle que la vôtre.
« Avec l'expression de notre religieux respect. »
Il nous est parvenu une autre réponse ronéotypée. Celle-là, qui émane de l'archevêché de Rouen, est un refus pur et simple, dans le mépris le plus total du texte de la circulaire... et surtout des fidèles :
88:293
« ...Il ne s'agit pas de donner à chacun le choix entre des rites différents ni de constituer des groupes de chrétiens qui se rassembleraient selon leurs goûts... Je regrette donc de ne pouvoir répondre favorablement à votre demande. »
Signature également ronéotypée : Joseph Duval, archevêque de Rouen.
\*\*\*
Ce qui est certain est que cette affaire les « travaille », et les inquiète. Témoin cette aventure arrivée à un de nos lecteurs de Tours. Celui-ci a écrit à Mgr Vilnet, président de la conférence épiscopale et évêque de *Lille,* au sujet d'une émission de France-Inter dont il était l'invité. Il ne s'agissait pas de la circulaire romaine sur la messe. Notre lecteur n'a reçu aucune réponse aux questions qu'il posait, mais à la place il a reçu le texte (en français épiscopal) de la circulaire, accompagné de la brève lettre ronéotypée non signée que nous avons évoquée... Après complément d'information, il se confirme que notre lecteur de *Tours* ne souhaite pas assister régulièrement à la messe traditionnelle à *Lille...*
89:293
### XVI. -- Trois évêques dont un cardinal qui boude
C'EST PAR LE CARDINAL boudeur que nous commençons. Nous avions l'intention de présenter dans le cadre de cette enquête un entretien avec le cardinal Lustiger, archevêque de Paris. Nous savions par Michel de Saint Pierre et par Una Voce que le contact était très difficile à obtenir. Rémi Fontaine, après plusieurs tentatives, n'a réussi qu'à joindre l'attaché de presse du cardinal. Celui-ci lui a dit « Vous l'avez traîné dans la boue à plusieurs reprises. Je ne vois pas pourquoi on aurait des comportements journalistiques que vous n'avez pas eus avec nous. »
PRÉSENT est un journal de combat. Nous n'avons certes pas toujours été tendres pour le cardinal Lustiger, mais nous ne l'avons jamais « traîné dans la boue ».
\*\*\*
90:293
Voici deux autres évêques. Ils ne font pas partie du « noyau dirigeant » de l'épiscopat. Nous avions quelques raisons de penser qu'ils n'étaient pas a priori défavorables aux catholiques attachés à la messe traditionnelle. En réalité ces deux entretiens sont bien décevants et dénotent à la limite un total désintérêt pour la liturgie, ce qui est grave pour des évêques. (Nous nous tiendrons à cette interprétation, dont nous sommes bien conscients qu'elle est la plus favorable...)
Nous avons d'abord voulu joindre Mgr Guillaume, évêque de Saint-Dié. Et nous sommes tombés sur son secrétaire...
-- Ici le père X... Le père Guillaume est absent. C'est à quel sujet ?
-- *Je fais une enquête pour le quotidien PRÉSENT sur la circulaire du Saint-Siège à propos de la messe.*
*-- *Je ne vois pas quelle enquête vous pouvez faire. Il y a un texte à appliquer. Il est clair. Il n'y a rien à ajouter.
-- *Ce n'est pas évident. Et puis j'aimerais lui demander s'il a déjà eu des demandes d'autorisation, et son avis personnel.*
*-- *Je ne vois pas du tout ce que vous voulez. Mais je transmettrai votre demande. C'est quel journal ?
-- *PRÉSENT.*
*-- *Je ne connais pas. Mais j'en parlerai au père Guillaume.
-- *Merci mon père.*
\*\*\*
91:293
Quelques jours plus tard nous avions Mgr Guillaume ([^10]).
-- *Monseigneur, comment avez-vous eu connaissance de la lettre ?*
*-- *Par la presse, puis par le secrétariat de l'épiscopat.
-- *Avez-vous vu le texte latin ?*
*--* Je ne crois pas, non.
-- *Avez-vous entendu dire qu'il y avait des différences entre le texte latin et la traduction de l'épiscopat ?*
*-- *Je ne crois pas, non. Vous en avez trouvé vous ?
-- *Oui, par exemple* obsecundare *traduit par :* aller vers.
-- Cela me paraît mineur.
-- *Avez-vous reçu des demandes ?*
*-- *J'en ai reçu une. J'ai répondu positivement, en suivant les conditions. J'envoie un projet de lettre où la personne signe qu'elle reconnaît la rectitude de la messe de Paul VI.
-- *C'était pour un cas particulier ?*
*--* Oui.
92:293
-- *Donneriez-vous l'autorisation pour une messe célébrée habituellement ?*
*-- *Si les conditions sont acceptées il n'y a pas de raison que je refuse.
-- *Est-ce que vous vous demanderiez à vous-même l'autorisation de célébrer la messe de saint Pie V ?*
*-- *Je l'ai célébrée pendant trente ans, pieusement, et je célèbre pieusement la messe de Paul VI. Je n'ai aucune raison de me servir de la lettre pour moi-même. De toute façon il faut être honnête et loyal. Il y a vraiment peu de différence entre le texte latin de la messe de Paul VI et la messe de saint Pie V.
-- *Vous célébrez la messe de Paul VI en latin ?*
*-- *Je l'ai déjà fait. Mais habituellement en français, parce que je m'adresse à des Français.
-- *Mais comment expliquez-vous que des protestants se servent de l'ordo de Paul VI ?*
*-- *J'en suis heureux pour eux, c'est qu'ils deviennent catholiques, non ?
-- *Mais ils refusent l'ordo de saint Pie V...*
*-- *Ça c'est leur affaire. Mais théologiquement, spirituellement, il n'y a aucune différence entre la messe de Pie V et la messe de Paul VI.
-- *Alors pourquoi les évêques ont-ils interdit la messe de saint Pie V ?*
93:293
*-- *Pour qu'il y ait une harmonie dans la célébration du culte. De même sans doute que saint Pie V, quand il a promulgué son rite, a demandé de ne plus utiliser les anciens ([^11]).
-- *Justement non !*
*-- *Le monde bouge. La vie de l'Église bouge...
-- *Mais saint Pie V n'a pas fait ce que vous dites. Sa messe, qui n'était que la messe latine restaurée, n'était pas obligatoire pour les prêtres qui pouvaient se prévaloir d'utiliser un rite ayant au moins deux siècles d'existence...*
*-- *Il y a combien de vraies messes de saint Pie V en France ? S'il y en a deux, c'est déjà pas mal. Il ne faut pas abuser. Saint Pie V est un grand saint. Je le vénère comme tel. Il ne faut pas en faire un brandon de guerre civile religieuse. Il faut servir le Seigneur à sa gloire. Tout le reste est secondaire. Il faut rester fidèle à la tradition de l'Église.
-- *Quel peut être selon vous l'impact de la circulaire ?*
*-- *Je pense comme le cardinal Lustiger que si ça peut apaiser les consciences et ne pas fermer les cœurs à l'Église d'aujourd'hui c'est très bien.
