# 301-03-86
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### Pour accueillir les candidats qui sollicitent nos suffrages
*NOUS avons rappelé, dans notre numéro 299 de janvier, l'énoncé de nos 14 revendications. Non point certes un complet* « *programme de gouvernement* »*, ce n'est pas notre fonction : il s'agit simplement de notre contribution politique au débat public et au combat national.*
*Dans le même numéro, nous avons rappelé aussi quelles réponses à nos revendications avaient faites les partis et personnalités non marxistes interrogés lors de nos enquêtes politiques de 1978 et de 1983. Une revue comme* ITINÉRAIRES *peut* (*et doit*) *jouer ainsi un rôle de mémoire doctrinale au milieu de la confusion intellectuelle qui est subie ou organisée un peu partout.*
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*Simultanément, depuis le mois de janvier, nous avons entrepris l'exposé doctrinal et pratique de celles de nos revendications qui pourraient être satisfaites sans rien coûter au budget de l'État, et qui néanmoins transformeraient profondément la vie politique et sociale de la France.*
Dans notre numéro 299 de janvier : notre revendication n° 2, la vérité du bulletin de paye, avec une *proposition de loi* sur ce sujet.
Dans notre numéro 300 de février : notre revendication n° 3, la suppression des subventions à la CGT, avec une *proposition de loi sur la représentativité syndicale,* et notre revendication n° 5, la séparation de l'école et de l'État. Dans le présent numéro 301 : notre revendication n° 1, la diffusion de la propriété privée, avec une *proposition de loi sur la désétatisation de plusieurs entreprises publiques,* et notre revendication n° 8, la suppression de l'incitation politique à la luxure.
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*Nous continuerons dans nos prochains numéros.*
*Car s'il s'agit aujourd'hui d'accueillir les candidats qui viennent solliciter nos suffrages, il s'agira demain de rappeler aux élus nos réclamations, leur fondement doctrinal, leur portée pratique. Et, en tout temps, de travailler à faire reculer la confusion des idées.*
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Revendication n° 1
### Diffusion de la propriété
*Dénationaliser pour diffuser*
par Yves Daoudal
« Ce que je reproche au capitalisme, ce n'est pas qu'il y ait trop de capitalistes, mais précisément qu'il n'y en ait pas assez. » Cette phrase de Chesterton situe la première réclamation d'ITINÉRAIRES : *la diffusion de la propriété privée.*
QUI DIT CAPITAL dit moyens de production. La propriété privée dont il s'agit ici est d'abord celle des moyens de production, dont la diffusion entraînerait une meilleure répartition sociale et par conséquent une meilleure diffusion de la propriété privée sous toutes ses formes.
Le capitalisme est ce système économique dans lequel les capitaux n'appartiennent pas, en général, à ceux qui les mettent en œuvre. Il s'agit plus exactement d'une technique que d'un système.
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Il est vrai que cette technique a été mise au point par des hommes qui par ailleurs étaient des individualistes libéraux. Ce fut le « capitalisme libéral », ou plus exactement le libéralisme *capitaliste,* qui engendra une sorte de caste de « capitalistes », rapidement cosmopolite et peu sensible au bien commun. On sait comment les capitalistes ont été caricaturés par la gauche, et au premier chef par les communistes. Ceux-ci voudraient faire croire que leur réprobation concerne le capitalisme lui-même. C'est parfaitement faux : comme chacun sait le système économique communiste est un capitalisme d'État.
Je fais cette remarque uniquement pour faire sentir qu'une économie moderne, industrialisée, est forcément capitaliste. Le seul choix qui reste est celui de l'idéologie qui sous-tend ce capitalisme. Ou bien l'individualisme libéral, ou bien le communisme, ou bien la social-démocratie avec ses diverses formes d'économie « mixte », ou bien... une doctrine qui n'est pas une idéologie, qui ne dérive d'aucune idéologie, mais qui est seulement fondée sur les principes chrétiens.
Dans le cas précis du capitalisme, cette doctrine refuse la ploutocratie issue de l'individualisme libéral, elle refuse l'étatisme communiste, elle refuse la mixité ploutocratie-étatisme de la social-démocratie, elle prône la diffusion de la propriété privée des moyens de production dans toutes les couches de la société, ce que l'on peut appeler le « capitalisme populaire », selon l'expression utilisée notamment par le Front national.
Lorsqu'ils disent rejeter le capitalisme alors que leur système est un capitalisme d'État, les communistes donnent un exemple de leur fameuse « langue de bois ». Ce n'est pas le capitalisme qu'ils rejettent mais la propriété privée des moyens de production. Marx, comme bien d'autres, avait vu à quelles injustices conduisait le capitalisme libéral (on dit aujourd'hui « sauvage ») du XIX^e^ siècle. Il en avait déduit que ces injustices étaient consubstantielles au capitalisme, c'est-à-dire à la propriété privée des moyens de production, et que pour les faire cesser il fallait abolir cette propriété privée. L'histoire a montré que ce raisonnement traduit en actes aboutissait à des injustices sans commune mesure avec celles du capitalisme libéral. L'histoire a montré aussi que si le capitalisme pouvait se transformer, se réformer, le communisme ne pouvait que demeurer l'horizon indépassable de l'injustice institutionnalisée.
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Cette histoire des deux systèmes ne doit rien au hasard. La propriété privée, y compris des moyens de production, est un des fondements de l'ordre social naturel. La propriété privée est « le support concret de la liberté, de l'initiative, de la responsabilité, bref des vertus et des conditions de vie propres à assurer le développement et l'épanouissement de la personnalité » (Louis Salleron). La reconnaissance de ce droit, disait Pie XII, tient ferme ou croule avec la reconnaissance de la dignité personnelle de l'homme, avec la reconnaissance des droits et des devoirs imprescriptibles, inséparablement inhérents à la personnalité libre qu'il a reçue de Dieu. Et celui-là seulement qui refuse à l'homme sa dignité de personne libre, ajoutait le pape, peut admettre la possibilité de supprimer le droit à la propriété privée. « L'expérience et l'histoire l'attestent, disait Jean XXIII dans *Mater et magistra,* là où le pouvoir politique ne reconnaît pas aux particuliers la propriété des moyens de production, les libertés fondamentales sont ou violées ou supprimées. Il est donc évident qu'elles trouvent en ce droit garantie ou stimulant. »
Résoudre les problèmes du capitalisme, ce ne peut donc pas consister à supprimer la propriété privée, mais à faire jouer à celle-ci aussi harmonieusement que possible son rôle par principe bienfaisant puisque la propriété est bonne en soi. Ce rôle est ainsi défini par Salleron : « Assurer automatiquement le meilleur équilibre entre la production et la répartition au bénéfice de tous. » Deux conditions à cela que la propriété soit *stable,* et qu'elle soit *fluide.* Elle est stable quand elle n'est pas menacée dans sa consistance et dans sa durée (par des restrictions abusives, par le fisc, par l'inflation...). Elle est fluide « quand on peut l'acquérir ou la constituer sans avoir à forcer des barrages trop élevés » (barrages financiers, juridiques, sociologiques, etc.). Le problème du capitalisme, note encore Salleron, est le problème général dans l'histoire de la cristallisation de la propriété, « l'éternel problème de l'accaparement entre trop peu de mains de la propriété -- en l'espèce, de la propriété mobilière ».
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Le remède consiste donc dans la diffusion de la propriété privée des moyens de production « dans toutes les classes de la société ». Louis Salleron, dans son livre *Diffuser la propriété* (Nouvelles Éditions latines), résume les raisons qui militent en faveur de cette réforme fondamentale en une page tellement claire et précise qu'il suffira ici de la reproduire :
« Ces raisons sont sociales, économiques et politiques.
« *Sociales --* car la diffusion de la propriété assure plus de justice dans la répartition, permet de donner au travail la part qui lui revient dans la création du capital neuf, et abolit ou atténue l'opposition des classes.
« *Économiques -- a*) parce que la concentration poussant à la propriété collective, il faut trouver le moyen de combiner l'avantage de l'utilisation massive des capitaux avec celui de la propriété individuelle ;
« *b*) parce que la combinaison de la propriété individuelle des capitaux avec la concentration des moyens de leur utilisation permet de conserver tous les avantages de rapidité, d'efficacité et d'invention du capitalisme, tout en éliminant les injustices ou les excès d'un capitalisme manipulé par une classe restreinte de possédants ;
« *c*) parce que la diffusion de la propriété assure une plus grande multiplication de la richesse tout en permettant sa plus juste répartition ;
« *d*) parce que l'indexation de fait que représente l'épargne constituée en parts de sociétés d'investissement est un frein à l'inflation et le gage d'une bonne monnaie.
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« *Politiques -- a*) parce que la diffusion de la propriété est le meilleur rempart des libertés personnelles et favorise tous les modes d'épanouissement de la personnalité dont la liberté est la condition nécessaire ;
« *b*) parce que la diffusion de la propriété est le seul moyen d'assurer à l'activité économique une autonomie relative par rapport à la puissance politique et d'éviter, du même coup, le totalitarisme qui résulte de la confusion du politique et de l'économique ;
« *c*) parce que la diffusion de la propriété a une valeur politique éducative en intéressant le plus grand nombre des citoyens à la bonne gestion de l'Économie nationale. »
Louis Salleron propose juste après ces lignes un programme de diffusion de la propriété en six points. Le premier point est : « Dénationaliser toutes les entreprises industrielles dont rien ne justifie l'appropriation par l'État. » Voilà où je voulais en venir. Il ne peut être question, dans le cadre d'un article, d'aborder tous les aspects de la doctrine de la diffusion de la propriété. On se reportera pour cela à l'ouvrage cité de Louis Salleron et aux *Six études sur la propriété collective,* du même auteur chez le même éditeur, et subsidiairement à *Tous capitalistes* (éditions de Chiré), livre à la fin duquel l'auteur, Michel de Poncins, ose écrire, vingt, trente et quarante ans après les travaux de Salleron, qu'il « n'est pas nécessaire » qu'il rédige une bibliographie, parce que, à sa connaissance, cette doctrine n'a été exposée « nulle part jusqu'à présent », -- (*sic !*) Si la réclamation d'ITINÉRAIRES concernant la diffusion de la propriété prend un sens précis en cette période de campagne électorale, c'est à cause de la question des « dénationalisations ».
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S'il s'agissait là déjà de la première mesure envisagée par Louis Salleron dans les années 1960, elle a pris une importance beaucoup plus considérable encore depuis la vague socialiste des nationalisations de 1982, qui a fait passer la quasi-totalité du système bancaire et financier et plus de 30 % de l'industrie sous la coupe de l'État.
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Tous les partis dits « de droite » sont d'accord pour entamer un programme de dénationalisations. Chacun présente le « rapport » concocté par ses experts, et son calendrier, le tout étant plus ou moins timide ou plus ou moins « audacieux ». Certains poussent l' « audace » jusqu'à vouloir dénationaliser certaines entreprises nationalisées avant 1981. Mais les sacro-saints « services publics » demeurent généralement tabou, et vous aurez beau tendre l'oreille, vous n'entendrez aucun « ténor » évoquer les dénationalisations comme étant la possibilité de diffuser la propriété privée et de développer un capitalisme populaire. Il est vrai que les gaullistes n'ont jamais rien compris à ce qu'exposait Salleron, et que les autres ne s'y sont jamais intéressés, n'ayant jamais cru bon d'avoir quelque chose qui ressemble à une doctrine, encore moins une doctrine susceptible d'enrayer le socialisme rampant qui faisait finalement leurs délices.
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Il y a deux exceptions à ce silence de très mauvais augure. L'une c'est Jean-Maxime Lévêque, ancien PDG du Crédit Commercial de France, et président du mouvement UNIR qu'il a fondé. Dans son livre *Dénationalisations mode d'emploi* (Albin Michel), qui est remarquablement clair et bien fait, il explique que 1986, grâce au « spectaculaire raidissement anti-socialiste des Français », est l'échéance qui peut permettre de rompre avec l'évolution continue de l'étatisation, par des dénationalisations considérées comme « le principe fondateur d'une véritable révolution sociale », à savoir la diffusion du capital. Jean-Maxime Lévêque utilise les expressions de « capitalisme démocratique » et de « capitalisme populaire ».
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L'objectif immédiat est « d'associer le plus grand nombre possible de Français à la marche des grandes entreprises françaises ». 50 % des actions seraient vendues au grand public, leur règlement étant étalé sur deux ans afin qu'elles soient à la portée de tous. Les salariés et retraités des entreprises publiques se verraient proposer 3 à 8 % des actions à prix réduit. Les investisseurs institutionnels et les investisseurs étrangers pourraient acquérir des actions mais à condition de demeurer très minoritaires. Enfin, pour les entreprises nationalisées en 1982, les anciens gros porteurs, dirigeants, ou fondateurs, se verraient proposer « au maximum le même pourcentage de participation qu'ils détenaient avant la nationalisation ». On comprend bien qu'ainsi Jean-Maxime Lévêque entend reprendre le contrôle du Crédit Commercial de France, mais en revanche on ne comprend pas bien comment on pourrait proposer 50 % des actions aux Français, 3 à 8 % aux employés, moins de 25 % aux investisseurs institutionnels, moins de 25 % aux investisseurs étrangers, si tous les « anciens gros porteurs » ou même seulement certains d'entre eux reprennent leur participation antérieure... Voilà qui jette comme un doute sur la volonté du banquier de promouvoir le capitalisme populaire. Quoi qu'il en soit il demeure important que l'idée soit diffusée par le biais de ce livre-vedette sur les dénationalisations.
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La seconde exception est celle du Front national. Ce n'est pas faire un affront à Jean-Maxime Lévêque de constater que son mouvement n'a pas pris l'ampleur du Front national. Par conséquent il est plus important encore que la doctrine de la diffusion de la propriété se retrouve dans le programme du Front national que dans celui d'UNIR. D'autant que cette doctrine se retrouve *intégralement* dans le programme du Front national, avec son principe : le *principe de subsidiarité,* et toutes ses dimensions : développement et garantie de l'épargne, développement de la propriété privée de l'immobilier, notamment des HLM, etc. (Se reporter au programme du Front : *Pour la France,* éditions Albatros.)
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Le Front national remarque à juste titre que le terme *nationalisation* est impropre. Les entreprises dont l'État se rend maître du capital sont *étatisées.* Les privatiser dans le sens d'un capitalisme populaire, c'est les rendre à la nation qui par ses impôts a permis à l'État de les acquérir, et par conséquent les « nationaliser », pourrait-on dire si on donnait aux mots le sens qu'ils ont et si on cessait de confondre l'État avec la nation.
C'est pourquoi le Front national propose que 70 % des actions des entreprises publiques, préalablement regroupées dans des fonds communs de placement, soient progressivement remises aux familles françaises au prorata de leur nombre d'enfants. Aux familles, parce que ce sont elles (et non les individus) qui sont le fondement de la nation. Aux familles nombreuses d'abord, parce que ce sont elles d'abord qui assurent la pérennité de la nation. Ce programme laisse la possibilité d'émission d'obligations convertibles par les entreprises en voie de privatisation, de conversion de titres indemnitaires remis en application de la loi de nationalisation de 1982, de vente d'actions au public, et pour cette dernière tranche on pourrait reprendre l'idée de Jean-Maxime Lévêque de proposer des tarifs réduits et des facilités de paiement aux salariés des entreprises en question.
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Comme les politiciens libéraux, nous demandons la dénationalisation des entreprises publiques pour des raisons de principe et d'efficacité économique : la production de richesses ne fait pas partie du rôle de l'État. Mais nous ne sommes pas partisans du « moins d'État » de façon idéologique, comme s'il s'agissait de l'objectif absolu. Notre objectif c'est le bien commun, et le moyen d'assurer le bien commun c'est l'application du principe de subsidiarité. Dans un pays largement socialisé il va de soi que lorsqu'on pense au principe de subsidiarité on pense d'abord au mouvement qui consiste à retirer à l'État ce qui peut être réalisé par l'entreprise privée. Il demeure que l'État peut être dans l'obligation d'assurer des responsabilités économiques en cas de défaillance de l'entreprise privée, de crise grave dans un secteur déterminé de production.
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Cela dit pour préciser que nous sommes opposés à la revendication des ultra-libéraux (y compris Jean-Maxime Lévêque) concernant l'introduction dans la Constitution de la République d'une interdiction pour l'État de procéder à des nationalisations. Il n'est pas certain par exemple qu'il soit judicieux de dénationaliser la sidérurgie dans son état actuel, même en donnant des actions que personne ne voudrait acheter.
Résumons. D'une part ce n'est pas l'idéologie libérale, mais le principe de subsidiarité, qui nous fait réclamer les dénationalisations. D'autre part nous voyons celles-ci non pas comme un retour à un passé plus ou moins ploutocratique mais comme le premier acte d'une politique audacieuse de diffusion de la propriété, la seule politique économique et sociale qui soit à la fois conforme à la doctrine de l'Église et fondamentalement anti-communiste.
Yves Daoudal.
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### Proposition de loi
*Désétatisation d'entreprises publiques*
ARTICLE I^er^. -- Est transférée au secteur privé la propriété détenue par l'État des entreprises suivantes la Banque nationale de Paris, le Crédit Lyonnais, la Société générale, le Groupe des assurances nationales, l'Union des assurances de Paris, les Assurances générales de France, la Régie Renault, la SNIAS, la SNECMA, Air-France, Elf-Aquitaine, l'AFP, la SOFIRAD, Havas, les banques et les groupes industriels visés par la loi du 11 février 1982, ainsi que Matra, Dassault, ITT-France, Bull, Roussel-UCLAF.
ARTICLE 2. -- Le transfert au secteur privé des entreprises citées à l'article premier s'effectue par émission d'actions représentant leur capital social détenu par l'État.
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ARTICLE 3. -- 70 % des actions mentionnées à l'article 2, regroupées dans des fonds communs de placement, seront remises gratuitement aux familles françaises au prorata de leur nombre d'enfants.
ARTICLE 4. -- 30 % des actions mentionnées à l'article 2 seront réservées à la conversion des titres indemnitaires remis en application de la loi du 11 février 1982 et à la vente au public.
ARTICLE 5. -- Le prix des actions mentionnées à l'article 4 sera fixé par le ministre de la désétatisation du secteur public, ministre délégué auprès du premier ministre. Il sera inférieur de 20 % et assorti de facilités de paiements pour les salariés et retraités des entreprises mentionnées à l'article premier sous condition d'une durée de présence dans cette entreprise qui sera fixée par décret.
ARTICLE 6. -- Les membres du conseil d'administration des entreprises mentionnées à l'article premier sont nommés par décret et choisis en raison de leur compétence dans les activités de l'entreprise. Le président du conseil d'administration, qui exerce les fonctions de directeur général, est nommé parmi les membres du conseil d'administration, sur proposition de celui-ci, par décret en conseil des ministres.
ARTICLE 7. -- Les pouvoirs du conseil d'administration nommé conformément à l'article 6 expirent le lendemain de la réunion de l'assemblée générale qui sera convoquée pour nommer les nouveaux administrateurs dans les trois mois suivant l'achèvement des opérations effectuées en application de l'article premier.
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ARTICLE 8, -- La loi du 11 février 1982 et ses textes d'application sont abrogés.
(*Ce projet de loi, partiellement inspiré de celui de Jean-Maxime Lévêque et d'autre part du programme du Front national, laisse de côté la sidérurgie et les charbonnages, et divers monopoles tels que la SNCF., l'EDF, les PTT, qui devront faire l'objet d'études et de lois séparées.*)
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Revendication n° 8
### Supprimer l'incitation politique à la luxure
par Rémi Fontaine
*Suppression de l'incitation politique à la luxure sous ses quatre formes principales :*
*-- liberté de la pornographie ;*
*-- information sexuelle en public par l'autorité publique* (*notamment à l'école*)* ;*
*-- propagande pour la contraception artificielle ;*
*-- démocratisation de l'avortement.*
*La luxure est un vice que l'autorité politique n'a ni la possibilité ni la charge de guérir : elle doit seulement le contraindre à se cacher.*
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La sainteté seule peut guérir la luxure selon la sentence de Chesterton : « *L'humanité est déséquilibrée à l'endroit du sexe, et la santé véritable ne lui est permise que dans la sainteté.*
Mais le devoir politique s'impose aux gouvernements, aux institutions et aux lois de la réfréner. Ils peuvent au moins, salutairement, l'obliger à se dissimuler au lieu de la favoriser.
Toutes les civilisations qui ont expiré ont péri en pourrissant dans la luxure, « Une infection généralisée, écrit Jean Madiran (dans *Réclamation au Saint-Père*)*,* n'est pas un problème simplement moral, au sens d'ailleurs erroné où un problème moral relèverait de la conscience individuelle en son particulier, à l'intérieur de la vie privée. C'est une affaire politique. »
Qu'on nous comprenne bien : la loi ne doit imposer (négativement), c'est-à-dire prohiber, que ce pourquoi l'État peut requérir les « gens d'arme ». L'État ne peut pas décemment envoyer les gendarmes voir dans le lit conjugal ce qui s'y fait ! L'État, comme dit Romain Marie, n'a pas à s'occuper de la façon dont les citoyens font ou ne font pas des enfants.
L'autorité politique peut dans ce domaine donner des conseils, encourager la natalité pour des raisons élémentaires d'intérêt national, mais elle ne peut intervenir avec un pouvoir de coercition.
« La loi humaine, explique saint Thomas d'Aquin, ne prohibe pas dans le sens d'une obligation de précepte tous les actes vicieux, pas plus qu'elle ne prescrit tous les actes vertueux (...). La loi humaine ne prohibe pas tous les vices dont les vertueux s'abstiennent, mais seulement les plus graves, dont il est possible à la majeure partie des gens de s'abstenir, et surtout ceux qui tournent au détriment d'autrui, sans la prohibition desquels la société humaine ne saurait se maintenir. » (*Traité de la loi.*)
Dès qu'il ne se cache plus dans le champ clos des « amours » privés, le vice de la luxure devient justement de ces péchés par lesquels on lèse le droit et la dignité du prochain et que précisément la loi humaine doit prohiber, comme vient de le dire saint Thomas.
C'est ce qui légitime notamment la condamnation de ce qu'on appelle communément l'*attentat à la pudeur.* Attentat qui, lorsqu'il se banalise par le laxisme des pouvoirs temporels, voire s' « institutionnalise » par des lois décadentes, devient un attentat aux bonnes mœurs jusqu'à un véritable *génocide moral.*
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Soljénitsyne dit bien qu'on peut tenir plus facilement un peuple en esclavage par la pornographie qu'avec des miradors. « Ce pourrissement dans la luxure, écrit encore Madiran, qui toujours accompagne et accélère la fin des civilisations, des sociétés, des nations, ne peut être considéré comme un phénomène marginal ni par l'autorité politique ni par l'autorité religieuse. »
L'Évangile maudit ceux qui commettent le crime de scandaliser les petits enfants : il eût mieux valu pour eux qu'on leur attachât au cou une meule de moulin et qu'on les immergeât au plus profond de la mer (saint Matthieu, chap. XVIII). Lorsque ce crime devient public, commis ou incité par l'autorité civile, que dire alors de cet État ! Quand, sous prétexte d'information sexuelle, il laisse par exemple distribuer dans les écoles publiques des brochures (*J'aime, je m'informe*) ou des tracts (du *Planning familial*) qui favorisent tous les péchés de luxure, solitaires ou collectifs, homo ou hétéro-sexuels... Et qu'attendre d'une société qui légalise le meurtre des enfants dans le sein de leur mère et rembourse l' « opération » par la Sécurité sociale ? Peut-on aller plus loin dans la décadence, la désintégration et l'approche de la fin ?
Toutes les civilisations mortes ont fini dans la veulerie et la débauche. Une « politique » prétendue d'opposition qui se moque de notre réclamation sous prétexte de libéralisme, ignorant que l'éducation intellectuelle et morale est la raison d'être de la société humaine, manifeste son incurie et son imposture.
Dans notre état de décomposition sociale, la bissectrice entre le possible et le nécessaire est souvent difficile à tracer. Cette huitième revendication est une ligne de démarcation politique sans équivoque.
Rémi Fontaine.
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## CHRONIQUES
20:301
### La chanson de la marquise
par Alexis Curvers
A mesure qu'approchent les élections, le président Mitterrand et ses ministres se disent ou se montrent de plus en plus contents d'eux-mêmes et de leur travail, assurant que tout va des mieux et ne peut qu'aller mieux encore, pourvu qu'on les réélise.
De même, à Rome, le pape et le synode épiscopal n'ont trouvé qu'à se féliciter que l'Église marche à grands pas vers des lendemains qui chantent, ou qui chanteront, pourvu qu'elle persévère dans les voies nouvelles que le concile, voici vingt ans, lui a merveilleusement ouvertes.
21:301
Ce besoin de se décerner un satisfecit à soi-même n'a rien de surprenant chez des politiques en fin de course ; il s'explique moins chez des prélats qui sont nommés à vie et dont la carrière ne dépend pas, ou pas encore, du suffrage universel. Toujours est-il qu'un même triomphalisme verbal règne partout en haut lieu.
Ce serait le moment de remettre à la mode la chanson populaire qui fit fureur à la veille de la seconde guerre mondiale : *Tout va très bien, madame la marquise.* A l'époque, certes, la marquise avait à déplorer déjà quelques malheurs assez considérables, qui cependant ne troublaient aucunement l'allégresse des couplets qui les lui annonçaient. Mais ces malheurs étaient en somme peu de chose, comparés à ceux qui maintenant nous pendent et parfois nous tombent sur la tête.
Aussi la chanson de la marquise n'est-elle plus un succès populaire. Elle est seulement reprise en chœur, avec une allégresse accrue, par les voix les plus officielles et les plus augustes. Alors que le monde est à feu et à sang, l'optimisme est de règle dans les classes dirigeantes qui ne dirigent plus rien du tout. Il finira bien par s'étendre aux classes qui se laissent diriger moins longtemps par l'expérience de ce qu'on leur fait que par l'entrain de ce qu'on leur chante.
C'est pourquoi je reste malgré moi un peu sceptique, lorsque j'entends de bons observateurs prédire avec certitude que les électeurs, enfin détrompés, vont se prononcer contre des gouvernements qui les ont déçus, -- aussi logiquement que les fidèles, enfin scandalisés, pourraient se détourner d'une Église qui n'en est plus une. Je crains qu'il n'y ait dans ces pronostics un nouvel effet de cette belle confiance qui fait souvent trop présumer du bon sens et de la raison des hommes.
Mais je crains qu'à mon tour on ne me taxe d'optimisme excessif, si j'avoue que je suis le premier à penser que tout va bien, en tout cas beaucoup mieux qu'on ne serait en droit de s'y attendre.
22:301
Chaque fois que je lis dans le journal qu'on a trouvé cinq ou six vieilles personnes assassinées, je m'étonne qu'on n'en compte pas plutôt cinquante ou cent. Chaque fois que j'apprends que les attentats de la veille n'ont fait que deux ou trois victimes, je suis agréablement surpris que tout le quartier ne baigne pas dans le sang. Et de même pour les hold-up, détournements d'avions, enlèvements d'otages, viols de petites filles, drames de la drogue et autres « actualités » qui ne sont que les corollaires et applications pratiques de la moralité du siècle ; je tiens pour miraculeux que toutes ces horreurs ne soient pas mille fois pires, et je rends grâces au ciel qui, dans sa clémence inexplicable, intervient manifestement pour en limiter les dégâts.
