# 299-01-86 1:299 SI l'on reste passif, il ne sert de rien de se plaindre du suivisme, du confor­misme, du confusionnisme qui, à l'ap­proche des élections de mars, hypothèquent le combat politique. *Il faut un effort général de clarification doctrinale.* *Chacun de vous y peut quelque chose : il peut ce que personne ne fera à sa place.* *Il est entre vos mains de développer une intense circulation de la revue ITINÉ­RAIRES. Mais il n'en circule évidemment pas plus de numéros qu'on n'en imprime. Et nous en imprimons à peine davantage que nous avons d'abonnés, car nous n'avons aucun financement qui nous permette d'en imprimer en masse gratuitement. Il faut donc augmenter le nombre des abonne­ments.* 2:299 *Si vous n'avez pas profité de l'abon­nement de propagande de quatre mois : tant pis il est trop tard maintenant. Mais vous pouvez encore, pour votre entourage familial ou professionnel, souscrire des abonnements d'un an au tarif minimum actuel :* bulletin en dernière page du pré­sent numéro. *Là encore hâtez-vous, ne lais­sez pas passer l'occasion. Les tarifs vont sérieusement augmenter avec l'entrée de la revue dans sa 31^e^ année. Vous êtes avertis. La campagne d'abonnements des* « *trente ans d'ITINÉRAIRES *»* : abonnements de pro­pagande pour la 31^e^ année, -- est ouverte jusqu'au 10 février.* 3:299 ## La politique  ### Doctrine et action *Avant-propos* Aux débats politiques provoqués par la campagne électorale, la revue ITINÉRAIRES participe avec les moyens qui sont les siens, et qui sont sans doute ceux qui manquent le plus : ceux de l'analyse des faits, de la réflexion, de l'élucidation doctrinale. L'actuelle campagne politique est avant tout une cam­pagne de libération pour rejeter le carcan socialiste. Nous y apportons notre contribution. C'est-à-dire que notre premier objectif est de contribuer le plus possible à la défaite du socialisme, d'abord parce qu'elle n'est pas aussi assurée qu'on le dit, ensuite parce qu'il la faut plus complète encore qu'on ne l'annonce. Pour -- cela tout compte, l'effort de chacun est indispensable. Ce faisant, nous travaillons à ce que cette nécessaire défaite du socialisme profite le moins possible aux idées et aux hommes du libéralisme. 4:299 Il a fallu une grande inculture doctrinale pour croire que la défense des libertés pourrait être assurée par un retour au libéralisme, à ses hommes et à ses idées. *Le libéralisme est ce qui avait anémié les libertés natu­relles avant que le socialisme ne vienne les asphyxier.* L'histoire de la France, la doctrine de l'Église montrent comment et pourquoi *le libéralisme conduit au socialisme :* comment et pourquoi l'asphyxie socialiste est la fille de l'anémie libérale. Ces vérités étaient bien connues des pen­seurs et des écrivains français, elles ont été enseignées et illustrées par les Veuillot et les Le Play, les Péguy et les Claudel, les Maurras et les Charlier. Elles ont été exposées et démontrées dans plus d'une vingtaine d'encycliques ponti­ficales depuis un siècle. Voici qu'elles se sont absentées de notre univers mental, par un foudroyant progrès de l'obscu­rantisme intellectuel propre à notre époque spirituellement débile, à notre scolarité absurde, à notre ignorance crois­sante de l'essentiel. Réagissons. Il faut étudier. Il faut travail­ler. Il faut s'instruire. Il faut rendre aux jeunes Français le goût et les moyens de l'intelligence. \*\*\* Le combat politique a besoin d'une doctrine morale. Il n'exclut pas la vie intérieure, au contraire il réclame une intensité plus grande d'alimentation intellectuelle, de respira­tion spirituelle. Sans cette respiration, les militants devien­nent des mercenaires et des gyrovagues. Et ce déficit en qua­lité humaine est un facteur de défaite. Mais s'il faut une doctrine morale, s'il faut une philoso­phie politique, il faut qu'elle soit vraie. Il faut qu'elle ne soit pas dans les nuages. La revue ITINÉRAIRES en fait la preuve par ses *quatorze réclamations concrètes* rappelées ci-après. Elles ne prétendent pas constituer un « programme complet de gouvernement », elles sont notre contribution au débat et au combat politiques. 5:299 De ces quatorze réclamations, nous donnons dans ce numéro d'ITINÉRAIRES et dans les suivants, l'explication doctrinale et pratique de celles qui peuvent être satisfaites sans aucune dépense supplémentaire pour le budget de l'État, et dont l'adoption aurait néanmoins des conséquences considérables dans la vie politique et sociale de notre pays. \*\*\* Dans le présent numéro : **1. -- **La vérité du bulletin de paye, qui est le préalable indispensable et efficace à la nécessaire réforme de la Sécurité sociale. Les meilleurs arguments théoriques du mon­de restent et resteront sans effet sur une opinion persuadée, par des apparences trompeuses, que sa « couverture sociale » est un « avantage acquis » ne lui coûtant presque rien ; et que le seul problème vient de la méchanceté patro­nale qui veut cyniquement « remettre en cause » cet avan­tage. Il faut que chacun puisse voir de ses yeux et toucher du doigt ce que lui coûte sa couverture sociale : c'est ce qu'on lui cache, par l'artifice d'un bulletin de paye légale­ment truqué. Le lui dire en théorie le laisse plus ou moins sceptique. Nous proposons une loi sur la vérité du bulletin de paye. **2. -- **Il arrive souvent que les libéraux parlent bien quand ils prononcent des réquisitoires contre les méfaits constata­bles du socialisme. Pourtant ils demeurent impuissants à le combattre dans ses causes et ses racines. Le choix du moin­dre mal peut éventuellement conduire à voter pour un libé­ral plutôt que pour un socialiste quand il n'existe absolu­ment aucune autre alternative. Il faut cependant garder en mémoire que l'avantage relatif du libéralisme sur le socia­lisme est fragile et fugace. La revue ITINÉRAIRES l'a souvent rappelé en ces termes : 6:299 *La* « *démocratie libérale *» *est moins mauvaise, moins injuste, moins despotique, moins insupportable que la* « *démo­cratie socialiste *». MAIS ELLE Y CONDUIT. C'est pourquoi le second point politique du présent nu­méro propose une élucidation doctrinale du libéralisme. J. M. 7:299 ### Rappel des quatorze revendications \[voir It. 270, p. 53.\] 11:299 ### La vérité du bulletin de paye *En quoi elle consiste.\ Comment faire* par Yves Daoudal EN SEPTEMBRE dernier, le CNPF a publié dans sa *Revue des entreprises* une étude sur « la partie cachée de la feuille de paye ». Selon les calcul du principal syndicat patronal français, lorsqu'une entreprise verse 100 F de salaire à un employé, elle dépense 147 F, compte tenu des cotisations sociales dites patronales. Et si l'on tient compte de la durée du travail payé mais non effectué (jours fériés, congés, absentéisme), la charge réelle pour l'entreprise atteint 185 F. « *Les employeurs comme les salariés sont victimes du coût exorbitant du* SALAIRE INDIRECT*, qui représente 85* % *du salaire brut.* » En 1984 les chiffres étaient respectivement de 145 F. et 181 F. Les charges de SALAIRE INDIRECT ne cessent donc de s'alourdir. 12:299 Or « *toute nou­velle progression des charges sociales pèse sur les coûts de production, aggrave les difficultés financières des entre­prises, pénalise donc l'investissement nécessaire à la mo­dernisation, dissuade l'entreprise d'embaucher et joue donc contre l'emploi *»*.* Le CNPF ajoute que « l'écart entre salaire direct et indirect, parce qu'il distend le lien entre l'activité et le revenu, est un facteur supplémentaire de démotivation des salariés ». Concrètement, si l'on prend comme exemple type un salarié gagnant 6.000 F brut par mois dans la région parisienne, on voit que l'entreprise dépense en tout 8.804,65 F par mois, que le salarié reçoit effecti­vement 5.147,65 F après déduction de ses cotisations sociales, et que les institutions sociales reçoivent 3.567 F par mois. Ces chiffres ne sont pas des absolus. D'autres cal­culs donnent des résultats différents. Ainsi le docteur Bernard-Claude Savy, dans son livre *La liberté demain* (Albatros) prend lui aussi l'exemple d'un salarié parisien gagnant 6.000 F de salaire brut mensuel. Mais il aboutit à un salaire net de 5.096,40 F et à des cotisations sociales (salarié + employeur) de 3.945 F. Le salaire brut réel de ce salarié est donc de 9.041,40 F. Les conclusions du CNPF et celles du docteur Savy sont néanmoins très proches. C'est *l'ordre de grandeur* qui compte. Si l'on réduit en pourcentages les chiffres du CNPF, on s'aperçoit que l'ensemble des cotisations que verse le salarié ou que l'entreprise verse pour lui représente plus de 71 % de son salaire net. Ou encore que les institutions sociales lui soutirent plus de 41,5 % de son salaire brut réel. 13:299 Le docteur Savy donne un autre pourcentage : l'ensemble des retenues sociales représentent 65,75 % du salaire de base servant au cal­cul des retenues (6.000 F). \*\*\* Un organisme spécialisé, dans un document confi­dentiel dont nous avons eu connaissance, aboutit à un pourcentage de 69,18 % de salaire de base, en prenant en compte de façon exhaustive toutes les charges sociales communes aux entreprises de la région parisienne. De cette façon ce n'est plus 185 F (chiffre du CNPF) que débourse l'entreprise lorsqu'elle verse 100 F de salaire, mais 197,10 F. L'organisme qui donne ces chiffres (dans un document de travail non publié, par conséquent sans aucun souci d'exagération spectaculaire) précise que le coût de 197,10 F est un coût minimum. Et il cite comme coût supplémentaire selon les entreprises : la dotation au comité d'entreprise, la participation aux fruits de l'entreprise, la mutuelle 50 / 50 entre entreprise et salarié, l'indemnité complémentaire de maladie (après un an d'ancienneté), les congés de naissance et post parental, le chômage partiel, le repos compensateur (lorsque la durée du travail excède 40 heures par semai­ne), les avantages en nature, les ponts chômés non récupérés, la prime d'ancienneté, les heures de déléga­tion de toutes sortes, la prime de vacances, la prime de rentrée des classes, l'augmentation considérable des frais de formation... Sans parler de *la charge sur la charge* qui existe dans les entreprises de plus de 200 personnes : les charges induites dues à la gestion propre du personnel (coût des services de personnel, de forma­tion d'aide sociale, coût du recrutement, etc.). 14:299 Il en résulte que *100 F de salaire coûtent à beaucoup d'entre­prises* plus de 200 F, c'est-à-dire que le salaire indirect total est souvent supérieur de plus de 100 % au salaire direct. \*\*\* Le coût du salaire indirect est donc bel et bien « exorbitant », comme dit le CNPF. Mais le syndicat patronal en reste là, comme si sa fonction était de gémir sous les coups du destin. Il n'imagine pas que les choses pourraient changer si les salariés recevaient un bulletin de paye véridique. Laissons de côté les diverses charges patronales ci­tées en dernier lieu, qu'il serait pour beaucoup d'entre elles impossible de représenter en pourcentage sur des bulletins de salaire. La part la plus importante des charges salariales, et de loin, est constituée par les coti­sations de sécurité sociale, de retraite complémentaire et d'assurance chômage. Cette part-là est calculée chaque mois par l'employeur. *Le salarié croit verser 15 % de son salaire en cotisations sociales. Mais l'employeur verse de son côté 37 % du même salaire.* Quoi qu'il en soit des différents chiffres que nous avons donnés, le salarié s'imagine que sa protection sociale lui revient à 15 % de son salaire brut inscrit actuellement sur sa feuille de paye, alors qu'elle revient en fait à plus de 50 % de ce salaire. \*\*\* Mais c'est le patron qui paye ? Évidemment non. Ce n'est pas le patron qui paye, c'est l'entreprise. La­quelle devra répercuter ces cotisations dans ses coûts de revient, et au bout du compte, si ce n'est pas le salarié qui paye, c'est le consommateur. Or on ne connaît guère de salarié qui ne soit consommateur... 15:299 Le plus grave défaut de ce système est qu'il encou­rage l'irresponsabilité à tous les niveaux. Celle du sala­rié qui s'imagine bénéficier de prestations presque gra­tuites alors qu'elles lui coûtent une fortune, celle des organismes de sécurité sociale qui ne sont soumis à aucun contrôle de leurs usagers et sont dirigés par une nomenklatura syndicale et celle de la nation dont les députés n'ont le contrôle que d'une infime partie d'un budget social plus important que celui de la nation. \*\*\* Le premier aspect de l'instauration de la vérité du bulletin de paye est la responsabilité des salariés. C'est en quoi il s'agit d'une réforme restaurant une liberté fonda­mentale. Liberté, parce qu'il faut être responsable pour être libre. Fondamentale, parce que le salarié doit pou­voir disposer de l'argent qui est le fruit de son travail. On m'a objecté que dans certaines grandes entre­prises le bulletin de paye comporte déjà la mention de ce que l'entreprise verse pour le salarié, et que cela n'a conduit à aucune prise de conscience des salariés de l'énormité du coût de leur protection sociale. Il est donc nécessaire de préciser que ce que nous réclamons n'est pas ce qui se fait ici ou là ou peut se faire. Ce que nous réclamons ne peut se faire nulle part, parce que c'est actuellement contraire à la loi. Ce que nous réclamons, c'est que le bulletin de paye fasse figurer comme salaire brut la totalité de ce que l'entre­prise débourse pour le salarié, ou plus précisément la totalité de ce qu'elle calcule actuellement, comme salaire brut et cotisations sociales « patronales ». 16:299 C'est-à-dire qu'au lieu de porter 6.000 F comme salaire brut, le bulle­tin de paye porterait 9.000 F, suivi de toutes les retenues sociales, pour aboutir en bas au même salaire net 5.000 F. C'est ainsi, et seulement ainsi, que le salarié pourrait prendre conscience du caractère exorbitant du coût de sa protection sociale. La mention, en dessous du salaire net, ou sur une autre page, de ce que verse l'entre­prise, ne peut guère avoir d'intérêt. La plupart des sala­riés ne la regarderont pas. Seuls les plus râleurs y jette­ront un œil pour se dire qu'après tout si le patron peut payer autant il peut encore payer davantage... #### La conséquence : Un risque ? Non : une chance Alors, bien sûr, pour les conservateurs timorés, qu'ils soient socialistes ou libéraux, la vérité du bulletin de paye comporte un « risque ». Voyant que leur protection sociale leur revient à plus de 40 % de leur salaire brut réel sur le bulletin de paye véridique, et à plus de 70 % de leur salaire net, il est probable que les salariés prendront conscience que ce qu'ils croyaient presque gra­tuit est terriblement cher, tellement cher que c'en est insupportable et qu'il faut chercher un autre système. Nous mesurons le risque. C'est-à-dire que nous le voyons comme une chance, la seule chance de sortir de l'actuel absurde système, et ce par la volonté même des salariés. 17:299 Mais c'est la fin de la sécurité sociale ? Oui, c'est la fin de la sécurité sociale. Du moins telle que nous la voyons actuellement, monstre tentaculaire assoiffé d'argent et toujours en déficit (même et surtout quand on parle de son « équilibre » ou de son « excédent », alors que *l'énorme déficit permanent* est toujours comblé par l'État). La sécurité sociale ne devrait collecter que des cotisa­tions obligatoires pour les « gros risques », pour une couverture sociale « plancher », qui exige la solidarité de tous. Pour le reste, à chacun de s'assurer ou non comme il l'entend. Par des mutuelles, de vraies mutuelles à échelle humaine, gérées par des mutualistes qui ont en commun leur travail, leur lieu de résidence, etc., des mutuelles qui retrouveraient l'esprit de solidarité réelle des mutuelles chrétiennes du XIX^e^ siècle. Ou par des com­pagnies d'assurance privées. Ou pas du tout. C'est la sécurité sociale « à deux vitesses », nous dit-on, une horreur : d'un côté la protection sociale maxi­male que seuls les riches pourront se payer, de l'autre côté la protection sociale minimale à laquelle les pauvres seront condamnés. Ce raisonnement est complètement absurde. Et c'est justement la vérité du bulletin de paye qui permet de le voir. Les salariés, riches ou pauvres, recevant l'intégralité de leur salaire, y compris leurs cotisations et celles que l'entreprise verse pour eux, pourront les uns comme les autres souscrire à une protection sociale maximale s'ils le souhaitent, s'ils trouvent normal d'y consacrer 70 % de leur salaire net. 18:299 Et lorsque nous disons protection sociale maximale, nous voulons parler d'une protection sociale supérieure à celle d'aujourd'hui. Quoi qu'il en soit des déboires actuels du Chili, consécutifs à l'ultra-libéralisme dans lequel les dirigeants ont précipité l'économie du pays, il reste que lorsque la sécurité sociale y a été privatisée, le coût de la protection sociale a chuté aussitôt de 8 %. Parce que la gestion des compagnies d'assurance et la gestion des mutuelles par les mutualistes est autrement plus respon­sable que celle d'un organisme géré par des fonction­naires syndicaux qui n'ont de comptes à rendre à per­sonne. Cela veut dire qu'à cotisations sociales égales on peut bénéficier d'une protection de 8 % supérieure à ce qu'elle était. Il n'est pas difficile d'imaginer un système de protec­tion sociale qui réponde aux besoins de chacun, un sys­tème extrêmement diversifié, correspondant à la diversité des situations réelles. On peut donner comme exemple les assurances automobiles. Il y a une assurance obligatoire minimale, et au-delà, l'automobiliste a devant lui un très large éventail d'assurances complémentaires. La diffé­rence, rappelons-le, est que le niveau d'assurance auto­mobile ne dépend pas que des désirs de l'assuré mais aussi de ses ressources, tandis que la protection sociale dont nous parlons est accessible à tous, à tous les niveaux, puisque le salarié reçoit l'intégralité des cotisa­tions qu'il verse ou que l'entreprise verse pour lui. Telle est la conséquence inéluctable de la vérité du bulletin de paye : la restauration d'une liberté concrète. C'est sans doute ce qui fait tellement peur. Yves Daoudal. 19:299 ### Proposition de loi sur la vérité du bulletin de paye ARTICLE PREMIER. -- Le salaire brut est la totalité de ce que l'employeur débourse pour un salarié. Il figure sous ce nom à la première ligne du bulletin de paye. ART. 2. -- Les cotisations sociales sont cal­culées en pourcentages du salaire brut. ART. 3. -- Le salaire brut tel qu'il est défini à l'article premier est le seul à être men­tionné, sous peine de nullité, dans les contrats collectifs ou individuels de travail. ART. 4. -- La distinction fictive entre « coti­sations patronales » et « cotisations ouvrières » est supprimée. 20:299 ART. 5. -- Les cotisations sociales ci-devant réparties entre « ouvrières » et « patronales seront mentionnées dans les bulletins de paye sous le titre général de « salaire différé ». ART. 6. -- Le salaire net est égal au salaire brut moins le salaire différé. ART. 7. -- Pendant les deux mois suivant la promulgation de la présente loi, tous les salaires nets et tous les salaires différés reste­ront bloqués au niveau qui était le leur au moment de la promulgation. ART. 8. -- Employeurs et organismes sociaux disposent de ce même délai de deux mois pour recalculer les pourcentages de cotisations à partir du salaire brut et conformer leurs bul­letins de paye et leurs appels de versements aux dispositions de la loi. 21:299 ### Le libéralisme est maçonnique *c'est-à-dire anti-catholique* par Jean Madiran **I. -- Les deux sens\ du mot « libéral »** *Libéral,* du mot latin *liberalis,* se dit de celui qui est généreux (capable de « libéralités »), et plus générale­ment de tout ce qui est digne d'une personne de condi­tion libre, par opposition à la condition de l'esclave. *Liberales artes* ou *doctrinæ,* les « arts libéraux », ce sont les belles-lettres. 22:299 Ce sens premier survit plus ou moins dans l'expression : les « professions libérales » (avocat, médecin, architecte, écrivain, etc.), c'est-à-dire celles que l'on exerce plus librement que les professions salariées. La *libéralité* est soit la disposition à donner généreusement, soit le don lui-même fait avec généro­sité. Être *libéral,* au sens dans lequel Bossuet, Molière et La Fontaine emploient ce mot, c'est le contraire d'être mesquin ou avare. Ce premier sens ne fait aucune référence à une doc­trine politique ou morale particulière. Le second sens est idéologique. Le *libéral* est alors un partisan du *libéralisme,* doctrine à la fois économi­que, morale, politique, religieuse, qui fait de *la liberté* le principe directeur (suprême ou même unique) de la vie individuelle et collective. Idéologie à la fois philosophique et religieuse, poli­tique et morale, économique et sociale, le libéralisme trouve son expression résumée la plus définitive dans l'hymne qu'une hiérarchie maçonnisée faisait chanter en 1984 aux organisations catholiques lors des manifesta­tions pour la liberté scolaire : « *Liberté, je crois que tu es la seule vérité.* » **II. -- La première erreur\ du libéralisme** En faisant de *la liberté* le principe suprême ou uni­que de l'organisation politique et sociale, le *libéralisme* commet l'erreur de ne pas reconnaître leur juste place à d'autres principes, égaux ou supérieurs : entre autres le *principe national,* qui est mis en avant par le *nationa­lisme,* et qui place le *bien commun national* au-dessus des intérêts particuliers. 23:299 **III. -- La seconde erreur\ du libéralisme** Mais en outre, *la liberté* dont le libéralisme fait son principe suprême (voire sa « seule vérité ») n'est pas n'importe quelle liberté abstraite ou concrète. C'est une certaine liberté : la liberté entendue en un sens très déterminé, celui de la « déclaration des droits de l'homme » de 1789. **IV. -- Les droits de l'homme** Les tenants du libéralisme sont unanimes à profes­ser que « *les droits de l'homme sont le problème fonda­mental du monde d'aujourd'hui *». Ils laissent 1793 à la « gauche marxisante », ils se réclament de 1789 comme étant « la propriété des libéraux » et leur « héritage ». Que les libéraux invoquent à jet continu les « droits de l'homme » en général plutôt que de parler aux uns et aux autres de leurs devoirs réciproques, je ne dis pas que je l'approuve mais enfin je peux le comprendre de la part de parlementaires s'imaginant continuellement qu'ils s'adressent à leurs futurs électeurs. 24:299 Toutefois il existe d'autres « déclarations des droits » que celle de 1789. Il y a la « déclaration uni­verselle des droits de l'homme » faite par l'ONU en 1948. Par son origine et sa destination, elle est beau­coup plus « universelle » précisément, et en quelque sorte beaucoup plus officielle que celle de 1789. Elle est d'ailleurs un peu différente, mentionnant les droits de la famille, et souvent les catholiques invoquent plutôt celle-là, lorsqu'ils tiennent à montrer qu'ils peuvent par­ler eux aussi des « droits de l'homme », en soulignant au besoin qu'elle est moins critiquable. Il existe aussi une charte détaillée des droits de l'homme proclamée en 1963 par Jean XXIII dans son encyclique *Pacem in terris*. Il y a enfin les droits de l'homme de Jean-Paul II, sans doute plus difficiles à invoquer comme référence parce qu'ils sont éparpillés dans une multi­tude de discours de circonstance. Et il y avait d'abord la déclaration américaine de 1776, qui dans plusieurs de ses articles n'était pas tellement meilleure que la française de 1789, mais qui avait au moins sur elle l'avantage d'invoquer Dieu, et de fonder les droits de l'homme sur la volonté divine plutôt que sur l'arbi­traire humain. Théoriquement, il existe donc une certaine marge de choix. Parmi ces diverses déclarations des droits, les libéraux ont coutume de se réclamer de celle qui est la plus contestable et en tout cas la plus certainement maçonnique : celle de 1789. 25:299 **V. -- Le dessein maçonnique** La « déclaration des droits de l'homme et du ci­toyen » du 26 août 1789 figure en préambule de la première constitution française, qui est du 3 septembre 1791. La constitution de 1791 n'est au demeurant que la première constitution *politique* de la France. Une autre constitution l'a précédée de plus d'une année, consé­quence encore plus directe, encore plus prochaine de la déclaration des droits de 1789, et c'était une constitu­tion *religieuse :* la « constitution civile du clergé » du 12 juillet 1790. Car si la maçonnique déclaration des droits de 1789 était tournée contre l' « Ancien Régime » en général, elle l'était davantage contre l'Ancien Régime religieux que contre l'Ancien Régime politique davantage contre l'Église que contre la monarchie. Et c'est pourquoi la constitution politique de 1791 définit encore la France comme un « royaume », déclare que « le gouverne­ment, est monarchique » et qu'il est exercé par « le roi » ; et que « la royauté est déléguée héréditairement à la race régnante de mâle en mâle, par ordre de pri­mogéniture ». Mais plus d'un an auparavant, la consti­tution religieuse de 1790 avait juridiquement désintégré l'Église catholique en France. Ce dessein maçonnique contre l'Église était telle­ment prioritaire qu'il avait été mis en chantier par l'Assemblée constituante dès le 20 août 1789, c'est-à-dire avant même que soit achevée la déclaration des droits de l'homme. C'était la première urgence. Ainsi, à elle seule, la chronologie montre déjà que le « libéra­lisme » de 1789, auquel se référent nos libéraux, est essentiellement anti-catholique. 26:299 La déclaration des droits de 1789 comportait sans doute la condamnation d'un certain nombre d'abus effectivement condamnables et unanimement réprouvés. Mais elle comporte aussi la formulation doctrinale du dessein anti-catholique de la franc-maçonnerie, par une nouvelle définition de ce que doit être *la liberté* et de ce qu'il faut rejeter comme *arbitraire :* désormais toute autorité qui *n'émane pas expressément* de la volonté générale exprimée par le suffrage universel doit être considérée comme une autorité arbitraire, portant une intolérable atteinte à la liberté. C'est ce qui résulte des articles 3 et 6, et ce que d'ailleurs confirmera la décla­ration universelle de l'ONU en 1948. En proclamant que les seules autorités légitimes sont celles qui *émanent expressément* de la volonté géné­rale, les rédacteurs de la déclaration de 1789 ne se sont peut-être pas rendu compte qu'ils abolissaient ainsi l'autorité de l'homme sur la femme dans le mariage, celle des parents sur les enfants, celle du maître sur les élèves et ainsi de suite : ça viendra, cette logique dé­moniaque suivra son cours anarchique au XIX^e^ et sur­tout au XX^e^ siècle. Mais la franc-maçonnerie, inspira­trice et promotrice de la déclaration, savait bien qu'elle mettait ainsi hors-la-loi, comme contraires aux droits de l'homme, toute idée d'une loi divine supérieure à la conscience humaine et toute autorité spirituelle de l'Église catholique. En conséquence, dès 1790 il était décrété que les évêques seraient désormais élus par le collège départemental des électeurs ordinaires, y com­pris les électeurs non-catholiques ou incroyants. 27:299 La déclaration maçonnique de 1789 était donc direc­tement dirigée contre la religion catholique. Michelet eut tout à fait raison de la désigner comme « le credo du nouvel âge » : c'est-à-dire destiné à prendre la place du Je crois en Dieu. La liberté de 1789 est celle du « ni Dieu ni maître ». La seule morale, la seule religion éventuellement admissible désormais est celle dont cha­que conscience, dans sa créativité souveraine, se forge une idée subjective, valable seulement pour elle-même. On nomme aussi cela l' « anti-dogmatisme ». **VI. -- Un idéal caractéristique** La question qui se pose à propos des libéraux n'est pas celle de leur appartenance en quelque sorte admi­nistrative à une obédience maçonnique. Non que cette question-là soit sans importance : mais comment savoir ? L'appartenance peut être secrète, et publique­ment niée. C'est la différence avec une appartenance religieuse. Un catholique n'est nullement obligé par sa religion d'avouer qu'il est membre du Touring Club de France ou de l'Association Guillaume Budé, qu'il cotise aux Amis de Robert Brasillach ou au Secours de France : mais il n'a jamais le droit ; dût-il y aller de sa vie, de dissimuler qu'il est catholique. Il semble bien au contraire que l'éthique maçonnique reconnaisse le droit, éventuellement le devoir des francs-maçons de dissimu­ler qu'ils le sont. D'autre part il y a des gens qui deviennent francs-maçons pour mieux réussir leur car­rière financière, administrative ou politique, sans y en­gager leurs convictions. 28:299 Ils sous-estiment sans doute le fait que la solidarité maçonnique peut les entraîner beaucoup plus loin qu'ils ne pensaient. Que tel ou tel libéral soit membre d'une loge, et qu'il le soit dans une intention plutôt que dans une autre, je n'en sais rien et je n'ai aucun moyen de le savoir avec certitude. Mais les libéraux sont les prédicateurs et les apôtres du libé­ralisme maçonnique de 1789, dont ils se préparent fié­vreusement à célébrer le deuxième centenaire. Ils sont francs-maçons par leur idéal de référence et par la doc­trine ainsi invoquée. **VII. -- Une revendication\ limitée** Faut-il le préciser ? En analysant la substance ma­çonnique du libéralisme français, je ne poursuis aucu­nement le dessein inquisitorial, et qui serait utopique dans la V^e^ République telle qu'elle est constituée, d'in­terdire aux francs-maçons de participer à la vie publi­que. Mon dessein est beaucoup plus modeste ; beau­coup plus limité ; mais il est « démocratiquement » légitime : c'est que nous puissions être représentés, nous qui sommes étrangers à la franc-maçonnerie, par des gens qui ne soient pas des francs-maçons de fait ou de cœur. Les libéraux ne sont pas forcément des francs-maçons de fait : ils sont des francs-maçons de cœur, pour autant que leur cœur nous soit exactement révélé par les discours qu'ils nous tiennent sur la déclaration des droits de 1789. 29:299 A mesure que l'on apprend à connaître un peu mieux le personnel et les ressorts des partis politiques, de la représentation parlementaire, de la presse, on s'aperçoit que les francs-maçons ont parfaitement su s'établir dans les formations et les journaux qui ont vocation d'être les leurs. Mais aussi dans les autres...Dans tous les autres, ou quasiment. Mon dessein à cet égard, modeste et limité, a tou­jours été de créer, de favoriser, d'élargir un espace de liberté sociale et politique où les Français de tradition nationale et catholique puissent se reconnaître, s'infor­mer, s'instruire, se concerter, sans y être convoyés et influencés par des taupes, conscientes ou non, plus ou moins secrètement affiliées à la franc-maçonnerie ou intellectuellement annexées à son idéal anti-dogmatique. Jean Madiran. *Sur le même sujet,\ voir notamment :* -- « Le discours du Président et celui de l'Église sur les droits de l'homme », dans ITINÉRAIRES, numéro 295 de juillet-août 1985. -- « Du libéralisme au socialisme », dans *La République du Panthéon* (un volume chez DMM, 1982). -- *Les deux démocraties* (un volume aux Nouvelles Éditions Latines, 1977). 30:299 ## TEXTES ### Le libéralisme contre les libertés par Charles Maurras Deux textes classiques de Charles Maurras. Mais les textes les plus classiques sont souvent, aujourd'hui, les plus oubliés ; et les plus inaccessibles, car le voudrait-on, on ne saurait même plus, la plupart du temps, où donc les rechercher et comment les trouver. Le premier est extrait de la *Démocratie religieuse* et figure, mais en par­tie seulement, à l'article « Libéralisme » du Dictionnaire politique et critique. Nous l'avions déjà reproduit dans ITINÉRAIRES il y a quelques années. Il est plus actuel que jamais. Le second est extrait de *Mes* *idées politiques.* **I** Le libéralisme est la doctrine politique qui fait de la Liberté le principe fondamental par rapport auquel tout doit s'organiser en fait, par rapport auquel tout doit se juger en droit. Je dis que le libéralisme supprime donc en fait toutes les libertés. Libéralisme égale despotisme. Je le démontre. 31:299 ***En religion*** Dans l'ordre religieux, la liberté-principe peut tout ad­mettre hors l'aliénation de la liberté, d'elle-même. Un homme qui aliène sa liberté personnelle n'est plus un homme, dit la philosophie libérale. Il a perdu son rang et sa dignité. Mais, objectera-t-on, il fit acte de liberté en immolant sa liberté ? Il n'avait pas ce droit de l'immoler. La liberté, c'est l'intan­gible. « Pas de liberté contre la liberté. » Dès lors, point de vœux monastiques. Dès lors, point de Congrégations. C'est le sophisme protestant des Renouvier et des Buisson. Mais qu'on y prenne garde : ce raisonnement est sophistique parce que le point de départ en est faux : il n'est point vrai que la liberté soit un principe fondamental. Mais, si la pré­misse était vraie, la conclusion le serait aussi. C'est très logi­quement, très rigoureusement que M. Buisson a déduit la loi de 1901 du principe libéral. Dans le principe libéral, la liberté des ordres religieux serait chose immorale. Dans le principe libéral, cette liberté doit être étouffée. Et voilà donc une première liberté dont la conquête exige au préalable le renversement du principe libéral. Si nous nous dévouons à la liberté des congrégations religieuses, liberté définie, *liberté réelle* et pratique, nous devons faire la guerre au libéralisme. ***En économie politique*** Dans l'ordre économique, la liberté-principe veut que la concurrence des libertés individuelles, d'où le bien doit sortir inévitablement, soit œuvre sacrée. Il n'y a qu'à laisser faire et à laisser passer. 32:299 Toute intervention de l'État ou de la Société mérite le nom d'attentat et presque de profanation. Le statut du travail doit donc être individuel. Autant par respect pour sa liberté propre que par vénération de la mécanique du monde, l'ouvrier doit respecter les injonctions du décret Le Chapelier et s'interdire sévèrement toute association, corporation, fédération, tout syndicat d'ordre profes­sionnel, de nature à troubler le libre jeu de l'offre et de la demande, le libre échange du salaire et du travail. Tant pis si le marchand de travail est un millionnaire maître absolu du choix entre 10.000 ouvriers : liberté, liberté ! La liberté économique aboutit donc, par une déduction rapide, à la célèbre liberté de mourir de faim. J'oserai l'appeler une liberté négative, abstraite ; mieux : une liberté soustraite. Toute liberté réelle, toute liberté pratique, tout pouvoir libre et certain de conserver sa vie, de soutenir sa force, est refusé à l'ouvrier tant qu'on lui refuse la liberté d'association. Il a fallu le déclin des idées libérales pour obtenir, dans l'ordre économique, un certain degré de liberté d'association. Pour étendre cette liberté, pour l'étoffer, pour la nourrir, on devra écraser tout ce qui subsiste du libéralisme dans les esprits. Êtes-vous dévoués au libéralisme, ouvriers, ou préfé­rez-vous vos libertés, libertés de fait ? C'est à vous d'opter, mais il faut opter. Il faut « exclure tout libéralisme » ou renoncer à toute liberté effective. ***En science politique*** Dans l'ordre politique, le libéralisme, exprimé à la pre­mière phrase du *Contrat social* et au premier article de la Déclaration des Droits de l'homme, porte que l'homme naît libre. Le libéralisme veut dégager l'individu humain de ses antécédences ou naturelles ou historiques. Il l'affranchira des liens de famille, des liens corporatifs et de tous les autres liens sociaux ou traditionnels. Seulement, comme il faut vivre en société, et que la société exige un gouvernement, le libéralisme établira le gouvernement de la société en accor­dant un suffrage à chaque liberté et en faisant le compte de ces souverains suffrages. 33:299 La majorité, exprimant ce que Rousseau appelle la volonté générale, exprimera ainsi en quelque sorte une liberté générale : la volonté de la majorité devient dès lors un décret-loi contre lequel personne ni rien ne saurait avoir de recours, si utile et si raisonnable, ou si précieuse et si sacrée que puisse être cette chose ou cette personne. La liberté-principe établit une règle qui ignore méthodiquement les forces et les libertés particulières ; elle se vante de créer toute seule la liberté de chacun ; mais, en pratique, l'histoire le montre bien, cet individualisme affaiblit les individus. C'est son premier effet. Le second est de tyranniser, sans sortir du « droit » tous les individus n'ap­partenant pas au parti de la majorité, et ainsi de détruire les derniers refuges des libertés réelles. Tels sont les deux effets successifs de la Liberté politique (ou volonté du peuple) sous son aspect le plus connu, qui est celui de la « démocratie libérale » ou démocratie fondée sur la Liberté, Liberté fon­dant son gouvernement. Il y a une autre forme de libéralisme, plus aiguë, plus logique, à laquelle arrivent toujours, quand ils ont persisté dans l'opposition, les partis libéraux : ils se font anarchistes purs. Le principe libéral, en ce cas, ne détruit pas seulement ces liens de famille, de tradition et de relation, créateurs de forces de résistance et centres de pouvoirs : il renverse l'État, il nie la Patrie. Il livre donc l'État à l'arbitraire du désordre et aux coups des révolutions, comme il ouvre la Patrie aux armes de l'Étranger. Par ce libéralisme absolu, l'homme *né libre* tend à perdre : 1° la liberté d'aller et de venir dans la rue sans être assommé ; 2° son indépendance de citoyen d'une nation déterminée. Telle est la conséquence naturelle du libéralisme non mitigé : il tue la société et, par-là même, toutes les libertés contenues dans la société existante. Quant au libéralisme mitigé, s'il laisse subsister la société, il la caporalise sous la moins juste, la plus rude et la moins responsable des dicta­tures, celle du nombre. 34:299 **II** Qui dit liberté réelle dit autorité. La liberté de tester crée l'autorité du chef de famille. La liberté communale ou pro­vinciale crée le pouvoir réel des autorités sociales qui vivent et résident sur place. La liberté religieuse reconnaît l'autorité des lois spirituelles et de la hiérarchie interne d'une religion. La liberté syndicale et professionnelle consacre l'autorité des disciplines et des règlements à l'intérieur des corporations et compagnies de métier. Ce sont là des faits observables. Si, pourtant, au lieu d'observer on rentre en soi pour réfléchir, on s'aperçoit que la nature même de la liberté positive -- celle qui n'est pas conçue par rapport à un obs­tacle à surmonter, celle qui s'exerce et qui vit de source pro­fonde, -- la liberté, c'est la puissance. Sociale, elle s'exerce dans la société et elle a pour point d'application non pas le marbre comme le pouvoir d'un sculpteur, ni la machine, comme le pouvoir d'un mécanicien, mais les hommes engagés avec nous dans la vie sociale. Qu'est-ce donc qu'une liberté ? Un pouvoir. Celui qui ne peut rien du tout n'est pas libre du tout. Celui qui peut médiocrement est médiocrement libre. Celui qui peut infiniment est aussi libre infiniment. Une des for­mes du pouvoir, c'est la richesse. Une autre de ces formes, c'est l'influence, c'est la force physique, c'est la force intellec­tuelle et morale. Sur quoi s'exercent diversement ces pou­voirs divers ? Sur des hommes. Et ce pouvoir, à qui appar­tient-il ? A des hommes. Quand une humaine liberté se trouve au plus haut point et qu'elle a rencontré d'humains objets auxquels s'appliquer et s'imposer, quel nom prend-elle ? Autorité. Une autorité n'est donc qu'une liberté arrivée à sa perfection. 35:299 Loin que l'idée d'autorité contredise l'idée de liberté, elle en est au contraire l'achèvement et le complément. La liber­té d'un père de famille est une autorité. La liberté d'une confession religieuse est une autorité. Ce sont encore des autorités que la liberté d'une association, la liberté d'une commune, d'une province déterminées. Quand on veut que l'État respecte dans l'ordre économique l'initiative privée, on demande, au fond, qu'il respecte ce que Le Play nommait d'un si beau mot : les autorités sociales. Toutes les libertés réelles, définies et pratiques, sont des autorités. Charles Maurras. 36:299 ## CHRONIQUES 37:299 ### KASPER et le terrorisme théologique par Marc Dem *Derrière la catéchèse,\ le terrorisme* IL DOIT ÊTRE BIEN CLAIR que Pierres Vivantes et les Parcours du combattant imposés à la jeunesse française ne sortent pas directement du cerveau de Mgr Gilson. Il y a beau temps que la pensée qui les inspire est façonnée par des hommes que le grand public ne connaît pas, mises à part les intrusions dans l'actualité des plus scandaleux d'entre eux lorsque Rome intervient pour mettre non un terme mais au moins un frein à leur « créativité » doctrinale. 