# 296-09-85 3:296 ## Le Concile en question 5:296 *JEAN MADIRAN* ## LE CONCILE EN QUESTION *Correspondance Congar-Madiran\ sur Vatican II et sur la crise de l'Église* 7:296 A GALLA PLACIDIA en souvenir\ d'Ætius et de saint Léon le Grand\ de la résistance aux Barbares\ et à l'hérésie\ et de Ravenne 9:296 ### Avant-propos OFFERTES à la critique et aux réponses du P. Congar, nos questions essentielles sont là : nos questions et nos objec­tions concernant Vatican II, l' « évolution conciliaire » qui s'en prétend issue et la « crise de l'Église » qui s'en est trouvée extraordinai­rement amplifiée, systématisée, officialisée. Avec le P. Congar, ce n'est certainement pas au plus bas niveau intellectuel et théologi­que que nous avons affaire. Il est par excel­lence le théologien de Vatican II ; ce concile ne pouvait sans doute avoir, en langue française, de meilleur champion ; je ne suis même pas sûr qu'il en existe, dans une autre langue, qui soit de sa qualité. Nous allons soupeser ce qu'il avait à nous répondre : ce qu'il a répondu et ce à quoi il n'a pas répondu. \*\*\* 10:296 Ce débat avec le P. Congar a constitué une exception et, à ma connaissance, la seule : le débat de fond sur Vatican II nous était habi­tuellement refusé, avec une distraction feinte et un mépris affiché. Ayant pour eux l'argument d'autorité, les laudateurs et défenseurs du concile se dispensaient d'en avoir aucun autre. Mais c'était peut-être aussi, de leur part, une prudence... Les réponses du P. Congar, on va le voir, pratiquent largement diverses sortes d'esquive, mais elles le font, à l'intérieur d'un débat qu'elles n'ont pas refusé, elles le font au contact même de l'argumentation adverse ; et en accep­tant, en demandant de figurer en réplique à nos questions. Nos interpellations et les répon­ses du P. Congar demeureront ainsi face à face, soumises au jugement comparatif du lec­teur d'aujourd'hui et de demain, inséparables à jamais. Nous avons l'un et l'autre donné nos arguments. Lecteurs, pesez-les. \*\*\* 11:296 En cet été 1985 où j'envoie ces pages à l'im­primerie, la parution en librairie d'une longue interview du cardinal Ratzinger et l'approche du synode qui doit se tenir à l'automne incitent à l'ouverture d'un débat public et général sur le concile. Ce débat, jusqu'ici officiellement écarté, va devenir ainsi officiellement inévitable. Il fal­lait pour cela commencer par reconnaître enfin que Vatican II n'avait nullement été suivi du « renouveau » annoncé, mais au contraire d'une décomposition presque universelle de l'Église militante. Ce premier pas (celui qui coûte le plus ?), il semble bien qu'on soit en train de l'accomplir, vingt ans après la fin du concile. On met en cause non pas « le concile » lui-même, mais l' « évolution conciliaire » qui en est issue, c'est-à-dire l'interprétation et l'applica­tion qui ont été faites des textes conciliaires. La difficulté que l'on va inévitablement rencontrer, c'est que Vatican II a été interprété et appliqué par ceux-là mêmes qui l'ont fait, et donc conformément à l'intention du législateur, la leur. Ce point est traité dans la dernière partie de ma quatrième lettre au P. Congar ; j'y re­viendrai dans ma Postface. \*\*\* 12:296 Si je dis que la cause de l'évolution conci­liaire défendue par le P. Congar est sans argu­ments, et que l'on va le constater dans cette discussion, je ne veux point prétendre qu'il ne dise rien, entendons-nous. C'est une cause qui n'a pas d'arguments religieux. Elle a des argu­ments mondains ; elle a des arguments profa­nes. Le parti conciliaire au pouvoir dans l'Église sous Jean XXIII et sous Paul VI, et dont le P. Congar est un représentant exact et éminent, sait dans une certaine mesure parler un langage érudit, scientifique, humaniste ; il ne sait plus tenir un discours catholique. Les principes et critères catholiques lui donnent tort : il lui faut donc avoir plus ou moins subrepticement re­cours à d'autres critères, à d'autres principes, démocratiques sans doute, modernes merveilleu­sement, mais qui ne proviennent ni du Décalo­gue, ni de la Révélation chrétienne. Une telle constatation, contradictoirement établie, est à mon sens la plus décisive leçon de ce débat. J. M. 13:296 \[Cf. Correspondance avec le P. Congar, It. 221, pp. 119-191\] 145:296 ### POSTFACE *Quelques compléments documentaires* MES LETTRES au P. Congar se sont-elles exagérément attardées par moments à l'analyse critique de ses méthodes et procédés de discussion ? Les relisant en cet été 1985, j'en ai eu d'abord l'impression. Le lecteur peut s'en croire retardé, s'en trouver aga­cé. Pourtant, à y bien réfléchir, on devrait s'apercevoir que ces procédés, méthodes et ma­nigances, dont l'usage est général, touchent au fond du débat autant qu'un masque touche à un visage : ils empêchent de le voir si l'on ne prend pas la peine de les reconnaître pour ce qu'ils sont et de se mettre en mesure de les écarter en pleine connaissance de cause. 