Bien plus, je ne me lasse pas d'admirer la modération des coupables eux-mêmes, timides imitateurs des criminels, bandits et terroristes de tout genre que la littérature, le cinéma, la chanson, la télévision exaltent constamment comme de glorieux modèles. Je me demande ce qui retient nos petits délinquants d'aller plus loin et plus fort qu'ils ne vont, dans une carrière où tout les pousse : les pédagogies à rebours qui les ont formés, les idéologies à la mode qui plaident en leur faveur, les politiques où ils s'embrigadent, et jusqu'aux prisons où ils ne font que passer. Quand même leurs agissements entraîneraient quelques suites regrettables et vite oubliées, leur excuse est toute prête : la faute en est à la société. Et le plus beau est que c'est vrai, quoique pour des raisons tout autres que celles des sociologues.
23:301
Le mot *devoir* a disparu du vocabulaire usuel, sauf la forme pronominale du verbe : on ne doit plus, on *se doit*. Les notions de bien et de mal sont également périmées. Où nos jeunes affranchis en auraient-ils seulement entendu parler ? Certainement ni à l'école, où depuis longtemps les enseignants n'enseignent plus aucune espèce de règle ; ni encore moins au catéchisme, puisqu'il n'y a plus de catéchisme.
Quitte à faire blinder sa porte, la marquise n'a plus qu'à dormir tranquille.
Alexis Curvers.
24:301
### Lettre ouverte à Gustave Thibon
*sur son dernier livre :\
*«* Le voile et le masque *»
par Danièle Masson
*Le voile et le masque,* dernier livre de Gustave Thibon, est, selon son auteur même, « un témoignage cru et nu qui tient de l'aveu personnel et non de l'enseignement doctrinal » ; et pour cela même, « il a rendu confiance aux agnostiques et aux angoissés alors qu'il a choqué des bien-pensants ». C'est pourquoi une étude sur ce livre m'aurait semblé inopportune : j'ai préféré une « lettre ouverte ». Gustave Thibon a bien voulu qu'elle soit publiée ; il a seulement tenu à donner deux précisions essentielles qui situent la portée et le terrain de sa méditation :
25:301
« *a*) je ne nie à aucun degré la nécessité des « metaxu » entre Dieu et l'homme. J'ai voulu dire seulement que ces voies d'accès au divin ne doivent pas nous voiler l'insondable mystère du but et que tous les chemins tournent en impasses s'ils ne conduisent pas au pays où s'abolissent tous les chemins. Toutes proportions gardées, on trouvera dans Jean de la Croix ou Simone Weil (sans parler des mystiques de tous les temps) des textes au moins aussi provocants que les miens.
« *b*) que ces confidences d'une âme éblouie et blessée par le mystère sont sans portée métaphysique ou théologique. Il ne s'agit pas de spéculation, mais de passion au double sens du mot. »
Cher Monsieur,
Une lettre ouverte à Gustave Thibon sur son dernier livre, c'est téméraire, je sais bien ; c'est presque une impertinence ; et c'est en porte-à-faux, puisque je la voudrais toute personnelle et qu'en même temps je souhaite, si vous me l'accordez, qu'elle soit lue aussi par d'autres. Mais ce porte-à-faux correspond à un équilibre instable :
Beaucoup aiment votre santé morale et spirituelle, qui respire en vous quand on vous voit et quand on vous entend ; la saveur de cette vie terrestre que vous avez aimée avec « toute la passion d'un amant », mais qui venait aussi « de plus loin que la terre », comme l'ébauche de l'au-delà, l'appel vers la perfection éternelle. Et ils se disent -- et ils n'ont pas tort -- que vous êtes comme l'arbre qui monte d'autant plus haut qu'il a poussé plus profond ses racines. Mais, je le sais aussi et vous le dites assez dans vos livres, votre vraie patrie est la nuit, et l'on ne sait pas quelle nuit.
Beaucoup cherchent en vous un maître à penser et à vivre. Il serait injuste de dire que vous ne les détrompez pas ; mais enfin, le solitaire de Saint-Marcel-d'Ardèche, fraternel à tous et qui n'appartient à personne, a tout pour faire des disciples. Et pourtant, la part la plus profonde de vous-même est dans cet aveu : « J'ai cherché des disciples : je croyais avoir quelque chose à enseigner. Je sais maintenant que je n'ai pas de lumière à recevoir ni à donner... Seuls m'attirent encore les hommes qui marchent dans la même nuit que moi et qui savent qu'elle est sans remède :
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je ne leur donne et je n'attends d'eux que cette amère pitié qui comprend tout et ne console de rien. » Et vous ne voulez plus être dans votre dernier livre que la voix d'un témoin ; et, loin du spécialiste de l'universel que l'on a voulu faire de vous, vous ne pouvez être que le témoin de vous-même.
Il n'empêche : les disciples sont encombrants. Ils attendent la parole lumineuse du maître plus que l'aveu d'une déchirure intérieure. Et à cause de ce malentendu, vous avez beau dire que « votre pente naturelle est d'évoquer ou d'invoquer, non de provoquer », votre livre est, en un sens, provocateur. Mais il y a des provocations qui sont des invocations.
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Il y a dans votre livre des réflexions splendides sur la vieillesse -- « l'art de s'accommoder de ses restes » -- sur la passion -- « maladie aiguë qu'on croit incurable et dont on essaie de justifier la fatalité en idéalisant son virus » -- sur le monde moderne, « qui passe du mythe statue au mythe baudruche et du croyant au gobeur ». Mais je ne vous en parlerai pas. Je ne vous parlerai que de Dieu -- et pour les amateurs de « champs lexicaux », c'est bien le mot qui revient le plus souvent dans votre livre !
« Le catholicisme fut pour moi une bouée de sauvetage sur l'océan de la vie terrestre, et que j'ai prise pour le port suprême. Où s'arrête mon devoir de fidélité ? » L'on sait que vous n'aimez pas les bouées, et, pour filer la métaphore maritime, que vous préférez « vous noyer dans un océan sans phare et sans port plutôt que de jeter l'ancre sur un Dieu qui nous ressemblerait trop », « La foi-refuge, la foi-bercail, le Dieu bouche-trou, fourre-tout, gendarme ou grand-père » sont, depuis longtemps, selon vous, des trompe-la-faim qui empêchent de désirer ce Dieu « qui n'est plus que lui-même », ce Dieu qu'il « reste à prier sans rien lui demander » -- auquel Amanda aspirait de toute son âme retrouvée.
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Elle priait ainsi : « Dieu nu, faites de moi votre vêtement. » L'Église qui transmet la Révélation -- et cette Révélation même -- ne seraient-elles pas alors comme le vêtement de Dieu, qui permettraient peut-être de désirer Dieu, mais empêcheraient de Le saisir tel qu'Il est, puisque le vêtement révèle et cache à la fois ? Car vous insistez sur « l'ignorance de ce qu'est Dieu ». Et le Dieu Trine, le Dieu en trois personnes qui a révélé aux hommes l'insondable mystère de la fécondité trinitaire, vous le priez ainsi : « Ô Dieu, vierge entre les vierges, si révéler ton secret t'apparaissait comme un viol commis sur toi-même... »
Je vais être à mon tour provocatrice ; un que vous connaissez dirait sans doute ceci : on ne trouve rien dans ce livre des trois connaissances nécessaires au salut. Vous ne faites pas un catéchisme : on s'en doutait ! Mais tout de même !
-- « De Dieu, nous ne savons rien » : voilà pour le Credo.
-- « Trois hypothèses : ou Dieu n'est pas, ou il est indifférent à la création, ou il est amour ; j'opte désespérément pour la dernière » : voilà pour l'espérance.
-- « J'ai toujours été enclin à majorer la distance entre le Créateur, auteur des commandements, et le Sauveur, d'où émanent les conseils. Car les commandements, sauf le premier, concernent la vie temporelle et les conseils la vie éternelle » : voilà pour les commandements -- mais le premier, justement, surnaturalise tous les autres en nous faisant voir en tout être un autre Christ.
Quant aux sacrements, on ne retrouve rien de ce que vous écriviez magnifiquement dans *Notre regard qui manque à la lumière :* « le sacrement n'est pas fait pour transformer Dieu en substance humaine, mais pour transformer la substance humaine en Dieu ». C'est vrai ; le sacrement vient en aide à l'infirmité humaine, c'est vrai : il est une bouée. Et saint Jean, l'apôtre de l'amour, est le seul des évangélistes à oublier l'institution de l'Eucharistie : pas moins ! C'est que, pour avoir reposé sur la poitrine même de Dieu, son cœur a battu des battements de Son cœur : il n'avait plus besoin de sacrement. Mais nous, nous en aurons besoin comme viatique, jusqu'au *dies natalis *: alors plus besoin de foi, plus besoin d'espérance, plus besoin de sacrements.
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La lampe est inutile au petit matin ; mais elle est nécessaire à la nuit.
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Mais pour vous, qui peut donc adoucir la nuit ? « J'aurais honte de venir à Toi par besoin de consolation. Je ne veux pas ressembler à l'Enfant prodigue. » Ce refus des consolations est-il un désir d'imiter ce Christ qui « n'avait pas où reposer sa tête », ou ressemble-t-il à la tension stoïcienne de Marc Aurèle, orgueilleux défi au chaos ? « Si tout est livré au hasard, disait-il, ne sois pas toi-même livré au hasard... » Comme je m'insurgeais contre cette beauté vaine de l'héroïsme stoïcien, vous m'avez dit un jour que, si Marc-Aurèle avait dit cela, c'est que Dieu sans doute le lui avait inspiré, et que donc tout n'était pas livré au hasard. Pia fraus pour ne pas scandaliser ma faiblesse ? Voyez-vous, nous avons soif, sinon de consolations, du moins d'un consolateur, et Dieu le sait bien, qui entend jusqu'à la plus imperceptible préparation du cœur : « praeparationem cordis audivit auris tua » ; qui accommode son oreille divine à nos prières humaines : « aurem tuam. Domine, precibus nostris accommoda ». Peut-être trouverez-vous bien anthropomorphique cet « accommodement ». Mais Dieu en forme d'homme, c'est aussi l'homme en forme de Dieu ; ainsi le corps de gloire désire sous le corps de boue. Ainsi Dieu nous fait sentir qu'Il est nôtre, et que nous sommes siens.
Mais vous ne voulez pas, décidément, de consolations, « Je ne veux plus des consolations de la foi... Dieu qui n'es plus mon Dieu, qui n'es plus taillé à la mesure de mes espoirs et de mes terreurs, laisse-moi t'adorer sans attendre de réponse... » Et pourtant Dieu nous souffle le contraire en ce quatrième dimanche de l'Avent : « Consolamini, consolamini, popule meus... noli timere, ego enim sum Deus tuus... » Et si Dieu n'est pas taillé à la mesure de nos espoirs, vous le savez bien, ce n'est pas parce qu'il ne les comble pas, c'est parce qu'il les déborde infiniment.
Mais peut-être estimez-vous indigne de l'homme d'être comblé ? « Là où l'amour est vrai, il ne comble pas, il creuse. » Et pourtant, alors que la sagesse dit d'elle-même « me posséder est plus doux que le miel », mais aussi « ceux qui me boivent auront encore soif », le Christ promet une eau après laquelle on « n'aura plus jamais soif », puisque cette eau, c'est lui-même. Et l'amour mystique veut la personne de Dieu.
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Mais vous préférez Simone Weil, qui voulait que l'amour (et sans doute d'abord l'amour de Dieu) soit « regarder à distance et sans s'approcher l'être même qui nous est nécessaire comme une nourriture ». D'où, peut-être, son refus des sacrements. Et vous lui ressemblez lorsque vous dites : « La mystique chrétienne est renoncement à son objet : « j'ai trop faim de Toi pour te manger ». » Une religion « sans alliage d'impuretés », une « religion délivrée des apparences qui compromettent le germe surnaturel », une pureté « inaccessible, impossible » à force d'être « blessante, impitoyable » n'est-ce pas à ce prix que Dieu peut être atteint ? Mais est-il encore respirable aux hommes ?
Et pourtant, et c'est tout de même un paradoxe de votre livre, l'éternité n'est plus pour vous cet au-delà de tous les chemins, dont la vie terrestre est un pressentiment peut-être, et qui est irréductible au temps. Mais vous « attendez de l'éternité » de « revivre les plus hautes, les plus douces heures du passé, mais hors du temps, expurgées du temps », et vous corrigez la si belle affirmation de *Notre regard qui manque à la lumière :* « tout ce qui n'est pas de l'éternité retrouvée est du temps perdu », par une que j'aime moins, bien qu'elle n'exclue pas l'autre : « il manquerait quelque chose à l'éternité si elle n'était pas aussi du temps retrouvé ». Un écrivain avouait : « toute ma peur de mourir tient dans ma jalousie de vivre ». Pardonnez-moi, mais il me semble qu'il y a un peu de cela dans votre « formule retournée » : la vie terrestre ne serait plus la promesse, ou même les arrhes de l'éternité, mais l'éternité serait comme la purification, la rédemption du temps.
C'est pourquoi, peut-être, la mort apparaît plus tragique dans ce dernier livre que dans les autres : « la mort fait de tous nos chemins des impasses » ; « c'est l'ombre de la mort qui donne un prix infini à toutes les choses de la vie ». Cette face aujourd'hui nocturne de la mort, rappelez-vous, elle était lumineuse dans *Notre regard qui manque à la lumière,* et naturelle, et greffe du surnaturel : « Si la mort mûrissait dans nos âmes comme elle mûrit dans nos corps, nous irions vers elle comme la fleur s'ouvre à la lumière. » D'héliotropes que nous étions, nous voici devenus plantes aveugles...
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Du coup, s'opère la rupture entre ce monde et l'autre. Dans *Notre regard,* le monde était un poème de Dieu, bien proche de cette « liturgie muette en état d'attente » -- exspectatio -- que disait dom Gérard : « Vêtement de Dieu », « la création à l'état pur reflète fidèlement le Créateur ». Mais la gloire de Dieu racontée par les cieux s'efface aujourd'hui pour vous derrière l'univers muet de Pascal, où « Dieu est caché, inopérant, voilé », où l'on témoigne « pour une splendeur dont l'univers ne nous offre aucune image ».
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On me dira que je n'ai rien compris à votre livre ; que, si le Deus latens l'emporte en vous sur le Deus patens, c'est parce que vous êtes dans la lumière faiseuse de nuit qui fut celle de saint Jean de la Croix ; que, si vous êtes passé des « choses du temps perméables à Dieu » au « ciel sans promesses » c'est au terme d'une nuit mystique -- desnudez y nada -- qui a permis à Dieu de se dépouiller en vous de tous « ses noms prostitués » pour n'être plus que lui-même. Dieu ne fait pleuvoir la manne qu'après l'épuisement de la farine emportée d'Égypte. C'est vrai, vous aimez saint Jean de la Croix. Et l'on retrouve de lui des échos dans votre livre :
« De tous les noms de Dieu, celui qui le trahit le moins, c'est non. » Et de citer Scot Origène :
« Deus, qui propter excellentiam suam non immerito nihil vocatur. »
Donc, la nuit mystique ? Je crois que cela n'est pas si simple. Saint Jean de la Croix eût-il quêté dans l'au-delà le temps retrouvé, même débarrassé de ses scories ?
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Votre attrait pour Jean de la Croix ne se sépare pas de votre attrait pour Nietzsche. Il y a presque trente ans, vous leur consacriez, à la fin de *Nietzsche ou le déclin de l'esprit,* une étude comparative, « Nietzsche eût aimé Jean de la Croix. Jean de la Croix eût aimé Nietzsche », disiez-vous. Même si l'essentiel les opposait, « Jean de la Croix vécut de Dieu, Nietzsche vécut de lui-même. » Bourreau de lui-même, Nietzsche sent en lui « quelque chose d'inapaisé et d'inapaisable », mais reste, et même se veut passionnément privé de Dieu : « s'il existait des dieux, comment supporterais-je de n'être pas dieu ? donc, il n'y a pas de Dieu ». Si bien que « son ascèse se présente comme une fin ; elle tâtonne dans le vide, l'indétermination du néant l'imprègne » (on songe aux stoïciens...). En revanche, chez Jean, la desnudez est dépassée par l'amour ; « le manteau divin descend sur la nudité de l'âme ». On songe à Augustin converti par le mot de saint Paul : « induimini Christum Jesum », où il comprit aussitôt la nécessité de dépouiller le vieil homme pour devenir un autre Christ. Remarquez que c'est le contraire de la prière d'Amanda : « Dieu nu, faites de moi votre vêtement », qui s'achève d'ailleurs étrangement : « et si vous êtes mort que je sois votre tombe » ; comme s'ils allaient se perdre ensemble, ce Dieu dont l'existence n'est pas si sûre, et cette âme qui le désire éperdument.
Le néant de Nietzsche et la foi des saints semblent parfois pour vous les deux faces d'une même médaille : « Le « Dieu est mort » de Nietzsche est la traduction désespérée du « Dieu est amour » de l'apôtre... J'ose à peine évoquer cette folie : la création conçue comme un suicide divin par amour. » (*L'ignorance étoilée.*)
Jean a voulu se perdre et il a gagné. Il a voulu faire mourir en lui le créé et après « avoir traversé tous les déserts de la négation », il a reconnu que « la plus humble des choses créées parle de Dieu ». Et le mal même devient pour lui l'instrument mystérieux du bien : « Garde-toi de t'attrister des événements contraires du siècle, car tu ne sais pas le bien que Dieu veut en tirer. » Jean n'est pas tragique : « le flot de la sainteté roule et dépasse le tragique » car le tragique, c'est l'impossible nécessaire, le nécessaire impossible ; c'est le nœud que rien ni personne ne peut dénouer, Nietzsche, lui, est tragique.
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Et vous l'êtes aussi. Le mal n'est assurément pas pour vous l'instrument du bien ; il est le scandale : la pierre contre laquelle on bute. Et vous me disiez, par pudeur sous forme de boutade : « Dieu n'est pas sérieux. » Vous nous aviez éclairés, au Mesnil-Saint-Loup, sur le mal, en disant qu'il n'était pas un problème -- quelque chose devant nous qui serait à résoudre -- mais un mystère -- nous sommes dedans et ne pouvons le dénouer. C'est toute la différence entre le mystère -- surnaturel : au-delà de la nature et de la raison -- et l'absurde -- contre la nature et la raison. Mais dans votre dernier livre vous nous dites que « la foi n'est pas au-dessus de la nature, mais contre tout ce que nous savons de la nature ».
C'est un « credo quia absurdum » qui peut être l'aube d'une révolte, et vous le savez bien, aimant à citer Proudhon : « l'homme devient athée quand il se sent meilleur que son Dieu » ; « la mort de Dieu commence quand l'homme, face à la création et à son destin, cesse de dire Fiat et se met à dire pourquoi... C'est déjà blasphémer que d'interroger Dieu -- et l'athéisme en découle tôt ou tard ». Athéisme purificateur cher à Simone Weil ? Dieu des mystiques, « qui exige tout et jusqu'à la mort de toutes les images que nous nous faisons de lui » ? Mais vous savez, à force de « laver Dieu de l'homme », d'arracher les voiles, on risque de faire comme Déjanire, d'arracher l'être même ; même si on ne le veut pas. Et vous le dites vous-même dans *L'ignorance étoilée :* si « l'univers n'offre aucune image de Dieu », l'au-delà devient « inconcevable ».
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« Si j'étais religieux, je choisirais le nom de Frère X de Gethsémani. » Depuis longtemps, Gethsémani vous habite. Dans *L'ignorance étoilée,* déjà : « Lamma Sabachtanni. Ce cri pénètre en moi de plus en plus, et non seulement comme un objet d'admiration douloureuse, mais comme un appel qui me concerne. » Et l'on glisse insensiblement du Christ à l'homme, du Christ qui ne souffre plus à l'homme toujours en agonie, en cette « heure solsticiale de la passion » qui s'éternise. « Car le Sauveur se tait pour nous comme s'était tu pour lui le Créateur : il nous abandonne sur notre croix, comme son Père l'avait abandonné sur la sienne. »
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Et c'est pourquoi, peut-être, « le Christ de Gustave Thibon » (pardonnez-moi !) est moins la Seconde Personne de la Sainte Trinité qui sauve librement les hommes et pour mieux prendre leur nature sanctifie leurs joies, leurs larmes, leur fatigue, épouse sur la croix jusqu'à leur désespoir, qu'un être réellement abandonné de Dieu. « Le Père est exilé dans son ciel et sa divinité », et le Christ abandonné sur la terre dans son humanité. Souvent s'opposent dans vos livres « le Dieu victime et le Dieu bourreau », « le Sauveur fraternel et le Créateur impassible », « le Christ agonisant et son Père impassible », et l'abîme se creuse entre « le Dieu qui crée et le Dieu qui ressuscite ».
On songe à Vigny, à son *Mont des Oliviers :*
*Et la terre trembla, sentant la pesanteur*
*Du Sauveur qui tombait aux pieds du Créateur.*
Seulement pour Vigny, le Christ n'est plus Dieu. Il n'est plus la seconde personne qui reflue amoureusement vers sa source, et jusque sur la croix : « in manus tuas... » Il est l'homme révolté contre Dieu :
*Si le ciel nous laissa comme un monde avorté,*
*Le Juste opposera le dédain à l'absence,*
*Et ne répondra plus que par un froid silence*
*Au silence éternel de la Divinité.*
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Il n'en est pas ainsi de vous...Il ne peut pas en être ainsi. Même si, chez vous aussi, le silence répond au silence, ces silences sont appel et offrande, et les fiançailles mystiques effacent la froideur romantique : « Ô Dieu, si tu m'appelais sans parler, si tu attendais de moi qu'au lieu de briser le sceau et d'envahir le jardin, j'épouse par un acte de foi sans question ta virginité sans réponse. »
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Relions le mot de saint Grégoire de Nysse que vous citez : « on va à Dieu par des commencements sans fin », et ce mot de vous qui est aussi une confidence : « il ne faut pas achever en nous le Dieu blessé ». N'éteignons pas la mèche qui fume encore. Sans doute, nous sommes par nature les lutteurs d'une lutte inégale contre Dieu, et les tragiques grecs l'avaient pressenti, qui usaient d'un verbe insolite que l'on retrouvera dans les *Actes :* Theomacheiv. Mais chacune de nos défaites aiguise en nous, par des commencements sans fin, le désir, au-delà des êtres qui sont des « planches pourries », des « promesses qui ne peuvent pas être tenues », d'un Dieu qui seul tient ses promesses.
Revenons à ce petit chef-d'œuvre pour lequel j'ai une tendresse particulière : Vous *serez comme des dieux.* Revenons à notre petite Amanda, à son dialogue avec Stella qui ressemble peut-être à votre dialogue intérieur :
STELLA. -- Que reste-t-il encore à demander à Dieu ?
AMANDA. -- Dieu lui-même.
STELLA. -- C'est-à-dire rien.
AMANDA. -- Il reste à le prier sans rien lui demander.
STELLA. -- La pure absurdité.
AMANDA. -- La prière pure.
STELLA. -- Si Dieu avait existé, il n'aurait pas permis à l'homme de construire un faux paradis.
AMANDA. -- Tu ne sais pas jusqu'où peut aller le silence de Dieu.
STELLA. -- Le néant se tait.
AMANDA. -- L'amour aussi. Il respecte la liberté. Il ne règle pas les âmes comme un horloger.
Et Amanda vient mourir dans la nuit par respect de la lumière inconnue qu'elle n'entrevoit que sous la forme de l'éblouissement. Elle se donne à tout jamais, et sans condition à ce « Dieu dépossédé qui s'est réfugié dans l'Incréé », à cette « perfection mendiante », et en croyant se perdre elle gagne, épanouissant en elle « Dieu en fleur ».
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Et voyez, Amanda l'emporte, entraînant avec elle Stella, et son désir force le cœur du Dieu inconnu qui, dit saint Jean de la Croix, donne à l'âme dépouillée de toutes choses de « recueillir des biens qu'elle ne sait pas ».
Danièle Masson.
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### A Campos la guerre continue
par Peregrinus
*Rassemblé derrière son évêque : Mgr de Castro Mayer, que ses fidèles appellent* « *Dom Antonio* »*, le diocèse de Campos* (*Brésil*) *était le seul diocèse dans le monde qui avait gardé pacifiquement la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V.*
*Campos avait bénéficié de la tolérance -- ou de la passivité -- de Paul VI. Avec Jean-Paul II les choses changèrent, et la répression commença en octobre 1981.*
*Elle tourna très vite, forcément, à la persécution et à la guerre religieuse. Nous avons régulièrement, ces dernières années, tenu nos lecteurs au courant de ce qui se passait à Campos. Parce que ce qui se passe à Campos ne cesse pas de nous instruire et de nous avertir.*
*Voici de nouvelles informations : le récit et les observations d'un récent voyageur.*
*J. M.*
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APRÈS une longue plaine rendue verte par la canne à sucre, voici Campos, ville située à l'embouchure du fleuve Paraiba, à 300 km au nord de Rio de Janeiro et siège d'un des plus vastes diocèses du Brésil, soit presque la moitié de l'État de Rio.
Avec seulement quelques centaines de milliers d'habitants, Campos, déjà capitale de la canne à sucre, est à ce jour un important centre d'exploitation du pétrole (50 % de la production brésilienne). Depuis ces cinq dernières années, les jeunes y trouvent à la fois un moyen de développement pour leur pays et un travail rentable dans l'aventure que leur offrent ces plates-formes à 80 mètres au-dessus de la mer.
Mais si la ville prospère, la foi est en danger et pour la maintenir intacte, ces doux Brésiliens ont engagé une véritable guerre de religion (les Cristeros de cette fin de siècle ?).
\*\*\*
Les lecteurs d'ITINÉRAIRES le savent : la guerre a commencé en 1981, quand Mgr de Castro Mayer, après trente ans d'un travail acharné, a été mis à la retraite. Pendant trente ans, il a formé un peuple entier à une vie de prière, de piété, fortement orientée, depuis le concile, vers une défense de la tradition et de la foi. La persécution devait venir plus tard (cf. ITINÉRAIRES, n^os^ 258 et 271), et depuis 1981, les catholiques de Campos se posent la question : « Que va-t-il advenir de nous ? »
Apparemment peu sûr de lui et sans bases théologiques, le nouvel évêque, Mgr Carlos Alberto Navarro, ancien évêque auxiliaire de Rio, semble prêt à obéir en tout à son maître, le cardinal Eugenio Sales, décidé à détruire l'œuvre de Mgr de Castro Mayer. Mauvais calcul ! Dès son arrivée, il a voulu célébrer la nouvelle messe dans chaque paroisse visitée. Partout prêtres et fidèles le reçurent avec le respect dû à sa charge, mais, sitôt la messe commencée, tous se levaient et quittaient l'église.
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Ensuite, Mgr Navarro s'est servi de la presse, accusant les prêtres traditionalistes de fraude dans les comptes et autres bassesses du même genre. Enfin, à son retour de Rome, il a relancé de plus belle son plan de destruction avec, cette fois, la persécution individuelle des prêtres. Ce n'est qu'en unissant leurs forces, face à un évêque qui refuse le dialogue, que ceux-ci peuvent lutter, écrire, par exemple et entre autres nombreux documents : *Le ministère ecclésiastique en temps de crise grave* (cf. ITINÉRAIRES, n° 277). Ici démocratie et œcuménisme sont « de fer et de feu ».
**Le procédé de l'évêque**
Pour bien comprendre la tactique de Mgr Navarro, contre les prêtres du diocèse, il faut savoir que la loi brésilienne permet à l'Église de posséder des biens. Ainsi églises et presbytères sont-ils en général la propriété du diocèse.