38:299 Ces hommes sont les théologiens qui enseignent dans les facultés de théo­logie catholique et dont Paul VI réprouvait en 1977 « cer­taines déclarations inadmissibles », dont Jean-Paul II récla­mait en 1980 « une fidélité à toute épreuve au contenu authentique du Credo » et auxquels il fixait comme borne à leurs recherches « les points fondamentaux de référence que sont les dogmes définis ». Ce sont des intellectuels qui ont pignon sur rue, qui refont la Loi et les Prophètes « avec beaucoup d'hermétisme spéculatif et linguistique », pour reprendre les termes du cardinal Siri. Est arrivé dans l'Église le temps des spécialistes qui doctement renvoient aux ténèbres de la pensée mythique les vérités que le Christ remerciait le Père d'avoir voulu révéler aux humbles. Ces gens impressionnent, ils transmet­tent les résultats de leurs savants travaux aux prêtres, aux séminaristes et aux laïcs qui suivent leurs cours, forment les énarques ecclésiastiques que l'on voit légiférer dans les comi­tés, les commissions, les secrétariats des conférences épisco­pales, recycler prêtres et évêques, animer les groupes de mili­tants appelés à constituer la future hiérarchie. Le premier terrorisme théologique s'exerce sur les évê­ques, il arrive que l'un d'eux proteste, comme Mgr Puech en 1979 : « Ce n'est pas aux théologiens, qu'ils soient prêtres ou non, que le Seigneur a confié son Église. Comme tous les autres membres du Peuple de Dieu (y compris prêtres et évêques), ils ont à recevoir humblement l'enseignement du pape et du collège épiscopal en communion avec lui », mais leur influence reste prépondérante et instille les germes de la déchristianisation jusqu'à la paroisse la plus reculée. Ils subs­tituent au magistère leurs propres élucubrations. Au cours d'un débat organisé en 1981 par la revue *Concilium,* le théo­logien anglais Nicolas Lash demandait au père Congar : « A quel titre et pourquoi parlez-vous ? » Réponse du père Congar : « Je ne m'étais jamais posé cette question. » 39:299 Est-il permis que nous, nous nous la posions ? Car ces théologiens de l'aventure, si l'on se plonge dans leurs œuvres, font bon marché du Credo et des points de référence que sont les dogmes définis. Ils ne parlent donc pas au nom de l'Église. C'est pourtant elle qu'ils estiment devoir rénover pour la faire répondre aux problèmes spécifiques de notre temps. « *Les problèmes non résolus de l'ecclésiologie,* écrit Kasper, *ne peuvent l'être que dans le cadre d'une christologie rénovée. Elle seule peut aider l'Église à retrouver son universa­lité et sa catholicité... *» Les a-t-elle perdues ? Walter Kasper, membre de *Concilium,* professeur à Tübingen ([^1]), est un spécialiste de christologie et de « jésulogie ». Je voudrais ici jeter quelque éclairage sur le mouvement théologique et ses incidences sur la catéchèse, à travers ce personnage que je choisis de préférence à un Rahner ou à un Küng, par exemple, parce qu'on me l'a présenté comme un théologien modéré, bon à mettre entre toutes les mains ou à peu près, comme il le dit lui-même d'ailleurs dans l'avant-propos de son *Jésus le Christ :* « J'ai écrit ce livre pour les étudiants de théologie ainsi que pour les prêtres et les laïcs qui sont au service de l'Église, mais aussi pour les nombreux chrétiens dont la par­ticipation à la discussion théologique est devenue une part de leur foi ; peut-être ce livre peut-il être également une aide à un nombre croissant de personnes qui, à l'extérieur des Églises, s'intéressent à Jésus-Christ et à son œuvre. » Formulation bizarre dont nous retrouverons maints au­tres exemples ci-après et que je tenterai d'expliquer. Vous intéressez-vous à Jésus-Christ et à son œuvre ? Voici la syn­thèse que Kasper établit de « la tradition et des positions nouvelles ». \*\*\* L'Église est dans une fâcheuse situation depuis Vatican II : « Avec ses réformes d'actualisation (aggiornamento), elle courait le risque de perdre sa signification propre par trop d'ouverture ; mais, en cherchant à parler clairement et sans détours, elle s'exposait au danger de passer à côté des hommes et de leurs problèmes. » Notre auteur fait son choix : il partira des hommes et de leurs problèmes. C'est le point de vue aussi de la catéchèse. 40:299 Il en part si bien qu'il oublie de lire l'Évangile. Je pen­sais que ces théologiens étaient au moins des hommes rigou­reux dans leurs démonstrations sur le plan qu'ils appellent volontiers « scientifique ». Que dire d'une phrase telle que celle-ci : « *Le Royaume de Dieu vient ainsi dans l'obscurité, dans l'échec. Il en est de lui comme de la semence qui tombe sur le sol pierreux, épineux, stérile, et cependant porte beau­coup de fruit* (*cf. Mc 4, 1-9*)*. *» Bévue de taille pour un pro­fesseur, mais il y a pire quand il affirme rondement : « *D'a­près les évangiles synoptiques, Jésus ne se désigne jamais lui-même comme Fils de Dieu. *» Que fait monsieur le profes­seur de Mc XIV 61 : « Le grand-prêtre se remit à l'interro­ger : -- Êtes-vous le Christ, le fils du Dieu béni ? Jésus répondit : -- Je le suis. » Que fait-il de Matt XXVI 63, de Lc XXII 70, de Jn XIX 7, qui concordent exactement dans la relation qu'ils font de la réponse de Jésus ? Que fait-il de la confession de Césarée, des multiples passages où Jésus parle de Dieu en disant « Mon Père » ? Dans le même ordre d'idées, cette affirmation tendancieuse : « *On s'explique ainsi que le Nouveau Testament ne parle que rarement de la Résurrection de Jésus à la forme active... il en parle le plus souvent à la forme passive, recou­vrant ainsi par une périphrase l'action de Dieu par laquelle Jésus est ressuscité. *» Et Kasper de donner douze références dans les Évangiles et dans saint Paul. Or pour dix d'entre elles il se trompe ou il veut se tromper : ce n'est pas le pas­sif, c'est le *passé.* « C'est Jésus de Nazareth que vous cher­chez, le crucifié ; il est ressuscité, il n'est point ici. » Dans les traductions françaises, on trouve le passé composé actif, le verbe ressusciter se conjuguant avec *avoir* pour insister sur l'action, avec *être* pour insister sur le résultat de l'action. Je suppose que dans la langue de Kasper, l'allemand, la voix ne doit pas être différente. En grec, dans Jo XXI 14, nous lisons : *egertheis ek nekrôn.* « Egertheis » est le participe aoris­te de « egeiromai », qui est effectivement un passif. Mais tous les dictionnaires précisent que ce passif a un sens pro­nominal. La traduction est donc : « s'étant éveillé d'entre les morts ». 41:299 Pierres Vivantes 1 et 2 ne triche pas en faisant dire aux Apôtres à la Pentecôte : « Dieu l'a ressuscité ; Jésus est vivant. » C'est l'exacte transcription du discours de Pierre dans les Actes. On remarque néanmoins une prédilection pour cette formule dans l'ensemble des Parcours, et l'ab­sence dans Pierres Vivantes des passages selon lesquels Jésus s'est également ressuscité lui-même : « Personne ne m'ôte ma vie, mais je la donne de moi-même. J'ai le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre » (Jo X 17) ; « Détrui­sez ce temple et je le rebâtirai en trois jours... Mais il parlait du temple de son corps. Aussi, lorsqu'il fut ressuscité des morts, ses disciples se rappelèrent ces paroles... » (Jo II, 19). Simple omission ? Peut-être, mais elle semble comprise de certains comme un mot d'ordre. Je lis dans la lettre d'un responsable diocésain pour l'enseignement religieux ce repro­che fait à un prêtre non recyclé : « *Parfois* (dans votre cours de catéchisme) *il arrive qu'il y ait contradiction avec la Bible jamais il n'est dit dans le Nouveau Testament que Jésus s'est ressuscité lui-même, mais c'est le Père qui l'a ressuscité. *» Ce responsable, lui non plus, n'a pas bien lu les Évangiles, ni son Denzinger. Le Concile de Tolède définissait en 675 cette vérité : « Ressuscité par sa force propre, il s'est levé du tombeau. » Il suffirait aux néo-théologiens d'ouvrir leur Som­me théologique s'ils en possèdent encore une pour résoudre l'énigme. Saint Thomas l'explique dans Tercera pars, quaes­tio LIII, art. IV : le Christ, en tant que Dieu, s'est ressuscité lui-même, mais en tant qu'homme, il a été ressuscité par le Père. La puissance du Père et du Fils étant la même, il a été ressuscité par la vertu du Père et par la sienne propre. Mais le dire équivaudrait à attirer l'attention sur le fait que le Christ était Dieu, que Jésus était et demeure le Fils de Dieu. \*\*\* Kasper définit bien la manière d'aborder les Écritures qui imbibe la catéchèse : « *Les sources qui nous informent sur Jésus de Nazareth sont les écrits du Nouveau Testament. Mais les écrits du Nouveau Testament eux-mêmes ne sont là que parce qu'on a eu foi en Jésus par-delà sa mort et parce que les premiers croyants ont rassemblé, transmis et finalement fixé par écrit les informations sur Jésus...* » 42:299 Ces « informa­tions sur Jésus » sonnent bizarre, comme aussi ces « premiers croyants » qui ont pris sur eux de les rassembler. Pourquoi ne pas les nommer ? Ce sont ses disciples et parmi eux deux apôtres. Continuons notre citation : « ...*pour les besoins de leurs communautés...* » Et il ajoute « *Sans cet intérêt des premières communautés, nous saurions autant et aussi peu sur Jésus de Nazareth que sur d'autres prédicateurs itinérants de son temps.* » Voilà qui relativise singulièrement et Jésus et sa mission ; il n'était pas le seul à errer de la Galilée à la Judée en passant par la Samarie, nous l'avons échappé belle : sans ces communautés, nous n'aurions rien su de lui, la naissance du christianisme n'a tenu qu'à un fil ! Kasper fait de l'exégèse comme n'importe quel historien des religions, sceptique au demeurant. Il fait abstraction de sa foi, Jésus n'est en définitive qu'un prédica­teur itinérant qui a réussi à passer à la postérité. Ce que c'est que le hasard ! Là-dessus notre théologien catholique se transforme en magistrat, il met les évangiles en accusation, il les considère a priori comme suspects. Qui les a écrits, quand, pourquoi, comment, en quelle langue ? Les miracles rapportés sont-ils authentiques ? Qu'ils le prouvent ! Que venait faire Jésus, pourquoi est-il mort ? Etc. Dans cet étrange procès il y a un avocat, c'est l'Église, la tradition. Il l'écarte. Il y a des témoins oculaires et auri­culaires, il les récuse. Il ne veut écouter que l'accusation, qui est légion : les scientifiques, les agnostiques, les athées, les représentants d'autres confessions. Il inculpe les évangiles et fatalement, il les condamne : les évangélistes sont convaincus d'exagération pour les miracles, il les condamne à la peine de réduction, c'est la guillotine théologique. Quelques-uns seront retenus, les autres iront rejoindre le trésor des fables et des mythes. Il distingue, selon les critères de la critique historique, dans la rédaction de l'Écriture, des couches pri­mitives, plus fiables, et des couches récentes, sujettes à cau­tion, il ventile les « logia ». Une phrase du Christ peut être condamnée à perdre ses guillemets, surprise à être un com­mentaire de l'écrivain sacré et non une parole authentique. 43:299 L'évangéliste est accusé de faux et usage de faux. L'Église préconciliaire subit un examen médical, on lui découvre une mentalité infantile qui lui évite la peine capitale, mais elle sera mise à l'écart. \*\*\* Il y aura pourtant une peine capitale prononcée : celle de la foi. Car je défie quiconque de garder la sienne après avoir pris pour argent comptant Kasper, Weissmahr, Schillebeeckx, Rahner ou quelque autre. Les évangiles perdent leur universalité, ils ne nous appartiennent pas à nous chré­tiens du XX^e^ siècle, ils ont été écrits pour des groupes déter­minés disparus depuis de longs siècles, « *chaque expression verbale ne peut être comprise que dans l'ensemble de la situa­tion du moment. C'est pourquoi nous ne pouvons pas non plus aujourd'hui séparer la tradition sur Jésus du contexte de la prédication, de la liturgie et de la pratique communautaire des Églises chrétiennes *»*.* Non-historiens s'abstenir ! Nous som­mes des intrus. A moins de nous faire introduire à ces textes chiffrés par Kasper et ses semblables, seuls aptes à nous en donner le décryptage puisque la tradition n'y était pas parvenue jusqu'ici : « *Pour beaucoup de gens les Églises, figées à leur avis constitutionnellement, n'ont pratiquement plus rien de commun avec Jésus-Christ et ce qu'il a voulu... Une telle méfiance envers les Églises et les institutions en général a sa cause. Les Églises aussi sont menacées par les dangers qui guettent toute institution : le danger de la fixité institutionnelle, ceux de l'égoïsme institutionnel, de la puis­sance, de la manipulation et des abus dus à la pesanteur des intérêts institutionnels. Les Églises n'ont que trop souvent suc­combé à ces dangers au cours de leur histoire. *» Kasper résume sa pensée : « *C'est le Credo christologique de l'Église primitive que nous rencontrons dans les écrits du Nouveau Testament. *» Ce n'est donc plus le message que le Christ a voulu transmettre à tous les hommes jusqu'à la fin des temps. Kasper ne se rallie pas aux théories de la Formgeschichte, il la critique sur plus d'un point, mais il a de la tendresse pour elle et finalement son aboutissement personnel n'est pas très différent du sien. 44:299 Les évangiles sont des témoi­gnages de foi des communautés, idée qui est reçue directe­ment par beaucoup de Parcours : « *Les Évangiles ne sont pas des reportages, mais des caté­chèses. A travers ces textes, les Évangélistes ont voulu trans­mettre ce qu'était leur propre expérience, leur propre* foi » (Siloé). Dès lors que les évangélistes ou ce que l'on nomme ainsi, avaient un but utilitaire et circonscrit, il est facile de leur prêter des accommodements avec l'histoire. « *Les Évangiles,* répète après la première la seconde édition de Pierres Vivantes, *ne racontent pas le récit de la vie de Jésus comme on rapporte aujourd'hui un événement à la radio, à la télévi­sion ou dans un journal.* » Ce qui est accorder beaucoup de crédit à la télévision et aux journaux et aussi insinuer que les choses ne se sont pas passées tout à fait comme on peut le lire. Comme sur bien des points le terrorisme théologique passe derrière le dos de Vatican II, qui rappelait : « Notre sainte Mère l'Église a tenu et tient fermement et avec la plus grande constance que ces quatre Évangiles, dont elle affirme sans hésiter l'historicité, transmettent fidèlement ce que Jésus le Fils de Dieu, durant sa vie parmi les hommes, a réelle­ment fait et enseigné pour le salut éternel, jusqu'au jour où il fut enlevé au ciel. » D'ailleurs, écrit quelque part Kasper, qu'est-ce que l'historicité ? \*\*\* Le massacre se fait à la tronçonneuse. Les évangiles de l'enfance s'écroulent les premiers, car ce sont des histoires qui « *racontent la préhistoire de Jésus d'après les modèles de l'Ancien Testament, surtout par analogie de l'histoire de Moïse. En cela leur intérêt est plus théologique que biographique *». Il ne lui vient pas à l'idée que Dieu, maître de l'Histoire, a voulu que celle du peuple élu soit marquée par des préfigu­rations nombreuses, qu'elle annonce l'événement de la Ré­demption, qu'elle soit toute imprégnée de la réalisation future de la Nouvelle Alliance. Il ne voit rien de cela parce qu'il pratique une exégèse sécularisée. 45:299 Dès que l'on supprime l'in­tervention attentive de Dieu, dès que l'on fait abstraction de l'élément primordial à toute étude théologique, la foi, on est condamné à ne plus rien y comprendre. On admet le souci apologétique qui à l'origine a aiguillé sur cette voie la théologie moderne : elle a voulu s'adresser à des gens qui n'avaient pas la foi et nos savants docteurs ont fait comme si eux non plus ne l'avaient pas, par souci d'écoute de l'au­tre, pour le convaincre sur son propre terrain. Mais ils s'y sont brûlé les ailes. Ils dissèquent le Credo comme à la morgue. C'est la leçon d'anatomie, ils ont tué l'oiseau bleu pour voir comment il volait. Un théologien qui ne part pas du point de vue de la foi n'est plus un théologien, c'est un philosophe. La catéchèse adopte la même attitude, elle s'a­dresse aux enfants comme à de petits agnostiques, elle ne tient pas compte de la grâce qu'ils ont reçue au baptême. Sa pédagogie est calquée sur les méthodes rationalistes des pseu­do-théologiens et voyez l'épouvantable erreur qu'elle com­met : le Christ a promis son royaume à ceux qui redevien­draient comme de petits enfants. Or les catéchistes ont de­vant eux des enfants qui n'ont pas besoin de le redevenir, puisqu'ils le sont encore, capables d'entrer de plain-pied dans les mystères révélés, et le premier souci de ces caté­chètes formés dans les « écoles de la foi » est de les trans­former en petits rationalistes, de leur faire partager leurs propres réticences, leur scepticisme, de supprimer leur inno­cence ! \*\*\* Kasper estime parler au nom de la science. La difficulté est que la science des nouvelles écoles de théologie n'est rien moins que sûre. Écoutons Daniélou sur le même sujet : « Beaucoup d'exégètes partent de l'idée que les Évangiles sont seulement l'écho de la prédication de la communauté apostolique et se fondent exclusivement sur le témoignage des apôtres. Ceci signifierait que les évangiles de l'enfance ne reposent pas sur le témoignage de témoins oculaires. Or il n'est aucunement certain que les évangiles ne reposent que sur le témoignage des apôtres. Tout au contraire, nous avons les plus sérieuses raisons scientifiques de penser que les souvenirs venant de la famille de Jésus sont, spéciale­ment en ce qui concerne les évangiles de l'enfance, de grande importance. 46:299 Nous savons en effet que la famille de Jésus, ses cousins en particulier, ont tenu une place considérable dans la communauté primitive de Jérusalem. Les premiers évêques de Jérusalem étaient tous parents de Jésus. C'est ce qu'on a appelé le Khalifat. Plus précisément Eusèbe rap­porte explicitement aux archives familiales de Jésus la connaissance des généalogies. Il faut ajouter que les décou­vertes récentes sur le milieu palestinien du temps du Christ apportent des confirmations à l'historicité des évangiles. » Faut-il rappeler que parmi les apôtres figurent trois des « frères », c'est-à-dire des cousins de Jésus : Jacques le Mi­neur, Simon et Jude ? Un quatrième faisait partie de la « communauté primitive » : Joseph le juste, proposé avec Mathias lorsqu'il fut question de remplacer Judas. Notre Kasper fait quand même un petit effort pour le baptême de Jésus. Là, dit-il, nous avançons sur un terrain solide, et voici sa raison : les communautés n'ont pas pu l'inventer car il était plutôt déplaisant pour elles de montrer leur Maître se soumettant au baptême de Jean ! Mais un souci constant le travaille : « L'ensemble des savants est éga­lement d'accord sur le fait que l'état des sources ne permet pas d'écrire une biographie de Jésus... nous savons tout aussi peu de choses sur son aspect extérieur, encore moins sur sa psychologie. » Il s'y hasarde néanmoins, ce qui nous favorise d'un collier de perles dont voici quelques remar­quables morceaux : « *Que Jésus se soit lui-même désigné comme le Messie est peu vraisemblable. *» (Et Mtt XXVI 63-64 ?) « *Jésus commença une activité propre qui provoqua égale­ment chez Jean, étonnement, agitation et doute. *» « *D'une certaine manière, on peut dire qu'il est un homme ouvert au monde. *» « *Ce qu'il lui faut, c'est tout. Ce tout quitter le conduit à la rupture avec sa famille. *» « *Pour un homme de l'antiquité, le respect qu'il témoigne aux femmes est extraordinaire. *» « *Il ne guérit pas systématiquement tous les malades. Il ne mène pas une guérilla, ni n'organise une réforme du pays. Jésus n'a pas de programme. *» 47:299 « *Jésus n'est pas un spécialiste ni un professionnel de la théologie. *» On croit entendre Küng, également professeur à Tübin­gen : « *Jésus n'était pas non plus un théologien. Il était un paysan et par surcroît illettré. Il ne pouvait se vanter d'aucune culture théologique. *» On voit qu'il était urgent que Kasper vînt au monde pour expliquer ce qu'il faut penser de « l'affaire Jésus ». Abordant le chapitre des miracles, il s'excuse de devoir en parler, « *il n'est pas possible de faire abstraction de la tradi­tion des miracles dans les évangiles *», il se justifie de diverses façons dont celle-ci : « *Elle se trouve déjà dans les couches les plus primitives. *» Les miracles le mettent visiblement mal à l'aise, il va faire la part du feu en s'efforçant d'en réduire le nombre et l'importance. Si quelqu'un veut savoir en quoi consiste exactement cette fameuse « critique historique », voici une de ses techniques : la critique historique constate que lorsque plusieurs narrateurs présentent un même événement, ils ont tendance à renchérir l'un sur l'autre. Ainsi, pour la multiplication des pains, Marc parle de 4.000 personnes nourries ; Matthieu fait état de 5.000. On ne peut donc pas se fier au chiffre, « *ainsi la matière des récits de miracles s'amoindrit très sensiblement *». On voit mal l'intérêt d'une telle réduction. Jésus n'eût-il nourri que 500 personnes avec cinq pains et deux poissons que le miracle eût été patent. 4.000 ou 5.000, c'est la part d'approximation humaine due au narrateur. Aujourd'hui, si l'événement était relaté dans les journaux, on aurait « 50.000 selon les organisateurs, 4.000 selon la Préfecture de police ». La fourchette de 4.000 à 5.000 des évangiles reste fort étroite. Elle témoigne de leur véracité : s'ils avaient été fabriqués au fil des ans par les communautés primitives, -- celles-ci n'auraient pas manqué d'harmoniser les données numériques. Mais la démonstration de Kasper pèche par un tout autre endroit : il est évident pour lui que Marc est antérieur à Matthieu. Si c'est le contraire, sa théorie s'effondre et la critique historique doit réviser ses postulats. 48:299 Dans quel ordre les évangiles ont-ils été écrits ? Le très moderniste mais bon exégète Robinson écrit ceci : « Certains maintiennent la prio­rité de Marc... d'autres en reviennent à situer Matthieu en tête, suivi de Marc puis de Luc, ou bien Luc avant Marc... Un ou deux savants vont même jusqu'à prétendre que Luc est le plus ancien. Je mentionne la confusion qui règne dans ce problème, non pas dans le but d'en discuter le pour et le contre, mais pour signaler que ce que l'on prend habituel­lement pour le résultat le plus communément garanti de la critique évangélique n'est, après tout, qu'une hypo­thèse. » Tresmontant, dans *Le Christ hébreu,* fait remarquer que la majorité des exégètes actuels donne : Marc, Luc, Mat­thieu, Jean. Pour sa part, l'ordre qui lui paraît vraisembla­ble est : Matthieu, Jean, Luc et Marc. Autant dire que personne n'en sait rien et que, dans l'ignorance, il serait souhaitable qu'on n'ébranle pas l'édifice de la foi même si c'est dans une intention louable. Kasper, lui, ne s'en tient pas là ; dans un deuxième temps il élimine les miracles qu'il estime construits sur des modèles « rabbi­niques ou hellénistiques ». Il a un raisonnement stupéfiant des guérisons, affirme-t-il, sont attestées au sanctuaire d'As­klépios à Épidaure ; il nie par conséquent les miracles de Jésus qui offrent une analogie avec elles. En d'autres termes, la foi en Esculape, chez ce bizarre théologien, passe avant la foi en Jésus-Christ sous prétexte qu'il n'y a pas de raison de ne pas accorder au premier ce qu'on accorderait au second, Esculape jouissant d'un droit d'antériorité ! Troisième filtre Kasper écarte les miracles de Jésus que la théorie de l'his­toire des formes a définis comme des « *projections rétrospec­tives d'expériences pascales dans la vie terrestre de Jésus ou des représentations anticipées du Christ glorifié *». En font partie tous les miracles se rapportant à la nature : tempête apaisée, transfiguration, marche sur les eaux, multiplication des pains, pêche miraculeuse, résurrection de Lazare. 49:299 Il ne reste donc rien ? Si, Kasper est bon prince : « *Il serait néanmoins faux de conclure de cette thèse qu'il n'y a absolument aucun miracle de Jésus qui soit historiquement garanti. *» Il retient la guérison de certaines maladies et les exorcismes, qui sont pour lui du même ordre. Il accepte de faire de Jésus un guérisseur parmi d'autres. \*\*\* Ce personnage, rappelons-le, est rétribué par l'Église pour enseigner la théologie à de futurs prêtres. Le plus étonnant est qu'il écrive 420 pages sur Jésus le Christ. A quoi bon ? Si l'on arrive à me prouver que la Transfiguration est une invention des communautés primitives, que la multiplication des pains n'a pas eu lieu, que Lazare n'a pas été ressuscité, je jure que je rangerai les évangiles sur le rayon des farces et attrapes et qu'on ne m'en entendra plus parler. Qui m'en blâmerait ? La « Résurrection-exaltation » de la catéchèse, c'est aussi dans Kasper : « *La corporalité de la Résurrection signifie donc simplement que par toute sa personne Jésus est auprès de Dieu et que c'est à partir de Dieu que d'une façon permanente et nouvelle il est auprès de nous. *» Si nous voulons traduire ce charabia, il reste que la Résurrection n'a pas été corpo­relle au sens où on l'entend communément. «* La foi en la Résurrection repose en dernière analyse sur la foi en la divi­nité de Dieu. *» Cette *divinité de Dieu* est une expression bien absurde ; le reste de la proposition laisse entendre que la foi en la Résurrection ne repose pas sur des données objectives : le témoignage des apôtres et des disciples. A quoi nous pouvons ajouter aujourd'hui le Suaire de Turin. L'Ascen­sion, proscrite par Pierres Vivantes et l'ensemble de la caté­chèse, passe du même coup au plan symbolique : « *La nuée qui dérobe Jésus aux regards des disciples étonnés n'est pas un phénomène météorologique, mais un symbole théologique. *» Kasper fournit un effort indescriptible pour prouver que l'Ascension n'a pas eu lieu. On sait comment s'en est tirée la deuxième édition de Pierres Vivantes après les modifica­tions réclamées par le cardinal Ratzinger : « *Il est écrit dans le livre des Actes* *: les Apôtres ont vu Jésus monter au ciel. Monter au ciel est une image...* » est devenu : « *Il est écrit dans le livre des Actes des Apôtres* *: Après avoir vu Jésus monter au ciel, les Apôtres retournèrent du Mont des Oliviers à Jérusalem.* » 50:299 Et pendant ? Comment cela s'est-il passé ? Les jeunes lecteurs ne le sauront pas. Il n'a pas été souscrit à la récla­mation de la congrégation pour la doctrine de la foi, de faire figurer le texte de saint Luc. \*\*\* Il n'est plus possible de parler de l'Ascension, parce que les nouveaux théologiens ont découvert que le ciel n'existait pas. Telle est la grande révélation des travaux de Kasper et de bien d'autres, telle semble être la nouvelle foi, ou la nou­velle non-foi des évêques qui président à la catéchèse. Pesons bien les mots suivants : « *L'élévation à la droite de Dieu n'est donc pas l'enlèvement dans un empyrée situé au-delà du mon­de, c'est le fait que Jésus est auprès de Dieu, qu'il est dans la dimension de Dieu, de sa Puissance et de sa Gloire. Elle n'in­dique donc pas un éloignement du monde, mais une nouvelle manière d'être auprès de nous ; Jésus est maintenant avec nous venant de Dieu et à la manière de Dieu : on peut dire sous une forme imagée qu'il est auprès de Dieu comme notre intercesseur. *» Résurrection, Exaltation, Ascension, Droite du Père, tout cela ne fait qu'une seule et même chose : « *La Résurrection est l'achèvement et l'accomplissement de la mort sur la Croix. Elle n'est donc pas un événement différent après la vie et après la Passion de Jésus, mais ce qui s'est passé de plus pro­fond dans sa mort... *» Détrompez-vous, tout a fini sur la lugubre colline du Golgotha, tout s'est passé pour le Christ comme cela se passe pour nous : dans l'univers des sym­boles. Pour une bonne raison : le ciel, que l'on se représente « *comme un espace vide dans lequel Jésus est reçu et où à la fin les saints entrent aussi en un cortège imposant *» fait partie des « *conceptions mythologiques *». « Le ciel est ainsi un phé­nomène eschatologique : on ne peut pas dire simplement qu'il *est*, mais il surgit au moment où la première créature fait son entrée eschatologique définitive auprès de Dieu. Le ciel commence donc au moment de la Résurrection et de l'Exaltation de Jésus... Ce ciel est là où, dans la foi et la charité ainsi que dans la patience et l'espérance, des hommes sont dans le Christ et s'engagent avec leur monde dans l'état définitif inauguré par le Christ. » 51:299 Vous pensez que vous irez au ciel un jour ? Mais vous y êtes ! Dans la mesure bien sûr où vous êtes dans le Christ. La vie éternelle, le salut ? Mais il n'en est plus question ! Le salut apporté par le Christ est pour tout de suite. On com­prendrait mal ce mot si on y voyait « *une spiritualisation ou même une consolation rapportée à un avenir indéterminé ou à un au-delà lointain... C'est maintenant déjà que le temps du salut se manifeste *». Kasper dit « *déjà *» mais c'est pure clause de style, l'ensemble de son exposé fait voir que pour lui c'est maintenant *seulement* que le temps du salut se manifeste. Dépêchez-vous d'en profiter ! Si vous êtes candi­dat au ciel, sachez que le ciel ne vous est fourni qu'en kit, c'est à vous de le faire, de vous le fabriquer. Le plan est dans la boîte, Kasper vous dit en quoi consiste le salut, à vous de le réaliser : « *Le salut est la joie en Dieu... Le temps de la venue du Royaume de Dieu est le temps de l'amour, qui demande que l'on s'accepte mutuellement sans conditions...* (un tel amour) *brise le cercle maudit de la violence... de la culpabilité et de la vengeance... il a pour objet la suppression des préjugés et des barrières sociales. *» Le salut signifie « *l'avènement d'une créa­tion nouvelle *» et qu'est-ce que cette création nouvelle ? Elle est « *définie par la vie, la liberté, la paix, la réconciliation et l'amour... Le monde retrouve l'ordre et le salut... c'est la transformation et l'humanisation du monde grâce à la violence de l'amour *». Pour tout dire : « *L'amour est la solution de l'énigme de l'histoire. *» Le ciel et l'enfer sont des images, dit le Parcours Séquen­ces. La théologie moderne se cantonne dans l'abstraction pure, elle ne nous convie à rien de réjouissant ; prétendant humaniser le christianisme, elle le remplace par les perspec­tives inhumaines du télescopage des symboles, en fait elle prive l'homme de toute perspective d'un au-delà. C'est main­tenant que tout se joue et que tout se conclut. 52:299 L'évangile se réduit à un secret pour mieux vivre ; il a pour objet de remplacer la loi d'airain par la loi de l'amour de façon que le monde tourne mieux. Kasper ne prend que la moitié du pari de Pascal qui est un pari sur l'infini tel que si l'homme doit être trompé dans son espérance escha­tologique, « dès cette vie même, le chrétien est meilleur et plus heureux que l'incrédule » ; mais l'autre moitié postule la vie éternelle, à laquelle le chrétien croit fermement et dont l'incrédule est invité à prendre le risque. \*\*\* Il y a plus grave encore dans la position de Kasper : si le salut se réduit à ce qu'il dit, c'est une opération manquée. En 2000 ans le « *cercle maudit de la violence *» n'a pas été brisé, le monde n'a pas retrouvé l'ordre, l'humanisation du monde grâce à la violence de l'amour n'a pas encore eu lieu et il suffit de suivre l'actualité pour comprendre que c'est mal parti. Ce qu'il nous propose est une « sotériologie » du désespoir. \*\*\* L'exécution de la notion d'âme est cohérente avec ce qui précède. On la constate dans la liturgie en français où le mot âme a été supprimé même aux endroits où le nouvel Ordo de Paul VI l'avait gardé en latin, et aussi dans la catéchèse. Les chrétiens de la nouvelle Église ont perdu leur âme, comment pourraient-ils prétendre à autre chose que la mort totale ? Kasper, qui enveloppe ses propositions dans « beaucoup d'hermétisme spéculatif et linguistique », est sur ce point particulièrement direct et brutal : « *L'anthropologie moderne s'est affranchie du dualisme grec et de la division cartésienne de l'homme en res cogitans* (âme) *et res extensa* (corps)*. Le corps et l'âme ne sont pas simplement deux gran­deurs existant Tune à côté de l'autre ou l'une dans l'autre, mais ils forment un tout INDIVISIBLE ; l'homme est entièrement corps et il est entièrement âme, et l'âme et le corps sont chacun l'homme tout entier. *» « *Une existence séparée du corps est donc pour l'homme dans le domaine de l'impossibi­lité. *» 53:299 C'est un obstacle infranchissable à la réalité physique de la Résurrection du Christ et c'en est un également pour celle de chacun d'entre nous dans l'attente du Juge­ment dernier. \*\*\* S'il est quelque chose qu'il faut *démystifier,* ce n'est pas, comme on s'y emploie aujourd'hui, la théologie classique, mais cette anthropologie et cette prétendue science qui ne sont pas des progrès de l'esprit humain mais un retour aux conceptions archaïques telles que les analyse par exemple Fustel de Coulanges. Le culte des morts des anciens Grecs et des anciens Romains s'y accorde tout à fait, qui faisait répandre sur les tombes de l'huile et du vin pour nourrir les ancêtres de la famille « entièrement corps et entièrement âmes ». Kasper invoque saint Pierre : le chrétien est tenu de rendre compte de son espérance. Il est tenu par suite de faire de la métaphysique, mais il n'est pas lié à celle d'Aris­tote reprise par saint Thomas. « *Un pluralisme de philoso­phies et de théologies n'est pas seulement légitime, il est aussi nécessaire. *» L'aventure théologique a son point de départ dans cette fascination du pluralisme, qui aboutit rapidement à mettre aux Puces Platon, Aristote et saint Thomas pour essayer de faire concorder la Révélation avec la phénoméno­logie, le rationalisme, la sémiotique ou le matérialisme dia­lectique. Kasper lui-même montre Schoonenberg interprétant la formule du concile de Chalcédoine, vrai Dieu et vrai Homme, à la lumière des catégories philosophiques « *actuel­les *». A l'époque c'était l'existentialisme, qui est bien passé de mode depuis. Mais la formule de Chalcédoine n'est pas sortie indemne des travaux de Schoonenberg. Les guillemets entre lesquels Pierres Vivantes avait placé le terme de péché originel existent déjà dans Kasper. Il considère cette expression comme « *équivoque et malheu­reuse *», et explique la réalité qu'elle couvre d'une façon radicalement étrangère à l'enseignement de l'Église. L'homme est « *un phénomène profondément ambigu *», il ressent des tensions dans sa condition corporelle et constate « *sa situa­tion de perte du salut *». « *Cette situation d'éloignement de Dieu et d'aliénation personnelle qui en résulte est appelée par l'Écriture le péché. *» Ce n'est pas un péché individuel mais une participation au péché. 54:299 Il en a bien conscience, il fait journellement l'expérience du déchirement et du conflit que la réalité porte en elle-même. Tension inévitable « *entre l'es­pérance du salut toujours présente et la situation de fait oppo­sée au salut *». Il fallait expliquer cette injustice qu'on trouve dans le monde, en innocenter Dieu qui pourrait être regardé comme auteur de l'injustice et donc comme un démon. « *La tradition a clairement reconnu ce danger et... elle a fondé la situation de péché* (péché héréditaire) *sur un acte historique libre* (péché originel)*, dans lequel nous sommes solidairement engagés. *» C'est le problème du mal. La tradition, estime Kasper, a réussi à surmonter assez bien la difficulté d'une manière satisfaisante pour l'intelligence et « *la doctrine clas­sique du péché originel, non dans son expression douteuse, mais en sa substance, est une des plus grandes réalisations de l'histoire de la théologie et une des contributions les plus importantes du christianisme à l'histoire spirituelle de l'humanité *». A la portée des enfants, Pierre Vivantes I exprimait la même idée : « Plus tard, à la cour de Salomon, des sages et des savants réfléchissent : pourquoi l'homme fait-il le mal ? Ils écrivent un récit imagé pour montrer que depuis toujours l'homme a envie de briser l'Alliance avec Dieu. » Le récit imagé est celui de Gen. III, la chute d'Adam, repris par la tradition. On croyait jusqu'ici que cet « acte historique libre » s'était réellement passé, la théologie en la personne de Kasper le revendique comme une de ses plus brillantes fabrications. En définitive, si l'on comprend bien, *rien ne s'est passé réellement,* ni le péché originel, ni les bergers et les mages, ni les miracles, ni la Résurrection, ni l'Ascension ; rien n'existe en vrai, ni la divinité du Christ, ni l'âme, ni la vie éternelle. C'est une religion en trompe-l'œil, « l'homme y passe à travers des forêts de symboles ». Dans le désert laissé par la critique historique, au loin, très loin, la silhouette d'un prédicateur itinérant, le dessin d'une croix parmi des milliers d'autres croix et on se demande comment celle-ci a résisté au temps. L'Écriture prend place dans l'his­toire des idées. 55:299 Il existe toute une vie intellectuelle propre à la clérica­ture, une intelligentsia, elle règle les façons de penser, mal­heur à qui refuse de s'y plier. C'est ce squelette de christia­nisme qu'elle impose aujourd'hui, d'une façon d'autant plus pernicieuse qu'elle ne met en doute aucun article du Credo mais qu'elle enseigne à comprendre chaque mot dans une signification différente. « Rahner parlait de l'auto-transcen­dance de chaque formule : elle doit être toujours à nouveau repensée non parce qu'elle est fausse mais au contraire parce qu'elle est vraie ; elle demeure vivante ; précisément dans la mesure où elle est expliquée. C'est ainsi qu'apparurent alors de nouvelles interprétations importantes du dogme de Chal­cédoine. » *Resurrexit tertia die* veut dire qu'il n'est pas res­suscité et que ce ne fut pas le troisième jour. *Exspecto vitam venturi sœculi* signifie l'an 2000, ou l'an 3000, le temps qui connaîtra la suppression des préjugés et des barrières sociales. C'est le terrorisme né dans les chaires de théologie qui a fait interdire dans les diocèses de France tous les catéchismes antérieurs à Pierres Vivantes et disparaître le missel vespéral où le chrétien trouvait réponse à toutes ses questions dans une liturgie qui ne lui cachait rien des vérités révélées, et lui faisait même prier le Seigneur de « maintenir dans sa sainte religion le Souverain Pontife et tous les ordres de la hiérar­chie ecclésiastique ». Marc Dem. 56:299 ### Le modèle inimitable par Thomas Molnar LA CAMPAGNE anti-américaine permanente des intellectuels français (et du monde entier) devrait être équilibrée par le bilan positif des États-Unis en ce qui concerne la politique intérieure, surtout sociale, que mène Washington depuis pas mal d'années. Rétablir ce bilan est d'autant plus important qu'en ma­tière de politique étrangère les critiques ont, pour la plupart, rai­son, bien que dans ce domaine aussi autrement qu'ils ne pensent. Grosso modo, il est vrai que l'Amérique n'a pas de politique étrangère, du fait que l'idéologie qui s'étend de la fondation de la République jusqu'à aujourd'hui (et demain) exige que la politique à l'égard des autres nations soit fondée sur l'utopisme, le pacifisme, et l'esprit missionnaire. Bref, Washington est incapable de com­prendre (et à mon avis restera toujours incapable) que les autres pays, régions et conceptions ne suivent pas le modèle américain et n'ont pas la même vision du monde que Washington, quelle que soit la personne du président ou la composition du Sénat. Voilà un des faits qui marque ce siècle et qui sera encore cause, dans l'avenir, d'innombrables catastrophes à l'échelle planétaire : l'illu­sion des alliés de l'Amérique que celle-ci viendra à leur secours contre l'ennemi commun. 57:299 Pour les États-Unis, il n'y a d'alliés que démocrates, et surtout il n'y a pas d'ennemi (y compris le com­munisme), seulement de futurs partenaires commerciaux qu'il faut justement *éduquer* dans la compréhension de l'intérêt planétaire unique : la démocratie, le capitalisme, les droits de l'homme. La « politique étrangère » de Washington ne dépassera point cet horizon somme toute a-politique. \*\*\* Cela dit, c'est-à-dire l'incompréhension foncière des États-Unis à l'égard du monde extérieur, on ne peut qu'admirer la manière dont ils règlent les problèmes gigantesques qui se posent à la ges­tion de la société américaine. Là-dessus, la critique hostile de l'ex­térieur se révèle d'une pauvreté et d'une malveillance incroyables. L'objectif de cet article est de rétablir la vérité sur cette question, contre l'ignorance qui l'entoure. Autrement dit, je cherche à illus­trer les réalisations extraordinaires qui ont eu lieu dans le cadre de la société américaine -- non sans souligner, une dernière fois, que ces réalisations admirables n'ont absolument rien à faire avec les immenses échecs sur le plan de la politique étrangère. Les gestion­naires américains, quels qu'ils soient, sont naturellement maîtres des méthodes et des techniques applicables pour la solution de tel problème sur le plan intérieur ; cette maîtrise cède aux illusions idéologiques dès qu'il s'agit de problèmes posés par Hitler, Staline, Khomeyni, Pinochet, Pretoria, Bonn, Athènes ou Buenos Aires. L'Amérique est l'objet de critiques acerbes surtout en ce qui concerne le problème racial, les Noirs notamment. Je puis dire que j'ai été, comme tout un chacun pouvait l'être sur le sol améri­cain, témoin de la solution que les lois, l'opinion publique, enfin les mœurs apportèrent à l'énorme problème d'intégrer cette mino­rité ethnique (appr. 14 % de la population) dans le corps de la société. Je dis bien « société » et point « nation », car si les États-Unis étaient une nation comme les Japonais ou les Français, cette intégration aurait été impossible. Mais une société, conçue à jamais comme un noyau, même vaste, auquel d'autres se joindront jus­qu'à ce que la planète devienne américaine, a le devoir naturel d'accueillir tous les allogènes ; sans distinction. Tandis qu'une na­tion conçoit un seuil de tolérance et d'absorption, au-delà duquel elle refoule les allogènes, et les non-assimilables. Je dis, par consé­quent, que l'Amérique *se devait* de résoudre le problème noir, car aucun argument contraire ne *pouvait* être valable, vu la conception initiale de l'entreprise qui porte le nom « États-Unis ». 