146:296 #### I. -- Précision bibliographique Le sigle « RSPT », plusieurs fois mentionné, a pu intriguer le lecteur qui ne serait pas un familier des publications spécialisées : il s'agit de la très orientée *Revue des sciences philoso­phiques et théologiques* publiée par les profes­seurs aux facultés de philosophie et de théolo­gie du Saulchoir dominicain ; elle est éditée par la Librairie Vrin. Son caractère délibérément « scientifique » ne la met nullement à l'abri d'énormités et d'ignorances comme celles du Père A.-M. Dubarle, qui firent l'objet du rafraî­chissant chapitre « Yahweh et les grammai­riens » dans l'ouvrage posthume d'Étienne Gil­son : *Constantes philosophiques de l'être. --* Aux textes déjà cités du P. Congar sur une « relec­ture et re-réception de Vatican I » (et en géné­ral de tous les conciles dogmatiques) « à la lumière de Vatican II », on peut ajouter, allant dans le même sens, plusieurs autres de ses « bulletins d'ecclésiologie » ou de ses « recen­sions d'ecclésiologie conciliaire » parus depuis lors dans la même RSPT, notamment : 147:296 -- Numéro de janvier 1978, pp. 85-88. -- Numéro d'octobre 1979, p. 621. -- Numéro d'octobre 1980, p. 591. -- Numéro de juillet 1984, pp. 449 et suiv. #### II. -- Une « évolution conciliaire » commencée quarante ans avant le concile Critiquable certes, le concile Vatican II n'est pourtant point la cause première de la désinté­gration ecclésiastique qui l'a suivi. Saint Pie X, en des textes célèbres et oubliés, disait déjà au début du siècle que le mal était installé *in sinu gremioque Ecclesiae ;* et il en disait bien d'au­tres. L'évolution *conciliaire* n'est pas tellement récente elle non plus : elle a précédé le concile. 148:296 Quand je dis « évolution conciliaire », je n'em­ploie pas une expression vague ou arbitraire : c'est le vocabulaire précis, le vocabulaire officiel de l'épiscopat, pour désigner son « option fon­damentale », dite « missionnaire », une option qui a été prise par le noyau dirigeant de l'Église de France aux environs de l'année 1926, et qui a été gardée ensuite plus ou moins clandesti­nement, ce noyau dirigeant se recrutant par cooptation. Puis, une quarantaine d'années plus tard, « *le concile a authentifié ce choix *», ont déclaré le cardinal Marty et le conseil perma­nent de l'épiscopat ([^1]). « Authentifié » et non pas inventé. Ces déclarations officielles ouvrent des perspectives, trop systématiquement négli­gées, sur des courants qui ne sont pas sortis du concile : c'est le concile qui est sorti de leur sein ; mais qui, c'est vrai, a déchaîné leur puis­sance ; et leur nuisance. #### III. -- L'Esprit Saint ? Beaucoup de personnalités officieuses et officielles dans l'Église ont affirmé d'une manière ou d'une autre que « le concile Vatican II a été et reste l'œuvre de l'Esprit Saint toujours agissant dans son Église » ou que « le concile Vatican II est ce que l'Esprit Saint a dit à l'Église ». 149:296 Si c'était vrai, si on le croyait vraiment, il fallait alors le certifier de la seule manière qui l'atteste authentiquement : par la note d'infail­libilité. Qui au contraire a été explicitement écartée. Ce qui signifie que les décrets de Vatican II peuvent tous être remis en cause et discutés, rectifiés ou abrogés. #### IV. -- Le débat religieux Tel qu'il semble s'engager en cette année 1985, le débat religieux sur le concile -- je précise *religieux,* car il y a aussi un débat *politique,* j'y viendrai tout à l'heure -- appelle une obser­vation générale. Vatican II a été interprété et appliqué par ceux qui l'ont fait : par les Pères conciliaires eux-mêmes, rentrés dans leurs dio­cèses, regroupés dans leurs conférences épisco­pales et, il faut le dire, encouragés, incités, diri­gés et protégés par le pape Paul VI. 150:296 Les inter­prétations et applications que conteste aujour­d'hui un cardinal Ratzinger ne sont pas sorties de terre par génération spontanée ; elles n'ont pas non plus été subrepticement insinuées dans le clergé, contre la volonté de la hiérarchie ecclésiastique, par des irresponsables comme ceux de *Témoignage chrétien.