# 305-07-86
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*SAINTE VIERGE MARIE, notre Mère et notre Reine, qui êtes apparue à Fatima et avez promis, si l'on écoute vos demandes, de convertir la Russie et d'apporter la paix au monde, je réponds à votre appel.*
*Je me consacre à votre Cœur Immaculé, voulant me souvenir sans cesse que je vous appartiens et que vous pouvez disposer de moi pour le règne du Cœur sacré de votre Fils.*
*Je vous promets, en réparation des péchés que vous avez si douloureusement déplorés :*
*d'offrir chaque jour les sacrifices nécessaires à l'accomplissement chrétien de mes devoirs quotidiens ;*
*de réciter chaque jour une partie du Rosaire, en union aux mystères de la vie de Jésus et de la vôtre.*
*Notre-Dame de Fatima, gardez-nous fidèles.*
*Saint Joseph, aidez-nous à servir.*
*Sancte Michaël archangele, defende nos in proelio.*
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## ÉDITORIAL
### La dévotion au Cœur Immaculé
TROIS VOLUMES sur Fatima qui font désormais partie de l'état de la question -- en le modifiant singulièrement. Ils restent bien sûr eux-mêmes soumis à l'examen critique et à la discussion. Quelques points de détail peuvent en être contestés. Dans l'ensemble et sur l'essentiel, ils me paraissent décisifs. En particulier, ils complètent beaucoup et parfois ils rectifient avec bonheur ce que nous avons écrit ici sur Fatima depuis trente ans.
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Je crois pouvoir dire que la revue ITINÉRAIRES a toujours été au nombre des militants de Fatima. Sans s'y spécialiser, bien entendu. Notre fonction n'était pas d'accroître ou de rénover la somme de nos connaissances par une contribution originale aux recherches historiques.
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Nous demeurions tributaire des travaux du chanoine Barthas, que nous avons toujours tenus en haute estime et vivement recommandés ([^1]). Si nous rouvrons aujourd'hui notre numéro spécial sur *La royauté de Marie et la consécration à son Cœur Immaculé,* c'est notre numéro 38, il est de décembre 1959, nous apercevons ses lacunes, nous comprenons maintenant leurs raisons : notre information était alors focalisée, avec une confiance absolue, sur les actes et documents pontificaux (dont nous présentions un recueil considérable, une centaine de pages), et justement tout le drame de Fatima tient dans la défaillance du Saint-Siège.
En 1959, notre attention est retenue par la consécration *de l'Église et du genre humain* au Cœur Immaculé de Marie. Elle a été faite par Pie XII le 31 octobre 1942, renouvelée plus solennellement le 8 décembre suivant. Cette consécration est rappelée dans l'encyclique sur le Corps mystique du 29 juin 1943. Le 4 mai 1944, Pie XII institue la fête du Cœur Immaculé, fixée au 22 août, pour garder la mémoire de la consécration du 8 décembre 1942. Par son encyclique *Ad coeli Reginam* du 11 octobre 1954, il institue la fête de Marie-Reine et il *ordonne* qu'en cette fête, chaque année le 31 mai, on renouvelle la consécration du genre humain.
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Il ne nous échappait point que cette consécration n'avait pas été faite comme il le fallait. Dès l'ouverture de notre numéro spécial, nous appelions une consécration « *faite cette fois non seulement par le souverain pontife mais en même temps par les évêques du monde entier en union solennelle avec lui* ». La réunion prochaine d'un concile œcuménique nous paraissait l'occasion et le moyen d'une telle consécration. Mais ce qui nous échappait en 1959, c'était la spécificité d'une consécration de la Russie. Toute notre requête était tournée d'une part vers la participation des évêques (mais toujours pour une consécration du genre humain), d'autre part vers la consécration, à titre en quelque sorte de confirmation et de mise en œuvre, des individus, des familles et des nations.
La consécration de la Russie nous paraissait en somme suffisamment incluse dans la consécration du genre humain, et ni plus ni moins nécessaire que la consécration des autres nations. Elle avait d'ailleurs été faite par Pie XII dans sa lettre apostolique du 7 juillet 1952 : « Nous consacrons et nous vouons d'une manière très spéciale tous les peuples de la Russie au Cœur Immaculé de Marie. » On ne trouve nulle part dans notre numéro de décembre 1959 la mention du caractère décisif d'une consécration particulière de la Russie ; ou plutôt, on ne la trouve que dans la « prière d'engagement à renouveler utilement chaque jour », à laquelle la revue ITINÉRAIRES est restée attachée, et fidèle à la recommander, par grâce beaucoup plus que par raison pendant un quart de siècle ([^2]).
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On ne voit pas non plus dans ce numéro de 1959, un souci explicite des trois secrets de Fatima (du secret en trois parties). Nous en parlions néanmoins, en privé. Je n'ai pas recherché si les uns ou les autres y firent souvent allusion dans la revue. Je crois que nous étions sensibles à la prédication tendant à nous détacher de la préoccupation du secret comme d'une vaine curiosité. Non pas convaincus ; mais, oui, influencés. Tâchez donc de vivre personnellement votre consécration, et n'allez pas importuner le pape par vos réclamations indiscrètes. Il est juge du moment où il sera possible de publier le troisième secret. Et la consécration de la Russie, avec tous les évêques, il la fera quand il saura, par inspiration divine, que vous l'avez enfin méritée par vos prières, vos pénitences et vos vertus, auxquelles on demande avant tout de rester silencieuses et de laisser tranquille la hiérarchie qui que dont où.
La vérité de ce discours (il n'y a pas d'imposture qui marche sans exploiter une vérité) est de nous inciter à la dévotion personnelle au Cœur Immaculé de Marie. Les requêtes et exigences que l'on adresse aux autres et au pape risquent toujours de nous détourner de ce que chacun nous avons à faire nous-même. Bon. Cependant, il n'est pas superflu non plus de savoir si la révélation du troisième secret nous est due ; si nous n'en serions pas privés par un arbitraire qui au demeurant se découvre dans ses discours manifestement faux. Tout l'ensemble des paroles, des requêtes, des promesses, des dévotions de Fatima, c'est bien beau de nous dire, pour stimuler notre piété, qu'il nous a été donné par la Sainte Vierge à condition que nous nous en rendions dignes, ce qui en fait une sorte de récompense qui viendrait couronner un jour l'avancement préalable de nos vertus silencieuses : mais si c'était plutôt un secours temporel et spirituel dont notre faiblesse a un indispensable besoin au milieu de dangers inouïs ?
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Le 13 mai 1981, Jean-Paul II est victime d'un attentat qui aurait pu le tuer. Au mois de novembre, la conférence épiscopale américaine lui adresse une supplique officielle, qui lui demande une consécration de la Russie par tous les évêques en même temps. En mars 1982, c'est le rassemblement de Martigny (Suisse), en présence de Mgr Lefebvre, où Éric de Saventhem lance un appel aux laïcs pour que dans leur diocèse ils incitent leur évêque à réclamer du pape la consécration attendue. Et nous-même, nous écrivons dans ITINÉRAIRES (février 1982) :
« En 1960 au plus tard, le Saint-Siège aurait dû rendre publique la troisième partie du secret de Fatima. Il ne l'a pas fait parce que, depuis la mort de Pie XII en 1958, les apparitions, révélations et dévotions de Fatima ont été reléguées dans la même oubliette que l'encyclique déclarant le communisme « intrinsèquement pervers », que le serment antimoderniste et que les trois connaissances nécessaires au salut du catéchisme du concile de Trente. » ([^3])
Le 13 mai 1982, Jean-Paul II est à Fatima. Il consacre le monde et la Russie au Cœur Immaculé de Marie. L'ensemble de la presse mondiale occulte l'événement, refusant la simple information. Mais cet événement une fois rétabli dans son existence ([^4]), quelle en est la véritable portée ? En décembre, nous exprimions notre perplexité :
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« Jean-Paul II a voulu associer l'épiscopat mondial à cette consécration. L'épiscopat a boudé, boycotté, saboté... Question disputée : le pape cette fois, mieux que Pie XII (et bien sûr que Paul VI) a-t-il exactement et complètement fait ce qui était prescrit par les demandes de Notre-Dame de Fatima à Sœur Lucie ? Il semble que non ; pas tout à fait, disent les uns ; pas du tout, disent les autres. » ([^5])
Avec les trois volumes sur Fatima dont j'ai parlé en commençant, les questions que l'on se posait reçoivent maintenant des réponses.
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Ces trois volumes ont pour auteur le Frère Michel de la Sainte Trinité, des Petits Frères du Sacré-Cœur.
Ils ont pour titre général : Toute la vérité sur Fatima.
Tome I : *La science et les faits,* paru en février 1983 (364 pages).
Tome II : *Le secret et l'Église, 1917-1942,* paru en janvier 1984 (536 pages).
Tome III : *Le troisième secret, 1942-1960,* dont j'ai seulement la seconde édition, datée du 4^e^ trimestre 1985 (600 pages).
Un quatrième tome est annoncé sous le titre : *A la fin mon Cœur Immaculé triomphera,* et il couvrira les années 1960-1986 : « Fatima et la crise de l'Église ».
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Les trois volumes parus provoquent un changement dans le paysage catholique. Ils apportent un éclairage, un éclaircissement ; des brumes se dissipent. On distingue avec netteté ce que l'on pressentait vaguement dans le brouillard. Souvent on y apprend ce que l'on ne savait pas.
Maintenant, on sait.
On sait que la rétention de la troisième partie du secret de Fatima est depuis 1960 une rétention coupable.
On sait que la cause de cette rétention est que la publication paraîtrait donner raison aux catholiques traditionnels et tort à une hiérarchie qui méprise leurs avertissements et persécute leurs personnes.
On sait par raisonnement quel est l'objet du troisième secret, et approximativement quelle est sa substance.
On sait que l'anathème lancé contre les « prophètes de malheur » par Jean XXIII, dans son discours d'ouverture du concile, frappait le contenu du secret de Fatima.
On sait que Fatima concerne directement l'actuelle apostasie immanente de l'Église, rendue possible par la défaillance de ses pasteurs.
On sait que pour le dissimuler, les fonctionnaires et les porte-parole du Saint-Siège ont toujours employé des moyens intellectuellement scandaleux et moralement malhonnêtes.
Dans ces trois volumes, les documents sont là reproduits, analysés, commentés par le Frère Michel de la Sainte Trinité. Les documents et les témoignages. Les témoignages et les arguments. Les arguments pour et les arguments contre. Un travail monumental de critique historique. Oui, un monument.
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-- *Holà, holà ! N'aurait-on donc pas bien remarqué que cet auteur est un disciple de l'abbé de Nantes ?*
*-- *Ma foi, il ne le laisse guère ignorer. Il en parle tout le temps.
-- *L'édition et la vente de ses trois tomes se font sous la firme de la Contre Réforme catholique* (*CRC*)*, à la Maison Saint-Joseph de Saint-Parres-lès-Vaudes, code postal 10260.*
*-- *Il est vrai.
-- *Et, provocation suprême, on aperçoit sur chaque volume la mention explicite :* « *G. de Nantes, éditeur.* » *Il aura tout fait et fait de tout, celui-là. Le voici maintenant éditeur. Il serait imprudent de ne pas formuler d'expresses réserves sur cette maison, sur cette école. L'ouvrage du Frère Michel en devient fortement suspect de partialité.*
*-- *Ne serait-il pas plutôt erroné (et odieux) de méconnaître ce beau travail pour de tels motifs ? Il ne nous a pas été enseigné de juger le fruit d'après l'arbre, mais bien l'inverse.
-- *Alors précisez que ce fruit-là est une exception unique, tout à fait surprenante et nullement concluante.*
*-- *Non point. Il y a les travaux d'un autre Frère de Saint-Parres sur le saint suaire...
-- *Mais si l'on reconnaît que les fruits sont bons, faudra-t-il cesser de méjuger l'arbre ?*
*-- *Ce n'est pas moi qui ai inventé la conséquence.
-- *Doucement. Ces deux fruits ne sont pas les seuls. On en connaît d'autres qui sont moins plaisants. Vous généralisez à partir de deux exceptions.*
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*-- *Je ne généralise pas. J'observe. Il n'y a pas seulement les œuvres de ces deux Frères écrivains. Il y a également l'attitude si remarquable, dans plusieurs rencontres publiques, des jeunes militants laïcs de la CRC. Aux uns et aux autres l'abbé de Nantes a donné la consigne de manifester leur fermeté doctrinale avec compétence et courtoisie : c'est-à-dire sans renverser les barrières de la courtoisie en usage et chacun sans sortir des limites de sa propre compétence.
-- *Quel paradoxe. L'abbé de Nantes ne donne-t-il pas trop souvent lui-même l'exemple de franchir considérablement les unes et les autres ?*
*-- *Eh bien si c'est vrai il aura ainsi illustré lui aussi cette vue profonde de Bossuet, qui dit quelque part que l'homme est beaucoup plus apte au gouvernement d'autrui qu'au gouvernement de soi-même.
-- *Vous en faites une épigramme...*
*-- *Nullement. Avoir des disciples qui observent mieux que soi-même les préceptes que l'on enseigne est une des plus grandes récompenses temporelles qui puissent nous être données. Et cette récompense-là, je ne crois pas qu'on la reçoive sans l'avoir en quelque manière méritée.
... Je serais mal satisfait qu'on aille imaginer que je dérobe mon sentiment derrière des propos entendus ici ou là et rapportés sans y prendre part. Je précise donc : ces propos sont bien ceux que je tiens (avec moi-même).
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Les plus nonchalants peuvent, il me semble, commencer par le troisième tome du Frère Michel, voire s'en contenter. Mais il faut lire au moins celui-là. En voici un résumé. Il est de l'auteur lui-même : une conférence prononcée le 24 novembre 1985 à l'Augustianum de Rome, intégralement reproduite d'après le texte paru dans la CRC, numéro 222 de mai 1986. Non point pour dispenser de la lecture du volume, mais je l'espère pour en montrer l'intérêt et pour en donner le goût.
Jean Madiran.
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## DOCUMENT
### Le troisième secret de Fatima
par le Fr. Michel de la Sainte Trinité
*Conférence prononcée le 24 novembre 1985\
à l'Augustianum de Rome*
*pour le symposium organisé*\
*par la* « *Croisade internationale du Rosaire de Fatima* »
LE TROISIÈME Secret de Fatima n'ayant pas encore été divulgué, on affirme souvent que l'on ne peut, évidemment, rien dire de son contenu. Ce n'est là toutefois qu'une apparence. Car s'il est vrai qu'en 1917, lorsqu'il fut révélé par la très Sainte Vierge aux trois pastoureaux d'Aljustrel, ou en 1944 lorsqu'il fut rédigé par sœur Lucie, ou même encore en 1960 au moment où il aurait dû être divulgué au monde par le pape Jean XXIII cet ultime Secret demeurait absolument impénétrable, il n'en est plus de même aujourd'hui. Depuis plus de quarante ans, en effet, les données certaines le concernant se sont multipliées.
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Elles forment aujourd'hui un ensemble impressionnant de renseignements sûrs, à partir desquels l'historien peut retracer avec précision toute son histoire et découvrir avec une quasi-certitude son contenu essentiel. Telle a été ma double préoccupation en écrivant mon troisième tome de Toute la Vérité sur Fatima, presque entièrement consacré au mystère de ce troisième Secret ([^6]). Aussi, est-ce cette démonstration que je vais tenter de vous présenter ce soir, bien sûr en la simplifiant beaucoup. Il est difficile de résumer en si peu de temps un ouvrage de 600 pages, mais j'en dirai assez, j'espère, pour vous montrer combien cet ultime Secret de Notre-Dame est important, comment il est au cœur même du message de Fatima et pourquoi il est urgent, pour le salut de l'Église, qu'il soit enfin divulgué au monde conformément à la demande de la très Sainte Vierge.
#### I. Une dramatique histoire
Ce fut en juillet-août 1941, dans son troisième Mémoire, que sœur Lucie mentionna pour la première fois la division du Secret de Fatima en trois parties distinctes : « Le Secret comprend trois choses distinctes, écrit-elle, et j'en dévoilerai deux. »
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La première partie, le « premier Secret », c'est la vision de l'enfer, si terrifiante, et la proposition merveilleuse du Cœur Immaculé de Marie comme souverain remède offert par Dieu à l'humanité, pour le salut des âmes : « *Vous avez vu l'enfer où vont les âmes des pauvres pécheurs. Pour les sauver, Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. Si l'on fait ce que je vais vous dire, beaucoup d'âmes se sauveront...* »
La deuxième partie, le « deuxième Secret », c'est la grande prophétie concernant la paix miraculeuse que Dieu veut accorder au monde par la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie et la pratique de la communion réparatrice des premiers samedis du mois : « *Si l'on écoute mes demandes, la Russie se convertira, et l'on aura la paix...* » C'est aussi l'annonce de terribles châtiments si l'on s'obstine à ne pas obéir à ses volontés.
Quant à la troisième partie, le « troisième Secret », en 1941, sœur Lucie affirmait « *qu'il ne lui était pas permis, pour le moment, de le révéler* »*.*
*La rédaction et la transmission du Secret*
L'histoire dramatique de la rédaction de cet ultime message commence en 1943. L'heure de la Providence avait alors sonné. Sœur Lucie vivait à ce moment au couvent des sœurs Dorothées de Tuy, en Espagne. En juin 1943, elle tombe soudain gravement malade. Son état est si alarmant que Mgr da Silva, l'évêque de Leiria, s'inquiète : il craint qu'elle ne meure avant d'avoir révélé le troisième Secret de Notre-Dame et il pressent que ce serait pour l'Église la perte d'une grâce inestimable. Le chanoine Galamba, qui est l'ami et le conseiller de l'évêque, lui suggère alors une idée extrêmement judicieuse : qu'il demande au moins à sœur Lucie d'écrire dès maintenant le texte du troisième Secret, puis qu'elle le place dans une enveloppe cachetée à la cire et celle-ci sera ouverte plus tard.
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Le 15 septembre 1943, Mgr da Silva se rend donc à Tuy et il demande à sœur Lucie de rédiger le Secret, « *si elle le voulait bien* ». Mais la voyante, sans doute sous l'impulsion de l'Esprit Saint, ne se contente pas de cet ordre incertain. Elle demande à son évêque un ordre écrit, formel, parfaitement clair. Cela est très important : l'ultime message de la Vierge de Fatima, comme déjà ses autres demandes assorties de promesses merveilleuses, est une grâce inouïe offerte par Dieu à notre XX^e^ siècle, pour correspondre à ses besoins les plus urgents. Mais encore faut-il que les Pasteurs de l'Église aient assez de foi et de docilité aux desseins du Ciel pour être les instruments de cette effusion de grâces que Dieu désire accorder au monde par la douce et puissante médiation de sa Mère Immaculée. En 1943, Dieu voulait que ce fût l'évêque de Leiria qui demandât à sa messagère la rédaction du troisième Secret.
Finalement, à la mi-octobre 1943, Mgr da Silva se décida. Il écrivit à sœur Lucie en lui donnant l'ordre exprès qu'elle réclamait de lui. Cependant de nouvelles difficultés allaient surgir. Sœur Lucie ressentit alors, pendant presque trois mois, une mystérieuse et terrible agonie. Elle a raconté qu'à chaque fois qu'elle s'asseyait à sa table de travail et prenait la plume pour rédiger le Secret, elle s'en trouvait empêchée. Il faut y voir sans doute le dernier déchaînement de Satan contre la messagère de l'Immaculée, devinant quelle arme terrible cette grande prophétie, une fois fixée sur le papier, pourrait constituer contre sa domination sur les âmes et son projet de s'infiltrer jusqu'au cœur de l'Église. Une telle épreuve de la voyante manifestait ainsi la mesure de l'événement grandiose qui allait s'accomplir. La veille de Noël, sœur Lucie confiait à son directeur qu'elle n'avait pas pu encore obéir à l'ordre donné.
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Enfin, le 2 janvier 1944 -- cela est très peu connu -- la Vierge Marie elle-même apparut de nouveau à Lucie. Elle lui confirma que telle était bien la volonté de Dieu et lui donna la lumière et la force pour accomplir la rédaction demandée. Le 9 janvier, la voyante écrit à Mgr da Silva « *J'ai écrit ce que vous m'avez demandé ; Dieu a voulu m'éprouver un peu, mais finalement, c'était bien cela sa volonté. Le texte est cacheté dans une enveloppe...* » Le soin extrême que prend alors sœur Lucie pour le transmettre en toute sûreté à son destinataire, Mgr da Silva, est une nouvelle preuve de l'importance exceptionnelle qu'elle accorde à ce document. Elle ne voulait le confier qu'à un évêque. Ce fut Mgr Ferreira, évêque de Gurza, qui, le 17 juin 1944, reçut des mains de sœur Lucie l'enveloppe cachetée à la cire contenant le précieux document. Il la remit le soir même à Mgr da Silva.
Au sujet de cette transmission du Secret à la hiérarchie, il faut souligner quatre faits de la plus haute importance :
1\) Le destinataire immédiat du Secret était Mgr da Silva et il aurait pu le lire aussitôt. Sœur Lucie le lui a dit de la part de la très Sainte Vierge. Malheureusement, effrayé par la responsabilité qu'il allait ainsi devoir assumer, il n'osa pas, il ne voulut pas en prendre connaissance. Il essaya alors de le confier au Saint-Office... qui refusa de le recevoir !
Contraint, bien malgré lui ! de demeurer le dépositaire du Secret, Mgr da Silva, le 8 décembre 1945, plaça l'enveloppe de sœur Lucie dans une autre enveloppe, cachetée elle aussi à la cire, sur laquelle il écrivit : « *Cette enveloppe avec son contenu sera remise à son Éminence le cardinal don Manuel, Patriarche de Lisbonne, après ma mort.* »
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Il est donc faux de dire, -- comme on l'a répété si souvent après 1960 ! -- que le troisième Secret était destiné explicitement et exclusivement au Saint-Père !
2\) Il est vrai cependant, -- plusieurs allusions de sœur Lucie et un texte explicite du chanoine Formigao nous le prouvent -- que la voyante souhaitait que le pape Pie XII pût en prendre connaissance sans attendre davantage. Cela ne se fit pas, et c'est très regrettable.
3\) Constatant que Mgr da Silva s'obstinait à ne pas vouloir ouvrir l'enveloppe, sœur Lucie « lui fit promettre, rapporte le chanoine Galamba, que le troisième Secret serait ouvert et lu au monde à sa mort (à elle, Lucie) ou en 1960, selon ce qui se produirait d'abord ». Une série de témoignages qui nous rapportent les déclarations réitérées de sœur Lucie permet d'établir ce fait avec une absolue certitude.
4\) Enfin, cette promesse de divulguer le Secret aussitôt après la mort de Lucie, ou en tout cas « au plus tard en 1960 », correspondait sûrement à une demande de la Vierge Marie elle-même. En effet, lorsqu'en 1946, le chanoine Barthas demande à la voyante pourquoi il faudra attendre jusqu'en 1960, celle-ci lui répond, en présence de Mgr da Silva : « *Parce que la Sainte Vierge le veut ainsi.* »
Bref, nous avons toutes les preuves que Dieu désirait, voulait que l'ultime Secret de Notre-Dame soit cru filialement par les Pasteurs de l'Église et divulgué au peuple fidèle. Au plus tôt dès 1944. Au plus tard en 1960, car « *alors,* disait encore sœur Lucie, *il deviendrait plus clair* ». ([^7])
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*Le transfert à Rome*
Je ne puis m'attarder ici sur un épisode encore mystérieux de l'histoire du troisième Secret : en 1957, le Saint-Office en réclama le texte, conservé jusqu'alors à l'évêché de Leiria. Qui prit cette initiative ? Dans quelle intention ? Ces questions restent encore sans réponse.
Quoi qu'il en soit, à la mi-mars 1957, Mgr da Silva chargea son auxiliaire, Mgr Venancio, de transmettre le précieux document à Mgr Cento, alors nonce apostolique à Lisbonne. Mgr Venancio supplia son évêque de lire enfin le Secret et d'en faire tirer une photocopie avant d'expédier le manuscrit à Rome ; mais le vieil évêque s'obstina dans son refus. Mgr Venancio, -- il me l'a raconté lui-même à Fatima le 13 février 1984 --, dut se contenter de regarder l'enveloppe en transparence. Et il put voir, à l'intérieur, une petite feuille dont il a mesuré le format exact.
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Nous savons ainsi que le troisième Secret n'est pas très long. Probablement vingt à vingt-cinq lignes, c'est-à-dire à peu près de la même longueur que le deuxième Secret. Cela nous permet de rejeter comme certainement inauthentiques plusieurs textes, beaucoup trop longs, que des faussaires ont voulu proposer au public comme étant le véritable Secret.
Le 16 avril 1957, l'enveloppe scellée arriva au Vatican et fut sans doute placée presque aussitôt par le Pape dans son bureau personnel, dans un petit coffre portant la mention « *Secretum Sancti Officii* » ([^8])*.*
Pie XII a-t-il lu le Secret ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, il est presque sûr que non. A la suite du Père Alonso, j'en donne de solides raisons, notamment les témoignages concordants du cardinal Ottaviani et de Mgr Capovilla, secrétaire de Jean XXIII : tous deux nous affirment que l'enveloppe était toujours scellée lorsque le Saint-Père l'ouvrit en 1959, un an après la mort de Pie XII.
L'on comprend alors les paroles si graves que sœur Lucie adressa, le 26 décembre 1957, au Père Fuentes, postulateur des causes de béatification de Jacinthe et de Fran*çois :* « La très Sainte Vierge est bien triste, car personne ne fait cas de son message. *Ni les bons, ni les mauvais. Les bons continuent leur chemin, mais sans faire cas du message. Je ne peux donner d'autres détails, puisque c'est encore un Secret.* Seuls le Saint-Père et Mgr l'évêque de Fatima pourraient le savoir, de par la volonté de la très Sainte Vierge, mais ils ne l'ont pas voulu, pour ne pas être influencés ! »
Pie XII avait donc sans doute décidé d'attendre 1960. Mais il est mort le 9 octobre 1958, sans avoir lu le Secret !
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Quel irréparable dommage pour l'Église qu'il n'en ait pas pris connaissance dès 1944, ou du moins au printemps 1957 ([^9]) !
*L'attente unanime et fervente*
A l'approche de 1960, les plus âgés s'en souviennent, tout le peuple chrétien attendait avec confiance la divulgation promise. Tout particulièrement au Portugal. Mais en France aussi, en Amérique, et ailleurs. Et vous, Italiens, vous vous souvenez sans doute qu'en 1959 il y eut dans tout le pays un grand mouvement de dévotion au Cœur Immaculé de Marie. Pendant plusieurs mois la Vierge de Fatima sillonna la péninsule, en attirant à ses pieds des foules enthousiastes et répandant partout des merveilles de grâce : ferveur extraordinaire, miracles de conversion, miracles des colombes. Et, le 13 septembre 1959, tous les évêques du pays consacrèrent solennellement l'Italie au Cœur Immaculé de Marie. Malheureusement ce grand élan de piété envers Notre-Dame de Fatima fut, sinon explicitement désavoué, du moins si visiblement, si volontairement ignoré par le pape Jean XXIII que son silence et sa froideur ne purent passer inaperçus.
*Jean XXIII lit le Secret\
et refuse de le divulguer*
Nous savons que le Pape se fit apporter l'enveloppe du troisième Secret à Castelgandolfo, le 17 août 1959, par Mgr Philippe, alors commissaire au Saint-Office.
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Remarquons-le, cette transmission du Secret au Souverain Pontife revêtait ainsi un caractère officiel et s'entourait d'une certaine solennité, témoignant du prestige que conservait Fatima à cette époque. Jean XXIII n'ouvrit pas aussitôt l'enveloppe. Il se contenta de déclarer, : « *Je me réserve de le lire avec mon confesseur.* » La lecture du Secret « *fut faite quelques jours plus tard,* précise Mgr Capovilla. *Mais à cause de la difficulté soulevée par des locutions propres à la langue, on demanda l'aide du traducteur portugais de la secrétairerie d'État, Mgr Paulo José Tavares* »*,* devenu ensuite évêque de Macao. Plus tard, Jean XXIII le fit lire au cardinal Ottaviani, préfet du Saint-Office.
Ouvrons ici une brève parenthèse. Certes, nous savons bien que c'est à la hiérarchie qu'il revient de juger de l'authenticité des « révélations privées » et de l'opportunité de leur divulgation. Mais le cas du Secret de Fatima est tout à fait limpide. En 1960, il était évident que l'évêque de Leiria et la hiérarchie portugaise unanime, que les Papes eux-mêmes, par de nombreux actes publics dont certains avaient été très explicites, avaient déjà officiellement reconnu l'origine divine des apparitions de Fatima, d'ailleurs prouvées plus solidement qu'aucune autre par d'incontestables prophéties et d'éclatants miracles. Conformément à la demande de la très Sainte Vierge, les deux prélats responsables -- Mgr da Silva et le cardinal Cerejeira -- s'étaient engagés publiquement à en divulguer la teneur intégrale, au plus tard en 1960. Pendant plus de quinze ans, aucune déclaration autorisée n'était venue démentir ces promesses réitérées, répercutées dans le monde entier par des cardinaux, des évêques, ou des experts de Fatima aussi renommés que le chanoine Galamba, le chanoine Barthas ou le P. Messias Dias Coelho. La révélation des deux premiers Secrets en 1942, avec l'assentiment du pape Pie XII, constituait d'ailleurs un précédent. Si bien que les fidèles étaient parfaitement en droit d'attendre de l'autorité suprême cette divulgation promise.
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Hélas ! le 8 février 1960, on apprit soudain, par un simple communiqué de l'agence de presse portugaise A.N.I. que le troisième Secret de Fatima ne serait pas publié, qu'il ne serait même probablement jamais divulgué ! Qui avait pris cette déroutante décision ? Qui en avait informé l'agence ? Le communiqué du Vatican, totalement anonyme, ne l'indiquait même pas ! Et pour justifier cette décision imprévue qui allait si cruellement décevoir les meilleurs fils de l'Église, le communiqué du Vatican n'avançait que des prétextes inconsistants, mensongers, et d'ailleurs contradictoires. Il se terminait même par une perfidie : « *Bien que l'Église reconnaisse les apparitions de Fatima, elle ne désire pas prendre la responsabilité de garantir la véracité des paroles que les trois pastoureaux dirent que la Vierge Marie leur avait adressées.* » ([^10]) Ainsi le Vatican, non seulement reprenait à son compte la position insoutenable du P. Dhanis ([^11]), mais il allait plus loin encore. Il jetait publiquement, sans aucune raison valable, la plus infamante suspicion sur la crédibilité du témoignage de sœur Lucie et sur l'ensemble du message de Fatima !
Selon Mgr Capovilla, Jean XXIII aurait demandé conseil à plusieurs prélats de la Curie. Mais ce qui est sûr, c'est que les autorités portugaises responsables furent odieusement méprisées. Le 24 février 1960, le cardinal Cerejeira déclara à la presse : « *J'affirme catégoriquement que je n'ai pas été consulté.* »
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Mgr Venancio tenta l'impossible en décidant, de sa propre initiative et sans demander l'autorisation au Saint-Siège, de lancer un appel à tous les évêques du monde pour organiser le 13 octobre suivant une journée mondiale de prière et de pénitence (Lettre du 17 mai 1960). Mais le Vatican fit la sourde oreille. Et rien ne fut fait.
1960 fut vraiment une année noire pour Fatima. Lorsqu'on relit et analyse le lamentable communiqué du 8 février, ou bien encore le misérable article publié en juin par le P. Caprile dans la *Civiltà cattolica*, on est écœuré par la masse d'incohérences, d'inexactitudes et de mensonges qui ont alors été proférés, à Rome même, au sujet de Fatima. C'est dire combien la décision de passer outre à la volonté expresse de la Vierge Immaculée, Reine des Apôtres, demandant que son Secret fût divulgué en 1960, était injustifiée, injustifiable. Il est sûr aussi qu'elle fit un tort immense à la cause de Fatima. On peut dire que ce fut à partir de cette date, après ce mépris public du « Secret de Marie », que la dévotion à la très Sainte Vierge commença à décroître de manière sensible, puis, alarmante, au sein même de l'Église. Plus que jamais s'appliquait la parole de sœur Lucie : « La très Sainte Vierge est bien triste, car personne ne fait cas de son message. » Et cette faute, il faut oser le dire, allait avoir des conséquences incalculables. Car en méprisant les prophéties et les demandes de Fatima, c'était la Vierge Marie, c'était Dieu même que l'on avait méprisés, que l'on avait bafoués à la face du monde. Le châtiment conditionnel annoncé par l'avertissement maternel de Notre-Dame allait alors s'accomplir tragiquement, inéluctablement...
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#### II. Le troisième Secret dévoilé
Tout d'abord, nous pouvons établir quatre données certaines, objectives, concernant ce Secret, et qui vont nous permettre de progresser à grands pas dans la découverte du mystère.
1\) Un premier fait capital : nous connaissons le contexte du troisième Secret. Il n'y a en effet, à proprement parler, qu'un seul Secret révélé tout entier le 13 juillet 1917. Or, de ce tout cohérent nous connaissons maintenant trois parties sur quatre : nous connaissons le début -- les deux premières parties du Secret -- et la fin qui en constitue sûrement la conclusion : « *A la fin, nous promet Notre-Dame, mon Cœur Immaculé triomphera, le Saint-Père me consacrera la Russie qui se convertira, et il sera donné au monde un temps de paix.* » C'est dans ce contexte déjà connu, à la suite de l'*etc.,* marqué par sœur Lucie elle-même à la fin de la seconde partie, que le troisième Secret vient s'insérer.
Tel est le premier fait qui est pour nous un critère important : le contenu de la partie inédite doit cadrer avec son contexte immédiat et s'accorder harmonieusement avec l'ensemble du message de Fatima, dont la cohérence est par ailleurs tout à fait remarquable.
2\) Deuxième fait important : Si les circonstances dans lesquelles il fut révélé nous prouvent son unité foncière, les circonstances dramatiques de sa rédaction nous dévoilent à elles seules sa gravité tragique.
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3\) Troisième fait très éclairant : c'est à cause de son contenu, et seulement pour ce motif, que depuis 1960 les Papes successifs ont refusé de le divulguer.
Jean XXIII tout d'abord nous l'avons vu, malgré l'attente anxieuse, vraiment surnaturelle, des foules catholiques. Ce fut lui le premier qui décida "d'enterrer le Secret". Il le déposa, racontait le cardinal Ottaviani « *dans une de ces archives qui sont comme un puits profond noir, noir, au fond duquel les papiers tombent, et personne ne vit plus rien* ». En fait, on sait très bien que le manuscrit de sœur Lucie fut placé par le Pape dans le secrétaire de sa table de travail et qu'il y demeura jusqu'à sa mort.
Paul VI adopta d'emblée la même attitude. Élu le 21 juin 1963, quelque temps après il réclama le texte du Secret. Preuve de sa vive préoccupation à ce sujet. Comme il ne savait ce que Jean XXIII en avait fait, il fit interroger Mgr Capovilla, qui indiqua l'endroit où le manuscrit avait été placé. Le pape Paul VI l'a sûrement lu à ce moment-là. Mais il n'en parla pas. Vous savez cependant que le 11 février 1967, à l'approche du jubilé des apparitions de Fatima, le cardinal Ottaviani fit, au nom du Pape, une longue déclaration au sujet du troisième Secret, pour expliquer qu'il ne serait pas encore divulgué. En analysant ce texte, à la suite des experts portugais, je suis contraint de constater que, pour justifier à tout prix la non-divulgation du Secret, le préfet du Saint-Office, garant suprême de la vérité dans l'Église, est obligé d'accumuler des inexactitudes graves, des distinctions sans fondement, des affirmations contradictoires ([^12]).