\*\*\*
94:293
Comme pour Mgr Guillaume, c'est au mois de décembre 1984 que nous avons interrogé Mgr Madec, évêque de Toulon.
-- *Je fais une enquête pour PRÉSENT sur la circulaire du Saint-Siège à propos de la messe traditionnelle.*
*-- *Je n'ai rien à en dire pour le moment. Je n'ai encore rien fait, rien décidé. J'attends les demandes des gens.
-- *Comment en avez-vous eu connaissance ?*
*-- *Par le Saint-Siège, pardi. Elle a été envoyée aux présidents des conférences épiscopales qui l'ont diffusée à tous les évêques.
-- *Vous l'avez eue en quelle langue ?*
*-- *Dans les deux langues : en latin et en français.
-- *Est-ce que vous avez comparé les deux textes ?*
*-- *Ma foi oui. La première traduction a été faite un peu rapidement, et ensuite on en a eu une autre un peu plus proche du texte. Mais il n'y a pas vraiment de différences.
-- *Si, il y a tout de même des différences.*
*-- *Oh, c'est insignifiant. Vous savez, pour nous ce n'est qu'un petit problème. Cette circulaire n'intéresse que très peu de gens. La preuve, c'est que je reçois très peu de demandes.
95:293
-- *Vous-même pensez-vous vous demander la permission ?*
*-- *Sûrement pas. Je me sens très bien dans la nouvelle liturgie.
-- *Vous avez incardiné un jeune prêtre* « *traditionaliste* » *dans votre diocèse. Pourquoi ?*
*-- *J'essaie de rendre service aux gens, de les réintégrer dans l'Église.
-- *Vous avez donc une position personnelle, et une position pastorale différente ?*
*-- *Non, c'est la même ! Personnellement je n'ai aucune raison de ne pas accepter la liturgie de Paul VI, mais il y a quelques personnes qui souhaitent retrouver la messe de saint Pie V. J'observe la lettre de Mgr Mayer, c'est tout.
-- *En observant les conditions de la lettre ?*
*-- *Eh bien oui. Ce n'est pas moi qui les ai imposées. Je les applique, simplement.
-- *A la lettre ?*
*--* Oui.
96:293
-- *Est-ce que des prêtres vous ont demandé l'autorisation ?*
*-- *Il y en a oui.
-- *Et qu'avez-vous répondu ?*
*-- *J'ai, répondu positivement. Mais ce ne sont pas des prêtres en paroisse. Je ne l'accorderai pas dans les paroisses. J'observerai strictement la lettre de Mgr Mayer.
97:293
### XVII. -- Romain Marie
ON NE PRÉSENTE PAS Romain Marie aux lecteurs de PRÉSENT. Précisons seulement -- mais cela va de soi -- que c'est le directeur du *Centre Henri et André Charlier,* davantage que le député du Parlement européen, que nous interrogeons ici.
-- *Romain Marie, que pensez-vous de la lettre circulaire du Saint-Siège sur la messe traditionnelle ?*
*-- *Louis Salleron a magnifiquement résumé la crise dont souffre l'Église mais plus encore les dangers que courent les catholiques dans la période troublée d'après le concile Vatican II : être protestant avec le pape ou être protestant contre lui.
Il entendait par là qu'en suivant, non seulement la messe ambiguë de Paul VI, mais encore les discours de ce pape, qui relevaient d'un humanisme non chrétien et d'une volonté de passage au socialisme, les catholiques risquaient de s'engager dans la voie du protestantisme par un pluralisme qui est la pluralité moins la vérité.
98:293
Mais il entendait aussi que les catholiques résistants couraient le danger de toute résistance, à savoir de prendre l'habitude du non-respect de l'autorité, de succomber aux charmes de l'anarchie : après toutes les résistances on a vu des éléments qui n'ont jamais pu reprendre une vie normale.
-- *Je vous pose une question précise et vous me répondez par des généralités.*
*-- *Non. Je vous réponds sur le fond du problème. Vous allez le comprendre quand j'aurai seulement ajouté ceci : que le document romain, à mon sens, est venu à point. Car si la crise durait, je pense qu'on pourrait voir hélas de plus en plus de catholiques traditionnels bien intentionnés au départ s'éloigner de Rome, certains avec tristesse, d'autres -- il faut le dire -- avec la jouissance que procurent l'émancipation et la rébellion.
-- *Mais comment voyez-vous la lettre circulaire elle-même ?*
*-- *Le document romain me semble un très grand pas. Je pense qu'il faut l'accueillir avec grande joie et grande bienveillance.
Soyons réalistes. La vie de l'Église obéit à une politique comme tous les rapports humains. En politique il y a des possibilités et des impossibilités : il est impossible de demander à l'autorité de se déjuger ([^12]). Ce ne peut jamais être à son intérêt. Ses ennemis en retireraient grand profit.
99:293
Il faut toujours être très réservé lorsqu'on a eu raison et ne pas réclamer qu'on nous rende gloire. A la limite il faut quelquefois se faire pardonner d'avoir eu raison, et les catholiques traditionnels devraient avoir cette vertu, cette intelligence politique.
J'ai lu avec tristesse sous une plume importante du traditionalisme que Rome avait reculé. On comprend que Luther eût employé de telles expressions. On comprend moins que cela vienne d'un prêtre catholique, Rome n'a pas reculé. Rome a fait un grand pas pour comprendre le drame des catholiques traditionnels et résoudre une crise grave qui a affecté tous les catholiques.
-- *La résistance traditionaliste est-elle donc terminée ?*
*-- *Il est important que la messe de saint Pie V soit réhabilitée. Mais il demeure nécessaire de continuer -- plus que jamais -- à traiter comme ils le méritent -- hélas durement -- les évêques qui non seulement avaient interdit la messe avec toute l'intransigeance et la sévérité excessive que l'on sait, mais ont aussi tout lâché sur le catéchisme et sur les Écritures. Il ne convient pas de déposer toutes les armes, de s'arrêter de résister là où la résistance est non seulement un droit mais un devoir. Mais il faut avoir le sens des distinguos.
Il faut plus que jamais continuer à faire ce que nos adversaires ont su hélas si bien faire par le passé : chaque fois que Rome fait un pas en notre faveur, mettre ce pas en évidence, et chaque fois que l'on est un peu contristé du fait que les choses ne se rétablissent pas aussi vite que l'on voudrait, savoir user de prudence et de patience...
100:293
-- *Quelle devrait être selon vous la réaction des traditionalistes à la circulaire ?*
*-- *Il me semble que les catholiques traditionnels devraient manifester clairement la volonté d'unité qui est la leur, puisqu'ils se sont insurgés contre ce qu'il pouvait y avoir de schismatique dans les réformes de Vatican II.
Il faudrait que l'ensemble des institutions traditionalistes puissent se voir dotées d'un statut, celui de congrégation romaine par exemple, c'est ce que demande Mgr Lefebvre, et cela est très sage. Il faudrait que les œuvres catholiques traditionnelles demandent en quelque sorte à Rome sa protection, considérant que la crise est finie mais qu'il en reste des séquelles redoutables. Voilà qui serait à la fois chrétien, et, ce qui n'est pas contradictoire, intelligemment diplomatique.