Selon un plan mûrement réfléchi, l'évêque décide que ces « gens en soutane » ne sont plus que des laïcs sans pouvoir et sans ordre. N'a-t-il pas dit aux prêtres : « Je vous réduirai à l'état laïque ! » Ainsi le droit civil va prendre le pas sur le droit canon, la toge remplacer la soutane.
Quand il décide d'en finir avec un prêtre, Mgr Navarro lui demande, par lettre, sa démission. Cette demande étant sans motif (le droit canon exige un motif grave), le prêtre refuse en conscience et adresse un recours à Rome (comme le droit canon l'y autorise). Et, pendant que la lettre « se perd » dans les bureaux du Vatican, l'évêque en appelle à la justice civile qui va chasser le prêtre par la force.
Prouvant, par des documents, que l'église appartient au diocèse, l'évêque obtient une mise en demeure qui obligera le prêtre à sortir. Des officiers de justice envoyés par le juge sont là pour faire exécuter l'ordre. Naturellement les prêtres se retranchent derrière le droit canon pour en appeler de ce procédé illégal. Alors le magistrat envoie la troupe, qui enfonce les portes et envahit l'église.
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Et c'est chaque fois le même dramatique spectacle : le curé, revêtu des ornements sacerdotaux, prend le Saint-Sacrement et, suivi de la foule en procession, sort de l'église. Il va s'installer, au hasard, dans un garage, un cinéma, une maison particulière, jusqu'à la construction d'une nouvelle église.
Bien sûr, tout cela demande plus d'un jour. Les prêtres se réunissent, seuls ou avec leurs avocats. Tous sont présents pour aider celui qui est expulsé. Et la défense s'organise. Ce n'est pas facile. Mais c'est cette défense opiniâtre qui, par cassation de la décision judiciaire, a permis à plusieurs prêtres de retrouver leur église. C'est ainsi que dans le village de Sao Sebastiao de Varre Sai, après une série d'expulsions suivies du retour du curé dans la paroisse, les villageois ont encerclé l'église pour empêcher le prêtre progressiste d'y entrer : « S'il vient, nous le descendons. »
C'est accompagné de 80 soldats armés que le progressiste est arrivé après quelques jours de tension. Le progressisme imposé par les armes, là où toute la ville est pour garder la Tradition !... Pour preuve, la messe « de réparation » où se pressaient plus de 6 000 fidèles. Autre preuve de la fécondité de l'œuvre de ce prêtre : les 400 participants adultes aux cours de catéchisme.
Comme Mgr Navarro rejetait sur les prêtres la responsabilité du sang qui menaçait de couler, ces prêtres traditionalistes sont allés à la radio, pour prévenir : « *Monseigneur, le sang coulera, non seulement à Sao Sebastiao, mais aussi dans tout le diocèse si vous continuez à imposer le progressisme par la force. En trois ans de* « *démocratie ecclésiastique* » *nous avons vu des calomnies, des injures, des chapelles enfoncées et envahies, des tables d'écoute pour entendre ce que nous disons aux fidèles... Donnez-nous au moins, Monseigneur, la paix que les prêtres progressistes avaient, du temps de Mgr de Castro Mayer, quand ils célébraient la nouvelle messe et prêchaient librement.* »
\*\*\*
Leur curé parti, des églises ont fermé, de grandes églises, bâties par les curés et le peuple fidèle, des églises désormais sans messe, sans vie. Car les fidèles restent auprès de leur curé et partent avec lui s'installer ailleurs. Ils sont des milliers à suivre la procession des Rameaux contre quelques dizaines avec les nouveaux prêtres.
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A l'extrême nord du diocèse, dans la ville de Bom Jesus, Mgr Francisco Apoliano (prélat honorifique sans être évêque), curé depuis vingt-cinq ans, a été expulsé de l'église qu'il venait juste d'achever. Et l'évêque a inauguré le bâtiment ainsi « emprunté » comme son œuvre propre.
L'abbé Olavo raconte la façon de faire de ces nouveaux ecclésiastiques :
« *En huit jours j'ai été chassé de ma paroisse, sans avoir eu même le temps de préparer mes valises et encore moins de défaire les liens créés depuis neuf ans avec des milliers de fidèles. Au moment de quitter la paroisse, j'ai reçu en plus l'ordre de quitter le diocèse avant quatre jours, sous la menace de peines canoniques. Pas un mot de reconnaissance, pas même le souci de savoir si j'allais trouver un toit, un abri où me loger. J'étais traité en criminel, en excommunié* (...)*.*
« *Je dois encore vous dire qu'en cette occasion les représentants de l'autorité du diocèse ont eu une attitude si dure que certains paroissiens ont témoigné n'avoir jamais vu infliger un tel traitement à un prêtre.* » (Cf. ITINÉRAIRES, n° 275.)
L'abbé Eduardo Athayde, curé de Santo Antonio de Padua, a reçu lui aussi une invitation à « démissionner ». Mais dans quelles conditions ! Miraculeusement réchappé d'un accident de voiture, c'est à l'hôpital et gravement blessé que la lettre de l'évêque l'a trouvé. Ce que l'évêque ne pouvait prévoir c'est la femme de ménage, balai en main, interdisant l'entrée de l'église : « Ici, le chef, c'est Monsieur le Curé. Personne ne rentre sans qu'il le sache. » La justice civile a tout de même gagné.
\*\*\*
L'évêque ne s'attaque pas seulement aux bâtiments. Il menace de faire emprisonner les curés et les vicaires.
En juillet dernier, l'abbé Antonio avait signé un registre de baptême, alors qu'il n'était plus curé. L'évêque a donc eu recours à la justice civile : « Le criminel Antonio (...), dit le procès, ayant l'intention de tromper les fidèles dans leur foi » etc. Si l'évêque a gain de cause, le prêtre sera condamné à la prison (de un à cinq ans) pour « fausseté idéologique ».
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Mgr Navarro considère-t-il les prêtres comme des ennemis incapables de dialoguer ou agit-il comme devrait le faire leur évêque ? Si ce que nous venons de dire ne suffit pas à prouver l'existence d'un *état de guerre,* qu'on s'en rapporte aux centaines de fidèles récitant le chapelet, à genoux, devant le palais épiscopal, et qui n'obtinrent même pas un entretien.
L'évêque a bien tenté de donner à ses prêtres quelques cours de recyclage, mais, incapable de répondre à leurs questions, il a avoué : « *Excusez-moi, ma théologie est à épousseter.* »
**Comment survit\
la chrétienté de Campos**
Nourrie de vraie foi catholique depuis trente ans, la majorité des fidèles de Campos, tels de nouveaux Cristeros, soutient ses prêtres, les aidant à supporter, sur place, la persécution sans oublier toutefois qu'ici, la ferveur n'exclut pas la gaieté.
Il faut distinguer trois régions :
a\) La ville de Campos, bruyante et peuplée, subit les modes venues de Rio de Janeiro, corrompue et déchristianisée. La tâche est lourde pour les huit à dix prêtres traditionalistes, dont deux seulement n'ont pas encore été chassés de leur paroisse. Il n'est pas rare de voir la plupart d'entre eux célébrer chaque dimanche quatre ou cinq messes, dans des églises pleines à craquer. Telle Notre-Dame du Mont-Carmel, bel exemple d'art baroque, siège du tiers-ordre carmélitain.
La piété mariale est à l'honneur dans des associations comme « Les Filles de Marie » ou dans le simple bonjour des catholiques devenu « Salve Maria ». Oui, salut à Marie et qu'Elle nous sauve !
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Le prêtre doit assurer les messes, les catéchismes, les confessions, les conférences aux associations mariales, l'organisation des fêtes liturgiques, à quoi s'ajoute la défense contre les attaques de l'évêque (radio, bulletins, tracts). L'ancien directeur du grand séminaire diocésain, l'abbé José Possidente, est tout dévoué à l'œuvre des vocations. Il continue à s'occuper des huit séminaristes qui se trouvaient au grand séminaire lorsque le nouvel évêque l'a fermé. Il prêche des retraites à de nouvelles vocations pour le grand séminaire ou un éventuel petit séminaire ; il a suscité l'érection d'une chapelle de 500 places et de plusieurs autres bâtiments, avec des chambres et des dépendances pour les séminaristes, Mgr de Castro Mayer loge juste à côté et j'ai eu la chance de pouvoir m'entretenir deux fois avec lui.
L'abbé Fernando Rifan a ouvert, il y a deux ans, une école qui accueille déjà plus de 300 élèves. Il produit deux séries d'émissions de radio : l'une de prière quotidienne à l'heure de l'Angelus du soir, pour la formation spirituelle des fidèles ; l'autre, de combat, pour la formation de militants chrétiens.
L'abbé Fernando est encore le curé officiel d'une grosse paroisse et sa grande influence dans le diocèse empêche l'évêque de trop s'attaquer à lui. Mais sachant que son tour de persécution viendra un jour, il a déjà fait construire une maison avec une chapelle pour 500 personnes et des chambres pour des retraitants (abritant actuellement des séminaristes).
Campos rassemble enfin un très grand nombre de laïcs actifs. Ainsi la papeterie de M. Gerson est-elle le rendez-vous des traditionalistes où circulent les dernières nouvelles et s'échafaudent des plans de bataille. Et, avec cette exubérance brésilienne qui s'intéresse habituellement au football, ici on se passionne pour Dieu et la religion : « Salve Maria ! »
b\) On peut parcourir plus de cent kilomètres en tout sens en ne traversant que des villes traditionalistes ou des villages places-fortes de la foi. Ainsi, à Sao Sebastiao de Varre Sai, les hommes ont pris les armes pour défendre leur église ;
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comme à Sao Fidelis, où le prêtre soutenu par la ville entière est installé dans un cinéma abandonné ; à Santo Antonio de Padua, l'abbé Eduardo Athayde, saint homme et brillant orateur, bien que chassé de son église, a fondé un couvent de religieuses de Notre-Dame de Fatima.
Un des points chauds du diocèse est Bom Jesus de Itabapoana, quartier général des prêtres et dont le curé, Mgr Francisco Apoliano, a reçu en 1984 Mgr Lefebvre et tout le clergé traditionaliste. Depuis son expulsion, Mgr Apoliano est installé dans l'hospice de vieillards fondé par lui il y a quinze ans et tenu par une communauté de trente religieuses à la charité souriante. La construction de leur couvent est juste terminée et leur zèle a permis l'apparition d'une deuxième école dans le diocèse. Ici aussi les laïcs mènent une vie active, en union avec leur curé (en octobre 1984, Bom Jesus a vu une retraite de l.000 participants masculins !). Chaque dimanche, des milliers de fidèles se pressent à l'une des quatre messes du curé, la sainte messe catholique, temps fort de leur foi. Le premier vendredi, traditionnellement consacré aux confessions, des prêtres sont appelés en renfort pour entendre 700 à 800 personnes et mettre la ville en état de grâce.
Un mardi après-midi, j'ai vu 500 personnes à genoux, en adoration, chantant les louanges de Dieu. Après la bénédiction, la foule s'est entassée dans une salle pour assister à la projection de diapositives sur le monastère Sainte-Madeleine du Barroux et entendre parler de l'Europe : des pèlerinages à Chartres organisés par le CENTRE CHARLIER, du grand nombre des vocations parmi les traditionalistes et de l'œuvre de Mgr Lefebvre. Les auditeurs se sont déclarés fortifiés dans la foi et prêts à donner encore plus pour la sainte Église.
c\) La campagne, la *roca*, est constituée de maisons isolées. Mais ici encore le prêtre est présent ; présent parfois en plus de cinquante endroits, présent à chaque besoin des âmes.
\*\*\*
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Le Brésil catholique, s'il existe encore, c'est à Campos qu'il faut le chercher, diocèse à l'image de Mgr de Castro Mayer. Ailleurs la foi a été anéantie, victime de la révolution prêchée par les prêtres et les évêques.
C'est à Campos qu'est en train de s'écrire une page de l'histoire du Brésil, page exemplaire pour tous les catholiques du monde. Avec cette jeunesse d'âme qui est la marque des martyrs, ces chrétiens sont les dignes héritiers des Cristeros de 1929 et des catholiques espagnols de 1936.
Peregrinus.
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## NOTES CRITIQUES
### Revoici Paul-Jean Toulet
« Paul-Jean Toulet » : cahier de la Table ronde dirigé par Michel Bulteau.
Rééditions diverses dans la collection 10/18.
L'œuvre de Toulet comporte des étages, qui communiquent entre eux. Au rez-de-chaussée, le boulevardier. Supérieur sans doute à Willy, pour qui il a travaillé, et à Jean Lorrain, mais marqué plus qu'on ne le voudrait par le ton à la mode dans les années du Gil Blas, du Chat noir, le temps où l'on prenait Catulle Mendès pour un grand poète. Toulet n'était pas de ceux-là sans doute, mais il n'a pas fui ce milieu, son cynisme à courte vue, sa muflerie savante. Malicieux, ironique, taquin, lâchant des propos d'une saveur amère, et des chroniques remplies de filles et d'amis qui trahissent.
Léon Daudet l'a montré, à l'aise dans le « bain de cuir » du Weber : « On l'apercevait chez Weber, mince et moqueur, penché sur son verre de whisky and soda avec un étincelant œil de biais, observant l'existence, tripotant sa barbiche et crispant ses mains fines, comme s'il allait s'étirer. Nous l'aimions pour son horreur de la foule, des préjugés démocratiques, de la niaiserie diffuse et des gens importants. Il s'exprime par phrases courtes, sèches, péremptoires, luisantes et qui coupent. Il a la réponse prompte et la dent dure. Un monsieur dont le nom a une tare célébrait devant lui l'innocence, plus que problématique, d'un autre taré : « Noblesse oblige » dit Toulet se levant à demi. » (*Salons et journaux*)
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On dirait qu'il s'agit d'un grand chat. C'est le Toulet de *Mon amie Nane,* enlisé pour des raisons obscures dans ces milieux superficiels et méchants du parisianisme.
Mais il y a le Toulet moraliste, au jugement aigu et acide. Chamfort disait qu'il faut ici-bas que le cœur se brise ou se bronze. Cela s'applique tout à fait à ce cœur trop tendre protégé par une double armure de moquerie et de mépris. Ce moraliste, on le trouvera dans *les Trois impostures* (les femmes, les amis, les jours). Plus qu'ailleurs, on y voit ce raffinement exquis du goût, cette délicatesse que tout devait faire souffrir. Le besoin de cacher ce qu'il aime et ce qu'il respecte se traduit par des pirouettes, des propos qui s'arrêtent, ou des excentricités grammaticales. La peur d'être dupe, autre maladie de ce type d'homme nerveux, et d'ailleurs maladie commune depuis deux siècles, le mène à un jeu de démolition généralisé. Pour qui a surpris une grimace où il attendait un sentiment vrai, tout est suspect de grimace.
*M. du Paur* est le roman où l'on peut le mieux jouir de cette gymnastique compliquée. C'est le portrait d'une canaille aux apparences respectables (diplomate, académicien, vieux sage), peint par un nigaud prudhommesque. Ce malheureux Douville raconte les turpitudes sans les voir, avec un ton gourmé, tournant le scandale en récit apologétique. Le comique est assuré, et Toulet se délecte à ce jeu de miroirs, où toute affirmation devient suspecte d'un sens ténébreux. Exemple : « Cet hôtel même de la rue Pape-Carpentier, que monsieur du Paur, d'un goût si délicat, avait fait construire et orner, lui fut donné par elle \[sa femme, une gouge, mais il fermait les yeux\] en toute propriété, par un acte du 25 mai 1856, acte que nous avons collationné en l'étude de M^e^ Degaume, notaire à Paris. Par une coïncidence piquante, c'est le surlendemain, 27 mai, que monsieur du Paur faisait dresser contre sa femme constat de flagrant délit, dans la garçonnière qu'elle avait affectée à ses plaisirs rue de Berry. »
Cette satire du conformisme, au sens strict : affectation des bons sentiments et d'une fidélité à l'ordre ancien, n'est qu'une part de ce portrait. Les valeurs nouvelles, démocratie, progrès, etc. tout ce qui fait le conformisme nouveau n'est pas épargné. Et Toulet prête à son personnage une réhabilitation de l'exil des protestants -- idée scandaleuse, n'est-ce pas ? -- qui vaut la peine d'être relue :
« Les races diverses, quelques-unes plus devinées que connues, qui occupent les Gaules, ne sont arrivées que par la vie en commun et la pression lente des institutions à une certaine uniformité ; mais un événement violent peut créer à nouveau les classifications anciennes par une sorte de décristallisation. Et ainsi, pour M. du Paur, tous les gens qui avaient embrassé le calvinisme et soutenu en même temps la prédestination et l'iconoclastie ne pouvaient appartenir que de façon factice et apparente à la nation qui sculpta tant de dieux et de saints... »
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Voici donc M. du Paur, aux yeux éclairés de notre temps, subversif et inconvenant, ce qui l'aurait ennuyé, mais montrant une intelligence politique certaine. Aujourd'hui, dans notre jargon, il dirait que le drame naît d'une société multiculturelle (alors qu'une société multiraciale, si elle a une unité de culture, est viable).
Enfin, il y a le poète Toulet. Le mince volume des *Contrerimes* a survécu, avec son chant étranglé, ses feintes, astuces et afféteries : il est l'œuvre d'un vrai poète. D'un des plus grands poètes français, dit paraît-il Borges. J'ai souvent noté que Borges montrait un goût très incertain, en fait de littérature française, et c'est vraiment une curieuse manie d'aller chercher nos juges du côté du Rio de la Plata. Non, Toulet n'est pas de nos grands poètes, mais il a son chant propre, irremplaçable. Le Béarn, Alger, la fraîcheur d'un carrelage où résonne un pied nu, les reflets rouges d'un feu de bois sur une peau nue, ce sont ses thèmes favoris. Et la Chine aussi, jusqu'aux chinoiseries, et l'opium.
Même là, il se souvient de son talent de railleur, et les épigrammes ne manquent pas.
... *La Rafette nourrit d'accord*
*Un paon et quatre dindes.*
*Et l'on croirait -- tous ces échos*
*Gloussants, l'autre qui grince --*
*D'un préfet d'or, dans sa province.*
*Borné de radicaux.*
On connaît aussi le célèbre pastiche :
*Deux vrais amis vivaient au Monomotapa*
*...Jusqu'au jour où l'un vint voir l'autre et le tapa.*
Il faut rappeler au passage que Toulet n'était nullement démocrate, et d'un patriotisme que l'on imagine mal aujourd'hui, et qui ferait rougir. Il était certain de la supériorité de la France sur le reste du monde. Il est vrai qu'alors elle était civilisée. Pour montrer la naïveté de Nane, il dit : « longtemps, elle caressa l'illusion que les pays étrangers sont autre chose qu'une espèce de France plus mal tenue, habitée par des professeurs de langues ».
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Revenons à la poésie. Le ton parfait de Toulet, dans ses poèmes rétractés et chantants, on le trouvera dans celui-ci :
*Toute allégresse a son défaut*
*Et se brise elle-même.*
*Si vous voulez que je vous aime*
*Ne riez pas trop haut.*
*C'est à voix basse qu'on enchante*
*Sous la cendre d'hiver*
*Ce cœur, pareil au feu couvert.*
*Qui se consume et chante.*
Et il touche au sublime, à l'autre face des choses (la vraie) dans ces vers :
*Ce tapis que nous tissons comme*
*Le ver dans son linceul*
*Dont on ne voit que l'envers seul*
*C'est le destin de l'homme.*
*Mais peut-être qu'à d'autres yeux,*
*L'autre côté déploie*
*Le rêve, et les fleurs, et la joie*
*D'un dessin merveilleux.*
Poème qui est à rapprocher de la dernière remarque des *Trois impostures *: « Ô vie, tu n'es que signes, masques et symboles. Mais peut-être qu'un jour nous saurons de quoi. » M. Aranjo, son meilleur commentateur aujourd'hui, trouve le poème *bouddhiste.* Je n'en crois rien. Il est chrétiennement religieux. Que ce monde-ci n'est qu'un passage, que la partie est ailleurs, tout chrétien sait et chante cela d'un bout de l'année à l'autre, il me semble.
On se réjouit de voir à nouveau diffusées des œuvres, introuvables depuis des années, de cet écrivain curieux, masqué, charmant. On repensera à ce que dit Charles Du Bos (Approximations, 2 série) : ... « un avenir qui ne retiendrait pas l'œuvre de Toulet serait un avenir bien peu français : certaines des plus indéfinissables qualités françaises -- natives, jamais proclamées -- s'y distillent et tout ensemble s'y rétractent ».
Je suis d'autant plus étonné de lire, en tête des quatre volumes de 10/18, cette « précision » :
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« Il arrive à Paul-Jean Toulet d'écrire avec une telle aisance qu'il bouscule l'orthographe et qu'il viole la syntaxe. Ce ne sont pas des crimes, non plus que des caprices. Mais il faut respecter des graphies aussi captivantes. Nous nous y sommes efforcés, dans la mesure du possible. »
C'est signé : « l'Éditeur ».
Il faut avoir lu ça pour comprendre le degré d'ignorance où nous sommes arrivés. Un écrivain qui jouait savamment -- à en frôler la pédanterie -- avec les formes les plus rares de la langue, qui usait de l'ellipse et de l'archaïsme aussi bien que de l'argot, passe aujourd'hui pour un de ces ânes à qui on donne des prix. Son éditeur consent que ses « fautes » ne sont pas des crimes, mais il n'est pas capable de voir que ce sont des jeux et fautes seulement pour les illettrés.
Dans le cahier de la Table ronde, MM. Dutourd et d'Ormesson font écho à cet avertissement, en se donnant les gants de signaler des « fautes » (encore) de Toulet. C'est pour nous persuader qu'ils n'en feraient pas autant. On le savait bien.
Du Bos, qui n'était ni académicien, ni éditeur, mais qui savait sa langue, et vivait en des temps meilleurs pour la littérature, écrivait : « Une syntaxe sur laquelle tout a été dit, la plus experte et la plus libre, qui joue pour elle-même, comme les draperies, dans certains dessins de maîtres, semblent soulevées par une brise matinale ; des suspensions, des reprises, des changements de ton ; un usage infiniment subtil de tous les signes de ponctuation, et par-delà les signes mêmes il n'est rien dans la phrase qui ne soit intérieurement ponctué. »
Il vaut mieux finir là-dessus.
Georges Laffly.
### José Cabanis critique d'art
Le Musée espagnol de Louis-Philippe. (Gallimard)
José Cabanis nous convie à une nouvelle promenade dans son cher XIX^e^ siècle (voir ITINÉRAIRES n° 267 de novembre 1982). Depuis cinquante ans il butine dans la bibliothèque de ses ancêtres ; déniche des brochures dans les librairies d'occasion, rêve sur les illustrations de magazines centenaires...
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Cela lui permet de nous faire entrer de plain-pied dans cette époque. Si nous rencontrons Soult en train de voler des tableaux en Espagne, il nous rappelle que le maréchal prononçait *espécial,* ayant gardé l'accent du Sud-Ouest. Il sait que Nerval, quand il courait, agitait ses bras comme des ailes, et que Mérimée, une fois, a oublié son anti-christianisme glacé pour écrire : « J'ai compris pourquoi les moines, et surtout ceux des ordres mendiants, exercent tant d'influence sur le bas peuple. N'en déplaise aux libéraux intolérants, ils sont en réalité l'appui et la consolation des malheureux depuis leur naissance jusqu'à leur mort... Je crois que si j'avais le malheur d'être pendu, je ne serais pas fâché d'avoir deux franciscains pour causer avec moi. » (*Lettres d'Espagne,* 1830.) Gautier vers le même temps remarquait : « L'Espagne catholique en est aux idées voltairiennes et libérales sur la *féodalité, l'inquisition* et le *fanatisme...* On pouvait imiter, ce me semble, notre Révolution par un autre côté que son stupide vandalisme. C'est le sentiment qu'on éprouve toutes les fois qu'on visite un couvent dépeuplé, à l'aspect de tant de chefs-d'œuvre perdus sans retour, et de ce long travail de plusieurs siècles emporté et balayé en un instant. » (*Tras los montes.* 1843.)
Le prétexte de la promenade est en effet, cette fois, l'accueil fait par le public français au « musée espagnol » rassemblé par Louis-Philippe. Les Français l'accueillirent assez stupidement, semble-t-il, ce qui donne raison une fois de plus au mot de Léon Daudet sur ce siècle.
\*\*\*
Pourtant José Cabanis continue de flirter (pour le plaisir de n'être pas où on l'attend ?) avec les idées libérales ou socialistes de cette époque. Il repousse avec dégoût les institutions et les princes d'Ancien Régime et les Bourbons d'Espagne, « cette famille inutile », -- certes les princes de notre siècle ont été plus efficaces ! Il critique Lépante, -- est-ce bien opportun au moment où les pirates barbaresques infestent à nouveau la Méditerranée ?
Cabanis fait souvent songer à Guillemin par ce mépris (cathare ?) pour la façon dont nos aïeux chrétiens ont vécu et se sont gouvernés. Il y a là comme une allergie à l'Incarnation. On se demande si la naissance du fils de Dieu sous l'empereur Auguste, sa manière de rendre à César ce qui est à César sans cracher par terre, ses dîners en ville chez les publicains collabo et les gaspillages de mauvais goût d'une certaine Marie-Madeleine ne les eussent pas scandalisés tout autant que le furent les purs de la synagogue...
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J'arrête là le rapprochement : Cabanis n'a pas eu toujours une existence agréable : mais Guillemin, toute sa vie dans le coton (il l'a raconté dans un livre entier : *Le cas Guillemin,* par Patrick Berthier, Gallimard), fonctionnaire prébendé par tous les régimes (y compris Vichy), d'où lui vient sa rage contre les imperfections des chrétiens d'autrefois ?
\*\*\*
Revenons à Cabanis critique d'art, et restons dans l'angélisme avec lui...Il a en effet de belles pages sur les anges du Greco, qui ne volent pas bas comme ceux de Baudelaire ou Delacroix, qui ne diffusent pas non plus de la lumière sur les hommes, comme c'est souvent le cas dans la peinture religieuse, mais qui les « aspirent » vers le ciel, dans un mouvement « baroque, mais baroque ascendant et triomphant ».
La conclusion du livre est désabusée. Du Musée espagnol, les Français ne retinrent qu' « une leçon de réalisme » : « ils furent attentifs au comment, non au pourquoi, et les couleurs heurtées, les tonalités sombres, la soumission au quotidien, vont triompher dans la peinture française, jusqu'à ce que l'Impressionnisme, chez Manet lui-même, préfère le plein air, la palette claire, et une certaine joie de vivre dans une nature heureuse, mais que l'horizon de cette terre bornait. Huysmans dira alors que Manet s'est débarrassé « des jus de pipe qui ont crassé si longtemps ses toiles ». Zurbaran ne conduisit personne au couvent, ou au martyre. Le Greco ne fit agenouiller personne devant le Christ. Goya lui-même fut davantage admiré, et imité, que compris. »
En celui-ci Malraux verra, un siècle après, le premier moderne : « Les couleurs de ses apparitions n'ont plus d'autre raison d'être que ses tableaux. » Cabanis proteste : « La peinture de Goya est accusation, ironie, mépris, ou indignation. Pourquoi des lignes et des couleurs n'auraient-elles pas plus de prix, évoquant l'horreur ou la beauté du monde, les objets et leur réalité humble ou somptueuse, un visage, ou l'Invisible, ou le Crucifié ? Miro aurait dit un jour qu'il voulait « assassiner la peinture ». Goya n'a pas voulu ça. » Mais « si la postérité française de la peinture espagnole ne retint rien du message religieux qui en avait été l'âme longtemps, pas davantage elle ne reprit à son compte là colère de Goya. Elle vit dans la peinture espagnole, qui tournait le dos à la grâce italienne, une condamnation des facilités que procurent l'imagination, les sentiments et le rêve. Entre don Quichotte et Sancho Pança, elle choisit le second ».