Le pape Jean-Paul I^er^ était très dévot de Notre-Dame de Fatima. Il s'était rendu en pèlerinage à la Cova da Iria en juillet 1977. Et, fait très curieux, sœur Lucie elle-même demanda à le rencontrer.
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Le cardinal Luciani se rendit donc au carmel de Coïmbra et il s'entretint longuement avec la voyante. Je suis en mesure d'affirmer que sœur Lucie lui parla du troisième Secret. Il en fut très impressionné, et il fit part de son émotion et de la gravité du message à son entourage, lors de son retour en Italie. Il a alors parlé et écrit sur Fatima en termes vigoureux, en disant son admiration et sa confiance totale envers sœur Lucie, qu'il considérait visiblement comme une sainte. Devenu pape, sans doute voulut-il préparer l'opinion avant de faire quelque chose. Malheureusement, il nous a été tragiquement enlevé avant d'avoir pu parler.
Le pape Jean-Paul II, après l'attentat du 13 mai 1981 et avant son pèlerinage d'action de grâces du 13 mai suivant, a demandé l'aide d'un traducteur portugais de la Curie pour avoir le sens de « *certaines expressions du Secret propres à la langue portugaise* ». Il a donc lu, lui aussi, le troisième Secret. Mais il n'a pas voulu le divulguer.
Enfin, nous savons que le cardinal Ratzinger en a pris connaissance. Il l'a déclaré au journaliste italien Vittorio Messori. Il en a même parlé à deux reprises, en octobre 1984 et en juin 1985, évoquant son contenu en des termes très différents d'une fois à l'autre, ce qui est pour nous fort significatif ([^13]). Mais toujours pour s'efforcer -- bien vainement -- de justifier sa non-divulgation.
Bref, depuis vingt-cinq ans, de Jean XXIII à Jean-Paul II, c'est toujours le même implacable refus. Rome reste sourde, obstinément, à toutes les requêtes, d'où qu'elles viennent : de la hiérarchie portugaise ou des responsables de l'Armée bleue, du P. Alonso ou de l'abbé Laurentin.
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Notre Père, l'abbé de Nantes, a multiplié les suppliques, au nom de tous les membres de la "Ligue de Contre-Réforme Catholique" : en avril 73, en novembre 74, le 13 mai 75, le 25 novembre 78, le 13 mai 83, en janvier 85... Toutes ces demandes sont restées sans réponse ! Un silence aussi obstiné doit avoir ses raisons. Or, il se trouve que toutes celles qui ont été avancées en 1960 n'étaient que des arguments inconsistants, tout juste bons à former un épais rideau de fumée pour occulter une vérité par trop gênante ([^14]). Les raisons du cardinal Ottaviani en 1967 n'étaient pas plus sérieuses. Et il en va de même aujourd'hui de celles qu'avance son successeur, le cardinal Ratzinger.
Le vrai motif du silence de Rome, la vraie raison que toutes les autres tentent vainement de dissimuler, c'est évidemment le contenu du fameux Secret. Aussi est-ce une nouvelle donnée très éclairante pour progresser dans la découverte de l'ultime message de Notre-Dame.
4\) Quatrième fait capital : la prophétie du troisième Secret se réalise actuellement, sous nos yeux, depuis 1960. Il y a en effet un calendrier, un repérage est possible dans la réalisation des prophéties de Fatima.
D'une part, il est sûr que nous ne sommes pas encore arrivés au temps annoncé par la conclusion du Secret. Pourquoi ? Parce que la Russie n'a pas encore été consacrée au Cœur Immaculé de Marie, comme elle doit l'être, et comme elle le sera un jour. Sœur Lucie l'a fait savoir clairement, même après l'acte du 25 mars 1984. La Russie n'est pas encore convertie et le monde n'est pas en paix, loin de là. Donc nous ne sommes pas au terme de la prophétie.
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D'autre part, les événements annoncés dans le troisième Secret ne concernent pas seulement notre avenir. Car nous avons un autre repère : 1960. La Vierge avait demandé que le Secret soit divulgué en 1960, parce que, disait Lucie au cardinal Ottaviani, « en 1960, le message apparaîtra plus clair* *». Or, la seule raison qui puisse rendre une prophétie plus claire à partir d'une date déterminée est sans nul doute le début de sa réalisation. Et nous avons d'autres déclarations de Lucie disant que « le châtiment prédit par Notre-Dame dans le troisième Secret avait déjà commencé ».
Les limites extrêmes de l'époque concernée par la prophétie ainsi déterminées, nous pouvons être sûrs que nous sommes actuellement dans la période dont elle parle. Nous vivons donc le troisième Secret, nous assistons aux événements qu'il annonce.
*Faux secrets et fausses hypothèses*
A partir de ces données certaines, on peut écarter toute une série de faux secrets qui ont été successivement publiés depuis vingt-cinq ans. Le plus fameux de tous a été diffusé en 1963 par la revue allemande "Neues Europa". Il a été sans cesse repris par la suite dans diverses revues. Il y a dans ce texte plusieurs erreurs monstrueuses qui prouvent suffisamment qu'il s'agit d'un faux. Et, de plus, bien qu'on nous affirme que le texte publié est formé d' « *extraits* » du Secret véritable, ces « *extraits* » sont déjà au moins quatre fois trop longs pour tenir sur la feuille de papier sur laquelle Lucie a rédigé l'ensemble de l'authentique troisième Secret ([^15]) !
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On peut écarter aussi un bon nombre de fausses hypothèses. Bien sûr, il ne s'agit pas, -- comme osait le prétendre le P. Caprile --, d'une simple « invitation à la prière et à la pénitence » ! La Vierge Marie n'aurait pas demandé à Lucie d'attendre 1944 ou 1960 pour divulguer un message qui répéterait mot pour mot son message public du 13 octobre 1917 !
Il ne s'agit pas non plus de prophéties de bonheur : le troisième Secret de Fatima ne rejoint sûrement pas les vues pleines d'optimisme du pape Jean XXIII annonçant que le Concile serait « *une nouvelle Pentecôte* », « *un nouveau printemps de l'Église* » ! Si cela était, lui-même ou ses successeurs nous l'auraient révélé. « *Si c'était gai,* disait très justement le cardinal Cerejeira, *on nous le dirait. Puisqu'on ne nous dit rien, c'est que c'est triste !* » Oui, c'est évidemment grave et tragique.
Ce n'est pas non plus l'annonce de la fin du monde, puisque la prophétie de Fatima se termine par une promesse merveilleuse et inconditionnelle, que l'on devrait prêcher à temps et à contretemps parce qu'elle est la source d'une inconfusible espérance : « *A la fin mon Cœur Immaculé triomphera, le Saint-Père me consacrera la Russie, qui se convertira, et il sera donné au monde un temps de paix.* »
Serait-ce l'annonce d'une troisième Guerre Mondiale ? D'une guerre atomique ? Il serait sage de le penser, car ici la prophétie ne ferait que confirmer les analyses politiques les plus lucides... La Vierge Marie n'aurait-elle pas prédit cette guerre future, horrible, qui nous menace si tragiquement ? A la suite du P. Alonso, on peut montrer que ce n'est sans doute pas l'essentiel du troisième Secret. Pour une solide -- raison : c'est que cette annonce de châtiments matériels, de nouvelles guerres et de persécutions contre l'Église, constitue le contenu spécifique du deuxième Secret. Avons-nous déjà réfléchi à la portée terrible de ces simples mots : « *Les bons seront martyrisés, le Saint-Père aura beaucoup à souffrir, plusieurs nations seront anéanties* »* ?*
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« *La Sainte Vierge nous a dit,* confiait sœur Lucie au P. Fuentes, *que beaucoup de nations disparaîtront de la surface de la terre, que la Russie sera l'instrument du châtiment du Ciel pour le monde si nous n'obtenons pas auparavant la conversion de cette pauvre nation.* » ([^16]) C'est pourquoi il est à craindre que le mot « *anéanties* » ne soit à prendre au pied de la lettre, dans son sens obvie : annihilées, détruites de fond en comble. Invraisemblable en 1917, cette tragique menace ne l'est plus du tout pour nous aujourd'hui, à l'ère atomique.
C'est donc clair : tous les châtiments matériels qui nous menacent encore, même les plus effroyables, comme la guerre nucléaire, ou l'expansion du communisme sur toute la planète, sont déjà annoncés par Notre-Dame dans son second Secret, et nous connaissons aussi les moyens surnaturels de les conjurer, avant qu'il ne soit trop tard. Nous pouvons être certains que rien de tout cela ne reviendra dans la troisième partie du Secret, affirme le P. Alonso. Ou du moins, ajouterais-je, s'il y est fait de nouveau allusion -- comme cela est tout de même possible -- ce ne sera pas le thème essentiel de ce troisième Secret. En effet, puisque le Secret est composé de trois parties cohérentes, mais distinctes, et dont les dates de divulgation fixées par le Ciel n'étaient pas les mêmes, on peut être sûr que la troisième partie du Secret ne va pas répéter la même chose que la seconde, à quelques lignes d'intervalle.
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*Un châtiment spirituel*
Il s'agit sans doute principalement d'un châtiment spirituel, bien pire encore, plus redoutable que la famine, les guerres et les persécutions, car il concerne les âmes, leur salut ou leur perte éternels. Le P. Alonso, nommé en 1966 expert officiel de Fatima par Mgr Venancio, l'a démontré dans l'un des tomes de sa grande œuvre critique, en quatorze volumes, que malheureusement on lui a interdit de publier ! Mais il a pu tout de même, avant sa mort le 12 décembre 1981, nous faire connaître ses conclusions dans diverses brochures et de nombreux articles de revues théologiques. Mes recherches personnelles m'ont seulement permis de clarifier, de compléter, de préciser sa thèse, que des documents nouveaux sont venus confirmer.
Voici le plus important : le 10 septembre 1984, Mgr Cosme do Amaral, l'actuel évêque de Leiria-Fatima, déclarait dans l'*aula magna* de l'Université technique de Vienne, au cours d'une période de questions et de réponses : « *Le Secret de Fatima ne parle ni de bombes atomiques, ni de têtes nucléaires, ni de missiles SS-20.* Son contenu, *insista-t-il,* ne concerne que notre foi. *Identifier le Secret avec des annonces catastrophiques ou avec un holocauste nucléaire, c'est déformer le sens du message.* La perte de la foi d'un continent est pire que l'anéantissement d'une nation ; et il est vrai que la foi diminue continuellement-en Europe. » ([^17])
Pendant dix ans, l'évêque de Fatima a gardé un silence absolu sur le contenu du troisième Secret. Lorsqu'il ouvre la bouche pour faire une déclaration publique aussi ferme, on peut être moralement sûr qu'il n'a pas parlé ainsi sans avoir auparavant consulté sœur Lucie.
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D'autant plus qu'en 1981, il avait déjà démenti des faux secrets, en disant qu'il avait interrogé la voyante à ce sujet. C'est dire que la thèse du P. Alonso est maintenant publiquement confirmée par l'évêque de Fatima ; c'est une terrible crise de l'Église, c'est la perte de la foi que la Vierge Immaculée a annoncées, précisément pour notre époque, si ses demandes n'étaient pas suffisamment accomplies ([^18]). Et c'est ce drame auquel nous assistons depuis 1960...
L'essentiel est dit, et je me contenterai maintenant d'évoquer les principales étapes de ma démonstration sur le véritable contenu du troisième Secret.
*La perte de la foi*
Dans un premier chapitre, j'expose les raisons qui prouvent que le troisième Secret parle effectivement de la perte de la foi. Et la principale, c'est l'élément du troisième Secret que nous connaissons déjà. En effet, nous n'en connaissons pas seulement le contexte. Sœur Lucie a tenu à nous en indiquer la première phrase : « Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi, etc. » Cette petite phrase, que la voyante a ajoutée intentionnellement lorsqu'elle a rédigé le Secret pour la seconde fois, est à coup sûr significative. Elle nous fournit, très discrètement, la clef du troisième Secret.
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Voici le judicieux commentaire du P. Alonso : « Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi : *cette phrase insinue en toute clarté* un état critique de la foi *dont souffriront d'autres nations, c'est-à-dire* une crise de la foi ; *tandis que le Portugal sauvera sa foi... Donc, écrit encore le P. Alonso, dans la période qui précède le grand triomphe du Cœur Immaculé de Marie se produiront les choses terribles qui sont l'objet de la troisième partie du Secret. Lesquelles ? Si "au Portugal on conservera toujours les dogmes de la foi"...* on peut en déduire en toute clarté que dans d'autres parties de l'Église ces dogmes ou bien vont s'obscurcir, ou bien même se perdre. »
La plupart des experts se sont ralliés à cette interprétation : le P. Martins dos Reis, le chanoine Galamba, Mgr Venancio, le P. Luis Kondor, le P. Messias Dias Coelho. Le 18 novembre dernier, au cours d'une conférence qu'il donnait à Paris, l'abbé Laurentin, -- c'est surprenant ! -- se déclarait lui aussi favorable à cette solution ([^19]).
Ajoutons que le cardinal Ratzinger a parlé en ce sens à Vittorio Messori, en disant que le troisième Secret concernait « les périls qui pèsent sur la foi et la vie du chrétien ». Enfin, nous l'avons dit, l'actuel évêque de Fatima est encore plus explicite. Il laisse entendre qu'il s'agit d'une crise de la foi à l'échelle de plusieurs nations et de continents entiers... Une telle défection a un nom dans l'Écriture sainte : c'est "l'apostasie". Il est fort possible que ce mot se trouve dans le texte même du Secret.
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*La défaillance\
et le châtiment des pasteurs*
Dans un second chapitre ([^20]), je montre qu'il y a plus : le troisième Secret insiste sûrement sur la lourde responsabilité des âmes consacrées, des prêtres, des évêques et des papes eux-mêmes dans cette crise de la foi sans précédent qui a atteint l'Église depuis vingt-cinq ans. J'en fournis plusieurs preuves, plusieurs indices très clairs. Je dois me contenter ici de vous citer le P. Alonso : « Il est donc tout à fait probable, écrit-il, que le texte du troisième Secret fasse des allusions concrètes à la crise de la foi de l'Église et à la négligence des Pasteurs eux-mêmes. » Il parle plus loin de « luttes intestines au sein de l'Église même et de graves négligences pastorales de la haute hiérarchie », de « déficiences de la haute hiérarchie de l'Église ».
Ces affirmations si graves, le P. Alonso ne les a sûrement pas écrites et publiées en 1976, et de nouveau en 1981, quelques semaines avant sa mort, sans en avoir mûrement pesé toute la portée. Expert officiel de Fatima, aurait-il adopté, -- après dix ans de travaux et de nombreux entretiens avec sœur Lucie --, une position aussi hardie, sur un sujet aussi brûlant, sans s'assurer au moins de l'accord tacite de la voyante ? Là réponse ne laisse point de doute.
Cette annonce des déficiences de la hiérarchie, et des papes eux-mêmes, explique tout : le souci lancinant des trois voyants s'efforçant héroïquement de prier, de prier beaucoup et de se sacrifier sans cesse pour le Saint-Père ; les trois mois d'insurmontable agonie que sœur Lucie dut affronter avant d'oser écrire ce texte ;
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elle explique enfin pourquoi les papes, depuis l'optimiste Jean XXIII jusqu'à Jean-Paul II, ont hésité, tardé, et sans cesse remis à plus tard sa divulgation, cherchant à tout prix à le maintenir caché.
*L'heure du combat décisif\
entre la Vierge et le démon*
Dans un troisième chapitre ([^21]), je montre que sœur Lucie s'est sans doute fait l'écho d'un thème du troisième Secret dans certaines de ses paroles ou de ses lettres, où elle insiste sur le déchaînement du démon à notre époque. Déjà en 1957, elle confiait au P. Fuentes : « La très Sainte Vierge m'a dit que le démon est en train de livrer une bataille décisive avec la Vierge... et comme il sait ce qui offense le plus Dieu et qui en peu de temps lui fera gagner le plus grand nombre d'âmes, il fait tout pour gagner les âmes consacrées à Dieu, car de cette manière, il laisse le champ des âmes désemparé, et ainsi, il s'en emparera plus facilement. »
Mais c'est surtout dans une série de lettres des années 1969-1970 -- très importantes et peu connues -- qu'elle emploie des expressions saisissantes pour décrire la crise actuelle de l'Église. Et, notons-le bien, sous la plume d'une âme aussi humble, aussi respectueuse de toute autorité, ces expressions si fortes sont sans doute l'écho des paroles entendues des lèvres mêmes de la Vierge Immaculée, dans son ultime message concernant la sauvegarde de la foi et le salut de l'Église :
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« *Je vois par votre lettre,* écrit-elle à un prêtre, *que vous êtes préoccupé par la désorientation de notre temps.* Il est triste en effet que tant de personnes se laissent dominer par la vague diabolique qui balaye le monde et qu'elles soient aveuglées au point d'être incapables de voir l'erreur ! *Leur faute principale est qu'elles ont abandonné la prière ; elles se sont ainsi éloignées de Dieu, et sans Dieu, tout leur fait défaut... Le diable est très rusé et cherche nos points faibles afin de nous attaquer. Si nous ne sommes pas appliqués et attentifs à obtenir de Dieu la force, nous tomberons, car notre temps est très mauvais et nous sommes faibles. Seule la force de Dieu peut nous tenir debout.* »
Dans une lettre à une amie, engagée avec zèle dans la défense de la dévotion mariale, sœur Lucie écrit : « *Que l'on récite le chapelet tous les jours. Notre-Dame a répété cela dans toutes ses apparitions,* comme pour nous prémunir contre ces temps de désorientation diabolique, pour que nous ne nous laissions pas tromper par de fausses doctrines... *Malheureusement, en matière religieuse, le peuple, dans sa majeure partie, est ignorant et se laisse entraîner où on le porte. De là la grande responsabilité de celui qui a la charge de le conduire...* C'est la désorientation diabolique qui envahit le monde et trompe les âmes ! Il est nécessaire de lui faire front. »
Le 16 septembre 1970, elle écrit à une religieuse amie « *Pauvre Seigneur, il nous a sauvés avec tant d'amour et il est si peu compris ! si peu aimé ! si mal servi !* Il est douloureux de voir une si grande désorientation, et en tant de personnes qui occupent des places de responsabilité !... *Pour nous, nous devons, autant qu'il nous est possible, essayer de réparer par une union toujours plus intime avec le Seigneur... Cela me fait de la peine de voir ce que vous me dites, que maintenant, cela se passe aussi par ici !...* C'est que le démon a réussi à infiltrer le mal sous couvert de bien et les aveugles se mettent à en guider d'autres, comme nous le dit le Seigneur dans son Évangile, et les âmes se laissent tromper.
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*De bon cœur, je me sacrifie et offre à Dieu ma vie pour la paix de son Église,* pour les prêtres et pour toutes les âmes consacrées, surtout pour celles qui sont tellement trompées et égarées ! »
Pour la confidente de la Vierge Marie, le mal n'est pas seulement dans notre monde « *en décadence* », « *plongé dans les ténèbres de l'erreur, de l'immoralité et de l'orgueil* ». Il est dans l'Église même, où le démon a ses « *sectateurs* » et ses « *partisans* » qui « *vont toujours de l'avant avec une audace intrépide* »*.* En face d'eux, il y a tant de « *peureux* » qui n'ont pas le courage de se compromettre ! Et sœur Lucie ne craint pas de signaler que bien des évêques sont du nombre. De plus, il ne s'agit pas seulement de tiédeur ou de négligences pastorales. Sœur Lucie laisse clairement entendre que c'est la foi elle-même qui est attaquée : elle parle de « *fausses doctrines* »*,* de « *désorientation diabolique* »*,* d' « *aveuglement* »*...* Et chez ceux-là mêmes « *qui ont de grandes responsabilités* » dans l'Église. Elle déplore que tant de Pasteurs « *se laissent dominer par la vague diabolique qui envahit le monde* »*.* Pourrait-on mieux décrire la crise de l'Église qui s'est ouverte à un monde... dont Satan est le Prince ?
Mais, insiste sœur Lucie, « la Vierge savait que devaient venir ces temps de désorientation diabolique... »*.* Toutes ces paroles de la voyante, et tant d'autres que nous ne pouvons citer, s'expliquent parfaitement et prennent tout leur relief si, le 13 juillet 1917, dans son troisième Secret, la Vierge a précisément annoncé cette « *désorientation diabolique* » qui envahirait soudain l'Église si l'on n'obéissait pas à ses demandes.
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*La grande apostasie des "derniers temps"\
annoncée par les Écritures*
A quelqu'un qui l'interrogeait sur le contenu du troisième Secret, sœur Lucie répondit un jour : « C'est dans l'Évangile et dans l'Apocalypse, lisez-les ! » Elle a aussi confié au P : Fuentes que la Vierge Marie lui avait fait voir clairement que « nous étions dans les derniers temps du monde » (ce qui ne signifie pas, il faut le préciser, le temps de la fin du monde et du jugement dernier, puisque doit venir d'abord le triomphe du Cœur Immaculé de Marie). Le cardinal Ratzinger lui-même, en évoquant discrètement le contenu du Secret de Fatima, a mentionné trois éléments importants : « les périls qui pèsent sur la foi », « l'importance des derniers temps », et le fait que les prophéties « contenues dans le troisième Secret correspondent à ce qu'annonce l'Écriture ». Nous savons même que Lucie a indiqué un jour les chapitres VIII à XIII de l'Apocalypse.
C'est pourquoi je consacre les deux derniers chapitres de mon livre à rappeler les grands enseignements de Notre-Seigneur, de saint Paul et de saint Jean -- tellement méconnus aujourd'hui ! -- annonçant les troubles, les hérésies et finalement la grande apostasie qui surviendront dans l'Église lors des "*derniers temps".* Et, de fait, les rapprochements objectifs entre les prophéties de l'Écriture et la grande prophétie de la Vierge de Fatima, à l'aube de notre siècle, paraissent très nombreux et saisissants :
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comment, par exemple, attribuer au hasard le fait que les trois Secrets de Fatima semblent correspondre, de manière étonnante, aux trois thèmes principaux que développe successivement l'Apocalypse dans ses chapitres XI, XII et XIII ([^22]) ?
#### III. Il est urgent d'écouter enfin Notre-Dame de Fatima
Nous en avons dit assez pour comprendre que rien n'est si important, si nécessaire, si urgent que de faire connaître, sans tarder, à tous les fidèles de l'Église le texte du Secret de Marie dans son intégralité, dans sa limpide vérité, dans sa richesse prophétique et sa transcendance divine. Il faudrait citer ici les nombreuses et solides raisons qui soulignent l'urgence de cette divulgation. Je me contenterai d'évoquer les principales.
*Pourquoi divulguer le troisième Secret ?*
1\) « Parce que la Sainte Vierge le veut ainsi. » Nous savons en effet que sa volonté n'a point changé depuis l'heure de grâce du 13 juillet 1917 où elle le révéla aux trois pastoureaux, depuis ce 2 janvier 1944 où, apparaissant à sœur Lucie dans son couvent de Tuy, elle lui demanda d'en écrire le texte. Elle veut que cet oracle prophétique soit dévoilé, qu'il soit connu. Et sœur Lucie, sa messagère, a continué à désirer cette divulgation.
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Tant qu'on le lui a permis, elle l'a demandée instamment à qui de droit, nous le savons.
2\) Pour le bien des âmes. Car, contrairement à un mensonge si souvent répété, le Secret n'est pas réservé exclusivement au Saint-Père. Comme les deux précédents, il est destiné à tous les fidèles. Fils de l'Église, nous sommes tous enfants de Marie. Nous avons tous le droit de connaître -- l'avertissement salutaire que notre Mère du Ciel nous adresse, en cette heure périlleuse, pour nous aider -- nous-mêmes, nos enfants, tous nos proches -- à garder intacte et vivante dans nos cœurs la vraie foi catholique reçue de nos pères.
3\) Parce que tant que ce Secret n'aura pas été dévoilé, la paix du monde restera tragiquement menacée. Je m'explique : nous y croyons fermement, tant que la Russie ne sera pas consacrée au Cœur Immaculé de Marie comme Dieu exige qu'elle le soit, elle ne se convertira pas. Et tant qu'elle ne sera pas convertie, libérée de son bolchevisme athée et persécuteur et de la poignée de sataniques qui l'asservissent, le risque d'une effroyable guerre et d'une domination du communisme sur le monde entier restera une terrible menace. Dieu a voulu que la paix du monde dépende, en notre siècle, de l'obéissance filiale, empressée du pape et des évêques aux demandes de sa très Sainte Mère apparue à Fatima. Or, cet acte de foi, de docilité confiante envers l'Immaculée Médiatrice, par lequel nos Pasteurs réaliseront la consécration de la Russie, suppose *aussi,* et je dirai même *tout d'abord,* l'acceptation et la divulgation du Secret. C'est une leçon de l'histoire : depuis 1960, l'occultation délibérée, méprisante, du Secret de Notre-Dame est allée de pair avec le refus obstiné d'accomplir avec exactitude ses autres demandes.
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Au contraire, la divulgation du troisième Secret sera la marque évidente que l'Église reconnaît enfin, de manière officielle, l'origine divine et l'importance du message de Fatima dans son intégralité. L'un des obstacles majeurs à la consécration de la Russie sera alors écarté.
4\) Enfin et surtout pour le salut de l'Église. Tandis que celle-ci traverse sans doute la plus grave crise de son histoire, tandis que des hérésies de toutes sortes sont enseignées et propagées, empoisonnant partout le peuple fidèle, tandis que son « *autodestruction* » s'est poursuivie sans trêve depuis 1960 et que « *les fumées de Satan* » ont pénétré dans le Lieu saint, il est infiniment dommage, et sûrement même criminel de continuer à négliger, à mépriser les paroles salutaires de la Vierge Marie, concernant précisément cette "*crise de la foi"* que nous subissons. Puisque la Reine du Ciel, dès 1917, avait annoncé le péril, puisqu'elle en avait sûrement indiqué les causes véritables, puisqu'elle avait proposé les remèdes efficaces, n'est-il pas scandaleux que des millions d'âmes souffrent, depuis vingt-cinq ans, de cette « *désorientation diabolique* » et se laissent, hélas ! entraîner sur la voie de la damnation éternelle, sans que les Pasteurs de l'Église daignent accepter l'aide extraordinaire que Dieu leur offre dans sa miséricorde infinie ?
*Il faut réitérer nos suppliques*
Voilà autant de motifs qui nous font un devoir de continuer à adresser au Saint-Père nos suppliques réitérées pour la divulgation du Secret de Fatima : C'est pour l'honneur de notre Mère, pour le salut de nos frères, pour la paix du monde, pour la renaissance de l'Église !
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Que l'on ne nous dise pas, -- comme on a tenté récemment de le faire croire --, que « *le Secret de Fatima ne peut être dévoilé parce qu'il risquerait d'être mal interprété* » ! La Reine des Prophètes, qui a prévu et annoncé en 1917 tant d'événements, alors imprévisibles, que nous avons vécus depuis, aurait omis de prévoir ce risque, au point de rendre son Secret entièrement inutile pour l'Église ? C'est impensable ! Non, son Secret est limpide, sans la moindre ambiguïté, ni difficulté d'interprétation, nous pouvons en être sûrs. Osons même le dire : c'est bien plutôt sa trop grande clarté qui doit gêner nos Pasteurs ! Prions donc sans relâche pour que le Pape obtienne de Dieu la lumière et le courage d'accomplir enfin son plus urgent devoir. Il est déjà tard. Mais, nous dit sœur Lucie : « Il ne sera jamais trop tard pour recourir à Jésus et à Marie. »
Enfin, et je terminerai par là, si le Pape ne veut pas divulguer lui-même l'ultime Secret de Notre-Dame, en y engageant son autorité personnelle, s'il refuse au préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi le droit de dire la vérité sur ce Secret qu'il connaît lui aussi, ne pourrait-il pas, ne devrait-il pas laisser du moins toute liberté à l'une des autorités portugaises -- à l'évêque de Leiria, à l'évêque de Coïmbra, ou à l'un ou l'autre des supérieurs ecclésiastiques de sœur Lucie --, de correspondre enfin à la demande expresse de Notre-Dame en faisant connaître son Secret aux fidèles ?
*Le troisième Secret à l'index ?*
Car, -- c'est un fait stupéfiant ! -- depuis plus de vingt-cinq ans, le Secret de Fatima, et lui seul, est en quelque sorte à l'index.
43:305
Sœur Lucie, et elle seule, est réduite au silence. Le 15 novembre 1966, le pape Paul VI a abrogé les articles 1399 et 2318 du code de Droit canon, qui interdisaient la publication de livres et de brochures propageant sans autorisation de nouvelles apparitions, révélations ou prophéties encore non approuvées par l'Église. Et ces articles n'ont pas été réintroduits dans le nouveau code. Si bien que, depuis 1966, n'importe qui peut publier et répandre dans le peuple chrétien les révélations les plus fantaisistes. N'importe quelle imposture, n'importe quelle diablerie. Plus rien n'est interdit. Tout est autorisé à paraître. Et le "Prince du mensonge" profite habilement de cette licence en multipliant de par le monde ses apparitions fallacieuses, ses messages frauduleux qui, partout répandus librement, égarent d'innombrables fidèles ([^23]). Seul, le message le plus sûrement, le plus incontestablement divin, le Secret de la Vierge de Fatima, reste scandaleusement à "l'index" !
La conclusion s'impose : près de 70 ans après ses apparitions à la Cova da Iria et le grand miracle du soleil, il est grand temps de laisser parler la très Sainte Vierge Marie, notre Mère, en autorisant enfin la divulgation de son message du 13 juillet 1917 !... et, dans le même mouvement, de rendre toute sa liberté de parole et de correspondance à sœur Lucie, sa messagère, la cloîtrée, pour ne pas dire la séquestrée du carmel de Coïmbra. Oui, qu'elle puisse enfin librement rappeler toutes les demandes et dévoiler les prophéties que Notre-Dame l'a chargée de transmettre « *pour faire connaître et aimer son Cœur Immaculé* » !
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*L'aube de la renaissance catholique*
Notre conclusion est simple : l'ultime Secret de Marie est un Secret terrible, mais véridique et salutaire. Tant qu'on ne l'aura pas dévoilé, l'Église continuera de marcher à sa ruine, inéluctablement. Elle s'enfoncera dans l'abîme de l'apostasie, irrémédiablement.
Sa divulgation, au contraire, marquera l'aube de son relèvement. Certes, les divisions, les controverses et les contestations, dont souffre si cruellement le Corps mystique du Christ, n'en disparaîtront pas pour autant du jour au lendemain. Mais elles seront d'un seul coup divinement éclairées. La Vierge Marie aura parlé. Alors, ceux qui oseront se prononcer contre le message de la Reine du Ciel, si limpide, si évidemment prophétique et portant en lui-même les marques incontestables de son origine divine, seront justement "*disqualifiés".* Et l'on verra où sont les vrais fils de Marie, les vrais serviteurs de l'Église, les vrais défenseurs du Saint-Père, lorsqu'il se décide à agir avec courage et prudence pour accomplir tout son devoir de Vicaire du Christ, de Gardien infaillible des "*dogmes de la foi",* et d'humble serviteur de Marie, Reine des Apôtres.
#### Notre ultime espérance : les promesses de Notre-Dame de Fatima
Puisque l'Immaculée, et « Elle seule*, --* comme elle nous en a avertis elle-même dans son message public du 13 juillet 1917 --, pourra nous secourir », n'est-il pas normal, n'est-il pas urgent de recourir à elle, la Mère du Perpétuel Secours ?
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*La triple mission\
de l'Immaculée Médiatrice*
Ses trois Secrets nous révèlent en effet sa triple puissance et la triple mission que Dieu lui a confiée, et dont il veut imposer en notre siècle la manifestation éclatante :
C'est par elle, -- par son premier terrible et merveilleux Secret : la vision de l'enfer et la révélation de son Cœur Immaculé -- qu'Il veut convertir les âmes, toutes les âmes, et les sauver, car elle est la "Mère de Miséricorde", le "Refuge des pécheurs" et la "Porte du Ciel".
C'est par elle, -- et non point par les honteux compromis, par les odieuses trahisons de l'Ostpolitik et de l'entente maçonnique de toutes les religions --, par les demandes, les menaces et les promesses de son deuxième Secret, qu'Il voulait sauver la Chrétienté, nous épargner d'horribles guerres et l'esclavage bolchevique, car Il lui a confié la paix du monde : « *Le moment venu de le dire, ne te cache pas. Dis à tout le monde que Dieu nous accorde ses grâces par le moyen du Cœur Immaculé de Marie, que c'est à elle qu'il faut les demander, que le Cœur de Jésus veut qu'on vénère avec Lui le Cœur Immaculé de Marie ;* que l'on demande la paix au Cœur Immaculé de Marie, car c'est à elle que Dieu l'a confiée. » C'est l'ultime recommandation de la petite Jacinthe à sa cousine, au moment de partir pour l'hôpital de Lisbonne, quelques semaines avant sa mort ([^24]).
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C'est par elle encore, -- par la prophétie de son troisième Secret -- qu'Il veut vaincre aujourd'hui « *la vague diabolique* » déferlant sur l'Église, l'impiété installée jusque dans le Sanctuaire et toutes les forces obscures qui ont fomenté l'apostasie moderne, car elle est le "rempart de la vraie foi". Elle seule a reçu de son Fils le pouvoir de vaincre toutes les hérésies dans le monde entier : "*Cunctas haereses tu sola interemisti in universo mundo !*"
*Nous verrons le triomphe\
du Cœur Immaculé de Marie !*
Et cette triple mission de l'Immaculée Médiatrice, que nous révèle son grand Secret, est aussi le fondement inébranlable de notre inconfusible espérance : oui, nous pouvons en être sûrs, lorsque son Secret sera enfin tout entier dévoilé et reconnu comme authentique, lorsque la Russie lui sera enfin solennellement consacrée et la dévotion réparatrice des premiers samedis du mois officiellement approuvée, la Vierge fidèle et puissante -- "*Virgo fidelis" ! "Virgo potens" ! --* accomplira ses merveilleuses promesses.
Remplis d'allégresse, nous assisterons alors au triomphe de son Cœur Immaculé préparant le Règne universel du Sacré-Cœur de Jésus : la Russie, délivrée de ses démons, par un immense miracle de conversion, rentrera au bercail de l'unité romaine. Un temps de paix sera donné au monde. La foi catholique sera prêchée à toutes les nations. Et les âmes, par myriades, puiseront dans la joie aux sources du salut, dans l'unique et sainte Église du Christ, catholique, apostolique et romaine, sous la houlette d'un seul Pasteur !
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Oui, cette heure viendra, mais il nous faut la hâter en accomplissant nous-mêmes avec amour, et dès maintenant, toutes les demandes de Notre-Dame. Car elle a besoin de nous : « *Les temps modernes,* disait saint Maximilien Kolbe, *sont dominés par Satan et ils le seront davantage encore à l'avenir. L'Immaculée seule a reçu de Dieu la promesse de la victoire sur Satan.* Mais, dans la gloire du Ciel, elle a besoin aujourd'hui de notre collaboration. Elle cherche des âmes qui se consacrent entièrement à Elle et deviennent, entre ses mains, une force pour vaincre Satan et des instruments pour instaurer le règne de Dieu. »
Fr. Michel de la Sainte Trinité.