* D'ailleurs, faut-il le rappeler, *Témoignage chrétien* lui-même a été protégé, promu et soutenu à fond par le très puissant cardinal Villot, que Paul VI a libre­ment nommé secrétaire d'État et que les deux successeurs de Paul VI ont librement maintenu à ce poste jusqu'à sa mort. Donc, même si l'on incriminait *Témoignage chrétien* et des groupes semblables, cela n'allégerait point la responsabi­lité hiérarchique. Prenons un exemple simple, le plus simple, celui qui éclaire tout. On dit : ce n'est pas le concile qui a supprimé le latin liturgique, il y a eu interprétation vicieuse et application erro­née ([^2]). Le concile, c'est vrai, dans sa constitu­tion sur la liturgie, ordonne (art. 36) que la langue latine soit conservée dans les rites ; il autorise seulement que « la langue du pays » reçoive facultativement « une plus large place ». 151:296 Au nom de quoi -- au nom du concile ! -- le latin a été radicalement supprimé à peu près partout. Mais c'est que les Pères conciliaires et à leur tête le pape, ayant la ferme intention d'abolir le latin, croyaient en 1963 qu'une tran­sition était nécessaire et qu'il fallait commencer par seulement entrouvrir la porte au vernacu­laire. Moins de deux ans plus tard, Paul VI en personne attestait que telle était bien l'inten­tion, tel était bien le but, il déclarait alors sans ambages : « C'est un sacrifice que l'Église ac­complit en renonçant au latin » (discours du 7 mars 1965). Et quatre ans après, il y allait encore plus carrément : « Ce n'est plus le latin, mais la langue courante qui sera la langue principale de la messe » (discours du 26 novem­bre 1969). L'exemple du latin n'est pas le plus important, mais il est le plus clair, il fait com­prendre comment les choses se sont passées. Quand aujourd'hui l'on parle de replacer Vatican II dans le contexte des précédents conciles et de tout l'enseignement du magistère, on en vient enfin à ce que nous avions réclamé dès le début : mais c'est pour cela que la revue ITINÉRAIRES a été condamnée en 1966 comme coupable d'un « refus du concile ». 152:296 Je l'ai indiqué au P. Congar dans la dernière partie de ma quatrième lettre ([^3]). Je vais citer un peu amplement les textes : ils témoignent. La condamnation d'ITINÉRAIRES par l'épis­copat français, en juin 1966, déclarait : « *Le concile vient de s'achever* (*etc.*)*. Le devoir des catholiques est clair. Ils ont à rece­voir filialement et à mettre en œuvre ces ensei­gnements et ces décisions. La plupart des fidèles s'y sont conformés avec une joyeuse obéissance. Une minorité cependant, avec une audace qui s'affirme, conteste, au nom d'une fidélité au passé, les principes du renouveau entrepris.* » Or voici quelle était notre « contestation », et quels « principes » nous contestions ; voici quelle était notre position et ce qui nous a fait condamner : « *Nous recevons les décisions du concile en conformité avec les décisions des conciles anté­rieurs. Si tels ou tels textes devaient paraître, comme il peut arriver à toute parole humaine, susceptibles de plusieurs interprétations, nous pensons que l'interprétation juste est fixée pré­cisément par et dans la conformité avec les précédents conciles et avec l'ensemble de l'en­seignement du magistère.* 153:296 *Nous croyons à* *l'Église des papes et des conciles et non point à une Église qui serait celle d'un seul concile. S'il fal­lait -- comme certains osent le suggérer -- interpréter les décisions du concile dans un sens contraire aux enseignements antérieurs de l'Église, nous n'aurions alors aucun motif de recevoir ces décisions et personne n'aurait le pouvoir de nous les imposer. Par définition l'enseignement d'un concile prend place dans le contexte et dans la continuité vivante de tous les conciles. Ceux qui voudraient nous présenter l'enseigne­ment du concile hors de ce contexte et en rup­ture avec cette continuité nous présenteraient une pure invention de leur esprit, sans aucune autorité.