58:299 Cela dit, la technique de la pure « social engineering » que ce problème comportait doit être proposée à l'admiration de l'huma­nité entière -- humanité qui ne serait point capable de refaire et d'imiter ce processus. Ni les Français, en ce qui concerne l'immi­gration nord-africaine, ni l'Afrique du Sud avec les peuples de couleur sur son territoire. D'autres exemples pourraient être cités. Essayons d'analyser par étapes le processus de l'intégration des Noirs : 1\) Guerre faite côte à côte, Blancs et Noirs, sur tous les conti­nents entre 1941 et 1945, ensuite en Corée (1950-54). Le sentiment se répand que les Noirs parmi lesquels les anciens combattants ont dès 1945 le droit de poursuivre des études supérieures gratuites, ensemble avec les Blancs, méritent également un traitement général meilleur, et avant tout du travail normalement rémunéré. 2\) En 1954, la Cour Suprême déclare anti-constitutionnelle la séparation des écoles, et invite les autorités scolaires à intégrer les salles de classe. Résistance des Blancs dans le Sud, cas de violence spectaculaires, des troupes envoyées par le président Eisenhower pour imposer la loi. D'une manière générale, le principe de l'éga­lité scolaire étant acquis, la loi sera obéie -- sauf exception jus­qu'à encore une vingtaine d'années. 3\) Défi de quelques Noirs (du Sud) de la loi non-écrite qui les relègue à l'arrière des transports publics. Des cas de violence spo­radiques, mais l'opinion et les tribunaux sont mobilisés. L'égalité s'impose dans les autobus, les trains. Les compagnies aériennes, dont l'ère commence, ont dès lors la tâche facile de laisser tomber la discrimination éventuelle. 4\) En 1963, le premier grand « défilé » des Noirs à Washing­ton, défilé organisé, entre autres, par le pasteur Martin Luther King et ses jeunes acolytes, dont les politiciens futurs Andrew Young et Jesse Jackson. A peu près à cette époque, la première « église musulmane » organisée et prêchée par le noir Malcom X et d'autres, ayant deux objectifs tacites : rétablir, à l'aide de l'Is­lam spécialement interprété et accentué, la domination mâle, dans une société américaine où sévit la culte de la Mère -- et se démarquer des Blancs et de leur religion chrétienne. Les *Black Muslims* sont aujourd'hui une puissance non négligeable. 59:299 5\) Les organisations, ouvertes et secrètes, commencent à pullu­ler parmi les Noirs qui arborent, tous, le slogan « Black is beauti­ful », les couleurs « nationales africaines » rouge, noir, vert, les emblèmes où les États-Unis, petit format, sont surplombés d'une Afrique géante, etc. En même temps, des Noirs sudistes entre­prennent des pourparlers avec les dirigeants du parti républicain en vue de l'implantation de ce parti parmi la population noire qui vote, depuis la guerre civile, démocrate, parti officiellement connu pour son esprit favorable à l'émancipation des opprimés. 6\) Présidence de Kennedy et de Johnson facilitant le vote noir que les conditions locales réussirent traditionnellement a bloquer. Les Noirs en tant que groupe électoral politiquement conscient, se manifestent toujours davantage. 7\) Assassinat de Martin Luther King (1968) déclenchant la fureur des Noirs et la peur des Blancs. Certains quartiers de Was­hington, de Los Angeles, de Détroit sont incendiés, l'exode des Blancs vers les banlieues commence, le centre-ville devient foyer d'inquiétude et de mini-terrorisme. Les étudiants blancs radicaux, déjà actifs pour le droit de vote des Noirs, font cause commune avec ceux-ci. Suivent quatre années d'un « mai 68 » continu et généralisé, surtout dans les campus des universités. La cause anti-Vietnam rejoint la cause pro-Noir. A partir du début des années 70, les législations en faveur des Noirs ne s'arrêtent plus. Le système des quotas, l'*affirmative action* (avantage conféré aux Noirs à tous les postes), le *busing* (transfert des écoliers vers les écoles racialement mixtes), sont les étapes principales de l'intégration qui ne tolère plus de failles, de retards, de prétextes. Aujourd'hui, il ne se trouve point d'obstacles à la promotion de jure et de facto des Noirs que l'on découvre à tous les postes, du haut en bas de l'échelle sociale, économique, politi­que et culturelle. Et à la suite des Noirs, calqué sur le leur, le schéma de la promotion des autres ethnies : Japonais, Chinois, -- Arabe, Mexicain, Cubain, Portoricain, récemment Hindou. Ne posons pas maintenant la question de savoir si ce creuset servira ou non l'unité du peuple américain ; répétons qu'il n'y avait pas d'autre solution, vu la conception américaine de sa propre raison d'être en tant qu'État. \*\*\* 60:299 Tout au long de cette description j'ai pu donner l'impression que la promotion des Noirs s'était réalisée contre le gré de l'Amé­rique blanche, et que les autorités et la législation ne faisaient que suivre les initiatives, pacifiques ou violentes, des Noirs. En vérité, il y avait évolution parallèle, « dialectique » si l'on veut. La sagesse sociale de l'Amérique se manifesta clairement : initiatives prudentes devant un problème collectif dépassant un certain seuil ; sensibilisation de l'opinion ; réaction point défavorable à une « in­surrection » adéquatement canalisée par ses chefs et ne dépassant pas le degré de violence « raisonnable » ; l'attitude somme toute antiviolence de ces mêmes chefs, se croyant dès lors autorisés à formuler leurs revendications devant les institutions concernées ; dialogue où ces chefs haussent le ton mais à l'intérieur du cadre démocratique ; législation ; passage des lois dans les mœurs, de sorte que des deux côtés de l'ancienne barricade les interlocuteurs puissent s'estimer satisfaits. Après quoi, le processus, mutatis mu­tandis, recommence ailleurs, mais toujours respectant les règles du jeu. Cela ne veut pas dire que tout est pour le mieux dans le meil­leur des mondes. Dans l'empire bousculé les cas augmentent d'une opposition idéologique intraitable. Mais, chose curieuse, ces cas (Vietnam, Nicaragua) appartiennent déjà à la politique étrangère, où tout ou presque tout est permis car personne ou presque per­sonne n'y comprend, au fond, rien. Aussi les règles du jeu ne s'y appliquent pas, on en invente chaque jour de nouvelles, toujours les mêmes, lancées sur les rails de l'idéologie aveugle. Cependant, comme l'intégration des Noirs l'illustre, l'idéologie cède le pas -- *strictement* sur le plan intérieur -- à l'esprit pratique, pragmatique, que vient guider le fair play anglo-saxon. La combinaison des deux donne des résultats remarquables, et d'abord la cooptation gra­duelle des minorités, irlandaise, israélite, ou noire. C'est précisé­ment cette cooptation toujours réussie qui fait croire à l'Amérique qu'elle réussira à coopter la planète. Voilà le revers de la vertu, l'illusion qui accompagne la réalité. Thomas Molnar. 61:299 ### Attitudes par Georges Laffly DANS UN DE CES WAGONS d'ancien modèle où deux banquettes se font face, cinq voyageurs sont réunis. Le train approche de Toulon, il fait assez chaud, c'est le temps des vacances. A un moment, une jeune Hol­landaise se défait de ses sandales et s'assoit en repliant ses jambes sous elle, dans la position dite : en tailleur. Dans son mouvement, elle a fait avancer un peu la banquette réglable. Un vieil Arabe qui est en face d'elle remet pater­nellement la banquette en place. C'est la rencontre qui m'intéresse. Cette manière de s'as­seoir aurait paru tout à fait inconvenante à la grand-mère de cette Hollandaise d'une vingtaine d'années. L'idée ne lui en aurait même pas traversé l'esprit, et d'ailleurs comment s'établir ainsi quand on porte une robe ? De toute façon, c'est une posture professionnelle (tailleur), ou exotique : on dit aussi s'asseoir à la turque. Elle est très commune de l'autre côté de la Méditerranée, et le vis-à-vis si serviable de la jeune fille, qui vient visiblement du Maghreb, a dû certai­nement la connaître dans sa jeunesse. 62:299 Mais tout dans l'atti­tude et le vêtement de cet homme à cheveux gris montrait qu'il aurait tout autant répugné à le faire que la grand-mère hollandaise. Il est occidentalisé par un long séjour, et tient à ne pas se distinguer. Il a oublié ces trains qui, de Tunis à Casablanca, portaient de graves barbus assis en tailleur sur la banquette, les babouches à terre. Ou il ne veut plus y penser. La jeune fille de son côté n'imagine certainement pas qu'elle cède à l'Orient. \*\*\* Les attitudes, les gestes liés à une civilisation, à une aire géographique, voyagent comme les graines, comme les insec­tes. Ce trafic n'a jamais été aussi actif. Les guerres, le tou­risme, les migrations de travail, les modes l'ont intensifié. La Hollandaise tenait peut-être son goût de s'asseoir en tailleur de la pratique d'une gymnastique, ou d'un yoga. Notre société offre le minimum de résistance à ces contagions. On s'y plaît au contraire à rejeter les habitudes héritées et à imi­ter ce qui vient de loin, qui est toujours prestigieux. Le rejet est récent. Il est compris comme une liberté, une manière d'affirmer son originalité et de se montrer supérieur à ceux qui suivent la coutume. Naturellement, il s'accompagne du goût pour l'exotisme dans les idées, le langage (ne chanter qu'en anglais), la religion même (le bouddhisme, l'Islam paraissent bien préférables à un christianisme dont on ignore le b a BA). J'oubliais les films, au nombre des facteurs qui modifient les attitudes et les façons de faire. Le cinéma ayant pour mine principale Hollywood, c'est pour une bonne part les manières américaines qui ont été diffusées à travers le monde et ont servi de modèle dans la vie courante, jusque dans le détail. On imite un tic, une manière de tenir la cigarette. Dans le monde entier, on a cru en copiant des « stars » célèbres acquérir non seulement un peu de leur charme, de leur élégance, mais un droit d'entrée dans la société américaine, participer à la richesse, à la puissance, au bonheur d'être yanqui. 63:299 Cela ressemble assez au « culte du cargo » qui s'est développé depuis cinquante ans en Mélanésie. Les Mélanésiens voient arriver dans les ports, ou sur les terrains d'aviation, des richesses fabuleuses (autos, canettes de bière, machines à coudre, conserves, frigidaires). Il est clair pour eux que ce sont là des cadeaux des dieux, destinés aux Mélanésiens que les Blancs pervers détournent au passage. Pour que ces cadeaux arrivent à leur vraie destination, les adeptes édifient des semblants de terrains d'aviation, aména­gent des quais, et se livrent à d'autres préparatifs. Comme l'arrivée des richesses marque le retour promis de l'âge d'or, ils se hâtent de brûler leurs huttes et leurs récoltes, de manière à se trouver neufs, purs, à l'aube de cette ère nou­velle. Le mécanisme réel de la production et du transport de tous ces « cadeaux » leur est évidemment inconcevable, et leur paraît une absurde tromperie, quand on le leur expli­que. Pour posséder tous ces biens, il suffit d'avoir la faveur des dieux, et d'imiter les gestes des Blancs à l'arrivée. De la même façon, tenir son mégot comme Humphrey Bogart, marcher comme Marylin Monroë, paraît une introduction suffisante au mode de vie américain pour qu'un mécanisme mystérieux vous en confère aussi les avantages (dollar) et le prestige. Mais il est plus facile de mâcher du chewing-gum ou de porter le Jeans que de construire la navette spatiale. L'illusion ne mène pas loin. Elle bénéficie cependant aux marchands américains qui distribuent dans le monde les éléments de la panoplie. Par les films, comme hier par la colonisation, les atti­tudes occidentales se sont répandues dans le monde entier. Les armées, particulièrement, gardent le souvenir de ceux qui les ont formées à l'origine : du Nigeria au Soudan, la raideur british persiste, le Chili se souvient d'avoir eu des instructeurs prussiens, etc. \*\*\* Les contaminations en sens contraire, à commencer par le fait de s'asseoir à la turque, sont en plein essor. L'attrait du Tiers-Monde grandit. Sa nourriture, ses costumes sont partout. 64:299 Les gestes suivent. D'une part l'Europe ne se sent plus modèle du tout, elle cuve sa honte (la honte qu'on lui a inculquée). D'autre part, l'Amérique, de plus en plus bigarrée, voit ressortir par plaques des souvenirs qu'elle croyait avoir absorbés. La sauce (le melting-pot) n'est pas du tout liée, comme on croyait, des grumeaux surnagent, de plus en plus nombreux. Il faut quand même beaucoup compter avec le souci de rompre avec le passé : ne pas faire comme les parents, inventer (croit-on) est un mobile qui favorise grandement la diffusion d'attitudes venues de loin. C'est l'indice d'un chan­gement historique important : une cohésion, marquée jusque dans le corps physique, se défait, un vide apparaît, qu'il faut bien combler. Pendant la guerre de 14 encore, ces différences d'atti­tudes étaient très nettement marquées. Marcel Mauss en était frappé. Les Anglais avaient un pas si différent de celui de nos soldats qu'ils ne purent s'adapter à une musique régimentaire de notre armée, qu'ils avaient pourtant récla­mée. Et lorsqu'une division anglaise relevait des troupes françaises, il fallait qu'elle apporte ses huit mille bêches (pour les tranchées), parce que la façon de bêcher n'est pas la même pour les deux peuples, et les outils différents. Nous avons sans doute standardisé tout cela depuis, transformant des gestes millénaires. Marcel Mauss observait tout cela en ethnographe. Il admirait la manière qu'avaient les Néo-Zélandais, qui l'avaient empruntée aux Maoris de leurs îles, de se reposer en s'ap­puyant sur les talons. Il la trouvait efficace et voulait qu'on l'adoptât. Il serait surpris de voir combien ce type d'em­prunts se pratique avec facilité. Au moment où il écrivait, la stabilité des habitudes faisait qu'à telle attitude, tel geste, on pouvait fixer une origine, déterminer une appartenance. Sans être ethnographe, un romancier *algérien* de l'entre-deux-guerres, Ferdinand Duchêne (les Européens d'Algérie se désignaient alors comme *Algériens,* par opposition à l'au­tre population, dite Arabe ou Kabyle, et aux Français « mé­tropolitains ») dressait dans un de ses romans une liste des différences entre Arabes et Européens : 65:299 -- « Nous écrivons de gauche à droite. Eux de droite à gauche. -- « Le côté montoir de notre selle est le côté gauche. Le leur est le côté droit. -- « Les sillons de nos charrues s'efforcent vers un pa­rallélisme rigide. Les leurs s'embrouillent volontairement en arabesques. -- « Nous labourons et ensuite nous jetons le grain. Eux sèment d'abord, puis ils labourent. -- « Nous hélons notre voisin : « Hôôô ! Dupont ! » Ils crient au leur : « Mohammed ! Aâââh ! » -- « Nos femmes, à notre côté, sont notre ornement. Les leurs camouflées sous le haïk, suivent le bourricot. -- « La plus modeste maison européenne se révèle par une façade. Un palais mauresque se dissimule derrière une muraille en ruine. -- « Nous nous découvrons à la porte d'une église. Au seuil d'une mosquée, ils se déchaussent. -- « L'Européen qui a déjeuné chez Lucullus se met en quête de termes choisis pour remercier et complimenter. -- Le Musulman, lui, après un couscous, remercie et com­plimente en... éructant. Il ne déclare pas qu'il est gavé, il le montre. « Par contre, et ici la divergence particulière s'accentue encore, le plus vague soupçon « d'ennui à l'envers » le dis­qualifierait à l'égal d'un criminel. » (*Mouna, cachir et cous­cous*, éd. A. Michel.) Le langage *élégant* de Duchêne est-il bien clair ? Il dit qu'il est convenable, chez les Musulmans, de roter à la fin d'un repas, tandis qu'un pet est impardonnable, même pour les couches les plus grossières de la population. On retrouve, du Maroc à l'Inde, le conte du malheureux à qui cela est arrivé. Honteux, il s'exile. Il revient vingt ans plus tard pour mourir au pays et trouve son village en ruine. Il interroge un berger : -- Quand est-ce arrivé ? Et l'autre répond -- Le tremblement de terre ? L'année du pet. 66:299 Duchêne écrivait cela il y a un demi-siècle. Vers 1950, rien n'avait changé, ni pour les femmes, ni pour l'agricul­ture. Aujourd'hui il est bien probable que les tracteurs, les charrues à vingt-quatre socs, etc. ont fait oublier les prati­ques anciennes. La technique est partout un grand uniformi­sateur. Quant au reste, je ne sais évidemment pas comment vont les choses en Algérie. Mais Paris n'est pas un mauvais observatoire pour les choses de l'Islam. On y rencontre fré­quemment des femmes voilées, avec leur robe hautement boutonnée. Mais j'y ai croisé récemment un couple arabe. Elle tatouée au front, lui portant le fez, donc peu soucieux tous deux-de simuler l'occidentalisation. Or, l'homme don­nait le bras à sa femme. C'était inimaginable du temps de Duchêne. Plus surprenant encore, un couple de jeunes Ara­bes sur un banc de métro, la fille sur les genoux du garçon, tous deux s'embrassant à bouche que veux-tu. Ils parlaient arabe, quand ils en venaient à parler, mais leur attitude était celle des Parisiens de leur âge. Le complément de cette hybridation, il suffit d'entrer dans une salle de yoga ou de karaté pour le voir, ou de croiser un groupe de ces malheureux krishna, le crâne rose bien rasé, avec leurs bonnes bouilles banlieusardes et leur robe safran. \*\*\* Je vais revenir à ma Hollandaise, un peu perdue de vue. Elle aurait répondu, interrogée, qu'elle avait le sens du confort, et se sentait mieux ainsi. Ce goût du relâchement des attitudes est en effet fréquent et, avec l'insouciance des interdits anciens, aura des conséquences pratiques. Si l'habi­tude est prise de s'asseoir en tailleur, la S.N.C.F. devrait prévoir de nouveaux sièges : ce n'est plus la largeur du séant qui compte, mais l'écartement des genoux, il faudrait donc élargir les banquettes, et les wagons. Tous ces jeunes gens ont des jambes immenses, qu'ils ne savent où caser, jusqu'au moment où ils les étalent sur la banquette opposée. Ils s'allongent d'ailleurs partout, avec un grand naturel, dans les couloirs des trains, sur les trottoirs, les places. Les bancs des jardins deviennent couchettes. Ils vivent au ras du sol. Ils ne savent même pas que c'est une grande nouveauté -- ou du moins qu'il faut remonter bien des siècles en arrière pour trouver cela. 67:299 Hier, un monde raide, vertical, boutonné. Nous l'avons considérablement amolli, mais nous sommes étonnés de ce nouveau monde débraillé, allongé, vautré. Nos meubles ne lui conviennent plus. Il faut des coussins, des tables basses, des tapis. Les hautes armoires paysannes, qui ne peuvent plus entrer dans nos appartements, ils n'en ont que faire. Ils regardent du côté arabe ou japonais. C'est là qu'ils trouve­ront le décor qu'ils désirent au ras du sol. Georges Laffly. 68:299 ### L'Afrique du Sud *vérités méconnues* par Michel de Saint Pierre L'AFRIQUE DU SUD est un pays fascinant, splendide et varié... Cette république est nettement plus étendue que la France. Sans suivre les géographes ni les géologues dans leurs descriptions, on peut y distinguer trois types de régions : une bande côtière bordée par de hautes montagnes ; une suite de pla­teaux s'élevant du sud au nord par des pentes douces -- ou bien, à travers des barrières abruptes -- pour redescendre ensuite jus­qu'à la Rhodésie qu'on appelle à présent le Zimbabwe. Enfin, à l'ouest, un désert qui isole de l'Atlantique les territoires plus favorisés. La pointe du continent, région du Cap, c'est un monde à part. Un monde incomparable, où il fait bon vivre. Les pluies tombent régulièrement en hiver, amenées par la mousson, du mois de juin au mois d'août, puisque l'hiver s'y trouve en cette période de l'année. Horizons immenses, paysages royaux, surplombés par la célèbre montagne de la Table qui domine la baie du Cap. 69:299 La côte ouest est rude et rocheuse -- mais la côte est évoque la Méditerranée : longues plages sablonneuses et dorées, océan bleu (parfois troublé par de terribles tempêtes). Quant à la végéta­tion, elle y est faite d'eucalyptus, de pins parasols, de mimosas et de magnolias. C'est presque la Côte d'Azur. Quelques-unes des baies du sud-africain sont parmi les plus belles du monde. Les ports y restent peu nombreux, cependant port Elizabeth, East London, Durban. (Au nord de Durban, tou­jours en suivant la côte, on trouve le Lourenço Marquez du Mo­zambique, qui fut un pays prospère au temps de Salazar, et que je connais bien.) Une partie de la route qui longe la côte telle que je viens de la décrire, s'appelle la « route du jardin » : elle traverse des parterres de fleurs sauvages, et c'est alors le Natal, véritable oasis. La chaîne fameuse du Drakensberg, dont les sommets dépas­sent 3.500 mètres, sépare le Natal de l'intérieur. La beauté de cette chaîne est indescriptible ; elle descend vers le littoral en terrasses étagées et dans la limpidité de l'air sud-africain, ses pointes sont comme les sentinelles d'un espace bleu et doré. Je connaissais déjà, par l'Angola et le Mozambique, les vastes horizons de l'Afri­que Noire. Ici, nous avons la terre africaine, plus les montagnes, et je n'hésite pas à dire qu'un tel ensemble fait de toute cette région l'un des plus beaux pays du monde. Mais c'est sur le *Veld* qu'il faut historiquement chercher l'Afri­que du Sud légendaire, « celle des *Trekkers,* des diamants et de l'or, des Zoulous et du prince impérial massacré -- *et celle de la guerre des Boers *» (Lacour-Gayet). Qu'est-ce que le *Veld ?* C'est en quelque sorte la prairie sud-africaine. Les techniciens la définissent : un sol dont la végétation naturelle est plus ou moins propice aux pâturages. De toute évidence, il ne s'agit ici ni de forêts, ni de terres cultivées. Il n'en est pas moins vrai que le nom de *Veld* s'applique à des paysages extrêmement variés. Au nord du Cap, nous avons vu des steppes rougeâtres d'une région que l'on nom­me Karoo, avec cactus et acacias autour des points d'eau. Et le *Veld* s'étend à travers l'Orange et le Transvaal, sur près de 1.000 kilomètres. L'altitude de ses plateaux varie, depuis le bas-Veld aux terrains buissonneux, qui se trouve environ à 1.000 mètres au-dessus du niveau de la mer, jusqu'au haut-Veld qui, du sud-ouest vers le nord-est, approche les 2.000 mètres. Dans ce haut-Veld, on décou­vre une savane à l'herbe drue, avec des arbres poussant autour des rivières -- et j'en reviens à cet air pur, aussi pur que le ciel de la Grèce, qui magnifie des étendues blondes, roses et bleues, jus­qu'à l'horizon violet des montagnes. 70:299 A l'ouest, c'est le Kalahari, comprenant huit cent mille kilomè­tres carrés de sable roux où le vent compose de grandes dunes. Il s'agit là de l'un des plus redoutables déserts de notre planète. N'oublions pas, d'ailleurs, que la sécheresse est la plaie de l'Afrique du Sud. Si les pluies sont abondantes au Natal et dans toute la presqu'île du Cap, que dire des plateaux de l'intérieur ? Lacour-Gayet ([^2]) a pu définir ainsi la République sud-africaine : « Terre pour les deux tiers aride, que n'irriguent guère les fleuves, dont deux seulement sont navigables. » Cette terre-là, cependant, est aussi riche -- je veux le répéter -- de magnifiques paysages que de ressources naturelles dont nous reparlerons : ses deux plus grands pôles sont la ville des diamants Kimberley -- et Johannesburg, la ville de l'or. #### *Un peu d'histoire* Il faut, si vous le voulez bien, faire ici un peu d'histoire. Vous savez sans doute que c'est Vasco de Gama, en route pour les Indes, qui double pour la première fois le Cap de Bonne-Espérance à la fin du XV^e^ siècle. Mais le Cap n'est alors qu'une simple étape vers d'autres pays et d'autres cieux. Et ce seront les Hollandais qui fonderont la colonie du Cap, point de départ de l'épopée des *Afrikaners...* En 1581, la Hollande a proclamé son indépendance -- et en 1602, date essentielle, *la Compagnie néerlandaise des Indes Orien­tales* est créée. Par la suite, les Hollandais s'expatrient et colonisent. Leurs vaisseaux font merveille : en vingt ans, l'Inde Occidentale, Ceylan, Malacca, Java, Sumatra deviennent possessions des Pays-Bas... En 1648, un commandant de bord hollandais, à la suite d'un naufrage, séjourna, avec son équipage, dans la Baie de la Table -- et son rapport devait plus tard entraîner la décision hollandaise. A telle enseigne que les Dix-Sept décidèrent de s'établir au Cap, de saisir cette clé de la route des Indes. Les Dix-Sept, qu'est-ce à dire ? Eh bien, c'est ainsi que l'on appelait l'organisme directeur de la Compagnie des Indes Orientales, cette étrange société à but résolument commercial, et qui agit pourtant, dans les Pays-Bas de cette époque, comme une puissance politique. 71:299 Jan Van Riebeeck, ce « sage aventurier » âgé d'une trentaine d'années, et qui a déjà beaucoup voyagé, décide de s'embarquer sur un navire de 200 tonneaux, emmenant avec lui « sa fortune, sa femme, son fils et deux nièces ». Il emmène aussi deux plus petits navires dans son sillage : au total 200 hommes d'équipage, dont une centaine sont destinés à demeurer en Afrique. Il jette l'ancre le 6 avril 1652, dans la Baie de la Table que j'évoquais plus haut. Il est l'agent de la Compagnie, dont le but reste encore assez modeste, puisqu'il s'agit uniquement de s'emparer d'une escale importante, en prospectant un peu l'arrière-pays. On s'installe, on édifie un fort, on bâtit des maisons -- puis on cherche du bétail. Or, en cette deuxième moitié du XVII^e^ siècle, il n'y avait guère, dans toute cette région du Cap, que des Bos­chimans et des Hottentots, d'ailleurs très clairsemés : les Hotten­tots ayant tendance à éliminer les Boschimans, plus frustes, beau­coup moins évolués. On ne trouvait alors aucun Noir dans cette partie de l'Afrique du Sud. Les choses commencèrent le plus régulièrement du monde premier contact avec les Hottentots, opérations d'échanges, du bétail et encore du bétail, contre du tabac, des fils de laiton, du cuivre, de l'alcool -- sans oublier l'inévitable verroterie toujours chère aux peuplades primitives. Mais les choses se gâtèrent vite, les Hottentots devinrent agres­sifs, et d'autre part les Hollandais cédèrent plus d'une fois à la tentation d'user de leur force, puisqu'ils avaient des fusils. Peu à peu, les Hottentots furent ainsi dispersés ou réduits à l'état de dépendance. On ne peut pas dire, pourtant, que les terres leur aient été volées, puisqu'il s'agissait de peuplades nomades qui se contentaient de tondre les régions où elles campaient, puis de quit­ter une terre épuisée pour une autre terre. A noter que ni les Hot­tentots, ni les Boschimans ne cultivaient le sol. Bientôt, un problème de main-d'œuvre se posa. Van Riebeeck se désespérait, affirmant qu'il était « impossible, quoi qu'on leur donnât, de persuader les indigènes de travailler ». Aussi bien, l'habitude se prit d'importer des Noirs de l'Afrique Orientale et de Madagascar, sans parler des Malais de Java et de Sumatra : d'où l'inévitable mélange de races, qui fut le point de départ de cette catégorie mal définie de métis que les Afrikaners appellent de nos jours les *Coloured --* c'est-à-dire, les gens de couleur. Entre temps, la révocation de l'Édit de Nantes avait amené des centaines de milliers de protestants à s'expatrier. D'assez nombreux Français, parmi eux, émigrèrent ainsi vers les Pays-Bas réformés. Or, inquiète du nombre croissant de Fran­çais qui arrivaient en Hollande, la Compagnie des Indes encoura­gea ces derniers à venir au Cap. 72:299 On offrait aux réfugiés de les transporter gratuitement et de mettre à leur disposition des exploi­tations agricoles libres de tous frais, les instruments de travail étant fournis. En contrepartie, un engagement de cinq ans. Envi­ron deux cents Français tentèrent ainsi l'aventure. Et c'étaient là des gens de fer, qui allaient prouver leur entêtement, leur courage, leur valeur. Arrivés au Cap, ils ne furent pas très bien accueillis, mais on les conduisit là où ils devaient vivre : dans un site magnifique, entouré de hautes montagnes, au sein de la vallée du Berg -- à 80 kilomètres du Cap -- dans cet endroit que j'ai appris à connaître et à aimer, entre Drakenstein et Stellenbosh. Les protestants fran­çais y fondèrent une ville qu'on appelle aujourd'hui encore Frans­chhoek (le coin des Français) où d'ailleurs un harmonieux monu­ment commémore leur venue, dans une débauche de fleurs. Ces Français envahissants furent, par ordre de la Compagnie des Indes, dans l'impossibilité de parler leur langue, car on les éparpilla volontairement parmi les Hollandais et les Allemands. D'autre part, leurs enfants ne pouvaient parler que le hollandais à l'école : si bien qu'au bout de deux générations, le français était pratiquement perdu -- mais les noms leur restaient, qui n'ont d'ailleurs jamais disparu et que j'ai retrouvés avec joie dans cette attachante région : Du Plessis, du Plooy (du Plouy), Villiers, Marais, Fouchet, Dutoit, Joubert, Malan, combien d'autres ? L'influence de ces huguenots fut profonde, et l'on peut dire qu'elle s'exerce encore. Ils enseignèrent un certain nombre de techniques à la colonie. Mais surtout, ces réfugiés arrivèrent « un cep de vigne dans une main, la Bible dans l'autre ». S'ils avaient eu une troisième main, on aurait pu y placer un fusil. En tout état de cause, et pour en revenir à la vigne, nos huguenots apportèrent au Cap ces fameux vins que j'ai goûtés en abondance et dont la qualité permet de les comparer à ceux de France. A Franschhoek, « le coin des Français », les noms des fermes sont aussi émouvants que ceux des huguenots : elles s'intitulent Dauphiné, Rhône, Champagne, Languedoc, Bourgogne, La Motte, Cabrière -- et sur le monument que j'évoquais, une inscription est fortement gravée : « *Élevé sur cette terre sacrée en 1943 par le peuple sud-africain en l'honneur des Huguenots du Cap* (*1688*) *en reconnaissance de leur apport inestimable à la formation de notre nation.* » \*\*\* Cependant, d'Amsterdam où régnaient les Dix-Sept de la Com­pagnie des Indes, on décida d'arrêter toute immigration. Or la population blanche au Cap avait triplé, atteignant presque 2.000 personnes. Mais les tracasseries administratives, même venues de très loin, continuaient. 73:299 Peu importait d'ailleurs aux huguenots français ni aux protes­tants hollandais. Ils étaient décidés à poursuivre, envers et contre tout. Déjà... Et ce fut la première marche des *Trekboers :* ces vigoureuses familles se mirent en route dans des chariots du type western, traînés par six paires de bœufs, sous la direction de deux ou trois conducteurs. Les véhicules étaient extrêmement robustes, capables de porter des poids considérables, et de progresser en terrain difficile. D'ailleurs, rien ne devait arrêter cette première marche ; ni les pièges des indigènes nomades, habiles à se dissimuler dans le pay­sage et fort agressifs -- ni les bêtes sauvages telles que éléphants, lions, panthères, rhinocéros et hyènes, qui occasionnèrent maints accidents, mais dont les armes à feu venaient tout de même à bout. Suivant d'abord la zone côtière, les *Trekboers* durent fran­chir les montagnes qui séparent la région du Cap du Veld infé­rieur. Pas d'objectifs précis. Ce que cherchaient ces aventuriers, c'était l'endroit où ils pourraient faire vivre leurs familles -- aussi loin que possible des tracasseries administratives de la Compagnie des Indes. Nos *Trekboers* avaient une conception assez vague du droit de propriété. Chaque famille s'installa dans des zones de 2.000 à 4.000 hectares -- et les *Trekboers,* au fond de leurs solitudes immenses, perdaient contact avec le reste du monde. Leur langue elle-même se modifiait : à la fin du XVIII^e^ siècle, ce qu'on appelle encore aujourd'hui l'*afrikaans,* c'est-à-dire la langue de l'Afrique du Sud, formait déjà un dialecte qui, d'ailleurs, grâce aux Français, allait être codifié et mis en forme par des grammaires. Mais il était fatal que, tôt ou tard, l'aventure de ces Blancs courageux se heurtât aux Noirs nomades de l'intérieur et de la côte, uniquement éleveurs, et toujours à la recherche de nouveaux pâturages. Très vite, les *Trekboers* apprirent à ne pas sous-estimer ces Noirs, que l'on désigne du nom de « Bantou » -- mais qui étaient composés de nombreuses tribus. Ils étaient beaux, vigoureux, et d'un courage terrible. Ils avaient leurs sorciers et leur roi. Et en ces temps où la richesse de l'Afrique du Sud, c'était le sol, non encore le sous-sol, les deux groupes humains s'affrontèrent. L'une des tribus Bantou, les Xhosas, attaquèrent les *Boers,* qui répliquèrent avec vigueur -- et il devait y avoir encore de nom­breux et longs conflits, dont nous reparlerons... 74:299 #### *Voici les Anglais* Avançons dans le temps. Surviennent la Révolution française, puis l'Empire. Après une première incursion au Cap, les Anglais, que cette escale commençait à intéresser beaucoup, établirent en 1814, après l'abdication de Napoléon, la souveraineté britannique sur cette région de l'Afrique du Sud. Pour fixer les idées, vers cette époque, il y avait environ 26.000 Blancs, 30.000 esclaves et 20.000 Hottentots sur ce territoire. Donc, trois siècles après Vasco de Gama, 26.000 Blancs seu­lement. Et voici deux comparaisons édifiantes : à cette époque, 250.000 Blancs au Canada -- et plus de 6.000.000 aux États-Unis. Donc, le Cap est britannique. Avec un mélange de morgue et de condescendance dont ils se départissent rarement à l'étranger, les Anglais considéraient les *Boers* dédaigneusement, tout en recon­naissant certaines de leurs qualités. Il est évident que ces *Boers* formaient alors une race de paysans, parfois assez primitifs, qui lisaient peu, mais chaque soir récitaient un chapitre de la Bible et chantaient des psaumes -- et qui n'avaient aucune des bonnes manières britanniques. Quoi qu'il en fût, au début du XIX^e^ siècle, on peut, dit encore Lacour-Gayet, se représenter l'Afrique du Sud sous l'aspect d'un triptyque : au centre les *Boers,* premiers arrivés -- d'un côté les britanniques plus récents, mais convaincus de leur supériorité -- et de l'autre les Bantou, dont l'ambition se résume à s'assurer des pâturages pour leurs bestiaux. #### *Les Noirs* Il faut ici s'arrêter un peu sur les Noirs de l'Afrique du Sud à cette époque. Ils eurent leurs grands hommes, sans aucun doute. 75:299 Je ne puis mieux faire, à cet égard, que des citer à nouveau Lacour-Gayet : « Le héros noir fut assurément Chaka, roi des Zoulous. Au début du XIX^e^ siècle, ceux-ci ne disposaient que de peu d'influence. Le fondateur de leur future puissance était de bonne lignée. Enfant naturel d'un chef, l'ambition le possédait. Une brouille avec son père l'amena à chercher refuge auprès d'une autre tribu, dirigée par un certain Dingiswayo, dont il acquit la confiance. Son pro­tecteur -- lequel les aurait appris d'un mystérieux Européen -- lui inculqua les rudiments de l'art militaire qui allait révolutionner les guerres indigènes. La volonté et l'intelligence -- ne faut-il pas dire le génie ? -- de son élève firent le reste. En 1818, Dingiswayo meurt : l'armée proclame Chaka son successeur. Le nouveau chef, deux ans plus tôt, s'était assuré le contrôle des Zoulous. Autour de ces deux tribus, il va, pendant les dix années suivantes, amal­gamer trois cents clans, dont il sera le maître absolu. Au début de son ascension, cinq cents guerriers lui obéissent, et son autorité ne couvre pas plus que le territoire d'une tribu moyenne : à sa mort, les effectifs de ses régiments s'élèvent à cinquante mille hommes, et son empire s'étend sur la totalité du Natal et du Zoulouland actuel, de la rivière Kei au Zambèze, de l'océan Indien au Botswana. « De cette prodigieuse réussite, « le fer et le sang » furent le secret. On a comparé l'entraînement des jeunes Zoulous à celui des Spartiates, les *impis* de Chaka aux légions romaines. Sans remonter si loin -- et si l'on veut bien oublier un moment les sauvageries dont nous parlerons plus loin -- il y a quelque chose de napoléonien dans ce potentat noir : même souci des détails, même coup d'œil fulgurant, même connaissance du combattant. « Les futurs soldats étaient soumis à une période de formation de deux ou trois ans, avant d'être admis à l'honneur de servir dans l'armée. En temps de paix, celle-ci était répartie dans des emplacements choisis pour leur importance stratégique. Les hom­mes y vivaient dans des huttes de type classique qui, placées les unes à côté des autres en cercle, formaient une forteresse, protégée par une haie épaisse de branches desséchées d'épineux. Les épines, judicieusement utilisées, jouèrent, d'ailleurs, un rôle dans la réussite de Chaka. Comme tous les grands capitaines, il avait remarqué que la mobilité des armées est un élément de leur succès. Ses guerriers portaient des sandales. Sa propre expérience lui avait prouvé que l'on courait plus vite pieds nus. Il les obligea à se déchausser, puis à évoluer pendant des heures sur un sol couvert de ronces. Une fois suffisamment endurcis, il les soumettait à des marches forcées : « une moyenne de cinquante miles pendant six jours ». De désobéir il n'était pas question, car la moindre infrac­tion était punie des pires châtiments. 76:299 Le grand chef -- l' « Au­guste », comme on l'appelait -- utilisait des moyens de pression dont il savait l'efficacité. Aucun de ses soldats n'avait droit de prendre femme avant d'avoir « lavé sa lance » dans le sang d'un ennemi. » Chaka ne concevait d'autre stratégie que l'offensive, quelles que fussent l'importance et la situation de l'ennemi. Mais il n'at­taquait pas à la légère. D'abord il disposait *d'un excellent service d'information.* Puis*,* accompagnant l'armée, des services d'intendan­ce étaient assurés par de jeunes garçons qui mettaient tout le nécessaire à la disposition des « héros »... « Une grande variété de supplices était pratiquée (par Chaka et ses bourreaux). On risquait d'être poignardé, lapidé, empalé, brûlé vif, noyé, donné en pâture aux crocodiles... Les vengeances ne manquaient pas de subtilité ; exemple, une sorcière qui, munie d'une lance ébréchée, fut enfermée dans une hutte avec une hyène affamée, et dévorée à petits morceaux. A la mort de sa mère, le désespoir conduisit le roi aux pires cruautés. Fynn en fut témoin. Une demi-douzaine de femmes, déclarées coupables, furent brûlées vives. « Pendant des heures et des heures, des milliers de Zoulous poussèrent d'horribles, de sinistres lamentations. » Sept mille, qui ne criaient pas assez fort, furent massacrés. « La fin est facile à prévoir. En 1828 -- il devait avoir une quarantaine d'années -- Chaka fut assassiné par deux de ses demi-frères, Dingaan et Mklangana. Il eut son *Tu quoque, Brutus.* « C'est vous, les enfants de mon père, s'écria-t-il, qui me tuez. » Puis, une prophétie qui ne mit pas plus de dix ans à se réaliser « Vous ne régnerez pas. Les Blancs sont déjà arrivés. » Pampata (sa favorite) passa la nuit, seule, à côté de son corps. Les hyènes hurlaient aux alentours, mais n'osaient s'approcher car peureuses d'instinct, l'amante du Grand Roi les repoussait avec un bâton. Plus tard, elle se suicida. » \*\*\* Il y eut d'autres chefs noirs, qui pourraient alimenter à eux seuls une longue chronique. La place me manque ici pour insister sur les neuf guerres qui, pendant 80 ans, opposèrent les Blancs aux Noirs. Il faut d'ailleurs faire la part des choses : assurément, au moins dans certaines régions, les Blancs faisaient figure d'envahis­seurs. Nous devons dire aussi que les Noirs dénonçaient très faci­lement les traités -- et qu'ils ne connaissaient que la loi du plus fort, faisant preuve en outre d'une cruauté vraiment affreuse dans ses trouvailles et dans son ingéniosité. 77:299 Mais surtout, les régions dont je parle étaient alors dévastées par les *guerres d'extermination entre Noirs.