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## CHRONIQUES
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### Le CCFD, Histoire d'une mise à nu
par Yves Daoudal
DÉBUT MAI, le secrétaire général du CCFD (comité catholique contre la faim et pour le développement), Bernard Holzer, a fait une conférence de presse pour annoncer que son mouvement engageait dix procédures judiciaires contre diverses publications et contre l'UNI (union nationale interuniversitaire).
La goutte d'eau qui avait fait déborder le vase de la colère de M. Holzer était la publication par l'hebdomadaire *Famille chrétienne* d'un rapport sur les menées du CCFD au Chili.
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Ce rapport avait été établi par une délégation qui s'était rendue dans ce pays sous l'autorité de M. Pierre Vellieux, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation. Il en ressortait que sur vingt-trois projets financés par le CCFD, cinq seulement étaient contrôlés par l'épiscopat, que sept autres n'avaient pu être identifiés sur place, et que 62 % au moins des fonds alloués par le CCFD étaient allés en 1985 au Chili à des « projets d'inspiration politique », c'est-à-dire d'extrême gauche. 62 % étant un minimum absolu, les cinq projets contrôlés par l'épiscopat étant a priori considérés comme n'étant pas « d'inspiration politique » par *Famille chrétienne.*
Un numéro ultérieur de cette publication nous apprit que celle-ci n'était pas poursuivie par le CCFD, contrairement à ce qui avait été dit, mais que le CCFD « assignerait en justice toute attaque ultérieure en même temps qu'il énonçait les procédures engagées contre des enquêtes publiées antérieurement ».
De fait si l'on analyse la dépêche de l'AFP rendant compte de la conférence de presse de M. Holzer, on s'aperçoit que si celui-ci s'était longuement attaché à critiquer le rapport Vellieux, il n'avait parlé d'actions en justice que pour le livre de Guillaume Maury *L'Église et la subversion* publié par l'UNI, et toutes les publications contre le CCFD contenues dans ce livre.
Au premier chef par conséquent le *Figaro-Magazine,* qui en octobre 1985 avait publié des extraits de ce livre, en pleine assemblée plénière des évêques français à Lourdes. C'était la première fois qu'une publication à gros tirage lançait des accusations précises et étayées contre le CCFD. De Lourdes, Mgr Vilnet lança l'anathème contre les « calomnies publiques, les soupçons indus, systématiquement distillés ».
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Quelques jours plus tard des catholiques de Nouvelle Calédonie envoyaient une lettre ouverte à Mgr Vilnet, dénonçant « les agissements scandaleux du CCFD dans ce territoire ». *La Croix* en fit état... près de deux mois plus tard, avec des explications embarrassées et une note du directeur Jean Potin intitulée : « Ne pas calomnier ». Dix jours plus tôt, le conseil permanent de l'épiscopat avait annoncé, tout en renouvelant sa confiance au CCFD, des modifications dans le fonctionnement et les statuts de l'organisme défini comme « un signe visible de la charité de l'Église de France ».
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Si le CCFD est enfin largement démasqué dans l'opinion publique, c'est grâce au travail opiniâtre d'un homme dont les révélations et les analyses furent longtemps ignorées, voire méprisées, par ceux-là mêmes qui aujourd'hui se servent de ses dossiers.
Cet homme c'est Pierre Debray. Avant lui, certes, on savait plus ou moins confusément dans les milieux catholiques imperméables à la propagande de gauche que le CCFD se servait d'une couverture charitable pour alimenter non les affamés mais la subversion. Par exemple en mars 1974 *L'Homme nouveau* évoquait l'aide du CCFD au Nord-Vietnam, en avril 1978 le bulletin *Credo* de Michel de Saint Pierre avançait que le CCFD détournait la charité des fidèles. Mais c'est Pierre Debray qui mena, à partir de la fin de 1979, une enquête précise sur les agissements du CCFD.
Tout partit d'un tract diffusé fin 1979 par le CCFD du diocèse de Vannes ; qui tomba sous les yeux de Pierre Debray. Le tract affirmait qu' « en mai dernier les Vietnamiens ont libéré tout un peuple des sanguinaires khmers rouges ».
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Or il suffisait de lire les journaux pour savoir ce qu'était cette fameuse libération : les autorités vietnamiennes d'occupation laissaient la famine s'étendre, stockaient les milliers de tonnes de nourriture et de médicaments envoyés au Cambodge, s'en servant pour les armées d'occupation, utilisant l'arme de la faim pour soumettre les populations khmères.
Fin décembre 1979, le président de « Médecins sans frontières » dénonçait dans *le Quotidien du médecin* le fait que seules des « organisations politisées faisant croire qu'elles sont apolitiques » étaient autorisées par l'occupant vietnamien à aider le Cambodge sur le terrain : « C'est le Comité français d'aide médicale et sanitaire à la population cambodgienne (communiste), qui entraîne dans son sillage, comme faux nez, CIMADE (protestant), CCFD (catholique), et Secours populaire... Menteurs ou naïfs, ils prétendent que tout va bien, que l'aide arrive partout. »
A ce moment-là le CCFD diffusait une ignoble bande dessinée, destinée aux enfants, où une petite Cambodgienne disait notamment : « On recommence à jouer, à rire. Il n'y a plus d'hôpital mais on s'organise. On a de la peine mais on croit qu'on peut y arriver. Reconstruire le pays c'est long, mais on ne veut laisser personne de côté. » Parallèlement, un petit Nicaraguayen faisant l'apologie du régime sandiniste.
Pierre Debray chercha dès lors à en savoir davantage. Il put se procurer les listes officielles des projets du CCFD pour 1977 et 1978. Malgré les intitulés vagues et nébuleux, il en sortit néanmoins un catalogue impressionnant de projets n'ayant manifestement rien à voir avec la faim ou le développement.
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Parmi eux un étrange intitulé, avec une énorme somme : un million de francs destinés à des « wagons pour le Vietnam ». S'agissait-il de wagons pour l'invasion du Cambodge ? Plus tard un militant du Secours catholique lui envoya la fiche du document interne au CCFD. Il s'agissait de la remise en état de la ligne Hanoi-Saigon, et le don du CCFD était effectivement destiné à acquérir des « wagons de voyageurs » pour cette ligne... indispensable au contrôle du Cambodge par le Vietnam. Seulement, le projet n'était que de 100.000 F et non d'un million. Mais Pierre Debray apprit alors qu'en décembre 1977, le secrétaire général du CCFD avait annoncé une aide de 800.000 dollars pour le Vietnam communiste. C'est-à-dire 3.400.000 F, qui n'apparurent jamais dans les documents officiels du CCFD. Une partie de cet argent servit sans doute à l'opération « cent mille livres pour le Vietnam » : il s'agissait de cent mille exemplaires d'un conte de fée adapté à la propagande communiste par un « poète », vice-ministre des affaires culturelles du Vietnam.
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La revue ITINÉRAIRES publia aussitôt les premiers résultats de l'enquête de Pierre Debray, dans ses numéros de février et mars 1980. A la fin de ce mois de mars précisément, le CCFD avoua que le coup avait porté : il éprouva le besoin de publier un tract de quatre pages contre Pierre Debray. Le tract commençait par une défense du CCFD extraite des déclarations du conseil permanent de l'épiscopat, et se terminait par un réquisitoire de Mgr Ménager, l'initiateur et premier président de ce qui était à l'époque, en 1961, le CCF.
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Les derniers mots du réquisitoire, et par conséquent du tract, étaient ceux-ci : « Ces jugements sont injustes et faux. C'est une mauvaise action. C'est un coup bas intolérable. »
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En 1981, Roland Gaucher publia un livre intitulé *Les Finances de l'Église de France* (Albin Michel). Un chapitre de ce livre était consacré au CCFD. Roland Gaucher faisait le point de l'enquête de Pierre Debray et publiait les documents : la bande dessinée sur le Cambodge et le Nicaragua, des fiches du CCFD sur certains projets subversifs, un article de René Tardy, président du CCFD, indiquant en toutes lettres que l'action du CCFD est « sans aucun doute politique » et vise à « remettre en cause structures et systèmes », une étude de Pierre Debray sur « les comptes fantastiques du CCFD », une lettre de Mgr Rodhain (reprise également du *Courrier hebdomadaire de Pierre Debray*) où le président du Secours catholique se désolidarisait, dès 1974, de l'action du CCFD (à cause, déjà, du Vietnam : le CCFD aidait exclusivement le Nord-Vietnam communiste en guerre contre le Sud-Vietnam), et le tract de quatre pages contre Pierre Debray.
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Dès sa naissance en 1982, le quotidien PRÉSENT s'attacha à mettre en garde ses lecteurs contre le CCFD. Février 1982 : « Attention au CCFD » : 23 % de son budget sert à des actions de « conscientisation ». Mars 1982 : le CCFD finance *Nouvelles frontières,* journal gauchiste pour immigrés. Avril 1982 : étude d'ensemble sur les projets 1981 d'aide aux gouvernements communistes du tiers monde.
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En octobre 1982, PRÉSENT reprit en « une » la dernière découverte de Pierre Debray : non seulement le CCFD finance *Nouvelles frontières,* mais *Nouvelles frontières* est une des « couvertures » du mouvement terroriste Action directe.
La campagne contre le CCFD allait bientôt commencer à porter ses premiers fruits. Au début du carême 1983, on eut la surprise de voir dans *Le Figaro* un article intitulé *Les choix contestables du CCFD.* Il s'agissait de deux articles encore timides de Jean Bourdarias. Mais le mur du silence et du mépris élevé par les grands moyens d'information était rompu. Et dans son second article Jean Bourdarias posait la question de fond :
« C'est un choix politique que fait, à travers le CCFD, l'Église de France, une orientation qui a nécessairement l'agrément des évêques français. »
Au même moment *La Croix* soutenait à fond la campagne de carême du CCFD, et le missel des dimanches 1983 publiait une notice sur Karl Marx, « économiste et philosophe allemand », dont Jean Madiran montrait dans le n° 270 d'ITINÉRAIRES qu'elle n'aurait pas été rédigée autrement si elle l'avait été par un membre confirmé de l'appareil communiste. En décembre parut un numéro spécial de *l'Astrolabe* intitulé *le CCFD pour ou contre la faim.*
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L'année suivante, le nouveau président du CCFD, Gabriel Marc, se plaignait publiquement d'une baisse des rentrées d'argent, due à des « campagnes calomnieuses, particulièrement efficaces ». Les publications du CCFD étaient alors soigneusement épluchées, non pas pour y trouver matière à « calomnies », mais de nouvelles confirmations des menées révolutionnaires du CCFD. A la fin de cette année 1982, on s'aperçut que le CCFD soutenait à fond l'insurrection du FLNKS en Nouvelle Calédonie, dans ses publications, et en espèces sonnantes et trébuchantes. Cela avait commencé dès 1981, et lorsque le *Figaro-Magazine,* en octobre 1985, publia des extraits du livre de Guillaume Maury, ce fut avec une photographie qui à elle seule valait plusieurs dossiers : elle représentait le président du CCFD, Gabriel Marc, aux côtés de l'agitateur révolutionnaire canaque Tjibaou, à la tribune d'un meeting, lors d'une tournée du dit Tjibaou en métropole.
En avril 1985 la revue ITINÉRAIRES publiait en éditorial un article de Claire Battefort, directrice de *l'Astrolabe,* qui dénonçait d'une part l'action du CCFD en Nouvelle Calédonie, et d'autre part révélait les incroyables subventions reçues de la Communauté économique européenne par le CCFD (15 millions de francs en 1982).
En 1985 également Pierre Debray a publié la synthèse de ses enquêtes et de ses études sur le CCFD. Ces huit « fiches » de quatre pages chacune (*Enquête sur le Comité catholique contre la faim et pour le développement,* édition Kyrios, 3, rue des immeubles industriels, 75011 Paris, -- la même adresse que le *Courrier hebdomadaire*) constituent le document le plus important sur le sujet, et le plus propre à convaincre les hésitants par sa *modération.* Car contrairement à ce que dit la propagande CCFD-épiscopale, il n'y a là ni « calomnies », ni « jugements a priori », ni « coups bas », mais seulement des faits et une analyse rigoureuse, à partir d'un *a priori* favorable :
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« Le CCFD avait la caution de nos évêques. La quête était organisée par la paroisse. Pourquoi nous serions-nous posé des questions ? »
*A priori* qui commande des premières interprétations bienveillantes, jusqu'au démenti de l'évidence.
Dans sa fiche n° 3, Pierre Debray commence à citer le texte fondamental de l'exposé fait à la « commission diocèses-National des projets » en 1981 par Menotti Bottazzi, alors secrétaire général du CCFD (il est aujourd'hui secrétaire général du CFCF., comité français contre la faim, dont une des nombreuses composantes est... le CCFD). En 1981, M. Bottazzi rappelait sans équivoques le rôle « exemplaire » du CCFD pendant la guerre du Vietnam. Pierre Debray reprend et commente :
« Tout est clair : au Sud-Vietnam le CCFD aidait les prisonniers politiques, donc les communistes, au Nord les mutilés de guerre, donc les communistes. Il ne se préoccupait nullement des prisonniers politiques du Nord. Ils n'étaient pas communistes. Ou des mutilés de guerre du Sud, qui ne l'étaient pas non plus. Le CCFD a ses pauvres ! Cette charité sélective est exposée par M. Bottazzi avec une parfaite bonne conscience. Il ne se rend pas compte de ce qu'elle a d'odieux. C'est qu'il ne s'agit précisément pas de charité mais de politique. Il ne dissimule pas qu'il se donne pour objectif de soutenir les mouvements de libération. Il les aide à conquérir le pouvoir, là où ils ne l'ont pas, et à le conserver là où ils l'ont. Des Indiens sont opprimés au Nicaragua comme au Guatemala.
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Il défend les Indiens du Guatemala puisque ce pays adopte le "modèle libéral", et il les approuve de prendre les armes. Par contre, le Nicaragua étant devenu "socialiste", les Indiens qui se battent pour conserver leurs terres et leurs coutumes sont des "contras", des contre-révolutionnaires et le CCFD publie une page entière de publicité dans *Le Monde* pour dissuader le congrès américain de leur venir en aide. De même le CCFD se désintéresse des Vietnamiens ou des Cambodgiens qui ont fui leur pays. Nous n'avons pas trouvé trace d'une aide qui leur aurait été accordée. Par contre, il a offert, quoiqu'il s'en défende, au gouvernement de Hanoi des wagons qui servirent à transporter les troupes qui envahirent le Cambodge. »
Néanmoins, remarque Pierre Debray, le CCFD ne peut pas être considéré à strictement parler comme une courroie de transmission du communisme. Son idéologie, « confuse et imprécise », est critique vis-à-vis du progrès technique et du productivisme, aussi bien capitaliste que soviétique. « Utopie romantique, qui réduit le christianisme à un humanitarisme et la charité à la solidarité, cette idéologie rejoint néanmoins le marxisme sur un point essentiel : elle ramène toute l'histoire humaine à la lutte des classes : d'un côté l'impérialisme américain, le système capitaliste, l'économie libérale, de l'autre les peuples en lutte pour leur libération. Les chrétiens doivent participer à cette lutte, même s'ils se retrouvent aux côtés des communistes. Ceux-ci tendent à dévier les aspirations révolutionnaires des masses au profit d'une société bureaucratique. Comment pourrait-il en être autrement ? L'URSS reste l'unique recours des mouvements de libération.
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Il en irait autrement si ceux-ci se savaient soutenus par un certain nombre de pays industrialisés, à commencer par la France. Le CCFD et son homologue protestant le Cimade (et non la Cimade comme l'euphonie porte à l'écrire) s'y emploient par leur action de "conscientisation". »
On en revient ici à la question fondamentale que posait Jean Bourdarias dans *Le Figaro* en 1983 : le choix politique du CCFD ne peut être que celui de l'Église de France, car le CCFD est un organisme d'Église. Après de nouvelles longues citations de l'exposé de Menotti Bottazzi de 1981, Pierre Debray commente :
« A cette commission participent l'évêque président de la commission sociale de l'Épiscopat et le représentant du conseil permanent. On constatera avec regret qu'ils n'ont nullement protesté contre les attaques de M. Bottazzi dont furent victimes les épiscopats du Nicaragua et, de façon moins directe, du Mozambique. Cet oubli de la fraternité qui unit le collège des évêques s'explique par la date. La commission se réunit une semaine, tout juste, après la victoire de l'union de la gauche aux élections présidentielles. »
L'explication peut paraître brutale. En fait elle est en dessous de la réalité. Car si le climat politique a changé de nouveau depuis le 16 mars 1986, le noyau dirigeant de l'épiscopat n'a pas varié d'un pouce. C'est ainsi qu'il y avait au mois de mai 16 évêques au rassemblement de la JOC, où n'avaient été invités que des mouvements et des personnalités « de gauche », la CFTC elle-même ayant été exclue.
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Dans sa fiche n° 6, Pierre Debray cite un fait peu connu, qu'il a été seul à révéler. Il a découvert dans le bulletin ultra-confidentiel à usage interne du secrétariat commun de la Commission sociale de l'épiscopat et du Comité français Justice et Paix la relation d'une réunion près de Corbeil (Essonne) en juillet 1983, entre trois partenaires : le gouvernement socialiste, les indépendantistes canaques et la Commission de l'Épiscopat, représentée par le président du CCFD, Gabriel Marc. « Une plate-forme a été ainsi constituée dont on peut attendre qu'elle modifie les perspectives d'avenir. » Un bulletin suivant prouvait que Gabriel Marc servait d'agent de liaisons entre le FLNKS et le gouvernement. D'où cette photo, nullement surprenante pour qui connaissait les dessous de l'affaire et du rôle du CCFD, de Gabriel Marc en compagnie de Tjibaou. Il faut ajouter que l'action du président du CCFD se comprend mieux lorsqu'on sait qu'il était un haut fonctionnaire envoyé en mission en Nouvelle Calédonie par le gouvernement socialiste... Il résulte de tout cela que le fameux plan Pisani de largage de la Nouvelle Calédonie était en fait « le résultat des délibérations d'un organisme d'Église, le Comité français Justice et Paix », qui avait imposé son homme, Michel Levallois, au secrétaire d'État Lemoine. C'est ce Michel Levallois qui fut l'auteur du « plan Pisani », en liaison avec le président du CCFD...
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Dans sa fiche n° 7, Pierre Debray cite un autre document d'une importance capitale. Il s'agit d'un article de Gabriel Marc publié dans *Témoignage chrétien* en 1983. Le président d'alors du CCFD explique stupidement les « calomnies » qui frappent le CCFD par la coïncidence entre la campagne de carême et la campagne électorale des municipales.
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Mais le « rappel historique » qu'il fait ensuite est comme il le dit « utile pour prendre la mesure des faits » : « 1969-1975, c'est le temps de la montée en puissance du nouveau parti socialiste. 1972-1975, c'est aussi le temps d'une décision capitale de l'épiscopat : la rupture du lien séculaire du catholicisme et de la droite. » Sans doute y avait-il en fait belle lurette, comme la revue ITINÉRAIRES l'a montré maintes fois, que le noyau dirigeant de l'épiscopat avait basculé à gauche. Mais ce dont parle Gabriel Marc, c'est de la rupture officielle et publique, manifestée par l'épiscopat tout entier réuni à Lourdes, en 1972, par le document « *Pour une pratique chrétienne de la politique* », puis en 1975 par le texte « *Libération des hommes et salut en Jésus-Christ* », doublé de la liberté de choix politique officiellement laissée, sans aucun contrôle, aux mouvements d' « action catholique ». Gabriel Marc conclut en montrant comment François Mitterrand fut le bénéficiaire de cette « rupture ». Pierre Debray ajoute une phrase de Philippe Farine, le premier successeur de Mgr Ménager à la présidence du CCFD : « L'engagement du CCFD constitue une sorte d'appel à l'engagement politique, syndical, etc. » Et il commente : « Son engagement personnel ne permettant pas de penser qu'il cherchait à renforcer le RPR ou la CFTC (M. Farine, membre non seulement du PS mais de son aile gaucho-communiste le CERES, était conseiller municipal socialiste à Paris), il faut bien admettre qu'il assignait au CCFD le rôle de sergent recruteur des partis de gauche et des syndicats révolutionnaires. » Avec la bénédiction de l'épiscopat.
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Certains naïfs voudraient croire que le CCFD n'est plus ce qu'il était. Philippe Farine, militant socialiste d'extrême gauche, a été remplacé à la présidence par Gabriel Marc, qui n'a pas de carte d'un parti politique en poche. Menotti Bottazzi, militant du parti socialiste et de la CFDT, a été remplacé au secrétariat général par le père Holzer, sans appartenance politique connue. En fait on a vu qui était Gabriel Marc. Quant au père Holzer, ce religieux a été nommé pour renforcer la caution épiscopale, et il lui a été adjoint François Bellec, ancien rédacteur en chef de l'organe de l'Action Catholique Ouvrière, le plus à gauche des mouvements d'action « catholique », avec plusieurs militants communistes dans son bureau national. Dans son éditorial de janvier 1983, M. Bellec faisait état de la déception des « travailleurs dont nous sommes » devant la politique socialiste : « le capitalisme est toujours là, omniprésent, avec son cortège de maux et d'injustices... La droite et la bourgeoisie, qui n'ont pas non plus désarmé, tentent de discréditer le nouveau pouvoir et entendent sauvegarder à tout prix leurs privilèges ». A cette époque *L'Humanité* était bien plus discrète...
D'ailleurs le CCFD ne peut pas changer tant que le noyau dirigeant de l'épiscopat, qu'il le « contrôle » mieux ou non, restera de gauche et dans les perspectives de MM. Marc et Bellec. Et quand on voit seize évêques à un congrès de la JOC dont sont exclues toutes les personnalités jugées « de droite », aucun doute n'est possible.
63:305
C'est pourquoi le CCFD « contre-attaque », aujourd'hui, sans répondre au fond mais en hurlant à la calomnie, en menaçant des tribunaux ceux qui l'accusent « d'alimenter la subversion marxiste », comme si cela pouvait être une « diffamation » devant les tribunaux quand les mouvements marxistes sont légaux et qu'il y a des marxistes au Parlement.
C'est pourquoi les dirigeants du CCFD tentent, avec l'appui des media de gauche et d'extrême gauche, de montrer qu'ils sont, eux, *les* catholiques (cf. le titre du *Nouvel Observateur :* « Le Fig-Mag contre les cathos »), qu'ils sont, eux, les militants chrétiens. Mais la vérité s'étend aujourd'hui invinciblement : ils ne sont qu'une minorité agissante, une oligarchie instituée, installée par le noyau dirigeant de l'épiscopat, mais rejetée par le peuple chrétien qu'ils ont trompé pendant de trop longues années par cette odieuse escroquerie morale qui consiste à faire appel à la charité pour développer la subversion en France et dans le tiers monde, et faire le lit du communisme, premier pourvoyeur de la misère qu'ils prétendent combattre.
Yves Daoudal.
64:305
### Dangers publics
par Gustave Thibon
PAS UN JOURNAL, pas une émission de radio ou de télévision où, depuis des mois, ne soient évoqués les méfaits du terrorisme international. Loin de moi la pensée de minimiser ces monstrueux attentats et de nier la nécessité d'y mettre fin. J'approuve, dans ce sens, la réaction énergique du président Reagan car les terroristes n'entendent pas d'autre langage que celui de la terreur.
Cela dit, je trouve terriblement exagérée la crainte du terrorisme qui affecte certains de nos compatriotes en ce qui concerne leur sort personnel.
Témoin ce brave homme qui habite dans ma région et que ses affaires appellent souvent dans la capitale. Ne m'a-t-il pas dit l'autre jour : « Avec toutes ces menaces d'attentats, je ne prendrai plus ni le T.G.V. ni l'avion, j'irai à Paris en voiture. »
65:305
A quoi j'ai répondu : « Peut-être choisissez-vous le plus grand risque. Combien, depuis un an, y a-t-il eu de victimes des bombes terroristes et combien d'accidents mortels d'automobiles ? Le premier chiffre s'élève à quelques unités et le second au moins à 10.000. Comparez et concluez. »
« Mais je suis sûr de ma conduite », rétorque mon homme. D'accord, encore qu'une défaillance due à la fatigue, à un malaise, à une distraction soit toujours possible. Mais êtes-vous aussi sûr de ne pas trouver sur votre route quelque écervelé qui, doublant sans visibilité, vous enverra dans l'autre monde sans aucune faute de votre part ? Les fous de la route sont, à leur manière, des terroristes, inconscients et involontaires sans doute, mais aussi efficaces dans le jeu de massacre que les poseurs de bombes, et dont les victimes, selon l'adjectif consacré, sont aussi « innocentes » que les passagers d'un avion ou les clients d'un grand magasin.
De même en ce qui concerne les maladies contagieuses, largement jugulées aujourd'hui par les progrès de la médecine préventive et curative. Un de nos grands professeurs me parlait récemment de la psychose du Sida. Or, le même homme qui tremble devant le Sida, dont les victimes sont si clairsemées pour l'instant, ne prêtera aucune attention aux excès alimentaires, à l'abus d'alcool, au manque d'exercice et à toutes les fautes d'hygiène qui le conduisent plus sûrement au tombeau qu'une atteinte statistiquement très improbable du Sida. Là encore, où est la majorité des victimes ?
Et je ne parle pas d'autres risques courus de gaieté de cœur, comme la pratique de certains sports sans préparation et sans précautions suffisantes, tels l'alpinisme, l'exploration des gouffres, les sports nautiques, etc.
Mais peu importe les statistiques : nous sommes ainsi faits qu'un risque inédit et exceptionnel nous paraît plus redoutable qu'un danger connu et habituel.
66:305
A ce penchant naturel vient s'ajouter la sensibilité de l'opinion par les médias. Les accidents d'auto, si fréquents qu'ils soient, sont à peine signalés. Un avion qui explose en plein vol fait la une dans tous les journaux. C'est spectaculaire, même, si c'est très peu de chose par rapport aux millions d'avions qui arrivent chaque jour à bon port et dont personne ne parle.
Ce qui, si nous étions logiques, devrait plutôt nous rassurer, car ce n'est spectaculaire que dans la mesure où c'est rare. Dans les guerres, par exemple, les massacres collectifs sont d'autant moins claironnés qu'ils sont plus fréquents et plus massifs. Au cours de la première guerre mondiale, tel rapport d'un colonel au quartier général avouait pudiquement au sujet d'une contre-attaque très coûteuse en vies humaines : « Nous nous sommes un peu piqué les doigts sur les batteries ennemies. » Charmant euphémisme pour voiler la sanglante réalité...
« Un mort, c'est un malheur, cent morts, c'est une catastrophe ; dix mille morts, c'est une statistique » disait un humoriste noir...
Il est bon que l'opinion soit sensibilisée au danger du terrorisme. Mais pourquoi réagit-elle si peu à d'autres périls infiniment plus redoutables et dont l'habitude nous voile la gravité ? Principalement, ceux qui nous menacent de l'intérieur, comme la chute de la démographie qui nous conduit peu à peu à la perte de notre identité nationale, le déclin de la religion, l'érosion des traditions et des mœurs, la crise de la culture, l'éclatement de la famille, la fuite des responsabilités ; en bref, tous les maux qui s'attaquent à la substance même de l'homme et aux fondements d'une vraie civilisation.
Si spectaculaires qu'ils soient, les attentats isolés des terroristes restent d'un faible poids par rapport à ce danger universel. Sans compter que le terrorisme lui-même est en grande partie la conséquence de nos abandons moraux et de nos faiblesses politiques, en premier lieu d'une décolonisation bâclée.
67:305
D'où je conclus qu'au lieu de gémir sur les effets, nous devons veiller sur les causes, c'est-à-dire mobiliser notre attention et notre courage sur ces maux moins voyants, mais plus profonds dont, par notre négligence, nous sommes toujours un peu les complices en attendant d'en être demain les victimes.
Gustave Thibon.
68:305
### Au Liban avec Romain Marie
par Alain Sanders
QUAND Bernard Romain Marie Antony a dit aux journalistes de Toulouse et de sa région qu'il allait au Liban, fin avril, et qu'il séjournerait à Beyrouth, ce fut un tollé général :
-- A Beyrouth ! Mais vous êtes fou !
Patiemment, il leur expliqua qu'il allait à Beyrouth-Est. Autrement dit dans le Beyrouth chrétien. Qu'il y était déjà allé. Qu'on n'y enlevait personne même si on continuait d'y mourir sous les bombes des différentes milices musulmanes qui, toutes confondues, n'ont qu'un but et qu'une obsession tuer des chrétiens.
Le voyage au Liban chrétien commence en fait à Larnaca (Chypre). De là, il faut prendre un bateau qui, de nuit, vous emmène jusqu'à Jounieh, le petit port situé à une vingtaine de kilomètres de Beyrouth.
69:305
En débarquant à Jounieh avec Romain Marie et Thibault de La Tocnaye, nous sommes immédiatement dans l'ambiance. Un combattant des forces libanaises et notre ami Eddy Abillama nous attendent. Le jeune Kataëb porte un insigne épinglé à son uniforme : celui de Chrétienté-Solidarité.
Au loin, nous apercevons Beyrouth. Et ses tours du bord de mer devenues familières aux téléspectateurs occidentaux. C'est pour la conquête de ces tours, postes d'observation idéaux, positions incomparables pour les snipers, les francs-tireurs, que des hommes se sont battus. Des semaines d'affilée. Ils continuent de le faire.
-- Tu regardes la ville ? me demande Eddy. Ce n'est plus qu'un semblant de ville...
#### *Les fuyards de Beyrouth-Ouest*
Nous aurons l'occasion de le vérifier plus tard quand, visitant la « Ligne verte » (ainsi appelée parce que cette « frontière » qui sépare les deux Beyrouth a été envahie, en dix ans, par une luxuriante végétation), nous constaterons qu'il n'est pas un seul immeuble qui n'ait été touché de plein fouet par des roquettes, des obus, des RPG-7.
Le hasard a fait que nous débarquons au moment où les Occidentaux de Beyrouth-Ouest, c'est-à-dire ceux du secteur musulman, rembarquent. Il y a peu de temps, encore, ceux-là, et d'autres, disaient combien ils étaient attachés à « leur ». Beyrouth et à leurs « amis musulmans ». Leurs « amis musulmans », peu au courant des règles de l'amitié, ont commencé à les kidnapper puis à les assassiner méthodiquement. D'où cette fuite éperdue. Presque sans bagages. Une main devant, une main derrière comme on disait en Algérie du temps où nous avions une province de ce nom.
70:305
Moins charitable que Romain Marie, moins flegmatique que Thibault de La Tocnaye, j'irais bien leur dire deux mots -- ou plus -- à ces fuyards de Beyrouth-Ouest. Leur demander pourquoi ils viennent encombrer le territoire des chrétiens. Pourquoi ils n'utilisent pas l'aéroport « international » tenu par leurs « amis musulmans » des milices Amal et truffé d'officiers syriens aussi visibles que le nez au milieu de la figure...
Une Américaine à laquelle j'ai dit ces deux mots -- parce que je l'ai entendue déclarer qu'elle espérait revenir à Beyrouth-Ouest, plus tard -- finira par m'avouer :
-- Là-bas, c'est l'enfer. Nous étions consignés dans nos maisons. Jusqu'au dernier moment, j'ai cru que nous ne poumons passer la « ligne verte ». Pourquoi je dis que je reviendrai peut-être ? Parce que j'ai peur...
-- Mais peur de quoi maintenant ? Peur de qui ? Dans quelques jours, vous serez chez vous, à l'abri.
-- Vous le croyez vraiment ? Si je dis la vérité, je crains pour ma famille, mes enfants, mes proches. Ce sont des fous, des terroristes fous, des fanatiques, j'ai peur qu'ils n'exercent des représailles jusque dans mon pays...
Comment ne pas la comprendre ? Walid Joumblatt lui-même, chef des Druzes, passé maître ès-terrorismes et enlèvements en tout genre, ne déclare-t-il pas que « Beyrouth-Ouest est une jungle où rôdent les loups affamés » ? Le jour même de notre arrivée, l'une des innombrables milices musulmanes a fait enlever des étudiants chypriotes grecs de l'université américaine.
-- Qui peut avoir l'idée d'enlever des Chypriotes grecs ? s'étonnera Romain Marie qui sait, en outre, que Chypre est plutôt bien vu des pays arabes.
On nous expliquera que ces étudiants peuvent servir de monnaie d'échange au cas où les Anglais seraient tentés de laisser les Américains utiliser les bases très sophistiquées dont ils disposent sur la partie grecque de l'île.
71:305
Elles n'ont pas servi lors du raid US contre Kadhafi mais qui sait... Les communistes et les socialistes chypriotes n'ont d'ailleurs pas attendu que l'on fasse pression sur eux pour aller manifester devant les bases britanniques aux cris de : « British, go home ! »
#### *La terreur au quotidien*
C'est le 18 avril 1986, quelques jours avant notre arrivée donc, qu'un coup définitif a été porté contre la présence occidentale à Beyrouth-Ouest. Ce jour-là, on a retrouvé dans le Chouf, sur la route Damas-Beyrouth, les corps mutilés de trois jeunes hommes : Padfiels, Douglas, Kilburn. Les Cellules fedayines arabes les ont « exécutés » (comme dit l'AFP) parce qu'elles les soupçonnaient d'être des espions...
Pris de panique à l'annonce de ce massacre, un jeune journaliste anglais, John McCarthy, quitte précipitamment sa chambre de l'hôtel Commodore -- l'hôtel où logeaient les correspondants étrangers -- et fonce vers Khaldé, vers l'aéroport « international », vers ce qu'il pense être la liberté. Il n'atteindra jamais l'aéroport. Son enlèvement sera revendiqué. Puis sa mort annoncée. Puis démentie. Aux dernières nouvelles, il aurait été « vendu » à un groupe extrémiste pro-syrien...
En roulant -- à la libanaise... -- vers Beyrouth, Eddy nous explique :
-- C'est le chef des services de renseignement libyen au Liban, Ali Zayer qui a ordonné l'assassinat des deux professeurs britanniques, Philip Padfiels et Leigh Douglas. En représailles des raids américains sur Benghazi et Tripoli.
-- Mais qui les a enlevés ?
-- Des miliciens chi'ites du mouvement Hezbollah. Ils les ont remis aux Libyens à Hamana, un village du Chouf.
72:305
Cette information sera confirmée par les services secrets américains le 20 mai dernier et révélée par le *Sunday Times* dans sa livraison du 1^er^ juin...
#### *Le Liban, la France, les otages...*
Nous rentrons dans Beyrouth-Est par le quartier de la Quarantaine. C'est un ancien camp palestinien. Les chrétiens ne purent en déloger leurs envahisseurs qu'au prix de combats très durs. Il n'y a plus une seule maison intacte et Eddy, qui a pris ce chemin pour éviter les embouteillages à l'entrée de la ville, a depuis longtemps renoncé à éviter les trous qui font la base solide de ce qui a dû être autrefois une route... Il demande :
*--* Et que dit-on du Liban en France ?
Ce qu'on en dit ? Peu de chose, hélas. Romain Marie lui explique que le grand pèlerinage de Chartres organisé par le Centre Charlier se fera cette année pour les chrétientés persécutées et, tout particulièrement, pour les chrétiens du Liban. Et il ajoute :
-- On parle aussi beaucoup des otages français...