* » Telle était notre position. Elle fut dès juin 1966 condamnée par l'épis­copat comme constituant un « refus des principes » de Vatican II. Cette condamnation indiquait que les Pères conciliaires avaient entendu le concile et qu'ils l'appliquaient dans un esprit de *rupture* avec la tradition. Nous n'avions pas refusé *le concile.* Nous avions refusé *la rupture.* Pour l'épiscopat, refuser la rupture c'était refuser le concile. Et la significative condamnation épiscopale de la position d'ITINÉRAIRES n'a été ni cassée ni réfor­mée par Paul VI. 154:296 Cela donnait à réfléchir. Nous ne contestions pas les textes conci­liaires tels qu'ils étaient. Nous n'avions pas eu le temps ni le recul nécessaires pour en soupe­ser toute la portée. Nous énoncions une posi­tion de principe : nous les recevions. Nous contestions l'intention, déjà exprimée un peu partout, d'utiliser ce concile comme un moyen de rupture avec la tradition. Cette intention, les Pères conciliaires l'avaient insinuée ou sous-en­tendue dans leurs textes. La preuve de la réalité d'une telle intention fut réadministrée de mille manières, année après année. Contre les pré­tendus « excès » ou les prétendues « bavures », il était entièrement inefficace d'invoquer l'auto­rité du décret conciliaire dans sa teneur authen­tique. Ce qui avait été l'intention du législateur demeurait l'intention non moins souveraine d'une mise en œuvre dirigée par Paul VI et les évêques : parmi ces derniers, les uns étaient enthousiastes, les autres étaient passifs et rési­gnés, mais aucun, à deux exceptions près, n'osait aller contre une constante orientation qui venait de Rome, qui venait du cardinal Vil­lot, qui venait du pape en personne. 155:296 Si bien que la distinction que l'on envisage de restaurer officiellement aujourd'hui entre « le concile » et d'autre part son « interprétation » ou son « application » s'est révélée à l'usage, pendant vingt ans, une distinction inadéquate. C'est la distinction que nous avions réclamée dès la fin du concile en décembre 1965. Non seulement elle a été condamnée en juin 1966 comme constituant un refus du concile lui-mê­me, mais encore nous avons dû constater jour après jour qu'elle ne correspondait en effet à aucune réalité. L'interprétation authentique, l'application fidèle étaient forcément celles des discours et des décisions de Paul VI et du corps épiscopal qui avaient fait le concile et qui en dirigeaient la mise en œuvre. Il devenait impossible, dès lors, de ne pas nous mettre à interpréter nous aussi Vatican II *selon l'intention de rupture* manifestée en paroles et en actes par ceux qui l'avaient fait. Et selon cette intention, Vatican II était évidemment et demeure inacceptable. Par ce concile nous avons vu adopter ce que l'Église de Pie XII, de saint Pie X et de Pie IX avait solennellement rejeté, sans qu'on allègue pour un tel changement d'autres motifs que mondains, démocratiques, diplomatiques, profanes ; 156:296 nous avons vu, l'ex­pression n'est pas de nous, des « transforma­tions acceptées après avoir été longtemps décla­rées inacceptables, consenties après avoir été impitoyablement combattues, sans autre fonde­ment en dernière instance qu'un changement de perspective et de majorité » ([^4]). Concile pastoral, ni infaillible, ni irréforma­ble, Vatican II attend son sort définitif. Seule l'Église pourra le déterminer. Elle commencera sans doute par essayer de le purger de son intention mauvaise. Elle pourra aussi le recti­fier, le réformer ou l'abolir ; ou bien l'oublier. Ce n'est pas à nous d'en décider. Notre rôle de catholiques du rang, de simples militants de l'Église enseignée, était de refuser l'inaccepta­ble : nous l'avons fait. Nous ne cesserons pas. #### V. -- Le débat politique Dans le discours d'ouverture (rédigé par le cardinal Montini) qu'il prononça le 11 octobre 1962, le malheureux Jean XXIII se vantait im­prudemment de réunir un concile qui, à la dif­férence des précédents, était libre de toute ingé­rence des autorités civiles. 