101:293
### XVIII. -- Les dominicains d'Avrillé
LES JEUNES DOMINICAINS du couvent de la Haye-aux-Bonshommes sont d'anciens séminaristes d'Écône. Ils se sont installés dans le couvent dont dépendait avant la Révolution ce qui est appelé depuis le Champ des Martyrs d'Avrillé, près d'Angers (2.000 fusillés, dont 84 récemment béatifiés).
C'est le père Antonin Marie qui nous a répondu.
-- *Comment avez-vous eu connaissance de la circulaire du 3 octobre ?*
-- Par M. l'abbé Lecarreux qui nous a prévenus par téléphone.
-- *En avez-vous déjà bénéficié ? Comptez-vous* « *régulariser* » *votre situation ?*
*-- *Nous n'avons fait aucune démarche car ce n'est pas au niveau local avec l'évêque du lieu -- Mgr Orchampt dont on connaît la malveillance à notre égard -- qu'on pourra arriver à faire quelque chose. Cela peut se faire par des rapports avec le Saint-Siège directement, dans la mesure où ce dernier le désire.
102:293
En fait, la situation d'une communauté comme la nôtre doit être comprise dans un ensemble plus global qui est, au fond, celui de tous les catholiques traditionalistes avec au premier rang la situation de Mgr Lefebvre et de la Fraternité Saint-Pie X.
Il ne pourra y avoir d'arrangements partiels, pour nous par exemple, que lorsque cette situation de Mgr Lefebvre et de ses prêtres aura été réglée, c'est-à-dire lorsqu'ils ne seront plus considérés comme suspens et nous avec. D'autres communautés traditionnelles dont les prêtres sont ordonnés par Mgr Lefebvre pourront alors être reconnues plus facilement.
-- *Que pensez-vous de la situation de la messe après cette circulaire ?*
-- Pour nous, cet « indult » ne change rien. Concrètement, c'est simplement utile du point de vue apologétique, pour faire comprendre aux fidèles que la messe que nous disons n'est pas maudite. Ils comprennent bien qu'il y a un désaccord entre les évêques et le Saint-Siège sur ce point-là. Cela permet à des personnes qui sont liées par une fausse conception de l'obéissance de revenir à la messe traditionnelle, soit pour certains prêtres de la célébrer, soit pour les fidèles de la découvrir ou de la redécouvrir. Notamment lors de cas ponctuels plus facilement accordés comme les messes de mariage ou d'enterrement.
103:293
On peut en définitive se réjouir de ce décret qui, malgré ses conditions inacceptables, va profiter au bien de l'Église et au salut des âmes.
104:293
### XIX. -- Jean-Marie Paupert
LES « petits toqués d'archéologisme » dont parle ici Jean-Marie Paupert, il les a bien connus. Il les a fréquentés et il a aimé leurs rêves d'archéologues. Il fut même de 1961 à 1967 l'un des tenants les plus en vogue de la réforme conciliaire par des essais fameux d'un progressisme fumeux...
Jusqu'au jour où il s'est « rétracté ». Courageusement et loyalement. A la suite d'une longue crise personnelle, il s'est rendu compte qu'il s'était trompé et qu'il avait trahi, au fond, ses racines. Il a alors écrit *Péril en la demeure* (France-Empire, 1979) pour raconter cette « conversion » au sens étymologique (c'est-à-dire ce bouleversement, ce retournement), au grand soupir de ses anciens amis.
Ce cheminement personnel rend son témoignage sur la messe particulièrement intéressant, même si nous ne partageons pas toutes ses conclusions. (Ce qui nous donne l'occasion de souligner -- même si cela va de soi -- que les propos que nous reproduisons au cours de cette enquête n'engagent que leurs auteurs, et nullement la rédaction de PRÉSENT.)
105:293
LE SEUL POINT POSITIF de cette mesure, c'est, pour autant qu'elle sera conséquemment appliquée (et je n'y crois guère), qu'elle puisse mettre fin à la souffrance injuste de tous ceux, prêtres et laïcs, qui se trouvaient légalement privés de la liturgie eucharistique de leur enfance, de leur jeunesse ou, en tout cas, de leur sensibilité spirituelle. Ce n'est pas rien mais ce n'est pas l'essentiel.
L'essentiel est, pour moi, la *perversion* qui a été faite du concile Vatican II par certaines Églises, dont, en gros, l'Église de France, qui a voulu trouver dans les orientations conciliaires, la justification de ses tendances et déviations bien antérieures.
Alors les *latitudes* ouvertes au concile ont déchaîné la catastrophe : la fin des rites sacrés, sous l'inondation du verbiage et de la médiocrité.
C'est en ce sens, non en lui-même mais par ses applications injustifiées qu'il a pu être nocif. Si nous avions eu alors un épiscopat digne de ce nom, chaque diocèse, chaque paroisse importante de France eût dû chaque dimanche instituer au moins *une* messe dite « *de Paul VI *», en latin et avec chants sacrés, le concile imposant seulement, comme d'ailleurs il va de soi, la proclamation des lectures et l'homélie en langue vernaculaire. Et alors, j'ai le regret de le dire à nombre d'extrémistes ; il n'y aurait guère eu de clients pour la messe de saint Pie V maintenue, pour les « chapelles », pour les « petites Églises », si méritoires ou touchantes fussent-elles.
\*\*\*
106:293
Mais, bien loin de là, les évêques français ont voulu voir dans le concile le triomphe de leurs petites idées et de leurs perverses pratiques antérieures. Alors pour moi, comme pour beaucoup, chaque messe est une souffrance. Ils ont ruiné la liturgie, évacué le sens du mystère, brisé la beauté ; traqué la prière silencieuse du cœur.
C'est cela pour moi l'essentiel, sur quoi j'insiste : dite de saint Pie V ou de Paul VI, de saint Basile ou de saint Jean Chrysostome, selon le rit bénédictin ([^13]) ou dominicain, lyonnais ou mozarabe, une messe doit d'abord être une messe, c'est-à-dire un acte sacré de l'âme et du corps, engageant tous les sens et toutes les facultés dans une participation sensible au Mystère. Ce n'est ni une réunion ni un prêche ni un meeting ni une jacasserie. Mais l'irruption, tendre ou fracassante, du sacré !
C'est pourquoi, je ne puis être d'accord avec ceux, croyant bien faire, qui, sans bien toujours s'en rendre compte, minimisent l'aspect sacral et esthétique de la liturgie tout en maximisant à outrance la fidélité ou l'opposition au seul rit de saint Pie V. Mais voyons, que diable, il y a toujours eu de nombreux rits eucharistiques dans l'Église catholique ! Jeune encore, j'ai eu le privilège et le bonheur de participer à des messes catholiques de divers rits orientaux, (sans compter les rits bénédictin, dominicain et lyonnais qu'il m'est arrivé de servir). Les liturgies arménienne, copte, slavonne, byzantine, etc., n'ont rien à voir avec l'admirable canon romain : elles n'en sont pas moins admirables, pas moins catholiques chez les Uniates. Mais ce sont des liturgies, des vraies. Un acte sacré. *Actus tragicus...*
\*\*\*
107:293
Tel est donc pour moi l'essentiel. Quant au reste, je suis partisan de la diversité des rits où je retrouve mieux, au total, réfractée en plusieurs miroirs, la splendeur ineffable du Mystère.