-- Ah oui, les otages... dit Eddy en passant en force deux carrefours où deux cents voitures cherchent à l'imiter. C'est bien triste... Puissent les Français comprendre que nous, chrétiens, ça fait plus de dix ans que nous sommes otages...
Le surlendemain, invité à la télévision libanaise, Romain Marie sera interrogé sur les otages. Il dira notamment « C'est une situation affreuse. Et tragique tout à la fois. Doublement affreuse et doublement tragique. D'abord parce qu'ils sont retenus comme otages et qu'ils meurent chaque jour, à petit feu. Ensuite parce que certains d'entre eux ont été enlevés par des gens qu'ils croyaient être leurs amis, des gens pour lesquels ils avaient pris fait et cause... »
73:305
Plus tard, il ajoutera : « C'est comme si Sanders et moi, en débarquant à Jounieh, avions été kidnappés par Samir Geagea et les Forces libanaises... »
Nous arrivons au département des relations extérieures des Forces libanaises, non loin de l'avenue Amine Gemayel. « Il ne manque pas d'air, celui-là, d'avoir donné son nom à une avenue », commentera sobrement un jeune Kataëb. S'il est vrai que Beyrouth-Est est recouverte, jusque dans la moindre boutique, de photos et d'affiches de Cheikh Béchir, celles représentant Amine sont beaucoup plus rares (« Et encore, nous dira le même Kataëb, il a dû les coller lui-même... »).
Deux premières chicanes : des blocs de béton. Deux autres en quinconce. Pour éviter le camion fou qui serait lancé à toute allure contre l'immeuble. Deux jeunes gens en uniforme, Kalachnikov au côté, le chargeur engagé, vérifient le véhicule et nos identités. Un sourire, un chaleureux « *mahraba* » (« bienvenue ») et ils nous laissent passer. De jour comme de nuit, tous les bâtiments des Forces libanaises sont très sévèrement gardés. Pour éviter, notamment, la plus grave menace qui plane sur les quartiers chrétiens : les voitures piégées.
Un nouveau contrôle -- avec fouille -- dans l'entrée de l'immeuble et nous montons au quatrième étage où nous attend notre ami Charles Tountounji. Thibault, qui n'est pas revenu depuis quelques mois à Beyrouth, est très favorablement impressionné par la bonne organisation -- réorganisation serait le terme exact -- de l'ensemble. Impressionné -- mais pas étonné : « J'ai toujours su qu'avec Samir ce serait comme ça », me souffle-t-il.
74:305
#### *Un cri contre les chrétiens : *« *Tuez ! Brûlez !* »
C'est vrai. Il le dit même depuis très longtemps dans ses conférences. Il l'a écrit à plusieurs reprises dans *Présent* quand le nom de Samir Geagea était encore celui d'un quasi-inconnu pour les « spécialistes » du Liban...
Pendant que Romain Marie organise ses rendez-vous, téléphone, prend des notes, tient un début de conférence, prend connaissance de *l'Orient-Le Jour* et demande s'il peut utiliser le télex et le télécopieur pour dispatcher les deux communiqués qu'il vient d'écrire... nous visitons les lieux avec Thibault.
Nous aurons là, d'ailleurs, notre premier entretien avec Fadi Chéhab, le très actif chef du service de presse étrangère du département des relations extérieures des Forces libanaises. Je prends une brochure intitulée *Our calvary* (« notre calvaire »). Les photos que l'on y trouve sont insoutenables. Elles sont pourtant réelles. Ce sont celles que l'on devrait montrer aux Occidentaux indifférents. Celles qu'ils ne verront jamais...
Je lis, en anglais : « Une fois de plus, fidèles en cela à leur culture tribale, les hordes islamo-khomeinistes, les Palestiniens et les soi-disant progressistes ont balayé les villes et les villages chrétiens aux cris de « Tuez ! Brûlez ! Détruisez ! » qui sont les clinquantes parures de leur soif de sang. Chaque massacre ajoute une gloire à leurs triomphes et beaucoup d'autres suivront. Comment pourraient-ils s'arrêter avant d'avoir exterminé toutes les marques de civilisation, de paix, de démocratie ? Comment pourraient-ils s'arrêter avant d'avoir crucifié le nouveau-né, la femme, les enfants, les vieillards ? (...) Si notre destin est d'être l'avant-garde de la démocratie, de la fraternité, de la liberté ;
75:305
si notre destin est d'être les porteurs de flambeaux dans les oubliettes de l'ignorance, de la barbarie, du châtiment aveugle, nous acceptons ce destin. Mais si nous disparaissons, qu'on se demande de qui viendra ensuite le tour. »
Fadi Chéhab nous demandera, sans que nous puissions vraiment répondre :
-- Pourquoi l'information mondiale camoufle-t-elle les réalités ? Pourquoi transforme-t-elle, dénature-t-elle les faits ? Pourquoi présente-t-elle les chrétiens libanais avec tant de haine et les tueurs de chrétiens libanais avec tant de compréhension ? Pourtant... La France est menacée. Le Liban chrétien se meurt. La France est en sursis. Ce qui risque d'être un épilogue pour nous, est déjà pour vous un prologue...
Ces questions, elles nous seront posées cent fois. Par des prêtres, des professeurs, des étudiants, des combattants. Et puis, ces questions posées, tout de suite les mêmes avertissements : « Attention à vous, à la « libanisation » de votre pays ; nous sommes le laboratoire de tous les malheurs qui vous guettent ; les fanatiques musulmans ne coexistent pas, ils mènent un Jihad religieux avec tout ce que cela suppose de meurtres, de massacres ; à quand la nouvelle bataille de Poitiers ? Vos dirigeants ne comprennent pas toutes ces choses ? »
Un professeur libanais nous dira :
-- J'ai essayé d'expliquer un jour à des musulmans que la France étant un État laïc, il n'y a pas de distinction entre les communautés religieuses. Ils m'ont répondu : « Alors pourquoi la France chôme-t-elle le dimanche ? Pourquoi pas le vendredi ? » Pourquoi pas le vendredi... Vous pouvez vous attendre à avoir de telles revendications de la part de vos musulmans quelque jour prochain...
76:305
Nous n'en sommes pas loin. Et il n'est que de lire les journaux algériens dénonçant comme un acte raciste le fait que les travailleurs musulmans en France ne bénéficient pas d'horaires aménagés et de facilités pendant le Ramadan pour comprendre que la « libanisation » de notre pays est en bonne voie.
#### *A la mémoire de Cheikh Béchir*
*-- *Vous êtes venus au Liban pour rester enfermés dans un immeuble ?
Romain Marie ne tient plus en place. Il nous annonce que nous allons rencontrer les responsables de l'Union maronite mondiale puis que nous irons rendre visite aux Comités d'aide animés par le docteur Fréha et la courageuse Marie-Thérèse Rizsk. Les Comités d'aide sont en liaison avec le Monastère du Barroux et le Centre Charlier qui collectent des dons à leur intention (et il faudrait dire, là encore, le dévouement infatigable des jeunes gens de *Chrétienté-Solidarité* mobilisés vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour ce combat de chrétienté). Romain Marie parlera dix minutes devant une cinquantaine de responsables de ces Comités. Des mots simples. Des mots vrais. Des mots d'homme. Et j'ai vu comme des larmes dans les yeux de ces combattants de la Foi...
Un peu plus tard, dans l'après-midi, ce sera à notre tour d'avoir la gorge serrée quand, après avoir été reçus au siège du parti kataëb, nous irons nous recueillir devant le monument érigé à la mémoire de Béchir Gemayel, à l'endroit même où, en septembre 82, il fut assassiné avec plusieurs dizaines de ses compagnons.
77:305
#### *Un État chrétien*
Et nous penserons alors aux mots d'Iskandar Bahout, le fondateur des *Échos du Liban* (en réponse à Kamal Joumblatt : « Nous massacrerons un tiers des chrétiens, nous obligerons l'autre tiers à fuir, et le dernier à se soumettre »)
« Chassés systématiquement depuis deux siècles de tout le Proche-Orient, arméniens, maronites, melchites, assyriens, chaldéens, nestoriens, byzantins, syriaques se retrouvent aujourd'hui dans ce qu'on appelle le « réduit chrétien ». Au fond de chaque chrétien existe une certitude acquise par deux siècles de persécution systématique : *avec l'islam soit on s'impose, soit on s'écrase :* la faute d'Amine Gemayel, c'est qu'il n'a pas su s'imposer. L'immense popularité de Béchir Gemayel, même chez ceux qui ont le complexe phonétique du mot « phalangiste », est proportionnelle à l'espoir qu'il fit naître. Cet espoir signifie : vivre sans être menacé de mort violente par le voisin d'à côté. »
Et il ajoute : « Il est évident qu'actuellement on est sur le seuil de la naissance d'un État chrétien au Proche-Orient. Ce n'est pas avec des canons qu'on arrêtera la création du Liban chrétien. »
De cet État chrétien en gestation nous verrons les meilleurs défenseurs lors d'une visite sur le « front nord », c'est-à-dire dans les petits postes qui, le long d'une ligne Madfoun-Halta-Niha, font face à l'ennemi syrien. Un des temps forts de cette visite sera le passage à Deir-Bilal, là où se situe l' « église dès miracles ». Bombardée sans répit, elleest toujours debout et l'on peut voir encore les impacts d'un obus qui explosa au milieu de combattants en prière sans en blesser aucun.
78:305
Nous nous avancerons jusqu'au promontoire du bunker qui surplombe la route stratégique vers Amioun et Kousba. Au loin, nous apercevrons Tripoli (Traboul du Liban) occupée par les Syriens et leurs complices des milices islamiques. Fichée dans les rochers, une immense croix de bois se dresse comme un défi. Et un témoignage. Fouad nous dit : « Bien sûr, ça fait un repère pour les artilleurs. Mais ça les rend tellement furieux qu'ils en oublient d'ajuster leurs tirs ! »
#### *Une nouvelle croisade*
Avant de remonter vers le front nord en Toyota Land-Cruiser, nous nous sommes arrêtés à Doûma, poste de commandement et base arrière de ce front, installé dans un ancien couvent. Comment ne pas évoquer les croisades de chrétienté quand le commandant du poste nous reçoit dans une ancienne cellule de moine ? Sur les murs blanchis de la cellule : un chapelet épinglé, un chromo de Notre-Dame du Liban.
Nous sommes tout particulièrement touchés par le souvenir que les combattants de Doûma ont conservé du passage des abbés Laffargue et Tournyol du Clos. Le commandant du PC nous demande de leurs nouvelles, s'inquiète de savoir s'ils reviendront bientôt, nous charge de mille bonnes paroles à leur transmettre.
Le soir même, de retour à Beyrouth, nous aurons la joie de célébrer avec de nombreux représentants des Forces libanaises, « Camerone 86 ». Par petits groupes, les représentants des différentes armes -- artillerie, génie, infanterie, commandos des *Ouahaded* -- passeront une longue soirée en notre compagnie autour d'un maza libanais fort copieux. Tour à tour, Bernard Antony, Thibault de La Tocnaye, puis moi-même leur parlerons du Liban, de la France, de Camerone. « Quand je suis au Liban, dit Bernard, je me sens libanais.
79:305
Comme vous devez vous sentir français quand vous êtes en France. » Thibault parla de saint Louis. Et des Croisés. Et de plus de dix siècles de combats communs contre l'Infidèle.
Il m'échut de faire le récit de Camerone. Pour rendre hommage à nos légionnaires, évidemment. Mais aussi pour souligner que, depuis plus de dix ans, les chrétiens du Liban faisaient Camerone tous les jours...
#### *Dans le jardin des morts*
Nous le vérifierons dès le lendemain en visitant la « Ligne verte » que l'on appelle aussi le « ring de la mort ». Dans le cimetière situé entre la rue de Damas -- qui fait « frontière » -- et la rue Habib Pacha qui mène vers le stade du Chayla et l'Hôtel-Dieu, des garçons de dix-huit ans sont au contact direct avec les milices Amal, constamment en alerte sur ce point crucial, sorte de « glacis » entre le Beyrouth civilisé et le Beyrouth sauvage.
L'environnement dans lequel vivent ces combattants, vous l'imaginez sans peine. Vous l'imaginerez mieux si je vous dis que les obus musulmans sont tombés par centaines sur ce « jardin des morts » et que les caveaux, les chapelles, les tombes ont été éventrés, retournés, martyrisés par les explosions. Le point le plus sensible du dispositif est situé dans le cimetière juif qui jouxtait le cimetière chrétien. Les combattants n'ont pas eu à creuser leurs « trous individuels » : ils ont pris simplement position dans les tombes dévastées. Ce qui donne à peu près ça :
-- Où est Ghassan ?
-- Chez Serfati.
-- Tu n'as pas vu Boutros ?
-- Regarde chez Lévy-Cohen...
80:305
Comprenez que Boutros et Ghassan sont de garde, ou en « *chouf* »*,* dans les tombes des familles Serfati et Lévy-Cohen... Nous boirons un café serré, un café comme seuls les Libanais savent le faire, dans ce cimetière transformé en casernement. Boutros, Ghassan, Charles et les autres nous diront leurs patrouilles de nuit. Et leur « vie » dans un environnement aussi particulier. Sans mots inutiles. Sans grandiloquence.
Plus tard, nous rencontrerons des prêtres et des moines maronites -- le père Naaman, le père Joseph Mouanès, Mgr Eid, lecteur d'*Itinéraires --* et nous comprendrons mieux comment ces garçons de dix-huit, vingt, vingt-cinq ans se battent avec une telle foi. Le père Mouanès est le doyen de la faculté des Beaux-Arts de l'Université Saint-Esprit à Kaslik. Une force de la nature. Une belle intelligence. Une fermeté de pensée. Une unité d'action. Qui ne suivrait -- et jusqu'au sacrifice suprême -- de tels prêtres ?
D'autant que les forces chrétiennes, longtemps divisées, ont resserré les rangs. L'idée d'un « conseil chrétien » est dans l'air. On nous le confirmera aux Forces libanaises : « Notre souci est de donner libre cours, autant que possible, aux règles de la démocratie dans les régions chrétiennes dans la mesure, bien sûr, où la liberté et la démocratie sont compatibles avec des situations de guerre. L'objectif recherché par le Dr Samir Geagea est à la fois de redonner aux chrétiens le goût du pluralisme d'opinion tout en renforçant l'unité militaire. Pluralité politique et unité militaire mais aussi -- et peut-être d'abord -- renforcement de la solidarité chrétienne sur tous les plans. »
#### *Ils savent et ne disent rien*
L'un des drames du Liban, c'est que ceux-là mêmes qui devraient aider de toutes leurs forces leurs frères chrétiens menacés de génocide sont beaucoup plus sensibles aux propagandes palestiniennes et islamo-progressistes qu'à toute autre chose.
81:305
Dans *Une croix sur le Liban,* Jean-Pierre Péroncel-Hugoz note : « Le pape Jean-Paul II s'est entretenu en 1982, au Vatican, avec le Palestinien Abderrahmane el-Koudoua, plus connu sous le nom de... Yasser Arafat, et encore tout chaud de son combat contre les chrétiens du Liban sur leur propre sol. Arafat, l'allié de ces Frères Musulmans qui veulent réduire les chrétiens libanais en dhimmitude, la citoyenneté au rabais des non-musulmans en terre d'Islam. » Et il ajoute : « Nombre de Libanais musulmans ou chrétiens, enfin réconciliés sous l'égide de Cheikh Béchir, ne purent s'empêcher de regretter que l'audience pontificale du chef palestinien se déroulât au moment où l'on inhumait à Bifkaya, dans la Montagne libanaise, leur jeune président assassiné avant même d'avoir entamé son mandat. »
Faut-il rappeler que, durant l'été 1975, le chorévêque maronite Elias Hayek, de passage à Clermont-Ferrand et qui racontait à un prélat de cette ville les exactions dont les chrétiens étaient victimes, se vit très sèchement conseiller par son bon collègue de « prier ou faire prier plutôt pour les musulmans du Liban, agressés par les chrétiens qui n'ont pas compris leur rôle de chrétiens ».
En février 1984, un jeune Libano-Arménien écrivit à Mgr Lustiger pour lui citer la longue liste des crimes commis contre les chrétiens libanais. Il terminait ainsi sa lettre : « Lorsqu'on est capable de faire défiler des centaines de milliers de personnes pour la liberté de l'enseignement, on devrait être capable d'en faire défiler 300.000 pour crier qu'au Liban on assassine un pays, on extermine les chrétiens. »
Il y eut une réponse à cette lettre. Oh, pas de Mgr Lustiger lui-même, mais du secrétaire du cardinal. Deux lignes. Sur un bristol. « Vous savez combien le Liban tient au cœur de l'archevêque de Paris. »
82:305
Frappé comme nous par les relations vraies qui existent au Liban entre les prêtres et les jeunes combattants -- quelque chose qui ressemble, à s'y méprendre, à ce que nous avons ressenti en partageant le pain, la prière et les rires avec les prêtres du Pèlerinage de Chartres -- Péroncel-Hugoz note encore : « Alors qu'en Europe, il y a toujours quelque chose de faux, de forcé, dans les relations entre les prêtres et la jeunesse -- quand ils en entretiennent encore --, au Liban, il y a entre eux, comme naturellement, une confiance sans apprêt et sans contrainte : jeunes gens et jeunes filles avant de sortir danser, nouveaux mariés, couples avec leurs enfants, aiment à « aller voir les moines » ; pas d'accueil prêchi-prêcha chez ceux-ci, pas d'air de punaises de sacristie chez les visiteurs. La vie et la foi se rencontrent là sans embarras. C'est l'un des « miracles » du Liban chrétien. »
#### *Un silence de... mort*
Alors que l'on égorgeait des chrétiens -- par milliers -- à Damour, Deir-Achache, Araya, Abaydieh, Talabaya, Aïntoura, Mgr Mario Brini, envoyé par Jean-Paul II à Beyrouth, exhortait les hiérarchies religieuses libanaises à « organiser des retraites et des exercices spirituels » afin d'éloigner la jeunesse des champs de bataille...
Tout récemment, les éditions Fleurus ont fait paraître un album intitulé *Chrétiens au Liban.* Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cet ouvrage de grande diffusion.
Signalons un point qui donne le ton général de l'ensemble : une post-face de Mgr Decourtray qui s'est rendu au Liban en juin 1985 et n'a donc pas l' « excuse » de ne pas savoir. Ça ne l'empêche pas d'écrire, tranquillement, une phrase de cet acabit :
83:305
« En France et dans l'Église de France, l'information \[sur la situation au Liban\] a été jusqu'à ces tous derniers mois gravement déficiente. Déficiente par son volume : il était et il reste difficile d'intéresser les médias à l'actualité libanaise ! Déficiente, et plus que déficiente par son manque d'objectivité et tout simplement de vérité : il arrive souvent que les images trompent ! Cette carence a nui au Liban tout entier. Bien des musulmans la déplorent autant que les chrétiens. Mais il est trop clair que ce sont les chrétiens qui en ont le plus souffert moralement. »
Deux, trois remarques à ce propos :
**1. -- **Mgr Decourtray n'a pas de bonnes lectures. S'il lisait ITINÉRAIRES ou PRÉSENT, par exemple, il saurait que, dans ces organes de presse, l'information n'a jamais été déficiente. S'il sortait un peu des brochures d'une certaine Église de France, s'il côtoyait le Centre Charlier, il saurait aussi que des prêtres se battent -- depuis des années -- pour que les chrétiens de France soient informés du sort des chrétiens du Liban.
**2. -- **Dire que cette carence aurait pu nuire aux musulmans, c'est pousser un peu loin le bouchon ! S'il y a bien quelque chose du Liban qui soit parvenu en France, ce sont les informations -- et même les désinformations -- concernant les pauvres Palestiniens, les pauvres Sunnites, et ces malheureux Chi'ites...
**3. -- **Enfin, écrire que ce sont les chrétiens qui ont le plus souffert « moralement » de cette carence est tout simplement monstrueux ! *Car c'est dans leur chair qu'ont souffert et que continuent de souffrir les chrétiens libanais.* Cette « carence », c'est-à-dire ces silences et/ou ces désinformations, ont permis que s'accomplisse le massacre des innocents. Que l'on compare le ramdam fait autour de Sabra et Chatila à la discrétion de violette observée par les médias quand on massacrait des milliers de chrétiens à coups de hache dans le Chouf !
84:305
#### « *Si vous échouez, nous disparaîtrons*
Walid Pharès, le n° 2 des Forces libanaises, nous recevra très longuement et nous aurons même le plaisir de passer une soirée en sa compagnie. Il est l'auteur d'un livre qui s'appelle : *Le peuple chrétien du Liban.* Il avoue ne pas comprendre cette espèce de lourd silence qui entoure la tentative d'extermination des chrétiens d'Orient.
Il nous rappela qu'au II^e^ Congrès maronite mondial qui s'est tenu à New York, en 1981, un copte d'Égypte monta à la tribune pour dire : « Vous, les chrétiens du Liban, vous êtes responsables du sort de 12 à 15 millions de chrétiens en Orient. Si vous réussissez, nous pourrons nous y maintenir ; si vous échouez, nous disparaîtrons. » Encore oubliait-il, dans ce décompte, la dizaine de millions de fidèles de l'Église copte d'Éthiopie persécutée par le Négus rouge, Mengistu...
Walid explique encore :
-- Le 13 avril 1975 éclate au Liban une guerre déjà commencée 13 siècles plus tôt, en fait. Une guerre qui opposa depuis toujours, et qui oppose encore, le peuple chrétien du Liban à toutes les forces et volontés qui tendent à l'asservir et à l'éloigner de ses aspirations légitimes et historiques.
Le 13 avril 1975, un dimanche matin, les occupants d'une Fiat à l'immatriculation masquée mitraillent des chrétiens groupés devant la nouvelle église d'Ain-Remmaneh. A partir de cette date, les tueurs musulmans -- FPLP, Palestiniens, groupes Amal, druzes de Joumblatt, metoualis, noçairis, ismaéliens, fous d'Allah, pro-syriens, pro-iraniens, tous confondus -- vont se donner comme but de massacrer le plus grand nombre de chrétiens.
85:305
Le 13 avril 1975 est une date repère. Mais, comme le dit Walid : « Ces événements ont leurs origines bien plus dans le temps que dans l'espace ou dans la conjoncture politique internationale. Remonter à la date de la création du Liban en 1920 n'est pas suffisant, ni même à 1860, date de la guerre druzo-chrétienne. La période à examiner est celle de la rencontre, sur ce territoire, des éléments qui constituent actuellement les populations libanaises. »
#### *Chez Mère Jeanne d'Arc*
Nous serons encore les témoins de la réalité vivante de la chrétienté au Liban en nous rendant auprès de Mère Jeanne d'Arc, supérieure des Clarisses au Liban. Le monastère Notre-Dame de l'Unité est à Baabda.
Coincé entre les batteries de la Montagne druze et celles de Beyrouth-Ouest musulman... Pendant près de deux heures, Mère Jeanne d'Arc -- « eh oui ! Je suis Lorraine... » -- nous parlera du Liban et de son monastère avec une indicible tendresse. Au loin, le soir venant, les artilleurs musulmans commençaient d' « arroser » les quartiers chrétiens. Dans le monastère les prières des moniales célébrant l'office des vêpres montaient doucement...
Nous en réussirons presque à oublier, quelques instants au moins, que nous étions dans un pays déchiré par la guerre. Et pourtant le monastère Notre-Dame de l'Unité au Liban en portait les marques de cette guerre : une Bible profanée par un communiste ; un champ matraqué par des fusées Grad ; des chars en faction à moins de deux cents mètres de l'entrée ; un grand bâtiment où campèrent les Syriens et les Israéliens.
86:305
J'ai raconté dans PRÉSENT le merveilleux accueil que nous réserva Mère Jeanne d'Arc. Je rappellerai simplement ses mots quand nous la quittâmes : « Soyez prudents surtout ! »...
#### *Samir Geagea, un chef de guerre*
Pendant des mois en 1983, Samir Geagea, ses soldats et des milliers de chrétiens, furent encerclés à Deir el-Kamar. Samir est un homme de guerre. C'est aussi un homme d'État. Pendant que nous montions le voir dans son bureau -- très protégé -- du Commandement militaire des Forces libanaises, près du port, Thibault nous dit :
-- Chez Samir, le charisme est moins apparent, moins extériorisé, plus indirect au premier abord, que chez Béchir. Mais c'est, peut-être, un charisme finalement plus fort. Il ne s'impose pas par la chaleur communicative immédiate mais par une sorte de présence dont on ne peut se déprendre.
Blessé à la main droite lors des combats de Deir el-Kamar, Samir parle lentement. Pour des choses essentielles. Romain Marie a dit ses impressions sur cette entrevue :
-- Ce fut une rencontre particulièrement émouvante. Dans ce bureau où il travaille sous la protection d'un crucifix et d'une Vierge à l'Enfant, nous avons parlé de nos deux pays, bien sûr. Je lui ai dit combien nous luttions pour développer, plus encore, le Comité Chrétienté-Solidarité France-Liban, combien je souhaitais rassembler tous ceux qui, du Front national au CNI, en passant par le RPR et l'UDF, ont choisi le camp de l'honneur et de la fidélité de la France au Proche-Orient.
87:305
Je lui ai répété aussi que le génocide entrepris au Liban n'est que la forme sanglante du génocide sous anesthésie perpétré en France et en Europe. Samir Geagea est un vrai chef de guerre. C'est aussi un homme d'État. Et un chrétien convaincu.
Originaire du Liban-Nord, de Bcharré très exactement -- des gens rudes, aguerris par une résistance plus que millénaire à l'Islam -- Samir parle peu, on l'a dit. Ce qu'il dit mérite d'être entendu :
-- Le Liban dont nous voulons sauvegarder la liberté, le Liban que nous voulons construire, consiste à être, dès maintenant, le lieu d'accueil et de refuge pour tous les chrétiens persécutés, un havre d'assistance à toutes les résistances contre-révolutionnaires dans le monde.
Les Libanais appellent Samir Geagea « Hakim ». Ce qui veut dire : « le sage ». On comprend pourquoi quand il explique :
-- La co-existence islamo-chrétienne n'a jamais existé. C'est un leurre. Je vois deux nations qui, non seulement philosophiquement et religieusement, mais surtout historiquement et politiquement n'ont rien en commun. Il faut bien comprendre la mentalité musulmane. L'Islam découpe le monde en deux : les musulmans et les non-musulmans. On ne peut y échapper. Et le non-musulman est reconnu moralement et politiquement comme un inférieur... Quel chrétien digne de ce nom accepterait de se soumettre à cette vision du monde ?
#### *Ce n'est qu'un au revoir*
Lorsque l'on quitte le Liban, on ne le fait qu'en s'en arrachant par un effort de volonté. Et avec la certitude d'y revenir. En attendant, on emporte une provision d'images.
88:305
Celle de ce combattant, par exemple, qui nous a demandé : « Pourquoi avez-vous laissé la Villa des Pins ? C'était votre maison. Pas celle des fanatiques de Beyrouth-Ouest. Pourquoi vos paras n'ont-ils pas fait ce que fait le moindre gamin de nos quartiers chrétiens : protéger sa maison... » Celle du sourire de Mère Jeanne d'Arc, impavide au milieu de la folie des hommes. Celle du père Mouanès, frère Jean des Entommeurs à l'heure du plus grand péril.
Celle de la résistance de ces petits postes de montagne où des garçons de dix-huit ans sont dressés face aux avant-gardes de l'armée rouge. Celle de la chapelle de Deïr-Beilla, cernée à 300° par les Syriens. Celle de Beyrouth-la-chrétienne où l'on se bat pour vivre. Celle de Beyrouth-la-musulmane où l'on sécrète la haine...
Plusieurs fois pendant nos déplacements -- était-ce sur la « Ligne verte », était-ce sur le front nord, je ne sais plus -- Romain Marie qui sollicitait des renseignements stratégiques, eut cette réflexion : « Et nos forces où sont-elles ? Et nos batteries ? Nous pouvons tenir sur ce point ? » Pour tous ces pronoms possessifs comme autant de mots d'amour, de foi, d'espérance, j'ai eu dix fois envie de lui dire merci. Et de lui redire mon amitié. Je ne l'ai pas fait. La pudeur, on le sait, est un sentiment viril, essentiellement viril.
Alain Sanders.
89:305
### Simone de Beauvoir
par Armand Mathieu
LE COUPLE qu'elle formait avec Sartre n'a pas d'équivalent exact dans l'histoire littéraire. Juliette Drouet ou Elsa Triolet avaient connu d'autres expériences avant de rencontrer leur grand homme, dont elles supportèrent mal, ou peu, les écarts. Au fond, ce sont peut-être Voltaire et la marquise du Châtelet, si la belle Émilie avait vécu plus longtemps, qui auraient le mieux préfiguré ce compagnonnage affectif et intellectuel, sans presque plus rien de sensuel (l'attachement charnel de Sartre à Simone de Beauvoir ne dura guère que trois ans, de 1929 à 1932).
\*\*\*
De prime abord, cette femme de lettres rebutait, avec son visage dur, son assurance, ses phrases coupantes.
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Il y avait pourtant chez elle une faille. Elle ne parvint jamais à se débarrasser de la hantise de la mort. Elle avait tout essayé. Son activisme forcené ne s'explique pas autrement, ni ses voyages perpétuels, ni son entreprise autobiographique, ni son culte de l'art... En 1963, elle semble éprouver une sorte de consolation à constater que sa mère, quoique catholique pratiquante, n'a pas pu, elle non plus, regarder la mort en face, et a refusé de voir la terrible maladie qui l'emportait.
Sartre lui-même, plus cynique dans tous les sens du terme (il y avait incontestablement du Diogène dans cet homme -- moins le talent), n'était pas non plus tout à fait indifférent devant la mort, puisqu'il a tenu à se faire incinérer, cette précaution que prennent souvent les athées qui craignent une mauvaise rencontre posthume.
\*\*\*
Lancée dans une course contre la montre, Simone de Beauvoir écrivait son autobiographie avec un recul de plus en plus réduit. Et Sartre, qui la relisait, n'était pas lui-même très avisé. Elle laisse ainsi bien des textes qui la condamnent. Prenons *La Force des Choses* (Souvenirs 1944-1962, publiés en 1963), au hasard, en 1959 par exemple :
« Castro ouvrit un procès public qui aboutit à environ (!) deux cent vingt condamnations à mort. Les journaux français présentèrent comme un crime cette nécessaire épuration... »
« Lunik 2 et Lunik 3 confirmaient la supériorité spatiale de l'U.R.S.S. : c'était une garantie de paix... »
Du moins elle ne se trompait pas d'adversaire : « J'accueillis avec un certain plaisir la mort du pape (Pie XII), celle de Foster Dulles » (en 1958).
Le voyage en U.R.S.S. de 1962 est un morceau d'anthologie. A cette date, Aragon lui-même n'aurait pas osé l'écrire :
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« Si l'ancienne amie de Pasternak a été envoyée dans un camp, c'est qu'elle s'était livrée à des trafics de devises (on n'y interne que les *droit commun*)... Jusqu'en 1936, paraît-il, les camps étaient vraiment des centres de rééducation : un travail modéré, un régime libéral, des théâtres, des bibliothèques, des causeries, des relations familiales, presque amicales, entre les responsables et les détenus. »
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Si les livres peuvent amplifier ou prolonger un mouvement d'opinion, un bouleversement des mœurs, il est bien rare qu'ils les suscitent à eux seuls. Il faut beaucoup de naïveté pour attribuer de l'influence au *Deuxième Sexe,* paru en 1949, alors que déjà deux guerres mondiales, l'urbanisation, l'industrialisation, avaient arraché les femmes à leur rôle traditionnel et les utilisaient à tous les postes de travail.
*La Garçonne* de Victor Margueritte est de 1922, *La Vagabonde* de Colette de 1910 !
Une fois de plus, elle arrivait après la bataille. Comme en 1944. Comme en 1977, quand elle viendra trinquer avec les dissidents soviétiques.
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Il faut faire dans sa vie la part du tempérament, qu'elle avait violent, dans tous les domaines. Bien avant d'être déflorée par Sartre, en 1929, et jetée par lui dans des parties de diable à quatre, alors même qu'elle militait encore dans les Équipes sociales de Robert Garric et enseignait à l'Institut Sainte-Marie de Mme Daniélou, elle allait la nuit, avec sa jeune sœur, faire de la provocation sur les trottoirs de Montparnasse et dans les bars de Montmartre.
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Elle a raconté sans fard (et sans remords apparent) dans quelles tristes aventures elle entraîna quelques-unes des élèves de sa classe de philosophie, qui invariablement s'amourachaient d'elle, à Marseille, à Rouen, à Paris. C'est ce qui motiva son exclusion de l'Éducation nationale, en 1943, pour détournement de mineure (exclusion qu'elle tint à faire annuler à la Libération, sans toutefois revenir à l'enseignement).
Sartre du moins se jugeait sévèrement, lui écrivant vers 1940 : « Je n'ai jamais su mener proprement ma vie sexuelle, ni ma vie sentimentale. Je me sens profondément et sincèrement un salaud, et de petite envergure par-dessus le marché, une espèce de sadique universitaire et de don Juan fonctionnaire à faire vomir. »
\*\*\*
Ce serait une erreur pourtant de croire que leur destin d'athées -- gauchards et militants était inéluctable. Jusqu'en 1944, Sartre et Beauvoir, écrivains avant tout, sont restés en position d'observateurs.
Quoique proches de la gauche universitaire laïque, ils n'étaient pas insensibles aux valeurs et à l'art chrétiens. Simone de Beauvoir était depuis toujours grande lectrice de Claudel. Dans son camp de prisonniers, Sartre s'entendait parfaitement avec les ecclésiastiques, et tint à monter avec eux une pièce de théâtre pour Noël 1940 (*Bariona*)* :* cette pièce prêchait l'espérance et non pas la révolte.
Quand Sartre revint à Paris en mars 1941, il eut quelques velléités d'opposition à Vichy et à l'occupant. Il reprocha à Simone d'avoir signé, comme tous les fonctionnaires de l'époque, une déclaration attestant qu'elle n'était ni juive ni franc-maçonne. Il prit des contacts avec quelques universitaires résistants. Il s'aperçut vite que c'était une folie bien inutile que de faire couler encore le sang : c'est à son honneur. Il conseilla la prudence à ses amis juifs. Il fut un des derniers à croire à une défaite allemande.
93:305
Simone et lui n'avaient pas cessé de fréquenter leur ami Dullin, bien compromis dans la collaboration parisienne, et sa maîtresse l'actrice Camille Jolivet (lointaine cousine et premier amour de Sartre), qui tenait des propos ouvertement favorables aux Allemands.
En 1944, tout bascula. Il n'était plus convenable, pour qui voulait réussir dans les arts et lettres (et c'était leur rêve), de se compromettre par des amitiés, des idées ou des attitudes de droite ([^25]).
\*\*\*
La droite, toute l'enfance de Simone de Beauvoir y avait baigné. Et cette enfance n'avait pas été heureuse (mais loin de nous l'idée qu'elle explique à elle seule les choix de l'écrivain).
Simone de Beauvoir a raconté cette enfance en 1958 dans les *Mémoires d'une Jeune Fille rangée,* qui restent son meilleur livre (la suite de son autobiographie tourne vite au guide touristique et au film d'actualités). A compléter par *Une Mort très douce* (1964) pour le portrait de ses parents (avec prudence, car elle y fabule un peu, sur leurs rapports charnels, à partir d'indices très fragiles).