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José Cabanis note une « curieuse renaissance de la peinture qui se voulait religieuse », après la guerre de 1914, « ne serait-ce que pour orner tant d'églises » à reconstruire... Mais ce fut un désastre et « la tentative ne fut pas reprise après la Seconde Guerre Mondiale. Rouault avait eu beau parler d'un « art religieux », « réduit à une forme, plus d'art religieux, c'est décidément la mort qui triomphe ; on parlera d'art *sacré,* n'osant plus prononcer le mot de *religieux,* qui a un autre poids et offusque, et ne convient plus, en effet, à ce qui se fait ».
Comme la peinture espagnole, on le voit, José Cabanis a choisi la couleur sombre pour la conclusion de cet essai. Comment lui donner tort ?
Jacques Urvoy.
### Les Lorrains ont-ils colonisé le Nouveau Monde ?
Jean HOUPERT : *Les Lorrains en Amérique du Nord* (Éditions Naaman).
Pour réaliser cet ouvrage impressionnant, résultat de recherches échelonnées sur trente ans, Jean Houpert était *the right man in the right place :* né à Paris de parents lorrains, il a émigré aux États-Unis -- où l'avaient précédé de nombreux parents -- en 1925. A la suite de la crise économique des années trente, il s'inscrit comme étudiant aux universités d'Illinois, puis de Chicago et devient, en 1935, professeur à l'université de Toronto, puis à l'université de Montréal (de 1943 à 1966), puis à l'université de Sherbrooke dont il deviendra doyen.
On lui doit déjà une étude sur le repeuplement et la restauration d'un canton lorrain après la guerre de Trente ans : *La Prévôté d'Insming* (Naaman. Québec, 1975) et *The Houper Family in America* (chez l'auteur, 1980). Avec *Les Lorrains en Amérique du Nord,* il s'est attelé à un travail minutieux qui retrace l'épopée de ces Lorrains qui, de 1640 à 1914, ont choisi d'émigrer vers le Nouveau Monde, pour contribuer très largement à l'édification de leur nouvelle patrie sans en oublier pour autant l'ancienne.
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Le livre de Jean Houpert s'articule autour de trois axes : les Lorrains en Nouvelle-France aux XVII^e^ et XVIII^e^ siècles : l'émigration lorraine en Amérique du Nord au XIX^e^ siècle ; les prêtres et les religieux lorrains en Amérique du Nord.
On s'arrêtera plus volontiers à la recension de ce dernier axe qui*,* à bien des égards, s'inscrit dans les deux précédents.
Parmi les grands moments de cette émigration religieuse, on retiendra l'extraordinaire épopée des jésuites qui se révélèrent très efficaces dans l'évangélisation des Indiens. En 1611 arrivent à Port-Royal, en Acadie, les pères Biard et Massé. Au bout de deux ans, ils reviennent en France et sont relayés -- mais seulement en 1625 -- par cinq jésuites qui s'installeront au Québec. De 1625 à 1764, 324 religieux français consacreront leur vie à l'Amérique du Nord : 16 ont été martyrisés ; 8 ont été canonisés en 1931, on les appelle les « Martyrs canadiens ».
Au sein de cette glorieuse phalange, la figure de *Sébastien Meurin* est particulièrement attachante. Né à Charleville, le 26 décembre 1707, il arrive à la Nouvelle-Orléans en 1741. On l'envoie dans un territoire appelé « les Illinois » où quelques missionnaires exercent leur ministère auprès des Indiens mais aussi de quelques centaines de Blancs plus remuants encore que les Peaux-Rouges.
Il est ensuite envoyé à Kaskaskia sur le Mississipi. Ayant appris la langue des Indiens de la région, il devient vite pour eux un homme indispensable, unanimement respecté et aimé. Quand tombera le décret contre les missionnaires jésuites -- tous les jésuites doivent quitter la Louisiane et être renvoyés en France -- on assistera au spectacle très émouvant d'Indiens intervenant auprès du commandant de la région pour que leur soit conservé -- au moins -- le père Meurin.
Expulsé du territoire, le père Meurin recevra l'autorisation d'y revenir à condition de se fixer sur la rive occidentale du Mississipi (dans le territoire cédé à l'Espagne), de se placer sous l'autorité du supérieur des capucins de la Nouvelle-Orléans, de n'entretenir aucun rapport avec l'évêque du Québec.
Seul prêtre d'une immense région -- 250 km d'est en ouest, plus de cent du nord au sud, à desservir -- il passera outre aux consignes du Conseil supérieur de Louisiane en entrant notamment en communication avec l'évêque de Québec (dont la juridiction s'étendait toujours jusqu'à la Nouvelle-Orléans) pour lui demander de nommer un vicaire général pour la région des Illinois. « C'est à vous d'occuper ce titre et cette charge », lui fit répondre l'évêque. Il en fut effrayé : « Je n'en suis pas digne et j'en suis incapable. » Il en fut à la fois digne et capable jusqu'à sa mort survenue le 23 février 1777 à Prairie-du-Rocher.
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Les récollets (franciscains) sont présents en Amérique, eux, depuis la découverte (à vrai dire la redécouverte) de ce continent par Christophe Colomb. On les retrouve aux côtés de Champlain, le fondateur de Québec ; au bord du Saint-Laurent en 1670 ; aumôniers des régiments quand, en 1772, ils accompagnent Iberville qui part fonder la Louisiane.
Parmi eux, *Gabriel Anheuser,* né le 20 janvier 1728 à Sarrelouis. Arrivé à Québec le 21 juillet 1752, il passe un an au couvent de Trois-Rivières puis devient aumônier militaire des troupes qui vont aller combattre les Anglais jusque sur le haut Ohio. Par la suite, chapelain de l'Hôpital général de Québec il aura la douleur de signer deux cent trente-quatre actes de décès entre le 25 avril et le 10 novembre 1758 : on est en pleine guerre contre les Anglais. Bien curieusement, on perd alors la trace du père Anheuser. Sa signature apparaît pour la dernière fois au registre de l'hôpital le 6 février 1759, puis plus rien. Peut-être y a-t-il en Lorraine des gens apparentés à cet aumônier de « choc » qui pourraient dire à Jean Houpert ce qu'est devenu leur parent « canadien » ?
La compagnie des Indes avait négocié, en 1722, la venue des capucins de Champagne en Louisiane. A charge pour eux de s'occuper des Blancs, les jésuites gardant la charge des missions indiennes qu'ils avaient fondées. La vérité commande de dire qu'il y eut entre ces capucins (issus des franciscains du XVI^e^ siècle) et les jésuites, des règlements de compte qui défrayèrent longtemps les chroniques du territoire...
*Hilaire* (François Mamédy), né à Genevaux le 7 mars 1720, arrivé à la Nouvelle-Orléans en 1752, sera l'un des acteurs de ces divisions qui affaiblirent et minèrent tout à la fois l'Église de France au XVIII^e^ siècle. Il fut notamment le bras droit du père Dagobert, de Longwy, qui refusait d'obéir à l'évêque de Québec parce qu'il avait commis l'erreur de nommer, en tant que vicaire général, le nouveau supérieur des jésuites, le père Michel Baudouin.
Le père Dagobert avait alors délégué à Paris le père Hilaire pour essayer de convaincre l'autorité civile supérieure de forcer l'évêque de Québec à démettre le vicaire général jésuite. En pure perte. Interdit par l'évêque dont il s'obstina à ne pas reconnaître l'autorité (alors que le père Dagobert avait fini par se soumettre), le père Hilaire fut expulsé de Louisiane en 1758. Avec ordre de réintégrer son monastère pour y vivre selon la règle.
Mais le père Hilaire n'a pas dit son dernier mot. Quand il apprend que les jésuites ont été expulsés et que la Louisiane va être cédée à l'Espagne, il s'embarque et revient à la Nouvelle-Orléans en 1764, porteur d'une lettre du provincial le nommant supérieur de la mission et annonçant qu'il a été nommé protonotaire apostolique par le pape... Le Conseil supérieur de Louisiane enregistre sa nomination de supérieur mais, pris de doute, demande des renseignements à Paris avant d'enregistrer l'élévation à la prélature. On s'aperçoit alors qu'il a obtenu ce titre sous de fausses présentations.
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Il n'en continue pas moins à assurer -- « il est au-dessus de tout reproche », écrit le gouverneur à Choiseul -- ses fonctions de supérieur. Il publie même un catéchisme « à l'usage de la Louisiane » et décrète l'érection de Saint-Martin de Martinville, première paroisse des Acadiens. Mais des instructions arrivent de Paris : le catéchisme du père Hilaire est interdit. Comme un malheur n'arrive jamais seul, le Conseil lui enjoint de quitter la colonie et de rentrer en France.
C'est mal connaître ce capucin remuant ! Il disparaît en laissant un mot expliquant qu'il est allé se réfugier dans une mission espagnole du Texas. En fait, il est caché dans la plantation des capucins, attendant des jours meilleurs et l'arrivée du gouverneur espagnol. Découvert, il est emprisonné et expulsé vers la France où il se consacre à la rédaction d'un libelle vengeur contre ceux qui ont « comploté » contre lui.
Exit le père Hilaire ? Ce serait mal le connaître ! En 1772, il reparaît à la Nouvelle-Orléans avec les premiers capucins espagnols. Le gouverneur espagnol finira par écrire à ses supérieurs que si le père Hilaire reste en poste, ce sera au détriment du bien et de la paix... Il est finalement « exilé » à Sainte-Geneviève pour y aider le père Meurin que nous évoquions plus avant. Il y restera très peu de temps. De 1778 à 1780, on le retrouve curé à la Pointe-Coupée, puis chez les Acadiens des Attakapas. En 1781, il rentre en France et meurt à Dijon, dix ans plus tard.
Jean Houpert évoque également les congrégations religieuses féminines originaires de Lorraine et établies en Amérique du Nord. Parmi lesquelles celle de l'*Humilité de Marie* fondée près de Nancy.
A l'origine : un prêtre au grand cœur, l'*abbé Bézel.* Vicaire à Saint-Maurice d'Épinal, il demande à son évêque, en 1846, l'autorisation de solliciter un poste dans le diocèse de Nancy. Autorisation accordée. Il est alors nommé curé de Laître-sous-Amance, une des cures les plus médiocres des environs de Nancy... On dit que les curés n'y tiennent généralement pas plus de deux ans. A Laître (et à Dommartin, qui en dépend), il n'y a pas d'école pour les filles. L'abbé Bégel décide d'en fonder une. Une femme du village, *Antoinette Potier* offre alors sa maison pour en faire très vite un excellent établissement scolaire. Antoinette Potier, aidée de sa servante Marie Gaillot et d'une institutrice appointée. Julie Claudel, enseigne la religion, l'écriture, la lecture, l'arithmétique, la couture, la dentelle, la broderie.
Au bout d'un an, les trois femmes demandent à l'abbé Bégel de leur fournir une règle de vie. Il leur conseille le *Manuel de la congrégation de la Sainte Vierge* (fondée par les jésuites). Le 15 août 1855, les trois femmes font promesse de vivre selon les règles de cette congrégation.
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Un peu plus tard, Antoinette, Marie, Julie -- qui ont été rejointes par Marie Tabourat -- vont demander à l'évêque d'être reconnues comme « association religieuse ». L'évêque Menjaud le leur accorde et leur recommande d'adopter le nom de « Sœurs de la Sainte Humilité de Marie ». Le 8 septembre 1858, Antoinette, Marie Gaillot et Marie Tabourat prononcent leurs vœux perpétuels, devenant les sœurs Madeleine, Marie-Joseph et Anne.
A partir de 1860, l'attitude d'un gouvernement très hostile aux « congréganistes » poussera l'abbé Bégel et les sœurs à se transplanter en Amérique. La mère Madeleine Potier mourra, hélas, avant de rejoindre Cleveland où est attendue la congrégation.
Le 14 juin 1864, la communauté débarque à New York. Le 21, elle est à Louisville. Les débuts sont très difficiles. Installées sur une mauvaise ferme entourée de marécages (augustines et franciscaines avaient renoncé à s'y implanter), les sœurs s'accrochent au terrain. Elles défrichent, sèment, récoltent. Aujourd'hui s'élève à New-Bedford -- où se trouve toujours la maison-mère de la congrégation -- un remarquable complexe scolaire et agricole...
Les Lorrains donneront trois autres congrégations de religieuses à l'Amérique du Nord, mais aussi deux évêques nés en Lorraine et deux autres évêques descendants de Lorrains.
Les Lorrains ont-ils colonisé le Nouveau Monde ? Jean Houpert n'est pas loin de nous en convaincre. Dès le XVII^e^ siècle, il y eut des Lorrains au bord du Saint-Laurent où se faisait la Nouvelle-France. Puis il y eut ceux de la guerre de Sept ans qui firent souche sur place en épousant des Canadiennes. C'est de Lorraine qu'est venue, au XIX^e^ siècle, la plus grosse part de l'émigration française vers les États-Unis : « Si même on considère, écrit Jean Houpert, la région nord-est de la France, il apparaît qu'il en est venu le quart environ de l'émigration française en Amérique au XIX^e^ siècle. Il apparaît surtout que la Lorraine allemande, d'où ne sont originaires qu'une demi-douzaine des arrivants d'avant 1789, devient après 1815 le principal foyer de l'émigration vers l'Amérique, l'un des principaux de l'émigration française. »
Et Jean Houpert conclut : « Ce livre est l'aboutissement d'un désir né il y a bien longtemps, de recherches poursuivies d'abord selon les possibilités du moment, plus méthodiquement au cours des dernières années. Je remercie Dieu qui a permis que je le mène à bien dans un âge avancé, qui a suscité tant d'aides précieuses, souvent même inattendues. Merci à tous ces collaborateurs généreux qui ont vérifié, complété une information déjà recueillie, indiqué d'autres pistes de recherches, fourni une documentation toujours utile. Plus que d'autres peut-être, ces compatriotes de Barrès savaient qu'ils étaient des « héritiers, des prolongements » et ils ont permis la mise au point d'un ouvrage qui se veut hommage et mémorial aux Lorrains d'Amérique du Nord. »
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C'est vrai : pour parachever un tel monument, il a fallu à Jean Houpert et l'aide de Dieu et le souffle barrésien. Avec, en plus, cette admirable obstination lorraine que ceux qui ne sont pas Lorrains s'obstinent à nommer « entêtement »...
Alain Sanders.
*Éditions Naaman. CP 697. Sherbrooke. Canada PQ. J 1 H 5 K 5.*
*Éditions Serpenoiee, 17, rue Serpenoise. 57000 Metz. 520 pages, Sherbrooke. 1985.*
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## LA CLEF DE LA CRISE
### La question juive dans l'Église
par Jean Madiran
UN MESSAGE en deux points : 1. -- Il y a bien un problème juif, 2. -- Mais les catholiques ne peuvent rien y comprendre. Tel est l'avertissement que j'avais relevé dans *Tribune juive,* le 4 février 1983, et depuis lors je l'ai gardé présent à l'esprit. Le « problème juif », tel qu'il est ressenti et vécu par la communauté juive, il est fort possible en effet, il n'est nullement invraisemblable qu'un catholique ait du mal à le comprendre. Ce qu'il pourra en saisir, sa manière d'y réagir, sa façon d'en parler, tout cela sera tenu pour inadéquat et en tout cas pour *étranger* dans la communauté juive.
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En revanche, de la même façon, et en quelque sorte réciproquement, je me demande si les juifs peuvent bien comprendre quelque chose à la question juive *dans l'Église*. Et en tout cas, ce sont les catholiques, qui la vivent, qui sont le mieux placés pour la percevoir et qui ont plus que n'importe qui le droit d'en parler.
#### *1965 : une déclaration conciliaire*
La question juive dans l'Église est posée par le récent infléchissement de la doctrine catholique, abandonnant plusieurs points de vue traditionnellement chrétiens pour admettre plus ou moins à leur place des points de vue traditionnellement juifs.
Les choses ont commencé au concile Vatican 2 du moins officiellement, car là comme ailleurs, elles étaient en route depuis longtemps, le concile n'a rien inventé, il a consacré ; mais avec quelle vigueur accélératrice. Il faut relire la déclaration conciliaire *Nostra Aetate* « sur les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes » ; son quatrième chapitre concerne « la religion juive » :
« Du fait d'un si grand patrimoine spirituel commun aux chrétiens et aux juifs, le concile veut encourager et recommander entre eux la connaissance et l'estime mutuelles (...). Les juifs ne doivent pas être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits comme si cela découlait de la Sainte Écriture (...). L'Église déplore les haines, les persécutions et toutes les manifestations d'antisémitisme qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les juifs. »
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Plusieurs regrettèrent à l'époque que cette « déclaration sur la religion juive », -- qu'ils appelaient d'ailleurs « déclaration sur les juifs », -- fasse partie de la déclaration sur les religions « non chrétiennes » plutôt que du décret sur l'œcuménisme concernant les chrétiens. Ils souhaitaient même « en faire un appendice de la constitution sur l'Église » ([^1]). S'ils furent déçus en cela, du moins leur visée principale fut maintenue dans une disposition institutionnelle lourde de conséquences futures, comme l'indiquait dès 1965 l'abbé Laurentin en un alinéa d'apparence énigmatique :
« L'essentiel reste sauf : les relations avec les juifs ne seront pas rattachées au *Secrétariat pour les religions non chrétiennes,* mais bien au *Secrétariat de l'Unité* qui gardera ainsi dans sa perspective la pleine envergure du problème œcuménique. » ([^2])
De fait, nous avons une « Commission pontificale pour les relations religieuses avec le judaïsme » qui fonctionne en dépendance du « Secrétariat pour l'unité des chrétiens » et non point de celui « pour les non chrétiens ». En apparence c'est une absurdité. En réalité, c'est la marque d'une intention.
#### *1982 : un discours du pape*
Pour étudier les « relations avec le judaïsme », le Secrétariat pour l'unité des chrétiens réunissait à Rome, en 1982, les délégués des conférences épiscopales du monde entier avec des représentants des Églises orthodoxes, de la Communauté anglicane, de la Fédération luthérienne mondiale et du Conseil œcuménique des Églises.
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Ce fut pour Jean-Paul II l'occasion de son discours du 6 mars 1982, réitérant celui qu'il avait prononcé déjà le 12 mars 1979 à l'adresse des représentants d'organisations et de communautés juives : «* Nos deux communautés religieuses* (*la chrétienne et la juive*) *sont liées au niveau même de leur propre identité *» ; le christianisme est «* un nouveau rameau sur la souche commune *», expression traditionnelle, mais qui demanderait à ne pas être employée unilatéralement, et à être bien expliquée pour ne pas être comprise à contresens. Le pape ne l'expliqua point. Il invita les chrétiens à «* se retrouver avec leurs frères sémites autour de l'héritage commun *», car «* notre patrimoine spirituel commun est considérable *».
Danger de confusion ? Jean-Paul II « précise, surtout pour ceux qui demeurent sceptiques, voire hostiles, que ce rapprochement ne saurait se confondre avec un certain relativisme religieux » et qu'il faut garder « la clarté et le maintien de notre identité chrétienne » :
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toutefois il est ahurissant qu'il formule cette « précision », il le dit lui-même, surtout à l'intention de ceux qui restent sceptiques ou hostiles devant un tel rapprochement, ceux-là pourtant ne courent en l'occurrence aucun risque de laisser relativiser ou de perdre leur identité chrétienne. C'est bien plutôt à ceux qui courent ce risque qu'il conviendrait d'adresser une telle mise en garde ; et de la faire d'autant plus explicite et efficace que Jean-Paul II engage les chrétiens à pratiquer avec les juifs « *une étroite collaboration vers laquelle nous pousse notre héritage commun, à savoir le service de l'homme* »*.* Cette ÉTROITE COLLABORATION n'était pas dans la déclaration conciliaire, qui ne contenait pas non plus l'affirmation que nous adorons LE MÊME DIEU QUE LES JUIFS :
« *Notre patrimoine spirituel commun,* déclare Jean-Paul II dans son discours du 6 mars 1982, *est surtout important au niveau de notre foi en un seul Dieu, unique, bon et miséricordieux, qui aime les hommes et se fait aimer d'eux, maître de l'histoire et du destin des hommes, qui est notre Père et qui a choisi Israël,* (*olivier franc sur lequel ont été greffés les rameaux de l'olivier sauvage que sont les gentils.* »
Deux idées nouvelles donc, celle d'UN MÊME DIEU, celle d'une ÉTROITE COLLABORATION, deux idées qui sans doute sont dans la ligne de la logique conciliaire (je le soupçonne du moins), mais enfin le texte du concile était resté sur le seuil et s'en était abstenu ; c'est Jean-Paul II qui les fait explicitement entrer dans l'attitude désormais officielle de l'Église, au prix d'une terrible ambiguïté. En effet, le procédé intellectuel qui permet de considérer que chrétiens et juifs ont foi en un même Dieu conduira plus tard le même pontife à déclarer que, pareillement, musulmans et chrétiens ont foi en un même Dieu eux aussi.
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Ce procédé intellectuel consiste à considérer que (à la différence des anciens païens, qui avaient plusieurs dieux, et des modernes athées, qui n'en ont aucun) chrétiens, juifs et musulmans ont une idée de Dieu qui leur est commune, ils ont en commun d'affirmer l'existence d'un Dieu unique. C'est une observation intéressante pour les nomenclatures, les classements et les dictionnaires. On peut penser en outre que toute prière honnête et humble qui ne contredit pas cette idée commune de Dieu, ou qui ne la contredit pas trop, est finalement, même si elle se trompe plus ou moins d'adresse dans le ciel, accueillie par le même et seul Dieu de miséricorde. Mais la foi ne s'arrête pas là, elle y commence à peine. Pour nous, Jésus-Christ est Dieu, et nous a révélé que Dieu est Trinité : tel est le Dieu des chrétiens, qui n'est pas celui des musulmans ni celui des juifs.
#### *1985 : œuvrer avec les juifs pour préparer la venue du Messie*
Ces deux innovations de Jean-Paul II, le « même Dieu » et « l'étroite collaboration », déjà exorbitantes en elles-mêmes, le Saint-Siège a néanmoins réussi à leur donner en 1985 un épanouissement illimité.
Daté du mois de mai, publié le 24 juin, a paru un document rédigé par la « Commission pontificale pour les rapports religieux avec le judaïsme » et signé par son président, le tristement célèbre cardinal Willebrands. Ce document a été présenté comme le fruit de trois années de travail. C'est donc que la Commission s'était mise à l'ouvrage juste après le discours novateur du 6 mars 1982. De fait, elle s'emploie surtout à en développer démesurément les deux innovations.
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Ce texte comporte des « considérations préliminaires » suivies de six chapitres et d'une conclusion ([^3]). Celle-ci reproche aux catholiques « une pénible ignorance de l'histoire et des traditions du judaïsme ». Il me semble que le Saint-Siège pourrait déplorer tout autant, ou même d'abord, *une pénible ignorance de l'histoire et des traditions...* du catholicisme ; mais il ne le fait point ; il engage au contraire à « *se débarrasser de la conception traditionnelle* », c'est au chapitre VI :
« La permanence d'Israël, alors que tant de peuples anciens ont disparu sans laisser de traces, est un fait historique et un signe à interpréter dans le plan de Dieu, Il faut en tout cas se débarrasser de la conception traditionnelle du peuple *puni,* conservé comme *argument vivant* pour l'apologétique chrétienne. »
Une telle prétention à n'être point un peuple *puni* est étrangère au christianisme. L'humanité entière, tous les peuples sans exception vivent présentement les conséquences -- c'est-à-dire la punition -- du péché originel. Le peuple juif serait le seul à n'être point « puni » ? C'est en effet rompre avec la « conception traditionnelle », mais beaucoup plus encore, sans doute, qu'on ne l'imaginait.
Bien sûr, il faut faire la part du verbiage creux, fruit de la décomposition intellectuelle en notre temps d'obscurantisme généralisé. Mais il y a tout de même une signification, il y a une volonté, il y a un dessein dans l'impératif abrupt : « *il faut en tout cas se débarrasser de la conception traditionnelle* ».
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C'est ainsi que l'Église perd toute autorité morale : car si elle nous invite à rejeter sa conception traditionnelle, cela veut dire qu'elle s'est trompée sur ce point pendant deux millénaires, et en ce cas rien ne garantit plus que, sur ce même point, elle ne se trompe pas aujourd'hui.
Une fois rejetée la conception traditionnelle, les deux idées nouvelles du MÊME DIEU et de l'ÉTROITE COLLABORATION viennent se conjuguer dans un messianisme : le messianisme juif, qui vient prendre la place de l'espérance chrétienne. Le onzième paragraphe du second chapitre, que voici en son entier, est l'aboutissement enfin explicite de ce qui était en préparation :
« Attentifs au même Dieu qui a parlé, suspendus à la même parole, nous avons à témoigner d'une même mémoire et d'une commune espérance en Celui qui est le maître de l'histoire. Il faudrait ainsi que nous prenions notre responsabilité de préparer le monde à la venue du Messie en œuvrant ensemble pour la justice sociale, le respect des droits de la personne humaine et des nations, pour la réconciliation sociale et internationale. A cela nous sommes poussés, juifs et chrétiens, par le précepte de l'amour du prochain, une espérance commune du Règne de Dieu et le grand héritage des Prophètes. Transmise assez tôt par la catéchèse, une telle conception éduquerait de façon concrète les jeunes chrétiens à des rapports de coopération avec les juifs allant au-delà du simple dialogue. »
Ainsi, en 1985, officiellement, Rome invite les catholiques à *œuvrer avec les juifs pour préparer ensemble la venue du Messie* ([^4]).
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Quant à la conversion des juifs, pensez-y toujours si vous y tenez, mais n'en parlez plus jamais : Rome vous donne l'exemple de l'enfouir dans un silence profond.
\*\*\*
Cette évolution de l'attitude officielle qui va de la déclaration conciliaire de 1965 au discours pontifical de 1982 puis aux directives romaines de 1985, cette évolution lente et sûre et cohérente, est une évolution qui s'est accomplie *dans le silence.* Je veux dire que pour la première fois de son histoire l'Église s'abstient de répondre aux objections qu'on y oppose.
Ce trait, d'ailleurs, est commun à la mise en œuvre de toutes les nouveautés conciliaires. Sur toutes les autres questions, l'argumentation en faveur de la « conception traditionnelle » est pareillement laissée sans réponse. Le débat n'a jamais lieu. Il n'a pas eu lieu sur la messe. Il n'a pas eu lieu sur le catéchisme. Aucune raison catholique n'a été officiellement donnée de l'interdiction du catéchisme romain, aucune de l'interdiction de la messe traditionnelle. On finira par se demander, après vingt années d'interrogations qui n'ont rencontré que le silence, si la vraie raison n'était pas inavouable. Et si à toutes les questions posées en vain, la réponse n'est pas justement dans la question juive à l'intérieur de l'Église. Nous avions publiquement écrit à Paul VI en 1972 : « *L'Église militante est présentement comme un pays soumis à une occupation étrangère.* »
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L'Église depuis lors n'a pas cessé de donner l'impression d'être une Église occupée. -- Mais occupée par qui ? -- Par le judaïsme, en arrivons-nous aujourd'hui à nous demander, s'il est vrai que ce qui se dévoile maintenant était le but caché de toutes les manipulations et persécutions subies depuis vingt ans : effacer ou atténuer ce qui oppose la religion chrétienne à la religion juive, établir une étroite collaboration religieuse avec les juifs afin de « préparer la venue du Messie » en « œuvrant ensemble pour la justice sociale, le respect des droits de la personne humaine et des nations, pour la réconciliation sociale et internationale ». Quel programme laïque ! Si c'est cela qu'il faut prêcher, quel besoin d'un pape ? Le Grand Orient et l'ONU y suffisent.