* C'est ainsi que dans des territoires immenses, au nord de l'Orange, régnait une atmosphère de désolation. Il semblait, dit un témoin, que la vie en eût disparu... Aussi bien, les *Boers,* perpétuels amateurs d'aventure, y virent une occasion de s'approprier les pays en question : et la tentation fut d'autant plus forte que les relations des *Boers* avec les autorités bri­tanniques devenaient franchement odieuses. #### *Le Grand Trek* Dans cette histoire si compliquée mais si belle de l'Afrique du Sud, je choisirai maintenant deux points forts : 1°) Le Grand Trek ; 2°) La guerre des *Boers,* qui fut le grand tournant au-delà duquel tout se décida. Et d'abord, le Grand Trek. Les *Boers* étaient gens simples et conscients de leurs droits. Or depuis une quinzaine d'années, vers 1820, ils avaient l'impression d'être de moins en moins compris par les envahisseurs anglais. Ceux-ci, en effet, prétendaient régner de Londres sur une population dont ils ignoraient la langue -- et gérer les affaires d'Afrique du Sud sans en consulter le moins du monde la population germano-franco-hollandaise. D'une manière générale, les Anglais voulaient implanter sur le continent africain, selon leurs usages, les méthodes qui réussis­saient sur les bords de la Tamise. Ils ne savaient rien du problème sud-africain. Leurs idées de centralisation et d'unification (à com­mencer par l'usage imposé de la langue anglaise) ne pouvaient plaire aux *Boers.* Bref, vers 1835, beaucoup de ces *Boers* malmenés eurent l'im­pression que leur expansion était bloquée. Ils n'avaient pas la compréhension du gouvernement britannique. Mais il leur restait l'espace, leur bon sens et leur courage. Ils décidèrent donc de partir, -- à la recherche d'une terre promise d'où les Anglais seraient absents. Ils durent prendre d'abord la direction du nord-est et franchir les montagnes qui s'interpo­saient entre eux et le but entrevu. Quel but ? Eh bien, le Natal, que l'on disait enchanteur. C'est alors que l'aventure inouïe se passa : sans se laisser arrêter par les obstacles -- et le principal était la chaîne du Drakens­berg, longue de 1.500 kilomètres et haute de près de 4.000 mètres -- ils voulaient forcer cette barrière réputée infranchissable. 78:299 Et la volonté des *Boers* triompha une fois de plus. Le terrain qu'ils avaient à franchir était aussi difficile que varié, et leur moyen de locomotion fut le Trek Wagon à jamais fameux. J'ai vu ce terrain et ces montagnes. J'ai suivi les trajets du Grand Trek -- et je dis que je ne comprends pas comment cette aventure a été possible. Imaginez ces chariots longs de plus de 5 mètres, aux quatre roues protégées par un cercle de fer d'une épaisseur d'au moins un demi-pouce -- chargés de tous les trésors familiaux et de la famille elle-même -- et dont les différentes parties étaient mainte­nues entre elles par des courroies, de façon à pouvoir être démon­tées. Attelés souvent de huit paires de bœufs, ces « wagons » cou­vraient en terrain plat 5 kilomètres à l'heure environ, pendant 7 ou 8 heures. Mais il y avait, le long de cet itinéraire que j'ai appris à connaître, des pentes abruptes longeant les précipices, des trous et des levées de terrain, une végétation d'épineux souvent difficile à percer. Fort heureusement, les *Boers* étaient exception­nellement vigoureux, et leurs femmes leur ressemblaient. Ces fem­mes-là faisaient d'ailleurs plus que les aider : elles stimulaient leurs hommes -- se montrant particulièrement intolérantes à l'égard de l'injuste domination anglaise. Or à cette occasion du Grand Trek, les *Boers --* qui étaient déjà connus comme « les meilleurs tireurs du monde » -- durent se heurter aux terribles Matabele et aux implacables Zoulous, ces Noirs puissants dont nous avons parlé plus haut. Lorsqu'ils étaient attaqués, les chariots liés entre eux et for­mant un immense cercle, le laager, servaient de forteresse. A l'ap­proche du combat, la prière était de rigueur -- et l'image : « un fusil d'une main et la Bible dans l'autre » devenait l'exacte vérité. Les *Afrikaners* avaient déjà en tête et dans l'âme cette notion qu'ils étaient les privilégiés de Dieu, inspirés par Dieu, investis de la mission divine. Les *Boers* étaient appelés par la Providence comme pionniers de la civilisation -- et ils devaient conquérir l'Afrique « pour le roi Jésus ». Tel était le célèbre Piet Retif, qui avait du sang des huguenots français et qui publia un manifeste, la déclaration de l'indépen­dance des *Boers :* « *Nous tenons à déclarer que partout où nous nous trouverons, nous resterons fidèles au principe de liberté.* » Un autre fameux *Trekker* était Gerrit Maritz, beaucoup plus jeune que Retif (39 ans au lieu de 54, au moment de leur exil), mais qui prit la tête d'une centaine de chariots. Fougueux, impé­rieux, Maritz était un chef né, comme d'ailleurs Retif, mais avec des méthodes plus violentes. 79:299 Il faut dire, en effet, que ces solides *Afrikaners* étaient des vio­lents -- dans leur passion pour l'espace et pour la liberté, dans leur exécration à l'égard de la domination britannique, dans leur amour pour Dieu, dans la conscience de leur mission. Rien ne les arrêtait -- et l'on comprend qu'ils aient pu créer de nos jours l'un des pays les plus riches et les plus orientés vers l'avenir qui soient au monde. Je citerai encore André Pretorius : il devait avoir l'honneur de signer, quinze années plus tard, le premier traité d'indépendance du Transvaal. C'était un fermier aisé, de haute taille, et que les dames trouvaient irrésistible. De toute façon, il fut ce que nous sommes convenus d'appeler « un dur ». Piet Retif, héros des héros, allait être assassiné, après un Trek réussi, par un célèbre roi Zoulou, Dingaan ; massacré serait un mot plus juste -- avec ses amis et les Noirs qui l'accompagnaient, et ceci, à la suite d'une trahison de la parole donnée par ce Dingaan. Évidemment, ce fut la guerre. Il fallut souvent former le *Laa­ger* -- et l'on vit, à la bataille dite de la Rivière Rouge, 10 à 15.000 guerriers Zoulous tenus en échec par moins de 500 *Boers* véritable épopée. Quoi qu'il en fût, les gens du Grand Trek réussirent à s'instal­ler en divers endroits du Transvaal, de l'Orange et du Natal. \*\*\* Inutile de le dire : les Britanniques devaient poursuivre leur politique de brimades administratives -- annexer le district de Port Natal, etc. Cette Afrique du Sud, ils la voulaient tout entière pour eux -- en y comprenant les mines de diamants découvertes à Kimberley, et les mines d'or de Johannesburg. De fil en aiguille, le Transvaal est annexé à son tour -- et un homme de génie, un Anglais, Cécil Rhodes, entraîné par son fol amour de la patrie britannique, mit dans sa tête que la *Pax Britannica* devait régner sur le monde comme jadis la *Pax Romana.* En particulier, pour le continent africain, il souhaitait un unique drapeau, l'Union Jack, « du Cap au Caire ». #### *La guerre des Boers* Je vous épargne les complications politiques et administratives qui préludèrent à la fameuse guerre dite des *Boers.* Ce que je puis dire, c'est que la guerre en question fut terrible, marquée par une férocité britannique qui s'incarna particulièrement dans les géné­raux Roberts et Kitchener. 80:299 Du côté des *Afrikaners,* des *Boers,* un grand chef : Stephanus, Johannes, Paulus Kruger. Homme de 58 ans, « d'une jeunesse extraordinaire », avec un visage étrange de batracien, des yeux calmes, une barbe en éventail -- un géant de plus de 100 kilos, que l'on appela vite « Oom Paul », ce qui veut dire : Oncle Paul. Capable de calme et de violence, d'étonnante douceur et de rugis­sements léonins, Kruger n'admettait pas les faiblesses humaines et ne connaissait pas de distraction. C'était un protestant du Trans­vaal, dont on a dit qu'il était impossible d'être plus « *Boer* » que lui. Il avait 16 enfants et 120 petits-enfants. Ayant participé au Grand Trek, il s'était, très jeune, distingué dans toutes les épreuves d'athlétisme. Un champion, un chevalier, un homme fort -- et un grand chef. Je ne retracerai que l'essentiel de la guerre des *Boers,* qui fut infiniment complexe, et dont j'ai pu visiter sur place la plupart des champs de bataille. C'est le 11 octobre 1899 que le conflit commença. L'oppres­sion britannique était devenue insupportable. Un sursaut national contre cet étau anglais amenait ainsi une poignée de paysans à affronter un pays qui était alors la première puissance mondiale et la première puissance maritime. Or les *Boers* allaient donner plus que du fil à retordre aux Anglais : ces *Boers,* dont la population totale, dans les trois états en guerre du Transvaal, de l'Orange et du Natal, n'atteignait pas celle de la banlieue de Londres. Dès la fin de 1899, après avoir fait prisonnier le jeune Winston Churchill, ces « paysans-cavaliers » remportent une série de vic­toires, contre l'armée anglaise dûment équipée et accompagnée de l'artillerie la plus moderne. J'ai l'intention de raconter, dans le roman que j'ai entrepris sur l'Afrique du Sud, les plus beaux épisodes de cette guerre sous le commandement de Joubert et de Cronje, des chefs de génie comme de La Rey et De Wet réalisèrent des exploits que les nations saluèrent vite comme tout à fait extraordinaires. Au nombre de 30.000, les combattants *Boers* prirent l'offensive, en­fermant d'importantes villes comme Mafeking, Lady Smith et Kimberley dans un cercle de troupes d'élite. A Stormberg, à Kimberley, à Magersfontein, à Colanso -- enfin et surtout, à Spion Kop -- victoires successives des *Boers,* qui ridiculisent (il n'y a pas d'autre mot) la rigoureuse et super-équipée armée bri­tannique. Comment cela est-il possible ? 81:299 Sans entrer dans des considérations stratégiques, disons que la mobilité des *Boers,* la souplesse de leurs formations, leur connaissance du terrain, leur résistance physique exceptionnelle et leur qualité de premiers tireurs du monde furent à l'origine de leur succès. Mais aussi, que de sot­tises, du côté anglais, dans cette première partie de la campagne ! Même sans connaissances tactiques, on les mesure quand on visite, comme je l'ai fait, le terrain, car ces erreurs britanniques sont évi­dentes, aveuglantes. A ce moment, les *Boers* auraient pu rejeter les Anglais à la mer -- et empêcher leur débarquement dans les seuls ports possi­bles, comme Port Elizabeth ou Durban. Ils se contentèrent de les vaincre, en adoptant une attitude défensive, que le célèbre colonel français Villebois-Mareuil, devenu général Boer, combattit de toute sa vigueur. Incontestablement, les *Boers* furent pour telle ou telle bataille des stratèges d'instinct et de génie. Mais sur le plan de la politique générale, ils se trompèrent : sûrs comme ils l'étaient que les Anglais n'enverraient pas plus de 100 à 150.000 hommes, ils se sentaient de taille, avec les 50.000 combattants qu'ils avaient fini par mobiliser, à les vaincre. En quoi ils avaient raison. Mais ils avaient tort de croire que l'empire britannique tout-puissant n'en­verrait que ce nombre de soldats. En réalité, pour gagner cette guerre où les Britanniques finirent par l'emporter à dix contre un, et parfois à vingt contre un, près de 500.000 officiers, soldats et agents britanniques furent bel et bien engagés. Après la guerre stratégique, la guerre de commandos s'imposa -- et vraiment, les Britanniques n'en sortaient pas. Ce fut alors que les généraux anglais Roberts et Kitchener trouvèrent une hor­rible réplique : avec une véritable armée, ils incendièrent systéma­tiquement plus de la moitié des fermes boers, et ils enfermèrent les femmes et les enfants chassés de leurs foyers dans des camps d'ex­termination, notamment à Bloemfontein. J'ai vu ce qui reste de ces camps, et l'interminable martyrologe que l'on a inscrit là-bas sur le marbre, pour l'édification de ceux qui viendront. Il y eut près de 30.000 vieillards, femmes et enfants à mourir dans ces camps -- dont les Britanniques sont donc, chronologiquement, les inventeurs, avant les Nazis. Et de cette façon seulement, le féroce Kitchener obtint la red­dition des *Boers,* qui ne pouvaient se résigner à voir les femmes et les enfants afrikaners ainsi décimés. Au total, 65.000 êtres humains sont ainsi parqués, malades ou mourant de faim, de froid, de manque de soins -- et Kitchener en laisse donc froidement périr près de la moitié sous les épidémies, la dysenterie, entre autres ! Ainsi que le note un témoin, les femmes des *Boers* sont alors en voie de disparition. La race elle-même se trouve menacée. 82:299 Mais la liste des succès boers n'est pas close : le 7 mars 1902, leur légendaire général de La Rey fait prisonnier dans l'ouest du Transvaal l'un des grands chefs britanniques, lord Methuen lui-même, ami personnel d'Édouard VII. Certains *Boers* disaient : cette guerre de commandos, nous pourrions la continuer indéfiniment. -- Oui, mais nos femmes et nos enfants meurent ! Indomptés, des chefs comme le célèbre De Wet voulaient néanmoins poursuivre la guerre. Certes, il le pouvait, lui, De Wet, l'insaisissable -- l'émule et l'égal, 100 ans plus tard, du non moins insaisissable Charette, héros de nos guerres de Vendée ! Hélas, l'Assemblée des *Boers,* finalement, vota l'acceptation des condi­tions anglaises imposées par l'implacable gouverneur Milner -- et par cette autre bête féroce qui portait le titre de lord Kitchener. Moyennant une forte indemnité pour les destructions de guerre, la sauvegarde de la langue hollandaise et la promesse d'une admi­nistration civile remplaçant l'occupation militaire britannique dans les plus courts délais, les *Boers,* enfin, reconnaissaient la domina­tion anglaise, cessaient toute résistance, livraient leurs armes -- et prêtaient serment de fidélité au roi d'Angleterre Édouard VII. C'était fini. Le traité de Vereeniging, date funèbre pour les vaillants *Afri­kaners,* mettait donc fin à la guerre le 31 mai 1902 -- après un peu moins de trois années de batailles, un contre dix ! \*\*\* Or huit ans plus tard -- huit années seulement ! -- le Trans­vaal, l'État libre d'Orange, la province du Cap, le Natal forment l'Union sud-africaine le 31 mai 1910 -- les élections anglaises ayant donné en 1906 une majorité écrasante aux libéraux, « enne­mis de toute usurpation ». Les *Boers* revenaient au pouvoir, chez eux. L'Afrique du Sud prenait ainsi place, en qualité de dominion à gouvernement autonome, dans le cadre de l'Empire britannique -- sur le même plan que le Canada et l'Australie. Et tout cela, grâce à une politique tenace, réfléchie, qui démon­tra au monde entier que l'alerte infligée par les *Afrikaners* à la première puissance impériale du monde n'avait pas été vaine. Participant à la guerre de 19141918 aux côtés des alliés, signant en tant que nation libre le traité de Versailles de 1919 -- puis s'engageant aussi dans la guerre de 1939-1945 (campagnes de Libye et d'Italie) l'Afrique du Sud, non sans de graves accrocs politiques, se proclama *république indépendante du Commonwealth* le 31 mai 1961. 83:299 Le président de la République, désormais, sans disposer du pouvoir exécutif, assumait les attributions officielles de l'ancien gouverneur britannique... Piet Retif, Maritz, de La Rey, De Wet -- et notre glorieux Villebois-Mareuil (mort à Boshof le 5 avril 1900) -- durent se retourner de joie dans leurs tombes ! #### *Aujourd'hui* Or quelle est la situation de l'Afrique du Sud, aujourd'hui ? En dépit d'une inflation imputable en grande partie aux com­bats que le pays a dû soutenir contre le Swapo rebelle et contre les raids terroristes jaillis du Mozambique, sans oublier les troupes stationnées en Namibie, l'Afrique du Sud est en plein essor économique. Ses ressources agricoles restent honorables. Mais ses ressources minérales nous semblent fabuleuses -- et encore sont-elles loin d'être entièrement prospectées et exploitées. Les diamants d'Afrique du Sud ont une qualité, un poids et une valeur qui n'est égalée nulle part au monde. La République d'Afrique du Sud, en outre, est en tête de tous les pays pour le platine. Elle produit 75 % de l'or extrait dans le monde libre, et 90 % du charbon africain. D'autre part, ce pays est en bonne place pour des minéraux très recherchés tels que manganèse, chrome, lithium, uranium, titane, nickel, cadmium... Et j'en passe ! Le produit national brut est en accroissement constant. Dès lors, on comprend qu'une telle richesse -- et qu'un tel pays à très forte position stratégique -- soient convoités. *Convoités par qui ?* *Par le pouvoir soviétique d'abord.* Il fait agir sur le continent africain toutes sortes de forces interposées. Mais sur place, l'Afri­que du Sud a la situation bien en mains. Son président, M. Botha, est un « homme fort » de 69 ans. On l'appelle familièrement P.W., qui sont les initiales de ses pré­noms. Or voici un bref tableau de sa politique extérieure actuelle : 84:299 -- A l'égard de l'Angola ex-portugais, l'Afrique du Sud aide comme elle le peut la vaillante Unita (dirigée par un authentique stratège, Savimbi, et qui désire se rapprocher de l'Europe occiden­tale) contre la Swapo qui est au contraire de tendance rouge, ren­forcée par des Cubains et encadrée par des Soviétiques. -- Avec le Mozambique, dirigé par l'ex-terroriste Zamora Ma­chel, l'Afrique du Sud vient de signer un traité, et elle s'intéresse à la reprise des gigantesques travaux de Cabora-Bassa où plusieurs pays d'Europe sont associés... -- Quant à l'ancienne Rhodésie, que l'on nomme actuellement le Zimbabwe, ce pays est désormais dirigé par un tyran noir nommé Mugabe, et le plus grand désordre y règne, avec la pire des guerres tribales : une tribu noire, les Shonas, profite du fait que ses chefs sont au pouvoir et que ses membres sont les plus nombreux, pour régler un vieux compte tribal avec les Matabele, dont on jette les enfants vivants dans des cuves d'eau bouillante. Malgré tout, l'Afrique du Sud aide économiquement le Zimbabwe, qui ne peut absolument pas se passer de cet appui. -- Enfin, touchant la Namibie, l'affaire est très compliquée, car la Swapo terroriste y reste active -- et il est trop clair que l'Afrique du Sud ne peut tolérer une menace permanente à ses frontières. \*\*\* Chacun le sait, quatre provinces forment l'Afrique du Sud : le Cap, l'Orange, le Transvaal et le Natal. Or l'Afrique du Sud a donné leur indépendance à des états noirs, pris sur son propre territoire. Nous y reviendrons... En outre, d'autres états noirs englobés tiennent leur indépen­dance de la couronne britannique : Lesotho, Swaziland. Au nord, le Bothswana a le même statut. Or les Nations Unies (c'est une arme de l'URSS contre la République sud-africaine) ne cessent de condamner l'Afrique du Sud à propos de tout et de rien, poussant la mauvaise foi jusqu'à refuser de reconnaître comme états-membres les nations noires indépendantes issues de la politique libérale sud-africaine. Attitude qui est d'autant plus inique et scandaleuse que cette même ONU reconnaît le Lesotho, le Swaziland et le Zimbabwe. Avouons que tout cela ne facilite pas, pour les non-initiés, l'intelligence du pro­blème sud-africain. \*\*\* 85:299 Nous avons pu lire dans les journaux, ces temps-ci, des titres flambants tels que : « Les ghettos noirs à feu et à sang en Afrique du Sud ! » -- « Les Noirs se révoltent contre le Pouvoir Blanc ! » --. « Les cités-dortoirs des Noirs, notamment à Sebokeng et Shar­peville, sont en ébullition. Même chose à Soweto, l'immense ban­lieue noire de Johannesburg. Las des abus du Pouvoir blanc, les Noirs s'élèvent contre les récentes augmentations de loyer, et contre les conditions de vie scolaire qui leur sont faites ! » -- « La révolte s'étend : nombreux morts et blessés. En Afrique du Sud, les Noirs refusent l'oppression blanche... » Oui, tels sont, depuis de longs mois déjà, les titres et les com­mentaires d'une bonne part des media français et étrangers. Était-ce donc la révolution dans cette magnifique République d'Afrique du Sud -- où j'avais parcouru l'an dernier, avec mon épouse, plus de 5.000 kilomètres ? Je me précipite aux informations, et j'ai la chance d'interroger des gens qui reviennent de là-bas. Eh bien, il s'agit une fois de plus d'un véritable « montage », pour parachever la « désinforma­tion » européenne à l'égard de l'Afrique du Sud. Tout d'abord, les événements (qui sont réels) ont été grossis à plaisir. Ensuite, ce n'était pas « contre les Blancs » que les Noirs entendaient d'abord protester, mais contre leurs propres municipalités noires. Où est donc, en tout cela, « l'oppression blanche » ? Mais nous le sa­vons : il reste toujours quelque chose de la calomnie. Et qui donc trouve son avantage dans ces mensonges internationaux, devenus systématiques dès qu'il s'agit de la République Sud-Africaine ? Je le répète, c'est l'U.R.S.S., la propagande soviétique, et ses nom­breux alliés en Occident. Parmi ces alliés, d'ailleurs, nous figurons en bonne et honnête place : ainsi s'explique le fait singulier que la France, l'une des sept nations européennes récemment visitées par le Premier Ministre sud-africain M. Pieter Willem Botha (aujour­d'hui, président de la République), ait seule refusé de le recevoir officiellement -- alors qu'il allait s'incliner devant les tombes des volontaires sud-africains venus se battre à *nos* côtés pour la défense de *notre* sol et de *nos* libertés. Et pourtant ce gouvernement « français » socialiste, épris, paraît-il, des droits de l'homme, n'a pas hésité (non plus que le président Mitterrand) à se rendre dévo­tieusement à Moscou pour y faire allégeance -- malgré les gou­lags, la persécution des Sakharov, les hôpitaux psychiatriques, l'oppression en Pologne, les Afghans brûlés au napalm, et les tueurs armés par les Soviets en Afrique. M. Giscard d'Estaing, d'ailleurs, n'agissait guère autrement que M. Mitterrand, puisqu'il faisait interdire en 1980 aux fonctionnaires de l'ambassade de France d'assister au match opposant, à Pretoria, l'équipe française de rugby aux célèbres Springboks sud-africains : cependant qu'il envoyait sans sourciller nos athlètes aux Jeux de Moscou ! 86:299 #### *L'Apartheid* Avant de partir pour mon long voyage en Afrique du Sud, que n'ai-je pas entendu ? -- Alors, vous allez vraiment chez ces gens de l'*Apartheid ?* Savez-vous que là-bas, les pauvres Noirs sont chassés de partout ? Qu'ils n'ont pas le droit de fréquenter les mêmes hôtels que les Blancs, ni d'utiliser les mêmes magasins, les mêmes garages, les mêmes transports en commun, les mêmes taxis, les mêmes avions ? Savez-vous que ces malheureux Noirs sont odieusement exploités, avec les plus bas salaires, aussi bien dans les entreprises agricoles que dans les industries et les mines ? -- Qu'est-ce que l'*Apartheid* selon vous ? demandais-je. -- Eh bien, c'est le racisme ! -- Et qui vous a renseignés sur toutes ces mesures de ségré­gation ? -- Mais... tout le monde le sait... « Tout le monde le sait. » Parce qu'on lit les journaux, parce qu'on regarde la télévision, parce qu'on écoute la radio, parce que nous sommes saturés de mensonges. Et les intellectuels eux-mêmes donnent dans cette énorme bêtise qui devient reine, par le temps qui court. On a créé à l'usage du Français moyen (et de tant d'autres !) ces curieux réflexes pavloviens, devant les mots tels que « colonialisme », « racisme ». Si par hasard vous les prononcez au restaurant, neuf fois sur dix votre interlocuteur jettera alentour un regard prudent et semi-circulaire, pour s'assurer que personne ne suit la conversation. Nous procédons ainsi, à pas feutrés, dans une société hérissée de petites peurs et de grands tabous. Or qu'est-ce exactement que ce fameux *Apartheid ?* Je ne peux mieux faire que de citer à ce sujet le professeur F.O. Albrecht, président de l'association ACFA qui joue un grand rôle, aujour­d'hui, dans les relations France-République Sud-Africaine. Le pro­fesseur Albrecht expliquait sur les ondes que le manque total d'in­formation -- et même la « désinformation » déjà évoquée -- empêchent le peuple français d'établir la juste distinction entre l'apartheid mesquin et le grand apartheid. « L'apartheid mesquin, héritage du colonialisme anglais, consistant à empêcher les Noirs de s'asseoir sur les mêmes bancs, de loger dans les mêmes hôtels, etc. que les Blancs, est totalement agonisant. Rien ne pourra le faire revivre. Il en va tout autrement pour le grand apartheid, appelé « *développement séparé *» qui, lui, est basé sur le droit des hommes à conserver leur identité culturelle, à affirmer *leur droit à la différence* dans le cadre de leurs ethnies. » 87:299 Ne nous y trompons pas : l'essentiel, en ces quelques lignes, est dit. Le reste, les commentaires libéraux ou gauchisants d'une bonne partie de la grande presse, n'est que soupe à grimaces et purée de mensonge. Sans parler des autres « media ». Avez-vous, par exemple, entendu l'émission « Adrénaline » sur France-Inter ? C'était une émission spéciale -- et de deux heures, s'il vous plaît -- consacrée à l'Afrique du Sud. Émission très spéciale, en effet, destinée sans doute à justifier le refus du gouvernement français (évoqué plus haut) à recevoir M. Botha. Deux heures d'âneries bâtées et d'insultes de bas étage ! Mais tout cela risque de n'être pas sans portée -- s'ajoutant, hélas, au martelage d'une propa­gande qui vise et qui atteint, sans relâche, tant de cervelles embrumées. #### *Et ce n'est pas fini !* Le 2 mai dernier, dans le cadre du magazine « Résistances », sur Antenne 2, a paru une assez ignoble et mensongère émission touchant l'Afrique du Sud. Je me contenterai de signaler et de réfuter quelques-unes des impostures les plus grossières dont ladite émission a été le prétexte. Tout d'abord, selon le commentaire dont on nous gratifiait, il existerait un face-à-face « minorité blanche » -- « majorité noire », alors que la vérité est tout autre : les Noirs d'Afrique du Sud ne forment absolument pas un groupe homogène, puisqu'ils sont issus de plusieurs ethnies aussi différentes entre elles que peuvent l'être, par exemple, les divers peuples d'un ensemble tel que la CEE. Il eût été beaucoup plus conforme à la réalité d'opposer, sans distinction de race, de sexe, de religion ou de langue, les partisans (en écrasante majorité) d'un changement pacifique à la poignée d'extrémistes révolutionnaires prêts à mettre le pays à feu et à sang. Manipulant certains jeunes, s'attaquant en bandes, tant à des personnes physiques qu'à des biens ou des bâtiments, s'acharnant à d'aveugles attentats et destructions, ces révolutionnaires tentent de faire régner dans les banlieues noires ce que les leaders noirs eux-mêmes et la presse appellent de plus en plus fréquemment la « loi de la jungle ». 88:299 Il s'agit ici, trop souvent, de jeunes gens du type « loubards » qui agissent aveuglément sous l'influence d'agitateurs profession­nels. Et contre qui se livrent-ils à leurs terribles exactions ? Contre des Noirs et des métis -- et non pas contre les Blancs. Ainsi que le rappelait l'ambassadeur d'Afrique du Sud à Paris, R.A. du Plooy, « les exemples de personnes brûlées vives, assassinées, atta­quées, ne manquent pas -- phénomène que le quotidien de Sowe­to, *The Sowetan*, qualifiait récemment de « triste et terrifiant ». Le commentateur de cette consternante émission faisait égale­ment allusion au niveau de vie des Noirs d'Afrique du Sud. Il reconnaissait que ceux-ci « gagnent cinq fois plus que les autres Noirs d'Afrique ». C'est vrai. Mais le commentateur ajoutait : « Les Noirs d'Afrique du Sud gagnent cinq fois moins que les Blancs. » J'ai pu constater personnellement, lors de mon voyage en Afrique du Sud l'an dernier, que ceci est faux : la seule diffé­rence entre le salaire d'un Blanc et celui d'un Noir est due à leur niveau de qualification. Cela est si vrai qu'en rapprochant des cas comparables, on perçoit sans peine que le principe appliqué en Afrique du Sud est celui-ci : «* A travail égal, salaire égal *». N'en déplaise aux propagandistes du mensonge, la politique salariale sud-africaine n'est entachée d'aucune discrimination raciale -- la loi sur les emplois réservés ayant disparu de la législation du travail. Ce n'était vraiment pas difficile à vérifier. Encore faudrait-il que les responsables de nos productions télévisées se donnent vraiment pour but la recherche de la vérité ! La même émission, enfin, tentait de dénigrer systématiquement le sort des Noirs d'Afrique du Sud. Compte tenu de la famine qui règne actuellement dans plusieurs pays d'Afrique, cette espèce de mensonge à la mode nous semble indécent. Il n'est, pour mesurer une pareille calomnie, que d'évaluer le nombre de ressortissants d'États voisins cherchant à s'employer sur le marché sud-africain. Si la République d'Afrique du Sud « refuse du monde », c'est que le sort des Noirs y est enviable. Quant au terme de « déporta­tion » employé par le commentateur, celui-ci eût été mieux inspiré de le réserver à d'autres pays, sur le continent noir, où de telles méthodes sont bel et bien en usage à l'heure où j'écris. Ce n'est plus un mystère pour personne que l'URSS veut à tout prix « déstabiliser » cette Afrique du Sud qui est une empê­cheuse de marxiser en rond. Notre actuelle télévision, dont la cote est tombée si bas, croit-elle donc se réhabiliter en se mettant au service de la propagande soviétique ? 89:299 J'ai reçu, à la suite d'un article de presse touchant ladite émission, une curieuse lettre de l'un de ses responsables qui me repro­chait de mettre ma plume au service d'une « Puissance étrangère ». A quoi j'ai répondu, moi qui n'aime pas faire tinter mes médailles, en évoquant mes décorations de guerre et de résistance et en préci­sant ceci : entre 1939 et 1945, je me battais ou travaillais souvent avec des « Puissances » qui n'étaient pas « étrangères », mais « alliées ». Cette nuance échappe évidemment à nos radios et télévisions officielles. Quoi qu'il en soit, on ne peut séjourner et voyager en Afrique du Sud sans percevoir l'énormité des calomnies en question. Contrairement à ce que nous avions vu au Canada et aux États-Unis, nous avons rencontré, du Cap à Durban, de Graff-Reinet à Bloemfontein, de Kimberley à Johannesburg et Pretoria, des Noirs gais, robustes, amicaux, exubérants, qui partageaient avec les Blancs les lieux publics, les restaurants, les magasins, les hôtels (de la modeste auberge aux « quatre-étoiles »), les travaux de la terre ou de l'usine. Ce mélange, nous l'avons retrouvé dans les établis­sements commerciaux et les petites entreprises (à qualification égale, je veux le répéter, le salaire des Noirs et celui des Blancs sont égaux). Nous l'avons retrouvé dans le personnel sanitaire -- au sein des universités -- et dans les grandes affaires. Bien sûr, il y a les cités-dortoirs noires auprès des villes industrielles. Il y en a dans la banlieue de Pretoria. Et surtout, il y a l'immense agglomé­ration noire de Soweto, touchant Johannesburg. Mais les Noirs, eux aussi, tiennent à ce « grand apartheid » ; eux aussi revendi­quent ce « droit à la différence » qui les consacre et les réhabilite à leurs propres yeux. Aussi bien, ils ont réclamé, ils ont voulu et obtenu l'autogestion chez eux. Et nous retrouvons ici ce que nous observions plus haut : dans les cités-dortoirs et à Soweto, les Noirs élisent leurs édiles, leurs policiers sont noirs, etc. Il faut creuser un peu ce problème des races, dans l'une des régions les plus complexes du monde sur le plan ethnique. L'Afri­que du Sud comptant, en chiffres ronds, de 28,5 à 30 millions d'habitants, se compose d'au moins douze ethnies différentes : 5,1 millions de Blancs -- 2,6 millions de Métis, 900.000 Indiens, une population flottante qui va de 20 à 22 millions de Noirs, eux-mêmes subdivisés en plusieurs races distinctes. Mais voici le vrai problème, touchant les Noirs : les différences entre leurs divers peuples sont au moins aussi importantes, en Afrique du Sud, que celles qui ont provoqué de dramatiques effusions de sang dans les pays d'Afrique devenus indépendants : Zaïre, Nigeria, Soudan, Éthiopie, Somalie, Ouganda, Angola, Tchad -- j'en passe ! Com­ment oublier ce qu'est devenu, après le départ égoïste des Anglais, le malheureux Nigeria « libéré », où s'est accompli entre 1960 et 1970 l'un des drames les plus atroces de l'Histoire humaine : aboutissant à la destruction implacable d'au moins trois millions d'Ibos chrétiens, hommes, femmes et enfants, par les Haoussas musul­mans vainqueurs ? 90:299 Comment ne pas évoquer ici le dernier en date des pays africains accédant à l'indépendance, le Zimbabwe, ex-Rhodésie, où la chute du Pouvoir blanc a tout simplement réveillé les horreurs de cette vieille querelle tribale dont j'ai parlé plus haut ? #### *Et si les Blancs s'en allaient ?* Alors ? Que se passerait-il *si les Blancs abdiquaient leur pouvoir* dans cette belle et solide République d'Afrique du Sud ? Chacun sait aujourd'hui que le chef des Zoulous (qui sont au nombre de 5 millions et demi, à égalité avec les Xhosas), M. Butalezi, a l'ambi­tion de régner un jour sur tous les peuples de l'Afrique du Sud, Blancs, Métis, Indiens et Noirs. Or j'ai pu toucher du doigt, là­bas, à quel point les Indiens de Durban ont peur des Zoulous, et combien ces mêmes Zoulous sont haïs des autres Noirs, notam­ment des Tswanas et des Swazis. La déchéance des Blancs serait, sans aucun doute, le signal de guerres implacables et de nouveaux massacres en Afrique. De ce départ, d'ailleurs, il n'est nullement question -- du moins, dans l'esprit des Blancs d'Afrique du Sud, de ces *Afrika­ners,* race forte, issue d'un savoureux mélange hollando-franco-germain. Puisqu'il n'existe pas dans leur pays sud-africain de Black-Power (pouvoir noir) unifié, les *Afrikaners* ont imaginé une solution réaliste, simple dans sa conception, que nous évoquions plus haut, et qui se résume à concéder l'indépendance, au sein même de leur territoire, à une dizaine d'États noirs correspondant à autant de peuples différents, qui se géreront eux-mêmes en toute souveraineté. Quatre d'entre eux existent déjà, au Transkei, au Venda, au Ciskei -- et au Bophuthatswana ou se trouvent de très riches mines de platine. « *Cette décision de renoncer volontairement à d'importantes parties du territoire national est, à notre connais­sance, sans égale. *» Alexandre Stewart, à qui cette citation est empruntée, ajoute ce commentaire essentiel : « Bien sûr, disaient les sceptiques, ce ne pouvait être pour de bon : il y avait là-dessous une manœuvre politique, une décision que l'on esquiverait le mo­ment venu. Les événements montrèrent que les sceptiques avaient tort. » 91:299 Les marchands de mensonge, dès lors, auront beau faire : la solution sud-africaine des états noirs indépendants est en marche. Rien ne pourra plus l'arrêter. Lorsqu'elle sera entièrement accom­plie (sur ce plan, de graves difficultés se présentent, d'ailleurs, fort dures à surmonter), alors, une confédération (sans doute, du type suisse) unira les divers éléments de l'Afrique australe, blancs, métis, indiens et noirs, qui avec le respect constant de leur carac­tère propre et de leur ethnie indépendante, pourront élaborer ensemble certaines décisions en des domaines qui leur sont com­muns. Vous n'êtes pas satisfaite de ces perspectives, ô O.N.U. pol­luée, ô singe des nations dressé sur votre piédestal de verre ? Vous n'en êtes pas davantage contentes, ô U.R.S.S., ô Cuba, ô Libye, nations qui vous consacrez à semer partout le désordre et le crime ? Il n'en est pas moins vrai que ces perspectives existent. Quelque part entre Johannesburg et Pretoria, le siège immense de la confédération de l'Afrique du Sud se prépare et se bâtit. L'Afrique australe ne deviendra donc pas la proie des guerres tri­bales, par Kalachnikovs et Cubains interposés ([^3]). #### *Les Afrikaners* On peut se demander, avec le professeur Albrecht, comment les *Afrikaners* parviennent à s'imposer à des partenaires qui ne sont pas toujours commodes, loin de là ! « C'est d'abord leur grande rigueur morale, leur courage et leur bon sens, qui leur vient sans doute de leur origine terrienne : les problèmes, ils les attaquent à bras-le-corps, avec un bon sens paysan. » J'ai pu mesurer ces qualités sur place. J'ai pu voir à maintes reprises avec quel singulier mélange de calme et d'entrain ces Blancs, ces *Afri­kaners* viennent à bout des obstacles. Ils n'oublient pas que leur race est là, en Afrique australe, depuis plus de trois cents ans. Nul ne peut prétendre qu'en s'installant sur cette terre africaine, ils en aient chassé les premiers occupants : car au XVII^e^ siècle, débar­quant au Cap, ils n'eurent affaire -- nous l'avons vu -- qu'à des nomades, Boschimans et Hottentots, qui se contentaient de chas­ser, et de pousser leurs troupeaux d'une région à l'autre, sans jamais prendre la peine de cultiver le terrain. 92:299 Le mythe du Blanc spoliateur est ici sans rime ni raison ! Plus tard, ces *Afrikaners* durent se défendre contre le joug britannique, mais leur propos n'avait pas changé : forgés par une vie dure, ils refusaient de se dissoudre dans la population anglaise (alors dirigeante). Oh, Mes­sieurs les Anglais auraient bien voulu absorber purement et sim­plement ces Blancs de souche hollandaise, allemande, française qui parlaient une langue originale et lentement élaborée au cours de tant d'années de luttes et d'efforts. Mais le morceau était trop dur à avaler, même pour le gosier d'Albion. Aujourd'hui, isolés dans le concert discord des nations indifférentes ou hostiles, ces *Afrika­ners* qu'on appelait autrefois les *Boers* poursuivent leur chemin. Si vous leur demandez comment ils ont pu conserver leur identité, ils vous répondront comme ils m'ont répondu : -- Nous l'avons conservée par notre ténacité dans le travail, par le respect de notre langage national, l'Afrikaans, *surtout, par notre foi religieuse --* et aussi, bien sûr, en exigeant des Anglais, *pour nous,* le droit à la différence, c'est-à-dire *l'Apartheid.* Et ces gens-là, en l'espace de près de 40 ans -- depuis la prise de pouvoir du Parti National, qui est toujours en charge à l'heure où j'écris -- ont assumé définitivement la République de l'Afrique du Sud. Or déjà, en créant les États noirs, ils décident de trans­mettre une partie de ce pouvoir qu'ils viennent à peine de conqué­rir ! Mais les nations persistent à ignorer ce geste unique en son genre. #### *P. W. Botha* Le Parti National ci-dessus nommé est l'élément moteur de la R.A.S. Il dispose d'une majorité très confortable au Parlement. En 1978, accédait au pouvoir un homme lucide, à la fois habile et ferme, que nous avons nommé plus haut : M. Pieter Willem Botha. Il était premier ministre. En vertu de la nouvelle constitution qui fut récemment proclamée en R.A.S., il a été élu pour 5 ans président de cette République si puissante et si riche d'avenir. Or l'une des mesures qu'il a fait adopter se résume à créer au Parle­ment d'Afrique du Sud deux nouvelles chambres : celle des Métis et celle des Indiens. 93:299 Comme il fallait s'y attendre, les forces sub­versives à l'œuvre contre toute initiative (quelle qu'elle soit) de la R.A.S. ont cherché à discréditer la création de ces deux chambres. Elles ont partiellement réussi à en boycotter les élections. Mais qu'importe ! M. Botha ne s'arrêtera pas en chemin. De même, il poursuivra son immense effort en faveur des Noirs : d'une part, en mettant sur pied le fameux projet de confédération évoqué plus haut -- d'autre part en élevant le niveau de vie des Noirs et de leur famille. Immense effort ? Quoi qu'en disent les zozos de l'O.N.U., cet effort existe et il est même fabuleux. Quelques exemples : en trois ans, d'avril 1979 à mars 1982, le ministère de l'Éducation a fait ériger *pour les Noirs* 7.600 salles de classe nouvelles ; et d'avril 82 à ce jour, plus de 5.000 salles. *Le rythme actuel est de 12 salles de classe par jour.* Mais pourquoi ces écoles *pour les Noirs ?* N'y a-t-il pas là ségrégation ? Sans aucun doute, en ce qui concerne les écoles primaires et secondaires. La raison en est simple : la mère noire, qui est une très bonne mère (en ce sens qu'elle a bien nourri ses enfants et même les a choyés) ne leur a strictement rien appris lorsqu'ils arrivent à l'école vers 6 ou 7 ans. Ces enfants noirs sont mentalement comme s'ils venaient de naître -- alors que les enfants blancs, métis et indiens ont appris à regarder des images, à découper des papiers, à manier des crayons de couleur, des cubes, des puzzles. D'où, pour le jeune Noir, une confronta­tion avec les autres qui risque d'être dramatique, de créer un véri­table traumatisme mental -- et des complexes durables. Il s'agit donc de réserver aux enfants noirs leurs écoles, au sein desquelles les enseignants (noirs ou blancs) s'efforcent de rattraper les années perdues. Ainsi, plus tard, parvenus à l'âge universitaire, les étu­diants noirs seront pratiquement au même niveau que les blancs. Et lors de mes visites aux bibliothèques des universités, j'ai revu ce mélange, ce superbe damier noir et blanc, et je vous assure bien qu'il n'y existe pas de ségrégation ! « Tout Noir possédant les qualités nécessaires peut accéder à une université blanche. » Voici d'ailleurs la simple rigueur des chiffres : l'an dernier, le nombre d'universitaires noirs était d'environ trente mille ; la moitié d'entre eux enregistrés dans les cinq universités noires ; l'autre moitié dans les diverses universités blanches. Autre exemple : l'explosion démographique des Noirs en Afri­que australe entraîne dans tous les domaines des créations nou­velles, si l'on veut améliorer partout leur niveau de vie. Ainsi fut créé le prodigieux complexe hospitalier de Baragwanath, l'un des plus vastes et des mieux équipés du monde, où j'ai pu observer d'étonnants appareils servis par un personnel hautement qualifié. (Ainsi, l'on y pratique 9 opérations du cœur en moyenne par semaine !) Rien que le collège ultra-moderne de formation des infirmières noires y a coûté la bagatelle (en équivalence) de 20 mil­lions de N.F. ! 