157:296 Au moment où il articulait ces paroles téméraires, il avait déjà souscrit l'accord avec Moscou selon lequel le Kremlin autorisait la venue à Rome d' « obser­vateurs » de l'Église orthodoxe russe en échange de l'engagement qu'il n'y aurait plus d'attaques contre le communisme : et il n'y en eut pas ([^5]). Si bien que ce concile, qui tenait à honneur d'aborder en face tous les « grands problèmes de ce temps », a connu le déshonneur de pas­ser sous silence le plus grand d'entre eux, celui de l'esclavagisme moderne qui ne cesse, année après année, nation après nation, d'étendre toujours davantage la domination communiste sur le monde. Il est exact que les « autorités civiles » s'étaient permis des « ingérences » indiscrètes dans les conciles du passé. Mais c'étaient ingé­rences de princes chrétiens. Avec Vatican II, à l'ingérence indue des rois catholiques, aujour­d'hui disparus, a succédé l'ingérence doublement indue de puissances temporelles qui sont anti­chrétiennes et il n'y avait pas de quoi se vanter. 158:296 Le judaïsme, la maçonnerie, le communisme ont pesé, de l'extérieur et de l'intérieur, et de quel poids, sur le déroulement du concile ; et sur toute l' « évolution conciliaire ». Parlons du communisme. Pour en avoir trop souffert, souvent en si­lence, la plupart des catholiques ont voulu ou­blier quels éloges, ces dernières années, le com­munisme international faisait de la papauté. Mais si on les oublie, on s'expose à mal mesu­rer la portée du renversement qui s'opère de­puis quatre ou cinq ans. En juin 1985, lorsque *La Croix* soutient comme innocent « plaidoyer pour Vatican II » un libelle attaquant explicitement Jean-Paul II, le journal du noyau dirigeant de l'épiscopat explique qu'il s'agit de défendre « la ligne d'ou­verture adoptée par le concile ». Cette *ligne d'ouverture* fait figure de vague cliché, sans contenu bien déterminé. En réalité c'est un mot de passe et un signe de reconnaissance. L' « ou­verture » qui a été « adoptée par le concile », dans l'esprit de l'évolution conciliaire, était une « ouverture au monde » ; cette ouverture au monde était en fait une ouverture à gauche ; et cette ouverture à gauche a concerné (et favo­risé) principalement le communisme. 159:296 Assuré­ment d'autres « enjeux », comme on dit, sont en cause dans l' « ouverture » : mais nous examinons maintenant le débat politique autour de Vatican II, et dans cette perspective cet « enjeu »-là est le plus disputé, parce qu'il mobilise toute la puissance mondiale de l'appa­reil communiste. Je viens de faire allusion aux louanges que le communisme international décernait à la pa­pauté sous Jean XXIII, sous Paul VI et pen­dant les premières années du règne de Jean-Paul II. Il faut les avoir présentes à l'esprit pour mesurer le changement actuel. En voici donc quelques exemples, points de repère pris dans un très abondant assortiment. A la mort de Jean XXIII, Alexandre Adjou­bei, gendre de Krouchtchev et rédacteur en chef des *Izvestia,* organe du gouvernement soviétique, déclare dans une conférence de presse tenue au Caire que le pape défunt (qui l'avait aimablement reçu au Vatican) a été « *un homme qui voyait loin et dont les efforts pour la paix et la sécurité mondiale ont reçu le soutien chaleureux de l'URSS *»*.* Au même moment Waldeck Rochet, secrétaire général adjoint du PCF., explique dans un discours prononcé à Saint-Denis : 160:296 « *Nous, communistes, qui sommes des laïques, nous nous sommes associés à l'hommage qui a été rendu à la mémoire de Jean XXIII, en raison de son activité en faveur de la paix et pour le désarmement. *» Ces deux décla­rations, on peut les retrouver dans *Le Monde* du 12 et du 15 juin 1963. Voici le secrétaire général du PCF., Georges Marchais en personne, le 7 octobre 1978, à 13 h 25 sur l'antenne de RTL : « *Si le nouveau pape continue ce qu'a été l'œuvre de Jean XXIII et de Paul VI, on ne pourra que s'en féliciter. *» Le 15 février 1980, Maxime Gremetz faisait à l'Agence France-Presse (AFP) une déclaration reproduite notamment dans *Le Monde* du 16. A l'époque Gremetz était secrétaire du comité central du PCF. chargé des affaires religieuses. Il proclamait : « *Nous portons une appréciation positive sur Jean-Paul II *». Sans doute, obser­vait-il, « *un certain nombre d'idées doctrinales *» du souverain pontife « *paraissent un peu conser­vatrices *», notamment en matière de contracep­tion et de sexualité ; mais il le lui pardonnait volontiers, car « *cela est l'affaire des chré­tiens *» ; en revanche, « *ce qui nous intéresse, ce sont ses actes sur le plan international *». Le (premier) voyage en Pologne a montré que le pape prenait acte « *de la réalité du monde socialiste, il a dit aux masses chrétiennes : vous devez contribuer à la construction de cette socié­té *». En outre, la « *définition *» que Jean-Paul II donne des droits de l'homme « *rejoint la nôtre *»*.