Sans doute le terme et la notion de « justice sociale » sont une invention spécifiquement catholique ([^5]), mais les catholiques, et surtout la hiérarchie épiscopale, ont oublié l'origine du terme et l'identité de la notion. Ils s'imaginent, selon le mot célèbre de Joseph Folliet, qu'ils doivent tenter de « faire mieux que les communistes et les devancer sur le chemin de la justice et de la paix ». Sur ce chemin, la justice sociale des catholiques est devenue une justice fortement imprégnée de marxisme. Aujourd'hui, invoquer la justice sociale sans rendre explicites les fortes rectifications qu'il faut apporter à sa notion la plus courante dans les media et les sermons, c'est fourvoyer les peuples.
Sans doute encore, la personne humaine a des droits imprescriptibles. Mais, aujourd'hui, toute référence aux droits qui n'est pas accompagnée des fortes rectifications qu'appelle leur notion la plus courante dans les sermons et les media est forcément entendue commune référence aux déclarations maçonniques des droits de l'homme.
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Le même Dieu. L'étroite collaboration pour préparer, par la justice sociale, la venue du Messie. Tiens, tiens. Une obscure clarté commence à poindre.
Jean Madiran.
Trois cas exemplaires de la question juive dans l'Église sont analysés par Yves Daoudal dans une série intitulée « Juives et catholiques » qui comporte trois articles, dont le premier paraît ci-après, les suivants en avril et en mai : 1. -- *L'apostasie*, le cas de « mère Myriam », juive élevée dans la religion catholique, qui aujourd'hui pratique l' « étroite collaboration ». 2. -- *Les ambiguïtés*, c'est le cas de Rina Geftman, juive élevée dans l'indifférence religieuse, puis convertie au catholicisme, et maintenant militante d'un christianisme judaïsé. 3. -- *La conversion *: le cas de Judith Cabaud, juive élevée dans le judaïsme, devenue chrétienne, mère de famille catholique, pleinement fidèle à la « conception traditionnelle ». Toutes trois ont publiquement fait le récit de leur itinéraire. Ce sont trois cas, exemplairement divers, et puissamment instructifs, de « relations religieuses avec le judaïsme ».
J. M.
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### JUIVES ET CATHOLIQUES (I)
*L'apostasie de mère Myriam*
par Yves Daoudal
DEPUIS UNE VINGTAINE D'ANNÉES, des chrétiens, d'origine juive ou non, fascinés par l'interprétation « prophétique » qu'ils font de l'existence de l'État d'Israël, vont s'installer dans ce pays et y créent des communautés. Le gouvernement israélien le leur permet généralement, malgré l'opposition des partis religieux. Il sait ce qu'il fait. Dans ces communautés on ne voit pas l'État d'Israël tel qu'il est mais tel qu'on le rêve et on le soutient de façon inconditionnelle. Elles sont donc d'excellents moyens de propagande vis-à-vis des pays d'origine des membres de ces communautés. Sans frais, sans risque pour la religion israélite, puisqu'on leur fait signer un document où elles s'engagent à s'abstenir de toute action missionnaire, les lois anti-mission étant là ensuite pour veiller à ce que l' « accord » soit respecté.
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Parmi les chrétiens établis en Israël l'éventail est très large. Cela va d'un catholicisme réel à l'apostasie inavouée ou avouée, en passant par tous les degrés d'ambiguïté imaginables. Il s'agit là d'un constat de situation, mais aussi de l'évolution personnelle d'un certain nombre de ces chrétiens les « conversions » de chrétiens au judaïsme sont beaucoup plus nombreuses que l'inverse. Ce qui est dans la logique de la fascination susdite, il est vrai que les lois anti-mission ne concernent pas les israélites...
Ce mouvement devient de plus en plus perceptible dans les pays occidentaux. Cela est dû notamment aux communautés du « renouveau charismatique » qui y sont en pointe et qui essaiment en Israël, particulièrement le « Lion de Juda » (qui devient en Israël la « Communauté de l'Agneau » !). On y chante en hébreu, on observe le sabbat et divers préceptes de la loi mosaïque, dans une inquiétante ambiguïté et en contradiction formelle avec l'enseignement de saint Paul, pour lequel on montre pourtant la plus grande vénération.
Mais cela (qui cohabite avec un credo indéniablement catholique et une remarquable piété mariale) n'est rien à côté de ce qui se passe à Rimont en Bourgogne, dans la « Communauté des Petites Sœurs d'Israël » dirigée par « mère Myriam ».
\*\*\*
L'itinéraire de mère Myriam a été révélé par *Tribune juive* (hebdomadaire dirigé par le rabbin Grunewald) en juillet-août 1983. Sa photographie tenait toute la couverture, et à l'intérieur on pouvait lire un article de huit pages (avec beaucoup de photographies) signé Emmanuel Haymann, un des principaux journalistes de *Tribune juive.* Détail surprenant : Emmanuel Haymann écrivait que les Petites Sœurs de l'Immaculée Mère de l'Église étaient devenues les Petites Sœurs de l'Immaculée Mère d'Israël, puis les Petites Sœurs d'Israël, Filles de l'Immaculée Médiatrice de toutes grâces. Or cette dernière dénomination a été adoptée par la Communauté le 29 août 1983, c'est-à-dire un mois et demi *après* la parution de l'article...
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En mars dernier a paru en Suisse ([^6]) un livre sur mère Myriam intitulé *Petite Sœur Juive de l'Immaculée,* rédigé par le même Emmanuel Haymann. Comme il va de soi, la recension du livre occupait près de deux pages dans *Tribune juive* quelques semaines plus tard.
Son nom de baptême est Tünde Szentes de Madefalna de Kisbaczon. Elle est née à Budapest en 1949. Son père, héros magyar de la première guerre mondiale, est d'une famille noble de Transylvanie. La petite Tünde, à ce qu'elle dit aujourd'hui, paraît n'avoir d'yeux que pour sa mère, qui fut le bras droit de Raoul Wallenberg et participa donc avec lui au sauvetage héroïque de nombreux Juifs hongrois pendant la période nazie.
Tünde est une petite fille très pieuse, « mystique ». A l'école (communiste) elle est la seule catholique fervente (?) et elle est persécutée pour sa foi. Elle apprend le piano, entre au lycée musical puis au conservatoire. Dans l'un comme dans l'autre elle « rafle les meilleures notes, les meilleures places », dit-elle, dépassant « très largement ce qui était exigé ». Elle obtient une bourse dans le cadre des échanges culturels franco-hongrois et vient au conservatoire de Paris. Mais c'est la déception. « Par rapport à l'enseignement que j'avais reçu, nous apprenions vraiment le b a ba. » « Quand les élèves jouaient on les entendait à peine. « Les professeurs ne comprenaient rien à Liszt ou à Bartok. » Pis : comme ils ne parvenaient pas à sa maîtrise (*sic*) ils rayaient des notes de certaines partitions particulièrement difficiles qu'elle jouait, elle, sans le moindre problème.
Bien que nous soyons en dehors du sujet de cet article, il y a là une calomnie qu'il n'est pas possible de laisser passer. L'école française de piano est l'une des trois meilleures du monde (avec l'école russe et l'école allemande). C'est un fait universellement reconnu ([^7]).
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L'année écoulée, Tünde refuse de retourner en Hongrie et obtient l'asile politique. En 1973 elle rencontre le père Marie-Dominique Philippe qui la convainc de venir suivre ses cours à l'université catholique de Fribourg, où elle soutient deux thèses de philosophie tout en devenant secrétaire de rédaction du père dominicain. Elle découvre la vie du père Kolbe par le livre de Maria Winowska, s'inscrit aussitôt à la Milice de l'Immaculée et se fait « l'apôtre de l'Immaculée ». Elle rédige un projet de fraternité, qu'elle montre au Père général des Cordeliers. Lequel est « enthousiaste » et lui demande d'écrire la règle de cette fraternité, « Mon père spirituel (le père Philippe) m'a obligée à établir ce programme de vie. Je suis retournée devant le Saint-Sacrement et j'ai écrit ce texte comme si on me l'avait dicté il m'a été inspiré » (*sic*). Nous sommes en 1979. Elle se rend au Vatican où elle impose son projet de fraternité au supérieur général des franciscains et au modérateur suprême de la Milice de l'Immaculée, qui voulaient la voir créer un institut séculier.
A ce moment-là le père Marie-Dominique Philippe quitte Fribourg pour Rimont. Tünde part avec lui et les quatre Petites Sœurs de l'Immaculée s'installent juste en face du séminaire du père Philippe. « Dès ce moment je m'appelais Marie-Catherine en religion et notre habit fut bleu ciel avec un voile blanc. J'avais reçu dans la prière l'indication de cet habit. Dieu dans sa prescience savait qu'un jour nous nous appellerions les Petites Sœurs d'Israël et c'est pourquoi il a voulu que l'on soit en bleu et blanc, les couleurs d'Israël. » Quelques pages plus haut elle disait : « Je m'habillais déjà en bleu ciel, la couleur de Marie... »
En novembre 1982 elle participe à un pèlerinage en Terre Sainte, dirigé par le père Philippe. « J'étais envahie d'une tendresse incomparable, l'amour même du cœur de Marie pour son peuple bien aimé, (...) Je me sentais comme une enfant de ce peuple, une enfant qui rentre chez elle. (...) Je regardais chaque employé de la douane comme s'il était un ange et je pensais : -- Ah, s'il savait comme je l'aime ! » Etc. A Bethléem elle prie avec les israélites sur la tombe de Rachel et à Jérusalem seul compte le mur du Temple. Revenant en France, elle rencontre sa mère qui lui apprend qu'elle est juive. (Sa grand-mère parlait yiddish, sa mère était la secrétaire de Wallenberg, et elle raconte qu'en Hongrie on disait « musicien » pour éviter de dire « juif », mais elle ne savait pas qu'elle était juive...)
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Alors c'est le grand choc. Arrive Noël. « Moi seule sais ce que cela signifie d'attendre un petit enfant juif » (*sic*). Puis la nuit du 30 au 31 décembre où elle reçoit « toute la tradition de son peuple » (*sic*) par « révélation », dans « l'adoration la plus totale ». Une double révélation, puisque Dieu lui révèle aussi quelle sera sa mission : « Dans une intensité très élevée de prière, j'ai compris que Dieu me demandait, m'imposait, cette solidarité avec mon peuple », et elle a la vision d'une croix blanche d'où coulent des gouttes de sang : la croix d'Israël. « Je voyais ainsi l'immensité de la douleur de mon peuple. Et je voyais le cœur de Jésus et le cœur de Marie tourner le dos aux nations et pleurant, saignant, se pencher sur mon peuple, comme pour le protéger. »
Ensuite elle se rend dans une synagogue, où elle se fait remarquer par la « fougue » avec laquelle elle participe aux prières, rencontre divers rabbins, et instaure la pratique du judaïsme (c'est-à-dire du pharisaïsme -- rappelons que la véritable religion juive était fondée sur le Temple et les sacrifices) dans sa communauté religieuse : elle installe la Tora et le chandelier à sept branches dans la chapelle, la mezzouza (petit rouleau contenant une prière) sur le linteau de l'entrée, et... le drapeau d'Israël. Elle place une étoile de David sur la croix de son chapelet pour signifier la crucifixion du peuple juif (*sic*), entreprend les bains rituels de purification, introduit dans la communauté les règles cascher, des prières hébraïques quotidiennes et la célébration solennelle du sabbat.
Si l'on pouvait négliger l'aspect blasphématoire de ces « fables judaïques », comme disait saint Paul, il ne resterait qu'une vaste farce. *Ce qui est très grave est que les supérieurs ecclésiastiques de mère Myriam ne voient ni le blasphème ni même la farce, mais soutiennent cette démarche.* Mgr Lebourgeois, évêque d'Autun, qui a accepté le changement de nom de mère Marie-Catherine de sa communauté, « regarde avec beaucoup de tendresse paternelle et de bienveillance ce que nous faisons et nous laisse totalement libres dans nos initiatives et dans notre recherche (...).
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De même le vicaire général, le père Bernard Lambert, nous soutient. Quant à notre supérieur immédiat, le père Marie-Dominique Philippe, il nous appuie totalement ».
\*\*\*
Voyons donc de plus près ce que le père Philippe appuie totalement et ce que Mgr Lebourgeois regarde avec bienveillance, la mission qui est échue à mère Myriam de par la « volonté divine ». Voici tout d'abord une page particulièrement grandiose... :
« C'est à San Francisco aussi que j'ai rencontré M. Goldberg, un tsaddik -- un sage --, très vieux Juif qui a passé sa vie dans l'étude et dans la générosité. En me voyant, il m'a dit : -- Je savais que vous alliez venir, je vous attendais, vous êtes l'envoyée de Dieu pour notre peuple...
« Il m'a troublée car, la veille, j'avais fait un rêve qui me poursuivait encore. Dans mon songe, je me tenais sur une haute montagne en Israël et je priais. De là, je voyais la terre et particulièrement les lieux où les Juifs étaient persécutés. Je m'adressais à Dieu : « Comment peux-tu traiter ainsi Tes enfants ? Ceux qui Te sont le plus fidèles ? » et je lui ai montré des gens recueillis dans une synagogue. Et Dieu m'a dit : « Dans chaque génération ton peuple doit être persécuté quelque part sur la planète. Mais il se trouve chaque fois un Juif ou une Juive grâce à qui ce peuple est sauvé. » J'ai dit alors : « Me voici Seigneur. » C'était sans doute osé mais je n'y pouvais rien, c'était un rêve.
« Le lendemain, je rencontrais ce sage qui me disait ces mots : -- Vous êtes l'envoyée de Dieu afin de parler pour nous auprès des chrétiens.
« Beaucoup, en effet, me comparaient à la reine Esther, cette femme juive qui a sauvé son peuple des persécutions du roi Assuérus. J'ai raconté mon rêve au vieux sage et il a commenté : -- Lorsqu'on prie en rêvant, cela prouve que l'on est presque au niveau de Moïse !
« Il m'a annoncé que bientôt je verrais le pape pour lui parler de la reconnaissance de l'État d'Israël par le Vatican, un sujet qui me tient tellement à cœur ! De fait, j'ai pu rencontrer une seconde fois Jean-Paul II peu de temps après.
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Ce M. Goldberg sait interpréter les rêves et je lui ai raconté aussi ce que j'avais rêvé, quelque temps auparavant, que j'arrivais en Israël et qu'à l'aéroport déjà on me donnait un passeport israélien. J'allais ensuite dans les rues comme n'importe quelle Israélienne. Il m'a dit : -- C'est signe que vous avez part au monde futur.
« Puis il m'a avertie : -- On vous combattra au sein de l'Église, vous aurez beaucoup à lutter mais vous vaincrez. »
Je laisse le lecteur méditer par lui-même sur l'humilité, l'héroïsme et l'élévation spirituelle de mère Myriam (à mon avis elle est plus proche d'Élie que de Moïse, mais enfin, je ne suis pas aussi savant que M. Goldberg...). Voici un autre aspect de sa mission :
« J'ai déjà enseigné les fondements de la tradition à de nombreux Juifs. A l'occasion de visites dans certaines Communautés, c'est à moi que l'on demandait ce qui est permis et ce qui ne l'est pas. Je me sens réellement une vocation d'enseignement. Chaque fois que je l'ai fait, je me suis abstenue le plus rigoureusement d'aborder le problème du christianisme. J'ai toujours expliqué à ceux qui m'interrogeaient là-dessus que je me refusais à abuser de la confiance des gens qui m'écoutaient. Je me sens une vocation très claire d'amener les hommes à Dieu, d'enseigner le judaïsme le plus pur aux Juifs comme je me sens également appelée à ramener à une véritable foi en Dieu et en Jésus les âmes perdues non juives qui s'adressent à moi. »
Et il y a enfin ceci :
« J'ai pris conscience que les chrétiens ont beaucoup à faire pour réparer les torts faits aux juifs ». « Je suis convaincue que les chrétiens ne pourront pas s'unir tant qu'ils n'auront pas publiquement demandé pardon au peuple juif de l'avoir autant et si longtemps opprimé. » « Je dois souligner encore une fois que les chrétiens seront jugés en premier lieu sur leur attitude à l'égard des Juifs. »
« Pour moi, l'heure viendra à brève échéance où Dieu glorifiera Israël d'une manière sans précédent. Et je souhaite de tout mon cœur qu'à ce moment, et même avant, les chrétiens sachent reconnaître le péché bimillénaire de persécution et demandent pardon. Et je sais que Dieu est assez grand pour pardonner au pécheur qui se repent, faut-il encore qu'il se repente sincèrement. »
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« Ce que Dieu attend de son Église, c'est d'abord qu'elle demande pardon et ensuite qu'elle fasse un geste authentique en direction des Juifs, par exemple en reconnaissant l'État d'Israël. »
Reprenons tout cela, en ayant conscience que c'est un livre entier qu'il faudrait écrire pour répondre à mère Myriam. Évacuons d'abord la reconnaissance de l'État d'Israël par le Vatican. Ce qui nous intéresse est la religion de mère Myriam, or il s'agit ici d'une question diplomatique (du point de vue catholique, qui ne mélange pas tous les plans). Ce que l'on peut seulement dire est que les récentes « Notes pour une correcte présentation des Juifs et du Judaïsme » publiées par le Secrétariat pour l'unité des chrétiens (*sic*) et la rencontre entre Jean-Paul II et le roi du Maroc ne vont certainement pas dans ce sens. On pourrait se poser la question d'une possible manipulation de mère Myriam par l'État hébreu. « Mon peuple me fait une entière confiance », dit-elle à un moment, mais il semble qu'il s'agisse là d'une simple puérilité, et que mère Myriam se manipule toute seule (même si l'État d'Israël, qui l'invite à son ambassade parisienne, y trouve évidemment son compte). On peut se demander aussi plus simplement pourquoi mère Myriam ne va pas vivre en Israël (rappelons-nous le rêve du passeport israélien). La réponse est bien sûr que sa mission est dans les « nations ». Mais il y en a une autre qu'elle se garderait bien d'exposer : c'est que *pour l'État d'Israël mère Myriam n'est pas juive.* Pour les rabbins il suffit d'être né de mère juive pour être juif. Mais pour la loi (laïque !) israélienne, il faut de plus n'avoir jamais pratiqué une autre religion que la religion israélite. Ne pas correspondre à cette définition prive l'immigrant de tous les avantages réservés aux « vrais » juifs. Quelle humiliation ce serait pour mère Myriam !
Passons de la diplomatie à l'histoire, avec les « persécutions bimillénaires » des chrétiens contre les juifs. Il y aurait beaucoup à dire. Je signalerai seulement trois « détails » :
1 -- Il est bien connu que les papes ont toujours protégé les juifs, et il n'est que de voir les synagogues du Comtat Venaissin pour imaginer ce que pouvait être le bien-être des communautés juives au temps des papes d'Avignon.
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2 -- Pendant des siècles les juifs ont vécu en paix en Pologne, et il y avait des villes où la synagogue était plus grande et plus riche que la cathédrale.
3 -- Mère Myriam insiste évidemment sur la période nazie. Elle oublie simplement qu'au moins autant de catholiques polonais que de juifs polonais sont morts dans les camps installés en Pologne, car Hitler avait l'intention d'exterminer les Slaves comme il exterminait les Juifs et les Tziganes. Et si mère Myriam n'était pas aveuglée par son fanatisme, elle pourrait se souvenir de l'héroïsme de tant de chrétiens qui ont sauvé des juifs au péril de leur vie, de l'action clandestine de tant de communautés religieuses, d'évêques, du pape lui-même.
D'autre part, faut-il rappeler que les Actes des apôtres résonnent d'un bout à l'autre des persécutions des juifs contre les chrétiens ? Un seul exemple : « Il y eut ce jour-là (le jour du martyre de saint Étienne) une grande persécution contre l'Église qui était à Jérusalem, et tous, hormis les apôtres, se dispersèrent en Judée et en Samarie » (Actes 8, 1).
Le divin maître l'avait annoncé : « Ils vous excluront des synagogues, et l'heure vient où quiconque vous fera mourir croira rendre hommage à Dieu » (Jean 16, 2). Dans Matthieu (10, 24) il ajoute : « Le disciple n'est pas au-dessus de son maître, le serviteur n'est pas au-dessus de son Seigneur. » En effet, c'est d'abord le Christ qu'ils ont fait mourir. Et il faut être d'une mauvaise foi effarante pour prétendre, comme le fait mère Myriam, mais aussi le cardinal Lustiger, que ce ne sont pas les Juifs mais les Romains qui sont historiquement responsables de la mort de Jésus. Dès le chapitre 5 de son Évangile, saint Jean note : « les Juifs cherchaient à le tuer ». Il raconte ensuite toutes les tentatives d'arrestation et de lapidation, et il faudrait citer en entier les chapitres de la Passion. Ce ne sont pas quelques excités qui voulaient la mort de Jésus, mais les autorités religieuses régulièrement constituées. Ce sont elles qui l'ont arrêté et l'ont jugé. Seul l'occupant romain pouvait procéder aux exécutions capitales.
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Mais Jésus a dit à Pilate : « *Celui qui m'a livré à toi a un plus grand péché.* » Or c'est le grand-prêtre Caïphe qui l'a livré. Dans les Actes des apôtres, saint Pierre dit aux Juifs : « *Ce Jésus que vous avez crucifié, vous l'avez fait mourir par la main des impies, vous avez tué l'auteur de la vie.* »
Dans le chapitre 4 des Actes on lit ceci : « Contre ton saint serviteur Jésus que tu as oint, Hérode et Ponce-Pilate se sont ligués dans cette ville avec les nations et avec les peuples d'Israël, pour faire ce que ta main et ton conseil avaient décidé. » Il s'agit d'une prière, de la première glose chrétienne du psaume 2, par laquelle la communauté chrétienne de Jérusalem s'élève à un autre niveau : l'universalité de la rédemption. Les véritables causes de la mort de Jésus sont surnaturelles : ce sont les péchés de tous les hommes, Jésus se livre lui-même à la mort, obéissant à son Père, pour racheter tous les péchés. Cela, c'est la doctrine catholique. Et mère Myriam professe une imposture lorsqu'elle prétend que l'Église voit le peuple juif comme un peuple déicide. Témoin éminent de la Tradition, le catéchisme du concile de Trente applique le terme déicide aux chrétiens qui retombent dans le péché, et à eux seuls.
Les persécutions des juifs contre les chrétiens n'ont pas cessé avec la dispersion. Il est notable que la création de l'État d'Israël a reproduit ce qui s'était passé dix-neuf siècles plus tôt. Car il ne faut pas oublier qu'il y a une minorité chrétienne chez les Palestiniens, et que pour certains historiens ces chrétiens arabes persécutés ne sont pas autre chose que les descendants authentiques des premiers judéo-chrétiens.
On se rappelle que dans la page grandiose où Dieu révèle à mère Myriam qu'elle a été choisie pour sauver le peuple juif, celle-ci dit à Dieu en parlant des juifs : « ceux qui Te sont le plus fidèles ». Elle montre ainsi le degré de son apostasie. Pour elle les chrétiens sont des juifs de seconde zone. La grande révélation est celle dont les juifs sont dépositaires. Les chrétiens y sont rattachés par une révélation seconde, parce que Dieu dans sa grande miséricorde n'a pas voulu que les païens soient définitivement exclus du salut. Il découle logiquement de cette thèse qu'il ne peut être question de chercher à convertir les juifs, « ce serait absolument ignoble », « ce serait aller contre la volonté de Dieu ».
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Pour appuyer cette thèse il est évidemment nécessaire d'interpréter faussement les Écritures : « Jésus a dit expressément : Allez baptiser les nations. Les nations, c'est-à-dire les autres, les non juifs. » Ce verset de saint Matthieu ne peut être séparé de celui des Actes : « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, en Samarie, et jusqu'aux confins de la terre. » Mère Myriam va jusqu'à s'exclamer : « Qui sont ces chrétiens issus du paganisme pour décider si oui ou non les juifs doivent entrer dans l'Église ? » Ces « chrétiens issus du paganisme », eh bien ils ne font pas autre chose que de répéter ce que disait saint Paul, et il n'y avait pas plus juif que saint Paul : « *Gardez-vous des chiens,* disait-il aux Philippiens, *gardez-vous des mauvais ouvriers, gardez-vous des faux circoncis. Car c'est nous qui sommes les vrais circoncis, nous qui servons Dieu en esprit, nous qui nous glorifions en Jésus-Christ, sans nous flatter d'aucun avantage charnel. Ce n'est pas que je ne puisse prendre moi-même avantage de ce qui n'est que charnel ; et si quelqu'un croit pouvoir le faire, je le puis encore plus que lui, ayant été circoncis le huitième jour, étant de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, né hébreu de pères hébreux, quant à la loi : pharisien, quant au zèle : persécuteur de l'Église, et quant à ce qui est de la justice de la loi : ayant mené une vie irréprochable. Mais ce que je considérais comme des gains je l'ai regardé comme une perte à cause du Christ.* » Et il faudrait citer toute l'épître aux Galates (ce n'est pas la loi qui justifie, mais la foi au Christ), et bien d'autres choses, parmi lesquelles cette apostrophe de saint Paul aux juifs d'Antioche de Pisidie : « C'est à vous premièrement que la parole de Dieu devait être annoncée, mais puisque vous la repoussez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, voici, nous nous tournons vers les païens. » Jésus avait dit lui-même aux grands-prêtres et aux docteurs : « Le royaume de Dieu vous sera ôté pour être donné à un peuple qui en produira les fruits » (Mat, XXI, 43).
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La question centrale est celle de savoir si Jésus est oui ou non le Messie d'Israël. Il n'y a pas d'autre opposition entre juifs et chrétiens que celle-là. Mère Myriam élude la question. Elle l'éludait déjà en prétendant contre l'évidence que ce sont les Romains qui sont responsables de la mort de Jésus. Ou bien Jésus blasphémait en se faisant l'égal de Dieu, et alors il méritait la mort selon la loi de Moïse. Ou bien il était Dieu, et il fallait le reconnaître comme tel. Le sanhédrin était placé devant cette alternative, dont on ne peut pas sortir. Il faut absolument choisir un terme ou l'autre.
Elle l'élude de même pour le retour du Christ. Tous les soirs sa communauté récite cette prière : « Immaculée Myriam, fille d'Israël, Mère de tous les hommes et Médiatrice de toutes grâces, prie pour nous, hâte la venue glorieuse du Messie et prépare-nous à le recevoir. » « Certes c'est une prière chrétienne, commente-t-elle, mais on n'évoque pas le retour de Jésus (*sic*), on prie pour la venue glorieuse du Messie, termes acceptables des deux côtés. »
C'est faire bon marché, et de façon scandaleuse, de la parole de Jésus (aux juifs) : « Si vous ne croyez pas que Je Suis, vous mourrez dans vos péchés. » Et c'est faire une erreur effroyable sur le retour du Christ. Pour mère Myriam, lorsque le Messie viendra, ce sera la grande réconciliation entre juifs et chrétiens (ceux du moins qui auront demandé pardon aux juifs), les uns comme les autres étant récompensés pour leur fidèle attente. Mais c'est une thèse absurde. Si ce Messie est Jésus, ce sera fatalement la condamnation des juifs : « Celui qui me rejette et qui ne reçoit pas mes paroles a son juge. La parole que j'ai annoncée, c'est elle qui le jugera au dernier jour » (Jean 12, 48). Car « celui qui me rejette rejette Celui qui m'a envoyé » (Luc 10, 16). « Lorsqu'on ne vous recevra pas, dit Jésus à ses apôtres, sortez de cette ville (d'Israël) et secouez la poussière de vos pieds. Je vous le dis en vérité : au jour du jugement Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement que cette ville-là » (Mat, 10, 15).