A ce titre, je me réjouis de la réapparition légitime de la messe dite de saint Pie V, et je déplore, dans les pratiques postconciliaires, la suppression de maints rits locaux, nationaux ou monastiques.
Le plus grand danger du nouveau rit tient à la *pratique,* généralement établie chez nous : évacuation quasi complète et universelle de toute langue liturgique sacrée, simplification et réduction du Mystère, éradication des traditions et des richesses immémoriales, suppression de la lente et longue méditation personnelle *liée à la liturgie,* inflation de la parole et des « parleurs de paroles », abaissement des rites, abandon des ornements et des splendeurs, médiocrité des chants, désinvolture à l'égard de la gestuelle, si importante, si parlante en liturgie (debout, assis, assis, debout... : il n'y a pour ainsi dire plus de fidèles agenouillés ni de ministres prostrés), etc., la liste serait longue de ces imprudentes, dangereuses et coupables innovations. On en a pris à son aise avec le Mystère, on a joué avec la foi et la sensibilité religieuse des fidèles.
\*\*\*
108:293
Parce qu'en France, on ignore ou l'on méprise la liturgie, son sens profond et sa valeur en quelque sorte *initiatiques.* Qui dira la nuisance des « liturgistes » patentés de l'épiscopat, CPL et autres ? Des petits toqués d'archéologisme, dévoreurs de grimoires, perdus dans un rêve des trois premiers siècles de l'Église et dans une nuée d'œcuménisme absurde. Ils ne savent pas, -- avec leur corps, avec leur cœur, avec leurs tripes -- ils ne savent pas ce que c'est que vivre la liturgie, et vivre de la liturgie. Ce n'est pas un hasard si ce sont des prêtres séculiers, des jésuites, des spiritains, des ordres mendiants : il y a là une grave responsabilité des bénédictins français dont c'était la vocation de « docteurs » en liturgie et qui n'ont pas su l'imposer.
En ce sens, mais en ce sens seulement, on peut -- sans nul esprit polémique -- parler de « *protestantisation *» de la messe en France. C'est vrai : *liturgiquement,* son allure est devenue passablement protestante, en tendance au moins.
Je le répète, le problème essentiel est celui de l'amoindrissement d'une Église et de l'abaissement d'une liturgie.
Par fidélité innée, j'y reste néanmoins fidèle, dans la tristesse et dans la souffrance de chaque dimanche.
Jean-Marie Paupert.
109:293
### XX. -- L'abbé Blanchard
L'ABBÉ BLANCHARD, curé de Quistinic, village du Morbihan, est un militant de la cause bretonne. Il parle breton, danse la gavotte (en soutane) et célèbre des messes FLB (français-latin-breton). C'est aussi un militant de la foi, et rédige l'essentiel d'un bulletin intitulé Fidélité catholique (BP 217, 56402 Auray-Cedex), où il cite souvent des extraits de magnifiques lettres inédites de son regretté maître et ami l'abbé Berto (théologien de Mgr Lefebvre au Concile, co-directeur de *la Pensée catholique* et collaborateur jusqu'à sa mort de la revue ITINÉRAIRES.) L'abbé Blanchard est très fier de sa fonction de curé de campagne, et c'est à ce titre qu'il nous répond.
-- *Comment avez-vous eu connaissance de la circulaire ?*
-- Par la radio. Les media avaient l'air de dire que la messe ancienne revenait. Et c'est bien ainsi que cela a été perçu par tout le monde. Les gens n'entrent pas dans les détails.
110:293
-- *Vous avez eu le document dans quelle édition ?*
*-- *J'ai d'abord vu la traduction trafiquée donnée aux évêques, qui est différente de celle de *l'Osservatore romano.* C'était à une réunion de traditionalistes, et le sentiment général a été : cette lettre ne s'adresse à personne.
-- *Où avez-vous vu le texte latin ?*
*--* Dans ITINÉRAIRES.
-- *Et vous avez comparé la traduction au texte ?*
*-- *Tout de suite. Et j'ai piqué une colère, une de plus. Dans l'ensemble je suis d'accord avec ce que dit Madiran. Ce *nullam partem* traduit par « aucune connivence », c'est affreux. Il y aurait beaucoup de commentaires à faire là-dessus. Moi je serais plutôt pour qu'on demande à ceux qui vont à la messe de Paul VI s'ils croient encore à la présence réelle, s'ils croient encore que la messe est un sacrifice ! C'est absurde de mettre la messe traditionnelle dans une prison et de demander aux gens un laissez-passer.
-- *Qu'allez-vous faire de cette circulaire ?*
*-- *A chaque fois que je célèbre la messe seul je célèbre celle de saint Pie V. A la grand-messe j'ai gardé l'ancien offertoire et l'esprit de la messe de saint Pie V, un esprit qui ne peut pas être sécrété par la messe de Paul VI. C'est une messe « hybride », et j'ai hâte de retourner à la messe traditionnelle.
111:293
Mais si j'étais absolument libre je ne reviendrais pas immédiatement à la messe de saint Pie V en latin. Il faut une préparation. Depuis un an ou deux je retourne au grégorien. Je vais continuer dans ce sens-là, sans rien demander à l'évêque. Je vais seulement lui écrire ce que je fais, et envoyer le double à Rome. Il ne m'a rien demandé, lui, quand il y a eu l'enquête de Rome sur la messe ! Les évêques ont fait cela en catimini, vous le savez bien !
-- *Que se passe-t-il dans le diocèse ?*
*-- *Les prêtres s'en moquent absolument. Ils ne vont découvrir l'importance de cette chose-là que petit à petit. Ils sont terriblement conditionnés. Mais c'est un combat à mort entre les deux messes qui s'engage. Il y en a une qui disparaîtra. Et ce sera la récente.
-- *Comment voyez-vous l'avenir ?*
*-- *Un séminariste qui ne voulait pas entendre parler de moi depuis cinq ans vient me voir maintenant. Il vient de découvrir que l'Action catholique est marxisée, etc. Il est tombé sur un numéro de *Fidélité catholique.* « C'est ça qu'il me faut, me dit-il, je deviens traditionaliste. » Combien de cas comme celui-là ? Je suis assez optimiste pour l'avenir.
Un point important à souligner ; c'est que la restauration de la messe se situe dans le contexte de tout ce que fait le cardinal Ratzinger. Ce qu'il dit maintenant n'est même plus conforme à certains textes du concile. La restauration de l'Église passe par la restauration de la messe. Pour moi, la restauration de l'Église est donc commencée.
112:293
### XXI. -- Un autre curé de campagne
VOICI UN AUTRE CURÉ DE CAMPAGNE, dont l'action dépasse également, et de loin, le cadre de sa paroisse. Mais, par crainte de représailles épiscopales, ou tout au moins pour éviter d'attirer l'attention de l'évêque sur lui, il préfère rester anonyme.
-- *Comment avez-vous eu connaissance de la circulaire du 3 octobre ?*
*-- *Le lundi 15 au soir par l'un de mes neveux qui avait écouté la radio. Sinon, longtemps après, j'ai eu connaissance du texte latin que j'avais demandé à *Una Voce*.