* 161:296 N'y aura-t-il pas un farceur pour nous dire que l'appareil communiste était en train de se convertir au catholicisme ; et que, dans ce « rapprochement » entre le Kremlin et le Vati­can, c'était le Kremlin qui « se rapprochait »... Les choses changèrent du tout au tout, mais d'abord dans le secret. Une rupture est interve­nue sans avoir été annoncée. Le 13 mai 1981, le KGB tente d'assassiner Jean-Paul II. C'est un attentat masqué, non « revendiqué », nulle­ment précédé ou accompagné d'une campagne d'opinion. Les motifs précis en demeurent inconnus. La thèse extrême soutenue un mo­ment par l'abbé Georges de Nantes, selon laquelle le KGB voulait se débarrasser, en la personne de Jean-Paul II, d'un de ses « agents », un complice clandestin qui était dé­sormais découvert et « brûlé », est une extrava­gance incroyable ; absurde. La faveur où le Kremlin tenait Jean-Paul II n'était pas un secret qui aurait été malencontreusement dévoi­lé : elle ne se dissimulait point, elle s'était abon­damment exprimée, comme précédemment à l'égard de Jean XXIII et de Paul VI, dans les déclarations officielles dont on vient de lire plus haut quelques specimens significatifs. 162:296 L'attentat du 13 mai 1981 ayant été man­qué, l'appareil communiste s'employa à mettre progressivement en place les moyens d'ouvrir contre le pape une guerre psychologique ; jus­qu'au moment où il put faire entrer en ligne sa plus grosse artillerie de propagande, celle qui lance l'accusation, obsédante et assassine, de « racisme ». L'organe central du PCF., le 11 avril 1985, soupçonnait Jean-Paul II d'avoir « béni le racisme » (*sic*) et le traitait de « Tar­tuffe ». Dès lors, toute la constellation d'agents conscients et d'auxiliaires inconscients que manipule l'appareil communiste est mobilisée et se met en branle. Un manifeste contre le pape est publié dans *Témoignage chrétien*, qui est depuis toujours l'organe de la collaboration catholique avec les communistes. Ce manifeste lancé par « des chrétiens de la région de Mont­pellier » (*sic*) est signé par Mgr Gaillot, évêque d'Évreux, déjà co-signataire de Georges Mar­chais pour un autre manifeste, contre l'école libre celui-ci. Selon *La Croix,* trois autres évê­ques soutiennent ouvertement l'offensive contre le souverain pontife. 163:296 Car, au milieu de tout un fatras composé dans la langue de bois post­conciliaire, la phrase importante du manifeste est celle qui dénonce à l'opinion publique « *l'exercice solitaire de l'autorité pontificale *». Ce qui est s'en prendre non seulement à la personne de Jean-Paul II, mais simultanément au principe même du pouvoir du pape. Quand l'appareil communiste entre en guerre, ce n'est pas au fleuret moucheté. Les appréciations sur la politique du souve­rain pontife -- « activité en faveur de la paix » ou au contraire « bénédiction du racisme » -- n'ont jamais, dans la terminologie communiste, de valeur en elles-mêmes. Elles signifient sim­plement, quand elles sont positives, que le pa­pe, le voulant ou non, peu importe, sert la stratégie mondiale du communisme ; et qu'il la dessert quand elles sont négatives. Naturelle­ment, ces appréciations portées par l'appareil communiste ne sont pas infaillibles. Il a pu se tromper avant-hier dans son approbation, il peut se tromper aujourd'hui dans sa réprobation. Toutefois ce sont des faits qui comportent une indication : il faut la recevoir avec un es­prit critique, il serait imprudent de la négliger. 164:296 D'autres puissances temporelles trouvent elles aussi leur intérêt à « la ligne d'ouverture adoptée par le concile ». Mais la puissance communiste appelle une considération spécifi­que. Il est souhaitable, il est urgent que l'Église recommence à appeler l'intrinsèquement pervers par son nom : qui n'est pas seulement l'a­théisme, qui n'est pas adéquatement la philoso­phie marxiste, qui n'est pas distinctement le totalitarisme, toutes choses abominables certes ; mais son nom, c'est le communisme « Nous rejetons le communisme en tant que système social, enseignait Pie XII, en vertu de la doc­trine chrétienne. » #### VI. -- Autant d'autorité ? Non En cet été 1985, un premier résultat intellec­tuel semble acquis, ou en passe de l'être, que l'on pourrait formuler ainsi : *Vatican II n'est pas* « *le* » *concile par excellence, qui aurait éclip­sé et remplacé tous les précédents. Il doit être interprété et appliqué en fonction de la tradition catholique. S'il se trouve qu'il s'en écarte ou qu'il la contredise, il n'a pas le pouvoir de l'annuler ou de la modifier : c'est lui au contraire qui, dans cette mesure, en serait disqualifié.