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Le cas aberrant de mère Myriam ne nous intéresserait guère si elle ne bénéficiait pas de soutiens importants et si ses idées étaient seulement les siennes. Mais avec la garantie du père Philippe et la bénédiction de Mgr Lebourgeois, elle peut avoir une grande influence. D'autre part on voit le cardinal Lustiger, qui ne cache pas son désaccord avec mère Myriam sur la question de la pratique de la religion juive, professer la même erreur qu'elle sur le plan du prosélytisme chrétien en milieu juif (le juif pieux correspond à la volonté de Dieu tout comme le chrétien pieux, il n'y a donc aucune raison de vouloir le convertir).
Enfin on a pu voir un document du Vatican parler de la « venue du Messie » de la même manière que mère Myriam : « Attentifs au même Dieu qui a parlé, suspendus à la même parole (*sic*), nous avons à témoigner d'une même mémoire (*sic*) et d'une commune espérance en Celui qui est le maître de l'histoire. Il faudrait ainsi que nous prenions notre responsabilité de préparer le monde à la venue du Messie en œuvrant ensemble pour la justice sociale, le respect des droits de la personne humaine et des nations pour la réconciliation sociale et internationale. » (« Notes pour une correcte présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l'Église catholique. ») Ce document a rappelé à ceux qui l'avaient oublié que la « Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme », dont il émanait, fait partie du Secrétariat pour l'unité des chrétiens. Ce qui laisse entendre effectivement que juifs et chrétiens sont suspendus à la même parole et ont une commune espérance. Mais il se trouve que Notre-Seigneur Jésus-Christ, saint Pierre, saint Paul et l'Église nous ont toujours dit le contraire.
Yves Daoudal.
P.S. -- Dans un communiqué, les Petites Sœurs d'Israël Filles de l'Immaculée Médiatrice de toutes grâces disent que mère Myriam n'a pas vu le manuscrit de ce livre et a fait savoir à l'éditeur qu'elle s'opposait à sa publication.
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La communauté « déplore qu'on exploite pour des fins utilitaires (*sic !*) cette religieuse toute cachée, toute perdue en son Dieu et toute donnée aux plus pauvres ». On remarquera qu'il n'y a là aucun démenti à ce qui est dit dans le livre, dont la substance se trouvait déjà dans l'article de *Tribune Juive* qui fut publié en accord avec mère Myriam par ce même Emmanuel Haymann que l'on voit photographié au moment où il récite la bénédiction du sabbat à la communauté...
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## DOCUMENTS
### La situation religieuse s'aggrave
*Avertissement-explication*
*Les divers documents ci-après ne sont point classés selon leur importance ni selon leur chronologie, mais dans l'ordre où j'en ai eu connaissance.*
*Les impatients peuvent se précipiter d'abord s'ils y tiennent sur le plus récent : la lettre que m'adresse Mgr Marcel Lefebvre.*
*Mais qu'ils reviennent ensuite ici, au début, posément, calmement, studieusement. Ces textes ne sont pas publiés pour exciter dans un sens ou dans l'autre leur émotivité. Ils sont offerts à leur intelligence.*
PAR UNE ERREUR DE PERSPECTIVE, une partie de l'opinion catholique est actuellement suspendue à l'éventualité imminente d'une amélioration de la situation religieuse, due à un redressement dans le gouvernement de l'Église. Cette amélioration ou ce redressement serait même, selon certains, déjà commencé, par une remise en cause des déviations post-conciliaires.
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Malheureusement c'est le contraire qui est vrai. La crise religieuse s'aggrave sans cesse, et déjà du seul fait de sa durée ; du seul fait que l'autorité religieuse ne veuille pas ou ne puisse pas renverser le courant. Un exemple le fera comprendre. Depuis plus de quinze ans, les trois connaissances nécessaires au salut ne sont plus enseignées dans la catéchèse officielle de l'épiscopat, et simultanément les catéchismes catholiques sont interdits par cette catéchèse. Les défauts terribles d'une telle catéchèse n'ont pas forcément empiré : mais plus les années passent, et plus les conséquences épouvantables d'une telle défaillance se font lourdes. Plusieurs déclarations d'intention ont annoncé ou réclamé un redressement, elles ont été entendues avec soulagement. C'était un soulagement illusoire, puisque l'asphyxie spirituelle des enfants demeure inchangée ; et demeurant inchangée, elle étend et approfondit sans cesse le désastre.
\*\*\*
Il faut le répéter une fois encore : la crise générale de l'Église n'est pas sortie du concile. Elle était profonde déjà au moment où le concile s'est réuni. Et le concile ne s'en est même pas occupé, Jean XXIII ayant d'emblée disqualifié comme « prophètes de malheur » ceux qui voulaient en parler. C'est la crise religieuse fondamentale du XX^e^ siècle qui a ravagé intellectuellement l'épiscopat mondial, au point qu'il ne l'aperçoit même pas : « l'hérésie du XX^e^ siècle est celle des évêques ».
Dans un récent numéro du bulletin mensuel du CICES ([^8]), l'abbé Bryan Houghton résumait en quelques mots le point d'aboutissement maintenant atteint :
Il faut 800 ordinations par an pour que la France dispose des 40.000 prêtres nécessaires à la desserte des paroisses actuelles. Or il y en a 100. C'est-à-dire tout juste assez pour fournir des évêques et leur assurer « bureaux » et « commissions ».
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Un clergé qui, faute de vocations est en train de se réduire à l'épiscopat et à ses bureaux ! L'abbé Bryan Houghton en explicite la conséquence *institutionnelle,* que beaucoup ne comprennent pas encore très bien :
En tant qu'institution publique, malgré ses millions de catholiques, le catholicisme français est mort.
Plusieurs avertissements, de sources diverses, ont été lancés, publiquement ou non, dans les dernières semaines de l'année 1985, notamment à l'occasion du synode extraordinaire. Ils rejoignent ce que les analyses et commentaires d'ITINÉRAIRES n'ont cessé de mettre en lumière. Ils décrivent sous divers aspects cette aggravation continue de la situation religieuse. Il faut la regarder en face.
\*\*\*
On trouvera donc ci-après, textes intégraux :
-- Une conférence prononcée par Mgr Lefebvre au mois d'octobre.
-- Une lettre à Jean-Paul II de l'abbé Emmanuel du Taveau, directeur du périodique romain *Si si no no.*
*-- *La lettre de Mgr Marcel Lefebvre à moi-même (29 janvier 1986).
-- La lettre envoyée à Jean-Paul II par Mgr Lefebvre et Mgr Antonio de Castro Mayer (31 août 1985).
-- La réponse du cardinal Ratzinger (20 janvier 1986).
Il est fortement instructif de (re)lire ces textes un mois, trois mois, six mois après leur rédaction. Avec ce recul, ils n'ont que plus de poids.
J. M.
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### La conférence de Nantes
*Conférence* « *De la pertinacité dans l'erreur ou vers l'apostasie généralisée* »*, prononcée à Nantes, le 13 octobre 1985, par Mgr Marcel Lefebvre. Texte intégral.*
Il est nécessaire de faire le point car nous sommes à une époque dans l'Église où la situation évolue rapidement. Il y a seulement cinq ou six ans, il n'aurait pas été imaginable que le Cardinal Ratzinger ait publié le livre *Entretien sur la foi* mis en librairie avant les vacances. Cela n'aurait certainement pas été accepté, même par le Saint-Siège. C'est un événement qu'un membre éminent de la Curie romaine se permette de constater d'abord dans une interview, puis dans un livre que la situation de l'Église est telle qu'elle paraît une véritable catastrophe. Lorsque je l'avais rencontré en janvier dernier, après une interview et avant la parution de son livre, je lui avais dit :
« Éminence, je suis stupéfait de ce que vous avez écrit. Je n'aurais pas osé moi-même faire un pareil diagnostic ! Quand vous dites que pour vous l'Église d'Europe ne possède plus d'une manière parfaite la croyance en la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'est énorme ! Il s'agit du fondement même de notre Foi ! Vous dites aussi que l'Amérique du Nord ne considère plus comme possible la loi morale imposée par le Décalogue et que chacun en définitive suit sa propre conscience. Vous constatez que l'Amérique du Sud et l'Amérique centrale s'adonnent à la théologie de la libération qui n'est jamais autre chose qu'un succédané du communisme et pratiquement l'une des conséquences de l'application des Droits de l'homme. Enfin, dans les pays du tiers-monde, c'est le domaine de l'acculturation, c'est-à-dire l'adaptation de l'Église aux différentes cultures africaines, indiennes, japonaises, que sais-je... ».
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Le Cardinal lui-même l'écrit : *il y a grand danger que ces Églises ne soient plus catholiques.* Voilà une description incroyable, qu'aucun membre de la Curie n'aurait jamais osé faire. C'est un acquis considérable. Au moins maintenant on ouvre les yeux sur cette autodémolition de l'Église dénoncée par le pape Paul VI, mais dont on n'avait pas vraiment montré la réalité. Ce livre est paru au moment où le pape a décidé de réunir en synode un certain nombre de cardinaux et de présidents de conférences épiscopales, à Rome à partir du 24 novembre, pour deux semaines. C'est peu de temps pour discuter d'aussi grands et graves problèmes.
Peut-on avoir un grand espoir dans ce synode, ou y a-t-il des raisons d'être encore plus inquiet. Je ne suis pas prophète et je ne sais pas ce qui se passera. Il y surviendra peut-être des faits inattendus. Il suffit que l'un des membres un peu courageux se lève pour constater que l'Église est vraiment en danger, pour que d'autres se groupent avec lui. Je ne le sais pas.
Si l'on en juge d'après les textes dont nous disposons qui ont été publiés par L'OSSERVATORE ROMANO, par le secrétaire du synode, Mgr Jan Schotte, ou par les déclarations faites à plusieurs reprises par le pape, ou encore par les informations publiées dans les journaux, il est question tout simplement de remettre en valeur le Concile Vatican II, vingt ans après sa clôture.
D'après les autorités de l'Église la réponse est claire : il faut redonner toute sa vigueur à Vatican II, une vie plus grande, une application plus profonde. Il n'est pas du tout question, dans aucune déclaration, de porter un jugement sur les effets du Concile, ni d'un retour en arrière, ni même d'une correction de Vatican II.
J'ai sous les yeux les questions qui sont posées aux évêques pour le synode. Voici par exemple la quatrième : *Quelles ont été les difficultés dans l'application du Concile et qu'est-ce qu'il faut faire, qu'est-ce que doit suggérer le synode pour que soient mises en valeur et continuées les orientations selon l'esprit et la lettre de Vatican II ?*
On ne met pas en doute que l'esprit, que la lettre du Concile ne soient parfaits.
Il en va de même pour les autres questions : Il s'agit toujours de savoir pourquoi l'application du Concile n'a pas toujours été parfaite. Alors comment mettre en œuvre « l'esprit du Concile » ? C'est là une situation très grave, car c'est au nom de l'esprit du Concile que l'on a fait toutes les réformes de la liturgie, des séminaires, des épiscopats, des congrégations...
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Il ne semble donc pas du tout être question de nous donner raison. Pas question de dire : regardez les traditionalistes, ils ont beaucoup de succès, ils se développent de plus en plus, ils ont des vocations, des religieuses, des séminaristes ; leurs centres se multiplient, leur organisation est toujours de plus en plus importante, les fidèles sont de plus en plus nombreux, il y aurait peut-être là un problème à examiner. Pas question du tout de cela. Nous sommes encore traités, dans son livre, par le Cardinal Ratzinger, de « retardataires », de « gens qui s'attachent au passé, qui ne veulent pas évoluer, qui n'ont pas compris le Concile », qui sont donc pratiquement à négliger, ou même à condamner. Voilà les faits.
Il y a aussi dans le livre du Cardinal, la constatation de certains abus comme celui du catéchisme français, ou la théorie de la théologie de la libération. Mais vous avez vu comment ces choses-là ont été traitées. Le Cardinal Ratzinger est même venu en France. Il a parlé à Lyon, à Notre-Dame de Paris. Il a fait des déclarations. Qu'est-ce qu'il en est résulté ? Pratiquement rien. Les évêques continuent d'utiliser « PIERRES VIVANTES ». Ce catéchisme est le livre officiel dans tous les diocèses. Il est entre les mains des enfants.
Quant à la théologie de la libération, il y a eu de grandes déclarations au sujet du tristement fameux Père Roff, franciscain. On l'a fait venir à Rome. On a discuté avec lui. On lui a dit qu'il fallait qu'il se taise pendant un an. Alors cela a été un tel tollé de la part de ses confrères franciscains et capucins, et même de son Supérieur général, que l'on a laissé faire. L'ancien secrétaire de la conférence épiscopale de Lyon, recteur des facultés catholiques, l'a invité à faire une conférence dans la ville primatiale des Gaules et l'a félicité.
Le Cardinal Arns, archevêque de Sao Paulo, donc l'évêque le plus important du Brésil, vient de faire une conférence à l'Université de Fribourg en Suisse, au cours de laquelle il a critiqué ouvertement le Vatican au sujet de la soi-disant condamnation du Père Boff.
Tout cela ne constitue que des coups d'épée dans l'eau, sans résultat, si ce n'est que Rome perd de son autorité en agissant de la sorte. Ou bien ces gens sont à condamner et alors il faut condamner les évêques de France pour leur catéchisme, il faut le faire retirer des mains des enfants immédiatement, le détruire, ou bien alors pourquoi faire toutes ces déclarations si on les laisse continuer ?
**Vers l'apostasie généralisée**
Ce manque d'autorité, cet anéantissement du gouvernement dans l'Église se sont manifestés ces temps derniers d'une manière excessivement grave. Je pense sincèrement que l'on peut dire en toute vérité que l'on va vraiment vers l'apostasie généralisée. Elle a été prédite par l'Évangile, par la Très Sainte Vierge lors de ses apparitions notamment à Fatima. Il est bien écrit dans l'Évangile : « Quand le Seigneur Jésus reviendra trouvera-t-il encore la foi sur terre ? »
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Ces faits que je vais vous exposer constituent peut-être une contribution de la Providence pour nous éclairer. Dans nos milieux traditionalistes on demeure dans une certaine ambiguïté. On n'ose pas prononcer un jugement assez sévère et l'on reste sur la réserve. Certes il faut être prudent, il faut être charitable, il faut prendre le temps de juger quand il s'agit surtout des autorités comme les évêques, à plus forte raison quand il s'agit de Rome et du pape. C'est clair, il faut être prudent, patient, ne pas juger sans preuve, sans apporter des faits.
Or voici que ces derniers temps, l'Assemblée épiscopale d'Angleterre, l'Assemblée épiscopale d'Allemagne et l'Assemblée épiscopale de Suisse viennent de sortir trois documents qui sont manifestement des textes émanant d'évêques qui ne sont plus catholiques.
**Angleterre :\
menace de rupture avec Rome**
Le document anglais a été résumé et exposé par M. Hamish Fraser, qui publie une excellente revue, APPROCHES. Il s'est très souvent montré réservé vis-à-vis de nous et ne nous a pas ménagé ses critiques. Son jugement n'est donc pas partial, bien qu'il commence à constater en raison des graves événements actuels, que nos fermes positions sur la messe et le Concile se justifient chaque jour davantage.
Il est rejoint dans son appréciation du texte publié par les évêques anglais, par Michael Davis qui a publié plusieurs ouvrages avec beaucoup d'érudition sur les transformations de la liturgie depuis Vatican II, les mettant en parallèle avec celles qui ont marqué l'anglicanisme par la volonté de Cranmer. Mais Michael Davis n'a pas toujours été ferme dans ses conclusions. Quoiqu'il ait fort bien écrit sur la messe, il voudrait nous faire croire qu'il y a des messes nouvelles qui sont bonnes. Ce n'est pas notre position. Nous pensons que la manière dont le nouvel *Ordo Missae* a été inspiré est mauvaise. C'est une réforme œcuménique, faite dans un sens protestant, avec la participation de cinq pasteurs protestants, ainsi que la « Documentation catholique » nous en a fourni la preuve en publiant une photographie les représentant autour du Saint-Père. Eh bien leur participation a rendu cette messe mauvaise. Je ne dis pas qu'elle soit hérétique ou qu'elle soit invalide, mais elle est mauvaise parce qu'elle est empoisonnée par cet œcuménisme.
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Il n'est donc pas question de dire une nouvelle messe, car elle est le résultat du travail fait par des protestants en union avec des catholiques pour faire une espèce de messe hybride. On ne peut pas dire qu'une messe de ce genre soit bonne. Ainsi que l'écrivait dans son livre M. Salleron : elle est dangereuse pour les âmes.
Ces deux écrivains anglais, qui ne sont pas tout à fait d'accord avec nous, disent : « Nous sommes en Angleterre, dans la situation des catholiques et donc du catholicisme au moment de l'anglicanisme. C'est-à-dire que les évêques se sont séparés de Rome. Si les évêques anglais ne disent pas qu'ils se séparent de Rome, ils ont l'esprit de cette séparation. Ils disent qu'ils veulent rester unis au pape, mais pas soumis. Ils veulent que le pape leur donne leur indépendance à la manière dont les anglicans se la sont octroyée. »
Par exemple, le Cardinal Hume, évêque catholique de Westminster, président de la conférence épiscopale anglaise et président de toutes les conférences épiscopales européennes, a demandé qu'on ordonne des gens mariés. Il voudrait que le pape laisse la conférence épiscopale anglaise agir à sa guise en ce domaine et en d'autres, car il estime que le pape n'a pas constamment à intervenir dans l'action d'une conférence épiscopale. C'est, disent ces deux écrivains anglais véritablement épouvantés, une rupture d'obéissance vis-à-vis du pape, donc une situation extrêmement grave.
**Allemagne : mariages mixtes :\
égalité entre les deux religions**
J'ai en mains le document rédigé par la conférence épiscopale d'Allemagne le 1^er^ janvier, publié tardivement et diffusé tout récemment. C'est en fait une déclaration commune à la conférence épiscopale d'Allemagne et au Conseil de l'Église évangélique au sujet des mariages mixtes.
On ne dit d'ailleurs plus mariages mixtes, mais mariages entre conjoints de confessions différentes. Ce document traite de cette question exactement comme si la religion catholique et la religion protestante étaient absolument à égalité, sans aucune différence entre l'une et l'autre. Voici quelques citations :
« *Les chrétiens qui appartiennent à des églises différentes sont reconnaissants de ce qui les unit dans la foi. C'est dans une version identique que se récite le Notre Père dans l'une et l'autre église. A peu de distinctions près c'est la même profession de foi.* »
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Que des évêques osent dire qu'il y a peu de différence !...
Une seule et même Bible est lue et commentée dans les deux églises.
Oui, ils ont fait une Bible œcuménique dans laquelle ils ont supprimé ce qui déplaisait aux protestants. Alors ces derniers l'acceptent bien sûr ! Ce n'est plus la Bible catholique !
« *Le baptême qui se donne par ondoiement ou par immersion au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit dans une unique église est reconnu par l'Église catholique et l'Église évangélique. D'importantes parties de la liturgie dominicale sont identiques...* »
C'est clair, ils le disent bien : la liturgie est la même.
« ...*En dépit de quelques différences concernant l'interprétation et la pratique de l'Eucharistie.*
« *A propos de la responsabilité du chrétien, du service caritatif que celui-ci doit pratiquer dans la vie il existe une forte identité de vue unissant les églises dans leur enseignement et leur action. Les chrétiens de confessions différentes, unis par le mariage, se sentent portés par cette communauté de foi.* »
Comme si les deux églises, les deux professions de foi étaient les mêmes !
C'est incroyable que ce soient des évêques qui assurent des choses semblables ! Si l'on se rappelle seulement les dispositions de l'Église catholique concernant les mariages mixtes dans le Droit Canon ancien et l'ancienne discipline de l'Église, ces déclarations sont stupéfiantes.
Et le texte poursuit :
« *De nombreux couples de confessions différentes pensent pouvoir vivre entre les églises et développer pour ainsi dire de nouvelles formes communautaires œcuméniques, mais cette volonté se heurte rapidement à des limites, car être chrétiens implique un enracinement concret, une immersion concrète dans l'Église. C'est pourquoi dans un couple dont les conjoints sont de confessions différentes, chaque partenaire doit pleinement respecter J'appartenance ecclésiale de l'autre. Ce respect inclut le fait de s'informer soigneusement sur l'autre église, de détruire les préjugés reçus et d'apporter chacun de son côté son propre héritage ecclésial dans le mariage et la famille en sorte que les deux partenaires enrichissent par là leur vie commune.* »
Comme l'on voit, il n'y a plus aucune différence entre les deux églises. La question se pose ensuite de savoir dans quelle confession vont être élevés les enfants. C'est un problème capital ! On se souvient que dans le cas des mariages mixtes, avant le Concile, l'Église faisait signer un engagement par le conjoint protestant par lequel il acceptait que les enfants soient baptisés et élevés dans la religion catholique. Si le partenaire protestant n'acceptait pas de signer ce papier, l'Église refusait de bénir le mariage et de donner la dispense nécessaire.
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Si la partie catholique se présentait avec la partie protestante devant le pasteur pour faire le mariage, la partie catholique était excommuniée. Pourquoi cette sévérité, cette vigilance de l'Église catholique ? Mais pour sauvegarder la foi ! L'Église catholique croit que la foi catholique est la seule voie véritable du salut. L'Église ne peut pas permettre de voir les enfants élevés dans une autre religion que la seule vraie religion, seule voie de salut.
Le texte poursuit :
« *En aucun cas, les enfants ne doivent se tenir entre les confessions et rester sans insertion ecclésiale. C'est pourquoi il est instamment conseillé de régler à temps entre les fiancés la question de savoir dans quelle église les enfants doivent être baptisés et éduqués...* »
C'est inouï, absolument incroyable !
Donc les fiancés doivent régler par eux-mêmes de quel côté ils baptiseront et élèveront leurs enfants. Le père de famille pourrait dire : moi je prends les garçons et les garçons seront protestants. La mère de famille prendra les filles, qui seront catholiques. Ce n'est pas contraire à un règlement ou à une loi ecclésiastique. C'est contraire à la loi divine, à la loi de la foi : « Celui qui croit sera sauvé, celui qui ne croit pas sera condamné » a dit Notre-Seigneur. Par conséquent ni l'Église, ni aucun pape, aucun évêque n'a le droit de dispenser de la foi, de dire : peu importe, il peut avoir la foi protestante. C'est Dieu qui a décidé quelle était notre foi. C'est la foi catholique !
Donc, poursuit ce texte commun, ce sont les fiancés qui doivent régler la question de savoir dans quelle église les enfants seront baptisés et éduqués, *les ministres sont là pour donner des conseils de pastorale. Ils sont tenus, en vertu des recommandations faites d'un commun accord par les deux églises, d'agir avec compréhension.*
« *Pour les décisions nécessaires concernant les enfants, seuls doivent être décisifs la conscience du partenaire lié par sa foi, ainsi que le bien de la famille et des enfants. Le respect mutuel que les parents, chacun de son côté, témoignent envers la religion du partenaire, aidera ceux-ci à trouver leur voie dans un esprit d'œcuménisme.* »
Et voilà ce qu'écrivent des évêques !
Nous pourrions conclure sur ce sujet. Puisque le Droit Canon dit que la partie catholique qui se présente devant le pasteur protestant pour faire son mariage est excommuniée, il me semble que cette excommunication tombe sur les évêques qui encouragent les fiancés à aller où ils veulent, dans n'importe quelle religion. Il y avait des peines qu'encouraient les parents catholiques qui n'élevaient pas leurs enfants dans la religion catholique. Ce sont maintenant les évêques qui sont responsables de cette décision. Ce sont donc les évêques qui sont coupables et l'excommunication tombe sur eux.
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Je vous assure que si pareille chose avait été faite du temps du pape Pie XII et même juste avant le Concile, le pape aurait excommunié tous les évêques qui auraient signé un texte semblable. Mais, maintenant avec cet esprit œcuménique qui règne à Rome, il n'y a plus de limite. On ne sait plus où est la Vérité et l'erreur, si la religion protestante est encore hérétique, n'est plus hérétique, si elle fait partie de l'Église catholique. On ne sait plus. Il n'y a plus de définition. On parle de l'Église-communion, c'est le terme que le pape emploie dans sa présentation du nouveau Droit Canon, quand il essaye de définir l'Église : l'Église est une communion. Une communion ? Il ne dit plus que c'est une véritable société. Cette communion commence où, finit où, on ne sait pas. On reste dans le vague.
**En Suisse :\
encouragement à l'union libre**
Le troisième document émane des évêques suisses. Il est encore tout récent.
Le 22 septembre, le gouvernement fédéral suisse a présenté une loi nouvelle sur le mariage qui dépasse tout ce que l'on peut imaginer, loi qui n'est d'ailleurs pas propre à la Suisse, puisque le Canada l'a plus ou moins adoptée. Quand je me trouvais au Canada, au mois de mai, les chrétiens étaient stupéfaits, scandalisés, à la pensée que déjà la loi permette à la femme de ne pas porter le nom de son mari. Deuxièmement, la femme n'est plus obligée d'habiter avec son mari. Elle peut avoir un autre domicile. Troisièmement, elle peut réclamer un salaire pour le temps qu'elle passe à servir son mari ! (*Rires*) Quatrièmement, les enfants sont aidés par un juge en cas de difficultés avec leurs parents. S'ils ont à se plaindre soit du père, soit de la mère, ils s'adressent à ce juge qui peut traduire en justice le père ou la mère. Eh bien cette loi a été proposée par le gouvernement fédéral et les évêques ont été d'accord !
Voici quelques passages de la lettre rédigée par la conférence épiscopale qui s'est tenue les 3, 4 et 5 juin à Einsiedeln. Les évêques suisses considèrent que cette loi constitue un progrès par rapport aux lois précédentes qui ne reconnaissaient pas l'égalité de traitement des époux devant la loi. Ces lois reconnaissaient à l'homme seul le droit de décision, de disposition ou de représentation ; un authentique partenariat (parce que maintenant, il n'est plus question de mariage, mais de partenariat, c'est-à-dire que ce sont deux partenaires qui font un contrat ensemble, à égalité), exige que les partenaires soient mis sur le même pied.
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Ce sont les évêques qui disent cela !
Un véritable partenariat suppose que les partenaires puissent décider eux-mêmes de la répartition des rôles à l'intérieur de leur communauté. Mais cette nouvelle loi élimine toute disparité entre homme et femme et renonce à préciser le rôle de chacun d'eux, ce que faisait l'ancienne législation. Le nouveau texte accorde aux époux la pleine liberté de cette répartition, le droit de la famille gagne ainsi en ouverture. Il n'y a plus un modèle type de famille imposé par la loi, mais chaque foyer a la responsabilité de déterminer librement qui assume tel ou tel rôle dans le foyer. Le nouveau droit tient donc aussi compte du pluralisme dans la conception de la famille tel qu'il existe dans la société contemporaine.
Si les évêques s'étaient prononcés contre cette loi, elle ne serait pas passée. Ce sont eux qui en portent la responsabilité car cette loi a été adoptée le 22 septembre à une faible majorité. C'est une honte pour les évêques de l'avoir soutenue.