94:299 En 1982, 120.000 patients ont séjourné à Baragwa­nath et 26.000 femmes noires y ont accouché ! Les médecins y sont en majorité blancs -- mais tout est mis en œuvre pour for­mer des médecins noirs. Et cet hôpital correspond notamment aux nécessités de Soweto, la vaste cité noire touchant Johannesburg, *où les bidonvilles ont été supprimés,* et qui, malgré sa monotonie, est en soi une ville moderne : les Noirs s'y sentent chez eux, exi­geant, nous l'avons vu, d'y avoir leur propre administration, leur propre municipalité, leur propre police : illustration du « dévelop­pement séparé », ainsi que du « droit à la différence ». Je parlais de dépenses « fabuleuses » en faveur des Noirs. C'est si vrai que la communauté blanche vient de voir ses impôts augmenter d'une manière insolite. Si vrai encore que des quatre coins de l'Afrique, les Noirs viennent chercher du travail au « pays de l'apartheid » ! Lorsque l'on a observé, vérifié, touché du doigt tout cela, on se trouve comme étranglé par l'évidence. Comment peut-on inventer et réinventer tant de mensonges, pour mettre et remettre la jeune et sage République de l'Afrique du Sud en perpétuelle posture d'accusée -- alors qu'elle est, de tous les pays africains, celui où les Noirs ont en moyenne le plus haut standard de vie ? #### *D'éminentes personnalités noires* C'est ce que des chefs d'État noirs réalistes comme Houphouët-Boigny (président Ivoirien) et Kenneth Kaunda (président Zam­bien) reconnaissent volontiers. « Il faut appuyer M. Botha dans ses efforts ! » disent-ils. Le Nigérien Oktereke, analyste politique, estime que Pretoria mérite « une place dans l'organisation afri­caine ». L'excellent journaliste noir Gaoussou Kamissoko, qui ne peut vraiment pas être soupçonné de complaisance à l'égard de la R.A.S., écrivait récemment : « J'ai déambulé dans Johannesburg des heures durant, entrant dans les magasins, *sans trouver les nombreux signes racistes dont j'avais tant entendu parler ! *» Arri­vant ensuite de Soweto, il disait encore « avoir découvert, stupé­fait, *une immense salle où de jeunes Noirs, mêlés à de jeunes Blancs,* se livraient à l'ivresse du « Funkie » et du « Reggae » ». Oui, lorsque l'on sait, lorsque l'on a vu tout cela, il ne reste rien -- absolument rien -- de ce que Jean Bourdier appelle si bien « l'indignation préfabriquée des grandes consciences du monde ». 95:299 #### *Le scandale de l'attitude socialiste française* Touchant l'Afrique du Sud, il semble que les événements se précipitent. Nouvelles violences, nouveaux meurtres des Noirs par les Noirs, état d'urgence proclamé, étrange complot des nations. Dans le journal *Minute,* j'adressai alors une « *Lettre ouverte à Laurent Fabius *» où je lui déclarais notamment : « Vous vous êtes surpassé ; selon votre volonté clairement exprimée, la France a fait approuver, aux Nations Unies, par le Conseil de Sécurité, le principe même de « sanctions volontaires » à l'égard de l'Afrique du Sud. Elle avait d'ailleurs donné l'exemple, à la différence de ses partenaires de la CEE. Quelles sanctions ? Le simple arrêt de nos investissements. Or, comme l'a très bien noté M. Botha, d'autres pays sont prêts à prendre très vite notre relève dans ce domaine. On se bousculerait même au portillon sud-africain. Vous décidez en outre le rappel de notre ambassadeur à Pretoria -- geste de peu d'importance et qui ferait plutôt hausser les épaules. Ce qui est vraiment important, c'est le fait que la France pré­tende s'ériger en procureur général sur la scène internationale, juger du haut de son régime socialiste un pays allié de l'Occident, et s'introduire avec impudence dans les affaires intérieures de l'Afrique du Sud -- alors que précisément, au nom du respect dû à l'autonomie des nations, les socialistes, qu'ils fussent au pouvoir ou dans l'opposition, ont laissé et laissent encore s'accomplir des agressions quotidiennes contre la liberté de certains peuples, voire de monstrueux génocides. Or tout ce rataplan glorieux que vous menez aux Nations Unies contre la République d'Afrique du Sud n'a que deux misé­rables prétextes : la condamnation unilatérale de ce que vous persistez à désigner sous le nom d'apartheid, c'est-à-dire, selon vous, de la ségrégation raciale appliquée par Pretoria, et la situation actuelle en Afrique du Sud, où les Blancs maîtres du pouvoir se livreraient aux pires violences à l'endroit des malheureux Noirs persécutés. Soyons sérieux. De quoi s'agit-il en réalité ? D'abord de la proclamation de l'état d'urgence par le président P. W. Botha, dans 36 districts sur 300. Pourquoi cette décision ? Parce que la violence règne dans les districts en question. Quelles sortes de vio­lences ? Il s'agit là d'actes de barbarie et de banditisme, qui visent principalement les biens et les personnes des Noirs respectueux des lois. 96:299 Il s'agit aussi d'une situation insurrectionnelle créée -- contrai­rement à ce que l'on dit dans les médias -- par une mino­rité noire, elle-même actionnée par l'African National Congress (ANC), mouvement terroriste pudiquement appelé anti-apartheid chez nous. D'autres groupes agissent pour envenimer les relations entre Blancs, Métis, Noirs et Indiens -- et pour annihiler l'action pacificatrice et progressivement libérale du président Botha. Citons le Forum National (NF) et le Mouvement de la Conscience Noire, ouvertement marxistes, l'un et l'autre. Fort heureusement, une cer­taine incohérence existe entre les idéologies et les stratégies de ces divers terrorismes. Mais ils ont un point commun : l'aspiration au chaos. Le but est en somme, répétons-le, de « déstabiliser » (comme on dit aujourd'hui) l'Afrique du Sud -- dont les réformes sont pourtant de plus en plus favorables aux Noirs, sans que l'équilibre nécessaire soit un seul instant perdu de vue. Et la violence que j'invoquais prend toutes les formes possibles et imaginables : pro­vocations, appels aux meurtres, manœuvres d'intimidation, incen­dies volontaires, agressions barbares, assassinats et tortures. Comment le gouvernement de l'Afrique du Sud pourrait-il res­ter indifférent face à ces mortels désordres, considérablement aggra­vés ces derniers temps dans certaines régions du pays, et notam­ment dans les cités noires ? En cela, comme l'a proclamé le président Botha, la législation sud-africaine ne diffère pas de celle de tant d'autres pays, qui prévoient l'instauration de l'état d'ur­gence lorsque la sécurité publique est menacée. En outre, il faut le répéter, l'état d'urgence ne concerne pas l'ensemble du pays, comme trop souvent nos médias et beaucoup de nos journaux en particulier affectent de le croire : cette mesure n'intéresse, je l'ai dit plus haut, qu'une faible partie du territoire sud-africain, ainsi que le rappelle le président Botha : « Oui, seulement un dixième du territoire, là où les Noirs, ac­cusés d'être des « collaborateurs », des « vendus », des « traîtres et autres appellations du même acabit sont pourchassés et mis à mort parce qu'ils ont accepté de prendre des responsabilités aux côtés des Blancs. » (...) Quoi qu'il en soit, le gouvernement d'Afrique du Sud vient de donner une précision supplémentaire que je livre, Monsieur le Premier ministre, à vos réflexions : « Les auteurs des actes de violence offrent à l'étranger l'image de « leaders » pondérés qui auraient un respect infini des principes démocratiques occidentaux. Cependant, leur objectif est de monter la communauté internationale contre le gouvernement sud-africain afin d'isoler totalement le pays. 97:299 « Ces leaders, au demeurant, ne recherchent en aucune manière l'amélioration d'un système dans lequel des responsables noirs pourraient, et tel est le désir du président Botha, participer de plus en plus largement aux prises de décisions affectant les intérêts de chacun. Il faut y insister : c'est donc au moment précis où le gou­vernement a mis en place un programme de réformes efficaces et généreuses que des éléments favorables à une dictature du type marxiste sont intervenus afin de stopper ce processus et d'empê­cher les dirigeants noirs anti-marxistes de jouer un rôle construc­tif. » Comment certaines nations occidentales, et pour commencer la France que vous prétendez diriger, peuvent-elles se prêter à cette sinistre comédie ? Oui, dans ces conditions, Monsieur le Premier ministre, com­ment osez-vous intervenir contre l'Afrique du Sud d'une manière aussi spectaculaire, agitant vos menaces dérisoires sur les tréteaux dorés des Nations Unies ? Car enfin, nous serions fondés à vous demander pourquoi vous n'êtes pas intervenu contre le Zimbabwe (ex-Rhodésie) où l'état d'urgence est reconduit de six mois en six mois depuis l'in­dépendance. Et pourquoi vous n'avez pas réagi contre un sembla­ble état d'urgence en vigueur au Lesotho depuis plusieurs années. Pourquoi vous avez vous-même, par la bouche de M. Pisani, décrété une mesure analogue en Nouvelle-Calédonie, tout en lais­sant le désordre canaque ravager notre belle île. Pourquoi vous n'avez pas rappelé votre ambassadeur en URSS, alors que les Soviétiques occupent l'Afghanistan, massacrant leurs habitants légi­times par dizaines de milliers. Pourquoi vous supportez sans réagir les déclarations terroristes de M. Kadhafi, et pourquoi vous lui abandonnez un vaste morceau du Tchad. Pourquoi vous laissez les pires abus se commettre en Extrême-Orient. Pourquoi enfin, vous conservez une mission diplomatique en Pologne. Dernière remarque : ainsi que l'a noté l'ambassade d'Afrique du Sud à Paris, vos médias ont assez vilainement tronqué l'inter­vention de M. Léon Delbecque, homme de valeur et de courage, grand connaisseur et ami de l'Afrique du Sud -- cependant que vous laissiez Breytenbach étaler largement ses contre-vérités et sa haine à l'égard de ce pays. Tout cela est l'expression même de l'imposture que je dénon­çais plus haut. Monsieur le Premier ministre, je désire ne jamais vous rencontrer, où que ce soit. En revanche, je tiendrais à hon­neur d'exprimer mon admiration au président Botha qui vous dit, après avoir dénoncé vos étranges procédés : 98:299 « *Le gouvernement sud-africain doit assumer ses responsabilités envers l'ensemble de sa population. Il n'est pas question de permettre que des pays étrangers lui dictent la conduite à suivre. *»* *» #### *Où en sommes-nous ?* Le jeudi 15 août, à Durban, le président de la République sud-africaine a prononcé un discours que le monde entier attendait. Assiégé -- nous ne voyons pas d'autre mot -- par des pressions venues de partout (du monde libre comme du monde rouge) P.W. Botha n'a pas déçu ses amis : il a dûment annoncé des réformes (libre circulation des Noirs, reconnaissance de leurs droits de pro­priété sur des terrains d'habitation dans les zones urbanisées, etc.) -- et sa parole vaut un contrat signé. Mais il a catégoriquement refusé d'accorder aux Noirs le droit de vote (le fameux « *one man, one vote *») *--* ce qui revient à dire qu'il ne veut pas abandonner son pays, heureux et prospère, au chaos des guerres tribales noires et des gestions aberrantes. Il ne veut pas que l'Afrique du Sud rejoigne, dans leurs désordres actuels et leur misère, l'Angola, l'ex-Rhodésie (Zimbabwe), le Mozambique -- et tant d'autres états africains. Il ne veut pas céder à la propagande soviétique, ni à la trahison occidentale. Sans doute, les violences provoquées par les ennemis de l'équi­libre et de la véritable civilisation se poursuivent et se poursui­vront -- peut-être iront-elles, dans un proche avenir, s'intensifiant et s'élargissant. Mais que chacun, désormais, se souvienne des paroles solennelles du président Botha : « *A ceux qui préfèrent la révolution aux réformes, je répondrai qu'ils n'ont aucune chance de parvenir à leurs fins, quels que soient les soutiens et encouragements reçus de l'étranger.* » \*\*\* Il faut le répéter : les condamnations continuent de frapper le bastion de l'Afrique du Sud comme une volée d'obus. Pour ne citer qu'un exemple de plus, je crois nécessaire d'évoquer une récente et sinistre affaire. De qui s'agissait-il ? D'un terroriste noir, Benjamin Moloise, *pendu pour le meurtre d'un policier noir qui avait femme et enfants.* 99:299 L'assassin reconnaissait son crime -- et cependant, voici le monde, le globe terrestre en émoi. Pourquoi ? Parce que la décision portant exécution capitale du tueur émanait précisément de la République d'Afrique du Sud. Une fois de plus, l'Ouest, l'Occident libre (États-Unis compris) tendit la main aux tyrans de l'Est et flétrit « cette pendaison barbare ». Nos radios officielles, notre télévision citaient plusieurs jours de suite les chefs d'État qui, de l'Est à l'Ouest, réclamaient, exigeaient la grâce du condamné ([^4]). Dans nos étranges lucarnes, on montrait sous tous les angles la mère de l'assassin. Nous plaignions, assurément, cette mère. Mais nous a-t-on montré la mère du policier noir qu'il a tué ? Nous a-t-on montré sa femme, ses enfants désormais orphe­lins ? Non pas -- et les media, en France et ailleurs, voulurent ignorer jusqu'au nom de la victime. Ce nom, nous le connaissons : le policier massacré s'appelait Philippe Selepe. Le meurtrier, lui, avait droit en revanche à toutes les compassions : c'était « *le sup­plicié de l'Apartheid *»*.* Davantage : prenant ce ton de père noble qui a tenté nos cari­caturistes, M. Mitterrand lui-même déclarait sur le petit écran que « cette exécution est un grand dommage pour notre civilisation ». Et M. Fabius, le visage clos comme par une fermeture Éclair, abandonnait son sourire : nous le voyions passer, grave, héroïque, résolu, se rendant à pied jusqu'à l'ambassade d'Afrique du Sud, quai d'Orsay, afin d'observer un instant de silence réprobateur. Je crois que jamais, au cours de notre histoire républicaine, un pre­mier ministre (ou un président du Conseil) n'avait atteint pareil ridicule... « Car enfin, écrivais-je alors dans *Minute,* ailleurs, on peut massacrer trois millions de Biafrais en quelques années (la chose se passait voici un peu plus de dix ans : hier), on peut tuer des Afghans par dizaines de milliers après avoir occupé leur sol ; on peut enfouir dans le goulag plusieurs millions de gens, hommes et femmes, jeunes et vieux, condamnés à la mort lente au moment même où j'écris ; on peut tenir trente-cinq millions de Polonais sous une botte écrasante, et l'on peut torturer leurs prêtres dans cette même Pologne catholique ; on peut zigouiller en série chez le caïd Kadhafi ou chez le grand prophète d'Iran ; on peut truci­der systématiquement, par villages entiers, les chrétiens du Liban au moyen d'armes soviétiques, avec la bénédiction de la Syrie croyez-vous que M. Mitterrand criera au « grand dommage de la civilisation » ? M. Mitterrand ne bougera pas. Qu'est-ce donc au juste que la « civilisation » pour ce personnage qui nous sert de président provisoire ? Et croyez-vous que M. Fabius ira, blême et glacé, se camper devant l'ambassade soviétique, ou celle d'Iran, ou celle de Syrie, ou celle de la République démocratique populaire de Pologne ? Non ! Ils ne bougeront pas... 100:299 « Mais la France d'aujourd'hui s'agitera -- et le monde entier avec elle -- en faveur d'un terroriste noir, meurtrier d'un policier, qui mobilisera partout l'immense armée des lâches et des sots. « Alors, je demande aux chefs de ces nations indignées, à l'Est ou à l'Ouest : que faites-vous à l'égard d'un tueur de policier, dans votre pays ? Vous lui versez une prime, vous l'inscrivez à la Sécurité sociale, vous lui envoyez des bonbons fondants ? » \*\*\* Mais l'Afrique du Sud n'est pas seule devant ses ennemis de l'Est et de l'Ouest, Dieu merci ! Ici même, en France, elle a trouvé des défenseurs, plus effi­caces et plus nombreux qu'on ne croit parfois... Des écrivains et des journalistes de grande qualité plaident vigoureusement sa cause : par exemple, dans le journal PRÉSENT, ou sous les plumes de Suzanne Labin, de Michel Droit, du pas­teur J.-G.-H. Hoffman, de Robert Lacontre, de bien d'autres ! Je n'en ferai ici que quelques citations -- mais je les crois éclairantes. Elles se joignent, d'ailleurs, à la double condamnation du socia­lisme et de la lâcheté occidentale par le prophète Soljénitsyne. A propos de celle-ci, Soljénitsyne osait écrire avec son aveuglante lucidité ([^5]) « Ce qui frappe le plus le regard d'un étranger dans l'Occident contemporain, c'est que le courage civique a disparu, non seule­ment de la société occidentale en général, mais de chacun des pays qui la composent, de chaque gouvernement, de chaque parti, et, bien entendu, de l'Organisation des Nations Unies. » Suzanne Labin semble lui donner la réplique, lorsque, dans un article intitulé « Deux poids deux mesures » ([^6]), elle rappelle ce qui suit : « Au Botswana, pays d'un million d'habitants, l'URSS a ouvert une ambassade dont le nombre de fonctionnaires dépasse celui de l'ambassade soviétique en France (qui a 55 millions d'ha­bitants). Cette pléthore a pour but d'entraîner les bandes terro­ristes qui ne cessent de commettre des incursions en Afrique du Sud. Ce qui a eu pour conséquence une intervention des Sud-Africains au Botswana. » Immédiatement, observe Suzanne Labin, notre gouvernement français -- et d'autres pays de l'Ouest avec lui -- condamnent « ce nouvel acte d'agression commis par Preto­ria contre un pays souverain ». 101:299 Et Suzanne Labin conclut : « Les choses seraient évidemment plus claires si notre ministre des Rela­tions extérieures établissait, une fois pour toutes, la liste des États qui ont le droit de riposter en territoire étranger et ceux qui ne l'ont pas. » De son côté, Michel Droit a publié un livre à la fois clair­voyant et documenté, qu'il intitule : *Et maintenant, si nous parlions de l'Afrique du Sud* (Plon). Dans sa conclusion, il nous dit : « Persister à feindre d'ignorer le rôle de sentinelle du monde libre -- je dis bien : du monde libre dont elle fait partie -- que l'Afrique du Sud, constamment accusée de tous les péchés, menacée à tous moments de toutes les sanctions imaginables, frappée de tous côtés d'un embargo sur ces armes qu'on distribue si géné­reusement ailleurs et à d'autres, oui persister à feindre d'ignorer ce rôle de sentinelle du monde libre que l'Afrique du Sud joue, envers et contre tous, à la pointe australe et stratégiquement capi­tale du continent africain, serait à proprement parler suicidaire. » Quant au texte du pasteur J.-G.-H. Hoffman ([^7]), il expose fort bien la situation, notamment en ce qui concerne l'attitude men­songère du Conseil œcuménique des églises (COE) et du Conseil des églises d'Afrique du Sud (SACC). Le pasteur Hoffman, après avoir cité notre courageux ami Jacques Soustelle ([^8]), n'hésite pas à déclarer : « Chrétiens mes frères, allez-vous laisser « les bonnes âmes », ces « idiots utiles » selon Lénine, anéantir l'immense effort accompli par Pieter Botha et son gouvernement en vue d'assurer une promotion réelle des Noirs ? Il ne s'agit pas d'un combat de la justice contre l'oppression, comme prédicateurs et media cher­chent à vous en persuader. Il s'agit de l'effort de « la fausse reli­gion » marxiste cherchant non pas à « établir la paix » en Afrique du Sue mais l'asservissement de ce pays, sa mort, et avec celle-ci... la nôtre. » Pour clore cette revue de presse (évidemment incomplète), je conseille aux amis de l'Afrique du Sud de se reporter à l'article de Robert Lacontre, envoyé spécial du *Figaro-Magazine* (26 octobre 1985), qui lui aussi, et sous un angle différent, assène « *les vérités qu'on nous cache sur l'Afrique du Sud *» *:* « En un an, nous dit-il, le bilan est lourd : 250 morts à la suite de bagarres entre Noirs, entre Noirs et Métis et tout récemment entre Noirs et Indiens. 102:299 Les échauffourées entre policiers et manifestants ont fait 510 morts dont dix policiers noirs (la moitié de la police est noire). Il n'y a eu jusqu'à présent que quatre Blancs tués par les Noirs. La semaine dernière, pour la première fois, c'est un soldat blanc qui a été tué. » Robert Lacontre démontre fort bien à quel point les tri­bus noires de l'Afrique du Sud n'attendent que le moment de se dévorer entre elles. D'autre part, il précise que « les Zoulous détestent les communistes. Récemment à Lamontville, des guerriers à demi nus, avec leurs peaux de léopard ; leur bouclier de cuir et leur lance ont attaqué un village où se cachait un commando de l'A.N.C. et l'ont massacré ». (Je rappelle que l'A.N.C. est une organisation noire terroriste et marxiste.) Lacontre revient sur l'une de ses affirmations, qui est très importante : « Aucune tribu n'acceptera jamais d'être commandée par le chef d'une autre tribu ! » Et puis, après avoir souligné le fait que cinq millions de Blancs fournissent du travail à plus de vingt millions de Noirs de l'Afri­que australe, il nous donne à cet égard sa conclusion : « Cela signifie que les Sud-Africains noirs ont un produit national brut (P.N.B.) double et triple de tous les autres Africains, voire un niveau de vie plus élevé que toute l'Amérique latine, que l'Asie et même... que l'Union soviétique. Deux, trois à quatre fois plus d'écoles, dix fois plus de médecins, cinq fois plus d'hôpitaux ou de cliniques. Non seulement les Noirs sud-africains mangent à leur faim, mais ils nourrissent les réfugiés qui arrivent à flots, et ils exportent des produits alimentaires (ainsi que des médicaments) dans les pays voisins. » Cela dit, Robert Lacontre ne cherche pas à escamoter les diffi­cultés, ni à nous dorer la pilule. Montrant l'importance économi­que et stratégique de la République d'Afrique du Sud, soulignant que les fameuses « sanctions » de l'Est et de l'Ouest ont fait per­dre à sa monnaie, le *rand,* la moitié de sa valeur, il considère enfin comme « particulièrement inquiétante » l'attitude de l'un des rois de l'or et du diamant, Galvin Relly, P.D.G. de l'Anglo-Ameri­can Company et successeur du richissime Oppenheimer : Relly, en effet, ne vient-il pas de rencontrer Olivier Tambo, grand chef de l'A.N.C., dont je disais plus haut qu'elle est, ni plus ni moins, une organisation noire marxiste et terroriste ? \*\*\* Tout récemment, l'un de mes correspondants en Afrique du Sud m'adressait une lettre éloquente qu'il faudrait citer tout entiè­re. Je me bornerai à quelques lignes, qui me semblent capitales : 103:299 « Ce qu'on discerne mal à l'étranger, me dit-il, c'est ce que j'ap­pellerai : la psychologie de ces Blancs du Sud face au danger. Plu­sieurs facteurs y contribuent. *Il y a d'abord l'instinct de se défendre, qu'on ne trouve presque plus dans le monde occidental. Ils le feront à n'importe quel prix,* et ils savent que même les grands capitaines d'in­dustrie en train de les trahir en pactisant avec l'ennemi, seront ame­nés à partager les risques du combat, ayant beaucoup plus à perdre que la population moyenne. Il y a aussi la réserve de force et de courage que constitue le peuple de base : *Afrikaners* au premier rang, mais aussi la majorité des Anglophones, de plus en plus identifiés au destin de ce pays où ils sont nés. Cette réserve de force est motivée par la volonté d'indépendance nationale, ayant de plus en plus conscience que c'est justement cette indépendance qu'on cherche en ce moment à leur arracher de l'extérieur. J'ai lu à ce sujet des lettres diverses dans la presse locale, où l'on sent monter une impatience hostile face aux campagnes menées en Amérique, en France et dans divers autres pays. Et puis, il y a les immigrants de toutes origines, en train de se regrouper pour soutenir l'action du gouvernement de P. W. Botha. » \*\*\* La rayonnante et vigoureuse Afrique du Sud, patrie des fleurs, et notamment de ces « prothéas » dont Monique Difrane a si bien chanté la beauté, ce pays des *Boers,* des *Afrikaners,* est *un pays chré­tien.* Il fallait qu'il survive. Il faut à présent qu'il garde son âme. Ses prodigieuses richesses minières, ses efforts financiers, sa sagesse poli­tique et raciale ne suffisent pas. Lors d'une séance du Parlement où j'étais invité à Capetown, j'ai entendu le président de l'Assemblée, debout comme nous tous, dédier les travaux de la Chambre « *to almighty God *»*,* au Dieu Tout-Puissant. A la grande fureur des deux matérialismes, marxiste et occidental, l'Afrique du Sud, c'est cela. Et je déclare à mes amis sud-africains : « L'avenir de votre pays magnifique et menacé dépend, d'abord et avant tout, *de la fidélité que vous saurez garder à l'idéal de vos pères. *» Il faut le dire et le redire : les *Boers,* les *Afrikaners,* nos amis, ont tout fait en Afrique du Sud. Ils représentent au sein du continent africain la seule grande nation chrétienne qui subsiste. Nous ne le dirons jamais assez : la République d'Afrique du Sud est l'un des derniers bastions de l'Occident. Et puisque cette race des *Boers,* puis­sante et gaie, qui sait être aussi patiente et grave, s'est confiée à Dieu depuis 300 ans, conquérant sa liberté au prix de tant de larmes et de sang, eh bien, que Dieu la garde ! Michel de Saint Pierre. 104:299 ### Émile l'apostat *Seconde partie, sixième chapitre* par François Brigneau *Sénateur. Ministre de l'instruction* (*et des cultes*)*. Renversé par le* « *Figaro* » *pour le scandale des chemins de fer. Ami de David Raynal. Complice de Waldeck-Rousseau.* GARÇON DE LABORATOIRE, Vauquelin passa la Révolu­tion dans la pharmacie, ce qui n'était pas d'un sot. Ayant lu l'avenir de la matière dans celle des poules, il devint professeur au Collège de France. Révoqué pour ses opinions libérales en 1822, le Calvados l'élisait en 1827. Cela lui suffit. Il mourut deux ans plus tard et Paris lui donna sa rue. 105:299 Émile Combes s'y installe en février 1885 avec sa femme et ses enfants ([^9]). Non pas pour honorer ce destin, encore qu'il devait lui plaire, mais parce que la rue Vauquelin, entre Lhomond et Gay-Lussac est proche de son nouvel emploi. Le Luxembourg se trouve à dix minutes à pied. Combes s'y rend, ponctuel, tous les matins, comme au bureau, d'un pas rapide. La taille cambrée dans la redingote, l'œil attentif, le coup de chapeau gracieux, il observe. Il ne se sent pas dépaysé. Moins nombreux qu'à la Chambre, les francs-maçons constituent au Sénat une minorité active, assurée, représentant toutes les régions. Combes rencontre ou va rencontrer les Grands Prêtres de l'Église maçonnique, Eugène Pelletan, sénateur inamovible, vénérable de la loge *l'Avenir,* membre du Conseil de l'Ordre du Grand Orient ; Jean Macé, sénateur inamovible, fondateur de la Ligue de l'ensei­gnement, loges *La Parfaite Harmonie* et *Alsace Lorraine ;* Emmanuel Tirard, sénateur inamovible, plusieurs fois minis­tre, président du Conseil, loge *l'École Mutuelle ;* Jules Simon, membre du gouvernement de la défense nationale en 1870, sénateur inamovible, loge *Le Réveil Maçonnique,* aujourd'hui passé à l'ennemi ; Charles Floquet, sénateur de la Seine, ministre, président du Conseil, membre de la loge *Écossaise,* vénérable de la loge *la Justice ;* 106:299 Jean-Ernest Constans, sénateur de la Haute-Garonne, ministre, loges *les Cœurs réunis* et *l'Encyclopédie,* membre du Conseil de l'Ordre du Grand Orient ; Élie Le Royer, sénateur inamovible, vénéra­ble de la loge *Le Parfait Silence,* président du Sénat ; Hippolyte Carnot, sénateur inamovible, loge les *Amis incor­ruptibles,* Joseph-Alfred Naquer, sénateur du Vaucluse, loge *les Amis de la Patrie de l'Avenir,* entourés de toute une armée de diacres ou de sous-diacres dont le foisonnement stupéfie. Voici David Raynal, de la Gironde ; Jacques Spuller, de la Côte d'Or, Pierre Isaac, de la Guadeloupe ; Barodet (Désiré de son prénom, sénateur de la Seine, loges *Le Travail* et *la Persévérante amitié,* auquel on doit la publi­cation en volume des engagements électoraux des candidats, ouvrage intitulé le « Barodet ») ; Scipion Dide, du Var ; Paul de Casabianca, de la Corse ; Henri Tolain, de la Seine ; Philippe Blanc, de la Loire ; Antonin Dubost, de l'Isère (loges *Le Parfait silence* et *la Renaissance*) ; Jean Cocula, du Lot ; Paul Strauss, de la Seine (loge *Thélème*) ; Paul Gérenie, d'Alger ; Théophile Collinot, de l'Yonne ; Édouard Millaud, du Rhône ; Antony Ratier, de l'Indre ; Alfred Macherez, de l'Aisne ; Georges Martin, de la Seine, fondateur de l'Ordre maçonnique mixte *Le Droit Humain ;* Marcel Saint-Germain, d'Oran ; Émile Gabran de Balzan, des Deux-Sèvres ; Jean Richard, de la Saône-et-Loire, véné­rable de la loge *Les vrais zélés*, Amédée Knight, de la Mar­tinique ; J.-B. Durand, de la Haute-Garonne ; Joseph Val­lier, de l'Isère ; Jules Leporche, de la Sarthe ; Marius Thé­venin, des Bouches-du-Rhône ; Hippolyte Savary, du Tarn ; Marius Defarge, des Basses-Alpes ; Maurice Cabart-Danne­ville, de la Manche ; Louis Blanc, de la Drôme ; François Dellestable, de la Corrèze ; Frédéric Desmons, du Gard, vice-président du Sénat, loge *l'Écho du Grand Orient,* prési­dent du Conseil de l'Ordre du Grand Orient, 33° ; Francis Beaupin, de la Nièvre ; Camille Deltheil, du Tarn-et-Garonne ; 107:299 Charles Dupuy, de la Haute-Loire, ministre, prési­dent du Conseil, président du Sénat, loge *l'Industrie ;* Ferdi­nand-Alfred Borriglione, des Alpes-Maritimes ; Alcide Duso­lier, de la Dordogne ; Émile Georges, des Vosges ; Émile Guyot, du Rhône ; Raphaël Milliès-Lacroix, des Landes ; Emmanuel Monis, de la Gironde ; Anthelme Guiguet, de l'Ain, etc. etc. sans oublier des non-initiés aussi maçons que des initiés tels Scheurer-Kestner, l'oncle (par alliance) de Jules Ferry. Émile Combes se trouve en pays de connaissance. Les hommes ne lui sont pas plus étrangers que les idées qu'ils véhiculent. Comme ce long récit ne cesse de le montrer, le ciment de cette collectivité est essentiellement la haine de l'Église catholique. Frédéric Desmons parlant en 1884 à la loge *Justice et Vérité* de Saint-Quentin, l'affirme sans ambi­guïté : « Que les catholiques sachent bien que nous oppose­rons drapeau contre drapeau, partout où ils porteront leur action, jusqu'au triomphe complet de la philosophie positive sur la théologie romaine, de la science sur la foi, jusqu'au triomphe complet de la liberté qui se prend. » ([^10]) Les sujets qui s'offrent aux réflexes et à la réflexion du nouveau sénateur lui sont familiers. Le premier est la sépa­ration de l'Église et de l'État. Il se pose dès ce printemps 1885, avec la préparation des législatives fixées à l'automne. Connu sous le nom de *programme de la rue Cadet* parce que les radicaux s'y sont retrouvés pour en fixer les grandes lignes, le programme de la gauche ne fait pas mystère de ses intentions : « Nous avons triomphé au cri de : Guerre au cléricalisme !... L'Église n'a pas changé... Il faut reprendre la tâche interrompue... C'est défier l'histoire et le sens com­mun, que de représenter comme nécessaire à la démocratie le Concordat inventé par Bonaparte pour préparer l'Empire. 108:299 Il faut assurer par la séparation de l'Église et de l'État, la liberté de conscience et le caractère laïque des sociétés mo­dernes. » ([^11]) Le sénateur Henri Tolain, ouvriériste internationaliste et franc-maçon ([^12]), inscrit cette rubrique : *Séparation de l'Église et de l'État* dans sa charte d'*Alliance républicaine* des radicaux et des progressistes. Il y précise les détails : « Mesures prépara­toires destinées à sauver la liberté de conscience et les droits de la société laïque ; suppression de l'exemption du service mili­taire pour les séminaristes ; sécularisation de tous les services publics ; retour à la nation de tous les biens de mainmorte indûment retenus par les congrégations ; mesures législatives pour empêcher la reconstitution de ces biens. » Un large accord s'établit sur ces propositions. Du F**.·.** Floquet au F**.·.** Brisson en passant par le F**.·.** Spuller, l'unanimité semble s'établir avec des réserves, cependant, des nuances. Il y a les pressés et les pas-pressés ; les patients et les impatients ; ceux qui veulent pousser les feux et qui brûlent de mettre le pays devant le fait accompli ; ceux qui disent : « Attention, n'allons pas trop vite, nous pourrions tout faire capoter. » Le débat va se poursuivre pendant des années. Joseph Reinach, par exemple, recommande la lucidité : « Quand le gouvernement et les chambres républicaines ont séparé l'Église de l'école, l'Église de l'hôpital, l'Église du cimetière, l'Église de la commune, en rendant facultatifs les crédits jadis obligatoires pour le service des cultes, qu'ont-ils fait sinon séparer l'Église de l'État. » ([^13]) 109:299 C'est vrai : pourquoi risquer d'échauffer les esprits en réclamant la lettre d'une réforme qui est pratiquement passée dans l'esprit ? Ferry appelle aussi à la sagesse : « Vous connaissez nos campagnes, vous savez l'emprise des habitudes, des traditions. Supprimer le budget des cultes, retirer au clergé les églises, jeter les prê­tres dans la rue, même dans un pays républicain -- et que dire des départements de l'Ouest et du Centre -- c'est pro­voquer un ébranlement général, une irritation des consciences, dont un gouvernement sérieux ne doit pas se faire un jeu. J'ai toujours, quant à moi, présente à l'esprit une parole de Gambetta après notre victoire du 16 mai : « Je ne vois que deux choses qui puissent désormais exposer la République : une guerre européenne ou la suppression du budget des cultes. » ([^14]) A l'opposé Stephen Pichon, l'ancien rédacteur de *La Commune affranchie* et de la *Justice,* député de la Salpêtrière et futur sénateur, déclare à la tribune de l'Assemblée : « Vous avez dissous les congrégations religieuses, vous avez aboli le serment religieux, vous avez voté la liberté des funé­railles, vous avez décrété l'enseignement laïque, vous avez pris devant les électeurs l'engagement d'astreindre les sémi­naristes au droit commun, l'Église ne tient plus que par un lien : le budget des cultes ; ce lien je vous demande de le trancher. » ([^15]) Stephen Pichon, comme cette attitude permet de le supposer, appartient à la loge *Les Amis de la To­lérance* ([^16])*.* 110:299 Cette controverse oppose (fraternellement) les noms les plus connus de la secte. Celui d'Émile Combes, sénateur de la Charente-Inférieure, ne se trouve jamais cité. Voilà pour­tant un sujet pour lui. Il y est orfèvre. Mais il se tait. Il fait ses classes, d'une patte prudente, comme les chats font leur couche. Les natifs de la Vierge... On ne l'entend pas davantage en février 1886 dans le grand débat qui s'ouvre au Sénat sur la laïcisation du per­sonnel enseignant, la sécularisation complète de tous les ins­tituteurs et les institutrices, et la centralisation générale du personnel laïcisé. Il s'agit d'un projet de loi Paul Bert-Ferry-Steez, défendu aujourd'hui par le F**.·.** Goblet. A partir du rapport de Joannis Ferrouillat, sénateur du Var ([^17]), les grands principes et les petites arrières-pensées se mêlent. Ferrouillat, Goblet, Chesnelong, Bardoux, Jules Simon, Di­de, Jean Macé, s'affrontent. Jules Simon qui, depuis Ferry et l'article 7, défend l'école libre au nom de la liberté, exécute son brillant exercice de violon déchiré : -- Mettez la main sur nos propriétés, mais ne la mettez pas sur nos consciences ! Nous vous livrerons plutôt notre bien-être et nos personnes que de vous livrer l'âme de nos enfants !... Et moi qui parle ainsi je n'ai pas peur de vos écoles : non, je n'en ai pas peur ! Je parle pour la liberté, c'est-à-dire pour la liberté des autres. -- Voilà un honnête homme, s'écrie Emmanuel Halgan, sénateur monarchiste de Vendée. Et, tourné vers la gauche il ajoute : -- Répondez donc à cela. 111:299 Ce n'est pas *l'envie* de répondre qui doit manquer à Émile Combes. Mais son parti pris d'observation prélimi­naire des hommes, du terrain, des techniques est plus fort. Il laisse Goblet répondre à Simon en citant les anciens textes de ce républicain franc-maçon, qui provoqua le 16 mai en s'opposant à Mgr Dupanloup et défendit dans une série d'ou­vrages (*la Religion naturelle, l'École, la Liberté de Conscience, la Politique radicale,* etc.) la nécessité d'un enseignement moral distinct de l'enseignement confessionnel, celui-ci laissé à l'Église, au temple, à la synagogue, celui-là réservé à l'école. Voilà un thème fait sur mesure pour l'ancien séminariste devenu maître de *l'Orient de Barbezieux.* Mais il se tait comme il se tait lors de la préparation du centenaire de 1789. Dans la fièvre de cette commémoration prestigieuse, tous les républicains se mobilisent. En 1885 le conseil municipal de Paris crée à la Sorbonne un cours d'histoire de la Révo­lution. En 1886 Goblet nomme son premier titulaire : Al­phonse Aulard, le jacobin furieux ([^18]). En 1887 Jean-Claude Colfavru, ancien émeutier de 1848, député de Seine-et-Oise, franc-maçon éminent (loges *Saint-Vincent de Paul, le Travail, Étoile Polaire, La Clémente Amitié*) et même président du Conseil de l'Ordre du Grand Orient ; l'ancien pasteur Au­guste-Scipion Dide, instigateur avec Gaston Crémieux de la Commune Révolutionnaire de Marseille, sénateur du Gard siégeant à l'extrême gauche, initié à la loge *La Constante Amitié ;* le député de la Seine Anatole de la Forge, vice-président de la chambre (loges *La Constante Amitié* et *Étoile Polaire*) ; Habre Hovelaeque, président du Conseil de Paris, député de la Seine, loge *Les Amis de la Tolérance,* entourés de quarante hommes politiques de même farine lancent un « appel à tous les républicains de France » pour que les « principes seuls de la Révolution » donnent au parti radical sa force de cohésion. 112:299 Dans ce comité je n'ai pas trouvé trace de Combes qui, huit ans plus tard, participera pour­tant au premier ministère radical homogène de l'histoire de la III^e^ République : le cabinet Léon Bourgeois. Il ne s'af­fiche pas. Il ne fait ni vagues, ni remous. Contrairement à beaucoup de francs-maçons de province que leurs activités politiques fixent dans la capitale, il ne s'est pas affilié à une loge parisienne. En revanche à la loge de Barbezieux, il ajoute *La Tolérance et l'Etoile de la Saintonge réunies* comme s'il préférait assurer son implantation en Charente qu'éten­dre ses relations à Paris. Partout il se montre discret mais présent, assidu au travail des commissions. En 1888 il pré­sente un « consciencieux rapport » sur « les dépenses ordi­naires de l'enseignement primaire ». En 1889 on le trouve rapporteur sur « l'organisation de l'enseignement primaire, le classement et le traitement des instituteurs ». A la tribune, il exhorte la majorité du Sénat en ces termes : -- Vous n'hésiterez pas à consolider, au prix d'un der­nier sacrifice, cet édifice scolaire que vous avez élevé de vos mains, sans vous laisser émouvoir d'ailleurs par les pronos­tics qui en ont prédit la destruction prochaine, comme s'il était possible que l'année du centenaire et de l'Exposition fût témoin d'une défaillance du suffrage universel. ([^19]) La loi est promulguée le 18 juillet 1889. Selon la *Revue Pédagogique* c'est la dernière pierre d'une œuvre monumen­tale que la République peut regarder avec orgueil et satisfac­tion. Combes, petite souris trottinante, est déjà ailleurs. Il fait partie de la commission d'enquête en Algérie que pré­side le sénateur Jules Ferry, qui blackboulé de la Chambre a trouvé aussitôt un siège au Luxembourg. Tout naturellement Combes s'est vu réserver l'Enseigne­ment. Son souci majeur n'est jamais avoué. On le sent pour­tant toujours alerté. Il s'agit de contrecarrer par tous les moyens la pénétration de l'enseignement catholique. En Algérie comme en Charente. 113:299 Pour atteindre cet objectif, Émile Combes préconise un certain nombre de mesures : création à l'école normale d'instituteurs d'Alger d'une section spéciale destinée à for­mer des instituteurs laïques pour les écoles indigènes ; ouver­ture de toutes les écoles aux indigènes à la condition qu'elles soient dirigées par des directeurs d'école ou des instituteurs sortant des écoles normales ; surveillance des écoles indi­gènes par une commission contrôlée par l'Inspecteur pri­maire ; réorganisation des Medersas (écoles supérieures ara­bes) d'Alger, de Constantine et de Tlemcen en y implantant un enseignement musulman sous contrôle français. Le culte islamique serait enseigné dans ces établissements en même temps que les autres matières et les *tolba* (étudiants) pour­raient obtenir au bout de cinq années un diplôme corres­pondant aux diplômes français. Ces écoles seraient, avec les écoles primaires normales, les seules à bénéficier de subven­tions de la République. On s'en serait douté. Vous retien­drez, en passant, que ces dispositions furent arrêtées en plein Ralliement, et que celui-ci fut lancé, sur l'injonction de Léon XIII, par le cardinal Lavigerie, archevêque d'Alger, le 12 novembre 1890. Il regardait peut-être de trop haut et trop loin pour voir ce qui se passait chez lui, sous ses yeux. Ce travail, effectué au cours de trois voyages que Combes fait en Algérie entre 1889 et 1893 sous la direction de Jules Ferry, doit avoir une grande importance aux re­gards des loges. En tout cas la récompense est immédiate. Si obscur et dissimulé qu'il se soit voulu Émile Combes est porté à la vice-présidence de la Haute Assemblée en 1894 et, l'année suivante, alors qu'il vient de fêter son soixantième anniversaire et que le *Dictionnaire des contemporains,* le Vapereau, ne connaît pas encore son prénom, le nouveau président du Conseil pressenti songe à lui. \*\*\* 114:299 Celui-ci se nomme Léon Victor-Auguste Bourgeois. Nous l'avons déjà rencontré au cours de notre investigation hautu­rière sur l'une des mers les plus secrètes de notre histoire. Léon Bourgeois est un barbu mielleux portant un lorgnon renforcé à gauche où il a l'œil qui tombe et volontiers lar­moyant. Professionnel de l'arrivisme -- humaniste, très porté sur la période creuse et le propos lénifiant, sa carrière répu­blicaine est une des plus prestigieuses que l'on puisse ren­contrer. Sous-chef de contentieux au ministère des travaux publics, il eut la chance d'être révoqué en 1877 par Mac-Mahon. Sa fortune était faite. Le voici dès 1880 sous-préfet de Reims et initié à la loge de la ville : la *Sincérité.