\*\*\*
Le père, Georges Bertrand de Beauvoir, n'était pas d'Action française, comme on l'a parfois écrit. Il était un produit achevé de la bourgeoisie du XIX^e^ siècle. Il admirait Guizot, le suffrage censitaire, les grands écrivains conservateurs et positivistes, lisant le soir à sa femme les *Origines* de Taine ou l'*lnégalité des Races humaines* de Gobineau.
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Mais il était aussi nationaliste et boulevardier, comme on l'était à Paris en 1900, amateur de Rostand, de Coppée, de Capus, et comédien amateur. Avocat paresseux, il préféra vivre (mal) de besognes dans les journaux, au *Gaulois,* puis à *La Revue française* d'Antoine Redier.
La mère, née Françoise Brasseur, n'avait pas apporté la dot escomptée. Banquier à Verdun, M. Brasseur fit faillite. Il y avait un don pour cela dans sa famille. A la génération suivante, son cousin Jacques Champigneulles, qui se voyait en rénovateur de l'art sacré, mènera à la ruine la célèbre maison dont les vitraux saint-sulpiciens ornent aujourd'hui encore la plupart de nos églises bâties à la fin du XIX^e^ siècle. La mère de Simone donna dans une piété un peu inquiète et formaliste. Elle s'effondra quand Simone lui déclara, à quatorze ans, qu'elle avait perdu la foi ; mais il n'y eut pas de discussion ; et Simone n'en souffla mot à son père, agnostique invétéré.
Celui-ci, dans les querelles entre Action française et Sillon, prenait parti pour la première. « Les Camelots du roi attaquèrent les partisans de Marc Sangnier et leur firent ingurgiter des bouteilles d'huile de ricin (...). J'admis, sur la foi de papa, que la plaisanterie était fort drôle. En remontant avec Zaza \[sa meilleure amie\] la rue Saint-Benoît j'y fis gaiement allusion. Le visage de Zaza se durcit : « C'est infect ! » dit-elle d'un ton révolté. Je ne sus que répondre. »
\*\*\*
Zaza, c'est Élisabeth Mabille, l'une des filles du directeur des usines Citroën, catholique social qui possédait un château en Gascogne où Simone de Beauvoir fit quelques séjours. Le drame d'Élisabeth est au cœur des *Mémoires d'une Jeune Fille rangée.* C'est Simone, en effet, qui l'avait présentée à un agrégatif de philosophie, le charmant Merleau-Ponty ; celui-ci, à l'époque, faisait retraite à Solesmes.
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Ce fut une histoire à la Roméo et Juliette : coup de foudre, promesses, mortelle angoisse d'Élisabeth devant le refus de ses parents, qui finissent par céder cependant que Merleau-Ponty devient tout à coup un peu distant... Bientôt Élisabeth délire, est hospitalisée, meurt (d'une méningite ?) en quelques jours.
Les *Mémoires,* en 1958, semblaient accuser un peu Merleau-Ponty (sous le pseudonyme de Pradelle), avec lequel Simone était en bisbille à propos du stalinisme. Elle ignorait tout un côté de la tragédie, qu'on devait alors lui révéler lors de leur enquête prénuptiale, les Mabille (et Merleau-Ponty par la même occasion) avaient découvert que le jeune homme était né d'un amour adultère. D'où leur opposition au mariage, et le trouble du garçon.
\*\*\*
Il faut reconnaître que Simone de Beauvoir, dans ses livres, n'a guère flatté son auto-portrait. Elle s'est livrée nue, si l'on peut dire, à ses détracteurs. Son désir forcené de réussite, son rejet du monde extérieur, son refus de toutes les dépendances, physiques, morales (qui fonde toutes les théories du *Deuxième Sexe*), elle les a montrés, déjà impérieux, impétueux, sans les expliquer vraiment, dans la Jeune Fille rangée de quatorze-quinze ans. Avec des phrases étonnantes et définitives :
« J'appris avec stupeur en lisant un fait divers que l'avortement était un délit ; ce qui se passait dans mon corps ne concernait que moi ; aucun argument ne m'en fit démordre. »
« Herbaud \[René Maheu\] se perdait volontiers dans des rêveries historiques... Moi, le passé me laissait de glace. »
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« J'aperçus un jour au Luxembourg Nizan et sa femme qui poussaient, une voiture d'enfant, et je souhaitai vivement que cette image ne figurât pas dans mon avenir. »
C'est quelques années avant, autour de sa quinzième année, qu'elle situe l'éclosion de sa vocation :
« J'avais décidé depuis longtemps de consacrer ma vie à des travaux intellectuels. Zaza me scandalisa en déclarant d'un ton provocant : « Mettre neuf enfants au monde comme l'a fait maman, ça vaut bien autant que d'écrire des livres. » Je ne voyais pas de commune mesure entre ces deux destins. Avoir des enfants, qui à leur tour auraient des enfants, c'était rabâcher à l'infini la même ennuyeuse ritournelle ; le savant, l'artiste, l'écrivain, le penseur créaient un autre monde, lumineux et joyeux, où tout avait sa raison d'être. C'était là que je voulais passer mes jours ; j'étais bien décidée à m'y tailler une place. Lorsque j'eus renoncé au ciel, mes ambitions terrestres s'accusèrent : il fallait émerger (...).
« Si j'avais souhaité autrefois me faire institutrice, c'est que je rêvais d'être ma propre cause et ma propre fin ; je pensais à présent que la littérature me permettrait de réaliser ce vœu. Elle m'assurerait une immortalité qui compenserait l'éternité perdue ; il n'y avait plus de Dieu pour m'aimer, mais je brûlerais dans des millions de cœurs. »
En 1963, revenue de cette illusion, Simone de Beauvoir conclut ainsi le troisième volume de ses mémoires (*La Force des Choses*)* :*
« Je pense avec mélancolie à tous les livres lus, aux endroits visités, au savoir amassé et qui ne sera plus. Toute la musique, toute la peinture, toute la culture, tant de lieux : soudain plus rien. Ce n'est pas un miel, personne ne s'en nourrira. Au mieux, si on me lit, le lecteur pensera : elle en avait vu des choses ! Mais cet ensemble unique, mon expérience à moi, avec son ordre et ses hasards -- l'Opéra de Pékin, les arènes d'Huelva, le candomblé de Bahia, les dunes d'El Oued, Wabansia Avenue, les aubes de Provence, Tirynthe,
97:305
Castro parlant à cinq cent mille Cubains, un ciel de soufre au-dessus d'une mer de nuages, le hêtre pourpre, les nuits blanches de Leningrad, les cloches de la libération, une lune orange au-dessus du Pirée, un soleil rouge montant au-dessus du désert, Torcello, Rome, toutes ces choses dont j'ai parlé, d'autres dont je n'ai rien dit -- nulle part cela ne ressuscitera. Si du moins elle avait enrichi la terre ; si elle avait engendré... quoi ? une colline ? une fusée ? Mais non. Rien n'aura eu lieu. Je revois la haie de noisetiers que le vent bousculait et les promesses dont j'affolais mon cœur quand je contemplais cette mine d'or à mes pieds, toute une vie à vivre. Elles ont été tenues. Cependant, tournant un regard incrédule vers cette crédule adolescente, je mesure avec stupeur à quel point j'ai été flouée. »
On note ce mot qui lui échappe (« Si elle avait *engendré...* »)*,* aussitôt rattrapé par une échappatoire bizarre (« Quoi ? une colline ? une fusée ?... »), comme s'il fallait vite chasser l'image de la famille ou de l'enfant, qu'elle avait refusés.
Or au moment où elle écrivait ces lignes, elle se liait, imitant Sartre, à une jeune correspondante qui préparait l'École normale supérieure de Sèvres, Sylvie Lebon, que bientôt elle adoptait. C'est celle-ci qui mena le deuil, en avril dernier, et adressa au *Monde* le faire-part de décès sous le nom de Mme Sylvie Lebon de Beauvoir, escortée par Mme Lionel de Roulet, la sœur cadette de Simone (peintre sous son nom d'Hélène de Beauvoir).
Avoir tant médit de la famille, et finir en tête d'un cortège aussi familial...
Armand Mathieu.
Claude Francis et Fernande Gontier : *Simone de Beauvoir* (Perrin). -- Ce livre de Mmes Francis et Gontier aide souvent à reconstituer, clarifier, compléter l'itinéraire de Simone de Beauvoir.
98:305
Ses quatre cents pages sont fatalement incomplètes. Elles résument parfois à très gros traits la minutieuse autobiographie que Beauvoir a elle-même tissée de 1958 à 1981. L'histoire intellectuelle de son époque est mal maîtrisée par nos deux hagiographes, peut-être parce que ce sont « deux universitaires américaines », « d'origine française », me dit-on.
Ainsi, classer Bellessort parmi les professeurs de philosophie célèbres vers 1930, ou déclarer qu' « Aragon deviendra l'un des maîtres à penser du parti communiste » (dont il fut seulement un instrument) prête à sourire.
Une autre formule provoque quelque étonnement : « Zaza, grande lectrice de Lamennais, soutenait que pour une femme rien ne valait la maternité. » Que diable vient faire en cette histoire Lamennais (peut-être confondu avec Lacordaire ou Sangnier) ? Simone de Beauvoir ne le cite jamais dans ses *Mémoires d'une Jeune Fille rangée.*
Nos deux Américaines n'ont pas compris non plus que si la famille de Zaza (très chère amie d'enfance de Simone) refuse qu'elle épouse un jeune homme né d'un adultère, c'est un réflexe de prudence bourgeoise, et non « parce que l'adultère était un péché mortel » : le péché d'adultère ne se transmet pas des parents aux enfants !
Pourquoi n'avoir pas mieux lu Beauvoir aussi quand elle explique que l'attentat O.A.S. du 7 janvier 1962 visait non pas Sartre mais la chemiserie Romoli (pied-noir considéré comme un traître par ses compatriotes), ou quand elle raconte comment Sartre se fit porter pâle pour être libéré par les Allemands en mars 1941 (nos Américaines ont préféré recopier H.-R. Lottman, qui imagine une intervention de Drieu) ?
D'autres erreurs ou omissions proviennent peut-être d'une certaine gêne :
-- la visite aux casernes portugaises d'un Sartre presque aveugle, caressant les chars du régiment d'artillerie n° 1 (il existe une photo, comme pour le Sartre cravaté ou se faisant allumer un cigare chez Castro), sous la houlette de Simone, en 1975, n'est pas mentionnée ;
-- Arlette Elkaïm, jeune juive de Constantine, n'avait pas dix-sept ans, mais dix-neuf, quand, préparant à Versailles l'École normale supérieure de Sèvres, en 1956, elle se lia avec Sartre ;
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on sait que les rapports étaient tendus entre Simone et celle qui deviendra en 1965 la fille adoptive de Sartre, puis en 1980 son exécutrice testamentaire chargée non seulement de répartir (jusqu'en Russie !) les pensions que cet homme couvert de femmes laissait à des maîtresses de quelques mois ou quelques années, mais aussi du classement et de la publication de ses papiers, ce qui dut être durement ressenti par celle qui avait été associée à toute la carrière intellectuelle du pape de l'existentialisme ; c'est Benni Levi (alias Pierre Victor, journaliste gauchiste rencontré en 1970 par Sartre, qui eut recours au président Giscard pour faire naturaliser Français ce juif égyptien) que Simone accusera de « détournement de vieillard » quand il donnera à *Libération* en 1978 un reportage enthousiaste de Sartre sur Israël, puis en 1980 au *Nouvel Observateur* une interview où le même Sartre se déclarait à peu près converti à la Torah et à la transcendance ; mais, ajoute-t-elle dans *La Cérémonie des Adieux,* Arlette et Victor étaient « devenus amis », « Arlette ne connaissait rien aux œuvres philosophiques de Sartre et elle était en sympathie avec les nouvelles tendances de Victor : ils apprenaient ensemble l'hébreu ».
\*\*\*
Signalons à ceux qui voudront préciser certains épisodes de cette biographie deux petites anecdotes publiées par le quotidien *Présent.* Dans le n° du 16 avril, François Brigneau témoigne que la cave-dancing des existentialistes n'était pas le *Tabou* (dont les deux hagiographes reconnaissent qu'il fut vite abandonné) mais le *Méphisto.* Dans le n° du 30 avril, le général G. Noël complète notre information sur l'accueil fait à Sartre et Beauvoir par la garnison de Ghardaïa en 1950. L'auteur de *La Force des Choses* n'avait retenu que ceci : « Des officiers demandèrent à Sartre une conférence et il accepta ; nous étions opposés au système colonialiste mais nous n'avions pas *a priori* de prévention contre les hommes qui administraient les affaires indigènes ou qui dirigeaient la construction des routes. »
Le dossier iconographique que la Librairie académique Perrin joint au texte de Mmes Francis et Gontier est comme à l'accoutumée abondant et bâclé : photos non datées ou archi-connues -- (Lévi-Strauss, Dullin, Camus...) voisinent avec une bonne surprise, les parents de Simone en comédiens amateurs. A noter aussi, pour le comique, une photo où, dans la salle à manger de l'Élysée, un Mitterrand lugubre semble réciter le *Bénédicité* entre Mmes de Beauvoir et Roudy.
A. M.
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### Les militants de Jeanne d'Arc
*Étude sociologique*
par Francis Bergeron
*avec la collaboration\
de Philippe Vilgier*
LE SONDAGE D'OPINION est devenu un élément essentiel de la liturgie démocratique ; il permet, entre deux élections, de faire patienter les gens pressés. Il influence parfois aussi les comportements futurs. Les sondages, on les manipule, on les pondère, on les interprète. Interviewer mille personnes et nous donner à partir de cet échantillon l'état d'esprit de cinquante-cinq millions de Français, restera toujours, quel que soit l'état de la science des sondages, une entreprise osée.
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La petite équipe « sociologique » du journal PRÉSENT n'avait pas de telles ambitions avec le sondage qu'elle a réalisé le 11 mai dernier. Population visée : les « militants de Jeanne d'Arc », ceux qui, ce dimanche matin-là, défilaient rue de Rivoli en hommage à la Pucelle d'Orléans. Sans doute 20.000 hommes, femmes et enfants : un cortège coloré et divers ; des cortèges, serait-il plus exact de dire.
En effet, depuis 1979, la fête de Jeanne d'Arc est le point de passage obligé de toutes les droites, et plus seulement des seuls monarchistes, qui avaient imposé ce traditionnel défilé en 1912, après trois années de bagarres, et l'avaient maintenu malgré les aléas politiques, et malgré la déperdition militante. Une tradition qui ne manquait pas de grandeur.
20.000 personnes environ le 11 mai 1986. Un renouveau de ferveur étonnant. C'est le portrait de ces 20.000 participants qu'ont tenté d'ébaucher les « sondeurs » de PRÉSENT. Quatre enquêteurs ont remis à 1.800 personnes, aux lieux de rassemblement (Saint-Augustin et angle Rivoli-Concorde) et en différents points du cortège, un questionnaire portant d'une part sur les caractéristiques « sociologiques » des personnes sondées (sexe, âge, profession, lieu d'habitation, etc.) et d'autre part sur les opinions politiques et religieuses.
331 questionnaires ont été remplis sur place et remis aux enquêteurs. Dans son numéro du 15 mai 1986, PRÉSENT a donné les premiers enseignements du dépouillement de ce panel. Mais les personnes enquêtées avaient également la possibilité de renvoyer par la poste le questionnaire au journal PRÉSENT. 270 réponses supplémentaires ont ainsi été collectées. PRÉSENT a commenté, dans son numéro du mardi 10 juin 1986, des résultats portant cette fois sur 601 questionnaires. -- C'est ce sondage que nous allons tenter d'affiner ici ([^26]).
\*\*\*
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Plus de 600 sondés sur 20.000 personnes, soit 3 % des participants : les résultats sont très certainement significatifs. Ils ne sont cependant pas l'exacte photographie du poids respectif de chacune des composantes de ce défilé. En effet, le fait même d'avoir indiqué que ce sondage était une initiative du journal PRÉSENT ([^27]) a pu provoquer des phénomènes de rejet ou au contraire d'adhésion. Adhésion et encouragements chez les sympathisants du CENTRE CHARLIER, qui ont été nombreux à réclamer des questionnaires, remarques parfois acerbes chez ceux de la CONTRE-RÉFORME CATHOLIQUE (CRC), reprochant à PRÉSENT d'être « un journal démocrate » ([^28]), méfiance chez les militants de l'ŒUVRE FRANÇAISE, mais aussi chez certains sympathisants du FRONT NATIONAL qui, visiblement, n'avaient jamais entendu parler de PRÉSENT et assimilaient volontiers sondage et trucage, en faisant référence, à juste titre, à ceux réalisés à la veille des élections législatives de mars 1986.
Il était d'abord demandé d'indiquer le sexe. Les réponses montrent que nous trouvons 68,4 % d'hommes et 31,6 % de femmes, ce qui correspond bien à la physionomie générale des cortèges. Comme dans toute manifestation de cette nature, le rapport est de 2 hommes pour 1 femme, bien qu'il s'agisse ici d'honorer une femme. Mais descendre dans la rue, même pour Jeanne d'Arc, est une démarche militante. Et il est connu que le militantisme civique touche davantage les hommes que les femmes, dans la proportion des 2/3-1/3. Par ailleurs les défilés de Jeanne d'Arc se déroulent le dimanche matin, ce qui constitue un handicap pour les familles ayant des enfants en bas âge.
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Rapprochons ces chiffres de ceux donnés par les sondages SOFRES de février et de mai 1984, qui concernaient l'électorat de la droite nationale.
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| | février 1984 | mai 1984 | PRÉSENT\ |
| | | | mai 1986 |
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| ####### Hommes | 56 % | 59 % | 68,4 % |
+-----------------+----------------+-----------------+-----------------+
| * Femmes* | 44 % | 41 % | 31,6 % |
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Des sondages de la SOFRES, les analystes politiques tiraient la conclusion que les sympathisants de la droite nationale se trouvaient plutôt dans la population masculine. Tendance qui semble s'accentuer dans le temps et en fonction de l'engagement militant.
+----------------+----------------+------------------+-----------------+
| Age | février 1984 | mai 1984 | PRÉSENT |
| | | | |
| | | | mai 1986 |
+----------------+----------------+------------------+-----------------+
| \- de 18 ans | -- | -- | 4,5 % |
+----------------+----------------+------------------+-----------------+
| 18-24 ans | 21 % | 14 % | 17,5 % |
+----------------+----------------+------------------+-----------------+
| 25-34 ans | 20 % | 18 % | 17,2 % |
+----------------+----------------+------------------+-----------------+
| 35-49 ans | 21 % | 26 % | 25,1 % |
+----------------+----------------+------------------+-----------------+
| 50-64 ans | 23 % | 23 % | 22,6 % |
+----------------+----------------+------------------+-----------------+
Le sondage de PRÉSENT confirme les sondages SOFRES : les nationaux sont plutôt jeunes (40 % ont moins de 35 ans dans le sondage PRÉSENT et respectivement 41 % et 32 % dans les deux sondages SOFRES). Les sympathisants UDF -- RPR -- Front national pris globalement ne comptent que 30 % de moins de 35 ans, ce qui signifie que l'UDF et le RPR rencontrent moins d'adhésion dans le public jeune.
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Profession Pourcentage
Lycéens, collégiens, apprentis 5,55
Étudiants 12,61
Mères au foyer, sans profession 7,56
Ouvriers 3,19
Employés 11,09
Cadres du privé 14,79
Retraités 16,64
Religieux 0,67
Militaires 2,69
Professions libérales, patrons 9,58
Commerçants, artisans 5,04
Fonctionnaires 10,59
Ces chiffres ne peuvent être comparés à ceux des sondages SOFRES sur les sympathisants de la droite nationale qui ne demandaient que la profession du « chef de famille ». La SOFRES ne prend en compte ni les lycéens et étudiants, ni les mères de famille.
On sait toutefois que les ouvriers représentent entre 25 et 29 % des chefs de famille sympathisants ou électeurs de la droite nationale. Les ouvriers défilant le 11 mai n'étaient que 3,19 % (4,29 % en ne prenant pas en compte les catégories qui ne peuvent être retenues comme correspondant à la situation du chef de famille). Jeanne d'Arc n'inspire apparemment pas un monde ouvrier séduit en fait depuis peu de temps par les thèmes de la droite nationale. Il convient toutefois de relativiser cette observation, en notant que l'enquête de PRÉSENT concernait dans la pratique les militants de la seule région parisienne, où prédominent les emplois du secteur tertiaire. Quant à la main-d'œuvre ouvrière (usines de la petite Couronne), elle est majoritairement immigrée.
Cadres du privé, professions libérales, patrons, commerçants et artisans représentent au total moins de 30 % des participants. La fête de Jeanne d'Arc n'est donc pas non plus une manifestation réservée aux classes moyennes ou aisées.
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10,27 % des participants étaient à la recherche d'un emploi, contre 89,73 % : un chiffre assez proche du pourcentage des demandeurs d'emploi en France, légèrement supérieur, toutefois, aux données observées en région parisienne.
Pratique religieuse Pourcentage
Catholique pratiquant régulier 50,5
Catholique non pratiquant régulier 39,63
Autre religion 2,01
Sans (athée, païen, agnostique, etc.) 7,86
Nette prédominance des catholiques pratiquants. Rappelons que pour la France entière moins de 15, % des Français se déclarent catholiques pratiquants. Le poids des catholiques est évident dans les groupements monarchistes, à la CONTRE-RÉFORME CATHOLIQUE et chez les sympathisants du CENTRE CHARLIER. Parmi les militants du FRONT NATIONAL*,* la pratique religieuse caractérise une importante minorité, supérieure à la moyenne nationale, et supérieure à celle des sympathisants et électeurs de la droite nationale dans les sondages SOFRES de 1984 (20 % environ).
Par groupe défilant le 11 mai, la pratique religieuse se répartit ainsi :
100 %, bien entendu, pour les paroissiens de Saint-Nicolas du Chardonnet ;
96 % des sympathisants du CENTRE CHARLIER ;
87 % des sympathisants de la CRC ;
75 % des monarchistes, toutes tendances confondues (pratique religieuse plus forte chez les « légitimistes » que chez les sympathisants de l'ACTION FRANÇAISE).
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27 % des sympathisants du FN ;
11 % des sympathisants de l'ŒUVRE FRANÇAISE ;
8 % de ceux qui se reconnaissent dans la nébuleuse nationaliste révolutionnaire (MNR, 3^e^ Voie, Jeune Garde...).
La forte identité catholique des cortèges de la Sainte Jeanne d'Arc est attestée par le total de ceux qui se reconnaissent comme catholiques, pratiquants ou non : 90,13 %, soit 100 % des paroissiens de Saint-Nicolas et des « légitimistes », 99 % des proches du CENTRE CHARLIER, 94 % de ceux de la CRC, 90 % de ceux de l'A.F., 89 % de ceux de l'ŒUVRE FRANÇAISE, 87 % de ceux du FRONT NATIONAL. Seuls les sympathisants du « nationalisme révolutionnaire » font exception à ce principe : 25 % de catholiques, pratiquants réguliers ou non. L'influence de la « Nouvelle droite. » n'est sans doute pas étrangère à ce résultat.
Douze personnes sondées ont indiqué une religion autre que catholique :
-- 6 protestants ;
-- 3 orthodoxes ;
-- 1 anglican ;
-- 1 israélite ;
-- 1 « collège druidique » (?).
N'en déplaise aux vigilants censeurs de la droite nationale, la secte Moon n'a visiblement pas encore noyauté les cortèges de Jeanne d'Arc.
Quant à ceux qui trouveraient que les minorités religieuses sont sous-représentées, il convient de leur rappeler qu'elles ne représentent pour l'heure que 3 % des Français, contrairement aux apparences.
15 % des Français se déclarent sans religion. Ce n'était le cas que de 7,86 % des « militants de Jeanne d'Arc », issus pour l'essentiel des rangs du « nationalisme révolutionnaire » (75 %), de L'ŒUVRE FRANÇAISE (11 %) et du FRONT NATIONAL (8,7 %). Certains d'entre eux ont tenu à préciser qu'ils étaient « païens modérés », ce qui est somme toute réconfortant et peut laisser espérer une évolution positive.
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L'importance du facteur religieux dans ces manifestations laïques en l'honneur de Jeanne d'Arc trouve certainement sa source dans le renouveau, constaté depuis une dizaine d'années, du courant dit « traditionaliste », toutes tendances confondues. L'importance des cortèges du CENTRE CHARLIER et de la CRC, la présence de celui des paroissiens de Saint-Nicolas du Chardonnet, en témoignent. Il y a à présent un enracinement du catholicisme de tradition, dans une version militante et extravertie, comme l'atteste par exemple le succès du pèlerinage de Chartres.
La dernière des questions destinées à définir le portrait du « militant de Jeanne d'Arc » portait sur son lieu d'habitation :
Région parisienne 85,52 %
Autres régions 14,48
Malgré son audience, malgré l'importance des foules rassemblées, le défilé de Jeanne d'Arc reste donc un événement essentiellement parisien. Les initiatives locales destinées à célébrer la Sainte de la Patrie ne font aucunement ombrage au succès du cortège de la rue de Rivoli, et devraient donc connaître un essor important ces prochaines années.
« De quel groupe défilant aujourd'hui vous sentez-vous le plus proche ? » La question était posée de façon ouverte. 7,11 % ont répondu évasivement (« la droite », « les Français ») ou n'ont pas répondu. 1,98 % ont expliqué qu'ils appréciaient « tous » les groupes présents ou que leur affection à leur égard était « œcuménique ». Certains militants du FRONT NATIONAL n'ont pas réalisé que d'autres groupes défilaient ce jour-là, et n'ont donc pas compris la question, ou bien ont indiqué qu'ils se sentaient proches du « 94 » (Val-de-Marne), du « 78 » (Yvelines), du FNJ, etc. Ils ont été comptabilisés avec le vote FN.
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Deux personnes sondées sur les 605 ont répondu qu'elles ne se sentaient de sympathie à l'égard d' « aucun » des groupes. Le reste de leur questionnaire montre toutefois qu'elles ont sûrement moins de sympathie encore à l'égard des libéraux ou de la gauche.
Pour les autres, les réponses se répartissent ainsi
FRONT NATIONAL 55,21 %
CENTRE CHARLIER 11,90
CHRÉTIENTÉ-SOLIDARITÉ 4,46
soit 16,36 pour l'ensemble.
ACTION FRANÇAISE -- RESTAURATION NATIONALE 7,27
« Légitimistes » 4,63
dont 0,99 ayant fait référence à la « Garde blanche ».
CONTRE-RÉFORME CATHOLIQUE 2,98
Paroissiens de Saint-Nicolas 2,81
ŒUVRE FRANÇAISE 2,15
MNR -- 3^e^ Voie -- Jeune Garde 2,15
Catholiques traditionalistes (sans précision) 0,99
Monarchistes (sans précision) 0,83
Le total des réponses est légèrement supérieur à 100 %. En effet, 31 personnes ont indiqué une égale sympathie pour deux groupes à la fois : dans 25 cas, l'un de ces deux groupes était le FRONT NATIONAL, l'autre pouvant être CHRÉTIENTÉ-SOLIDARITÉ, la CRC ou l'ŒUVRE FRANÇAISE. La sympathie pour les « légitimistes » est parfois le fait de personnes ayant par ailleurs indiqué qu'elles avaient défilé dans un autre groupe (FRONT NATIONAL OU CHRÉTIENTÉ-SOLIDARITÉ). Notons enfin que quelques sondés ont cité PRÉSENT qui ne constituait pas un groupe défilant en tant que tel ce jour-là, ou l'Union nationale des parachutistes.
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Le degré d'engagement des « militants de Jeanne d'Arc » est très fort : 60 % se déclarent militants, contre 37,21 % sympathisants, et 2,79 % marginaux.
La question suivante portait sur le premier engagement politique.
20 personnes n'ont pas répondu. Il semble, à la lecture du reste du questionnaire, qu'il s'agisse plutôt de « catholiques traditionalistes » s'estimant non concernés par quelque engagement politique que ce soit.
Pour les autres, la répartition se présente ainsi :
FN 48,97 %
Extrême-droite non monarchiste 9,93
Monarchistes 19,35
Nationaux-catholiques 6,51
Modérés (RPR-UDF) 12,33
Gauche 2,23
Autres (écologistes, jobertistes) 0,68
Premier constat : le FRONT NATIONAL a été le premier engagement politique pour un participant sur deux. Ce parti existe depuis 14 ans, mais il n'a connu un développement important que depuis quatre ans environ. Beaucoup de militants du F.N. sont donc venus à ce parti vierges de tout autre engagement. Par ailleurs ces adhésions sont généralement récentes. Ce chiffre est à rapprocher de celui des personnes indiquant qu'elles défilaient pour la première fois ici (40,37 % des sondés). 20,10 % avaient déjà manifesté une fois ou deux, 8,28 % trois fois, 9,36 % avaient déjà défilé, mais ne précisaient pas à combien de reprises ; 21,62 % avaient défilé plus de trois fois.
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Il y a accroissement du nombre des participants d'une année sur l'autre ; cet accroissement est surtout le fait du FRONT NATIONAL.
Second enseignement : le premier engagement « monarchiste » est bien supérieur au total des sympathisants « légitimistes » ou de la RESTAURATION NATIONALE. Ceci traduit bien le rôle d'école de formation joué depuis toujours par l'ACTION FRANÇAISE.
Les 12,33 % de personnes ayant d'abord milité chez les « modérés » se répartissent à peu près également entre UDF et RPR. Quelques manifestants portaient d'ailleurs des badges de l'UDF à la boutonnière. Ces 12,33 % (2.500 personnes, si l'on projette ce pourcentage au niveau de l'ensemble des cortèges) prouvent les transferts militants dans le sens modérés-nationaux. Habituellement le cursus politique allait de la droite au centrisme (Alain Madelin, Gérard Longuet, Charles Millon, François Léotard, Philippe de Villiers, Jacques Douffiagues, mais aussi, pour la génération précédente, Michel Debré, François Mitterrand, Edgar Faure, les frères Sanguinetti etc.).
9,93 % des sondés ont commencé leur engagement politique « à l'extrême droite ». Les mouvements le plus souvent cités sont le PFN, l'OAS, mais aussi, pour les plus âgés, le PPF, les Jeunesses patriotes, les Francistes.
Le poujadisme, les jeunes de l'Esprit public, le GAJ, le REL, le MJR, Ordre nouveau, l'Alliance républicaine, Europe-Action, et tous les groupuscules éphémères de ces vingt dernières années ne sont jamais cités. Il semble qu'ils n'aient guère laissé d'héritiers, tout au moins dans les cortèges de Jeanne d'Arc.
Les 6,51 % de « nationaux-catholiques » correspondent à ceux qui s'engagèrent à la CITÉ CATHOLIQUE devenue l'OFFICE, ou à la CRC (déjà), ou encore dans les groupements dits « intégristes » d'avant le renouveau traditionaliste « Silencieux de l'Église », « Alliance Saint-Michel », et enfin aux convertis récents de CHRÉTIENTÉ-SOLIDARITÉ.
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La question suivante était formulée ainsi : Pour vous, Jeanne d'Arc est-elle d'abord une sainte ? L'héroïne de la patrie ? Un principe de rassemblement des droites ?
Bien sûr, elle est un peu tout cela, et beaucoup de sondés n'ont pas manqué de le relever, cochant plusieurs cases à la fois. Aussi le total des réponses est-il supérieur à 100.
Jeanne d'Arc est d'abord une sainte 45,79 %
Jeanne d'Arc est l'héroïne de la patrie 61,49
Jeanne d'Arc est un principe de rassemblement des droites 16,69
La question sur Jeanne d'Arc avait surtout pour objectif de vérifier si, comme l'affirmait le journal *La Croix*, la manifestation du 11 mai constituait une forme de récupération, un simple prétexte pour une démonstration de rue de la droite la plus extrême. Nous voulions tester l'hypothèse de *La Croix* en proposant non pas l'option « Jeanne d'Arc prétexte à une démonstration politique » qui aurait eu un aspect désobligeant et aurait minoré le nombre des réponses, mais sous une forme plus honorable : Jeanne d'Arc « principe de rassemblement des droites ».
Même sous cette forme policée, l'option ne recueille qu'une minorité de suffrages.
La dernière question était également une question ouverte :
« Si vous aviez le pouvoir de faire adopter une seule loi, quel serait son objet ? »
A question ouverte, réponses multiples. L'émigration apparaît toutefois comme la question numéro un. 31,06 % des sondés l'ont évoquée, soit dans le cadre d'une loi de préférence nationale à l'embauche, soit en envisageant une révision du Code de la nationalité, soit par un référendum d'initiative nationale sur ce sujet.
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Les réponses sont parfois formulées en termes « abrupts » (ce que facilitait l'anonymat) mais le plus souvent, cependant, on n'y trouve nulle trace de racisme ou de xénophobie. Plusieurs personnes sondées ont au contraire pris soin d'indiquer que de telles mesures devaient s'accompagner d'efforts privilégiés en direction des anciens harkis ou des Français originaires des DOM-TOM.
L'opposition à l'avortement arrive en seconde position, avec 16 %. Ici aussi les propositions sont parfois formulées en termes très modérés. Ainsi un participant au sondage demande seulement que chaque femme candidate à l'avortement soit légalement tenue d'assister au film *Le cri silencieux* avant de faire son choix définitif.
11,2 % des personnes sondées n'ont pas su ou pas voulu répondre à cette question, précisant parfois qu'il y avait trop à faire, ou encore que « toutes les lois se tiennent ».
Le rétablissement de la peine de mort est souhaité en priorité par 9,8 % des sondés, puis viennent, dans l'ordre :
L'introduction de la référence au Décalogue\
dans la Constitution ou dans la législation 3,32 %
Une politique nataliste, le salaire maternel 3,16
L'abolition de la République 3,16
L'école libre, le Bon scolaire 2,82
La désétatisation et la liberté pour les entreprises 1,83
Un renforcement de la sécurité 1,66
Ont également été cités plusieurs fois : le maintien de la proportionnelle, la suppression de l'impôt sur le revenu, des mesures que l'on pourrait qualifier d'antisémites, la dissolution du Parti communiste, la suppression de la démocratie, l'interdiction aux fonctionnaires d'être candidats à des élections politiques, l'abolition du suffrage universel, une « épuration » (le terme sonne mal) des Français hostiles à leur pays, la transformation, de la fête de Jeanne d'Arc en fête nationale, éventuellement à la place du 14 juillet, une loi-cadre pour l'emploi, le transfert des cendres du maréchal Pétain à Douaumont, l'instauration du corporatisme, la suppression de la loi Pleven.
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Le détail des 605 réponses, dans le libellé comme sur le fond, rappelle parfois « le monument Henri », les textes accompagnant les souscriptions pour le colonel Henri, au moment de l'affaire Dreyfus.
Certaines réponses font état d'un réel sens du concret : augmentation des pensions de reversion, généralisation des pistes cyclables, dissolution du Front d'Opposition Nationale (un groupuscule dissident du FRONT NATIONAL) ; d'autres se situent à la limite de l'humour, : interdiction du port du pantalon pour les femmes, interdiction des sondages d'opinion.
Dans l'ensemble, toutefois, on sent que les réponses ont été faites après mûre réflexion.