Le Cardinal Gagnon, président à Rome de la Commission de la Famille, qui est assez traditionnel et courageux, a été tout de suite sollicité par quelques catholiques, des avocats suisses catholiques, pour le supplier d'intervenir auprès des évêques afin qu'ils se rétractent. Le Cardinal a dit : « Oui, je sais très bien ce qui se passe. Il y a eu une réunion dans une capitale d'un pays de l'Est, où ont été invités -- sans doute par les pouvoirs maçonniques -- des représentants de toutes les nations, afin de mettre en route cette nouvelle législation sur le mariage. »
Alors on a commencé par le Canada, maintenant c'est la Suisse, plus tard ce sera la France et d'autres pays. Cela se présente comme cela s'est passé pour l'avortement, le divorce et la contraception, toutes ces lois qui détruisent le mariage.
Ces misérables n'ont d'autres buts que de détruire la cellule la plus fondamentale de la société, celle sur laquelle reposent toutes les bases de notre vie sociale. Pauvres enfants qui naîtront, s'ils naissent d'unions semblables ! Il s'agit en ruinant l'autorité du mari toujours de la même chose : libération, libération...
Que va-t-il se passer ? On va arriver à l'union libre tout simplement, à la destruction totale du mariage. Quel avantage aura le mari d'avoir une épouse qui est soi-disant son épouse, mais qui ne porte pas son nom, qui ne vit pas avec lui, qui lui demande un salaire pour ce qu'elle fait pour lui et s'en va trouver le juge pour le faire condamner à la moindre altercation. Le mari n'aura plus aucune autorité, même pas sur ses enfants.
Que les francs-maçons veuillent l'union libre, la destruction du mariage, de la famille, de la société, de tout ce que le Bon Dieu a fait, des lois naturelles et surnaturelles, qu'ils veuillent détruire l'Église et remplacer les lois divines par les Droits de l'homme, il ne faut rien attendre d'autre de leur part ; mais que l'Église suive actuellement le même mouvement ce n'est pas imaginable.
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Toutes ces destructions voulues par les ennemis de Notre-Seigneur, de Dieu, c'est le programme du démon. Maintenant, l'Église suit ce programme, ou plus exactement les hommes d'Église, car l'Église, elle, est sainte et elle ne peut *pas* se tromper.
Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons, une situation de combat terrible. Mais que peut-on faire, quand ce combat se situe au niveau des évêques ?
Je pense vraiment que ces évêques ne sont plus catholiques. Je suis de plus en plus persuadé par les actes qui sont commis par les évêques et les prêtres qui refusent la Tradition ou s'y opposent, que dans leur grande majorité ils s'éloignent de l'Église catholique et qu'ils sont devenus schismatiques. On ne peut pas être catholique et diffuser des hérésies.
Qu'est-ce qui est arrivé pour que nos évêques en soient là ? Il n'est pas possible que des évêques catholiques puissent dormir tranquillement se considérer comme chefs de diocèses, successeurs des Apôtres et mandatés par l'Église alors qu'ils publient de tels textes et qu'ils mettent dans les mains des enfants des familles de leurs diocèses des catéchismes qui sont contre la doctrine de l'Église et qui détruisent la foi des enfants.
C'est insensé ! Le Cardinal Ratzinger lui-même le leur a dit !
**Qui fait le schisme ?**
On me dit quelquefois : « Mais enfin Monseigneur, vous vous rendez compte de ce que vous faites ? » Des prêtres, des laïcs, qui ne sont pas avec nous, mais mesurent quand même les difficultés de l'Église, me disent : « Vous êtes en train de diviser l'Église, vous êtes en train de vous éloigner, vous êtes en train de faire un schisme. »
Je réponds : mais qui fait le schisme ? Nous ? Ou les autres ? Voyez les fruits. Regardez. Soyez logiques. Regardez nos groupes traditionalistes comme ils se multiplient, voyez nos séminaires, nous n'avons jamais eu autant de vocations que cette année, malgré les difficultés que nous avons avec les évêques qui sont contre nous et même avec Rome, où on ne nous approuve pas, non pas que l'on n'ait pas pour nous une certaine estime, car on sait que nous formons de bons prêtres. Ils ne sont pas aveugles à ce point !
Cependant ils voudraient que nous signions un papier comme quoi nous reconnaissons tout le Concile, sans excepter aucun texte et que nous acceptions les réformes. Alors on nous donnera la Tradition. Mais c'est précisément parce que nous ne reconnaissons pas cela, parce que nous disons que cela est mauvais, que nous ne le prenons pas. Si nous reconnaissons que le Concile est bon, pourquoi le critiquer ?
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Si nous reconnaissons que les réformes sont bonnes, pourquoi ne pas les prendre ? Pourquoi conserver l'ancien, si le nouveau est bon ? C'est ridicule ! Prenons ce qui est bon et puis c'est tout. Nous disons que dans le Concile, il y a des textes comme celui de la Liberté religieuse qui est la source du faux œcuménisme, qui sont mauvais, dont sont victimes les évêques allemands et il faut bien le dire, le pape lui-même. Cet œcuménisme qui vient de la Liberté religieuse, nous ne pouvons pas l'accepter. Il est contraire à la doctrine de l'Église et cette conception a été condamnée par tous les papes.
Apparemment, nous sommes en marge de l'Église officielle, mais en fait je vous l'assure c'est vous qui êtes l'Église. Ce sont nos prêtres et moi-même qui continuons l'Église. Pourquoi ? Parce que l'Église a vingt siècles d'existence et si je m'écartais de la voie qu'elle a suivie pendant ces vingt siècles, alors oui, vous auriez raison de dire que je suis schismatique.
Je continue de faire ce que j'ai fait jusqu'au Concile et qui m'a valu d'être nommé archevêque, délégué apostolique, supérieur général de la Congrégation des Pères du Saint-Esprit, assistant au trône pontifical, d'être reçu tous les ans par le pape Pie XII, qui, s'il avait vécu m'aurait peut-être fait cardinal. Alors étais-je dans l'erreur ?
Délégué apostolique, c'est comme un nonce, c'est une charge importante. Quand elle m'a été confiée il y avait trente-quatre diocèses en Afrique et soixante-deux quand je suis parti.
Si l'on a trouvé bien ce que je faisais en ce temps, la messe que je disais, les séminaristes que je formais, pourquoi serait-ce changé maintenant ?
Sur l'ordre du pape Pie XII j'ai fondé quatre conférences épiscopales en Afrique, en A.O.F., au Cameroun, à Madagascar et en A.E.F., et je les ai présidées pendant onze ans. J'y allais régulièrement discuter avec les évêques des réalisations communes : un journal, un grand séminaire régional. C'était tout à fait légitime et très bien. Mais ces conférences n'avaient pratiquement aucun pouvoir par elles-mêmes. Chaque évêque demeurait complètement libre dans son diocèse et les conférences épiscopales n'étaient prolongées par aucune commission permanente, car on sait trop ce que deviennent ces commissions ! Ce sont elles qui commandent à la place des évêques. Tout cela était en parfaite conformité avec l'esprit de l'Église. Je ne vois donc pas pourquoi tout à coup après cet extraordinaire Concile, les quelques évêques, qui, comme moi, ont voulu continuer la Tradition, se sont trouvés en butte à des épithètes et des persécutions invraisemblables.
Comment puis-je être en dehors de l'Église, en continuant toujours de faire ce qu'il était normal de faire dans l'Église ? Si nos séminaires ont beaucoup de succès, c'est qu'ils ne diffèrent pas de ceux que j'ai créés ou orientés en Afrique. Alors pourquoi voudrait-on les fermer, quand les séminaires diocésains ferment tour à tour, faute de séminaristes.
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**70.000 prêtres mariés**
Il y a eu récemment une réunion à Castelgandolfo, qui a réuni quatre-vingts prêtres mariés, représentant les soixante-dix mille prêtres qui se sont mariés depuis le Concile. Ils ont envoyé un message au pape lui demandant que ces prêtres réduits à l'état laïque par le Saint-Siège et mariés légitimement, soient réintégrés dans leurs fonctions sacerdotales. Deuxièmement, ils veulent que le pape continue à accepter des autorisations de mariage, puisqu'il y a -- paraît-il -- encore deux mille demandes de mariages de prêtres sur le bureau du Saint-Père. Et ils ont ajouté : si vous n'accordez pas ces autorisations immédiatement, c'est vous qui êtes coupable du concubinage dans lequel vivent ces prêtres.
Voilà le résultat du Concile ! Les rares séminaires qui fonctionnent encore -- les inspections qui y sont faites le constatent -- délivrent une formation déplorable.
Alors pourquoi devons-nous continuer malgré l'étrangeté apparente de notre situation ? Parce que ce n'est pas nous qui faisons schisme, mais bien ceux qui s'éloignent de l'esprit de l'Église, de la Tradition de l'Église. En invoquant « l'esprit du Concile » ils vont de plus en plus loin dans le schisme.
Dans une interview accordée au journal américain WONDERER qui lui demandait : « Que pensez-vous des prêtres américains ? », le Cardinal Gagnon a répondu : « Ils sont schismatiques. » Le journaliste a poursuivi : « Et Rome qu'en dites-vous ? » Le Cardinal a répondu : « Rome se dirige vers le schisme. » Cela se passait avant qu'il ne soit nommé cardinal. Comment l'a-t-il été après des réponses pareilles, je ne sais pas !
C'est pourquoi nous avons un petit espoir en lui.
**Et le pape ?**
Vous avez sans doute été comme moi douloureusement frappés par les paroles que nous avons entendu prononcer malheureusement par le pape lui-même. Est-il possible qu'il n'en mesure pas toute la portée ? Lorsqu'il se trouvait récemment au Maroc par exemple, avec le roi Hassan II, les journaux ont rapporté que le Saint-Père avait dit au souverain : « Nous adorons le même Dieu et la voie pour y parvenir diffère de très peu. »
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Mais ce n'est pas vrai que nous ayons le même Dieu ! C'est contraire à l'Évangile de saint Jean et toutes les affirmations de Notre-Seigneur sont les mêmes : « Celui qui n'a pas le Fils, n'a pas le Père. » « Celui qui ne croit pas en Jésus-Christ, ne croit pas en Dieu. » C'est là une constatation constante. Celui qui nie le Fils est condamné parce qu'il n'a pas le Père. Il reste dans la colère de Dieu, dit Notre-Seigneur. C'est clair. Ce n'est pas le même Dieu que nous adorons, puisque les musulmans disent de Notre-Seigneur que c'était un prophète, mais ils nient sa divinité et nous reprochent d'être des idolâtres parce que nous adorons un homme. Nous sommes des infidèles bons à être tués.
Je connais bien les musulmans. J'ai vécu quinze ans au milieu d'eux ! Voici l'un de leurs proverbes : « Baise la main que tu ne peux pas couper. » Tant qu'ils sont les plus faibles, ils vous baisent la main. Le jour où ils sont les plus forts ils vous coupent la main. Le jour où ils seront des millions en France, ils nous couperont la tête à tous.
La voie qui nous mène à Dieu diffère de très peu. Mais, vous l'auriez répondu tout de suite : c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ la voie pour aller au Ciel, pour aller à Dieu. Alors puisque les musulmans ne croient pas en Jésus-Christ, comment peut-on dire que la voie qui nous mène à Dieu diffère de très peu de chose !
C'est comme avec le Conseil Œcuménique des Églises. Tout récemment des délégués de cette organisation ont été reçus au Vatican. Je l'ai lu dans l'OSSERVATORE ROMANO. Vous savez que le Conseil Œcuménique des Églises envoie de l'argent à ceux qui font la révolution partout dans les pays d'Afrique, dans le tiers-monde, au Nicaragua.
Eh bien le pape leur a fait un discours qui est caractéristique. Il n'a parlé pratiquement que de chemin à faire ensemble, de dialogues, de bonnes relations à avoir, de complaisance entre les uns et les autres, de se rendre mutuellement service, etc. Qu'est-ce que cela signifie ?
Dans sa réponse le pasteur protestant, qui est d'ailleurs le président de la Fédération luthérienne en France, a été beaucoup plus concret. Il a dit : « Oui, mais il ne s'agit pas seulement de dialogues, il faut que nous fassions des actions communes, que nous marchions, que nous agissions vraiment ensemble. » C'est ainsi quand on est pris dans l'engrenage !
Que devons-nous dire aux protestants ? Quel doit être notre dialogue ? Convertissez-vous à Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Devenez catholiques, c'est tout ! C'est le langage que j'ai tenu il y a peu de temps en bénissant une magnifique église que nous avons achetée aux protestants en Irlande : il reste à faire un vœu, c'est que tous les protestants qui ont fréquenté cette église deviennent catholiques ! Naturellement les journaux se sont empressés de publier cela dans les informations, parce que c'est un langage qui n'est malheureusement pas très commun à notre époque.
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Prions pour que l'Église ne devienne pas un jour membre de ce Conseil Œcuménique des Églises. Ce jour-là serait un jour de honte pour l'Église catholique. Déjà il me semble que la présence du pape au Conseil Œcuménique des Églises, à Genève, était suffisamment douloureuse. Le voir sur les photographies au même rang, sur le même pied que les représentants des sectes, nous en avons eu le cœur serré. Ce n'est pas là la place de Notre-Seigneur Jésus-Christ, du Vicaire de Jésus-Christ, car le Vicaire du Christ est le représentant de Dieu sur la terre. Tous ces gens ne sont peut-être pas foncièrement mauvais, mais ils représentent l'erreur donc ils représentent le diable, puisque le démon est le père du mensonge.
Le nouveau Droit Canon énonce explicitement que l'on peut donner la communion à un protestant, pourvu qu'il dise croire en la présence réelle. Mais de quelle manière y croit-il ? De toute façon il reste protestant, il n'a pas renoncé à sa religion. Eh bien s'il n'a pas la foi catholique et se présente à la communion c'est un sacrilège. Pendant vingt siècles l'Église a toujours refusé la communion à ceux qui n'avaient pas la foi catholique et les prêtres qui auraient porté atteinte à cette règle formelle auraient été frappés de suspens ou d'excommunication. Il n'y a qu'une seule véritable religion et depuis leur origine les protestants ont toujours été considérés par l'Église comme des hérétiques. Donc ils ne pouvaient pas participer à nos sacrements, ni recevoir la sainte communion.
C'est peut-être l'hérésie la plus diffuse actuellement parmi les catholiques que l'on peut se sauver aussi bien dans la religion protestante, islamique, juive, bouddhiste que dans la religion catholique. Laisser penser cela, ou seulement laisser planer le doute, c'est un blasphème contre Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Comment peut-on dire qu'il est possible de se sauver par l'Islam ou le Judaïsme ? Ces religions sont anti-chrétiennes. Les Juifs sont contre Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ils ne veulent pas le reconnaître pour le Messie et le poursuivent de leur haine par tous les moyens. Ils haïssent Notre-Seigneur Jésus-Christ et un crucifix leur cause autant de répulsion que nous en ressentons vis-à-vis du démon. On ne se sauve pas par l'erreur, on se sauve par l'Église catholique.
Notre conclusion, c'est qu'il faut maintenir intégralement notre foi, malgré les épreuves et les contradictions. Nous avons des exemples avant nous. Nous ne sommes pas les premiers. Les Apôtres n'ont-ils pas été persécutés, allant, témoins de leur foi en Notre-Seigneur, jusqu'au martyre donnant leur sang pour professer leur foi, leur attachement à l'Église de Jésus-Christ. Soyons leurs héritiers, les héritiers des martyrs, des saints.
Enfin, prions. La Très Sainte Vierge Marie n'a cessé de nous le demander. C'est Elle qui a brisé toutes les hérésies. Elle pourra bien encore venir à notre secours, détruire cette véritable hérésie qu'est cette tendance à un faux œcuménisme et à l'égalité de toutes les religions.
\[Fin de la reproduction intégrale de la conférence prononcée à Nantes, le 13 octobre 1985, par Mgr Marcel Lefebvre.\]
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### Lettre ouverte au pape
Cette « Lettre ouverte au pape après son voyage en Afrique » a été écrite le 15 octobre 1985 par l'abbé Emmanuel du Taveau, directeur du périodique romain *Si si no no*. Texte intégral.
Très Saint Père,
Tout ce qui se produit d'ennuyeux au cours de vos voyages nous remplit d'amertume. Dans le passé déjà nous avons signalé un épisode qui dépassait les limites du tolérable, en en attribuant la responsabilité à votre suite, à laquelle reviendrait le soin d'empêcher tout ce qui ne sied pas à votre suprême dignité de Vicaire du Christ. Mais à l'occasion de votre dernier voyage en Afrique, ce sont vos propres paroles et vos actes qui nous ont remplis de stupeur et de consternation. Nous nous référons ici au discours que vous avez adressé aux jeunes musulmans à Casablanca. (cf. L'*Osservatore Romano* du 21 août 1985, page 5. Une rencontre dans l'esprit du Concile Vatican II), à votre prière dans la « forêt sacrée » de Lomé, et aux gestes que vous avez faits à Kara et Togoville (cf. L'*Osservatore Romano* du 11 août 1985, page 5. Une prière dans la « forêt sacrée »).
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Très Saint Père, vos paroles ont retenti dans toute l'Église, et vos actes ont été accomplis sous les regards de toute l'Église. C'est pourquoi nous estimons devoir Vous manifester notre dissentiment publiquement.
1\) -- Vous avez dit aux jeunes musulmans : « *Nous croyons au même Dieu, au Dieu unique, au Dieu vivant.* »
Non, Très Saint Père, nous catholiques, nous ne croyons pas au même Dieu que les musulmans. Nous croyons au Dieu qui s'est révélé pleinement en Jésus-Christ, tandis que les musulmans croient en un Dieu qui se serait révélé pleinement par la voie de Mahomet. Nous croyons au Dieu unique et trinitaire, alors que les musulmans rejettent la Très Sainte Trinité comme une forme de polythéisme. Nous croyons au Dieu dont la Seconde Personne S'est incarnée en Notre-Seigneur Jésus-Christ pour nous racheter, alors que les musulmans rejettent l'Incarnation et nient la nécessité de la Rédemption.
Donc, le Dieu auquel croient les musulmans n'est pas le même Dieu, « Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ » auquel nous croyons, nous catholiques.
2\) -- Vous avez dit : « *De son côté, il y a vingt ans, à l'occasion du Concile Vatican* *II, l'Église s'est engagée, en la personne de ses évêques, ou de ses supérieurs religieux, à chercher à établir une collaboration entre tous les croyants. Elle a publié un document sur le dialogue entre les religions* (Nostra aetate). *Elle affirme que tous les hommes et spécialement les hommes d'une foi vive, doivent se respecter, surmonter toute discrimination, vivre ensemble, et servir la fraternité universelle.* »
Non, Très Saint Père, l'Église n'a point reçu de son divin Fondateur la mission de promouvoir la collaboration entre ceux qui croient à n'importe quelle divinité en les invitant tous à se respecter mutuellement dans leurs diverses croyances, même fausses, dans le but de réaliser une « fraternité universelle » qui pourrait ne se réaliser que sur le plan naturel. L'homme n'a point été créé par Dieu pour « servir la fraternité universelle », mais pour servir le vrai Dieu dans la vraie religion ; la mission de l'Église est donc d'apporter à tous les hommes, musulmans inclus, l'unique évangile du salut, en opposant la vérité révélée à l'erreur. De l'acceptation de cette vérité jaillit la fraternité universelle, c'est bien vrai, mais fraternité surnaturelle qui se fonde sur l'adoption comme enfants de Dieu par l'unique baptême. Or, Vous avez bien marqué dans le Concile une ligne de partage des eaux, le point de départ d'un nouveau cours de l'Église. A partir du Concile, en effet, la collaboration avec les chrétiens d'autres religions (qui n'était pas inconnue dans le temps passé, mais ne se pratiquait qu'en des circonstances déterminées et à des conditions précises, d'être évidemment bonne et honnête et jamais au détriment de la foi) se traduit -- chose qui n'était jamais arrivée -- par le renoncement à annoncer l'évangile, et donc à la mission en laquelle se résume toute la raison d'être et d'agir de l'Église.
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C'est comme si la « fraternité universelle » était la valeur la plus haute de toutes, à laquelle tout fût subordonné et sacrifié, jusqu'à la Vérité même, alors que la Vérité est la valeur suprême, à laquelle toute autre valeur se subordonne, et, lorsqu'il y a lieu, se sacrifie, même la fraternité humaine. « *Ne croyez pas que je sois venu mettre la paix sur la terre : je ne suis pas venu y mettre la paix mais l'épée.* » (Mt X 34, cf. Lc XII 51).
En raison de la liberté humaine et de la nature humaine déchue, la Vérité sépare pour le temps et pour l'éternité ceux qui l'acceptent de ceux qui la rejettent. Le Christ lui-même, étant la Vérité, est signe de contradiction. Mais il n'est pas licite pour autant de le mettre de côté pour « *vivre ensemble et servir la fraternité universelle* »* :* cela signifierait faire de l'Église catholique, au nom de Vatican II, un doublet de la maçonnerie.
3\) -- Vous avez dit : « *Ce témoignage de foi, qui est vital pour nous et qui ne peut souffrir ni l'infidélité ni l'indifférence à la vérité, se fait dans le respect des autres traditions religieuses parce que tout homme tient à se faire respecter pour ce qu'il est de fait et pour ce qu'il croit en conscience.* »
Non, Très Saint Père, le témoignage rendu à la vraie foi ne peut se concilier avec le respect des « autres traditions religieuses », car ce respect implique précisément l'infidélité à Dieu et l'indifférence à la vérité. Le respect des « autres traditions religieuses » qui ne sont pas l'unique religion divinement révélée équivaut au respect de l'erreur, et l'erreur ne doit pas être respectée mais combattue parce que contraire à Dieu.
L'homme n'a donc pas le droit de s'attendre à être respecté « *pour ce qu'il est de fait et pour ce qu'il croit en conscience* »*,* car cela équivaut à exiger le respect même pour le mal et pour l'erreur. L'homme doit être respecté pour ce que Dieu l'appelle à être, et sa conscience doit être respectée dans la mesure où elle adhère à la vérité objective. « *Si ton frère relise de t'écouter... dis-le à l'Église, s'il refuse d'écouter même l'Église, qu'il soit pour toi comme le païen et le publicain.* » (Mt XVIII 15-17.)
La charité de l'Église, se réglant sur le modèle de la Divine Charité, a toujours distingué entre péché et pécheur, entre l'erreur et celui qui la commet, haïssant « *d'une haine parfaite* » (Ps. 138, 23) le péché et l'erreur en tant qu'opposés à Dieu et obstacles à la perfection de l'homme, et aimant le pécheur et l'égaré non en tant que tels mais en tant qu'étant encore capables d'adhérer à la Vérité et au Bien (S.Th. II-II, q. 25, art. 6). Les damnés, en effet, qui ont définitivement perdu cette capacité, sont définitivement exclus de cette charité.
4\) -- Vous avez dit aux jeunes musulmans : « *L'Église catholique regarde avec respect et reconnaît la qualité de votre cheminement religieux* (ceci est en italiques dans le texte original)*, la richesse de votre tradition spirituelle. Nous, chrétiens, sommes fiers aussi de notre tradition religieuse.* »
103:301
Très Saint Père, vous avez exprimé ainsi, au nom de l'Église, de l'estime pour un cheminement religieux issu de la fantaisie d'un exalté et qui s'accomplit dans l'erreur, dans le refus de Notre-Seigneur Jésus-Christ sans Qui nul ne peut être sauvé, et de son Église hors de laquelle il n'est point de salut. Par là vous avez confirmé les musulmans dans leur erreur. En outre, vous avez mis sur le même plan la tradition spirituelle musulmane et la divine révélation qui nous a été transmise infailliblement par Pierre et par ses successeurs. Vous avez ainsi humilié la Tradition catholique et élevé la tradition musulmane à un niveau qui ne lui revient absolument pas.
Entre autres choses, vos paroles semblent approuver tous les méfaits commis par l'Islam contre la catholicité par la « guerre sainte » (c'est tout autre chose que « fraternité universelle » !), guerre qui, étant pour les musulmans l'un des cinq principaux devoirs religieux prescrits par le Coran, est inséparable de leur « *cheminement religieux* » comme de leur « *tradition spirituelle* »*.* Implicitement, vos paroles signifient la condamnation aussi de tous pontifes, comme saint Pie V et le bienheureux Innocent XI, qui ont combattu l'Islam pour permettre à l'Europe catholique de survivre. Saint Père, nous est-il permis de vous rappeler que sans la « tradition spirituelle » islamique dont vous faites l'éloge, l'Église catholique n'aurait pas été chassée d'Afrique du Nord et que là où il y avait aujourd'hui pour vous des milliers de jeunes gens croyant en Allah, il y aurait eu des milliers de jeunes gens croyant en Jésus Notre-Seigneur.
5\) -- Vous avez dit : « *Je crois que nous, chrétiens et musulmans, pouvons reconnaître avec joie les valeurs religieuses que nous avons en commun et en rendre grâce à Dieu. Les uns et les autres, nous croyons en un Dieu, le Dieu unique, qui est plénitude de justice et plénitude de miséricorde : nous croyons à l'importance de la prière, du jeûne et de l'aumône, de la pénitence et du pardon ; nous croyons que Dieu sera juge miséricordieux à la fin des temps, nous espérons qu'après la résurrection il sera satisfait de nous et nous savons que nous serons satisfaits de Lui.* »
Non, Saint Père, nous ne pouvons, nous chrétiens, nous réjouir de ces valeurs religieuses que les musulmans auraient en commun avec nous, dès lors que de ces valeurs est exclue la foi en Notre-Seigneur Jésus-Christ et en son Église. Avant la Rédemption, il était nécessaire, pour se sauver, de croire, non seulement en Dieu, mais au Christ qui allait venir ; à plus forte raison après la Rédemption, est-il nécessaire de croire, non seulement en Dieu, mais aussi au Christ qui est venu. Nul homme ne peut donc espérer trouver Dieu juge miséricordieux à la fin des temps, s'il n'a point accepté Jésus-Christ et son Église. Même les œuvres de justice que nous accomplissons ne nous sauvent pas par elles-mêmes, mais en vertu de notre incorporation au Christ (I Cor. XVI 2-3). Si, à la fin des temps, des musulmans sont sauvés, ce ne sera pas en vertu de leur pseudo-religion mais, malgré leur pseudo-religion, en vertu de ce désir du Christ et de son Église qui est implicite dans la disposition morale d'accomplir fidèlement la volonté de Dieu et dans l'observation de la loi naturelle (Rom. II 14-16) ;
104:301
désir qui peut remplacer, en cas d'ignorance indicible ou d'impossibilité, la foi réelle en Notre-Seigneur Jésus-Christ et l'appartenance effective à l'Église catholique. Ceci n'enlève rien à cette vérité de foi divine et catholique que l'appartenance à l'Église est nécessaire à tous pour obtenir le salut, et n'annule point les devoirs qui découlent, pour l'Église, du précepte de son divin Fondateur : « *Allez donc vous assujettir toutes les nations en les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit et en leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé.* » (Mt XXVIII 19-20 ; cf. Rom. 15.)