-- *Avez-vous sollicité une autorisation auprès de votre évêque ?*
*-- *Ah non ! J'ai toujours gardé l'ancien rite. Au moment voulu je l'ai écrit à mon évêque de façon qu'il sache que je connaissais le droit qui m'y autorisait selon l'indult de saint Pie V.
113:293
Je ne demanderai donc rien. Si mon évêque me demande quelque chose je lui dirai : « -- Vous supportez le fait depuis 15 ans, je vous remercie, vous pouvez encore le supporter 15 ans ! »
Je connais un prêtre d'un diocèse du Sud-Est qui avait gardé l'ancien rite et qui a eu, un jour, la visite indignée du vicaire général. -- *Mais M. le vicaire géné*ral, lui a dit simplement le prêtre, *j'ai un indult !*
*-- Ah bon ! Eh bien, vous irez le faire voir à l'évêque.* Le prêtre obéit et se rendit chez l'évêque avec la bulle *Quo primum.* Réponse textuelle de Monseigneur : -- *Du moment que vous savez ça, on ne peut plus rien vous dire...*
Voyez. Ils comptaient sur notre ignorance et notre lâcheté. Mais il y a un certain nombre de prêtres de paroisses, en France, qui ont gardé l'ancien rite en s'en tenant, de droit, à la bulle de saint Pie V.
-- *Vous pensez donc continuer à l'avenir comme auparavant ?*
*-- *Oui et comme c'est demandé je suis revenu au missel de 62 ! J'avais en effet conservé le rite dit de saint Pie V tel qu'il était en 69, c'est-à-dire avec les modifications qui avaient eu lieu de 62 à 69 et qui n'étaient guère heureuses. C'étaient des modifications fréquentes pour nous habituer finalement à changer tout le temps (économie d'inclinations, de génuflexions, de signes de croix, etc.).
114:293
Mais je garde toujours du français le dimanche (le propre notamment) car bien des gens n'ont pas de missel.
-- *Quelle est, selon vous, la situation de la messe après cette circulaire ?*
*-- *Comme l'a indiqué Louis Salleron dans PRÉSENT, il y a un retour, un premier pas et c'est très heureux.
115:293
### XXII. -- Jean Borella
NOUS VOICI AU TERME DE CETTE ENQUÊTE. Elle pourrait se poursuivre longtemps encore. Néanmoins nous estimons avoir fait un assez large tour d'horizon.
Nous terminons par un entretien avec Jean Borella, d'une part parce que ce fut de fait notre dernier entretien, d'autre part en raison des très belles réflexions qu'il nous livre sur la messe et qui concluent très heureusement cette enquête.
Professeur de philosophie à la faculté des lettres de Nancy, Jean Borella est un éminent collaborateur de la revue *La Pensée catholique.* Il a publié aux éditions du Cèdre un livre intitulé *La Charité profanée* qui fut qualifié de « somme théologique de la charité » par le théologien capucin Philibert de Saint-Didier, d' « ouvrage remarquable exposant dans toute son ampleur philosophique et surnaturelle le *mysterium caritatis *» par le théologien dominicain René Spitz.
« Ouvrage de théologie que je considère comme un des plus importants qu'il m'ait été donné de recenser au cours de ces dernières décennies », écrivait de son côté Marcel De Corte dans ITINÉRAIRES. Certains ont cru néanmoins y déceler des infiltrations « gnostiques »...
116:293
-- *Comment avez-vous eu connaissance de la circulaire de Rome ?*
-- D'abord à la télévision, aux informations de 20 heures. J'ai eu l'impression que la messe traditionnelle était de nouveau autorisée. Et que c'était là l'événement le plus important qu'il y ait eu depuis le concile... Après, évidemment, j'ai un peu déchanté.
-- *Avez-vous vu le texte latin de la circulaire et ses traductions ?*
-- J'ai vu le texte dans *Una Voce,* et dans ITINÉRAIRES avec la traduction de Jean Madiran. C'est la première traduction que j'aie lue. Je pense que l'interprétation la plus sévère à l'égard des traditionalistes est la plus juste. Elle me paraît inscrite dans le texte.
-- *Vous ne croyez pas à une intention du pape favorable aux traditionalistes ?*
-- Si. Et c'est même d'autant plus extraordinaire que le pape n'est pas spontanément pour la messe traditionnelle...Il est d'esprit conciliaire, mais plus traditionnel que Paul VI parce que Polonais. Il a voulu effectivement faire un geste d'apaisement, malgré l'opposition de son entourage qui lui montrait la messe traditionnelle comme le cheval de bataille des « intégristes » contre l'autorité du pape.
Je connais un prêtre français qui est à Rome et qui m'a dit un mois après l'élection de Jean-Paul II que la messe traditionnelle allait être « autorisée ». Lui-même avait vu des projets en ce sens.
117:293
-- *Avez-vous tenté vous-même d'obtenir l'indult ?*
-- On m'a demandé à Nancy d'écrire à l'évêque au nom de tous les chrétiens de la ville qui veulent la messe traditionnelle. J'ai d'abord dit oui, et puis j'ai changé d'avis pour deux raisons : il y a déjà à Nancy une messe traditionnelle plus ou moins tolérée par l'évêque (et il y a dans le diocèse un village où le curé continue de célébrer la messe traditionnelle avec l'autorisation de l'évêque). Et ensuite je me refuse à demander une autorisation pour quelque chose qui n'est pas interdit, *qu'on ne peut pas interdire.* De plus j'ai beaucoup de mal à considérer les évêques français comme des autorités légitimes : ils ont autorisé un catéchisme explicitement hérétique (il nie la réalité physique de l'Ascension). Un évêque qui autorise cela n'a plus d'autorité à mes yeux.
Et comment une autorité épiscopale peut-elle obliger ses sujets à demander l'autorisation de quelque chose qui ne peut pas être interdit, sans se condamner elle-même ? Cependant, si on me propose de signer une demande rédigée par d'autres, je signerai volontiers.
-- *Pourquoi la messe traditionnelle ne peut-elle pas être interdite ?*
-- A cause de la bulle *Quo Primum* de saint Pie V qui n'a jamais été abrogée dans les formes requises, et parce qu'on ne peut pas interdire une chose bonne en soi, et parce qu'il s'agit du rite immémorial de l'Église, remontant substantiellement jusqu'à saint Pierre.
La messe tridentine est garante de la réalité sacrificielle de la messe, ce qui est fondamental. Le sacrifice du Christ, réactualisé à chaque messe, c'est le sang du Christ répandu à travers toute l'Église et la vivifiant. Si l'Église est en décadence, c'est parce qu'on a aboli la messe de saint Pie V dispensatrice de vie.
118:293
Les rites sont des réalités mystérieuses et intouchables, liées à l'économie de la grâce. On croit qu'on n'abolit rien et en fait on affaiblit considérablement la communication de la grâce. C'est comme si on empêchait le Cœur du Christ de battre et de répandre son sang vivifiant dans tout le corps ecclésial. La messe de Paul VI c'est encore le Cœur du Christ mais un cœur affaibli et qui est empêché de battre.