Par famille politique, les centres d'intérêt se répartissent ainsi :
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Immigration Avortement Peine de mort Autres
FRONT NATIONAL 47,1 % 5,8 % 13,5 % 33,6 %
CENTRE CHARLIER 4,8 % 48,8 % 9,6 % 36,8 %
Nationalistes\ 16,7 % -- -- 83,3 %
révolutionnaires
CRC -- .6,3 % .12,5 % 81,2 %
« Légitimistes » 4,8 % 23,8 % 4,8 % 66,6 %
ŒUVRE FRANÇAISE 44,9 % 11,1 % 11,1 % 32,9 %
Saint-Nicolas 18,2 % 36,4 % -- 45,4 %
A.F. -- Restauration\ 7,3 % 19,5 % 7,3 % 65,9 %
nationale
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114:305
Les questions touchant à l'immigration préoccupent d'abord les sympathisants du FRONT NATIONAL et de l'ŒUVRE FRANÇAISE, tandis que l'avortement vient au premier rang chez ceux qui se réclament du CENTRE CHARLIER ou de la paroisse Saint-Nicolas.
Dans les « autres propositions » les sympathisants d'A.F. évoquent souvent les questions de forme du régime politique (abolition de la république ou de la démocratie), les « légitimistes » et les sympathisants de la CRC citent parfois l'introduction d'une référence au décalogue dans la Constitution. Au CENTRE CHARLIER, ce sont la politique familiale et les mesures natalistes qui sont souvent évoquées ; à l'ŒUVRE FRANÇAISE ou au MNR, la suppression de la loi Pleven, et des propositions de type « racialiste » reviennent fréquemment.
Il semblerait donc qu'en détaillant ce sondage, on puisse dire qu'il existe au moins deux profils de « militants de Jeanne d'Arc » : un profil plus catholique, et un profil plus politique, avec leurs ailes « modérées » et « extrêmes ».
Même si des hommes comme Romain Marie ou des journaux comme PRÉSENT font le lien entre ces deux tendances, il n'est pas faux de dire que se côtoyaient ce jour-là deux familles de pensée (au moins).
Il n'y avait pas qu'un seul cortège. Mais c'était déjà, il y a 550 ans, le tour de force de Jeanne que d'avoir pu rallier à son drapeau des Français que presque tout semblait devoir séparer.
Francis Bergeron .
*avec la collaboration\
de Philippe Vilgier.*
115:305
### Une réponse de Chartres
par Jean Madiran
LE IV^e^ Pèlerinage de Pentecôte du CENTRE CHARLIER, qui se déroule chaque année de Paris à Chartres, n'a pu cette année célébrer sa messe finale dans la cathédrale, en raison du refus de l'évêque, Mgr Michel Kuehn.
Assailli de lettres qui lui demandaient raison d'un tel refus, l'évêque de Chartres a plusieurs fois répondu à ses correspondants, et toujours de la même manière, qui n'est pas conforme à la réalité.
Voici l'une de ces réponses, toutes semblables en substance et même littéralement :
116:305
*Chartres, le 5 mai 1986*
*Monsieur,*
*Vous m'avez écrit au sujet du pèlerinage du Groupe H. et A. Charlier qui doit avoir lieu pendant le week-end de la Pentecôte 1986.*
*Contrairement à ce que laisse croire le comité d'organisation, la cathédrale ne sera pas refusée aux pèlerins, qui y seront admis à la fin du pèlerinage.*
*En ce qui concerne la célébration de la Messe dite de Saint Pie V, vous savez sans doute qu'elle peut être autorisée quand ceux qui la demandent souscrivent aux conditions requises par l'Instruction de la Congrégation pour le Culte divin : les organisateurs refusent de s'y conformer. C'est donc à eux qu'il faut exprimer vos questions et votre indignation, car c'est leur intransigeance qui vous prive de la possibilité d'assister à la Messe dans la cathédrale à la fin du pèlerinage.*
*Je vous prie, Monsieur, de croire à mes sentiments dévoués.*
*Michel Kuehn\
Évêque de Chartres.*
Eh bien non, ce n'est pas vrai. Ces omissions calculées ; ces affirmations erronées appellent trois rectifications.
**1. -- **L' « Instruction de la congrégation pour le culte divin » à laquelle se réfère Mgr Kuehn est celle qui est surnommée l' « indult », concernant la célébration de la messe catholique traditionnelle ([^29]). Elle est du 3 octobre 1984. Elle existait donc déjà depuis plusieurs mois, à la Pentecôte 1985, quand la messe finale du pèlerinage fut célébrée dans la cathédrale de Chartres par Dom Gérard ([^30]).
117:305
Le CENTRE CHARLIER demandait simplement qu'à la Pentecôte 1986 la messe soit célébrée dans les mêmes conditions qu'à la Pentecôte 1985. C'est premièrement cela que l'évêque a refusé.
**2. -- **L' « indult » que Mgr Kuehn a pris cette année pour prétexte de son refus est intrinsèquement contradictoire et littéralement inapplicable. C'est pourquoi chaque évêque l'interprète et l'applique à sa manière, très largement différente dans chaque cas, selon sa bienveillance ou plus souvent sa malveillance, voire sa méchanceté, à l'égard des fidèles de la liturgie traditionnelle.
**3. -- **Et surtout, l'évêque de Chartres exigeait de désigner lui-même le célébrant et le prédicateur. C'est cette exigence vexatoire et suspecte que le CENTRE CHARLIER a rejetée ; c'est là-dessus que l'accord a été impossible.
On objectera peut-être que l'évêque a bien le pouvoir de choisir lui-même les prêtres qu'il autorise à célébrer et à prêcher dans sa cathédrale. Mais ce n'est pas absolument vrai. La preuve : Mgr Kuehn se garde bien d'évoquer dans ses réponses ce point qui fut pourtant décisif, il préfère le passer sous silence.
Une association privée de catholiques (autrement dit, une association non officielle de laïcs non « mandatés ») a parfaitement le droit de choisir ses prêtres comme elle l'entend parmi tous ceux qui exercent légitimement leur ministère dans n'importe quel diocèse français. Ce droit ne supprime pas celui de l'évêque, il entre en composition avec lui. C'est-à-dire que, pratiquement, l'évêque aurait pu (par exemple) refuser tel ou tel prêtre choisi par le CENTRE CHARLIER mais les récuser et refuser tous, quels qu'ils soient, d'avance et en bloc, c'était un abus de pouvoir. Exiger de désigner lui-même, de manière discrétionnaire et sans appel, le célébrant et le prédicateur était une requête arbitraire.
118:305
Le CENTRE CHARLIER, qu'animent avec tant de distinction, d'intelligence et de cœur l'abbé Pozzetto et Bernard Romain Marie Antony, a eu raison de rejeter la prétention injuste de l'évêque.
Cette prétention exorbitante avait fait bondir Éric de Saventhem, le président de la Fédération internationale Una Voce. Avec tout le poids de son autorité morale, et avec l'exacte et incisive précision qui est habituellement la sienne, il avait adressé à l'évêque de Chartres le télégramme que voici :
« Pour grand-messe clôture quatrième Pèlerinage Chrétienté à Chartres l'on exige que pèlerins acceptent comme célébrant un prêtre jusqu'à présent anonyme choisi par vous-même. Cette exigence viole principe d'autonomie octroyé aux associations privées de fidèles par nouveau droit canon et met en péril paix à l'intérieur de l'Église dont évêques doivent être premiers gardiens. J'en appelle donc à Votre Excellence la priant avec insistance d'informer immédiatement responsables pèlerinage que vous agréez comme célébrant cathédrale tout prêtre par eux proposé qui exerce légitimement le ministère dans un diocèse français. »
L'évêque de Chartres ne bougea pas. Il persista les jours suivants dans son mensonge par omission, qui consistait à taire, dans ses explications, le principal point contesté, celui de la désignation autoritaire du célébrant et du prédicateur.
Une désignation autoritaire par un évêque tel que Mgr Kuehn faisait naturellement l'objet d'une suspicion légitime. L'évêque de Chartres est connu pour apporter un soutien sans réserve à l'idéologie et à l'action subversives du CCFD ([^31]). Il appartient à cette tendance « pastorale » qui assimile odieusement le nationalisme français à un racisme, et qui a substitué la soi-disant « lutte commune avec les francs-maçons contre le racisme » à la nécessaire et prioritaire « lutte commune àvec tous les hommes de bonne volonté contre le communisme ».
119:305
A peu près au même moment, la cathédrale de Marseille accueillait les funérailles protestantes de Gaston Defferre. Sans doute l'évêque de Chartres n'est pas celui de Marseille. On ne peut néanmoins s'empêcher de comparer l'accueil œcuménique de Marseille et le refus discriminatoire de Chartres. Car si ce n'est pas le même évêque, c'est du moins un seul et même noyau dirigeant de l'épiscopat qui détermine, à Chartres comme à Marseille, une seule et même « pastorale ». Cette exclusion et cet accueil relèvent d'une même logique et manifestent la cohérence maligne d'une « ouverture au monde » qui veut être une ouverture à gauche.
Pour mettre en œuvre cette distorsion, il faut bien savoir, comme l'évêque de Chartres, prendre quelque distance avec la justice et la vérité.
Jean Madiran.
120:305
### Lettre ouverte
*à Mgr Kuehn, évêque de Chartres,\
à Monsieur Lemoine, son maire*
par Romain Marie
Vous voilà donc ensemble, Monseigneur, et vous Monsieur le Maire, pour tenter de jeter un discrédit sur le pèlerinage de Pentecôte. Il est vrai, comme le dit bellement André Frossard dans le Figaro, que vous avez dû être « effrayés par cette invasion de chrétiens » !
Dans différentes missives vous invoquez encore, Monseigneur, je ne sais trop quel droit à imposer à notre pèlerinage toutes sortes de conditions et notamment un célébrant choisi par vous, un prédicateur nommé par vous. Éric de Saventhem, président de la Fédération internationale « Una Voce », vous a rappelé notre droit, en fonction du principe d'autonomie octroyé par le nouveau Droit canon.
121:305
Il est vrai que la tolérance que l'on nous refuse est généreusement consentie à d'autres.
Ainsi, le jour même de notre pèlerinage, seize évêques assistaient, à côté d'organisations de gauche et d'extrême gauche de toutes farines (les seules invitées) au congrès de la JOC exaltant la lutte de classe et la révolution, en parfaite opposition avec l'enseignement constant de l'Église et des papes.
Nous vous le redisons, Monseigneur, nous ne voulons pas risquer de voir nos pèlerins catholiques subir la messe et le sermon d'un de ces étranges nouveaux prêtres professant nous ne savons plus quel Credo.
Vous avez par ailleurs, Monseigneur, la témérité d'affirmer que nous mentons lorsque nous invoquons le fait que l'on avait proposé à nos pèlerins de danser des farandoles.
Auriez-vous oublié : c'est en votre présence, et en présence de deux de ses confrères, que votre curé de la cathédrale avait proposé cette danse lors de notre entretien à l'occasion de l'organisation du premier pèlerinage. Il invoquait d'ailleurs un précédent qu'il jugeait tout à fait heureux. Vous-même avez justifié sa position en invoquant les danses du roi David. Que Dieu vous garde de mentir publiquement en reniant cette proposition qui reste gravée dans nos mémoires.
Il y a Monseigneur, pour aider spirituellement nos pèlerins, des prêtres appartenant certes à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X de Mgr Lefebvre ; il y en a d'autres, persécutés pour leur fidélité au catéchisme de toujours et à la messe de leur ordination. Il y a des religieux venus de ces communautés qui fleurissent aujourd'hui dans le respect de la règle de leur fondateur. On juge dit l'Évangile l'arbre à ses fruits.
Puisque vous semblez penser avec Mgr Matagrin, votre collègue de Grenoble, que nous sommes des « attardés de la chrétienté » (*Le Monde,* 4 juin 1986), pourquoi nous combattre à ce point ?
122:305
Laissez-nous donc dépérir doucement ; laissez-nous, entre « attardés », dire la messe de la chrétienté attardée dans la cathédrale de la chrétienté attardée !
Monseigneur, il y a plus grave. Selon la presse de votre département, vous avez prétendu avec ironie que nous « prenions le Liban sous notre aile ».
Sachez simplement ceci : des militants de nos groupes sont morts au combat, aux côtés de nos camarades libanais, sauvant l'honneur d'une France qui depuis dix ans laisse officiellement massacrer, indifférente, les enfants de la plus vieille terre chrétienne du monde, qui est aussi en Orient la plus française qui soit.
Au moment où je vous écris, je m'apprête à repartir pour le Liban, c'est la quatrième fois en une année, avec des dizaines de jeunes Français qui hier marchaient vers Chartres.
Nous avons déjà apporté au Liban le fruit de nos quêtes (plus d'un million de francs, et sans prélèvement de fonctionnement comme on le fait dans les vôtres) ; nous avons envoyé des dizaines de tonnes de fournitures de première urgence.
Vous, Monseigneur, vous pouviez faire dix fois, cent fois plus que nous, qui sommes privés des puissants moyens de communication sociale où vous avez vos entrées.
Oui, nous faisons au Liban et pour le Liban -- point seuls, Dieu merci, mais avec d'autres pareillement démunis -- tout ce que pourrait et devrait faire, et combien plus puissamment, la catholicité tout entière. Mais elle ne l'avait pas fait non plus, vous ne l'aviez pas fait non plus, entre autres peuples martyrs, pour le Vietnam avec ses centaines de milliers de détenus, ses cinq cent mille morts noyés dans les fuites éperdues des Boat-people.
123:305
Souvenez-vous : hier, pendant le drame du Vietnam, votre journal *La Croix,* comme *L'Humanité,* comme la JOC et toutes vos organisations n'avaient qu'un mot d'ordre *Paix au Vietnam !* On savait d'avance de quelle paix il s'agirait, celle des goulags et des exterminations collectives, celle des églises et des cathédrales fermées (là-bas aussi) à la fidélité.
Mais à quoi bon vous le dire ? Je crains, Monseigneur, que vous restiez ce que vous êtes. En tout cas, nous restons ce que nous sommes. L'an prochain, par dizaines de milliers, les pèlerins anciens et nouveaux retourneront à Chartres.
Je vous le déclare : plus grand que vous rétablira un jour, dans la cathédrale qui ne vous appartient pas, le droit à la messe et à la prière de ceux qui se battent, selon le mot de Péguy, pour que France, pour que Chrétienté continuent.
Vous, monsieur Lemoine, signant « ancien ministre, député, maire de Chartres », plus précisément ancien ministre socialiste chargé des départements et territoires d'outremer, vous écrivez :
« ...*Je voudrais aussi que l'on sache publiquement combien, à titre personnel, je me suis senti solidaire des décisions prises par l'évêque de Chartres face à ce qui me semble être aujourd'hui la grande mystification du rassemblement de la Pentecôte.* »
Monsieur Lemoine, vous avez bien fait de parler. Vous avez bien fait de vous déclarer « solidaire ». Le monde et l'Église devaient en effet savoir que vous êtes « solidaire » des décisions de Monseigneur l'évêque contre un pèlerinage catholique.
Il est vrai que toujours et partout les socialismes, nationaux ou internationaux, ont tenu la main aux affaires religieuses et qu'ils ont toujours trouvé la connivence d'évêques jureurs.
124:305
Je ne doute pas d'ailleurs que l'on célèbre bientôt à Chartres le bicentenaire de la Révolution française et de sa Constitution civile du clergé.
Daignez ensemble, Monseigneur l'évêque et monsieur le maire, recevoir l'assurance de la distinction de mes sentiments.
Romain Marie.
125:305
### Réponse au communiqué de Grenoble
par Jean Madiran
A l'annonce que Mgr Marcel Lefebvre allait oser faire le 30 mai une conférence à Grenoble, l'évêque du lieu lança, une semaine à l'avance, un communiqué officiel contre lui. Il demandait à tout son clergé et à toutes les communautés catholiques de le « diffuser largement à partir du 24 mai ». Ce qui fut fait dans toute la France, avec un ramdam énorme sur les antennes et dans les journaux.
L'évêque de Grenoble est Mgr Gabriel Matagrin. Le but explicite de son communiqué est de rejeter et disqualifier Mgr Lefebvre.
126:305
Sans doute pour donner un relief supplémentaire à ce rejet, il rappelle, en sens contraire, les « liens fraternels » que l'épiscopat français entretient avec « les Églises issues de la Réforme ». Il ne parle pas des liens tout aussi fraternels établis désormais avec la franc-maçonnerie : un oubli, c'est probable.
Contre Mgr Lefebvre, le communiqué de Grenoble tire argument, sans pudeur et sans mesure, de la condamnation injuste portée contre lui en 1975 et jamais encore révoquée. Ce déni de justice initial est à l'origine de la situation actuelle, qui demeurera inextricable tant que l'injustice n'aura pas été effacée, et que des matagrins prétendront s'appuyer sur elle comme sur un jugement impartial, honnête et définitif ([^32]).
Mais l'évêque de Grenoble a bien senti la faiblesse d'une argumentation fondée sur la condamnation sauvage de 1975. Il a jugé indispensable d'inventer une imputation nouvelle, qu'il a fabriquée de manière à ce qu'elle soit susceptible de disqualifier et déshonorer définitivement Mgr Lefebvre :
« *Il est de ceux qui estiment que la grandeur du catholicisme romain est d'avoir purgé l'Église du venin du Magnificat et des Béatitudes.* »
Mgr Lefebvre accusant les Béatitudes et le Magnificat d'être ou de renfermer un « venin » ! Mgr Lefebvre faisant gloire au « catholicisme romain » d'avoir « purgé l'Église » de ce venin !
Voilà donc à quoi un évêque conciliaire utilise aujourd'hui l'autorité surnaturelle de la succession apostolique. En raison de cette autorité sacrée, l'évêque calomniateur escompte être cru sur parole.
127:305
Car il y a encore des malheureux, de moins en moins il est vrai, pour croire sur parole les évêques de cette indigne catégorie.
\*\*\*
Le « venin » du Magnificat a une histoire, -- bien entendu absolument étrangère à la personne de Mgr Lefebvre.
Ce « venin » est un blasphème de Charles Maurras, un blasphème de forfanterie littéraire dans un livre de jeunesse (qui au demeurant visait, quoiqu'en des termes inacceptablement injurieux, une interprétation matérialiste du Magnificat) : il censura ce blasphème dès la première réédition, il le regretta, il le rétracta. Malgré ces repentirs publics et catégoriques, les « cruels sectaires » qui étaient ses ennemis ([^33]) ne cessèrent jamais de le lui imputer comme s'il persistait à le proférer et à le signer chaque jour de sa vie ; ils prétendirent y trouver la clef secrète de sa pensée, l'aveu de son ténébreux dessein. Ils ont continué après sa mort. Ils continuent toujours.
Ce n'est pas tout. Cette formule blasphématoire strictement personnelle au jeune Maurras, et désavouée par lui, les « cruels sectaires » firent mine d'y voir l'enseignement systématique de toute une école de pensée. C'est ce que fait encore aujourd'hui l'évêque Matagrin, qui emploie à dessein le pluriel : « *ceux qui estiment...* »
\*\*\*
Feindre que ce blasphème désavoué par Maurras aurait été repris à son compte par Mgr Lefebvre et constituerait sa motivation religieuse profonde n'est pas la seule originalité odieuse du communiqué publié par l'évêque de Grenoble.
128:305
L'autre originalité c'est, pour faire bonne mesure, qu'au « venin » du Magnificat *il ajoute de sa main celui des Béatitudes.*
Cela est, je crois, sans précédent. Le « venin » des Béatitudes, personne n'en avait parlé avant Mgr Matagrin. Là, il ne s'agit plus simplement d'amalgame ordinaire, de crapulerie courante, travaillant dans la confusion de fausses apparences et d'éléments pré-existants.
C'est une triomphale *création ex nihilo.*
La prochaine fois, il pourra ajouter encore, tant qu'il y est : ... et du Credo... et des sacrements... et du Notre Père... Il n'y a aucune raison qu'il s'arrête en chemin.
A ma connaissance, on n'avait pas encore fabriqué contre Mgr Lefebvre une tromperie d'une telle bassesse d'âme.
J'avertis Mgr Matagrin qu'il en restera marqué jusqu'à sa mort. Je lui souhaite que ce ne soit pas au-delà, et pour l'éternité.
Jean Madiran.
129:305
### Notes sur les sacrements
*suite*
par Jean Crété
#### *L'Ordre*
Notre-Seigneur a institué le sacrement de l'Ordre le jeudi saint, lorsque après l'institution de la sainte eucharistie il a dit à ses apôtres : « Faites ceci en mémoire de moi. » Il avait déjà établi une hiérarchie en choisissant douze apôtres et, parmi eux, saint Pierre comme chef de son Église. Le soir de sa résurrection, il donne à ses apôtres le pouvoir de remettre les péchés. Le jour de son Ascension, il donne mission à ses apôtres de prêcher l'évangile à toute créature et de baptiser. A la Pentecôte, le Saint-Esprit donne aux apôtres la force d'accomplir leur mission.
130:305
Le Nouveau Testament nous montre, dans les différentes églises, des ministres sacrés appelés *presbyteroi* ou *episcopoi.* Dès l'Apocalypse, la distinction est faite entre l'évêque, chef de l'église locale, et les prêtres qui l'assistent. Les Actes des Apôtres (VI, 1-6) nous racontent l'institution des sept diacres. Le concile de Trente a défini que la hiérarchie se composait d'évêques, de prêtres et de *ministres.* Par ce dernier mot, le concile évitait de trancher la controverse entre théologiens sur la nature du sous-diaconat et des ordres mineurs, qui sont des démembrements du diaconat et apparaissent dès l'antiquité.
Dans l'Église latine, les ordres se sont fixés ainsi : portier, lecteur, exorciste, acolyte, sous-diacre, diacre et prêtre. Le sous-diaconat, ordre mineur en Orient, est assez tôt devenu ordre sacré dans l'Église latine qui imposait aux sous-diacres des obligations irrévocables : chasteté perpétuelle, consécration totale au service de l'Église et obligation de réciter le bréviaire. Avec le diaconat, on entre dans l'ordre proprement sacramentel : il est de foi que le diaconat, le presbytérat et l'épiscopat impriment dans l'âme un caractère irrévocable. « *Segregate mihi Barnabam et Paulum...* » (Mettez-moi à part Barnabé et Paul...), dit le Saint-Esprit au clergé d'Antioche (Actes XIII, 2), qui leur impose les mains en priant pour eux.
Le sacrement de l'ordre est une ségrégation : les diacres, prêtres et évêques sont distingués, séparés des simples fidèles et consacrés au service de Dieu. Un diacre reçoit le pouvoir de chanter l'évangile, de prêcher, de toucher, transporter et exposer le Saint-Sacrement, de se communier lui-même et de donner la communion en l'absence de prêtre et, avec permission, de baptiser avec toutes les cérémonies. Le prêtre reçoit le pouvoir de lire la messe, de donner l'extrême-onction, de confesser avec pouvoir reçu de l'évêque du lieu et d'accomplir le ministère ecclésiastique : prédication, catéchisme, bénédictions. Pie XII, par sa constitution apostolique *Sacramentum ordinis* de 1947, a défini clairement la matière et la forme du diaconat et du sacerdoce dans ses deux degrés : presbytérat et épiscopat.
131:305
Dans tous les cas, la matière est l'imposition des mains de l'évêque sur la tête de l'ordinand ([^34]). Pour le diaconat, l'évêque impose seulement la main droite ; cette imposition se fait aux deux tiers environ de la préface consécratoire ; seule, la partie de la préface qui suit l'imposition de la main constitue la forme du diaconat. Pour les prêtres, l'évêque impose en silence les deux mains sur la tête de l'ordinand, et les prêtres présents viennent après lui imposer les mains, s'associant ainsi à l'ordination dont ils ne sont toutefois pas ministres. L'évêque et les prêtres gardent un moment la main droite levée sur les ordinands ; ce geste n'est pas nécessaire à la validité de l'ordination. La préface consécratoire vient un peu après ; la forme du sacrement réside uniquement dans le passage qui va de : *Da quaesumus...*à *suae conversationis insinuent,* passage qui, depuis 1947, n'est plus chanté mais simplement lu.
La porrection du calice et de la patène a été longtemps considérée comme le rite essentiel ; c'est ce qu'affirme le *décret aux Arméniens* du concile de Florence ; il faut donc admettre que ce rite, introduit vers le X^e^ siècle, était devenu essentiel en vertu de l'institution de l'Église. Mais l'imposition des mains, en usage depuis les apôtres, l'était aussi ; il faut donc admettre que, du X^e^ siècle à 1947, il y avait deux rites essentiels à l'ordination des prêtres, mais qu'un seul des deux suffisait à la validité de l'ordination.
L'épiscopat n'est pas un ordre distinct, mais le degré supérieur du sacerdoce. Il se confère par l'imposition des mains de l'évêque consécrateur et la prière consécratoire qui suit. Le pontifical demande qu'il y ait trois évêques pour une consécration épiscopale ; mais on a toujours admis la validité de la consécration épiscopale faite par un seul évêque. On en connaît de multiples cas à toutes les époques. Depuis 1947, il est certain que les deux évêques assistants ne sont pas ministres du sacrement car, s'ils imposent les mains, ils ne prononcent pas la préface consécratoire.
132:305
Dans l'Église latine, aucun sacre épiscopal ne peut avoir lieu sans l'autorisation du pape. Dans les Églises catholiques orientales, il suffit de l'autorisation du patriarche ou du métropolite. Mais cela n'est qu'une règle de licéité. Le caractère épiscopal ne pouvant se perdre, les évêques schismatiques ont pu et peuvent sacrer validement d'autres évêques et ordonner des prêtres. Rome a toujours reconnu la validité des ordres dans les Églises orientales séparées et chez les vieux-catholiques.
L'Église exige pour le sacerdoce une préparation à la fois spirituelle et intellectuelle reçue dans un séminaire ou une maison religieuse. L'âge requis est de 24 ans pour les prêtres, 30 ans pour les évêques. Ces derniers doivent normalement être docteurs en théologie ou avoir la science équivalente.
L'évêque seul est ministre du sacrement de l'Ordre. Sous Pie XII, on a découvert dans les archives du Vatican deux bulles du Moyen Age donnant pouvoir aux abbés cisterciens d'ordonner prêtres leurs propres moines. Ces bulles constituent une énigme. On ne connaît absolument aucun cas d'ordination d'un prêtre, d'un diacre ou d'un sous-diacre par un abbé cistercien ou par qui que ce soit qui ne serait pas évêque. La pratique constante et invariable de l'Église, qui engage son infaillibilité, est de réserver à l'évêque seul le pouvoir d'ordonner des prêtres, diacres et sous-diacres. Quant aux ordres mineurs, ils peuvent être donnés dans l'Église entière par les cardinaux prêtres qui ne sont pas évêques, et, dans la limite de leur juridiction seulement, par les vicaires et préfets apostoliques et par les abbés bénédictins et cisterciens. Un abbé ne peut conférer les ordres mineurs qu'à ses propres moines ; un abbé général, à tous les moines de sa congrégation. A partir du sous-diaconat, le recours à l'évêque est nécessaire, même dans les ordres religieux exempts. Si le supérieur général est évêque, il peut naturellement ordonner ses religieux.
133:305
#### *Le mariage*
Le mariage est d'institution divine : après avoir créé Adam du limon de la terre, Dieu lui donne une compagne, en tirant Ève d'une côte d'Adam endormi (Genèse, II, 18 et 21-25). La loi de Moïse tolérera la polygamie et la répudiation. Mais Jésus, interrogé à ce sujet par les Pharisiens, affirme solennellement l'unité et l'indissolubilité du mariage (Matthieu XIX, 3-9 ; Marc X, 2-12 ; Luc XVI, 18). Le mariage est un et indissoluble pour tous les hommes, même païens. Mais, pour les baptisés, le mariage est un sacrement ; un baptisé ne peut contracter un mariage qui ne serait pas le sacrement.
Peuvent contracter mariage tout homme et toute fille d'âge nubile et non atteints d'un empêchement reconnu par l'Église. On n'est jamais obligé de se marier ; et on ne peut pas non plus empêcher un mariage, même déraisonnable, s'il n'y a pas empêchement canonique. Dans ce cas-là, bien sûr, on déconseillera le mariage, mais on ne peut le refuser.
Dans le passé, l'Église a admis des mariages décidés par les parents, même entre enfants. Depuis le concile de Trente, elle a de plus en plus insisté sur la liberté des futurs conjoints. L'âge minimum exigé par l'Église est de seize ans et un jour pour les garçons, de quatorze ans et un jour pour les filles. Mais l'Église demande aux jeunes gens d'attendre l'âge fixé par la loi civile : en France, dix-huit ans pour les garçons, quinze ans pour les filles ; les mariages contractés à l'âge fixé par l'Église restant toutefois valides. Pour les moins de dix-huit ans, le consentement des parents est demandé ; mais partage emporte consentement, et même le refus des parents ne rend pas le mariage nul.
134:305
Il existe des empêchements au mariage, les uns de droit naturel, les autres institués par l'Église ; ces derniers sont désormais réduits au minimum. Il n'y a plus d'empêchement de consanguinité qu'entre oncle et nièce ou tante et neveu, empêchement qui existe aussi dans la loi française. Quant aux mariages mixtes, il n'y a plus d'empêchement de religion mixte entre un catholique et un baptisé non catholique. En revanche, l'empêchement de disparité de culte, entre un catholique et un non baptisé, existe toujours. Dans les deux cas, il y a obligation de droit divin de faire baptiser et élever les enfants dans le catholicisme.
La fin première du mariage est la procréation et l'éducation des enfants. Si les futurs conviennent entre eux de ne pas avoir d'enfant ou d'user de procédés contraceptifs, le mariage est nul.
La fin seconde du mariage est l'aide mutuelle entre époux ; cette fin seconde suffit à justifier le mariage entre personnes hors d'état d'avoir des enfants, en raison de leur âge ou pour toute autre raison.
Le mariage virginal, tel qu'il exista entre la Sainte Vierge et saint Joseph ou entre saint Henri et sainte Cunégonde, est valide, parce qu'en ce cas la décision de ne pas avoir d'enfant procède du désir supérieur et surnaturel de garder la virginité. Mais il ne faut pas s'engager dans cette voie sans une vocation tout à fait exceptionnelle.
Le mariage est constitué par l'échange des consentements. De soi, la présence d'un prêtre n'est pas nécessaire ; nous ne savons pas comment se contractaient les mariages dans l'Église primitive. Le mariage étant un droit naturel, l'Église a toujours admis qu'en cas d'impossibilité de recourir au propre curé avant un délai estimé à un mois, les fiancés pouvaient contracter mariage devant deux témoins et recourir, s'ils le pouvaient (mais ce n'est pas une obligation), au ministère d'un prêtre sans juridiction. Des jeunes gens qui vivraient sur une île déserte pourraient se marier devant Dieu sans témoins.
Toutefois, c'est là l'exception. Depuis le haut Moyen Age au moins, l'Église exige la présence d'un prêtre. Jusqu'au concile de Trente, on pouvait se marier devant n'importe quel prêtre.
135:305
Le concile de Trente a exigé que le mariage soit contracté devant le propre curé d'une des deux parties. Par le décret *Ne temere* de 1907, saint Pie X a considérablement adouci cette exigence. Désormais, un curé peut, dans sa propre paroisse, bénir les mariages de tous ceux qui le lui demandent, « les étrangers aussi bien que ses propres paroissiens ». Cette disposition est reprise dans les codes de droit canonique de 1917 et de 1983. Aucune domiciliation ou résidence n'est donc exigée pour le mariage.
Le mariage doit être public, en ce sens qu'il ne doit pas être clandestin. Normalement, la publicité du mariage est assurée par les *bans* lus par le curé à la messe des trois dimanches qui précèdent le mariage, ou par l'affichage à l'entrée de l'église pendant au moins dix jours. Toutefois, on peut obtenir dispense des bans et de l'affichage si l'on veut un mariage discret ; discret mais non secret. Pour la cérémonie même, on n'est pas tenu de laisser la porte *ouverte,* comme on le fait à la mairie ; on est seulement tenu de ne pas fermer la porte à clef, en sorte que n'importe qui puisse entrer. Deux témoins sont exigés ; on peut prendre n'importe qui comme témoins, même deux enfants de chœur assez grands pour se rendre compte que les personnes contractent mariage. Les parents des futurs suffisent comme témoins.
Le curé peut déléguer un autre prêtre, mais il doit déléguer un prêtre déterminé pour un mariage déterminé ; cette règle vaut même pour les vicaires.
Le cérémonial du mariage varie d'un diocèse à l'autre. Voici celui du diocèse d'Orléans :
S'il doit dire la messe, le curé ou le prêtre délégué prend l'amict, l'aube, le cordon, l'étole et la chasuble ([^35]). S'il ne doit pas dire la messe, il prend simplement le surplis et l'étole blanche.
On chante d'abord le *Veni Creator* ou au moins sa première strophe. Puis le curé, accompagné des servants, vient devant les deux futurs et leur demande :
136:305
« Monsieur et mademoiselle ([^36]), vous faites profession de foi catholique, apostolique et romaine ? » Réponse : « Oui ».
« Vous déclarez venir ici librement et sans aucune contrainte pour contracter mariage en face de l'Église ? » Réponse : « Oui ».
Le curé conjure une dernière fois les assistants de dénoncer les empêchements qu'ils pourraient connaître, en les mettant en garde contre une dénonciation sans preuve. Puis il les invite à prier pour les futurs. Tout le monde s'assoit. Le curé prononce alors une exhortation rappelant la nature, la fin première du mariage, et les obligations des époux. Tous les rituels diocésains contiennent au moins deux allocutions toutes prêtes ; mais le curé peut en composer une. Puis, le curé demande aux futurs de se lever et de se donner la main droite. (Ce geste n'est toutefois pas nécessaire à la validité du sacrement.) Et il leur demande leurs consentements. S'adressant d'abord à l'homme :
« N., vous déclarez prendre N. ici présente pour votre femme et légitime épouse en face de l'Église ? » Réponse « Oui ». « Vous lui promettez fidélité et protection, comme un fidèle époux le doit à son épouse selon le commandement de Dieu ? » Réponse : « Oui ».
Puis, s'adressant à la jeune fille :
« N., vous déclarez prendre N. ici présent pour votre mari et légitime époux en face de l'Église ? » Réponse « Oui ». « Vous lui promettez fidélité et soumission comme une fidèle épouse le doit à son époux selon le commandement de Dieu ? » Réponse : « Oui ».
Cet échange de consentements constitue le sacrement de mariage : toutes les cérémonies qui suivent ne sont que complémentaires. Le prêtre trace un signe de croix à distance, sur les mains jointes des époux en disant : *Ego conjungo vos in matrimonium in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen.* (Je vous unis en mariage au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il ([^37]).)
137:305
Puis il asperge d'eau bénite les mains jointes des époux. Ceux-ci disjoignent les mains et le prêtre procède à la bénédiction de l'alliance. Pendant très longtemps, l'épouse seule portait l'alliance. La coutume pour l'époux d'en porter une est récente. On peut bénir les deux alliances, mais en gardant la formule au singulier ; cette formule est dans le rituel romain et ne peut être omise ou modifiée. L'oraison demande à Dieu de bénir cet anneau, afin que celle qui le portera garde une fidélité entière à son mari et que tous deux vivent dans la volonté de Dieu et une charité mutuelle. Puis, le prêtre asperge les alliances d'eau bénite. L'époux passe l'alliance au doigt de son épouse en lui disant : « Je vous donne cet anneau en signe du mariage que nous contractons. » Le prêtre trace un signe de croix de la main sur les époux en disant : *In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen* ([^38])*.* On dit ensuite l'antienne *Confirma hoc,* plusieurs versets et une oraison de conclusion.