* 165:296 Cette certitude-là était hors la loi, frappée d'interdiction de séjour, même à titre d'hypo­thèse. Il aura fallu vingt ans pour que cette partie, cette première partie de notre témoigna­ge et de notre argumentation commence à être officiellement entendue. Rendons en terminant cet hommage au P. Congar : s'il n'avait pas compris, s'il n'avait pas admis, du moins il n'avait pas refusé d'entendre. Il fut le seul à l'époque : c'est accablant, mais non point pour nous. \*\*\* Patience. La seconde partie de notre témoi­gnage et de notre argumentation de vingt ans aura son heure. Elle n'est pas encore tout à fait venue. Voici cette seconde partie. Nous disons que Vatican II n'est pas intouchable ; n'est pas irréformable. Nous disons que ce concile qui s'est voulu et proclamé « pastoral » par distinction explicite d'avec « dogmatique » n'a pas la même autorité que les conciles dogmatiques. Il n'a pas l'autorité et la garantie de l'infaillibilité. 166:296 Ce n'est pas l'avis du cardinal Ratzinger : « Il est impossible de se ranger « en faveur » du concile de Trente et de Vatican I et « contre » Vatican II. Quiconque nie Vatican II nie l'autorité qui soutient les deux autres conciles et l'abolit dans son principe même. » ([^6]) L'autorité principale des deux autres conciles -- et aussi de certains actes pontifi­caux -- est celle de la définition infaillible. Cette autorité-là, Vatican II l'avait à sa disposi­tion et n'a pas voulu en user : ses décrets n'ont pas la garantie de l'infaillibilité. Il n'y a pas lieu pour autant de les tenir pour rien ou de les « nier » avec témérité : mais il n'est pas interdit de faire état des objections graves que soulèvent plusieurs d'entre eux. Aucune inter­diction de principe n'empêche non plus de rechercher s'il n'existe pas une relation de cause à effet entre leur formulation et les résultats désastreux qui ont suivi. Avant toute « inter­prétation » et toute « application », c'est le « contenu » lui-même, c'est le texte lui-même des décrets conciliaires qui est ici ou là plus ou moins douteux, plus ou moins discutable. 167:296 Le cardinal Ratzinger croit au contraire pouvoir assurer tranquillement que « du point de vue du contenu, Vatican II se situe dans une étroite continuité par rapport aux deux conciles précé­dents » ([^7]). Il a voulu dire sans doute que Vatican II ne les contredisait pas explicitement. Mais il serait bien en peine d'affirmer que dans Vatican II rien ne contredit le Syllabus, dont l'infaillibilité est au moins probable. La clef de tout cela, Paul VI l'a donnée quand il a fini en 1975 par mettre les cartes sur la table en énonçant et en voulant imposer la sentence : *Vatican II a autant d'autorité et plus d'importance que Nicée.* « Plus d'impor­tance », on n'ose plus beaucoup le prétendre. « Autant d'autorité », c'est encore la position du cardinal Ratzinger en cet été 1985. Tôt ou tard, il faudra bien reconnaître que non. Jean Madiran. 168:296 ### TABLE ANALYTIQUE des lettres de Jean Madiran Première lettre (sur la tradition, la messe, le concile et le catéchisme) I. -- Le concept de tradition II\. -- L'obligation prétendue de la nouvelle messe III\. 1\) Vatican II mieux « garanti » que les autres ? 2\) Deux critères insuffisants 3\) L'argument « dogmatique » 4\) Le Syllabus contredit IV\. -- Un catéchisme sans Pater ni Credo Seconde lettre (sur les mêmes questions) I. -- L'obligation prétendue de la messe nouvelle II\. -- Le concept de tradition 170:296 III\. 1\) La Nota praevia et l'alibi du « style des­criptif » 2\) La question que Taizé a laissée sans réponse 3\) Une supercherie conciliaire 4\) Les dogmes : laissés intacts ; mais laissés au grenier 5\) Communier davantage dans le pastoral que dans le dogmatique ? 