D'autre part, toucher à un rite immémorial, c'est rendre caduques toutes les réformes liturgiques. Un rite doit donner l'impression d'être intangible, même s'il ne l'est jamais totalement. Si on touche à un rite comme on l'a fait pour la messe en le bouleversant globalement (ce qu'on n'avait jamais vu dans l'histoire de l'Église), cela veut dire qu'on peut répéter l'opération et qu'on le refera. Quand on a fait une fois la révolution on la recommence ensuite perpétuellement.
-- *Pensez-vous que la circulaire peut changer quelque chose à la situation ?*
*-- *Oui malgré tout. De ce point de vue-là je suis de l'avis de Salleron. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps. Ce n'est pas encore le grand renouveau de l'ancienne liturgie... C'est-à-dire de la vraie liturgie. De la liturgie -- tout court.
Il y a trois aspects dans cette question. Il y a l'aspect spirituel fondamental de la communication de la grâce qui se fait plus difficilement par le nouveau rite.
119:293
Il y a celui de la forme rituelle, altérée, qui a atteint la conscience du sacré chez les fidèles.
Et il y a lié au deuxième aspect, celui de l'éducation liturgique. On fait l'éducation d'un peuple par la liturgie. Si la messe ne communique plus par sa forme le sens de la distinction du profane et du sacré, du naturel et du surnaturel (le sacré c'est la séparation), alors le sens du sacré ne s'éveille plus dans l'âme.
Le sens de Dieu ne s'éduque pas seulement par des discours théologiques, mais avec du latin, du grégorien, des rites, des chasubles, des cierges, des ostensoirs, des processions : c'est indispensable. Si la messe traditionnelle ne revient pas, les jeunes ne sauront plus ce qu'est la liturgie. C'est cela qui est dramatique. Même si le rite est valide. C'est comme si la gloire de Dieu ne pouvait rayonner.
120:293
### XXIII. -- Cinq réponses négatives
**1. -- **Jean Guitton, après avoir accepté dans un premier temps de répondre à notre enquête, a déclaré ensuite à Rémi Fontaine : « *Finalement non, ce serait inopportun pour vous et pour moi. Je cherche à faire quelque chose en faveur de la messe en latin* (*sic*)*, mais d'une autre façon.* » Inopportun pour nous ? Nous nous perdons en conjectures...
**2. -- **L'abbé Luc Lefebvre, directeur de *La Pensée catholique,* nous a répondu le 13 décembre 1984 : « *Je m'interdis d'en parler. J'attends d'avoir des précisions de Rome. *»
Et un mois plus tard, en janvier 1985, lors d'une nouvelle tentative de notre part : « *Je traite directement avec Rome, non avec la presse. *»
**3. -- **Marcel Clément, directeur de *L'Homme nouveau,* interrogé par Rémi Fontaine, lui a répondu : « *Je ne veux pas répondre... Je ne veux absolument pas mettre les pattes dans les questions liturgiques. *»
121:293
**4. -- **Jean Ousset fut le fondateur de la Cité catholique puis de l'Office international des œuvres de formation civique et d'action d'abord doctrinale et ensuite culturelle selon le droit naturel et chrétien. Il a pris sa retraite voici quelques années. Il a répondu à Rémi Fontaine : « *Je ne suis pas un docteur de l'Église. Je ne veux pas refaire surface pour ce genre de questions. *»
**5. -- **L'abbé Georges de Nantes est le fondateur-directeur de la *Contre-Réforme catholique.* Il nous a fait dire par le frère Hilaire :
-- *La réponse du Père est non : il ne faut pas se cacher qu'il y a un fossé entre nous.*
*-- Dommage !* a courtoisement fait observer Rémi Fontaine.
-- *Dommage pour vous !* a répondu le frère Hilaire.
\*\*\*
Nous rapportons ces cinq réponses négatives sans y faire aucun commentaire.
122:293
### Postface
**I. -- **On voit donc par cette enquête avec quel mélange de confiance et de méfiance a été accueilli l' « indult » du 3 octobre 1984.
Mais c'est bien sa faute. Il a été tellement mal rédigé que l'on ne sait pas au juste de quel « indult » il s'agit. Au sens le plus courant, en effet, un indult est une dérogation aux lois en vigueur accordée *par le Saint-Siège :* mais précisément la circulaire romaine du 3 octobre n'accorde rien semble-t-il, ou plutôt elle accorde sans accorder, elle ne décide pas ; elle invite les évêques à éventuellement accorder eux-mêmes, selon leur bon plaisir pastoral.
123:293
Il faut donc entendre sans doute que l'indult en question sera une dérogation consentie par l'évêque. Dérogation à quoi ? A l'obligation de célébrer uniquement la messe de Paul VI. Cette obligation est fort peu observée par les évêques eux-mêmes, qui tolèrent ou encouragent, souvent avec ostentation (par exemple à la télévision, ou encore en présence du pape) des célébrations carrément éloignées du « missel romain promulgué par Paul VI en 1970 ». Sous prétexte, au nom du concile, de substituer dans la liturgie la *créativité* au *fixisme,* on célèbre la messe n'importe comment, à la seule condition que ce ne soit pas selon le rite dit de saint Pie V, qui est le seul réellement interdit en fait. Il ne semble pas encore que le Saint-Siège se soit résolu à prendre explicitement acte d'une telle situation.
Pour ces motifs et pour quelques autres, plusieurs bons esprits se sont demandé si la circulaire romaine du 3 octobre 1984 n'était pas principalement une manœuvre visant 1° à diviser les traditionalistes et 2° à faire avaliser la messe nouvelle par une partie d'entre eux. Vain souci. Parce que, dans l'hypothèse où cela aurait effectivement été l'intention vaticane, ce serait une intention tout à fait en dehors de la réalité, pour deux raisons. La première concerne la division des « traditionalistes », la seconde l'éventuelle reconnaissance de la messe de Paul VI.
124:293
**1. -- **Il n'y a pas lieu de comploter ou d'intriguer pour diviser les « traditionalistes » leur unité n'existe pas. Il n'y a pas d'unité sans autorité commune. Il y faut non pas simplement une autorité morale, mais une autorité de commandement. L'autorité n'est pas un ornement venant facultativement couronner l'édifice ; elle est l'organe indispensable de l'unité, elle a pour fonction principale de la maintenir. Parmi les « traditionalistes », Mgr Lefebvre avait (il a toujours) une autorité morale sans pareille, il n'a voulu exercer sur eux aucune autorité de commandement ; il n'a voulu gouverner rien de plus que la Fraternité sacerdotale qu'il avait fondée en 1969. Sage réserve, car les « traditionalistes », ce n'est pas, ce ne peut être ni un parti, ni une armée, ni une Église ; c'est un état d'esprit. Au demeurant, depuis qu'a commencé la crise de la messe, ils ont été à son sujet toujours profondément divisés quant aux attitudes à tenir et aux initiatives à prendre, selon la diversité des opinions particulières, des sensibilités, des argumentations, des tactiques. On le constate encore dans cette enquête, même en s'en tenant à ce seul point : faut-il demander en masse des autorisations de messe, faut-il au contraire s'en abstenir ?