Si la messe doit suivre, le prêtre prend le manipule et la messe commence aussitôt. Tous les textes rappellent la grandeur et les obligations du mariage et demandent les grâces divines pour les époux. Cette messe se célèbre sans *Gloria in excelsis* ni *Credo,* mais elle comporte une double bénédiction nuptiale. La première après le *Pater :* dans une longue oraison qui rappelle l'institution divine du mariage, l'Église implore la bénédiction de Dieu sur l'épouse en demandant pour elle les vertus des saintes femmes : Rachel, Rébecca, Sara ; le prêtre récite cette oraison tourné vers les époux et la main droite étendue vers eux. -- La deuxième bénédiction, qui est un abrégé de la première, se donne après le *Benedicamus Domino* (ou l'*Ite missa est,* si l'on dit la messe d'une fête occurrente) : le prêtre souhaite aux époux de voir leurs descendants jusqu'à la troisième et la quatrième génération et de posséder ensuite la vie éternelle.
138:305
Le prêtre tient la main étendue sur les époux pendant cette oraison, puis il les asperge d'eau bénite. La messe se termine normalement. C'est une pieuse coutume de consacrer ensuite les époux à la Sainte Vierge. On dresse alors l'acte de mariage : cet acte doit indiquer les prénoms et noms des époux, leur date de naissance, les prénoms et noms des parents et des témoins ; ceux-ci signent l'acte, ainsi que les époux et le prêtre. Si celui-ci est délégué, il doit indiquer son nom, sa fonction et spécifier par qui il a été délégué. Le plus tôt possible, la mention du mariage sera inscrite en marge de l'acte de baptême des époux.
Si la messe de mariage n'a pas été célébrée le jour du mariage, elle peut être célébrée par la suite, même après un long délai, avec la double bénédiction nuptiale. Un de mes curés avait connu le cas d'une messe de mariage célébrée pour le 25^e^ anniversaire du mariage. Une fille-mère a droit à la messe de mariage et à la bénédiction nuptiale quand elle se marie.
Le mariage ne confère pas aux époux un caractère indélébile comme le font le baptême, la confirmation et l'ordre, mais il les constitue dans un état stable, qui ne peut être rompu que par la mort d'un des époux. En ce cas, le survivant peut se remarier. La loi française impose un délai de dix mois aux veuves pour se remarier. La loi de l'Église n'impose aucun délai. Une veuve qui se remarie peut recevoir la bénédiction nuptiale si elle ne l'a pas reçue lors de son premier mariage, et on dit alors la messe de mariage. Dans le cas contraire, on dit la messe du jour, sans rien y ajouter. Le mariage doit être reçu en état de grâce ; les futurs se confesseront donc, avec contrition, avant de se marier. S'ils n'ont pas les dispositions requises, le prêtre leur accordera quand même le mariage, puisque aucun mariage n'est possible pour des baptisés en dehors du sacrement ; mais il ne leur accordera pas la communion.
139:305
Le sacrement de mariage, bien reçu, attire sur les époux des grâces précieuses pour leur vie conjugale et l'éducation de leurs enfants. Le mariage est un sacrement auquel il faut se préparer sérieusement. On n'oubliera pas que Dieu appelle des jeunes gens et des jeunes filles à un état plus élevé : le sacerdoce ou la vie religieuse. Les parents doivent agir avec beaucoup de prudence et se garder également de contrarier une vocation ou de pousser leurs enfants dans une voie à laquelle ils ne seraient pas appelés.
Jean Crété .
140:305
### La sainte Église catholique (I et II)
par le P. Emmanuel
L'année dernière, de janvier à juin, nous avons publié un grand texte du P. Emmanuel : *Le drame de* *la fin des temps.* C'était la troisième et dernière section de son traité de l'Église, dont les deux premières parties s'intitulent : 1. *La sainte Église catholique* ; 2. *L'Église et le monde.*
Ce traité du P. Emmanuel est inédit en ce sens qu'il parut seulement en articles successifs dans le bulletin paroissial du Mesnil, aux années 1883-1885, et qu'il n'a jamais été recueilli en volume.
Nous entreprenons maintenant la publication des deux premières parties.
*J. M.*
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Premier article, mars 1883
#### Vue générale de l'Église
Il est dit, dans les saintes Écritures, que la Sagesse se bâtit une maison, qu'elle tailla sept colonnes et prépara un festin. Les interprètes entendent cette allégorie de Notre-Seigneur, la Sagesse éternelle, qui bâtit son Église, en donnant comme support aux voûtes de l'édifice les sept sacrements de la loi nouvelle.
Par suite, il est impossible de considérer les sacrements sans être amené à contempler l'Église, l'Église maison de Dieu, l'Église, cité du Verbe, dans sa structure magnifique et ses proportions grandioses.
Le Baptême nous révèle les générations mystérieuses qui se multiplient à tous moments dans le sein de l'Église ; la Confirmation nous la présente remplie de la vertu de Dieu et terrible comme une armée rangée en bataille ; l'Eucharistie nous initie à sa vie intime, aux joies de l'Épouse, aux tendresses de la Mère ; la Pénitence et l'Extrême-Onction nous font voir à l'œuvre les puissants moyens dont elle dispose pour la destruction du péché et l'accomplissement de toute justice ; l'Ordre déroule sous nos yeux la variété de ses ministères, la puissance et la perpétuité de son action hiérarchique ; quant au Mariage, il nous montre comment en elle la succession même des générations humaines est subordonnée au travail de l'enfantement des élus.
Les sept sacrements ouvrent donc comme sept points de vue, sous lesquels nous considérons différents aspects de l'Église ; il est temps de l'envisager d'une vue d'ensemble, qui nous révélera plus clairement encore Jésus-Christ opérant en elle et par elle au milieu du genre humain.
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Ce qui frappe tout d'abord dans l'Église, c'est le caractère de parfaite unité qui est en elle. Cette unité est un reflet, ou, pour mieux dire, une expression de l'unité même des Personnes divines.
Notre-Seigneur l'a voulu ainsi : *Je vous prie, ô mon Père, afin qu'ils soient un, comme vous êtes en moi et moi en vous.* (Joan., XVII, 21.) Ainsi l'unité qui est dans l'Église a été établie par Notre-Seigneur sur le modèle de l'unité de nature qui est entre son Père et lui-même.
Il dit encore : *Moi en eux, et vous en moi, afin qu'ils soient consommés dans l'unité* (24)*.* Et par ces paroles, il explique comment l'unité doit s'établir entre les membres de son Église. En vertu de l'unité de nature, le Père est dans son Verbe, par une sorte de compénétration ineffable : de même Notre-Seigneur veut être en chacun de nous, par une prise de possession de tout notre être qu'il assimile au sien. Par là nous ne formons plus qu'une seule personne mystique et cette personne, c'est Jésus-Christ étendu et développé, Jésus-Christ homme parfait, Jésus-Christ tout en tous, *omnia et in omnibus Christus.* (Col. III, 2.)
Cette parfaite unité est un signe évident que l'Église est divine : *Ut credat mundus quia tu me misisti* (24)*.* Car il n'est donné ni à l'homme, ni à la nature, de former un lien aussi étroit.
Il y a dans le monde certaines unités morales, par exemple la famille, la patrie ; mais elles n'approchent pas de l'unité de l'Église.
Ce qui constitue l'unité de la famille, c'est le même sang qui coule dans les veines, c'est souvent l'identité des goûts et des aptitudes, c'est enfin la communauté des joies et des peines. L'unité entre les concitoyens d'une même patrie est peut-être plus mystérieuse encore : c'est une grande chose que de respirer le même air natal, d'avoir abreuvé son intelligence des sucs nourriciers de la même langue, de posséder en commun tout un héritage de gloires et de douleurs qui remonte à de longs siècles ; il faut avoir quitté quelquefois le sol de la patrie pour comprendre le secret amour qui nous y attache.
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Oui, ces liens de famille et de patrie sont grands et même sacrés : mais il est un lien plus intime que le premier, plus auguste que le second, mille fois plus sacré que tous les deux, et c'est le lien qui nous unit tous en Notre-Seigneur Jésus-Christ dans une même Église.
Ce lien est plus intime que le lien du sang, car l'esprit de vie qui anime les membres de Jésus est infiniment plus unissant que la volonté de l'homme et de la chair. (Joan., I, 13.) Il est plus auguste que le lien de la patrie terrestre, car il nous fait concitoyens de la patrie céleste, il nous donne de nous abreuver au Verbe vivant de Dieu, il nous fait entrer en communion de gloires et de douleurs inénarrables, il va de l'éternité à l'éternité.
Pour caractériser la force de ce lien, saint Paul n'a rien trouvé mieux que de dire : *Nous ne formons tous qu'un même corps en Jésus-Christ, étant les membres les uns des autres.* (Rom., XII, 5.) L'unité des membres animés d'un même principe de vie, obéissant à un même moteur, conspirant au bien-être d'un même tout, cette unité représente l'unité qui nous renferme tous en Jésus. Les fidèles qui adhèrent à lui sont un même corps ; il en est la tête et le Saint-Esprit en est l'âme. Un seul corps et un seul Esprit, dit encore l'Apôtre : *Unum corpus, et unus spiritus*. (Eph., IV, 4.)
L'Église est donc proprement le corps de Jésus-Christ. Tertullien va plus loin, et dit qu'elle est le corps des trois Personnes divines : *Ecclesia, quae trium corpus est.* (De Bapt.) Il veut dire par là que l'Église est le lieu d'habitation de l'adorable Trinité au sein de la création.
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Tandis que Notre-Seigneur était sur la terre, les trois Personnes divines résidaient en son humanité comme dans leur lieu propre, et par elle se manifestaient au monde.
Cette manifestation fut rendue sensible en deux circonstances de sa vie mortelle ; à savoir le jour de son baptême et le jour de sa transfiguration. *Dieu,* dit saint Paul, *était en Jésus-Christ, se réconciliant le monde.* (2 Cor., V, 19.)
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Depuis que Notre-Seigneur est remonté au ciel, les trois Personnes divines ont pris l'Église pour le lieu de leur habitation et de leurs opérations ici-bas. Cette prise de possession a eu lieu le jour de la Pentecôte et elle est irrévocable. Depuis lors la Trinité adorable n'a cessé de se manifester aux hommes par l'Église : *Dieu a mis en nous,* dit saint Paul, *le ministère de la réconciliation.* (*Id. Ibid.*)
Autrefois un tyran jeta trois jeunes Israélites dans une fournaise ardente : ils étaient l'image de l'Église au sein du monde, et ils étaient trois en l'honneur des trois personnes divines. Or, tandis qu'un ange les gardait, et faisait passer un vent rafraîchissant dans ce brasier, ils chantaient et ils chantaient Dieu dans l'Église.
« Béni êtes-vous, disaient-ils, ô Dieu de nos Pères, dans le temple saint de votre gloire. » Le temple saint de la gloire de Dieu, c'est l'Église en ceux de ses membres qui sont glorifiés avec Jésus-Christ.
« Béni êtes-vous, sur le trône saint de votre empire. » Le trône saint de l'empire de Dieu, c'est encore l'Église, au sein de laquelle Dieu réside, pour étendre partout son règne.
« Béni êtes-vous, à cause du sceptre de votre divinité. » Le sceptre de Dieu, c'est toujours l'Église, par laquelle il gouverne toutes les créatures, et abat les puissances ennemies.
Continuant leur cantique, les jeunes Hébreux invitent toutes les créatures à bénir le Seigneur, lui qui vole sur l'aile des vents, lui qui marche sur les flots de la mer, lui qui trône sur les Chérubins et dont le regard perce les abîmes ; et, par cette évocation grandiose de tous les êtres, ils nous font comprendre que tous dans l'Église prennent une voix pour louer Dieu. Oui, l'Église embrasse toute la création, elle comprend le visible et l'invisible, elle ramène tout à la gloire de Dieu.
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Cette Église si grande et si belle, cette Jérusalem céleste souverainement libre et souverainement aimante, elle est notre mère, dit le grand Apôtre. (Gal., IV, 26.) Dieu nous a fait l'immense grâce de naître dans son sein, et, vivant en elle, nous jouissons des dons inénarrables de la bonté de Dieu ; nous sommes, comme dit quelque part saint Augustin, plongés dans l'amour, *immersus in amore amorem non sentis.*
Enfants de l'Église, nous devons chercher à connaître notre Mère : ce sera l'objet du présent travail.
Nous prendrons pour guide saint Paul, mais, à travers saint Paul, nous choisirons pour nous guider saint Augustin. Saint Augustin a cherché longtemps l'Église ; l'ayant cherchée, il l'a trouvée ; l'ayant trouvée, il l'a aimée ; l'aimant, il l'a défendue ; l'aimant et la défendant, il l'a dépeinte avec des traits qui en font resplendir la souveraine beauté. Serons-nous assez heureux pour fixer dans ces pages quelques-uns de ces traits ? Nous l'espérons. Saint Augustin nous soit en aide, lui qui réunit au plus fier génie l'âme la plus humble et le cœur le plus aimant !
Sur les traces de ce Maître si maître, comme dit Bossuet, nous chercherons s'il y avait une Église avant Notre-Seigneur, et dans quelle mesure cette Église était l'Église. Nous verrons ensuite comment Notre-Seigneur a formé son Église, comment il lui a donné un corps visible, comment il l'a animée du souffle de son Esprit. Nous étudierons alors ces deux grands caractères d'Épouse et de Mère ; nous verrons quel rôle jouent en elle le pape d'un côté, et de l'autre la Sainte Vierge ; il nous deviendra évident que tout, dans le monde, est dépendant de l'Église, selon cette grande parole de saint Paul, *tout est à vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu.* (1 Cor., III, 22, 23.) Enfin nous essaierons de montrer comment les destinées de l'Église ici-bas sont une reproduction de la vie et de la Passion de Jésus-Christ.
Telles sont quelques-unes des questions qui seront l'objet de ce travail. Elles méritent d'intéresser nos lecteurs. Elles tirent même des circonstances présentes un attrait tout particulier, car nous sommes à l'une de ces heures solennelles où l'Église, attaquée par toutes les puissances de l'enfer, ne peut triompher que par le déploiement de toutes les énergies divines qui sont en elle et qui la rendent impérissable.
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Deuxième article, avril 1883
#### L'Église avant Jésus-Christ
Il est impossible d'avoir une plus large idée de l'Église que n'en donne saint Augustin. Écoutons le grand Docteur.
« Notre-Seigneur Jésus-Christ, dit-il, comme homme parfait, a une tête et un corps. La tête, c'est lui-même dans sa nature humaine, lui qui est né de la Vierge Marie, qui a souffert sous Ponce-Pilate, est ressuscité, est monté au ciel, est assis à la droite du Père, d'où nous attendons qu'il vienne juger les vivants et les morts ; telle est la tête de l'Église. Le corps rattaché à cette tête, c'est l'Église, non pas l'église de tel pays, mais celle qui est par toute la terre, non pas l'église de telle époque, mais celle qui depuis Abel jusqu'à la fin du monde renferme tous les croyants ; c'est en un mot le peuple entier des saints qui appartiennent à une même Cité ; cette Cité, dis-je, est le corps du Christ, ayant le Christ pour tête. En elle, nous avons pour concitoyens les saints anges : mais nous sommes, nous, dans les fatigues du voyage ; eux, dans la Cité, attendent notre arrivée. » (In Psalm. XC.)
Ainsi, dans la pensée de saint Augustin, l'Église comprend, depuis le commencement du monde jusqu'à sa fin, tous ceux qui croient en Jésus-Christ : par cette foi, ils ont le Christ pour tête, et ils forment son corps.
« L'Église, dit-il, qui a enfanté Abel, Énoch, Noé et Abraham, a enfanté de même Moïse et les prophètes qui leur sont postérieurs avant la venue du Seigneur ; et c'est elle, la même Église, qui a enfanté les Apôtres, nos saints martyrs, et tous les bons chrétiens.
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Tous ceux-là dont nous parlons ont paru dans le monde à différentes époques, mais ils sont renfermés dans la société d'un seul peuple, et citoyens de la même Cité, ils ont supporté les labeurs de ce pèlerinage ; quelques-uns les supportent aujourd'hui même, et les autres les supporteront d'ici à la fin du monde. » (*De Bapt., cont. Don., Lib. I.*)
Bien plus, cette Église, qui voyage ici-bas, ne forme qu'une seule société avec les milices angéliques : car celles-ci, comme nous l'apprend saint Paul*,* reconnaissent pour chef le Christ, *qui est la tête de toute principauté et puissance* (Col., II, 10). « L'Église, en sa totalité, dit saint Augustin, embrasse non seulement cette portion d'elle-même qui voyage sur la terre, louant le nom du Seigneur du levant au couchant ; mais encore celle qui, au ciel, est toujours demeurée fidèle à Dieu, et n'a jamais éprouvé le mal de la chute. Celle-ci, formée des saints anges, demeure dans la béatitude, et, comme il convient, secourt la partie d'elle-même qui est voyageuse : car l'une et l'autre seront unies dans la jouissance de l'éternité, et maintenant elles le sont dans le lien de la charité. » (Ench., LVI.)
On le voit, il est impossible d'avoir une plus vaste conception de l'Église : elle embrasse tous les temps, elle embrasse même à la fois le temps et l'éternité.
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Nous n'oublierons jamais le ravissement que nous fit éprouver la lecture de la Cité de Dieu de saint Augustin. Nous sortions de nos études classiques ; nous avions l'esprit complètement vide, seule notre mémoire était meublée de quelques fragments de Virgile et de Cicéron. Nous n'avions pas précisément oublié Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais ; semblable à tous les jeunes gens qui ont été saturés de paganisme, nous ne le connaissions pas. Cette lecture fut donc pour nous une révélation.
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A mesure que les pages se déroulaient sous nos mains, un voile se retirait de devant notre esprit. C'était une impression analogue au lever de la lumière pour qui est en face d'un horizon immense que lui cachaient les ténèbres. Nous contemplions le Verbe Incarné, au milieu du monde, avec son Église. En présence du fait prodigieux de son Incarnation, disparaissaient tous les événements qui ont agité l'humanité ; et l'antiquité profane ne nous apparaissait plus que comme une des formes multiples de l'égarement de la race d'Adam.
Nous nous représentions l'histoire de l'humanité comme une montagne au sommet de laquelle est dressée la Croix du Calvaire. L'un des versants, ce sont les temps écoulés avant la venue du Seigneur ; l'autre, ce sont les temps écoulés depuis cette venue. La Croix domine et éclaire les deux époques, quoique d'une manière inégale. D'un côté, c'est Jésus-Christ promis et attendu ; de l'autre, c'est Jésus-Christ donné et reçu. Mais d'un côté comme de l'autre, il remplit tout ; il est la clef de la grande énigme du monde. *Jesus Christus heri, et hodie, ipse et in saecula.* (Heb., XIII, 8.)
Nous comprenions également que l'Église, que la Cité de Dieu remplit tous les temps ; qu'elle est, comme dit saint Épiphane, le principe et la fin de toutes choses. Car qu'est-ce que l'Église ? Ce sont tous ceux qui ont foi en Jésus-Christ : avant lui, les âmes croyaient en Celui qui devait venir ; aujourd'hui, elles croient en Celui qui est venu. Mais cette différence n'est qu'accidentelle : au fond, tous les croyants ne forment qu'un même tout ; et ce tout, c'est l'Église, qui embrasse tous les âges du monde.
On nous pardonnera ces souvenirs, qui rentrent dans notre sujet. Maintenant qu'il est bien établi que l'Église est de tous les temps, nous examinerons quel était son état avant Jésus-Christ.
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Il ne faut pas raisonner de Jésus-Christ comme d'une créature. Avant son Incarnation, il existait comme Verbe de Dieu, et, en cette qualité, il gouvernait le monde avec force et disposait tout avec douceur pour son entrée ici-bas. *Avant qu'Abraham existât je suis,* disait-il aux Juifs scandalisés d'une pareille affirmation. (Joan., VIII, 58.)
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La sainte Écriture dépeint d'une manière admirable l'action incessante du Verbe éternel, de la Sagesse divine, depuis le commencement du monde. « Étant une, elle peut tout ; immuable en elle-même, elle renouvelle tout ; elle se transporte parmi les nations dans les âmes saintes, elle fait les prophètes et les amis de Dieu... » « C'est elle qui tira le premier homme de son péché... Elle qui guérit le monde, en gouvernant dans l'arche le juste Noé... Elle qui discerna Abraham parmi la corruption universelle, et le conserva sans reproche devant Dieu... Elle qui entra dans l'âme du serviteur de Dieu Moïse. » (Sap., VII, 27, X.)
En un mot, elle suscita de distance en distance, sur la route de l'humanité, des hommes animés de l'esprit prophétique ; et par là elle tint une multitude d'âmes en éveil, touchant les promesses d'un Sauveur : elles crurent en lui, espérèrent en lui, et furent sauvées.
En même temps qu'il agissait dans le secret des âmes, le Verbe de Dieu, suivant le mot de Tertullien, s'essayait à son Incarnation. Il se manifestait de différentes manières, par le ministère des anges, aux justes des premiers temps ; il prenait une voix humaine pour leur parler, il leur faisait entrevoir la forme humaine sous laquelle il viendrait en ce monde. Ces révélations partielles préparaient la grande révélation totale, l'apparition du Verbe dans la chair.
L'état de l'Église, en ces temps reculés, répondait à cette œuvre mystérieuse, à cette révélation partielle de la Sagesse divine. Cette Sagesse restait invisible et agissait invisiblement : de même l'Église était invisible et se propageait invisiblement. Elle était formée des âmes que le rayon illuminateur de la Sagesse avait touchées et qui respiraient après la venue du Sauveur ; ces âmes étaient disséminées parmi les nations ; elles n'étaient pas groupées en une société obéissant à un chef visible, soumise à une hiérarchie visible. Conséquemment l'Église, qui se composait de toutes ces âmes, demeurait invisible.
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Ce n'est pas qu'il n'y eut dans l'antiquité, même avant la religion dite mosaïque, une forme de religion traditionnelle. Cette religion existait, avec ses sacrifices, ses rites expiatoires, son sacerdoce même. Mais tous ces signes extérieurs, sans lesquels on ne peut concevoir un culte, n'étaient pas *spirituels* comme notre Sacrifice et nos sacrements ; ils n'avaient pas d'efficacité par eux-mêmes, *ils* tiraient toute leur valeur de la foi de qui les employait en les rattachant au sacrifice de l'Agneau *immolé dès l'origine du monde.* (Ap., XIII, 8.) Ils ne formaient pas le lien d'une société spirituelle comme est l'Église. Ils étaient en regard de nos sacrements ce qu'étaient les apparitions passagères de Dieu en regard du mystère de l'Incarnation dans lequel *le Verbe s'est fait chair et a habité parmi nous*. (Joan., 1, 14.)
En résumé, le lien de l'Église, avant Notre-Seigneur, était purement la foi en sa venue ; et, ce lien étant par sa nature invisible, l'Église l'était aussi... Aujourd'hui, au contraire, il y a entre les membres de l'Église, le lien visible des sacrements, qui sont les signes spirituels d'une société spirituelle ; puis surtout le lien visible d'une hiérarchie qui est assistée par la présence permanente de l'Esprit Saint.
On peut dire qu'entre les deux époques il y a la différence de la nuit et du jour. La nuit n'est pas sans lumières, elle jouit de la clarté des étoiles disséminées dans le firmament, et surtout de la lune, ce luminaire de moindre dignité, *luminare minus ;* qui en dissipe les ténèbres. Ainsi les temps antérieurs à Jésus-Christ avaient la lumière des flambeaux prophétiques que Dieu faisait briller en ses grands serviteurs Noé, Abraham, Job et les autres ; puis, quand le crépuscule de la révélation primitive eut commencé à s'éteindre, ils eurent l'éclat du peuple juif qui fut comme un luminaire disposé de Dieu pour dissiper la nuit de l'infidélité. Mais toutes ces lumières disparaissent devant l'éclat de l'Église désormais rendue visible, devant la Lumière permanente et indéfectible de l'Esprit Saint qui habite en elle. C'est là le vrai soleil, le grand luminaire qui préside au jour, *luminare majus*. Nous ne saurions trop remercier Dieu d'être nés, d'avoir grandi dans cet océan de clarté.
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Qu'il nous suffise pour le moment de ce coup d'œil général jeté sur les temps écoulés avant Notre-Seigneur. Dans l'article suivant, nous spécifierons les différentes phases qu'a traversées l'humanité, et nous suivrons en elles la trace de l'Église.
(*A suivre.*)
Père Emmanuel.
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## NOTES CRITIQUES
### Henry de Montherlant *Moustique *(La Table ronde)
La Méditerranée (ou plutôt les rivages qu'elle baigne, il n'était pas marin) a toujours réussi à Montherlant. Quand il parle de ses villes, de ses habitants, de la vie qu'il mène dans ces jardins au-dessus de la mer, il s'enflamme tour à tour et s'ébroue avec une liberté neuve : Voyez *Coups de soleil,* qui est avant tout un livre heureux.
*Moustique* se rattache à la Méditerranée -- au cycle méditerranéen, pour parler prof -- par le personnage de son petit héros, un serviteur que Montherlant employa autour de 1930. L'enfant, de son vrai nom Albert Gutierez, est surnommé Moustique. Sa mère est une prostituée, et de la plus basse espèce. Moustique a été « ramassé dans le ruisseau de la ville la plus canaille de France » (Marseille).
Mais il est né en Algérie. Il a vécu longtemps à Alger, dans le quartier de la Marine (les bas-fonds de la ville). Il a fui sa mère indigne, mais il l'a retrouvée un ou deux ans plus tard à Marseille. Elle l'envoie mendier aux terrasses des cafés. Il cire aussi les chaussures, et il chaparde. Il ne faut donc pas s'attendre à un roman délicat. On y nomme un chat un chat, et la vie y est servie dans toute sa crudité.
Cela ne m'empêche pas de trouver *Moustique* bien plaisant. Il me fait penser à Cagayous, le petit Algérois au nom peu distingué dont Musette a raconté les exploits en une dizaine de volumes, et à toute une littérature en voie de disparition, de Brua à P. Achard. Leurs livres parlent « pataouète », c'est-à-dire qu'on n'y comprendra plus rien une fois que ma génération aura disparu. Écrivant cela, il me vient à l'esprit que personne ne comprendra plus rien non plus au français de Ronsard et de Valéry, naufrage d'une autre ampleur.
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Que Moustique (ou l'un des Moustiques, car il semble qu'on trouve dans ce volume, juxtaposés, des éléments de sources diverses) soit pied-noir, cela ne fait pas de doute à mes yeux, non seulement parce que l'auteur le fait naître dans le bled, mais à cause de son langage « vinga », mot espagnol, mais des plus courants, et nom d'un jeu d'enfant ; « et alors », au sens « évidemment » ou « tu parles » ; « elle viendrait » pour : elle deviendrait ; la facilité à jurer : « que la cigarette que je fume elle me sert de poison... » autant d'indices. Et quand Montherlant transcrit : « Qué je fais », j'ai dans l'oreille la phrase entendue mille fois et qui est presque : « Qu'éche fait ? » (pour : qu'est-ce que je fais ?).
Il y a le « aoua », que Montherlant dit arabe. Lanly dans son excellent ouvrage *le Français d'Afrique du Nord* (Éd. Bordas) le rapproche du provençal « aouatt », et c'est cette deuxième prononciation que j'entendais le plus dans mon enfance. Il est vrai que dans les propos de Moustique, Montherlant ne rejette pas le verbe à la fin de la phrase, ce que l'enfant faisait certainement. Mais notre auteur ne voulait sans doute pas trop donner dans la couleur locale.
Montherlant remarque Moustique parce que celui-ci, passant près d'un chien, ne lui donne pas de coup de pied, au contraire de ce qu'aurait fait tout autre enfant du coin : « La Méditerranée nourrit des peuples sans pitié. » Du coup, Montherlant se fait cirer les chaussures par le gamin, et lui donne vingt sous, soulignant que c'est à cause de la bonté envers le chien. Le gosse « alors je repasse encore une fois près de lui, et vous me donnez encore vingt sous ». L'accord est fait. Mais quand Moustique repasse près du chien, c'est pour lui donner « un maître coup de pied ». Il n'en avait pas tellement envie, mais il voulait montrer qu'on ne l'achetait pas si facilement, expliquera-t-il plus tard. « La fierté, quoi ! »
Tel est Moustique. Et son maître est aussi bien curieux, facile à vivre, plein de gouaille et tout à coup cassant, toute sa bourgeoisie remontant à la gorge : « J'éclatai quand, pour se laver avant de se coucher, il réclama de l'eau chaude. Ce petit va-nu-pieds ! De quel ton je lui intimai l'ordre de se laver immédiatement à l'eau froide ! Et tout de suite, je m'étonnais, ne me reconnaissais plus : « Quoi ! moi, dur avec un enfant. » Mais c'était ainsi. »
Montherlant ayant une réputation bien affirmée, quant à la nature de ses relations avec les adolescents, certains penseront que l'homosexualité est le thème fondamental de ce livre. Rombières et échotiers gloussent que c'est bien le cas. Franchement, ils se mettent le doigt dans l'œil. Par besoin d'avoir une œuvre d' « aveux ». Pour le simple plaisir de dire autre chose que ce qui est. Laissons-les à leurs petites histoires.
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Montherlant n'est jamais meilleur que dans les tableaux saisis sur le vif et décrits avec humour (le *Fichier parisien,* les meilleures pages de ses romans etc.), et *Moustique* est tout entier de cette veine. Les pages sur Don Celestino, par exemple, merveille. J'y ai pris grand plaisir, mais ce grand plaisir ne peut me faire taire sur un certain nombre de points.
En tête du volume, un avertissement non signé nous rappelle que Montherlant parlait de ce livre dans la préface de *Service inutile :* « En 1929, j'écrivis *Moustique,* roman dont l'action se passe dans le peuple : on y voit comment meurent les gens qui n'ont pas de quoi s'acheter des fortifiants. » En fait, le texte de Montherlant est : « J'écrivis *Moustique* ou *l'hôpital.* » A noter. Ce que cet avertissement omet aussi, c'est de préciser que, quatre pages plus loin, Montherlant énumère les livres qu'il a écrits et ne publie pas : les huit cents pages de *la Rose de sable,* « les six cents pages des deux volumes de *Moustique...* » Depuis, nous avons vu paraître *la Rose de sable,* gros volume. *Moustique,* d'après ce qu'on vient de lire, devrait en représenter les trois quarts. Or le volume publié par la Table ronde comporte 194 pages, et du blanc tant qu'on veut dans ces pages. Il faut remarquer qu'il n'est absolument pas question dans le *Moustique* que nous avons de malades qui n'ont pas de quoi payer des fortifiants, ou d'hôpital. Le seul malade qu'on y voit, c'est l'auteur lui-même, complètement abandonné à ce moment par Moustique qui s'est ivrogné et revient d'ailleurs plein de remords.
Le *Moustique* de la Table ronde n'est donc pas le *Moustique* dont parle Montherlant, quoi qu'ait le toupet de nous dire l'auteur de l'avertissement. Il y a là une petite tromperie bien déplaisante.
Le texte qu'on nous donne n'est pas un roman, mais un projet de roman, le premier jet de quelques chapitres et des notes. Des mots même restent incertains. Par exemple, p. 46 *mollhazenis ?* représente *moghaznis* (gardes). L'ordre des chapitres n'est pas sûr. Dans le septième, on voit Moustique adulte ; il travaille à Paris. Et même dans ces quelques pages, on voit des contradictions. P. 139, il envoie de l'argent à sa mère, 700 F en trois mois (il gagne 40 F par jour). Et p. 144, il n'a pas réussi à économiser plus de 400 F en neuf mois, le prix d'un aller à Marseille ; et il gagnerait douze francs par mois -- chiffre conjecturé et absurde. Enfin, Moustique travailleur, fiancé, puis rompant ses fiançailles pour retourner à Alger, est un adulte, qui ne voit plus son ancien patron que par intervalles. Au chapitre suivant, le revoilà serviteur de Montherlant, au Maroc. Celui-ci le bat, et l'enfant riposte. Il doit avoir quelque seize ans. Le plus vraisemblable est que ce séjour au Maroc est antérieur à la vie de Paris du chapitre sept.
Premier jet et notes, voilà ce que nous avons. Ces éléments ne se rapportent peut-être pas à un seul modèle. Le Moustique du début sait l'espagnol. Né en Algérie, et y vivant jusqu'à plus de dix ans, il en saurait quelques mots mais ne le pratiquerait pas couramment, il me semble (sauf s'il était oranais).
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Abandonné à lui-même, il a appris à parler dans la rue, et il parle français, le français du quartier de la Marine. P. 118, on nous dit que Moustique n'aime pas le football : c'est qu'il est Marseillais, dit l'auteur, ville où l'on n'a pas de goût pour le sport. Possible, mais Moustique a vécu son enfance à Alger, où l'on ne rêvait que de ballon, les gosses y jouant dès qu'ils marchaient. On peut se demander s'il n'y a pas eu au moins deux modèles pour Moustique : un, algérois et un autre, marseillais. Il sera sans doute toujours impossible de savoir ce qu'il en est.
Enfin, dernier point à soulever. Montherlant, dans ses derniers *Carnets* donnait la liste de ses inédits qu'on pouvait publier : *Moustique* n'y figure pas. Figure-t-il sur d'autres listes, postérieures, sur un testament ? Je n'en sais rien.
Le texte tel qu'il est publié oblige à poser une question : Montherlant disait-il la vérité dans *Service inutile* et a-t-il rédigé six cents pages sur le thème *Moustique ou l'hôpital *? Si oui, qu'est devenu ce manuscrit ? On peut penser que l'auteur l'a détruit pour telle ou telle raison. Et le texte publié aujourd'hui ne serait qu'un premier brouillon du roman, échappé par hasard à la destruction.
On peut penser aussi que Montherlant exagérait, et qu'il n'a jamais existé, de *Moustique,* que les 194 pages qui viennent de paraître.
Ou bien encore, le texte complet existe, mais caché personne ne sait où. Toutes les hypothèses sont possibles. C'était le devoir de l'éditeur que de poser ces questions et d'y répondre dans la mesure où il le pouvait. Quand on publie un inédit d'un grand écrivain, on le fait sérieusement description du manuscrit, raisons de la publication (elle me paraît tout à fait justifiée, mais on doit oser dire si on le fait malgré la volonté de l'auteur), et hypothèses sur l'état du texte que l'on donne. Or, il y a bien une postface de M. Sipriot, mais elle ne donne aucune information utile.
Georges Laffly.
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## DOCUMENTS
*Chronique de la persécution liturgique*
### Dans le diocèse de Sion (Suisse)
*L'* « *indult* » *est contradictoire et littéralement inapplicable. Beaucoup trop d'évêques en profitent pour l'interpréter avec malveillance et méchanceté.*
Ce que l'on appelle l' « indult » concernant la messe traditionnelle est, on le sait, la lettre circulaire de la congrégation romaine pour le culte divin en date du 3 octobre 1984 : texte latin et traduction française, avec annotation et commentaire, dans ITINÉRAIRES, numéro 288 de décembre 1984.