6\) Le critère d'appartenance à la commu­nion catholique 7\) Suite du précédent 8\) Encore le Syllabus Troisième lettre (sur la politique de l'évolution conciliaire) I. -- Tricherie politique : « formellement maur­rassien » II\. -- Le monde clos du mensonge officiel. III\. -- L'ennemi est à droite IV\. -- La bibliographie unilatérale V. -- L'aveuglement passionné VI\. -- Le communisme entre parenthèses et l'Église à l'école du monde moderne VII\. -- La démocratie religieuse, nouvelle loi morale universelle Quatrième lettre (Récapitulation : les cal­culs humains davantage que la révélation divine ; le pastoral plus précieux que le dogmatique ; le politique l'emporte sur le religieux ; le monde compte davantage que le ciel) 171:296 \[Table des matières\] 173:296 ### OUVRAGES DE JEAN MADIRAN *Chez Dominique Martin Morin* *-- *PIUS MAURRAS, une plaquette de 20 pages in 12 grand aigle illustrée en frontispice de la statue de Charles Maurras exécutée par Maxime Réal del Sarte (1966). -- LA VIEILLESSE DU MONDE, *essai sur le com­munisme.* 144 pages (seconde édition, 1975). *-- *LA RÉPUBLIQUE DU PANTHÉON. *Explication de la politique, française.* 178 pages (1982). *-- *ÉDITORIAUX ET CHRONIQUES Tome I : *De la fondation d'* « *Itinéraires* » *à sa condamnation par l'épiscopat, 1956-1966.* 320 pages (1983). Tome II : *Le catéchisme, l'Écriture et la* messe. 1967-1973. 332 pages (1984). 174:296 Tome III : *La France à la dérive et la décomposition de l'Église. 1974-1981.* 320 pages (1985). *Aux Nouvelles Éditions Latines* -- ILS NE SAVENT PAS CE QU'ILS FONT. La non-résistance au communisme dans la presse catholique. 192 pages (1955). -- ILS NE SAVENT PAS CE QU'ILS DISENT. Ré­ponse aux polémiques qui ont accueilli l'ou­vrage précédent. 192 pages (1955). -- ON NE SE MOQUE PAS DE DIEU. 208 pages (1957). -- BRASILLACH. 260 pages (1958). -- DE LA JUSTICE SOCIALE. 96 pages (1961). -- LE PRINCIPE DE TOTALITÉ. 96 pages (1963). -- LES PRINCIPES DE LA RÉALITE NATURELLE de saint Thomas d'Aquin : introduction, tra­duction française (texte latin en regard) et notes. Premier volume de la « Collection Doc­teur commun ». Avertissement général de la Collection. 128 pages (1963). -- L'INTÉGRISME. HISTOIRE D'UNE HISTOIRE. 288 pages (1964). 175:296 -- LA VIEILLESSE DU MONDE, *essai sur le com­munisme.* 240 pages (première édition, 1966). *-- *L'HÉRÉSIE DU XX^e^ SIÈCLE tome I : \[*celle des évêques*\] 312 pages (1968). *-- *L'HÉRÉSIE DU XX^e^ SIÈCLE, tome II : *Réclama­tion au Saint-Père.* 304 pages (1974). -- LA DROITE ET LA GAUCHE. Nouvelle version des chapitres I à III de *On ne se moque pas de Dieu.* 128 pages (1977). *-- *LES DEUX DÉMOCRATIES. Nouvelle version des chapitres IV et V de *On ne se moque pas de Dieu.* 208 pages (1977). \[page 3 de couverture\] JEAN MADIRAN \[Voir 296-177.jpg\] « *L'unique biographie intellectuelle qui ait jamais été publiée* » à laquelle il est fait allusion au début de la « Troisième lettre au P. Congar », est celle qui a paru dans *L'Homme nouveau* en 1967, il y a dix-huit ans : elle aurait besoin d'une mise à jour ; mais encore aujourd'hui elle est la seule. On y lisait notamment : « ...Études à Bordeaux. Licencié ès lettres (philosophie et lettres clas­siques) ; diplômé d'études supérieures (idem). Bûcheron puis professeur. Se reconnaît plus ou moins disciple de Boèce, saint Thomas, Bossuet, Péguy, Chesterton, Maurras, Charlier. A transposé dans le style écrit la technique du « dérapage contrôlé ». Fonde la revue ITINÉRAIRES ; en prend la direction parce que, dit-il, il n'a « trouvé personne d'autre pour ce poste ». Dirige aussi deux collections de librairie aux Nouvelles Éditions Latines. Décourage ses lecteurs en refusant systématiquement d'être un « chef d'école ». Commentateur des encycliques *Divini Redemptoris* et *Mater et Magistra... *» ============== fin du numéro 296. [^1]:  -- (1). Déclarations citées et commentées dans notre ouvrage : *L'Hérésie du XX^e^* siècle, tome II : *Réclamation au Saint-Père* (Nouvelles Éditions latines 1974), chapi­tre « L'option fondamentale et l'évolution conciliaire ». [^2]:  -- (2). Sur la distinction (inadéquate) entre « le concile » et son « application », cf. entre autres nos *Éditoriaux et chroniques,* tome III, pp. 112 et suiv. \[It. nov. 76\] [^3]:  -- (3). Voir aussi *L'Hérésie du XX^e^ siècle,* tome II : Réclamation au Saint-Père. pp. 39 et suiv. [^4]:  -- (4). Émile Poulat : *Une Église ébranlée*. Casterman 1980, p. 258. [^5]:  -- (5). Sur cet accord Rome-Moscou, voir ITINÉRAIRES, numéro 280 de février et 285 de juillet-août 1984. [^6]:  -- (6). Joseph, cardinal Ratzinger : *Entretien sur la foi* (Fayard, juin 1985), p. 29. [^7]:  -- (7). *Ibid.*