125:293
Il y a des raisons sérieuses pour l'une et pour l'autre attitude, et d'abord en fonction de la différence des situations. Enfin et surtout, il ne s'agit pas principalement des « traditionalistes » et d'obtenir des satisfactions, de la compréhension, de la bienveillance, des concessions (encore que cela ne soit pas sans importance), il s'agit de la crise de la foi, de la décomposition du catéchisme, de l'éclipse de la messe ; il s'agit de la sainteté de l'Église, de la succession apostolique et de la primauté du siège romain.
**2. -- **La circulaire romaine n'exige pas que, pour obtenir l'autorisation de célébrer la messe traditionnelle, on reconnaisse la messe de Paul VI : elle exige, différemment, que l'on n'ait *nullam partem* avec ceux qui ne la reconnaissent pas. Néanmoins, en fait, les évêques ne réclament pas toujours des demandeurs qu'ils souscrivent à un tel *apartheid :* plus simplement, ils réclament tout autant, ou davantage, que l'on admette la légalité *et* l'orthodoxie du « missel romain promulgué par Paul VI en 1970 ». Il faut exactement comprendre ce qui est en cause par là
*a*) En désignant le « missel romain promulgué en 1970 par le pape Paul VI » la circulaire romaine laisse spectaculairement tomber celui que Paul VI avait promulgué en 1969.
126:293
Je ne commenterai pas ce fait, j'insiste seulement pour qu'il soit bien clairement établi. C'est en 1969 et non pas en 1970, c'est par la constitution apostolique *Missale romanum* du 3 avril 1969 que Paul VI a entendu promulguer sa nouvelle messe. Cette constitution s'intitulait en effet « *Constitutio apostolica qua missale romanum ex decreto concilii oecumenici Vaticani II instauratum promulgatur *». C'est ensuite le 20 octobre 1969 que le Saint-Siège envoyait aux évêques une circulaire sur la progressive entrée en vigueur du nouveau missel promulgué par la constitution *Missale romanum* du 3 avril précédent. Nous sommes bien toujours en 1969, nullement en 1970. Et c'est le 12 novembre 1969 qu'une ordonnance de l'épiscopat français rendait obligatoire la version française de ce nouveau missel. Tout cela fut bien promulgué, ordonné, imposé en 1969. Il n'y eut par la suite aucune autre constitution apostolique de Paul VI en cette matière. Il n'y eut aucune autre ordonnance épiscopale française sur la messe avant l'ordonnance du 14 novembre 1974. Donc : tout en 1969, rien en 1970.
127:293
Rien ou presque rien : aucun autre acte personnel et solennel de Paul VI mais, le 26 mars 1970, un simple décret de la congrégation romaine du culte, promulguant une (nouvelle) édition « typique » de la nouvelle messe de 1969. On y avait introduit (sans tambours ni trompettes) diverses modifications ; on y avait notamment corrigé le fameux article 7 de l'introduction, qui dans sa première version donnait de la messe une définition ouvertement hérétique. C'est pourtant cette version hérétique que Paul VI avait solennellement promulguée par sa constitution apostolique *Missale romanum* du 3 avril 1969. Dans l'hypothèse la plus bienveillante, il l'avait ou bien *signée sans lire,* ou bien *lue sans comprendre.*
Aujourd'hui le Saint-Siège semble vouloir subrepticement ignorer ou effacer les hontes de 1969 en ne connaissant plus que « le missel romain promulgué par Paul VI en 1970 ». Ce n'est en tout cas point celui de l'épiscopat français, qui s'était précipité sur celui de 1969.
*b*) Admettre la légitimité (juridique) de la messe de Paul VI ne soulève aucune difficulté. Elle n'est pas illicite. L'abbé Raymond Dulac, en conclusion de ses analyses de 1970, lui reconnaissait une existence légale au titre de dérogation particulière aux prescriptions non abrogées de la bulle *Quo primum* (saint Pie V, 1570). La revue ITINÉRAIRES a constamment soutenu cette position, qui est en définitive la plus largement acceptée parmi les « traditionalistes ».
128:293
*c*) Admettre la *doctrinalem rectitudinem,* la rectitude doctrinale, l'orthodoxie du missel romain promulgué en 1970 peut s'entendre de deux manières. En un premier sens, il s'agit de reconnaître que ce missel n'est pas explicitement et catégoriquement hérétique. La plupart des « traditionalistes » en conviennent. En un second sens, la *rectitude* implique qu'il n'y ait aucune déficience doctrinale : or justement le missel de Paul VI est déficient. Il pèche par défaut. Il atténue ou il omet les affirmations doctrinales de la messe traditionnelle concernant la réalité du sacrifice et la présence réelle. Dans ce sens, la « rectitude doctrinale » de la nouvelle messe a été fortement contestée par les cardinaux Ottaviani et Bacci, et leur lettre présentant à Paul VI le *Bref examen critique* a recueilli et recueille un consensus unanime parmi les « traditionalistes ». On peut donc reconnaître que la messe de Paul VI n'est pas hérétique ; on ne peut lui reconnaître une vraie rectitude.
A ce propos il y a lieu de ne pas sous-estimer le témoignage de plusieurs protestants, ceux de Taizé par exemple, qui acceptent de célébrer leur cène selon « le missel romain promulgué par Paul VI en 1970 ».
129:293
Les évêques que l'on interroge à ce sujet répondent sottement :
-- *C'est parce qu'ils deviennent catholiques, tant mieux !*
Les mêmes protestants refusent toujours la messe traditionnelle. Ils voient une raison théologique de la refuser. Ils n'en voient pas de refuser la messe de Paul VI. Il y a donc, au moins à leurs yeux, une essentielle différence doctrinale entre les deux messes. Mais ils n'ont pas voulu dire laquelle, ce qui jette l'ombre d'un grave soupçon sur la loyauté intellectuelle de leur œcuménisme ([^14]). Quant aux évêques, ils n'aperçoivent pas en quoi consiste la question ; ou ils font semblant ?
**II. -- **Ce qui à jamais restera injustifiable, c'est l'*interdiction.*
On peut discuter à l'infini dans quelle mesure on avait le droit et on avait besoin de faire une messe-digest pour se mettre à la portée de l'obscurantisme spirituel croissant du monde moderne.
130:293
On n'avait pas le droit d'interdire la messe traditionnelle. Le même abus de pouvoir a eu lieu en France pour le catéchisme. Depuis quinze ans la catéchèse officielle n'enseigne plus les trois connaissances nécessaires au salut. Cela aurait pu être simplement l'effet d'une grave incompétence, d'une énorme ignorance, d'une inconsciente apostasie immanente. Mais il s'y est ajouté la violente méchanceté spirituelle par laquelle les évêques ont *interdit* les autres catéchismes : ils ont interdit à leurs catéchistes et à leurs catéchisés le Catéchisme du concile de Trente, ils ont interdit le Catéchisme de saint Pie X, ils ont interdit tous les catéchismes catholiques. C'est dans l'*interdiction* que réside le crime ; il est probablement inexpiable.
**III. -- **La situation de la messe est dominée par un fait massif, décisif, écrasant. Depuis quinze ans, le pape et les évêques ne célèbrent plus la messe traditionnelle : trois papes successifs, et avec eux le corps épiscopal tout entier, à deux ou trois exceptions près.