Cette circulaire se présentait comme une « concession », faite en signe de « sollicitude ». Elle est utilisée comme un moyen supplémentaire de délation, d'inquisition, de persécution.
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Mais c'est qu'elle renfermait aussi cette possibilité, avec son affreux *nullam partem.* Voir sur ce point : Jean Madiran, « *Nullam partem*, c'est l'apartheid », dans ITINÉRAIRES, numéro 290 de février 1985.
Un exemple récent d'une telle méchanceté a été donné par Mgr Henri Schwery, évêque de Sion.
Nous publions ci-après sa lettre à Roger Lovey, président de l'*Una Voce Helvetica,* section romande, « association pour la défense de la foi, du latin et du chant grégorien ».
On lira ensuite la belle réponse de Roger Lovey à l'évêque méchant.
Ces textes ont paru dans le Bulletin romand de l'*Una Voce Helvetica,* numéro de mai 1986.
#### Lettre de l'évêque de Sion à Roger Lovey
*Sion, le 12 avril 1986*
*Monsieur le Président,*
*Diverses raisons m'ont contraint à retarder ma réponse définitive à la requête formulée par vous au nom de la Section Romande de l'UNA VOCE HELVETICA*.
*C'est ainsi, qu'après mûre réflexion -- malheureusement avec un temps d'attente assez long mais indépendant de ma volonté, -- je peux vous donner la réponse formelle suivante :*
*Mes demandes du 5 juillet 1985 explicitaient uniquement les conditions clairement formulées par la* *lettre de la Congrégation pour le Culte Divin du 3 octobre 1984. Elles ne sont pas satisfaites.*
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*1. Liste des membres de UNA VOCE HELVETICA.*
*Les motifs que vous donnez pour me refuser cette liste ne sont pas convaincants. De plus votre refus m'oblige à vérifier les intentions des membres de UNA VOCE HELVETICA à travers leur Président et leur Bulletin.*
*Je vous rappelle que le document romain précise que l'indult peut être accordé* «* aux fidèles énumérés explicitement dans la requête présentée à leur évêque *».
*2. Vos intentions de ne pas suivre* « *ceux qui déclarent le nouveau Missel hérétique* » (*votre lettre du 3.7.1985*) *sont en contradiction -- publique -- avec :*
*21. la suspicion entretenue par votre propre Bulletin de UNA VOCE HELVETICA à l'égard de la nouvelle Liturgie :* «* ...le nouveau rite est équivoque et ambigu *», *il menace* «* gravement* (*...*) *les trois réalités fondamentales rappelées ci-dessus *» (*à savoir la présence réelle ; la réalité du Sacrifice, et le Sacerdoce ministériel*)*.*
*N.B. -- Le terme d'* «* hérétique *» *n'apparaît pas dans le document romain du 3 octobre 1984 qui exige des demandeurs* « tales... nullam partem habere cum iis qui legitiman vim doctrinalemque rectitudinem... in dubium vocant ».
*22. les relations connues entre le Président de la Section Romande de UNA VOCE HELVETICA et le Séminaire Saint Pie X.*
*Dans ce contexte troublé de notre pays, la contradiction ci-dessus ne permet aucun rapprochement vrai entre les tendances opposées, entretient une ambiguïté croissante et porte préjudice à l'observance de la réforme liturgique. Indépendamment de la condition a*) *du document romain du 3 octobre 1984, c'est son avant-dernier paragraphe qui mérite ici notre attention :*
«* Concessio hujusmodi, sollicitudinis signum qua Pater communis omnes suos prosequitur filios, adhibenda erit sine ullo praejudicio liturgique instaurationis observandae in vita uniuscuiusque Communitatis ecclesialis. *»
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*3. Vous refusez* (*même pour le cas où je vous aurais accordé l'Indult avec des modalités à votre convenance/ma lettre du 5.7.1985*) *de renoncer à participer à des Messes célébrées par un évêque ou par des prêtres* « *suspens a divinis* »*, ainsi que* (*et non pas* « *c'est-à-dire* ») *par des prêtres en situation de désobéissance publique à leur évêque.*
*Je ne puis donc pas accorder à la Section Romande de UNA VOCE HELVETICA* (*pour le territoire relevant de mon autorité*) *l'Indult sollicité.*
*Je reste à votre disposition pour rouvrir votre dossier sur toute demande que vous pourriez formuler soit à partir d'éléments nouveaux soit en reconsidérant vos réponses précédentes à mes 3 questions formelles.*
*Veuillez croire, Monsieur le Président, à mes sentiments les meilleurs.*
Henri Schwery,\
évêque de Sion.
*Copie :*
*-- Congrégation pour le Culte divin*
*-- Mgr Pierre Mamie, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg,*
*-- Aux autres membres de la Conférence des évêques suisses.*
#### Réponse de Roger Lovey à l'évêque de Sion
*Fully, le 29 avril 1986*
Monseigneur,
J'ai bien reçu votre lettre du 12 avril, postée le 17, qui me signifie votre refus d'accorder à Una Voce Helvetica Suisse Romande, pour le territoire relevant de votre autorité, le bénéfice de l'indult sollicité.
160:305
J'en prends acte.
Ma réaction première était d'enregistrer simplement les diverses raisons que vous avancez. A la réflexion, je crois préférable de vous faire part de quelques observations dont je précise tout de suite qu'elles ne constituent pas une demande de reprise en considération.
**1. -- ***La liste des membres*. Vous dites que les motifs avancés pour vous la refuser ne sont pas convaincants. J'estime, quant à moi, que ce sont les motifs pour la réclamer qui n'existent pas.
Notre association, légalement constituée, est une personne morale. Elle possède des statuts et des organes qui la représentent valablement et l'engagent elle et ses membres. Nous éditons un bulletin où sont rendues publiques nos décisions et dont la première partie contient des communiqués et des articles qui engagent notre association.
Je ne vois pas ce que peut apporter la liste des membres, liste au surplus changeante d'année en année par suite des décès, des démissions et des admissions.
Nous ne nous sentons pas autorisés à fournir cette liste sans l'accord de nos membres. Il faudrait au préalable ouvrir une consultation, ce que nous n'avons pas l'intention de faire, sachant d'avance que la réponse ne serait pas unanime. Or, dans un tel cas, une majorité ne suffirait pas.
Je ne connais, au surplus, pas d'exemple où traitant avec une association telle que la nôtre, une autorité religieuse ou civile ait formulé la demande que vous avez faite.
161:305
Vous ajoutez qu'en l'absence de présentation de cette liste, vous vous trouvez obligé de « *vérifier les intentions des membres à travers leur Président et leur Bulletin* ».
Ce qui voudrait dire que la présentation de la liste vous aurait permis, à la seule lecture des noms, de vous faire une opinion sur leurs intentions. Laissez-moi m'en émerveiller !
Ce qui voudrait dire aussi que, si la liste vous avait été présentée, vous n'auriez pas examiné les intentions du président, ni examiné le bulletin. Laissez-moi vous avouer ce que j'appellerai par euphémisme mon scepticisme.
**2*. -- ****Notre contradiction*. Contrairement à ce que vous affirmez, elle n'existe pas. Nous vous avons, dans notre lettre du 3.7.1985, effectivement déclaré que nous avons « toujours refusé de suivre ceux qui déclarent le nouveau missel hérétique ». Nous l'avons fait non pas en cachant, mais en invoquant expressément notre déclaration du 18 mars 1978 que nous vous avons ultérieurement fait tenir et que vous nous opposez comme une contradiction.
Cette déclaration affirme, il est vrai, que « le nouveau rite est équivoque et ambigu ». C'est cela qui vous paraît inacceptable. Vous ajoutez que le terme d' « hérétique » ne figure pas dans le document romain qui exige des impétrants qu'ils n'aient « *nullam partem,* etc. »
Cependant, est équivoque, selon le Robert, « toute chose dont la signification n'est pas certaine et qui peut s'expliquer de diverses façons ». Est équivoque, toujours selon Robert, un langage « qui prête à des interprétations diverses ». Le même dictionnaire définit comme ambigu « ce qui est à plusieurs sens, à double entente, susceptible de plusieurs interprétations ».
162:305
Or, je vous rappelle à ce sujet les déclarations du Pasteur Max Thurian de Taizé, selon qui « des communautés non catholiques pourront célébrer la Sainte Cène avec les mêmes prières que l'Église catholique : théologiquement c'est possible ». (La Croix du 30 mai 1969.) Quant au Pasteur Roger Schutz, de Taizé toujours, il disait dans une conférence : « Les nouvelles prières eucharistiques présentent une structure qui correspond à la Messe luthérienne. » Je pourrais citer d'autres déclarations. Qu'est-ce que cela signifie ?
Qu'un prêtre catholique peut célébrer validement le Saint Sacrifice de la Messe en utilisant le nouveau missel. Mais aussi que des protestants peuvent célébrer la Cène avec les mêmes prières.
Qu'en conclure dès lors, sinon que ces prières permettent des interprétations contraires, ce qui est la définition même de l'équivoque et de l'ambigu.
Dois-je ajouter que la déclaration de Max Thurian me paraît d'un poids particulier puisqu'il fut à Rome l'un des experts consultés pour la fabrication du nouveau missel ? en témoigne Mgr Baum alors président de la commission de l'épiscopat américain pour l'Œcuménisme, qui écrivait : « Ils (les observateurs non catholiques) ne sont pas là simplement comme observateurs mais aussi bien comme experts consultants et ils participent pleinement aux discussions sur le renouveau liturgique catholique. S'ils s'étaient contentés d'écouter, la chose n'aurait pas eu beaucoup de sens, mais ils contribuaient. » (*Detroit News* du 27 juin 1967.)
Puisqu'ils taxent eux aussi, implicitement, le nouveau missel d'équivoque et d'ambigu (en s'en réjouissant), faut-il aussi les inclure dans la liste de ceux avec qui il faut n'avoir « *nullam partem* » ? Nous refuseriez-vous la faveur de l'Indult si nous avions quelque relation avec Taizé ? A l'heure où le pape s'apprête à rendre visite à cette communauté ?
163:305
**3. -- **Ce qui m'amène au dernier point, car c'est l'essentiel de votre argumentation : mes relations avec la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X. Je ne les ai jamais cachées. Je les ai au contraire toujours soulignées pour éviter toute méprise. Je l'ai fait notamment avant d'accepter la coprésidence au plan suisse de l'Association en faveur de l'initiative « Droit à la Vie ». Je relève à ce sujet que votre conseil pastoral refusa avant les votations que l'initiative lui soit présentée par moi : pardonnez-moi si j'ose affirmer que j'étais pourtant un des plus compétents pour lui en parler. Mais ostracisme oblige !
Car le péché irrémissible est aujourd'hui de toucher de près ou de loin à Écône. Alors que l'on se livre à un œcuménisme tous horizons, une seule ouverture est prohibée celle envers des frères dans la foi. *Nullam partem !* Aucune part d'aucune sorte avec eux. Avec tous les autres sans exception, oui, avec ceux-là, non. *Nullam partem !*
La Fraternité organise-t-elle, par exemple, une veillée de prières à Martigny ; aussitôt un communiqué de votre Chancellerie fait défense aux catholiques d'y participer. Cette défense, en l'occurrence, précédait d'un mois les appels à des cérémonies communes avec nos frères protestants à l'occasion de la semaine de l'unité.
Un mouvement de jeunes se crée-t-il qui est soupçonné d'avoir un lien avec Écône ? Sans plus tarder et plutôt deux fois qu'une, en dehors de toute enquête, un communiqué paraît pour mettre en garde.
Communiqué encore pour signifier la non validité ou non licéité selon le cas, des sacrements, etc.
J'en viens, voyez-vous, à être persuadé que si une épidémie mortelle venait à se répandre, votre Chancellerie pondrait un communiqué pour enjoindre à vos diocésains de se laisser mourir plutôt que d'être éventuellement secourus par un membre de la Fraternité ou par un de ses sympathisants. « *Besser tot als Écône !* »
164:305
Je note incidemment que l'Évangile nous rapporte l'exemple de deux personnes qui n'eurent « *nullam partem* » avec quelqu'un. C'était sur la route de Jéricho et il est même précisé qu'ils étaient l'un prêtre et l'autre lévite.
Ce n'est pas à vous que j'aurai l'outrecuidance de rappeler que la seule mort à craindre est la mort éternelle. Que tout dans l'Église et que l'Église elle-même est ordonnée à cela : sauver les âmes de la mort et leur donner là Vie dès ici-bas.
Eh ! bien, c'est un fait que nombre de personnes (y compris parmi vos diocésains) ont retrouvé la foi par la Fraternité. C'est une réalité que vous pouvez méconnaître mais qui existe. Si vous preniez la peine de vous en informer, elle vous apparaîtrait avec la clarté de l'évidence.
Je pourrais ainsi vous nommer nombre de personnes (que vous pourriez interroger) qui, éloignées de l'Église et vivant comme si Dieu n'existait pas (ni vous par conséquent) se sont converties, vivent aujourd'hui leur foi, la nourrissant de prières, d'étude, de vie sacramentelle. Je pourrais vous citer des couples prêts d'éclater qui ont été sauvés, des jeunes vivant dans l'indifférence qui ont redécouvert l'Église. Je n'évoque pas la centaine d'enfants de chez nous qui suivent les cours de catéchisme, ni l'œuvre des retraites, ni les cours pour adultes. Que savez-vous de tout cela ? Rien. Parce que vous ne voulez rien savoir. Je dis *vous,* mais cela vaut pour à peu près toute la hiérarchie. Aucune enquête sérieuse, aucune bienveillance, *nullam partem* quoi !
Il y a un dicton qui dit : « Si tu veux pouvoir continuer de combattre quelqu'un, ne le rencontre pas. »
On peut ainsi continuer de faire procès mais ce sont des procès d'intentions, dans lesquels les intéressés ne sont jamais entendus.
Tout ça est un aspect de la question.
L'autre aspect c'est l'état du monde en général et celui du monde catholique en particulier. Je vois notamment le désastre de l'enseignement religieux et bien d'autres choses que je ne veux pas évoquer en ce lieu.
165:305
Vous savez maintenant à peu près ce que je pense. Et vous devinerez que tant que les choses sont au point où nous les voyons, nous avons toutes les raisons de continuer de nous comporter comme nous le faisons. Il y va de notre salut et de celui de nos enfants. A temps de crise, solution de crise.
Croyez bien que je suis le premier à déplorer cet état de choses que nous n'avons ni voulu, ni cherché. Et pardonnez-moi quelques passages abrupts de cette lettre. C'est un peu à la valaisanne et ce n'est pas cela qui doit vous offusquer, car vous n'avez pas coutume non plus de farder vos propos.
Je vous prie de croire, Monseigneur, à mes sentiments les meilleurs.
Roger Lovey.
166:305
### La collusion sous Paul VI avec la franc-maçonnerie
Nous reproduisons ci-après un extrait du numéro 197 des *Lettres politiques* de Jacques Ploncard d'Assac.
Ces *Lettres politiques* sont éditées sous le nom de l'auteur, à l'adresse : BP 300.16, 75767 Paris Cedex 16.
Paris, juin 1986 -- La revue catholique italienne : *Chiea viva*, d'avril 1986, reproduit une lettre du P. Rosario F. Esposito qui joua un rôle important dans la collusion avec les Loges maçonniques sous le pontificat de Paul VI.
Cette lettre est adressée au grand-maître Gamberini et fut publiée dans la *Rivista massonica* du 6 août 1978.
« Mon cher Gamberini », commence très amicalement le P. Esposito. Il rapporte à son correspondant qu'un dominicain, le P. Félix A. Morlion, fondateur de l'Université internationale « Pro Deo », lui avait fait la confidence que, parlant un jour avec celui qui n'était alors que monseigneur Montini, des rapports entre l'Église et la maçonnerie, Montini lui avait dit : « Dans moins d'une génération, la paix sera faite entre les deux sociétés » (L'Église et la maçonnerie).
167:305
« Maintenant que le Pontife est décédé, poursuivait le P. Esposito, il n'y a pas de raison de continuer à maintenir le secret. Et la prévision -- je dirais presque *la décision --* s'est pleinement vérifiée : la rencontre avec Morlion ne doit pas avoir eu lieu avant 1948-1950, la lettre du Saint-Office au cardinal Krol porte la date du 19 juillet 1974, ainsi les termes d'une génération sont parfaitement respectés.
« Du reste, Paul VI eut, avant même 1970, l'occasion de porter d'autres coups à la muraille de l'inimitié christiano-maçonnique. L' « acquiescement » du Vatican à la décision des évêques de la Scandinavie et de la Finlande, selon laquelle les convertis du protestantisme, éventuellement inscrits à la maçonnerie, ne seraient pas obligés à la renier, mais seraient autorisés à garder les deux qualifications, catholique et maçonnique, date de 1966 ou 1968. Pour qui connaissait l'intransigeance totale, toujours professée par l'Église, du rejet le plus absolu de la maçonnerie, l'acceptation de la thèse scandinavo-baltique ne pouvait pas ne pas apparaître dans tout son caractère révolutionnaire.
« Par ailleurs, à propos du comportement de Paul VI envers des institutions qui, en quelque manière, sont liées à la maçonnerie, il en va de même. Recevant les membres du « Rotary Club », objet de la méfiance et du rejet de la part du Vatican, Paul VI n'a pas craint de reconnaître que l'Église avait cédé à une méfiance excessive : maintenant on avait retrouvé la voie du dialogue et de la confiance réciproque.
« Non moins révolutionnaire est le comportement du Pontife à propos de l'ONU et des organisations qui lui sont liées, surtout le Bureau international du Travail où il fut reçu et dont il fut le promoteur. Les apocalyptiques antimaçons catholiques avaient dénoncé la Société des Nations comme un « super-État maçonnique » et l'avaient vouée à l'exécration des intégristes ; envers l'ONU, la méfiance avait été moins vive, mais n'avait pas manqué, surtout sur son principe.
168:305
« Paul VI n'avait pas hésité.
« Il avait accepté -- ou d'une certaine manière sollicité ? laissons la question ouverte -- l'invitation de U Thant, et s'était présenté au Palais de Verre comme un quelconque chef d'État, attendant son tour pour « avoir la parole » et se montrant un humble défenseur de la cause de la paix. Se définissant « expert en humanité », laissant tomber toutes les qualifications de caractère interne à la religion catholique, se contentant d'exprimer la « morale minimum », cette espèce de religion de l'humanité, dans laquelle tous les hommes de bonne réputation ne peuvent que se trouver d'accord.
« Il ne faut pas s'étonner si les intégristes de toutes sortes, Mgr Lefebvre en tête, suivi des rédacteurs de *Si, si No, no,* de *Vigilia romana* et des feuilles de toutes langues et couleurs, avaient crié aux quatre vents que Paul VI était maçon ou, au moins, avait ouvert les portes de l'Église romaine à la maçonnerie...
« Bien cordialement tien.
P. Rosario F. Esposito ; ssp. »
Cette lettre du P. Esposito au grand-maître Gamberini est à verser au dossier de la trahison au sein de l'Église.
Elle venait de loin.
\*\*\*
En 1946, dans un appartement de l'avenue Victor Hugo, à Paris, un jésuite, le P. Joseph Bertheloot, faisait une conférence discrète sur « Catholicisme et Franc-Maçonnerie ».
Il s'agissait, déjà, d'une offensive moderniste de confusion religieuse. Le jésuite citait la revue maçonnique *Le Symbolisme* d'avril 1938 (p. 97) où l'on pouvait lire ces lignes :
« Nous voyons aujourd'hui couramment, sans que personne n'en soit plus surpris, ni offusqué, les dignitaires de l'Église catholique associés publiquement, dans certaines manifestations, aux pasteurs hérétiques et aux prêtres d'Israël. »
169:305
Alors, notre jésuite enchaînait :
« Soit, dira-t-on, mais catholiques, protestants et juifs ont toujours gardé des points de ressemblance qui pouvaient devenir, comme aujourd'hui, des points de contact. Ils reconnaissent le même Dieu ou le même Christ, ils s'inspirent de la même Bible ou du même Évangile. Mais entre croyants et incroyants tout n'est-il pas dissonance et discordance ? »
Pardon, reprenait le jésuite. Il y a un point de rencontre possible. Lequel ? *La Révolution française !*
« Que voulaient les premiers maçons du XVIII^e^ siècle ? Reprendre, pour leur propre compte, la plupart des principes chrétiens qui avaient servi de fondement à la civilisation européenne. Quand ils prônaient la liberté, la bienveillance, la bienfaisance, la fraternité des classes, des races, des nations, ils prônaient des idées chrétiennes. » !
L'étonnant jésuite était simplement en avance sur Vatican II et sa reconnaissance du « dogme » des droits de l'homme. Il citait une lettre reçue d'un haut maçon du 33^e^ degré qui lui disait :
« Vivons au moins en bons voisins intelligents (...) car enfin, il suffit de voir l'histoire : Soviets, Allemagne, Italie demain. Partout les deux puissances spirituelles (Église et maçonnerie) souffrent ensemble. »
-- Mais bien sûr, reprenait le jésuite ravi : « l'Église est maintenant *redevenue* la meilleure sauvegarde des *grands principes communs :* la liberté intellectuelle et morale, le respect de la personne humaine (...) L'heure n'est-elle pas venue d'abandonner les questions qui divisent et d'envisager *uniquement* celles qui unissent ? Pour tout catholique, comme pour tout maçon, restés fidèles à leurs principes, la réponse n'est pas douteuse. » D'ailleurs, « au cours de ces, dernières années, plusieurs francs maçons sont parvenus sous le couvert du radicalisme à sympathiser avec les catholiques sociaux ».
La Grande Super-Église de l'Alliance anti-fasciste prenait corps. La collusion politique déterminait la collusion doctrinale.
170:305
Tel est un des aspects non négligeable de la pénétration des idées maçonniques dans l'Église qui n'allait pas cesser de s'accentuer.
On sait que, jusqu'à présent, l'Église maintient l'interdiction pour les catholiques d'adhérer à la franc-maçonnerie, mais chaque jour nous apporte la preuve que cette interdiction est violée sans sanctions. La grande confusion est générale. On y est arrivé par petites poussées. Cela peut commencer dans un salon de l'avenue Victor Hugo.
\[Fin d'un extrait du numéro 197 des *Lettres politiques* rédigées et publiées par Jacques Ploncard d'Acsac.\]
171:305
### Dialogue à Budapest avec les « marxistes »
*prévu pour octobre*
*Bien entendu, les* « *marxistes* » *dont il est question ne sont pas* (*ou ne sont que pour la frime*) *membres d'une académie de philosophie. Ce sont en réalité des responsables du communisme international. Lequel n'est pas dirigé par des philosophes et des académiciens, mais par des* « *apparatchiks* »*.* Tout bon communiste doit être un vrai tchékiste, *disait Lénine, la* « *Tchéka* » *étant l'ancien nom de ce que l'on appelle aujourd'hui le KGB.*
Nous reproduisons intégralement l'article insensé de Georges Mattia, « envoyé spécial permanent à Rome », paru dans *La Croix* du 28 mai 1986. Cet article manifeste combien il serait urgent, à *La Croix* comme au Vatican, de découvrir et d'étudier l'encyclique *Divini Redemptoris* sur le communisme.
172:305
Un Symposium sur « Société et valeurs éthiques » réunira, en octobre, à Budapest (Hongrie), des personnalités marxistes et catholiques. Président du Secrétariat pour les non-croyants et président exécutif du Conseil pontifical pour la culture, le cardinal Paul Poupard est l'un des artisans de cette rencontre. Il a exposé à l'agence italienne *Asca* les raisons et le climat de ce dialogue.
« Le monde est un, au-delà des blocs et des antagonismes idéologiques. Les pays socialistes font partie de ce monde, constate Mgr Poupard. (...) L'Église n'exclut rien ni personne, donc pas même les pays socialistes. Elle n'a jamais repoussé définitivement aucune société humaine. » Certes, précise-t-il, « l'idéologie marxiste officielle dans les pays socialistes contient un défi particulièrement difficile pour l'Église ». Néanmoins, le dialogue avec les marxistes est à la fois « une nécessité des temps présents » et peut-être aussi « un signe qui vient de Dieu. L'Église est une réalité historique et ne peut échapper à l'histoire ».
Ce dialogue est aussi un choix, trouvant toutefois ses racines dans l'essence même de l'Église : « L'Église croit au dialogue car elle croit en l'homme. » Pour Mgr Poupard, il ne s'agit nullement d'un choix stratégique car « l'Église n'est pas une puissance qui cherche son propre intérêt, mais l'intérêt, le bien de l'homme ». Ainsi, « le dialogue du salut est universel, c'est-à-dire catholique, sans aucune discrimination ».
L'Église a fait sa propre « autocritique » au Concile Vatican II, notamment sur les causes de l'athéisme contemporain. « Il faut reconnaître que toutes les Églises chrétiennes ont beaucoup souffert sous les régimes marxistes durant ces soixante dernières années, note le cardinal. Des victimes et des injustices nous ne voulons pas faire une arme contre ces régimes. (...) L'Église demande seulement un espace de liberté pour sa mission spirituelle, sans aucun privilège. » Quels éléments peuvent contribuer à la détente entre christianisme et communisme ? Cette question relève des « ismes » remarque Mgr Poupard et, à ce niveau, « l'antagonisme est radical ». Pourtant, « si les systèmes ne peuvent communiquer, les hommes en revanche le peuvent. Ils y sont même obligés ».
173:305
Avec *Pacem in terris* de Jean XXIII, il convient d'établir une distinction « entre les systèmes qui, une fois codifiés et structurés, ne changent plus, et les mouvements historiques qui, au contraire, peuvent changer. (...) Le marxisme est un système de pensée, mais aussi un mouvement historique et, en tant que tel, il peut changer. Bien plus, il doit changer s'il veut survivre. Pensez au Parti communiste italien ». Évoquant le cas de la Yougoslavie et de l'évolution de certains marxistes hongrois, le cardinal souligne que, peu à peu « les marxistes moins fermés idéologiquement » considèrent la religion comme un phénomène beaucoup plus complexe que ne le pensaient les marxistes classiques. Ils découvrent que le christianisme a des valeurs éthiques qui font défaut et qui pourraient convenir au système socialiste. La délégation vaticane se rendra donc à Budapest sans illusions, mais aussi sans réserves qui rendent le dialogue impossible a priori.
\[Fin de la reproduction intégrale d'un article insensé de Georges Maffia, « envoyé spécial permanent à Rome », paru dans *La Croix* du 28 mai 1986.\]
============== fin du numéro 305.
[^1]: -- (1). Chanoine Barthas : *Les apparitions de Fatima* (Fayard 1952) ; *Fatima et les destins du monde* (Fatima-Éditions, Toulouse 1956) ; *Fatima, merveille du XX^e^ siècle* (id*.,* 1957) ; et subsidiairement : *De la Grotte au Chêne vert* (id., 1960). Il y a souvent dans le style du chanoine Barthas, et parfois dans ses allusions à des événements politiques contemporains, une sorte de simplicité naïve qui est déroutante pour des oreilles déformées par le ton affecté de la critique « scientifique ». Mais sa critique historique des événements de Fatima et l'interprétation qu'il en donne sont généralement d'une intelligente solidité.
[^2]: -- (2). « Prière d'engagement à renouveler utilement chaque jour » : ci-dessus en page 1.
[^3]: -- (3). Voir aussi : « Le secret de Fatima », dans ITINÉRAIRES, numéro 263 de mai 1982. A la page 8 de cet article, dans les « principaux extraits de la relation qu'en a faite Lucie », n'est pas citée la phrase : « *Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi* », en général omise par le chanoine Barthas, et dont la portée n'avait pas été remarquée.
[^4]: -- (4). Voir les documents dans ITINÉRAIRES, numéro 264 de juin 1982, pages 336 à 353.
[^5]: -- (5). ITINÉRAIRES, numéro 268 de décembre 1982, pp. 1 et 2.
[^6]: -- (1). *Toute la Vérité sur Fatima,* III *Le Troisième Secret* (*1942-1960*)*,* août 1985. Tout au long de cet exposé, -- dont le texte reproduit ici a été revu et quelque peu augmenté --, c'est à cet ouvrage que je renverrai le lecteur désireux d'informations plus précises.
[^7]: -- (2). *Op. cit.*, ch. II, *Le troisième Secret*, premières données historiques, 1943-1945 (pp. 29-43) et « Les destinataires du troisième Secret et la date de sa divulgation », pp. 310-319.
Je dois ici apporter une rectification concernant cette première période de l'histoire du Secret. A la suite de l'abbé Pierre Caillon, dans ses conférences sur « L'épopée mariale en notre temps » (diffusées par Téqui), j'ai cité (p. 319) le témoignage de l'archevêque de Lanciano. Cet évêque italien affirmait qu'en octobre 1956, en compagnie du nonce à Madrid dont il était alors secrétaire, il avait rendu visite à l'évêque de Coïmbra qui leur avait déclaré : « *J'ai dans mon tiroir la troisième partie du Secret de Fatima que Lucie m'a donnée. Elle m'a dit que je pouvais la lire, mais je n'ai aucune idée de la lire !* »
Ce témoignage, recueilli par l'abbé Caillon en août 1978, était de la plus haute importance, car il laissait croire que sœur Lucie avait écrit le Secret une seconde fois. Mais, interrogé de nouveau, avec insistance, par l'abbé Caillon, l'évêque de Lanciano reconnut finalement s'être trompé et avoir confondu... Leiria et Coïmbra ! La scène dont il avait gardé le souvenir avait eu lieu à l'évêché de Leiria et non à celui de Coïmbra ! Et les propos entendus, avaient été prononcés non point par Mgr Ernesto Sena de Oliveira, mais par Mgr da Silva, qui avait coutume, en effet, de répondre ainsi à tous ceux qui l'interrogeaient sur le troisième Secret (Lettre de l'abbé Pierre Caillon à l'auteur, 15 janvier 1986).
[^8]: -- (3). C'est du moins ce que Mère Pascalina Lehnert affirma au journaliste Robert Serrou, lors d'un reportage photographique au Vatican, le 14 mai 1957 (*op. cit.*, pp. 323-325).
[^9]: -- (4). *Op. cit.*, pp. 325-333.
[^10]: -- (5). *Op. cit.*, pp. 386-391.
[^11]: -- (6). Cf. l'exposé détaillé et la critique de cette thèse incohérente dans mon premier tome de *Toute la Vérité sur Fatima*, pp. 5-10 et 73-102.
[^12]: -- (7). *Op. cit.*, pp. 483-493.
[^13]: -- (8). Pour les conclusions que l'on peut tirer des "variations" du cardinal, voir la synopse des deux versions successives, *op. cit.*, pp. 553-568.
[^14]: -- (9). *Op. cit.*, pp. 386-401 ; 410-413.
[^15]: -- (10). *Op. cit.*, Les faux secrets, pp. 431-444.
[^16]: -- (11). La déclaration de sœur Lucie au P. Fuentes, en décembre 1957, dont je montre, à la suite du P. Alonso, l'incontestable authenticité (*op. cit.*, pp. 335-339 ; 367-370) est une saisissante synthèse du message de Fatima. Publié, dès 1962, dans les *Lettres à mes Amis*, puis en 1974 dans *La Contre-Réforme catholique au XX^e^ siècle* (n° 87, p. 12), ce texte, toujours aussi actuel, mérite de continuer à être diffusé.
[^17]: -- (12). *Op. cit.*, pp. 449-454.
[^18]: -- (13). Comme il était à prévoir, les propos tenus à Vienne, le 10 septembre 1984, par Mgr do Amaral et par le P. Kondor, ont été récemment remis en cause. Nous montrerons, dans l'article qui fait suite à cet exposé, que leur authenticité est si solidement établie qu'il est désormais trop tard pour tenter de la contester.
[^19]: -- (14). A notre connaissance, seuls le R.P. Antonio Maria Martins et le P. Geraldes Freire continuent à soutenir une autre hypothèse, selon laquelle le troisième Secret concernerait l'expansion du communisme au Portugal, dans ses colonies d'outre-mer et dans *le monde* entier (*op. cit.*, pp. 494-501).
[^20]: -- (15). *Op. cit.*, pp. 465-482.
[^21]: -- (16). *Op. cit.*, pp. 503-514.
[^22]: -- (17). *Op. cit.*, *La grande apostasie des derniers temps annoncée par les Écritures*, pp. 515-531 ; *Les trois Secrets de Fatima : une apocalypse pour le XX^e^ siècle*, pp. 533-552.
[^23]: -- (18). Cf. *Apparitions à Medjugorje ?*, tiré à part des études parues dans *La Contre-Réforme Catholique au XX^e^ siècle* de mai 1984 à octobre 1985 (n^os^ 200 à 215), 82 pages.
[^24]: -- (19). *Op. cit.*, tome II, p. 45.
[^25]: -- (1). Simone de Beauvoir a vu Sartre pleurer une fois. Ce ne fut pas sur le sort des juifs déportés ni celui des militants F.L.N. emprisonnés, mais vers 1937, quand le manuscrit de *La Nausée* fut refusé par les éditions Gallimard après première lecture.
[^26]: -- (1). Quatre réponses étant parvenues ultérieurement à PRÉSENT, l'étude d'ITINÉRAIRES porte en fait sur 605 questionnaires au lieu de 601.
[^27]: -- (2). Nous étions obligés de procéder ainsi, compte tenu de notre souhait de pouvoir laisser aux sondés la latitude de remplir leur questionnaire à tête reposée pour nous le renvoyer par la poste.
[^28]: -- (3). Allusion, sans doute, au soutien actif du quotidien de la rue d'Amboise à la campagne électorale du Front national.
[^29]: -- (1). Voir ITINÉRAIRES, numéro 288 de décembre 1984, pp. 18 et suiv. : texte latin, traduction française intégrale et annotée, communiqués, déclarations et commentaires.
[^30]: -- (2). Voir ITINÉRAIRES, numéro 294 de juin 1985, pp. 2 à 15.
[^31]: -- (3). CCFD = « Comité catholique contre la faim et pour le développement ». Voir ITINÉRAIRES, numéro 292 d'avril 1985 : « J'accuse le CCFD », par Claire Battefort ; et dans le présent numéro : « Le CCFD mis à nu », par Yves Daoudal.
[^32]: -- (1). Sur cette injustice, voir *La condamnation sauvage de Mgr Lefebvre*, numéro spécial hors série de la revue ITINÉRAIRES : de novembre 1974 à décembre 1976, soixante documents annotés, expliqués et commentés, 328 pages.
[^33]: -- (2). L'expression « cruels sectaires » est de Maurras lui-même dans son livre posthume : *Le Bienheureux Pie X, sauveur de la France* (Plon 1953), notamment pp. 167 et suiv.
[^34]: -- (1). Pie XII précise : « Nous prescrivons que l'imposition des mains soit physique ; néanmoins, pour écarter tout doute sur la validité du sacrement, nous le déclarons valide si l'imposition des mains n'est que morale. »
[^35]: -- (2). C'est là une règle valable dans toute l'Église latine.
[^36]: -- (3). Naturellement, pour une veuve qui se remarie, il dit : madame.
[^37]: -- (4). Si, par raison de pauvreté, les époux n'ont pas d'alliance, cette cérémonie est omise et le mariage n'en est pas moins valide. Si par la suite les époux se procurent des alliances, on les bénit en usant de cette formule.
[^38]: -- (5). Cette formule, qui est dans le rituel romain, ne doit jamais être omise ou remplacée par une autre. Elle n'est toutefois pas nécessaire à la validité du mariage.