* Préfet du Tarn (bonjour, Émile !) en 1882, il se distingue lors des grèves de Carmaux. Légion d'honneur à 31 ans : ça s'an­nonce bien. Préfet de la Haute-Garonne (1885), de Police (1885), député de 1888 à 1905, sénateur de 1905 à 1925, de nombreuses fois ministre : de l'intérieur, de l'instruction publique, de la justice, du travail, des affaires étrangères, -- quand on a des lumières, il faut s'en servir, -- président du Conseil, président de la Ligue de l'enseignement, co-fonda­teur du parti radical, auteur d'un ouvrage sur les chemins de fer à voies étroites et d'un autre sur *La Solidarité,* inven­teur de l'impôt progressif sur le revenu, apôtre de la SDN, on s'étonne de l'oubli où il est tombé. Comment l'expliquer ? Par l'ignorance cultivée comme une fleur de la liberté de l'esprit que rien n'encombre plus désormais ? Par l'aplatissement du parti radical ? Ou par son nom ? Comment pourrait-on aujourd'hui honorer un Bourgeois ? Je vous laisse démêler. \*\*\* Nous voici donc, il y a tout juste cent ans, dans la nuit du 31 octobre au 1^er^ novembre. Dépêchés par Bourgeois, Simon dit Lockroy et son secrétaire arrivent rue Vauquelin. Il fait noir et froid. Le cocher a sa capuche d'hiver. Le che­val s'ébroue en frappant du sabot. La lumière jaune du fia­cre tremblote dans la nuit pluvieuse. 115:299 -- M. Combes, s'il vous plaît ? Le concierge, déférent, indique l'étage. Lockroy s'élance. Encore un personnage du grand théâtre républicain, que nous voyons jaillir à tous moments des coulisses, de la salle, sauter des cintres et sortir même du trou du souffleur. Édouard-Étienne-Antoine Simon dit Lockroy, né à Paris en 1838, d'un père italien, vraisemblablement juif, de la famille des Jullien de la Drôme qui marqua la Révolution de sa cruauté. D'un fils Jullien le Dictionnaire biographique des hommes marquants de la fin du XVIII^e^ siècle écrit : « Rien ne peut rendre son exaltation fanatique, son goût pour les supplices et son idolâtrie pour la guillotine qu'il appelait "le purgatif des royalistes". » Drumont ajoute : « On l'envoya à dix-neuf ans remplacer à Bordeaux Tallien et Ysabeau qu'on trouvait trop tièdes et ce gamin justifia les espérances du comité de salut public. » On l'entendit un jour, raconte Prudhomme, s'écrier dans la société populaire que si « le lait était la nourriture des vieillards, le sang était celle des enfants de la liberté » ([^20]). C'est cet « aimable jeune homme » que le poète bordelais Joseph Desjaze chansonna dans ce quatrain : *L'un des trois Jullien, proscripteur de vingt ans* *Ranime dans Bordeaux les bouchers haletants ;* *Les meurtres sont ses jeux et les têtes coupées* *A cet enfant cruel tiennent lieu de poupées.* Joseph Simon, le père, préférait d'autres divertissements. Acteur, auteur, homme à tout faire de théâtres en tous gen­res, il donnait la main aux auteurs pressés, nègre ici et là collaborateur reconnu, passant du mélo à l'opéra-bouffe, de l'*Impératrice et la Juive* à *Bonsoir M. Pantalon.* 116:299 Édouard le fils fut élevé à la diable, dans le mouvement des coulisses et la fièvre des cafés à frimants. Une poétesse du nom d'Élise Moreau s'occupa de lui. Un prêtre, l'abbé Ravailhe, qui fut curé de Saint-Thomas d'Aquin, sous la Commune, essaya de l'aider à devenir un homme. Il ne fut guère récompensé. Dans la chasse aux Frères des Écoles chrétiennes, Simon dit Lockroy devait laisser un nom fa­meux. Après avoir tâté de la scène chez Déjazet et des petits journaux comme *Le Diable à quatre,* il glissa à la politique cette autre forme de spectacle. Élu sans interruption de 1871 à 1910, tantôt à Aix-en-Provence, tantôt à Paris (XI^e^) appar­tenant tour à tour ou en même temps aux loges *La Mutua­lité, la Justice, Voltaire* et la *Fédération Universelle,* ministre haut-le-pied passant de l'Instruction Publique (et des Beaux-Arts) à l'Industrie et au Commerce avant de se retrouver à la Marine, il fut partout et à tous moments un des chevau-légers les plus remuants de la guerre républicaine contre l'Église catholique. Le regard vif dans un visage aux aguets, la bouche nerveuse, il avait du charme, de la drôlerie, une grande finesse d'approche, un sens aigu de ses intérêts qu'il servait avec autant d'impudence que de prudence pareille­ment calculées. Son rôle fut des plus troubles sous la Com­mune. Il avait poussé à l'insurrection. Quand le fiasco fut patent, il s'en alla promener dans les bois de Clamart. Des Versaillais qui patrouillaient l'arrêtent. Il est emprisonné, puis libéré sans jugement. Étant données la rigueur des tribunaux militaires et la sensibilité de M. Thiers, cette mansuétude est tout à fait remarquable. Elle, permit à Simon-Lockroy d'accueillir Vic­tor Hugo retour d'exil. Après tout n'était-il pas aussi un homme de lettres, l'auteur du *Zouave est en bas,* une co­médie qui pour n'avoir pas éclipsé *le Bourgeois gentilhomme* n'en avait pas moins le mérite d'exister ? Simon savait admi­rablement paraître quand il le fallait, s'effacer à bon escient et profiter des grandes ombres pour avancer. Il avait ainsi profité du renom de Renan et de la publicité de Garibaldi. Il fut de la suite du proscrit, devint un familier de la mai­son, épousa la veuve de Charles Hugo, ce qui en fit le beau-père de Jeanne-était-au-pain-sec, la première femme de Léon Daudet. 117:299 D'après Drumont, Hugo sentant venir la mort demanda un prêtre. Lockroy aurait empêché qu'on l'allât chercher. Drumont n'apporte pas la preuve de sa conviction. Ce qui en revanche est établi, c'est que Simon dit Lockroy ne remit pas au vieux poète arrivé au terme la lettre très émou­vante que lui avait adressée l'archevêque de Paris ([^21]). Ce sont là des services que le Grand Orient apprécie. 118:299 Me voici encore dans une traverse. C'est mon défaut : le feston. J'en rajoute. Ça finira par faire boursouflé. J'ai laissé Lockroy rue Vauquelin, dans l'escalier, montant quatre à quatre chez Combes. Je suis impardonnable. En cette saison et à l'époque. Novembre 1885 : les maisons n'étaient pas chauffées comme elles le sont aujourd'hui. Lockroy est in­troduit dans le salon. -- Venez vite. Bourgeois vous attend. -- Moi ? dit le petit père Combes en se cambrant et fai­sant l'étonné. -- Oui. Je vous expliquerai en route. Le temps presse. Le troisième Cabinet Ribot ([^22]), modéré comme son président, le violoncelle du centre gauche, bricolait depuis janvier. Sa stratégie était calquée sur celle de ses prédéces­seurs, Dupuy et autres. En satisfaisant les revendications laï­ques de la gauche on obtenait une neutralité qui permettait à la République de l'argent de poursuivre ses affaires. Les combinaisons ministérielles duraient ce qu'elles duraient quelques mois avant d'être disloquées à la défaveur d'un incident, d'une entreprise tournant mal, d'un projet avorté, du choc d'appétits opposés, d'un scandale ou de nouveaux projets. Ainsi le sonore Ribot qui avait eu la peau de Gambetta et de Ferry venait de succomber. 119:299 Il n'avait pas résisté à l'effet conjugué d'une grève des ouvriers carriers de Carmaux et de poursuites judiciaires contre les administra­teurs des chemins de fer du Sud. Il se retirait avec sur le visage un grand air de dignité blessée, le sentiment du devoir accompli, la certitude que le retour de la fortune ne serait pas très long. En quoi il se trompait. Il allait lui falloir attendre la guerre pour se retrouver au pouvoir. La République glissait à gauche. Léon Bourgeois décidait de faire un cabinet radical homogène. Et quel cabinet ! Onze ministres, neuf francs-maçons, à commencer par le président du Conseil lui-même ; le ministre des finances, Paul Doumer ([^23]) ; le ministre de la guerre Godefroy-Cavaignac ; Lockroy, le ministre de la marine ; le ministre du commerce, Gustave Mesureur qui voulait rendre la cré­mation obligatoire, transformer les églises en « conservatoire de cendres » et déclarait : « Je veux la suppression du culte catholique romain. Je combattrai jusqu'à ma mort le catho­licisme romain qui est à mes yeux la pire des superstitions. J'espère cependant vivre assez pour voir tout à fait ruinée cette religion malfaisante. » ([^24]) L'Agriculture était confiée au F**.·.** Albert Viger, docteur en médecine, député du Loi­ret ; les Colonies au F**.·.** Paul Guieysse, député du Morbi­han, loges *La Renaissance par les Émules d'Hiram* et *Nature et philosophie ;* enfin aux Travaux Publics on trouvait le F**.·.** Guyot-Dessaigne, député du Puy-de-Dôme. 120:299 Les deux seuls ministres à n'être pas maçons étaient le ministre des affaires étrangères Marcellin Berthelot, chimiste de son état mais dont le fils André le fut, et le ministre de la justice M. Ricard qui aurait pu l'être. C'est lui qui, dans le ministère Loubet (1892) avait fait déférer cinq évêques au Conseil d'État -- dont Mgr Fava, de Grenoble -- coupa­bles d'avoir rédigé et diffusé les fameux « catéchismes élec­toraux ». Aux aigrefins de Panama il devait montrer moins de pugnacité. Cette densité de francs-maçons dans les palais ministé­riels répondait à une exigence du Grand Orient. Quelques mois auparavant, au congrès des loges du Centre, le F**.·.** Fruit avait déclaré : « Il est nécessaire que nos FF**.·.** qui sont au pouvoir, placent le plus de FF**.·.** possibles à leur suite dans les ministères, à la tête des différentes administra­tions, des services les plus importants. » ([^25]) Léon Bourgeois offre d'abord les Colonies à Combes. Son travail en Algérie a été signalé et apprécié. Combes refuse. Il veut l'Instruction publique, les Beaux-Arts et les Cultes. Il les obtient. On ne peut les placer en meilleures mains. Dès le 9 novembre Léon Bourgeois reçoit le Conseil de l'Ordre du Grand Orient présenté par son président, le F**.·.** Lucipia, ancien communard condamné à mort et gracié, organisateur d'une tournée de conférences en loges : « *La franc-maçonnerie et l'affaire Dreyfus *»*.* La réception est em­preinte d'une ferveur rarement rencontrée. Le *Bulletin maçon­nique* de novembre 1895 en témoigne qui écrit : « Songez que le président de la République et le président de la Chambre sont aussi francs-maçons. Jamais un groupe si compact d'hommes ayant porté le tablier ne s'était trouvé au sommet du pouvoir politique. Ainsi, de tous les ateliers, des batteries d'All**.·.** sont tirées en l'honneur de cet heureux succès. » 121:299 Cette allégresse, Émile Combes la partage avec fièvre. Tout lui est bon à discours engagés. En posant la première pierre du lycée de jeunes filles de Niort il félicite les « mères qui ont compris que dans ces lycées elles trouveraient mieux qu'ailleurs » pour leurs enfants. A la fête de la gymnastique d'Alger, il remercie la République qui permet aux jeunes gens de cultiver leur corps aussi bien que leur esprit. Am­broise Thomas est généralement considéré comme un des musiciens français les plus plats. Mais il a composé une orchestration de la *Marseillaise,* d'un pompiérisme creux, en tout cas inférieure de beaucoup à celle de Berlioz. C'est Thomas que Combes salue en parlant de son « opportu­nisme » musical. Devant le monument d'Émile Augier mort en 1889 il vante la vertu « base nécessaire du régime répu­blicain ». A Beauvais le 29 mars 1896, il se laisse emporter par son éloquence et se révèle tout entier : -- A l'époque où les vieilles croyances, plus ou moins absurdes et en tout cas erronées, tendent à disparaître, c'est dans les loges que se réfugient les principes de la vraie morale. Ce qui provoque cette remarque du *Temps :* « *Personne ne se méprendra sur l'importance de ces paroles... Après cette déclaration solennelle de M. le ministre des cultes, la franc-maçonnerie est promue désormais religion officielle.* » C'est ce qui apparaît tous les jours dans l'activité politi­que du ministère. Les religieux doivent l.243.000 francs au fisc. Ils n'en ont acquitté que 139.000 francs. C'est une honte, un privilège révoltant auquel il importe de mettre fin au plus tôt. M. Bourgeois promet d'y veiller. Rapporteur d'une commission ad hoc, Goblet ajuste de nouveaux mo­yens de coercition. On les aura en multipliant les contraintes et les difficultés ! Combes a une idée géniale : le baccalau­réat. Dans les lycées il sera remplacé par un certificat de fin d'études. 122:299 Ce diplôme, que les professeurs distribueront à leurs élèves, leur permettra d'embrasser les carrières libérales. A l'opposé, les élèves de l'enseignement catholique devront toujours exciper du baccalauréat et, pour l'obtenir, passer devant un jury d'État ([^26]). C'est un peu gros. Le projet avorte. Qu'importe. Combes a déjà engagé une autre bataille, à Reims, contre Clovis. En 496, après avoir vaincu les Ala­mans à Tolbiac, Clovis et plusieurs milliers de ses guerriers se sont fait baptiser à Reims. Quatorze siècles plus tard Mgr Langénieux, qui est à l'Église de France ce que Cécil B. de Mille fut à Hollywood, veut organiser des fêtes grandioses, magnifiques, une mobilisation des fidèles et de leur clergé dans le faste, la pourpre, l'or, l'encens qui montera du chœur de la cathédrale avec les cantiques et le chant des cloches. C'est une grande figure, le cardinal-archevêque. Ancien curé de Saint-Ambroise, sous l'Empire, il est à l'origine des pèlerinages ouvriers avec de Mun. Monarchiste de cœur, « il s'est rallié avec résignation » mais caresse toujours l'es­pérance de sacrer un jour le roi de France à Reims dans sa cathédrale. Il a multiplié les écoles dans son diocèse, les patronages, les cercles, les missions. Il a fait venir les Trap­pistes et les Pères Blancs. Aujourd'hui il ressuscite Clovis, Clotilde, Avit et Rémi. « Gardien du baptistère national et du tombeau de l'apôtre des Francs, j'ai pensé que je ne pouvais laisser passer cette date mémorable sans la célébrer dignement et il m'a paru que le meilleur moyen serait de créer un grand courant religieux et patriotique en France, qui fût capable de soulever les âmes et de faire tourner les yeux et les cœurs vers ces lieux où notre patrie a vraiment pris naissance. » -- Non, dit Combes, pour qui la patrie a pris naissance en 1789. C'est de la provocation. Votre manifestation est politique. Elle contrevient à la loi de germinal an X qui assigne les évêques à résidence, leur interdit de quitter leur diocèse et de se rassembler sans l'autorisation du gouverne­ment. 123:299 -- Ils ne se rassembleront pas, répond l'archevêque de Reims. Ils se succéderont. Mgr Langénieux passe outre aux interdits ministériels. Il invite les évêques de Belgique et du Canada et même Nico­las II. (Nous sommes au chaud de l'alliance franco-russe.) Fureur de Combes qui riposte en décidant de nommer dorénavant les évêques sans attendre l'avis du pape ni en tenir compte. Ainsi le cardinal Bourret, archevêque de Ro­dez, doit occuper l'archevêché de Toulouse. Combes met son veto. Il n'en veut pas. Le nonce Mgr Ferrata intervient. Il proteste. Mgr Bourret est un prélat de haute valeur, actif, intelligent, ouvert, entreprenant. Même M. Constans, ancien ministre de l'intérieur, député franc-maçon de Haute-Garon­ne, le trouve à sa convenance. -- Non, dit Combes. Ce sera Mgr Fonteneau, évêque d'Albi. -- Mais pourquoi ? -- Il a marié mon fils Edgar et c'est un bon républi­cain ! En effet, la *Croix du Tarn* dans son numéro de novem­bre 1895 a publié une déclaration de Mgr Fonteneau qui, s'adressant à ses prêtres, disait : -- « Je suis très bien avec le gouvernement. Il a pour moi des complaisances extrêmes, sans avoir jamais rien de­mandé d'incompatible avec ma conscience. Si je fais quelque bien parmi vous, messieurs, je le dois en partie au gouver­nement qui agrée toutes les nominations que je lui présente, qui m'aide sans me contrarier jamais en toutes mes œuvres, et qui me favorise en tout autant que les circonstances le permettent. Jamais aucun nuage n'a assombri nos rapports. Nos gouvernants ne sont point les auteurs des lois mau­vaises qui nous gouvernent. Il faut donc être les amis du gouvernement actuel. » ([^27]) 124:299 Sottise ? Naïveté ? Inconscience ? Trahison ? En tout cas le phénomène s'il est rare n'est pas isolé. Lors du voyage en Alger que nous évoquions tout à l'heure le successeur de Mgr Lavigerie, Mgr Dusserre, vint s'incliner devant Combes et lui dit : -- « Un des premiers devoirs que nous impose notre religion divine est de faire respecter et par conséquent d'ho­norer nous-mêmes avant tous les autres et plus que tous les autres, ceux qui sont sur la terre les dépositaires de l'auto­rité, parce que toute autorité vient de Dieu... Nous sommes heureux, monsieur le ministre, que rien ne s'oppose aujour­d'hui à ce que nous puissions remplir ce devoir auprès de vous. » Dans ces conditions la défaite de Combes et de son camp ne pouvait être qu'accidentelle et momentanée. Elle survint néanmoins plus vite qu'on ne l'attendait. Le 12 février 1896, sous le titre *Une lettre de menaces de M. Combes* le *Figaro* publiait l'article que voici. Je le cite entièrement. Il en vaut la peine. Nous ne savons pas si le ministre actuel de l'instruction publique, M. Combes, est un grand partisan des enquêtes judiciaires que M. Ricard affectionne et prodigue ; en ce cas il y aurait une enquête toute naturelle qu'il faudrait ouvrir sans autre retard, afin que les magistrats puissent caractériser et qualifier, comme il convient, la lettre de menaces que ledit Combes s'est permis d'écrire l'an dernier au directeur des chemins de fer de l'État. « Si vous ne me nommez pas administrateur de votre com­pagnie, je vous attaque et vous fais attaquer par mon groupe politique au Sénat », tel est le stupéfiant résumé du docu­ment dont nous mettons le texte intégral sous les yeux de nos lecteurs. 125:299 La lettre date de quelques mois : Paris, 13 juillet 1895. Monsieur le Directeur, J'ai l'honneur de vous écrire pour vous informer que je m'associe entièrement aux déclarations qui vous seront faites par M. X... au sujet d'incidents qui nous intéressent l'un et l'autre. Il s'est formé un groupe parlementaire pour soutenir et défendre le réseau ferré de l'État, ainsi que les intérêts des départements, villes ou ports de la région qu'il dessert. Le groupe a choisi pour président M. Lemercier, député de Saintes ([^28]). Il a décidé de présenter au ministre des travaux publics deux candidatures prises dans la région pour les fonctions de membres du conseil d'administration de votre Compagnie, estimant avec raison que les départements traversés par les chemins de fer de l'État avaient tous les titres possibles à être représentés dans le conseil. M. X... est l'un des candidats choisis par le groupe. Je suis l'autre. Les deux candidatures ont été agréées par M. le ministre des travaux publics qui a promis de faire les nominations. Bien plus, les nominations seraient déjà faites sans des réti­cences venues de la direction des chemins de fer de l'État. Nous avons cherché M. X... et moi à connaître les motifs de ces résistances. On nous a laissé deviner qu'on craignait de la part des deux nouveaux élus un esprit d'ingérence et des exigences susceptibles de gêner l'administration. 126:299 C'est mal connaître les sentiments du groupe qui nous a choisis pour aider et éclairer la direction des chemins de fer de l'État dans les affaires d'intérêt général, et c'est mettre en doute, bien mal à propos, les dispositions des deux élus qui n'ont d'autre désir que d'être les *collaborateurs* et non les CONTRÔLEURS GÊNANTS d'une administration publique. Il est impossible que de pareilles craintes subsistent après les expli­cations cordiales de M. X... qui seront également les miennes. Permettez-moi de vous dire, en toute franchise, M. le Directeur, que vous iriez à l'encontre des intérêts que vous gérez si votre esprit s'arrêtait encore à des défiances. Le groupe persistera dans sa résolution et dans son choix avec d'autant plus d'énergie qu'il a reçu une promesse formelle. *Il serait dangereux de le pousser à certains moyens PARLEMENTAIRES* de réaliser ses volontés. La situation du conseil d'administra­tion pourrait bien s'en ressentir et être modifiée dans *un sens plus accentué* encore que celui qu'on *redoute BIEN A TORT.* Je serais allé vous voir avec M. X... si je n'avais été forcé de partir demain. Ma démarche comme la sienne et son insistance se justifient par la situation que nous a faite la désignation dont nous avons été l'objet. On sait que nous avons été désignés, que nous avons été agréés par le ministre, que nous avons obtenu de lui une promesse formelle. Vous jugerez vous-même, monsieur le Directeur, que dans ces conditions nous sommes autorisés à *tout entreprendre pour arriver à une solution qui sauvegarde nos justes susceptibi­lités.* Tel est le motif de ma lettre. Je m'en remets à M. X... du soin de vous convaincre que vous n'avez *rien à redouter* et que vous avez *tout à espérer* de la *collaboration* du groupe qui nous a fait ses mandataires. Agréez, monsieur le Directeur, l'assurance de mes senti­ments les plus distingués. Signé : E. Combes\ Vice-président du Sénat Cette lettre qui aurait pu être signée de Cesti et qui a été adressée cependant par l'homme dont on a fait, on ne sait comment, le grand maître de l'Université, ministre de l'ins­truction publique, des cultes et des Beaux-Arts (!!!) n'a produit fort heureusement aucun effet sur l'esprit du directeur des chemins de fer de l'État. 127:299 M. Combes n'a pas été nommé administrateur et son honteux marchandage n'a rien produit : la lettre seule est restée. Mais, devenu ministre par la grâce de M. Bourgeois, M. Combes prendra-t-il demain sa revanche de l'échec infligé hier ? La Compagnie se le demande avec une inquiétude que l'on devine. Quant à nous, nous n'avons trouvé dans la publication de ce document singulièrement instructif qu'une occasion nouvelle de montrer à quels mobiles mesquins ou indignes ont obéi dans le passé des hommes qui nous gouvernent dans le présent. Souhaitons que leur règne s'achève avant que s'accom­plisse définitivement la désorganisation qu'ils poursuivent dans le pays. VIDI Dans cette fin de siècle écorchée par la défaite de Bis­marck et la victoire de Ferry, le scandale explose. Les jour­naux qui font le sentiment et l'opinion jouent dans la vie politique le rôle qu'y tiennent aujourd'hui la presse plus la radio et la télévision. Ils chargent dans l'indignation, le sar­casme ou le rire, selon les tempéraments. Des griefs divers secouaient déjà le cabinet Bourgeois. Le ministre de la jus­tice, M. Ricard, était très attaqué (toujours l'histoire des chemins de fer du Sud) ([^29]). Il y avait le remplacement auprès du Saint-Siège de M. de Behaine par M. Poubelle, classé parmi les mangeurs de curés parce qu'il avait, en tant que préfet, assuré l'expulsion des religieux de Marseille. C'était une erreur ([^30]). L'émotion n'en était pas moins vive. 128:299 On annonçait aussi l'élaboration d'une loi sur les Associa­tions qui préparerait la séparation de l'Église et de l'État. Léon XIII, pris au piège du Ralliement, avait cependant mis en garde le président Félix Faure. L'affaire Combes s'ajoute à ces remous. A la Chambre, la majorité maçonnique lui est acquise. Il n'en va pas de même à la Haute Assemblée. Le 29 avril 1896, le premier ministère radical est renversé par le Sénat pour la première fois dans l'histoire de la Troisième République. Le ministère de M. Méline, un modéré, le rem­place. Il ne compte « que » quatre francs-maçons (sur dix ministres) : Jules Méline lui-même, vénérable de la loge *l'École Mutuelle,* mais qui ne partage pas l'anticatholicisme pas­sionnel de ses frères ([^31]), Alphonse Turrel, ministre des tra­vaux publics, André Lebon, ministre des colonies, loge *Cos­mos* et Jean-Baptiste Joas Darlan ministre de la justice et des cultes, vice-président de l'union progressiste, initié au G**.·.** O**.·.**, député de Lot-et-Garonne, père du futur amiral Darlan, dauphin du maréchal Pétain. 129:299 Jean-Baptiste Joas Darlan a moins de frénésie antireli­gieuse qu'Émile Combes. Il laisse les fêtes de Reims se dérouler jusqu'en novembre, dans le faste et la munificence : 59 cardinaux, archevêques et évêques, les orateurs catholi­ques les plus prestigieux, des centaines de milliers de fidèles venus de toute la France admirent la châsse d'or, merveille d'orfèvrerie, où sont les reliques de saint Rémi. Les cérémo­nies se terminent par la messe de Clovis, œuvre de Gounod, chantée à Notre-Dame de Reims. Toute la France politique est remuée par le discours du cardinal Perraud sur « les deux Frances » : -- « La vérité, la douloureuse vérité est que, dans les mêmes limites géographiques nous sommes deux France... *duae gentes in utero tuo...* la chrétienne et celle qui a cessé de l'être... La question est de savoir laquelle des deux res­tera victorieuse. » ([^32]) Combes a quitté le ministère et son appartement de fonction de la rue de Grenelle. Il retrouve la rue Vauquelin, ses habitudes, ses horaires, « les travers du Luxembourg... Non sans peut-être une secrète amertume » note Georges Alquier ([^33]). Comme toujours après les épreuves et les échecs, il hiberne. Il se tient (pour le moment) à l'écart de l'affaire Dreyfus qui commence par diviser les loges maçon­niques. Il évite les grandes joutes oratoires que ramène cha­que année le budget du culte. Chaque année la raison tonne en son cratère. De puissants esprits, comme celui du citoyen-député Faberot, montent à la tribune et s'écrient : 130:299 -- Au nom de la justice, au nom de l'égalité, je viens vous demander pourquoi depuis 1801, depuis l'époque où le grand capitaine Napoléon I^er^ a fait signer au grand Pie VII ce traité absurde et illégal qui fait payer ceux qui ne doivent rien pour rétribuer ceux qui n'en ont pas besoin et auxquels on ne doit rien du tout ; pourquoi dis-je, on n'a pas encore abrogé ce traité (*Mouvements divers.* 30 nov. 1896, J.O. p. 1857). Chaque année d'autres esprits, d'une meilleure qualité sem­ble-t-il, répondent ce que répondait un jour Georges Berry : -- Je sais bien qu'on a l'habitude de dire : « Que ceux qui veulent les services du culte les payent. S'ils ont besoin de curés, d'églises, qu'ils les entretiennent à leurs frais. » C'est là le raisonnement que je retrouve dans toutes les dis­cussions qui ont lieu à ce sujet. Véritablement, croyez-vous que ce soit un raisonnement sérieux et digne d'une assem­blée ? Combien de services publics entretenez-vous qui ne servent qu'à une faible partie des Français ; qui souvent ne profitent à aucun des humbles dont je parlais tout à l'heu­re ? Vous entretenez des théâtres, vous subventionnez l'Opé­ra, l'Opéra-Comique, le Théâtre français, l'Odéon, des écoles de danseuses (*On rit*)*,* des écoles de déclamation. Est-ce que les paysans de l'Ouest, de la Bretagne, de la Vendée, profi­tent de ces subventions ? (*Très bien, très bien, à droite*)*...* Vous accordez des subsides à l'enseignement supérieur. Combien y a-t-il donc d'élèves des écoles primaires de nos campagnes qui sont admis à suivre les cours des lycées ? Aucun, pour ainsi dire. Par conséquent vous faites subven­tionner par ceux qui n'en profitent pas des enseignements, des institutions qui ne servent qu'aux riches ! (*Applaudisse­ments à droite et au centre*)*...* Et voyez à quoi vous allez arriver... S'il y a une subvention qui serve aux pauvres c'est évidemment la subvention que vous donnez aux cultes. Eh bien ! Vous allez la leur supprimer. Voilà ce que vous appe­lez être républicain, voilà ce que vous appelez être socia­liste ! (*Très bien ! très bien ! à droite et au centre.* 21 mars 1905 -- J.O. p. 987.) 131:299 Chaque année au cours de ces discussions interminables et passionnées, on s'aperçoit que l'Église catholique est la plus pauvrement rétribuée de France. Un mufti touche 1600 frs par an. Un pasteur protestant : 2111. Un rabbin : 2522. Un curé de paroisse : 900. Un peu moins qu'un facteur (1000 frs). Est-ce trop ? Est-ce injuste ? Émile Combes qui fut séminariste et professeur dans un collège religieux pourrait éclairer le débat. Il se tait. Sept mois après avoir été renvoyé à sa grisaille il se contente de défendre l'armagnac et le cognac, au nom des intérêts charentais. Adolphe Cochery, un vieux Grévyste, (né en 1819), ministre des finances de Méline, veut relever l'impôt de 150 à 220 frs l'hectolitre. Combes s'y oppose. Il monte à la tribune le 28 décembre 1896. C'est la seule intervention que ses biographes retiennent. Quelque respect qu'on ait pour l'arma­gnac et le cognac, on espérait à Émile Combes plus de panache dans les revers. \*\*\* L'homme pourtant ne désarme pas. Il continue son tra­vail souterrain. Dans le demi-secret de la commission de la marine dont il est le vice-président (la Rochelle et Rochefort exigent), il s'emploie à rogner les pouvoirs des préfets mari­times et de l'Amirauté. La Royale n'a cessé de hanter le subconscient républicain. Ainsi Combes écrit dans son rap­port : « *Ce dont se plaignent les préfets maritimes c'est d'être contraints de souffrir, à côté d'eux, un fonctionnaire, préposé par décrets au contrôle des actes administratifs et indépen­dants du projet maritime dans l'exercice de cette fonction... Que les amiraux soient insensibles à cette question* -- la garantie, par l'action du ministre et de ses contrôleurs, contre les abus qu'ils pourraient faire, de leur pouvoir -- *qu'ils négligent ou qu'ils dédaignent d'en faire le moindre état dans leurs théories plus ou moins arbitraires ; qu'ils soient aveuglés par la passion de l'autorité au point de n'apercevoir en dehors d'elle aucun objet digne de leur estime* (sic)*, on peut le pardonner à leur éducation, à leurs habitudes profession­nelles, à leur ignorance, volontaire ou non, des conditions essentielles d'un gouvernement représentatif. *» ([^34]) 132:299 Plus encore que la mesure qu'il prépare ce texte sur­prend par l'agressivité qui l'inspire. Il annonce la politique du futur ministre de la marine du président Combes, le F**.·.**-M**.·.** Camille Pelletan, aussi funeste qu'il était barbu et pelli­culeux, et celle de son ministre de la guerre, le lamentable général André, l'homme qui demanda aux loges des villes de garnison de dénoncer les officiers qui allaient à la messe. Néanmoins pour l'instant, redevenu simple sénateur, Combes se tient en réserve, « remplissant avec conscience et sans éclats particuliers ses diverses tâches jusqu'au jour où sur l'insistance de son ami Raynal, il accepta le projet de loi sur les Associations que Waldeck-Rousseau venait de déposer ». Le propos en apparence anodin est de Georges Alquier, un témoin de moralité souvent cité. Je vous demande d'en retenir trois mots : *Son ami Raynal.* Ce sont des mots de passe, des mots-clefs, qui ouvrent les escaliers dérobés et les chambres secrètes. Le séminariste, le professeur de philoso­phie, le bon docteur, l'époux attentif, le père exemplaire, l'homme de bien et de dévouement, le sénateur scrupuleux, le ministre qui parlait de vertu devant le buste d'Émile Augier était donc l'ami d'une des grandes figures de la République d'affaires, David Raynal. Elle s'explique mieux, à présent, la lettre d'intrigues, de menaces et de chantage adressée au directeur de la compagnie des chemins de fer de l'État pour en devenir l'un des administrateurs. Car les chemins de fer, David Raynal, il en connaissait un wagon. Né en 1840, à Paris. D'origine assez obscure. Il aurait eu un cousin précepteur chez les Rothschild. Il se présente comme appartenant à une « famille de négociants israélites de Bordeaux » ([^35]). Mais M. Saisset-Scherer, préfet de la Gironde, déclara un jour au Dr Lavergne : 133:299 -- Raynal ne jouit, à Bordeaux auquel il est étranger, d'aucune considération. C'est un ancien petit commis de Péreire, un tripoteur d'affaires ([^36]). A Bordeaux, Raynal commença quand même par tenir un magasin au 10 rue Vauban où il vendait un peu de tout et beaucoup d'autres choses, avec un de ses coreligionnaires, nommé Astruc -- encore que lui se déclarât juif libre-penseur. D'abord des sardines à l'huile et à la tomate, puis de l'export-import, du transit (agent de la Compagnie du Canal de Suez), du charbon à Bacalan et pour finir de la politique. Quand on sait s'y prendre, ça peut rapporter gros. Naturellement David Raynal était républicain, exactement « gauche républicaine » (Gambetta) et F**.·.** M**.·.**, loge *l'An­glaise n° 24.* Battu en 1876 dans la première circonscription de Bordeaux, il profitait d'une partielle pour se faire élire en 1879 dans la 3^e^. C'était le 6 avril. Le 20 décembre il se cou­vrait de gloire. Il provoquait la démission du général Gres­ley, ministre de la guerre du cabinet Waddington : -- *Comment osez-vous maintenir un lieutenant-colonel mo­narchiste dans la territoriale ?* avait demandé le commis des Péreire, l'index pointé sur la poitrine du général. Le général, héros de la bataille de Zoatcha, préféra quit­ter la tribune que de répondre. Huit jours après le cabinet suivait. La fortune de David Raynal commençait. En septembre 1880 Jules Ferry faisait du négociant en sardines à l'huile (et à la tomate) un sous-secrétaire d'État aux travaux publics. Il n'y connaissait rien mais le culot du marchand de bretelles à la sauvette qui vous enlève votre ceinture pour placer ses élastiques, une grande confiance en soi et l'art, plus subtil, d'utiliser les hommes de paille et les paravents assurent les beaux parcours ministériels. Raynal devint ministre, toujours des travaux publics, dans le « grand ministère » Gambetta (décembre 81, janvier 82), puis dans le second gouvernement Ferry (février 83, avril 85). 134:299 En un an il devait y pratiquer avec la même ala­crité deux politiques contradictoires. Sous Gambetta, bran­dissant des textes léonins, David Raynal, le républicain in­transigeant, prétendait imposer aux Compagnies le rachat des réseaux dont les concessions venaient à échéance. Sous Ferry, tout au contraire, il leur consentait le plus bel arran­gement qu'elles aient pu rêver. Quand les Compagnies fai­saient des bénéfices elles les empochaient. Quand elles n'en faisaient pas et perdaient de l'argent, l'État couvrait le déficit. Il poussait même l'obligeance jusqu'à garantir des divi­dendes aux actionnaires, en cas de pertes. Enfin les Compa­gnies, assurées de conserver les lignes florissantes, pouvaient se défausser de celles moins juteuses ou même en déconfi­ture. Comme dans les Charentes, par exemple, la patrie politique de Combes. A quoi tiennent les amitiés ([^37]). Cette agilité valut à David Raynal la considération immé­diate que l'on doit aux surdoués. En juillet 83, Allain-Targé, député de la Seine, ministre des finances sous Gambetta, F**.·.** M**.·.** (Loge : *le Réveil maçonnique*)*,* considéré même par ses adversaires comme un honnête homme (écœuré, il se retirera de la vie politique en 1889 à 57 ans, alors qu'il ne mourut qu'en 1902) disait : -- Ce qui reste actuellement des amis de Gambetta et qui grossissent autour du ministère, est ignoble. Ces Raynal, ces Rouvier, si vous saviez ce que c'est ! Quand Gambetta fit son ministère, il me dit : « Toi tu prendras les clefs de la bourse, ils ne pourront pas y toucher. -- Mais, lui dis-je, aux Travaux Publics, Raynal cependant... et Rouvier, au Commerce !... -- Bah ! me dit-il, entre toi et moi, ils ne pourront pas bouger. » ([^38]) A la fin de mars 1884, on trouve cette note dans Lavergne : 135:299 « Marie -- correspondant-rédacteur du *Télégraphe,* que son directeur dit « très estimable » -- me raconte qu'à l'oc­casion des conventions (avec les Chemins de fer) Ferry aurait reçu deux millions ; Raynal, un million ; Rouvier, six cent mille francs. « Je tiens le fait, ajouta-t-il, d'une per­sonne en laquelle j'ai absolument la confiance que j'ai en vous. » Enregistrons le bruit. » Pour M. Saisset-Scherer, préfet de la Gironde c'était plus qu'un bruit. Il disait : -- A Bordeaux la « coterie » se compose des hommes de la *Gironde* puissamment aidés et dirigés par M. Raynal. La *Gironde* n'est plus ce grand journal que vous avez connu quand vous y écriviez. Gounouilhou s'en occupe à peine. Il a abandonné le journal à son fils et à son gendre qui en ont fait un journal de cancans bordelais et d'affaires financières. Après m'avoir soutenu avec une véritable platitude, la *Gi­ronde* s'est tournée contre moi le jour où j'ai refusé de favo­riser ses tripotages et où je me suis débarrassé des gens dont elle encombrait ma préfecture pour savoir, à l'avance, quels terrains on destinait à l'expropriation afin de les acquérir pour les revendre à énorme bénéfice. C'est ainsi que s'est emmanchée l'affaire des terrains pour le nouvel emplace­ment de la gare du Midi par la société civile de Paludad. Cette société est formée de MM. Gounouilhou, Chapon, et un M. Consard, conseiller général, plusieurs fois failli, et homme de paille de M. Raynal. Cette société acheta les ter­rains à la Paludad, pour quatre cent mille francs environ, espérant les revendre trois ou quatre millions pour la gare... C'est là l'opération pour laquelle on avait besoin du gou­vernement... Des tentatives furent faites auprès de M. Sadi Carnot, ministre des travaux publics (du premier gouverne­ment Ferry) qui poussa la chose de fort loin. Enfin M. Raynal (qui n'était que sous-secrétaire d'État aux T. P.) arri­va au ministère et l'affaire fut remise sur le tapis. ([^39]) 136:299 Ce témoignage est très important et précieux. Il est rare qu'un préfet républicain se mette à table et révèle le méca­nisme des escroqueries légales commises par l'appareil poli­tique de la République. La spéculation sur les terrains est ici démontée en quelques phrases. M. Saisset-Scherer dénonce encore le rôle de la presse « de cancans et d'affaires financières » et celui des hommes de paille dans les sociétés plas­trons. David Raynal en usa si adroitement qu'il ne fut jamais confondu. Il fit condamner ses « diffamateurs » : Nu­ma Gilly, député d'extrême-gauche et maire de Nîmes qui l'avait comparé à Wilson et M. Denayrouze, ancien vice-président du conseil d'administration de la *République Fran­çaise* qui raconta (avec la caution du préfet Andrieu) les accointances de David Raynal et de Joseph Reinach. Mieux encore. A la demande des socialistes une commission parle­mentaire fut chargée d'enquêter sur le comportement de Raynal dans l'affaire des chemins de fer. Cette commission comprenait, quelle heureuse coïncidence, « une majorité de défenseurs avoués des Compagnies » dont Plichon, Lasterie, Lemercier (ce député de Saintes, mentionné dans la lettre de Combes). Elle était présidée par Jean-Baptiste Darlan « comprenant avec adresse ce qu'on attendait de lui » et si sensible lui-même aux interventions qu'une « grave impru­dence » allait le contraindre à abandonner le ministère de la justice que lui avait confié Méline. Cette majorité et ce pré­sident aboutirent « à la rédaction d'un rapport qui blanchis­sait tout le monde, les Compagnies et Raynal » ([^40]). Néanmoins la mauvaise réputation de celui-ci fut telle que s'il continua à être régulièrement élu à Bordeaux jus­qu'en 1897, après la chute de Jules Ferry, jamais David Raynal ne réussit à redevenir ministre et ce ne fut pas pour­tant faute d'intriguer. L'acquittement ne signifie pas forcé­ment l'innocence. 137:299 Raynal traversa Panama sans se brûler. Mais comme par extraordinaire le seul député condamné, ce malheureux Char­les Baïhaut, était un de ses proches collaborateurs ([^41]), Raynal en avait même fait un ministre des travaux publics. A sa place, sans doute... Voilà donc le personnage qui est l'ami du pape de la laïque. Celui qui le pousse à devenir le président de la commission sénatoriale chargée d'examiner la loi Waldeck-Rousseau sur les Associations. Celui qui va en faire le géné­ral en chef de la contre-Église. Car c'est là, au Sénat, en juin 1901, que le destin de Combes s'est noué et peut-être celui de la France française. Nous l'avons vu : Waldeck-Rousseau voulait aller vite. Combes « accélère les débats ». Il presse la discussion. Il bouscule *les* résistances, abandon­nant les détails pour obtenir l'essentiel. Le spectacle qu'il donne dans ces jours surchauffés, Waldeck-Rousseau ne l'ou­blie pas. Quand il se retire et que Loubet lui demande qui, il n'hésite pas. Il dit : -- *Prenez Combes.