131:293
Ils ne la célèbrent plus du tout. Ils ne la célèbrent plus jamais. Leur ordination sacerdotale avait été pour célébrer cette messe. Ils s'en sont débarrassés. Ils ne la regrettent pas. *Ils ne l'aimaient pas.* Ils l'ont laissé tomber d'eux comme un vieux vêtement. Ils ne subissent pas son éclipse, ils y consentent. Je crois qu'il n'y a rien de plus important dans l'Église aujourd'hui. La disparition des trois connaissances nécessaires au salut, qui est aussi importante, a du moins fini par provoquer quelques regrets explicites et même quelques réactions dans le corps épiscopal. La messe, non.
Éric de Saventhem a suggéré quelque chose d'essentiel : il n'y aura aucune amélioration décisive tant que le pape continuera à ne jamais célébrer la messe traditionnelle. J'ajoute : tant qu'il refusera de la célébrer au moins une fois, au moins une seule fois pour commencer. Le 5 mai par exemple, pour la fête de saint Pie V : ce faisant il pourrait dans un premier temps laisser supposer que c'est un acte de piété simplement sentimental et folklorique. Mais même cela n'a pas eu lieu depuis quinze ans.
132:293
Plusieurs trouvent réconfortant de croire et de dire, sur renseignement confidentiel garanti, que le pape est secrètement favorable à la messe traditionnelle. Malheureusement ce n'est pas conforme à la vérité : à la vérité qui importe, et qui n'est pas celle des intentions cachées ou des confidences orientées ; la vérité qui compte, c'est la vérité des actes, telle que chacun peut la constater s'il ne se laisse pas embrouiller par les racontars et chuchotements. Supposer le pape favorable en secret est aussi extravagant que d'imaginer en sens contraire qu'il aurait consenti l'indult du 3 octobre pour les catholiques chinois. Certes, Jean-Paul II a voulu se montrer favorable aux « traditionalistes » ; mais point à la messe traditionnelle. Il est favorable à la messe qu'il célèbre, il célèbre la messe à laquelle il est favorable. Même en privé, il célèbre uniquement la messe nouvelle et de préférence en vernaculaire. Il est le troisième souverain pontife successif à le faire. Ce n'est pas là une donnée marginale ou secondaire de la situation. C'est la donnée principale. On la dissimule par peur d'en voir tirer une conséquence immédiate soit contre le pape soit contre la messe. Je n'en tire ni l'une ni l'autre conséquence ; ou du moins, point radicale. Mais je comprends que lorsque la messe est d'un côté et le pape de l'autre, on soit logiquement conduit à se dire que l'un des deux a tort :
133:293
je ne vois pas comment on pourrait l'éviter. On peut même se croire conduit à conclure que l'un des deux est faux. Ce n'est pas mon avis. Mais, même si une conséquence aussi radicale était nécessaire, ce serait une grande erreur de croire y échapper par la pusillanimité, et de se dissimuler une donnée mystérieuse sans doute, mais essentielle de la situation.
Recevoir le mystère les yeux ouverts. Prier les yeux ouverts. Maintenir, agir, combattre les yeux ouverts.
Jean Madiran.
============== fin du numéro 293.
[^1]: -- (1). Le texte latin de la circulaire romaine du 3 octobre 1984, sa traduction par Jean Madiran et la discussion critique des traductions françaises existantes figurent dans la brochure d'ITINÉRAIRES : La *messe, état de la question, seconde section.*
[^2]: -- (1). A notre connaissance, le cardinal Lustiger n'a opposé aucun démenti à ce témoignage catégorique du prêtre qu'il avait choisi pour célébrer la messe de Saint-Étienne-du-Mont.
[^3]: **\***-- Sic.
[^4]: -- (1). Il a paru depuis également dans *Una Voce.*
[^5]: -- (2). Il s'agit de la phrase de la circulaire traduite ainsi : « Que cette célébration (de la messe traditionnelle) se fasse aux jours et aux conditions approuvés par l'évêque, *qu'il s'agisse de célébrations habituelles ou exceptionnelles* (par *l'Osservatore romano*)*, soit de façon habituelle soit pour un cas extraordinaire* (par le secrétariat français de l'épiscopat). » Jean Madiran traduit ainsi : « ...soit en laissant se développer une coutume, soit par décrets. »
[^6]: -- (3). Non seulement les évêques : Paul VI lui-même l'a explicitement prétendu dans son discours consistorial du 24 mai 1976.
[^7]: -- (1). Date de la bulle *Quo Primum* de saint Pie V concédant à perpétuité le droit de célébrer la messe codifiée par ce pape.
[^8]: -- (1). Cette question est des plus difficiles et des plus controversées. On a vu Arnaud de Lassus exprimer une opinion diamétralement opposée à celle de l'abbé Houghton. D'une part il faut choisir entre deux définitions de l'expression « rectitude doctrinale » : ou bien elle indique qu'il n'y a rien dans la nouvelle messe qui soit en contradiction formelle avec la doctrine catholique, et alors bien évidemment la reconnaissance de sa rectitude doctrinale ne pose pas de problème ; ou bien elle indique une absence de tout défaut, et dans ce cas nous ne pouvons conclure à sa rectitude doctrinale. D'autre part, en ce qui concerne l'intention du législateur, nous comprenons l'argument de l'abbé Houghton ; néanmoins il est quasiment impossible d'admettre que dans la première version de l'article 7 de l'*institutio generalis* l'intention du législateur ait été pleinement catholique. Mais l'article 7 a été corrigé. La discussion est ouverte... (Note de PRÉSENT.)
[^9]: -- (1). S. Exc. Monseigneur Augustin Mayer, pro-préfet de la Congrégation du culte divin, Palazzo delle Congregazioni, Piazza Pio XII, 10, 00193, Roma (Italie).
S. Em. Cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Piazza del Santo Uffizio, 11, 00193, Roma (Italie).
S. Em. Cardinal Oddi, préfet de la Congrégation pour le clergé, Palazzo delle Congregazioni, Piazza Pio XII, 00193, Roma (Italie).
[^10]: -- (1). L'entretien date du 19 décembre 1984. (Note de PRÉSENT.)
[^11]: -- (2). Exemple caractéristique de ce qu'est aujourd'hui l'*ignorance* épiscopale. Celui-ci *suppose -- *il dit : « sans doute » -- ce qu'a fait saint Pie V, il ne le *sait* pas ; et d'ailleurs il suppose mal. Il *ignore* donc aussi ce que *quinze ans de débats publics* ont rappelé sur ce que saint Pie V avait fait. (Note de Jean Madiran.)
[^12]: -- (1). Néanmoins il est arrivé que l'Église se déjuge. Témoin le cas particulièrement spectaculaire de Jeanne d'Arc. (Note de PRÉSENT.)
[^13]: -- (1). Il n'existe pas de « rit bénédictin ». (Note de PRÉSENT.)
[^14]: -- (1). Sur le fond de la question et sur la dérobade de Taizé voir le tome II de mes *Éditoriaux et chroniques,* pages 248 à 266.