6\) -- Vous avez dit : « *La loyauté exige aussi que nous reconnaissions et respections nos différences. Évidemment, la plus fondamentale est le regard que nous posons sur la personne et sur l'œuvre de Jésus de Nazareth. Vous savez que, pour les chrétiens, ce Jésus les fait entrer dans une connaissance intime du mystère de Dieu et dans une communion filiale à ses dons pourvu qu'ils le reconnaissent et le proclament Seigneur et Sauveur.* »
Non, Saint Père, ce n'est pas seulement exigence de loyauté, et il s'agit moins encore de reconnaître et de respecter les différences réciproques. Il s'agit ici du droit et du devoir : devoir de l'Église d'annoncer Notre-Seigneur Jésus-Christ et le salut qu'il apporte, droit des âmes à se l'entendre annoncer. Car, contrairement à ce que vous semblez dire, la religion catholique n'est pas une croyance subjective des chrétiens, mais c'est l'unique vraie religion, révélée par Dieu et que tout homme droit peut parfaitement distinguer à des signes certains. Et Notre-Seigneur Jésus-Christ fait entrer les croyants non « *pourvu que* » ils le reconnaissent et le proclament Seigneur et Sauveur, mais précisément « *parce que* » ils le proclament et le reconnaissent Seigneur et Sauveur. Car c'est ce qu'il est avant tout, non seulement pour ceux qui sont déjà chrétiens, mais pour tous les hommes, musulmans inclus, qui ne se sauveront point si ce n'est grâce à Lui : seul le Christ est « la voie qui mène à Dieu », et non l'homme comme vous l'avez dit aux jeunes musulmans en un autre point de votre discours, tandis que vous ne leur avez pas demandé « d'ouvrir les portes au Christ » comme si ceci n'était demandé qu'aux seuls chrétiens.
Saint Père, nous ne voulons pas mettre en doute votre foi, mais les paroles sorties de vos lèvres à Casablanca n'expriment pas la foi de saint Pierre, qui n'a pas hésité à confesser la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ devant les Juifs mêmes qui l'avaient crucifié.
7\) -- Aussitôt après, vous avez ajouté : « *Ce sont là des différences importantes, qu'il nous est possible d'accepter avec humilité et respect dans une tolérance mutuelle : il y a là un mystère sur lequel Dieu nous éclairera un jour, j'en suis certain.* »
Saint Père, nous nous sentons obligé de vous dire qu'aujourd'hui encore nos yeux croient se tromper en lisant cela. Vous, vicaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, successeur de celui qui a mérité d'être le prince des apôtres en raison de sa foi, vous avez demandé la tolérance pour la religion catholique.
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Il serait absurde de penser que vous ne sachiez pas que « tolérance » veut dire attitude à l'égard d'un mal théorique ou pratique que l'on laisse subsister, mais sans l'approuver, pour quelque raison proportionnée. Vous avez donc demandé pour la Vérité révélée ce que l'on demande pour l'erreur. N'insistons pas sur le contresens qu'il y a à demander aux musulmans la tolérance au moment même où l'on vient de rendre témoignage à leur propre foi qui prescrit précisément l'intolérance.
Enfin, vous renvoyez chrétiens et musulmans à une lumière future sur le « mystère » de leur différence de foi, alors qu'il n'y a là aucun mystère et que toutes les lumières ont été données.
8\) -- Que dire ensuite des actes que vous avez posés à Togoville, à Kara et à Lomé ? Dans la périphérie de cette dernière ville, vous vous êtes rendu pour prier, en commun, avec les prêtres animistes et leurs fidèles, dans la « forêt sacrée » de Bé, où l'on invoque la puissance de l'eau et les âmes divinisées des ancêtres. Et, deux fois au moins, à Kara et à Togoville, -- à Kara avant la sainte messe ! -- vous avez versé par terre, d'une calebasse, de l'eau et de la farine de maïs, geste par lequel on professe une fausse croyance religieuse.
Saint Père, nous ne jugeons point de vos intentions : comme de juste, nous en laissons le jugement à Dieu. Mais nous nous demandons si vous avez mesuré la gravité du spectacle qui a été présenté aux croyants et aux incroyants. Ils ont vu le vicaire de N.-S. Jésus-Christ en prière en un lieu consacré au culte des fausses divinités, et en train d'accomplir les pratiques rituelles par lesquelles se professe une fausse croyance religieuse. Saint Père, votre comportement en Afrique est pour les incroyants un encouragement à persister dans l'erreur et dans les pratiques superstitieuses de leurs fausses religions ; pour les croyants, c'est un motif de scandale.
Votre discours de Casablanca, joint à vos gestes, semble un désaveu de toute l'activité missionnaire telle qu'elle s'est déployée pendant deux mille ans dans l'Église catholique, désaveu des missionnaires qui, à commencer par les Apôtres, exécutant l'ordre de Jésus Notre-Seigneur, ont annoncé aux infidèles la nécessité de la rédemption, et d'appartenir à l'Église pour être sauvés, exigeant des convertis l'abandon de toutes les pratiques liées aux fausses religions ; désaveu de l'Église qui, fidèle à l'ordre de Jésus, les a envoyés avec cette mission, et a canonisé ceux qui ont été fidèles à cette mission jusqu'à l'effusion du sang ; désaveu du précepte même du Seigneur Jésus d'annoncer l'évangile à tous les peuples et de les baptiser au nom du Dieu unique en trois personnes.
Saint Père, il est indéniable que dans vos gestes et dans vos paroles, il y a rupture avec l'enseignement et la pratique traditionnelle de l'Église catholique. Et, puisque vous vous réclamez de Vatican II -- et ne pourriez en appeler à d'autres -- vous fournissez vous-même la preuve la plus autorisée que Vatican II est en rupture avec l'enseignement divin catholique en certains de ses textes et de leur application. L'origine de cette rupture est à rechercher dans l'acceptation d'une idée de « liberté religieuse » qui, née hors de l'Église et contre l'Église, s'est finalement insinuée dans les documents conciliaires, et dont la mise en œuvre par les plus hautes autorités de l'Église, et particulièrement de votre part, enlève tout doute sur l'erreur de leur formulation.
106:301
Nous nous référons ici non seulement à votre récent voyage en Afrique, mais aussi à votre célébration œcuménique de Cantorbéry, à votre « rencontre » avec les luthériens dans leur temple de Rome, à votre « visite » à la plus haute autorité du bouddhisme thaïlandais. En ces occasions, les catholiques ont vu l'hérésie mise sur le même plan que la vérité, les pseudo-révélations gratifiées de la même autorité que l'unique vraie religion, les faux cultes mis à égalité avec les vrais cultes.
Saint Père, tout ceci est motif de scandale pour le peuple catholique, pousse à l'indifférentisme en donnant à penser qu'il n'existe point une unique vraie religion, mais que toutes les croyances religieuses peuvent être moyens de salut. Sans interruptions pendant 150 ans les papes se sont tenus pour obligés, éclairés qu'ils étaient par l'enseignement de Notre-Seigneur transmis par son Église, de condamner l'idée de « liberté religieuse » à laquelle, au contraire, Vatican II a largement ouvert les portes : vos prédécesseurs prévoyaient à juste titre les effets néfastes de cette erreur. Et en effet c'est ce même concept de « liberté religieuse » qui se trouve à la racine de toutes les « innovations » proposées par les textes conciliaires et particulièrement de ce faux œcuménisme, source empoisonnée de toutes les réformes les plus ruineuses, à commencer par celle de la liturgie, et des orientations les plus pernicieuses de l'époque postconciliaire.
Saint Père, vingt années de récoltes empoisonnées suffisent pour juger de l'arbre. L'heure est venue de mettre la main à la hache en réaffirmant tout ce que l'Église a toujours enseigné sur la « liberté religieuse » avec toutes les conséquences pratiques qui en découlent.
Voilà ce qu'en enfants de l'Église nous avons le droit d'attendre de Votre Sainteté. Car, si nous avons le devoir de manifester notre désaccord en matière aussi grave, nous n'avons pas le pouvoir de porter remède au désastre qui devient chaque jour plus évident. C'est à Vous que Notre-Seigneur Jésus-Christ a confié ce pouvoir en même temps que l'autorité suprême, et, avec ce pouvoir, le devoir de guider l'Église en temps normal et de la sauver au moment de la tempête pour l'honneur de Notre-Seigneur Jésus-Christ et pour le salut des âmes.
Avec tout le respect dû à Votre Sainteté.
\[Fin de la reproduction intégrale de la « Lettre ouverte au pape après son voyage en Afrique » écrite le 15 octobre 1985 par l'abbé Emmanuel de Taveau, directeur du périodique romain *Si si no no*.\]
107:301
### Lettre de Mgr Lefebvre à Jean Madiran
*Écône, le 29 janvier 1986*
Bien cher Monsieur Madiran,
Dans les circonstances que l'Église traverse aujourd'hui, je rends grâces à Dieu que vous soyez présent par ITINÉRAIRES et le journal PRÉSENT.
Je crois sincèrement que vous êtes le seul parmi les écrivains, même dits traditionalistes, à voir clairement et à dénoncer avec une parfaite justesse l'entreprise diabolique et maçonnique qui se réalise actuellement par le Vatican et la grande majorité des évêques.
Le plan annoncé dans les Actes de la Haute Vente et publié par ordre du pape Pie IX se réalise aujourd'hui sous nos yeux.
108:301
J'étais la semaine dernière à Rome, appelé par le cardinal Gagnon, qui m'a remis la lettre que je vous communique ci-joint ([^9]). Un réseau très bien organisé tient en main toute l'activité de la curie, intérieure et extérieure.
Le pape est un instrument de cette maffia, qu'il a mise en place et avec laquelle il sympathise. On ne peut espérer aucune réaction de sa part, au contraire. L'annonce de la réunion des religions à Assise en octobre, décidée par lui, est le comble de l'imposture et de l'insulte à Notre-Seigneur. Rome n'est plus la Rome catholique. Les prophéties de Notre-Dame de la Salette et de Léon XIII dans son exorcisme, se réalisent. « Ubi sedes beatissimi Petri et cathedra veritatis ad lucem gentium constituta est, ibi thronum posuerunt abominationis impietatis suae ut percusso Pastore et gregem disperdere valeant... »
C'est Léon XIII aussi qui avait interdit le « congrès des religions » qui devait avoir lieu à Paris en 1900 à l'occasion de l'Exposition universelle, comme il avait eu lieu à Chicago en 1893.
Vous verrez, dans la réponse à notre lettre, que le cardinal Ratzinger s'efforce une fois de plus de dogmatiser Vatican II. Nous avons affaire à des personnes qui n'ont aucune notion de la Vérité. Nous serons désormais de plus en plus contraints d'agir en considérant cette nouvelle Église conciliaire comme n'étant plus catholique.
Nous ne pouvons plus, sans manquer gravement à la vérité et à la charité, donner à entendre à ceux qui nous écoutent ou qui nous lisent que le pape est intouchable, qu'il est plein de désirs de revenir à la Tradition et que c'est son entourage qui est coupable, comme le font LA PENSÉE CATHOLIQUE, L'HOMME NOUVEAU et tant d'autres apparemment traditionalistes.
109:301
J'espère que cette assemblée des religions, en attendant le Comité des religions siégeant au Vatican, va leur ouvrir les yeux.
Les documents ci-joints vous intéresseront, j'en suis sûr. Vous pouvez les publier si vous le désirez ([^10]).
Espérant avoir le plaisir de vous rencontrer bientôt, veuillez croire, cher Monsieur Madiran, à ma respectueuse et fidèle amitié et à l'assurance de mes prières.
Marcel Lefebvre.
110:301
### Lettre à Jean-Paul II par Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer
*Texte intégral*
*Écrite et envoyée avant le synode extraordinaire de novembre-décembre 1985, cette lettre a été rendue publique par ses deux auteurs au mois de février 1986. Ils lui ont donné la portée d'une* « *solennelle mise en garde au pape Jean-Paul II* »*.*
111:301
\+ Écône, le 31 août 1985.
Très Saint Père,
Durant quinze jours, avant la fête de l'Immaculée Conception, Votre Sainteté a décidé de réunir un Synode extraordinaire à Rome, dans le but de faire du Concile Vatican II, conclu il y a vingt ans, « une réalité toujours plus vivante ».
Permettez, qu'à l'occasion de cet événement, nous, qui avons participé activement au Concile, nous vous fassions part respectueusement de nos appréhensions et de nos souhaits, pour le bien de l'Église et le salut des âmes qui nous font confiance.
Ces vingt années, au dire du Préfet de la Sacrée Congrégation pour la foi lui-même, ont suffisamment illustré une situation qui aboutit à une véritable autodémolition de l'Église, sauf dans les milieux où la Tradition millénaire de l'Église a été maintenue.
Le changement opéré dans l'Église dans les années soixante s'est concrétisé et affirmé dans le Concile par la « Déclaration sur la Liberté Religieuse » : accordant à l'homme le droit naturel d'être exempt de la coaction que lui impose la loi divine d'adhérer à la foi catholique pour être sauvé, coaction qui se traduit nécessairement dans les lois ecclésiastiques et civiles soumises à l'autorité législative de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Cette liberté de toute coaction de la loi divine et des lois humaines en matière religieuse est inscrite parmi les libertés proclamées dans la Déclaration des Droits de l'Homme, déclaration impie et sacrilège condamnée par les Papes et en particulier par le Pape Pie VI dans son Encyclique *Adeo nota* du 23 avril 1791, et son Allocution au Consistoire du 17 juin 1793.
De cette Déclaration sur la Liberté religieuse découle comme d'une source empoisonnée :
112:301
1° L'indifférentisme religieux des états, même catholiques, réalisé depuis 20 ans à l'instigation du Saint-Siège.
2° L'œcuménisme poursuivi sans relâche par Vous-même et par le Vatican, œcuménisme condamné par le Magistère de l'Église et en particulier l'Encyclique *Mortalium animos* de Pie XI.
3° Toutes les réformes accomplies depuis 20 ans dans l'Église pour complaire aux hérétiques, aux schismatiques, aux fausses religions et aux ennemis déclarés de l'Église tels que les Juifs, les communistes et les francs-maçons.
4° Cette libération de la coaction de la Loi divine en matière religieuse encourage évidemment à la libération de la coaction dans toutes les lois divines et humaines, et ruine toute autorité dans tous les domaines, spécialement dans celui de la moralité.
Nous n'avons cessé de protester au Concile et depuis le Concile contre le scandale inconcevable de cette fausse liberté religieuse, nous l'avons fait par la parole et par écrit, privément et publiquement, nous appuyant sur les documents les plus solennels du Magistère de l'Église : entre autres, le Symbole de saint Athanase, le IV concile de Latran, le Syllabus (p, 15), le concile Vatican I (Dz 3008), et sur l'enseignement de saint Thomas d'Aquin concernant la foi catholique IIa IIae qu. 8 & 16, enseignement qui a toujours été celui de l'Église pendant près de vingt siècles, confirmé par le Droit et ses applications.
C'est pourquoi, si le prochain Synode ne retourne pas au magistère traditionnel de l'Église en matière de liberté religieuse, mais confirme cette grave erreur, source d'hérésies, nous serons en droit de penser que les membres du Synode ne professent plus la foi catholique.
En effet, ils agiront contrairement aux principes immuables du Concile Vatican I affirmant dans sa IV session au c, IV « le Saint Esprit n'a pas été promis aux successeurs de Pierre pour leur permettre de publier, d'après ses révélations, une doctrine nouvelle, mais de garder saintement et d'exposer fidèlement, avec son assistance, les révélations transmises par les apôtres, c'est-à-dire le dépôt de la foi ».
113:301
En ce cas nous ne pourrons que persévérer dans la sainte tradition de l'Église et prendre toutes les décisions nécessaires pour que l'Église garde un clergé fidèle à la foi catholique, capable de répéter après saint Paul *tradidi quod et accepi*.
Très Saint Père, Votre responsabilité est gravement engagée dans cette nouvelle et fausse conception de l'Église qui entraîne le clergé et les fidèles dans l'hérésie et le schisme. Si le Synode, sous Votre autorité, persévère dans cette orientation, Vous ne serez plus le Bon Pasteur.
Nous nous tournons vers notre Mère, la Bienheureuse Vierge Marie, le Rosaire en mains, la suppliant de vous communiquer son Esprit de Sagesse, ainsi qu'aux membres du Synode, afin de mettre un terme à l'invasion du modernisme à l'intérieur de l'Église.
Très Saint Père, veuillez pardonner la franchise de cette démarche, qui n'a d'autre but que de rendre à notre Unique Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ, l'honneur qui Lui est dû, ainsi qu'à son Unique Église, et daignez agréer nos sentiments de fils dévoués en Jésus et Marie.
S. Exc. Mgr Marcel LEFEBVRE .
*Archevêque-Évêque émérite de Tulle*
S. Exc. Mgr Antonio DE CASTRO MAYER .
*Bispo emerito de Campos*
*La revue* FIDELITER, « *bulletin bimestriel* » *dirigé par l'abbé Paul Aulagnier, confirme ce que Présent avait annoncé au mois de novembre : Mgr Lefebvre a remis à la congrégation romaine de la doctrine, le 6 novembre 1985, trente-neuf* « *dubia* » (*c'est-à-dire des demandes d'éclaircissements*) *concernant la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse.*
114:301
*Leur texte n'a pas été rendu public. On sait seulement qu'ils sont précédés d'un exposé, en 88 pages, de la doctrine traditionnelle de l'Église sur la liberté, et que leur sens général est de poser la question de l'incompatibilité de la déclaration conciliaire avec cette doctrine traditionnelle.*
*Le même numéro de* FIDELITER (*numéro 49 de janvier-février*) *rapporte ces paroles de Mgr Lefebvre, prononcées à Écône le 27 octobre dernier, en la fête du Christ-Roi :*
On me dit souvent : « Alors Monseigneur, vous allez sacrer un évêque ? » Et je réponds : « Laissez-moi la paix avec cette histoire d'évêque ! Je n'en sais rien moi-même, c'est tout ce que je peux répondre. »
On insiste : « Mais Monseigneur, vous êtes âgé... » Oui, je le sais bien que je suis vieux. Comme j'aime à le dire : je suis la Providence, je ne la devance pas. J'ai confiance que le Bon Dieu nous donnera des signes encore plus clairs du devoir que nous avons à accomplir. S'il faut le faire, je le ferai. Mais seulement si je suis convaincu par les événements que le Bon Dieu aura Lui-même suscités. Je ne peux pas être plus fort que le Bon Dieu. Je ne suis pas prophète. Je ne sais pas ce qui doit se passer dans le futur. Je veux attendre que le Bon Dieu parle par les événements qui nous montreront ce que nous devons faire. Alors, que l'on ne me demande pas de savoir quels sont les événements qui se produiront dans un mois, dans deux mois, dans trois mois, je n'en sais pas plus que personne d'autre. Si de tels événements arrivent, il y aura des choses très claires et à ce moment-là nous ferons ce que le Bon Dieu demandera.
115:301
### La réponse du cardinal Ratzinger
*Texte intégral*
*Rome, 20 janvier 1986.*
Excellence,
Comme je vous l'écrivais le 14 novembre dernier, votre lettre datée du 31 août 1985 et co-signée par S. Exc. Mgr Antonio de Castro Mayer a été transmise par mes soins au Saint-Père. Après l'avoir lue, le Souverain Pontife m'avait aussitôt chargé de vous répondre en son nom. Votre récent séjour hors d'Europe a toutefois conduit à différer la présente réponse, celle-ci devant vous être remise en mains propres.
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Le Saint-Père a apprécié vos souhaits et vos prières pour le Synode Extraordinaire. Il a également pris connaissance avec attention des réflexions que vous lui présentiez en cette occasion à propos des enseignements du deuxième Concile du Vatican, notamment sur la liberté religieuse et l'œcuménisme. Ce sont d'ailleurs des vues que vous avez déjà eu l'occasion d'exposer sous diverses formes et à diverses reprises.
En ce qui concerne la liberté religieuse, la Congrégation pour la Doctrine de la foi a entrepris l'étude des « dubia » que vous lui avez soumis. Je désire simplement rappeler ici que le Concile Vatican II a sur ce point développé et non altéré la doctrine de l'Église. Dès le début de la déclaration « Dignitatis Humanae », il affirme en effet qu'il « scrute la tradition sacrée et la sainte doctrine de l'Église, d'où il tire du neuf en constant accord avec le vieux ». Après quoi il pose le principe fondamental que « Dieu a fait connaître lui-même au genre humain la voie par laquelle, en le servant, les hommes peuvent dans le Christ obtenir le salut et parvenir à la béatitude. Cette unique et vraie religion \[...\] subsiste dans l'Église catholique et apostolique \[...\]. Tous les hommes d'autre part sont tenus de chercher la vérité, surtout en ce qui concerne Dieu et son Église ; et quand ils l'ont connue, de l'embrasser, et de lui être fidèles » (n. 1). On ne trouve certes pas ici les bases d'un indifférentisme religieux qui serait ruineux pour la foi catholique. En donnant par la suite d'autres précisions sur la manière dont chacun a « le devoir et le droit de chercher la vérité en matière religieuse afin de se former prudemment un jugement de conscience droit et vrai » (n. 3), la Déclaration ne fait que développer une doctrine dans la continuité, selon les règles énoncées déjà par saint Vincent de Lérins dans un texte devenu classique : « dans le même ordre, le même dogme, le même sens et la même doctrine » (*Commonitorium*, ch. 23 ; P.L. 50, 668) ([^11]).
117:301
Les mêmes remarques peuvent s'appliquer à la doctrine et à la pratique de l'œcuménisme, que vous mettez également en cause. L'encyclique de Pie XI « Mortalium animos » rejette à juste titre la tendance à rechercher avec les Confessions chrétiennes séparées l'unité dans l'action au détriment de la vérité doctrinale. Le Décret « Unitatis Redintegratio » s'inscrit dans la même ligne lorsqu'il écrit par exemple que « c'est par la seule Église Catholique du Christ, laquelle est "moyen général de salut", que peut s'obtenir toute la plénitude des moyens de salut. Car c'est au seul collège apostolique, dont Pierre est le chef, que furent confiées, selon notre foi, toutes les richesses de la nouvelle Alliance, afin de constituer sur terre un seul Corps du Christ auquel il faut que soient incorporés tous ceux qui, d'une certaine façon, appartiennent déjà au Peuple de Dieu » (n. 3) ([^12]).
Assurément, vous pouvez exprimer des inquiétudes devant certaines interprétations qui ont pu être données de différents textes conciliaires ; vous pouvez aussi légitimement critiquer ces interprétations. Mais il n'est pas possible que vous remettiez en cause la doctrine authentique du Concile œcuménique Vatican II, dont les textes sont magistériels et jouissent de la plus grande autorité doctrinale ([^13]).
C'est aussi la raison pour laquelle on ne pouvait envisager que le Synode extraordinaire modifie ou supprime sur un point ou l'autre les enseignements de ce Concile œcuménique. Le Saint-Père lui avait du reste assigné un but plus limité : d'être un retour à la source du Concile, non seulement pour en revivre l'atmosphère de communion ecclésiale, mais aussi pour échanger des expériences et des informations sur son application, et enfin pour favoriser son approfondissement ultérieur et son insertion constante dans la vie de l'Église (cf. Allocution du 25 janvier 1985). Comme le montrent le Message final et le Rapport officiel, c'est bien ce que le Synode s'est efforcé de réaliser, dans la prière, la docilité à l'Esprit Saint, et en union avec le successeur de saint Pierre.
118:301
Enfin le Souverain Pontife, qui n'a pas manqué de noter une intention virtuelle que vous exprimez vers la fin de votre lettre de « prendre toutes les décisions nécessaires pour que l'Église garde un clergé fidèle à la foi catholique », vous demande -- avec la plus extrême gravité -- de ne pas accomplir d'acte qui constituerait une rupture définitive avec la communion de l'Église.
Vous le savez, Excellence, le Saint-Père ne cesse d'avoir votre intention présente dans sa prière. Permettez-moi de vous donner pour ma part la même assurance et de vous présenter l'expression de mes sentiments très respectueusement dévoués dans le Seigneur.
Joseph cardinal Ratzinger.
============== fin du numéro 301.
[^1]: -- (1). Cf. René Laurentin, *Bilan de la 3^e^ session*, Seuil 1965, p. 86.
[^2]: -- (2). Même ouvrage, p. 87. -- L'action du Secrétariat pour l'unité des chrétiens (*sic*) aboutit en décembre 1970 à la création d'un « Comité international de liaison entre l'Église catholique et le judaïsme », dont les membres catholiques étaient nommés par Jean-Paul II et les membres juifs par l'International Jewish Committee for Interreligious Consultations. De ce Comité sortit en 1974 l'étape suivante : « C'est principalement de ce Comité, déclare une note officielle de *L'Osservatore romano* du 23 octobre 1974, qu'est venue la suggestion que soit créée au Vatican une Commission pour les relations avec le judaïsme ». La même note officielle annonçait la décision de Jean-Paul II créant cette « Commission pontificale pour les relations religieuses avec le judaïsme », instituée « comme un organisme distinct mais rattaché au Secrétariat pour l'unité des chrétiens » ; avec pour président et pour vice-président le cardinal-président et le secrétaire du Secrétariat pour l'unité des chrétiens (sic). La création de la nouvelle commission pontificale n'a pas supprimé l'existence du « Comité international de liaison » judéo-chrétien qui poursuit ses activités : mais à partir de 1974. c'est la Commission pontificale qui représente les catholiques au sein du Comité.
[^3]: -- (3). Titre officiel : « Notes pour une présentation correcte des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l'Église catholique ». -- Ce document a été approuvé, loué et repris à son compte par Jean-Paul II dans son discours du 28 octobre 1985.
[^4]: -- (4). Cette idée entièrement étrangère au catholicisme est une idée traditionnelle de la théologie juive dans son interprétation des « religions issues du judaïsme ». En voici un témoignage officiel : le Grand Rabbinat de France, dans une déclaration rendue publique le 16 avril 1973, rappelait « *l'enseignement des plus grands théologiens juifs pour qui les religions issues du judaïsme ont pour mission de préparer l'humanité à l'avènement de l'ère messianique annoncée par la Bible* ». Par ses directives de mai-juin 1985, Rome donne donc au catholicisme la place et le rôle qui lui sont décernés par la théologie juive.
[^5]: -- (5). Voir : *De la justice sociale*, Nouvelles Éditions Latines 1961, p. 9-10 et 16-17.
[^6]: -- (1). Éditions Pierre-Marcel Favre. Lausanne.
[^7]: -- (2). Mireille Cruz me communique la note suivante : « Il suffira peut-être de rappeler qu'un condisciple français de Tünde Szentes, Michel Béroff, venait de recevoir à 17 ans le 1^er^ prix du concours international Olivier Messiaen de musique contemporaine de Royan (sur le plan technique, il n'y a pas plus difficile) et qu'un autre de ses condisciples, François-René Duchable, est considéré comme un des meilleurs pianistes de la nouvelle génération. »
[^8]: -- (1). Publié désormais par DMM.
[^9]: -- (1). C'est la réponse du cardinal Ratzinger en date du 20 janvier 1986. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^10]: -- (2). Ce sont les deux documents ci-après : la lettre de Mgr Lefebvre et de Mgr de Castro Mayer à Jean-Paul Ii et la réponse du cardinal Ratzinger. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^11]: -- (1). Mais justement : la suite du texte conciliaire est en contradiction avec cette déclaration de principe, suivant l'usage, devenu romain, de la pure et simple clause de style, insérée pour écarter les reproches, mais dont on ne tient ensuite aucun compte. Cet usage semble avoir été introduit, mais à titre encore exceptionnel, par Léon XIII (Cf. Madiran : *Les deux démocraties*)* ;* il est devenu quasiment habituel depuis la mort de Pie XII en 1958. (Note d'ITINÉRAIRES.)
[^12]: -- (2). Même remarque qu'à la note précédente.
[^13]: -- (3). Qu'est-ce que cela veut dire : « la plus grande autorité doctrinale » ? La plus grande est celle de la définition infaillible. Et qu'est-ce que cela veut dire : « magistériels » ? Sont-ils irréformables, oui ou non ? Ces équivoques ne sont pas innocentes. (Note d'ITINÉRAIRES.)