* Dans les premiers jours du mois de juin 1902, comme un feu d'été la fièvre gagne la paisible petite ville de Pons. A la vitrine d'un établissement de crédit on a affiché une dépêche de l'agence Fournier : « *Paris. Pour remplacer M. Waldeck-Rousseau, deux noms dominent : ceux de MM de Freycinet et Combes. *» Fin du sixième chapitre\ Fin de la seconde partie. François Brigneau. 138:299 ## NOTES CRITIQUES ### La politique de saint Ignace de Loyola Sous ce titre attirant le Père Dominique Bertrand, jésuite, publie le texte remanié d'une thèse de doctorat d'État soutenue en Sorbonne en 1979 (éditions du Cerf, 1985, 686 pages). Le champ de son investigation est l'immense corpus des 6.800 lettres et ins­tructions de saint Ignace de Loyola qui nous soient parvenues. Son but n'est pas de dresser un nouveau tableau de la société du vivant d'Ignace de Loyola (1491-1556) mais de définir quelle vision Ignace avait de cette société. Une analyse rigoureuse du vocabu­laire employé dans la correspondance et le repérage de l'évolution des thèmes traités aboutissent à un résultat passionnant. La conversion d'un chevalier Ignace de Loyola, historiquement, est à la charnière de deux époques. Il naît au château de Loyola, dans la province basque espagnole de Guipuzcoa, en 1491. Très jeune il est envoyé, comme page, au service d'un seigneur local qui l'initiera au métier des armes et l'adoubera. Les premières lignes de *L'Autobiographie* qu'Ignace a consenti à livrer au Père Gonçalves de Camara indi­quent bien cette imprégnation du milieu militaire : 139:299 « Jusqu'à la vingt-sixième année de sa vie, il fut un homme adonné aux vanités du monde et principalement il se délectait dans l'exercice des armes avec un grand et vain désir de gagner de l'honneur. » ([^42]) En 1521 il défend Pampelune contre les Français, un boulet de canon lui fracasse la jambe droite. Tout bascule alors, soigné au château de Loyola, durant sa convalescence, presque par dé­sœuvrement, il lit la *Vie de Jésus-Christ* de Ludolphe le Chartreux et *La Légende Dorée* de Jacques de Voragine : deux classiques, pourrait-on dire, de la piété du Moyen-Age finissant. Il n'en faut pas plus pour éclairer Ignace : il admire la vaillance des martyrs, les prodiges des ermites et des saints dont Voragine a raconté la vie, et la morale du Christ le séduit : il se fera son serviteur. C'est un geste de chevalier qu'il accomplit sitôt rétabli : il se rend en pèlerinage à Jérusalem. Sa première étape est l'abbaye de Mont­serrat, il dépose son épée, après une veillée de prières, sur l'autel de la Vierge. Pour n'être plus qu'un « pauvre pèlerin », il servira désormais, sans armes, dans la « milice du Christ ». Il fait ensuite, solitairement, retraite à Manrèse, à quelques kilomètres du monas­tère. Quelques mois d'approfondissement spirituel et, aussi, d'ins­truction religieuse. Montserrat n'est pas loin, on peut penser qu'un des pères bénédictins a pu guider le converti. Dans cette retraite, au regard de son propre itinéraire spirituel vers Dieu, il rédige une ébauche de ce qui deviendra le manuel des *Exercices Spirituels.* Le vocabulaire et l'imagerie militaires et chevaleresques sont encore bien présents chez Ignace (cf. les thèmes de « l'Appel du Roi temporel », N^os^ 91-99, et des « Deux Étendards », N^os^ 136-148). Il y a indubitablement, chez Ignace, une fibre aristocra­tique que la conversion n'a pas détruite mais, au contraire, a valo­risée plus encore en la faisant servir à une autre fin : « militer pour Dieu ». Quand le jeune duc François Borgia entrera dans la Compagnie de Jésus Ignace s'en réjouira, pour les qualités propres de la nouvelle recrue et aussi parce qu'il appartient à une catégo­rie sociale dont le devoir est d' « édifier ». La noblesse doit être exemplaire, montrer la voie. Dans la société temporelle la noblesse ne montre pas toujours l'exemple, elle n'est parfois qu'ostentation et suffisance. En s'agrégeant au pauvre groupe des compagnons, le noble François Borgia les honore mais honore aussi la noblesse en la faisant servir à une cause qui la dépasse. Dix mois plus tard il quitte Manrèse pour se rendre en Terre Sainte. Il passe par Rome pour obtenir la bénédiction du pape, et s'embarque à Venise. A Jérusalem sa piété et son zèle lui valent quelques ennuis : 140:299 « Saint Ignace aurait voulu rester à Jérusalem pour convertir les infidèles. Mais les moines franciscains à qui incombait la garde des saints lieux n'étaient guère enclins à tolérer la présence d'un enthousiaste dont le zèle pouvait leur attirer des ennuis avec les Turcs. Pour faire céder l'impatient missionnaire ils lui firent enten­dre qu'ils avaient le droit de l'excommunier s'il ne consentait pas à repartir. » ([^43]) Ignace rentre donc en Espagne. Il a trente-trois ans et parce que son désir d' « être utile aux âmes » ne l'a pas quitté, il retourne à l'école... Avec les gamins il apprend le latin et la grammaire, puis il poursuivra des études de lettres et de théologie à la célèbre, et humaniste, université d'Alcalá de Henares, mais aussi à Paris et à Venise. Il avait préféré quitter l'Espagne parce qu'à deux reprises il fut incarcéré quelques jours par l'Inquisition. La première fois, soupçonné d'être un « alumbrado » (illuminé), et une deuxième fois, accusé d'être « érasmisant ». C'est à Paris, mendiant et étudiant, qu'il groupe autour de lui quelques compagnons désireux d'une vie meilleure : François Xa­vier, Pierre Favre, Nicolas Bobadilla. Ils seront six, sous la condui­te d'Ignace, à gravir la colline Montmartre le 15 août 1534. Après que Pierre Favre, le seul qui soit prêtre, eut célébré la messe, dans la chapelle Notre-Dame, à flanc de colline, ils prononcèrent le vœu solennel de se consacrer à la conversion des Infidèles, près du Tombeau du Christ à Jérusalem, dans la pauvreté et la chasteté. On prévoit de s'embarquer pour la Terre Sainte à Venise au début de 1537, quand tous auront été ordonnés prêtres. Un tel voyage ne s'improvise pas, de plus les Turcs rendent aléatoire la navigation en Méditerranée. Finalement on commence à prêcher à Venise, on s'y attarde, puis on va à Rome chercher l'appui et la bénédiction du pape. A Rome le petit groupe prêche, s'occupe d' « œuvres de miséricorde » mais, en 1538, des voix s'élèvent contre les compa­gnons. On accuse notamment Ignace d'avoir été jugé par l'Inquisi­tion en Espagne pour illuminisme. Ignace ne nie pas les faits mais en appelle au pape Paul III pour juger de l'orthodoxie de la doctri­ne du groupe. On voit mis en œuvre, ici, pour la première fois, un principe cher à Ignace : une autorité supérieure doit arbitrer les différents et servir de référence commune. 141:299 Paul III non seulement tranche en faveur de l'orthodoxie d'Ignace mais aussi, au petit groupe, fidèle au vœu de Montmartre, qui rêvait d'aller en Terre Sainte exercer son apostolat, il suggère une autre voie. Voie déterminante pour l'avenir de la Compagnie : « Pourquoi désirez-vous tant aller à Jérusalem ? C'est une bonne et vraie Jérusalem que l'Italie si vous désirez faire du fruit dans l'Église de Dieu. » Et de fait c'est en Italie d'abord, puis en Europe, qu'œuvrera la Compagnie, à travers ses collèges et ses prédications. Des missions viendront ensuite aux Indes comme aux Amériques. Le Père Ber­trand ; dans son ouvrage, montre bien comment Rome est une référence fondamentale dès les premiers temps de la Compagnie. Les compagnons de différentes nationalités trouvent à Rome un lieu commun, qui ne les oppose pas, et une autorité universelle, qui les guide. Les *Constitutions* rapportent ce rôle unitaire qu'eut la papauté pour la Compagnie de Jésus naissante : « Les premiers compagnons, venus de diverses provinces et de divers royaumes, ne savaient en quels pays aller, chez les fidèles ou chez les infidèles. Pour ne pas errer dans la voie du Seigneur, ils firent donc cette promesse ou ce vœu afin de laisser le Saint Père les répartir lui-même, pour une plus grande gloire divine, conformément à leur projet de parcourir le monde. » On sait le succès immense que rencontra le nouvel ordre : à la mort de son fondateur, en 1556, ils sont plus de mille, répartis en douze « provinces ». L'engagement Dans une lettre au Père Claude Le Jay, en date du 15 décem­bre 1551, saint Ignace définit les critères qui doivent être observés dans le recrutement de l'ordre : « 1° Leur aspect extérieur et ce qu'on peut augurer de l'intérieur, ainsi la modestie, etc., -- 2° Leur intelligence, leur jugement, leur caractère, leurs capacités, -- 3° Leur âge, taille, santé, force physique, -- 4° S'ils savent les lettres, ce qu'ils en savent, l'art ou l'office qu'ils ont exercé, -- 5° Leur condition, basse ou noble, s'ils ont leur père ou leur mère, etc., -- 6° Si leurs parents, ou ceux qui en ont la charge, sont contents ou non qu'ils entrent dans la Compagnie. » ([^44]) 142:299 Il y a une inégalité naturelle des hommes, la nier c'est se pri­ver de la diversité des dons. A un frère qui se tourmente de ne pouvoir suivre le rythme des études, Ignace écrit : « Dans le corps, tous les membres ne sont pas des yeux, ni des oreilles, ni des mains, ni des pieds ; et, comme chaque membre a son office et s'en contente, ainsi il en va de même dans le corps de la Com­pagnie où tous ne peuvent être lettrés ni tous prêtres, mais où chacun a à se contenter de l'office qui le concerne suivant la volonté et le jugement du supérieur, lequel a à rendre compte à Dieu Notre-Seigneur de tous les siens. » (Lettre du 23 mai 1556.) Tous les services sont des grâces et la multiplication des offices internes à l'intérieur de la Compagnie a une triple fonction : organiser au mieux la vie communautaire et répondre à la mis­sion, utiliser les compétences de chacun et ne pas craindre la valo­risation personnelle et, enfin, vivre la hiérarchie dans un esprit évangélique, c'est-à-dire faire servir l'inégalité naturelle. La « politique d'Ignace », si l'on peut employer cette expres­sion, est une « volonté d'engagement universel ». Cette ambition, pour Ignace, ne va pas sans un pragmatisme très réaliste. Il n'a pas l'illusion de croire pouvoir se passer des autorités de la société temporelle. Souvent il fera appel aux responsables pour qu'ils coopèrent, à leur place, à son œuvre. Le champ d'actions multi­formes de la Compagnie privilégiera l'éducation parce que c'est le lieu où les esprits peuvent être touchés dès leur formation, et aussi parce que pour Ignace, il le redira souvent, la cause la plus pro­fonde de l'hérésie est l'ignorance. Le pouvoir et la hiérarchie Pour que l'information circule, pour que l'action soit plus effi­cace et la coopération possible, il est solennellement demandé à chaque communauté d'envoyer régulièrement un rapport de ses activités à Rome : « A ceux qui sont en Sicile ou en Italie, chaque semaine ; à ceux qui sont en Allemagne, Flandres, France, Espa­gne et Portugal, chaque mois ; à ceux qui sont dans les régions les plus reculées de l'Inde, chaque année. » ([^45]) 143:299 Cet étroit échange entre Rome et les maisons de la Compagnie dispersées dans le monde n'est pas à rattacher à une tendance his­torique à la centralisation et à la bureaucratisation (comme l'ont suggéré certaines analyses erronées, comme celle d'Alain Peyrefitte dans *Le Mal Français*)*,* mais est une garantie d'efficacité. Le Père Dominique Bertrand remarque qu' « il est bien de fortifier les compagnons dans le pouvoir qu'ils possèdent déjà, afin qu'ils assument mieux leurs responsabilités » (p. 77). Utiliser au mieux les forces d'une communauté et, de façon plus générale, de la Compagnie, tel est un des soucis les plus constants d'Ignace dans sa correspondance. C'est-à-dire faire servir les compétences, les savoirs, les charismes, dans le cadre de la mission. Pour cela une réelle pratique de l'obéissance et l'accepta­tion de la hiérarchie sont nécessaires. La hiérarchie à l'intérieur de l'ordre, évidemment : chacun doit « *se réduire* à l'unité d'un supé­rieur pour échapper à la confusion et au désordre, et bien diriger la multitude » ([^46]). La hiérarchie fondée sur la valeur, si elle fonc­tionne, empêche l'arbitraire de s'immiscer dans les affaires les plus importantes. Ce sont aussi les hiérarchies extérieures à la Compa­gnie, les hiérarchies temporelles, qui sont respectées et valorisées. Certains reprocheront aux jésuites de trop hanter les palais et les chancelleries. Mais le Père Dominique Bertrand fait bien com­prendre que le respect ignatien des pouvoirs et des hiérarchies n'est pas servile ou courtisan, il est réaliste et pragmatique. Sans hiérarchie point d'ordre possible, donc point de vie sociale. Mais aussi la hiérarchie temporelle est garante de l'efficacité. Ainsi Ignace n'hésitera-t-il pas à s'appuyer sur les pouvoirs civils locaux pour mener à bien les multiples fondations de collèges, notamment à partir de 1547, ou les missions de la Compagnie. Pour Ignace le pouvoir politique est « de l'ordre des moyens qui ne sont pas la fin » et les hommes qui ont le pouvoir temporel peuvent être des partenaires : le bras séculier, auxiliaire de l'Église, comme la philo­sophie est servante de la théologie. L'autorité a une vertu sociale qu'il serait insensé de refuser. Ignace n'est pas un contestataire de l'ordre social. En juin 1532, encore étudiant à Paris, Ignace écrit à son neveu Martin de Loyola un véritable petit traité du noble chrétien. Un passage est significatif de la mission qu'il assigne aux nobles et laïcs : 144:299 « ...(si Dieu) vous a abandonné en abondance les biens terres­tres, c'est pour gagner *avec eux* les biens célestes : en donnant bon exemple et sainte doctrine à vos enfants, serviteurs et parents ; en répandant pour l'un de saintes paroles, pour l'autre un juste reproche, cependant sans colère ni chagrin ; pour l'un la faveur de votre maison, pour l'autre l'argent et l'aide matérielle ; en faisant le plus de bien possible aux orphelins et aux nécessiteux. » Dans l'esprit d'Ignace le noble fortuné ou l'homme cultivé doivent tous deux faire servir leurs biens propres à l'exercice de la charité. L'argent est un pouvoir, le savoir en est un autre, ces pouvoirs donnent « autorité », ils doivent être utilisés comme moyens. Ignace, ses lettres en témoignent, saura toujours, par exemple, utiliser les circuits financiers de son temps (lettres de change, hypothèques, bénéfices, etc.) pour gérer au mieux et assu­rer l'intendance des nombreux établissements et collèges de la Compagnie. L'efficacité apostolique nécessite une gestion rigou­reuse des biens qui servent à la mission et, d'un point de vue spi­rituel, Ignace affirmera souvent que ne pas se préoccuper des impedimenta équivaut à « tenter le Seigneur ». L'homme d'Église ne doit pas hésiter à traiter avec les marchands et les hommes d'affaires, « ces mondains ». « Nous, dans les affaires de l'Esprit, dont *l'intérêt* est notre salut éternel et celui de notre prochain avec la gloire et l'honneur de Dieu, aurons-nous mauvais gré à prendre un peu de soin et de concert pour écrire, quand nous savons que nous y trouverions un tel *secours *? » (Lettre du 27 juillet 1547.) L'obéissance et le service Une vie collective nécessite des règles. Ignace a accordé beau­coup d'attention à la composition des *Constitutions* qui régissent la Compagnie. Il les a soumises à l'approbation du Pape, qui les a ratifiées par la bulle *Regimini Militantis Ecclesiae* en 1540. On sait la nouveauté d'un 4^e^ vœu, celui de l'obéissance au Pape : « Que tous les compagnons sachent et que, non seulement dans les pré­misses de leur profession, mais leur vie durant, ils retournent tous les jours dans leur esprit que cette Compagnie tout entière et cha­cun en particulier militent pour Dieu sous l'obéissance pleine de foi à Notre Très Saint Seigneur le Pape et autres pontifes romains ses successeurs. » Dans la fameuse « lettre sur l'obéissance », adressée aux Pères du Portugal en 1553, Ignace précise le caractère hiérarchique de l'obéissance : 145:299 « des sujets avec leurs supérieurs immédiats, tout comme des recteurs ou supérieurs locaux avec les provinciaux, des provinciaux avec le général, et de celui-ci avec celui que Dieu Notre-Seigneur lui a donné comme supérieur, son Vicaire sur la terre. Ainsi seront entièrement gardées la subordina­tion et, par conséquent, l'union et la charité sans lesquelles le bon état et le gouvernement de la Compagnie ou de quelque congréga­tion ne saurait subsister. » L'obéissance qui est due découle d'abord d'une délégation d'autorité, selon la perspective thomiste du gouvernement : « Dieu gouverne de la sorte les choses qu'il en institue cer­taines comme causes d'autres dans leur gouvernement ; comme si quelque maître faisait de ses élèves des gens non seulement qui savent, mais qui enseignent aussi d'autres. » ([^47]) L'obéissance est aussi ce qui rend possible la circulation de l'information et l'organisation, l'ordre. L'obéissance, comme la hiérarchie ou le pouvoir, est au service de l'efficacité de la mission. Ignace, dès les *Exercices Spirituels,* insistait sur cette vertu sociale de l'obéissance. Les autorités à qui l'on doit obéissance « peuvent parfois ne pas en être dignes ou ne pas l'avoir été, mais les criti­quer, soit dans la prédication publique, soit dans les entretiens avec le menu peuple, ferait naître plus de murmure et de scandale que de profit. Car le peuple s'indignerait contre ses supérieurs, soit temporels, soit spirituels. De la sorte, de même que l'on fait du mal en critiquant devant les petites gens les supérieurs en leur absence, de même il peut être profitable de parler de cette conduite mauvaise aux personnes mêmes qui peuvent y porter remède » ([^48]). Une mission jésuite :\ la légation d'Irlande Pour consolider la foi catholique en Irlande, et conforter le combat romain du cardinal Reginald Pole en Angleterre, le pape Paul III décide, en 1541, d'envoyer deux jésuites comme légats en Irlande. C'est à Ignace que revient le soin de définir précisément leur mission. 146:299 Il le fait dans une instruction passionnante, qui nous révèle l'essentiel de la « politique ignatienne » : les autorités tem­porelles doivent collaborer à la mission spirituelle de l'Église ; de façon concomitante les légats ont pour mission d'éclairer, inciter, surveiller, au besoin, ces autorités séculières. Ces « inspecteurs » sont envoyés par le Saint-Siège, c'est là la garantie de leur indé­pendance : « Premièrement rendre visite aux chefs catholiques et spéciale­ment à quatre seigneurs séculiers, qui sont les principaux du royaume, louant de la part de Sa Sainteté leur constance et leur zèle touchant la religion catholique et les encourageant à persévé­rer (...). Rendre visite aussi aux évêques catholiques, remplissant le même office vis-à-vis d'eux. Et si quelques-uns manquaient à faire leur devoir en donnant un mauvais exemple à leurs diocésains par leur vie, ou en ne résidant pas dans leur cathédrale, en ne visitant pas leur troupeau et en ne faisant pas en sorte que les offices divins soient célébrés ou que les églises soient entretenues avec la décence convenable, ou encore s'ils font de mauvaises promotions et élections de ministres, et tous autres défauts publia et impor­tants, les avertir et les exhorter à se comporter plus dignement, s'ils veulent que la bonne odeur de leur ministère revienne jus­qu'au Saint-Siège. « Semblablement avec les prêtres, surtout ayant cure d'âmes, qu'on fasse un bon office, ainsi en les aidant dans leur vie par soi-même, s'il y a à exhorter, et par la main des évêques, s'il y a lieu à corriger (...). Si l'on entend qu'il y a quelque prédicateur ou curé hérétique, qu'on fasse en sorte que lui soit enlevée l'occasion de faire du dommage aux autres ; (...) si quelques-uns, catholiques de cœur, cependant se comportaient extérieurement comme héréti­ques ou schismatiques par respect humain vis-à-vis de la reine, surtout si c'était des personnes de qualité, il faudrait les encoura­ger à confesser et à montrer extérieurement leur foi catholique. (...) on avisera généralement de l'état où l'on aura trouvé la reli­gion catholique et l'obéissance envers le Siège apostolique, aussi bien parmi les chefs ecclésiastiques et séculiers que dans les peu­ples, et ce qui se gagnera ou se perdra dans la bataille en cette contrée... » ([^49]) On voit ici la double dimension de la politique ignatienne. 147:299 D'une part le réalisme et le pragmatisme : Ignace connaît et estime la société et ses hiérarchies. D'autre part, il sait que pour ce qui concerne les questions de l'Église et de la foi, elles ne suffi­sent pas à la tâche, que le clergé lui-même, dont c'est la mission spécifique, pour un « plus grand service » à la cause du Christ, doit rendre compte à Rome, y chercher appui et référence. Selon l'expression d'Hans Urs von Balthasar : « l'obéissance me fait voir avec l'Église ce que seul je ne vois pas ». \*\*\* Plusieurs fois au cours de l'histoire la Compagnie de Jésus connaîtra des difficultés avec les autorités politiques de différents pays. Plusieurs raisons historiques peuvent être avancées. Pour ce qui est de la France, par exemple, de recrutement essentiellement espagnol à ses débuts, l'ordre a pu susciter la méfiance des pays où ils étaient installés ; d'autre part, soumis directement à l'auto­rité du Saint-Siège et pourtant implantés dans tous les diocèses, les jésuites ont pu apparaître comme des « espions », notamment dans l'Église de France très « gallicane » aux XVII^e^ et XVIII^e^ siècles ; enfin leur activité d'enseignement, dans des collèges de leur fonda­tion, a semblé une rivalité dangereuse à l'université de Paris, très liée au Parlement. Rappelons simplement ici, sans ouvrir le dossier des expulsions et interdictions de la Compagnie de Jésus, qu'au moment où les jésuites devaient quitter le royaume de France, en 1594, ailleurs, en Angleterre ou aux Indes, d'autres jésuites mou­raient en martyrs de la foi. Yves Chiron. ### Les Vierges à la ceinture La *Virgine* ou la *Madona dalla cintola --* la Vierge à la ceinture -- est un sujet assez fréquent dans la peinture italienne du XIV^e^ au XVI^e^ siècle. C'est une manière de traiter l'Assomption, et qui s'inspire d'une légende de saint Thomas, dont j'ignore la version écrite, de même que j'ignore si l'on trouve dans d'autres pays des tableaux du même type. 148:299 La légende doit montrer l'apô­tre Thomas à nouveau incrédule au moment de la mort de la Vierge ([^50]). Il constate pourtant que le tombeau est vide, mais n'est pleinement convaincu que lors­qu'il reçoit du ciel la propre ceinture de la Mère de Dieu. Alors il comprend, il croit et il prie. C'est en somme un redou­blement du scepticisme de Tho­mas dont parle l'Évangile. Il a fallu qu'il touche de ses mains les plaies du Christ. Pour l'As­somption, il veut aussi une preu­ve palpable. On l'installe dans le personnage du douteur. Il y a une belle malice dans cette his­toire de l'apôtre deux fois incré­dule et deux fois confondu. Et le succès de ce récit vient sans doute du fait que saint Thomas est chargé par là du poids de notre propre faiblesse, ce mou­vement de méfiance et de refus devant le surnaturel, dont les naïfs croient qu'il est réservé à des hommes aussi éclairés et adultes que nous le sommes, alors qu'il est de toujours. Les « Vierges à la ceinture », qui portent quelquefois simple­ment le nom d' « Assomptions » comportent comme figures cons­tantes, outre évidemment la Vier­ge et saint Thomas, le tombeau, que l'on voit vide et rempli de fleurs blanches ; et assez souvent les autres apôtres ou des saints de toute époque. La ceinture devient dans certains cas une longue cordelette, on reviendra sur ce point. Je décrirai ici, autant que possible dans l'ordre chronologique, dix tableaux de Sienne et de Florence (mais il y en a dans bien d'autres villes) et j'essaierai de montrer l'évolution du thème. \*\*\* Dans un premier temps, on voit le saint tenant en main la ceinture reçue du ciel, ou celle-ci est en train de descendre, déjà tombée des mains de la Vierge. Il s'agit d'une ceinture faite pour serrer la taille, on aperçoit la boucle. Simple élément de l'ha­billement commun, montré de la façon la plus réaliste. 1\. Assomption du maître d'Ovile, à la Pinacothèque de Sienne. Tableau de deux mètres de haut, peint vers 1350. La Vierge, hiératique (on n'est pas encore si loin des icônes byzan­tines) regarde droit devant elle. Elle est entourée d'un peuple d'anges et d'angelots. Ceux de la partie supérieure ne sont figurés que par des têtes et des ailes, le tout en rouge. La tonalité domi­nante du tableau, pour le reste, est l'or. En bas, saint Thomas, très petit, vu de dos, est age­nouillé, et lève les bras pour exhiber la ceinture blanche et dorée qu'il vient de recevoir. 2\. Tadeo di Bartolo. Fresque de l'Assomption, peinte vers 1400, au Palais civique de Sien­ne. La Vierge qui vient de se soulever hors de sa tombe, sem­ble flotter horizontalement, la nuque un peu relevée. Le Christ, dont seul le buste émerge du ciel, la prend par la main. Tous les apôtres sont là. La plupart se penchent vers le tombeau vide, l'air stupéfait. 149:299 Le spectacle du Christ et de sa mère, juste au-dessus d'eux, leur échappe. A droite, saint Thomas, qui tourne le dos à cette scène, montre la ceinture à deux des apôtres. 3\. Assomption avec saint Étienne et saint Sigismond. Triptyque du début du XV^e^ siècle. Peinture d'un inconnu, signalé comme disciple du Vechietta, à la Pina­cothèque de Sienne. Dans la par­tie centrale, la Vierge entourée d'anges, au ciel, dans l'attitude de la prière. Sa ceinture verte est en train de tomber verticalement vers la terre. Saint Thomas, age­nouillé, lève les bras vers elle. Près de lui, le tombeau rempli de roses blanches. 4\. Giovanni di Paolo (1400-1482). Assomption de la Vierge avec saint Bernard de Sienne, saint Jean, saint Georges et saint Grégoire le grand. Vaste tableau de 2 m  2 m environ (Pinaco­thèque de Sienne). Au centre la Vierge, assise, les mains jointes, regardant devant elle, pleine de majesté. Tout autour, et au-des­sous, des anges jusqu'à toucher presque saint Thomas, agenouillé devant le tombeau vide. Il tend les mains vers la ceinture, bande rouge et sinueuse coupée par la trompette de l'angle de gauche. 5\. Sano di Pietro (1406-1481). Tableau de 72 cm  53 : cm, à la Pinacothèque de Sienne : Assomp­tion de la Madone. On y voit paraît-il une œuvre de jeunesse du peintre (donc, avant 1440). La Vierge est au ciel, inscrite dans un halo en forme d'amande (mandorle), mains jointes, entou­rée d'anges. Il y a un large espace entre elle et saint Tho­mas. A égale distance de la poin­te inférieure de l'amande et des mains du saint, la ceinture rouge, presque horizontale. De chaque côté de saint Thomas, priant, agenouillé près du tombeau, on voit les apôtres. Ces descriptions sont bien mo­notones, mais il s'agit de souli­gner la ressemblance de ces tableaux. Jusqu'ici le sujet est toujours traité de la même façon, à quelques détails près. La seule variation notable est celle de la fresque du Palais civique, où l'Assomption est en cours, et non pas achevée. Mais pour les peintres siennois, le but est de raconter un miracle, et la cein­ture est une ceinture, dans tous les cas. \*\*\* Une deuxième période com­mence avec une fresque de Mai­nardi, qu'on peut voir à l'église Sainte-Croix de Florence, dans la chapelle Baroncelli. Très gran­de fresque, peinte sur un mur de cinq à six mètres de haut, dans un style qui me semble assez proche de celui de F. Lippi. L'œuvre est de 1490, environ. 6\. Dans cette fresque de Mai­nardi, on voit au sommet Dieu le Père, et le Saint-Esprit sous forme de colombe. Au-dessous, la Sain­te Vierge, qui regarde vers la terre (c'est la première fois, dans la série de tableaux que nous avons choisie, mais je ne sais pas si c'est Mainardi qui a inventé cette nouvelle attitude). Elle tient entre ses mains une longue cordelette verte qu'elle laisse glisser vers le bas (même remarque). 150:299 Il y a des anges, de chaque côté, aux diffé­rents niveaux, depuis le ciel suprême jusqu'aux montagnes du bas, où poussent des cyprès. Saint Thomas, près du tombeau plein de fleurs, lève les yeux. Il voit s'approcher la ceinture, ou plutôt la cordelette, qui forme très nettement un axe vertical. Le saint garde les mains jointes. 7\. Francesco Granacci (1470-1543). Assomption. Grand ta­bleau mural qui se trouve actuel­lement à la galerie de l'Académie, à Florence. La Vierge, entourée d'anges, se penche vers le saint. Du ciel où elle trône, elle laisse glisser de ses mains (c'est le même geste que dans la fresque : la main droite semble dévider un fil que poussent les doigts de la main gauche) une cordelette dont l'apôtre saisit l'autre extrémité. Il est près du tombeau plein de fleurs blanches. A droite, saint Michel, agenouillé et appuyé sur son épée. 8\. Ridolfo del Ghirlandajo (1483-1561). Tableau mural d'égli­se, qui se trouve actuellement au musée Saint Marc, à Florence. Madona dalla cintola, avec, à gauche, saint François (d'Assise) et saint Jean-Baptiste, saint Tho­mas au centre, et à droite, sainte Ursule et sainte Élisabeth de Hongrie. Là encore, la Vierge entourée d'anges, penche la tête et regarde la terre ; elle laisse glisser entre ses mains une corde­lette dorée qui arrive dans les mains de saint Thomas à genoux. 9\. Giovanni Antonio Sogliani (1482-1544). Madona dalla cin­tola, tableau qui lui aussi est au musée Saint Marc. La Vierge laisse glisser la cordelette de ses mains, mais celle-ci n'est pas encore parvenue jusqu'à saint Thomas, qui est agenouillé. On voit à gauche saint Jean-Baptiste et un saint roi (il porte cou­ronne), à droite saint François et saint Jacques. Ces quatre tableaux apportent une modification considérable par l'attitude de la Vierge et par le fait que la ceinture est devenue une cordelette qui joint les deux personnages principaux. Encore une fois, ce ne sont là que des exemples. D'autres peintres ont traité le sujet de cette façon : Benozzo Gozzoli, dans un ta­bleau de la Pinacothèque du Vatican, da Asola dans une Assomption du musée Correr, à Venise etc. Si les quatre peintres des ta­bleaux qu'on vient de décrire sont bien tous Florentins, on peut opposer la manière floren­tine à la manière siennoise de traiter le sujet. Mais c'est peut-être la chronologie qui sépare les deux manières : à partir d'un certain moment (la fin du XV^e^ siècle), on veut donner une inter­prétation plus émouvante du miracle. La Vierge regarde vers l'apôtre, et l'objet-témoin qu'elle lui envoie devient un lien entre eux : il va de ses mains aux mains du mortel. Cette transformation de la ceinture marque la volonté de relier par un signe physique le monde céleste au monde d'ici-bas. On ne peut s'empêcher de penser, au risque d'un anachro­nisme, à un thème mythique avéré dans presque toutes les traditions religieuses : celui de l'axe du monde, si souvent étudié par Mircea Eliade. Cet axe peut être un arbre, comme le frêne des religions nordiques, une montagne sainte, il peut être aussi l'échelle que vit Jacob. 151:299 Eliade cite une légende recueillie dans l'Asie du sud-est : « Le ciel était si près que dans une des versions du mythe, une femme qui lavait son linge, en levant brusquement la tête, heurta la voûte du ciel. Dans un certain sens, on pourrait dire que la séparation du Ciel et de la Terre n'avait pas encore eu lieu. Cette rupture cosmique se produira plus tard. Et presque toujours elle sera la conséquence d'un geste irréfléchi des Ancêtres my­thiques : ou bien l'un d'entre eux se fâche contre Dieu, ou bien il se met à couper l'Arbre ou la Liane qui rattache le Ciel à la Terre, et alors le ciel s'élève ver­tigineusement et il arrive là où nous le voyons aujourd'hui. » (*Fragments d'un journal,* t. I, p. 260.) Ce thème de l'axe du monde ne se présente pas toujours sous la forme rustique qu'Eliade si­gnale ici. On le retrouve chez Platon (... « lumière qui s'étend d'en haut à travers tout le ciel et la terre, lumière droite comme une colonne et fort semblable à l'arc-en-ciel, mais plus brillante et plus pure » *République *X) et on pourrait citer aussi bien saint Denys l'aréopagite, quand il évo­que, à propos de la prière « une chaîne infiniment lumineuse qui pendrait du haut du ciel et des­cendrait jusqu'à nous » (*Les Noms divins*)*.* Mais enfin, s'il existe un « axe du monde » dans le christianisme, ce n'est rien autre que le Christ lui-même, par sa double nature humaine et divine, et nous n'avons nul be­soin de nous figurer des arbres ou des lianes (ou encore des hari­cots géants, comme dans le conte de Pourrat) pour entrer en com­munication avec le monde supé­rieur. Cela rend d'autant plus curieux le fait de voir réapparaî­tre, aux alentours de 1500, chez certains peintres italiens, ce lien matériel entre le Ciel et la Terre qu'est la cordelette. Elle mani­feste, de façon imagée, très plas­tique, la sollicitude de la Vierge envers saint Thomas, mais pour­quoi cette redondance, ce redou­blement, dans la religion de l'In­carnation ? Est-ce l'invention d'un peintre (de Mainardi, peut-être) ou le thème a-t-il été fourni par un érudit de ce temps où l'on redécouvrait bien des textes antiques ? C'est peut-être bien une résurgence naturelle, tant cette sorte d'image, attestée un peu partout dans le monde, s'impose facilement à notre es­prit. Reste que les plus anciennes Vierges à la ceinture ne compor­tent pas cet élément. Elles racon­tent un miracle. Ce n'est qu'en­suite que s'y trouve réapparaître le souvenir d'un mythe qu'on pouvait croire oublié de l'Italie de la Renaissance. Très vite, d'ailleurs, ce thème supplémen­taire sera abandonné. Et l'on en vient à la troisième période. 10\. Tableau mural, à Sainte Annonciade de Florence (dans la deuxième chapelle à gauche du chœur). Je n'en connais pas l'au­teur. La Vierge, dans une aman­de lumineuse, croise les bras sur sa poitrine et regarde devant elle. Un peu au-dessous, à droite et à gauche, deux anges symétriques. 152:299 Chacun d'eux tient une corde­lette sinueuse, assez courte, et qui paraît purement ornemen­tale. Il y faut pourtant reconnaî­tre une allusion à notre thème : en bas, au centre, saint Thomas debout et priant. Il est très exac­tement au-dessous de la Vierge. De chaque côté, un groupe d'apôtres (et c'est au-dessus de chacun de ces groupes qu'est un ange à cordelette). Par son dessin, ce registre inférieur me semble inspiré par l'Assomption de Raphaël qui se trouve à la Pinacothèque du Vatican. Le tableau me semble donc posté­rieur à ceux de la deuxième période (sensiblement contempo­rains, eux, de Raphaël). Notez que dans l'Assomption de Ra­phaël, saint Thomas, qui est vu de face, et a une position assez cen­trale, tient en mains une ceinture verte et rouge. Il faut donc ratta­cher cette œuvre à la série des Vierges à la ceinture, mais Ra­phaël en est revenu au récit du miracle, et ce miracle n'est d'ail­leurs plus l'élément capital du tableau. La ceinture n'apparaît que comme un accessoire propre à saint Thomas, comme les clefs pour saint Pierre ou l'épée pour saint Paul. Georges Laffly. ### Recensions #### Vincent Klee Les plus beaux textes sur les saints anges Tome I : Écriture, liturgie, magistère\ Tome II : Les auteurs spirituels\ (Nouvelles Éditions Latines) *Première lecture* On sait que les saints anges ont été les premières victimes de la lon­gue entreprise de désacralisation dé­clenchée depuis plusieurs siècles et qui s'est brusquement accélérée ces vingt dernières années. Expulsés des églises, chassés de la liturgie, exclus des catéchismes, les anges sont aujourd'hui, pour beaucoup, relégués au magasin des accessoires d'un autre âge. 153:299 Or les saints anges existent, tout comme les mauvais anges. C'est une vérité de foi et une réalité qui s'impose avec force à qui­conque aborde les mystères de la religion. L'anthologie réalisée par Vincent Klee vient à point pour nous le rappeler. L'idée de son auteur est simple : il s'agit de mettre à notre disposition quelques-uns des textes les plus significatifs sur ces premiers êtres créés par Dieu. Dans le premier tome composé de 9 chapitres, eux-mêmes divisés en 9 sous-chapitres (délicat hommage à la hiérarchie céleste !), nous trouvons un choix judicieux de textes tirés de l'Écriture sainte, des liturgies tant occidentales qu'orientales et du magistère. Même s'il sait qu'il n'est pas une tradition sacrée qui ne fasse référence aux anges, le lecteur ne peut qu'être impressionné par le nombre consi­dérable de passages de l'Écriture où les anges interviennent. Dieu a voulu les associer étroitement à l'histoire de la Révélation. Aucun événement essentiel de la vie du Christ n'a lieu sans la présence des anges : Annonciation, Nativité, Passion, Résurrec­tion, Ascension. Et il ne peut en être autrement. En effet, que signifierait le tombeau vide sans le témoignage explicite de ces envoyés célestes chargés de donner à l'événement sa véritable portée qui dépasse infini­ment ce que pouvaient alors conce­voir quelques disciples désorientés ? Le rôle des anges, on le voit est pri­mordial. Ce sont eux, intermédiaires nécessaires voulus par Dieu, qui apportent la lumière aux « esprits enténébrés de matière » que nous sommes. Ce rôle essentiel d'intermédiaire entre Dieu et les hommes, mis en évidence par les nombreux textes ci­tés, donne aux anges un caractère exemplaire. En toutes choses ils sont nos maîtres. Ainsi notre liturgie n'est que le reflet de la liturgie céleste ; et si elle cesse de s'y conformer, elle se détourne de son objet, se profane et s'avilit comme hélas il nous est donné de le constater tous les jours. Le second tome concrétise cette exemplarité à travers le témoignage de 81 auteurs spirituels, saints, bien­heureux, serviteurs de Dieu ou pieux personnages. Bien loin de mettre dans l'ombre la personne du Christ, les saints anges y apparaissent tou­jours comme le chemin lumineux qui mène à Lui. De saint Grégoire le thaumaturge à sainte Gemma Galgani, de saint Bernard de Clair­vaux au cardinal Newman, le lecteur découvre avec admiration le rôle actif des anges dans les progrès spiri­tuels de ces âmes privilégiées dont certaines vivent avec eux dans une bouleversante intimité. Il ressort ainsi de ces témoignages que l'âme dési­reuse de pratiquer les vertus chré­tiennes doit s'élever jusqu'à une vision véritablement angélique de ces vertus. La chasteté ne prend son sens que si elle est observée « prop­ter regnum coelorum », et la charité doit être pratiquée dans la lumière de la Vérité pour n'être pas stérile. C'est par la connaissance des anges que nous parvenons à pénétrer un peu l'ordre supérieur des choses divines. C'est cette même connais­sance qui peut contribuer à ce recen­trage dont a tant besoin une chré­tienté éclatée, engluée dans sa recher­che humaniste et son désir de concilier l'inconciliable. Car le mystère des anges est indis­sociablement lié au mystère de l'Église. L'abbé Klee le souligne avec force dans sa préface : les anges sont membres du Corps mystique au même titre que nous. « Il est impos­sible d'entrer dans le mystère de l'Église, et par conséquence dans celui de sa liturgie et celui de son rapport avec le monde sans aborder en même temps le mystère des anges. » Que dire alors des constitu­tions *Lumen gentium, Sacrosanctum concilium* et *Gaudium et spes* du concile Vatican II ? 154:299 Il faut lire et méditer cet ouvrage courageux qui va à contre-courant de l'affligeante dérive à laquelle nous assistons. Le théologien y trouvera de quoi enrichir sa réflexion et le spirituel y puisera une nourriture nouvelle pour son âme. Le travail de l'abbé Klee nous invite à resituer l'histoire du salut dans sa véritable dimension et contribue à redonner aux anges la place éminente qui leur revient dans la vie de l'Église. Jean-Paul Krempp. *Seconde lecture* Anges. Sens du mot dans l'Ancien Testament (pastille jaune) : « Dans le langage de la Bible (...) les anges sont des êtres vivants, mystérieux ; ils sont auprès de Dieu, et lui ser­vent de messagers auprès des hom­mes (...). » Sens du mot dans le Nouveau Testament (pastille rouge) : « Jésus, dans l'Évangile, a parlé des anges. » (Citation intégrale.) Sens du mot pour les catholiques aujour­d'hui (pastille bleue) : pas de pastille bleue. C'est ainsi que dans *Pierres vivan­tes* les évêques de France relèguent les neuf plus hautes hiérarchies de la création dans la mythologie hébraï­que, enlèvent aux petits chrétiens leur ange gardien, et nient, au plus complet mépris des textes sacrés, le rôle, pourtant nécessaire, des anges dans l'économie du salut ([^51]). En 1968, une commission cardi­nalice faisait savoir aux évêques hol­landais : « Il faut que le « caté­chisme » déclare que Dieu a créé, outre le monde sensible dans lequel nous vivons, le règne des purs esprits que nous appelons anges. » Mais pour les auteurs de *Pierres vivantes,* les anges ne sont toujours que des « êtres mystérieux, dans le langage de la Bible », et ce mot n'a plus aucun sens pour les chrétiens d'aujourd'hui. Pour réparer ce blasphème et rétablir la vérité catholique, l'abbé Vincent Klee a composé un florilège de textes sur les saints anges, en deux tomes. Le premier est consacré à la Sainte Écriture, à la liturgie et au magistère de l'Église. Le second rassemble un grand nombre de textes, généralement brefs, de pères de l'Église, de théologiens et d'au­teurs spirituels. Ces deux livres ou­vrent la collection Angelologia des Nouvelles Éditions latines, où de­vraient paraître par la suite d'autres ouvrages de l'abbé Klee : *Les anges dans la prière du chrétien, Sermon­naire angélique, Recueil des cantiques français en l'honneur des saints anges, Bibliographie des monographies consa­crées aux anges.* Au premier tome, on trouve donc des pages bien connues de l'Écriture : les chérubins du paradis ter­restre, l'échelle de Jacob, saint Ra­phaël et Tobie, Daniel dans la fosse aux lions, les trois jeunes gens dans la fournaise, saint Pierre délivré de prison, les anges de l'Apocalypse, et bien sûr des passages des Évangiles. Extraire de ceux-ci les pages qui par­lent des anges souligne avantageu­sement leur rôle dans la mission du sauveur. 155:299 Car on les trouve a l'An­nonciation, à la Nativité, pour la fuite en Égypte, lors de l'Agonie, de la Résurrection et de l'Ascension. Ainsi, dit Léon XIII, « toutes les fois que, par la récitation du rosaire de Marie, nous méditons les mys­tères de notre salut, nous imitons en quelque manière la fonction très sainte confiée jadis à la milice céleste des anges ». L'abbé Klee n'oublie pas les évan­giles apocryphes, où l'on trouve notamment l'annonce angélique de la naissance de la Vierge à Anne et Joachim, qui a été abondamment illustrée et comme canonisée par l'art chrétien, même si la conception virginale de Marie demeure irrece­vable. Dans le chapitre sur la liturgie, on remarquera les textes de l'office et de la messe du propre du diocèse de Coutances et Avranches pour la Dédicace de saint Michel au mont Tombe, la fête du saint ange gardien du Portugal, les belles prières à l'ange gardien tirées de la liturgie byzantine, le superbe dialogue du bon larron et de l'ange qui veut l'empêcher d'entrer au paradis (li­turgie chaldéenne), et la formule de bénédiction d'une... station radio­phonique, Pie XII ayant proclamé saint Gabriel patron céleste des télé­communications. On pourra regret­ter que cette partie liturgique soit entièrement en français (notamment pour la prose de la messe de saint Michel au diocèse de Coutances). On trouve ensuite des formules de dévotion populaire, des textes des papes (dont ceux de Léon XIII et de Pie XII évoqués plus haut, et aussi un remarquable discours du même Pie XII à des jeunes époux), des textes de divers conciles (à l'exclu­sion de Vatican II : est-ce volon­taire, ou bien n'y trouve-t-on nulle trace des anges ?), et enfin des extraits de catéchismes, dont le magnifique catéchisme des anges publié dans la *Lettre aux amis* du monastère Sainte-Madeleine du Bar­roux. Un appendice classe les proposi­tions théologiques relatives aux an­ges selon les trois degrés de certi­tude : vérité de foi, vérité certaine, vérité commune à presque tous les théologiens (*sententia communis*)*.* J'ai été surpris de trouver au dernier degré (celui où se trouvent les pro­positions que l'on peut mettre en doute sans hérésie ni désobéissance) « Tout homme a dès sa naissance, son saint ange gardien particulier. » Cela est en effet enseigné dans le catéchisme du concile de Trente. Le second tome rassemble en 160 pages des textes de 81 auteurs. Cette simple constatation fait voir à la fois l'intérêt et les limites de l'entreprise : le panorama des pères de l'Église, théologiens et mystiques est très étendu, mais l'on n'échappe pas à une sorte d'éparpillement. Pour ma part je regrette que le lecteur soit réduit à la portion congrue en ce qui concerne les pères de l'Église. Par exemple on ne trouve que trois textes de saint Augustin, tous trois extraits de la *Cité de Dieu* et totali­sant deux pages. En revanche, il y a beaucoup (beaucoup trop) d'auteurs pour qui parler des anges n'est guère que l'occasion de faire des leçons de morale (du genre : votre ange gar­dien voit tout ce que vous faites) ou des « exercices de piété ». Il est d'ail­leurs intéressant de voir comment les auteurs « moralisants » exaltent la supériorité des anges sur les hommes (par nature), alors que les mystiques n'hésitent pas à avancer que la moindre âme chrétienne est plus élevée que ne peuvent l'être les chérubins, car, comme l'explique sainte Mechtilde de Magdebourg, ceux-ci demeurent des serviteurs, alors que « la moindre âme est fille du Père, sœur du Fils, l'amie du Saint-Esprit et la véritable épouse de la Sainte Trinité », par la grâce de l'union au Christ. Et l'on voit les saints anges fléchir les genoux « en grande révérence » devant sainte Gertrude. 156:299 Sans vouloir relever tous les textes les plus importants de ce deuxième tome, on notera celui de saint Denys l'Aréopagite, fondamental, sur les neuf chœurs angéliques ; l'exposé de saint Jean Damascène, d'une remar­quable précision théologique ; les textes de saint Bernard, de saint Thomas d'Aquin, des deux saintes Mechtilde, de sainte Gertrude, sainte Catherine de Sienne (la dignité sacer­dotale est supérieure à celle des anges), sainte Françoise Romaine (et son ange gardien) sainte Thérèse d'Avila, saint Jean de la Croix, Bérulle, Newman... Et l'on est bien aise de constater que les meilleurs textes sont ceux des auteurs les plus connus... Cependant l'un des plus beaux joyaux du livre est un passage de l'autobiographie d'une franciscaine inconnue : Marie des Anges Sorazu y Aizpurma (1873-1921). Elle est la seule mystique à parler de ses rela­tions avec les anges sans utiliser la moindre image sensible. Le lecteur se trouve abruptement confronté avec l'expression purement intellec­tuelle d'une « expérience spirituelle » relevant de la plus haute sainteté. Les anges, nous dit Marie des Anges la bien nommée, sont « des reflets de Dieu... une pure intelligence et un amour que l'on ne peut voir qu'avec le sommet de l'esprit, autrement dit intellectuellement, puisqu'ils se révè­lent tels qu'ils sont (sic) sans formes particulières ». C'est un texte fasci­nant, et l'on regrette de n'en avoir que trois pages (d'autant plus que l'autobiographie doit être introuva­ble, et n'a pas été traduite). On trouvera aussi deux textes étonnants, très audacieux, sur saint Michel, qui s'appellent et se confor­tent l'un l'autre à deux siècles de dis­tance bien que le second ne fasse aucunement référence au premier. Pour Jeanne Marie de Jésus (1596-1670), saint Michel est « la gloire du Fils » (« comme le Fils est la gloire du Père » !), « le chiffre du Fils », « le spectacle de Dieu » « l'ombre du Père qui ombragea la Sainte Vierge tandis que le Saint-Esprit formait dans son sang virginal un corps au Verbe divin (...), le milieu de Dieu et de Marie pour garder Marie d'être consumée ». Quant à Philomène de sainte Colombe (1841-1868), elle dit avoir pour mission de répandre la dévotion à la « nouvelle trinité » formée du Sacré-Cœur, de Marie Immaculée et de saint Michel Marie demande, le Sacré-Cœur accorde, saint Michel distribue, dans une parfaite unité de volonté. Deux « révélations » certes un peu étran­ges et qui posent quelques pro­blèmes, mais le procès de canonisa­tion des deux religieuses est en cours... On trouve encore bien d'autres choses dans ce livre, comme l'insti­tution en 1758 par les évêques de Bretagne d'une fête des saints anges gardiens du roi et du royaume, ou la demande du savant et bienheureux cardinal Tomasi de substituer le nom de saint Gabriel à celui de saint Michel dans la bénédiction de l'en­cens. Telle est ma lecture de ces deux livres. On peut en faire d'autres. Le très large panorama offert permet à chacun de découvrir ce qui corres­pond à sa propre sensibilité spiri­tuelle, chaque découverte étant inci­tation à approfondissement. Et ce n'est pas le moindre de leurs mérites. Yves Daoudal. 157:299 ## INFORMATIONS ET COMMENTAIRES ### Et à Rome en ce temps-là se tenait un synode extraordinaire ON AVAIT BIEN pris la précaution de verrouiller la porte. On avait annoncé que le synode extraor­dinaire n'aurait ni la permission ni le désir de re­chercher une éventuelle responsabilité de Vatican II dans le drame spirituel où, au XX^e^ siècle, se désintègre la religion catholique. D'avance, c'était déjà limiter beaucoup la portée de l'assemblée synodale. Le synode a eu lieu. Il a fait davantage. Il n'a même pas pris en considération la réalité de cette désintégration géné­rale. Il ne s'y est pas *arrêté*. Ce qu'avait dit et imprimé le cardinal Ratzinger sur la maladie de l'Église et les blessures épouvantables provoquées dans les âmes -- et dans les sociétés -- avait fait naître ici et là quelque espérance que l'on allait peut-être enfin considé­rer en face cette maladie, se mettre à la combattre et à pan­ser les plaies. 158:299 Mais de tout ce qu'avait dit et imprimé le cardinal Ratzinger, rien finalement n'a été retenu par le synode, à l'exception d'un approfondissement souhaitable du statut théologique des conférences épiscopales. Ce fut déjà la grande défaillance du concile Vatican II : la même défaillance. Il avait été réuni en pleine crise, déjà, de l'Église, et il avait refusé de la prendre en considération. Ceux qui attiraient l'attention sur la gravité de cette crise avaient été disqualifiés d'emblée comme « prophètes de malheur ». La même défaillance continue, elle est confirmée et indurée par le synode extraordinaire. On n'a même pas eu besoin cette fois de disqualifier ceux qui montrent la pro­fondeur tragique de la crise religieuse : car ceux-là en vingt ans ont été, dans la hiérarchie ecclésiastique, neutralisés, éliminés, systématiquement exclus de tout débat. Si bien qu' « à l'unanimité, les évêques venus des cinq continents et rassemblés à Rome en synode autour du pape » ont pu adresser un « message au peuple de Dieu » qui déclare sans honte ni hésitation : « *Ne nous arrêtons pas aux erreurs, aux confusions, aux fautes qui, à cause du péché et de la faiblesse des hommes, ont occasionné des souffrances au sein du peuple de Dieu.* » Dont acte. Vous ne vous arrêtez donc pas, comme si ces souffrances, ces fautes, ces confusions et ces erreurs, dont vous parlez au passé, avaient spontanément disparu. *Vous ne vous arrêtez pas,* le mot est terrible, vous avez signé cet aveu étonnant et sinistre, qui demeurera historique, je vous en réponds. Vous ne vous arrêtez pas *et pourtant vous avez vu :* il y a un précédent, qui est écrit en saint Luc, chapitre dixième. 159:299 Le peuple de Dieu en notre temps est semblable à un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, *homo quidam descendebat ab Jérusalem in Jéricho,* et qui était tombé sur des brigands. Ils l'avaient roué de coups, dépouil­lé, laissé couvert de blessures, ne vivant plus qu'à demi, *semivivo.* Il arriva qu'un concile descendit par le même che­min : il le vit et ne s'arrêta point : *praeterivit.* Pareillement un synode vint ensuite au même lieu, il le regarda, et ne s'arrêta pas davantage : *pertransiit.* Le peuple de Dieu attend toujours le bon Samaritain qui voudra bien s'arrêter sur les souffrances, pour les apaiser, sur les fautes, pour les corriger, sur les confusions, pour les dissiper, sur les erreurs, pour les redresser. #### *Un nouveau catéchisme* Mais on nous annonce un catéchisme. Les confusions et l'obscurité se sont tellement installées dans les esprits que même un André Frossard nous le raconte avec satisfac­tion ([^52]) : « Les Pères du synode ont émis le vœu que soit rédigé un résumé de la foi et de la morale de l'Église catholique valable pour tous. » Il n'en existe donc point ? Il n'en a jamais existé ? « Les chrétiens seront fort heureux d'avoir un catéchis­me, même si on l'appelle autrement. » 160:299 Pourquoi « *seront *»*,* pourquoi ce futur ? Pourquoi leur avoir fait croire, et semble-t-il à André Frossard lui-même, qu'ils n'en ont point ? Questions : -- Depuis quand n'en ont-ils donc plus ? -- En ont-ils jamais eu ? Je voudrais bien savoir, mais il est probable que je ne le saurai jamais (car cela fait des années qu'il ne répond plus aux questions que je lui pose, mais je reste attentif à ses évolutions, au point d'en être parfois atterré), -- je voudrais bien savoir ce qu'André Frossard a donc contre le Caté­chisme du concile de Trente, contre le Catéchisme de saint Pie X, le Grand catéchisme et le Petit catéchisme et les Premières notions ; contre le Catéchisme de la famille chré­tienne du P. Emmanuel et contre une dizaine ou une ving­taine d'autres catéchismes, tous *identiques* dans leur doctrine, et donnant à divers niveaux et en diverses dimensions des « résumés » sûrs et complets « de la foi et de la morale de l'Église valables pour tous ». Je ne soupçonne André Frossard, dans sa méconnais­sance, d'aucune mauvaise intention. Mais l'intention mau­vaise, ou au moins téméraire, comment ne pas la pressentir quelque part ? On nous a déjà fabriqué une *nouvelle* liturgie non point pour *s'ajouter* à l'ancienne, mais pour la *suppri­mer* et la *remplacer*. On peut redouter que pareillement, dans le même « esprit du concile » à nouveau invoqué et glorifié, on nous fabrique maintenant un *nouveau* catéchisme universel non point pour *s'ajouter* à l'ancien, mais pour le *supprimer* et le *remplacer*, -- de la même façon... 161:299 #### *Un catéchisme de Vatican II* *-- *Il y a eu un catéchisme « du concile de Trente ». Pourquoi n'y aurait-il pas maintenant un catéchisme « du concile Vatican II » ? Réponse : -- Pour la raison que le catéchisme du concile de Trente n'était pas un catéchisme du concile de Trente. Il était « du concile de Trente » en ce sens seulement que le concile de Trente avait ordonné sa confection (et commencé à l'entre­prendre) : mais il n'avait ni pour intention ni pour fonction de résumer seulement l'enseignement du concile de Trente. Il résumait toute la doctrine traditionnelle de l'Église. On nous annonce au contraire un catéchisme du concile Vatican II qui a pour intention et aura pour fonction de s'en tenir au seul enseignement de Vatican II : à la seule «* doctrine conci­liaire *», comme l'appelle le synode. Il y a eu le même tour pour la messe. On nous a dit que le pape Paul VI avait bien le droit de décréter une messe comme le pape Pie V en son temps en avait décrété une. Mais ce n'était pas vrai, ce n'était pas pareil. Saint Pie V avait seulement codifié, réglementé, canonisé la messe de la tradition, sans rien inventer, et en authentifiant tous les rites coutumiers (dominicain, lyonnais, ambrosien) ayant plus de deux siècles d'existence. Au contraire Paul VI a fabriqué une messe nouvelle : ce n'est déjà pas la même chose, pas du tout. Et en outre, cette messe nouvelle était en fait une arme par destination, elle a principalement servi à interdire la messe ancienne. Les catéchismes anciens, eux, sont déjà interdits *de facto* ou même, comme en France, *de jure* ([^53]) : on a ainsi préalablement créé un vide artificiel. 162:299 Il est maintenant question de fabriquer quelque chose de nou­veau pour le remplir, comme si l'on n'avait rien sous la main. #### *Situation du catéchisme* Il existe jusqu'à présent un seul catéchisme romain : celui que le concile de Trente (1545-1563) avait voulu, qu'il avait commencé, et qu'il confia finalement au souverain pontife pour qu'il le termine et le publie. Il fut promulgué par saint Pie V en 1566. C'est un catéchisme à l'intention des « curés de paroisse ». Si bien que la question d'un « résumé de la foi et de la morale valable pour tous » et destiné aux adultes ne devrait pas se poser : ou seulement, la question d'en assurer des éditions nouvelles, dans une langue éventuellement rajeunie, et avec les compléments in­dispensables (dogmes de l'infaillibilité pontificale, de l'Imma­culée-Conception de la Vierge Marie et de son Assomp­tion) ([^54]). Jusqu'au XX^e^ siècle, c'est en s'inspirant avec plus ou moins de bonheur du Catéchisme du concile de Trente, en l'adaptant aux différents âges et aux différents niveaux d'instruction, que furent composés les catéchismes diocésains, les catéchismes des missions, des écoles et des paroisses, et un grand nombre de catéchismes privés. 163:299 Au premier concile du Vatican, les évêques se préoccu­pèrent non point d'un catéchisme unique pour adultes, puis­qu'il existait, mais d'un modèle universel de petit catéchisme pour les enfants. Il y eut un schéma préparatoire, proposé par Pie IX et distribué aux Pères du concile le 14 janvier 1870 : il prévoyait que le souverain pontife aurait la charge de faire rédiger en latin un petit catéchisme, qui serait ensuite traduit dans les diverses langues, les évêques gardant la possibilité de publier à part des instructions plus amples, ou destinées à réfuter des erreurs plus courantes dans leur diocèse. Le schéma fut discuté jusqu'au 22 février, une nou­velle rédaction fut décidée, de nouveaux débats eurent lieu les 27 et 28 avril, la nouvelle rédaction fut adoptée par 491 *placet* contre 56 *non placet* et 44 *placet juxta modum*, remet­tant au souverain pontife la rédaction d'un petit catéchisme universel. Ce qui détermina la majorité des évêques, c'est le sentiment qu'ils pouvaient laisser des erreurs se glisser dans leurs catéchismes diocésains, comme on l'avait vu avec les évêques jansénistes ; ou encore capituler devant les exigences arbitraires du pouvoir politique, selon l'exemple des caté­chismes indûment imposés par Joseph II et par Napo­léon I^er^ : un modèle romain unique et obligatoire était désiré, à titre de défense contre tous ces risques d'hérésie épiscopale ou de lâcheté. Les évêques du premier concile du Vatican n'avaient pas, on le voit, une confiance en eux-mêmes aussi illimitée que ceux de Vatican II. Mais finalement le concile fut interrompu par l'occupation de Rome et ajourné *sine die* par Pie IX (septembre-octobre 1870) sans que le décret ait été promulgué ; et le petit catéchisme universel ne fut pas rédigé. Il y eut ultérieurement la publication par saint Pie X d'un Grand catéchisme, d'un Petit catéchisme et de Pre­mières notions dont l'usage était seulement conseillé mais n'était rendu obligatoire que dans le diocèse de Rome ([^55]). 164:299 Le concile Vatican II n'a, pour sa part, rien demandé ni décrété concernant la rédaction d'un nouveau catéchisme. #### *L'illuminisme* Un catéchisme confectionné maintenant selon l' « esprit de Vatican II » aura toutes les raisons et toutes les chances d'être un catéchisme qui s'en tienne aux seuls enseignements de Vatican II, à la seule « doctrine conciliaire ». On nous répète en effet que Vatican II a été « une nou­velle Pentecôte ». On aurait beau le répéter mille fois plus, en vérité ce serait toujours l'annoncer trop tard, irrépara­blement. C'est le concile lui-même, s'il en était persuadé, qui aurait dû le proclamer en utilisant la note d'infaillibilité qu'il était en son pouvoir d'utiliser : il l'a explicitement écartée. Au demeurant il n'avait jamais été dit qu'après la Pentecôte, la vraie, l'Église devait en attendre une seconde. A jet continu l' « esprit du concile » s'efforce de nous inculquer que Vatican II a été un *don du Saint-Esprit* et qu'il est *ce que l'Esprit a dit à l'Église.* Assurément je ne prétends point exclure que l'Esprit Saint ait (à sa manière) parlé aux Pères du concile : mais rien ne garantit qu'ils ont su l'en­tendre et qu'ils l'ont correctement rapporté. La seule garan­tie, c'était la définition infaillible, ils n'en ont pas voulu. Et maintenant, après coup, ils nous présentent Vatican II com­me si ses décrets contenaient un enseignement infailliblement défini. Les Pères du synode extraordinaire, dans leur « mes­sage au peuple de Dieu », ont eu l'audace de proférer cette énormité : 165:299 « L'Église, nous le croyons fermement et nous le voyons, trouve aujourd'hui dans le concile la lumière et la force que le Christ a promis de donner aux siens à chaque âge de l'histoire. » Ainsi qu'Yves Daoudal l'a aussitôt fait observer ([^56]), la lumière et la force du Christ ne se trouvent ni uniquement ni principalement dans un concile qui s'est déclaré *pastoral* par distinction explicite d'avec *dogmatique.* Aujourd'hui et demain comme hier, la lumière et la force du Christ se trouvent avant tout et surtout dans l'Évangile lu et inter­prété non pas selon son idée personnelle mais selon la tradi­tion de l'Église ; dans les définitions infaillibles du magis­tère ; dans les sacrements. Nous voyons le discours actuel de la hiérarchie ecclésiastique gagné de plus en plus par un *illuminisme* caractérisé. L'illuminisme en général consiste à se croire directement inspiré par le Saint-Esprit sans se soucier des garanties et des vérifications que la sagesse de l'Église a depuis longtemps réglementées. L'illuminisme actuel consiste à présenter les décrets de Vatican II comme transmettant infailliblement la parole même de Dieu ; à prétendre, comme fait le message des Pères du synode, que « dans le concile Vatican II, l'Église a reçu avec certitude une lumière nou­velle ». *Avec certitude !* C'est une imposture, dont je veux bien croire que les auteurs, ou la plupart d'entre eux, ne se rendent pas compte, mais de toutes façons ce n'est pas la question. Il ne s'agit point d'accuser personne en particulier. Parmi ceux qui propagent cette imposture, nous n'avons pas à démêler qui en est complice et qui en est victime. Nous avons à voir clairement que c'est bien une imposture. 166:299 #### *Et pendant ce temps...* Pendant qu'à Rome se tenait le synode extraordinaire était diffusé en France, par tout l'appareil administratif de la hiérarchie ecclésiastique, un *appel commun à la fraternité de combat,* qui avait été lancé le 15 novembre et où évêques et francs-maçons « *unissent pour la première fois leurs voix et leurs efforts *»*,* en compagnie de protestants, de juifs, -- et aussi du MRAP qui est, au sens technique donné à ce terme par Lénine, une courroie de transmission du communisme. La *fraternité* ainsi solennellement appelée est une *frater­nité de combat contre le racisme,* au mépris de cette évi­dence : la France est le pays le moins raciste du monde ; elle est le pays le plus accueillant à l'étranger. Le problème, la difficulté, le drame, c'est qu'elle a été *trop* accueillante et que maintenant il lui est vital de réparer les dégâts. En sens contraire, « au nom de l'Évangile », l'épiscopat mène en politique un seul combat, le combat de la gauche qui se prétend « anti-raciste » ([^57]). « Au nom de l'Évangile », par la bouche de Mgr Vilnet, président de la conférence épisco­pale, et par celle du cardinal Decourtray, primat des Gaules, le noyau dirigeant de l'épiscopat indique au peuple de Dieu un seul ennemi politique, explicitement et nommément dési­gné comme tel, c'est le « Front national », assimilé à l' « extrême droite » et accusé de « racisme ». La nation française est aujourd'hui menacée dans sa survie par un dessein que Pierre Debray a résumé en une phrase ramassée, fulgurante de vérité : 167:299 « *La franc-maçonnerie se sert de l'im­migration afin d'effacer le passé chrétien de la France et de transformer le territoire en un terrain vague où campent cent peuples divers.* » ([^58]) Plus ou moins obscurément, plus ou moins à tâtons, le sentiment national réagit contre cette asphyxie croissante : l'épiscopat s'unit aux francs-maçons, à la gauche socialiste et aux communistes pour condamner comme « racistes » les réactions du sentiment national. C'est de cette manière qu'en vertu de la « doctrine conciliaire » les évêques « annoncent l'Évangile » en politique... #### *L'Évangile qui n'est pas annoncé* Mais le crime public qui se commet chaque jour sous leurs yeux a laissé indifférente leur sensibilité évangélique. Ceux qui commettent le crime de scandaliser les petits enfants, il est écrit que pour eux il eût mieux valu qu'on leur attachât au cou une meule de moulin et qu'on les immergeât au plus profond de la mer (en saint Matthieu, chapitre XVIII). Cet Évangile-là, nos Éminences et nos Excellences daigne­ront-elles un jour nous faire la charité de l'annoncer ? Charité pour les enfants de France. 168:299 Charité pour les coupables eux-mêmes, charité pour les criminels. Avertissement qu'il serait charitable de fulminer à l'inten­tion de l'ignoble Coluche, radiophoniquement graveleux, spécialement le mercredi, dans ses dialogues immondes avec les plus jeunes auditeurs. A l'intention de l'affreux Serge Gainsbourg qui chante l'inceste à la télévision en y exhibant sa propre fille. Cela et le reste, tout cela est public, sur des postes contrôlés par l'État, donc tout cela est politique autant qu'immoral. Puisque Nos Seigneurs les évêques entendent prendre l'Évangile au sérieux et l'annoncer jusqu'en politi­que, ils avaient là une occasion de le montrer. Mais rien n'est venu. A Rome en ce temps-là se tenait un synode extraordi­naire qui les a remplis de satisfactions. Jean Madiran. 169:299 ## AVIS PRATIQUES ### Annonces et rappels Avec notre prochain numéro, qui sera le numéro 300 de fé­vrier, la revue ITINÉRAIRES va clore sa trentième année d'exis­tence. Campagne d'abonnements\ pour la 31^e^ année : Jusqu'au 10 février, vous pouvez abonner autour de vous toutes les personnes qui ont besoin de connaître ITINÉRAIRES. C'est ainsi surtout que la revue sera une revue qui circule. 170:299 Ces abonnements de propagande seront des abon­nements d'un an au tarif minimum actuel. Ils couvri­ront la 31 année d'ITINÉRAIRES : du numéro 301 de mars 1986 au numéro 310 de février 1987 inclus. Au seuil de sa 31° année, la revue ITINÉRAIRES devra augmenter sérieusement ses tarifs d'abonnement. Le tarif minimum actuellement en vigueur n'a pas été augmenté depuis le mois d'avril 1982. Vous pouvez en profiter encore pour les abonnements de propagande, à souscrire en utilisant ou en recopiant le bulletin qui est à la dernière page du présent numéro. Les trente ans Nous célébrerons et fêterons les trente ans accom­plis de la revue ITINÉRAIRES par la même célébration et la même fête qui seront celles du numéro 1.000 du quotidien PRÉSENT. Ces deux célébrations conjointes se dérouleront à Paris le samedi 1^er^ février 1986, sous la présidence de François Brigneau, Pierre Durand et Jean Madiran. Nous y fêterons aussi les quarante ans de journalisme de François Brigneau. A 11 h, *grand'messe* en l'église Saint-Nicolas du Chardonnet, célébrée par le Révérend Père Dom Gé­rard, qui prononcera le sermon. Un *banquet* aura lieu ensuite vers 13 h à la Mutua­lité, avec la présence de nombreuses personnalités et plusieurs discours. Pour le banquet, le nombre de places étant limité, il convient de *s'inscrire* (avec un versement de 185 F par personne) auprès de M. Pierre Durand, 5, rue d'Am­boise, 75002 Paris (téléphone : (1) 42.97.51.30). ============== fin du numéro 299. [^1]:  -- (1). Il a également donné son cours sur « La personne et l'œuvre de Jésus-Christ » à l'Université pontificale grégorienne de Rome en 1974. [^2]:  -- (1). Robert Lacour-Gayet : « *Histoire de l'Afrique du Sud* » (Fayard). [^3]:  -- (2). Quant à l'évêque anglican noir Desmond Tutu, qui vient de recevoir le Prix Nobel de la Paix à la grande joie des Soviétiques, il est l'un des pires agents de la « déstabilisation » en Afrique du Sud. N'est-il pas, en effet, secrétaire général du SACC, le Conseil Sud-Africain des Églises, organisme de subversion en liaison étroite avec l'ANC : mouvement terroriste dont l'un des principaux chefs, Joe Slovo, membre du parti communiste, est également membre du KGB ? Comment s'étonner, dès lors, si l'évêque Tutu entretient à l'égard des Blancs d'Afrique du Sud -- et des États-Unis -- cette hostilité haineuse ? [^4]:  -- (3). Juste avant la pendaison de Moloise, cinq personnes étaient exécutées au Zimbabwe. C'est bizarre : aucun chef d'État n'en a parlé ! [^5]:  -- (4). Alexandre Soljénitsyne, discours à Harvard, 8 juin 1978. [^6]:  -- (5). *Opinion Indépendante du Sud-Ouest.* 8 novembre 1985. [^7]:  -- (6). Ce texte du pasteur Hoffman existe en tiré à part disponible aux Éditions Dominique Martin Morin (Bouère, 53290 Grez-en-Bouère). [^8]:  -- (7). Jacques Soustelle, « *Afrique : famine et démagogie *» (*Figaro* du 24 juillet 1985). Voir aussi l'article paru dans *l'Homme Nouveau* du 17 novembre 1985, où Irving Shelton expose avec vigueur le rôle néfaste et subversif joué, en Afrique Australe, par le Conseil Mondial des Églises (W.C.C.) et par le Conseil des Églises d'Afrique du Sud (SACC). [^9]:  -- (1). Émile et Maria Combes eurent cinq enfants, trois garçons : Edgar (1864), André (1868), René (1869), et deux filles : Charlotte et Germaine. René mourut en bas âge. André succomba en 1891, à l'âge de 23 ans. Son père le fit enterrer civilement, ce qui provoqua la brouille définitive avec l'abbé Gaubert. Il déshérita les Combes. Edgar Combes décéda en 1907, à l'âge de 43 ans, d'une crise d'appendicite. Il avait épousé une très riche Américaine et fait toute sa carrière (préfet de 1900 à 1902, secrétaire général du ministère de l'intérieur 1902-1904, conseiller d'État à partir de 1905) à l'ombre de son papa, dont il partageait le fanatisme. L'entourage de Waldeck-Rousseau le tenait en petite estime. Nous le verrons. [^10]:  -- (2). *La Chaîne d'union de Paris. Journal de la maçonnerie universelle.* Avril 1884, p. 151. Cité par Louis Caperan. *Histoire de la laïcité républi­caine* (T. III, La laïcité en marche), p. 157. [^11]:  -- (3). *Bulletin de la Ligue de l'Enseignement,* 1885. [^12]:  -- (4). Henri Tolain (1828-1897), ciseleur sur bronze, proudhonien. Un de ceux qui inventa le mouvement ouvrier sous le Second Empire et la pre­mière internationale ouvrière (Association internationale des travailleurs, fondée à Saint-Martin's hall à Londres (28.IX.1864). Pacifiste, il préconi­sait contre la guerre la grève générale des travailleurs des pays belligé­rants. Élu à l'Assemblée nationale en 1871, il n'adhéra pas à la Com­mune. Sénateur depuis 1876, Tolain militait pour la suppression de la Haute Assemblée. Il s'appelait modestement : *le fossoyeur du Sénat.* Cela ne l'empêcha pas de solliciter sa réélection et d'être réélu au renouvelle­ment triennal de 1882 et 1891. Il était naturellement franc-maçon (Annuai­re de la Grande Loge, 1906, p. 34). [^13]:  -- (5). La République française 19.XI.86. [^14]:  -- (6). Conférence au Cercle républicain de Saint-Dié, 2.X.87. *Discours et opinions,* T. VII. [^15]:  -- (7). J. O., 20.1.1887. [^16]:  -- (8). Saint-Pastour. *La franc-maçonnerie au Parlement, p.* 167. [^17]:  -- (9). Jean-Baptiste Ferrouillat (1820), avocat et homme politique lyonnais. Député du Rhône, puis sénateur du Var, après des débuts hési­tants, siégea à l'extrême gauche. Se signala dès 1881 pour son engagement laïque. [^18]:  -- (10). Alphonse Aulard (1849-1928), partisan passionné de la Révolu­tion française mais défenseur de Danton, fut un des historiens préférés de l'école normale d'instituteurs jusqu'à l'arrivée d'Albert Mathiez (1874 -- 1932) qui, lui, préférait Robespierre. Aulard mérite de trouver sa place dans ce récit pour trois raisons : *a*) Il fut un des fondateurs de la Ligue des Droits de l'Homme. *b*) En 1909, Mgr Amette ayant condamné ses livres, M. Aulard et quelques autres professeurs assignèrent l'archevêque de Paris à 100.000 frs or de dommages-intérêts. *c*) Il eut comme gendre un autre féroce intolérant de la tolérance : Albert Bayet. [^19]:  -- (11). J.O., 14 juin 1889. [^20]:  -- (12). Voir Drumont. *La France Juive,* pp. 438 et suivantes. [^21]:  -- (13). « Le grand titre de Lockroy, auprès de la franc-maçonnerie, a été de s'introduire dans la famille de Victor Hugo, et d'y monter la garde pour empêcher que celui qui avait été un si grand poète religieux ne retourne au Christ. L'affaire a été admirablement menée. On prit l'aïeul par l'amour qu'il avait pour ses petits-enfants. Quelle douleur ce dut être pour le poète de voir ce vilain moineau installé ainsi dans le nid de l'ai­gle ! Qui saurait exprimer le regard plein d'une hostilité sourde que le vieillard, d'une si magnifique bonhomie envers tous, lançait parfois sur Lockroy imperturbablement assis dans son rôle de père nourricier, im­mobile dans une posture à la fois arrogante et très basse ? Toute l'hor­reur de cette vie commune se lisait dans ce regard. « Que se passa-t-il au lit de mort ? On ne le saura jamais exactement. Les dernières heures de ce souverain de l'intelligence furent entourées d'autant de mystères que celles d'un souverain de droit divin. « Le fameux testament, publié avant les funérailles, ne me paraît pas être de la main de Victor Hugo. « Louis XIV avait pour secrétaire de la main le président de la Cour des comptes, Toussaint Rose. Rose qui fut membre de l'Académie, en remplacement du silencieux Conrart, avait la même écriture que le roi et il écrivait des lettres qui, d'après l'étiquette, devaient être des autographes. Personne n'ignore dans le monde littéraire que M. Richard Lesclide rem­plissait les mêmes fonctions près de Victor Hugo et que les authentiques du maître sont excessivement rares pour la dernière période de sa vie. Victor Hugo évidemment, n'aurait pas suffi à son écrasant labeur, s'il lui avait fallu écrire cinquante lettres par jour pour annoncer aux gens­ « qu'ils avaient le Verbe en eux » et « qu'il pressait cordialement leurs mains loyales ». « Ce Lesclide aposté dans la maison par Lockroy était un juif de Bordeaux, un juif de l'espèce gaie, qui pintait vigoureusement au dîner mais qui n'était pas désagréable. « Ainsi entouré Victor Hugo n'avait plus guère moyen de manifester une opinion libre. Il est moralement certain pour moi qu'il a demandé un prêtre et bien des témoignages matériels tendraient à confirmer cette conviction. On a entendu Vulpian confirmer positivement ce fait dans un salon. Vulpian, sans doute, a démenti par écrit ce qu'il avait dit de vive voix mais sa lettre sue le mensonge et la peur. Il est démontré en tout cas que Lockroy a intercepté une lettre remplie d'une si évangélique charité de l'archevêque de Paris, et qu'elle n'a pas été remise au malade. » Édouard Drumont. *La France Juive,* pp. 443-444. (Le Dr Vulpian fut un des médecins de Victor Hugo.) [^22]:  -- (14). Alexandre Ribot (1842-1923). Son ministère (le troisième) ne comptait que trois F**.·.** M**.·.** : André Lebon (Commerce, Industrie, PTT, député des Deux-Sèvres, loge *Cosmos*) ; Antoine Gadaud (Agriculture, député de la Dordogne, loge les *Amis Persévérants*)*;* Émile Chautemps (Colonies, député de la Seine, loges *Isis Montyon* et *Cosmos*). [^23]:  -- (15). Paul Doumer (1857-1932). Député de l'Aisne, de l'Yonne, de l'Aisne à nouveau, puis sénateur de la Corse, plusieurs fois ministre, enfin président de la République. Élu contre Briand en 1931, il fut assassiné un an plus tard à Paris par Gorguloff. Paul Doumer avait été initié à 22 ans à la loge *L'Union Fraternelle.* Il devint vénérable de la loge *Patrie et Humanité,* puis de la loge *Voltaire,* membre du Conseil de l'Ordre du Grand Orient, membre de la loge *La libre pensée,* dont il fut rayé au moment de l'affaire des fiches (1905). A sa mort plusieurs loges annoncè­rent des « batteries de deuil » à la mémoire du président disparu. (Saint-Pastour, *op. cit.,* et Coston, *Dictionnaire politique,* tome 1.) [^24]:  -- (16). R.P. Lecanuet, *op. cit.,* p. 76. [^25]:  -- (17). Cité par Henry Coston. *La République du Grand Orient,* p. 57. [^26]:  -- (18). J.O., novembre 1895, p. 2087. [^27]:  -- (19). R.P. Lecanuet, *op. cit*., p. 82. [^28]:  -- (20). Comte Anatole Lemercier, né le 25 juin 1920 à Coudret (Seine-et-Oise). Candidat officiel bonapartiste en 1852 en Charente-Inférieure. Élu. Réélu en 1857. Retiré de la vie publique il se représente en 76, à Saintes. Battu. Battu encore en 77. Mais étant passé en 1889 dans le camp républicain, il est enfin élu en battant le candidat monarchiste M. Wallersi. Maire de Saintes, Lemercier était considéré comme un « député d'interventions ». [^29]:  -- (21). Le scandale des Chemins de fer du Sud datait de dix ans, au moins. Le banquier Reinach avait monté une société pour construire une ligne d'intérêt départemental dans les Basses-Alpes. Grâce à Rouvier et au Crédit Lyonnais « la banque de l'opportunisme » (Barrès), Reinach avait obtenu des subventions dépensées sitôt qu'empochées, sans que les tra­vaux ne soient commencés. A intervalles réguliers, les poursuites étaient relancées contre les administrateurs et non moins régulièrement le ministre de la justice étouffait. [^30]:  -- (22). Si le préfet Poubelle avait présidé aux expulsions des religieux en 1881, son épouse s'y était physiquement opposée. A la tête des dames catholiques de Marseille, Mme Poubelle avait chargé les forces de l'ordre. Son rôle fut si important que bientôt à Marseille et au Frigoulet des manifestations musclées se déclenchèrent au cri de : « Vive Mme Pou­belle. » Le R.P. Lecanuet raconte : « Quand M. Poubelle s'en alla, quel­ques mois plus tard, inaugurer à Rome ses hautes fonctions, il édifia tout le monde par sa piété. On le vit selon l'usage aller s'agenouiller à Saint-Pierre tout d'abord dans la chapelle du Saint-Sacrement, puis à Saint-Grégoire et à l'autel de la Confession de Saint-Pierre, enfin baiser avec ferveur le pied de la statue du grand apôtre. « Le diable, écrivait-on de Rome, n'est pas si laid qu'on nous l'avait dépeint. » Et M. Berthelot ministre des affaires étrangères ajoutait : « Ce n'est pas un ambassadeur que j'ai nommé, c'est une ambassadrice. » [^31]:  -- (23). Jules Méline (1838-1925). Républicain modéré sous l'Empire. Mo­dérément républicain sous la République. Député et sénateur des Vosges. Essaya de calmer l'affaire Dreyfus et la guerre antireligieuse. Inventeur du poireau : le Mérite agricole. [^32]:  -- (24). Attaqué sur Reims, Darlan répondit en déclarant qu'il avait mis en garde l'archevêque et qu'il n'avait pas de leçon de laïcisme à recevoir, lui qui venait de suspendre vingt traitements pour attaques contre la République. Puis se tournant vers Joseph Fabre, sénateur d'Aveyron, qui l'avait interpellé, il lut la lettre que Mgr Pagès, évêque de Verdun, avait adressée à M. Fabre : « Je fais des vœux pour votre succès. Jeanne d'Arc s'intéressera certainement à votre candidature. Je lui demanderai au sur­plus de dire un mot à l'oreille des délégués sénatoriaux. » Le *Journal Officiel* note : *Longue hilarité*. [^33]:  -- (25). *op. cit*., p. 97. [^34]:  -- (26). *Combes et les siens.* [^35]:  -- (27). Vapereau. *Dictionnaire des Contemporains* (1893). [^36]:  -- (28). Lavergne, *op. cit.,* p. 285. [^37]:  -- (29). Voir Beau de Loménie. *Les responsabilités des dynasties bour­geoises.* T. IV, pp. 84 et suivantes. [^38]:  -- (30). Lavergne, *op. cit.,* p. 162. [^39]:  -- (31). Lavergne, *op. cit*. pp. 234-235. [^40]:  -- (32). Beau de Loménie, *op. cit*., p. 273. [^41]:  -- (33). Lavergne, *op. cit*., p. 479. [^42]:  -- (1). Saint Ignace de Loyola : *Autobiographie,* Seuil, 1962, p. 43. [^43]:  -- (2). Alain Guillermou : *Saint Ignace de Loyola et la Compagnie de Jésus,* Seuil, « Maîtres Spirituels », 1960, p. 25. [^44]:  -- (3). Citée par Dominique Bertrand : *La Politique de Saint Ignace de Loyola,* Cerf, 1985, p. 115. [^45]:  -- (4). Saint Ignace de Loyola : *Lettres,* DDB, 1959, le 13.1.1550 « Aux supérieurs de toute la Compagnie », p. 214. [^46]:  -- (5). Saint Ignace de Loyola. *Epist. ign.* 1, 553, cité par D. Bertrand, p. 88. [^47]:  -- (6). Saint Thomas d'Aquin : *Somme Théologique,* Ia q. 103, a. 6, cité par Dominique Bertrand, p. 88. [^48]:  -- (7). Saint Ignace de Loyola : *Exercices spirituels,* DDB, 1960, N° 362. [^49]:  -- (8). Instruction de septembre 1541, citée par Dominique Bertrand, pp. 526-529. Le texte est cité dans l'ouvrage pour la première fois intégralement. Le Père Dumeige, dans son édition des *Lettres* de saint Ignace, DDB, 1959, ne citait que la fin de l'Instruction, gommant ainsi ces recommandations précises. [^50]: **\*** -- Voir post-scriptum, It. 303, p. 137. [^51]:  -- (1). Dans la nouvelle édition de *Pierres vivan­tes,* une phrase a été ajoutée néanmoins : « Dans l'Évangile, par exemple à l'Annoncia­tion et à la naissance de Jésus, des anges inter­viennent. » Mais il n'y a toujours pas de pas­tille bleue. Il n'y a toujours pas d'anges gardiens, et plus généralement les anges sont priés de rester « dans l'Évangile »... [^52]:  -- (1). *Figaro* du 9 décembre 1985. [^53]:  -- (2). Sur l'interdiction des catéchismes en France, voir l'éditorial d'ITI­NÉRAIRES, numéro 298 de décembre 1985 : « *Le drame, c'est l'interdiction *»*.* [^54]:  -- (3). Comme on le sait (peut-être...), la seule édition française actuelle­ment en vente du Catéchisme du concile de Trente est celle d'ITINÉRAIRES, en *reprint* chez DMM. [^55]:  -- (4). Même remarque pour le Catéchisme de saint Pie X qu'à la note précédente pour le Catéchisme du concile de Trente. [^56]:  -- (5). Dans PRÉSENT du 10 décembre 1985. [^57]:  -- (6). Sur les ressorts de cette imposture, voir notre numéro spécial hors série : *Le soi-disant anti-racisme.* [^58]:  -- (7). *Courrier hebdomadaire de Pierre Debray,* édité 3, rue des Immeu­bles industriels, 75011 Paris, n° 822 du 18 novembre 1985.