# 308-12-86
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## ÉDITORIAL
### Fortifiez votre espace de défense intellectuelle
*JE me demande parfois si vous êtes bien persuadés, mais vraiment persuadés, que l'agression la plus violente subie par la population française est celle qui est perpétrée contre les consciences par les pouvoirs culturels.*
*Il y a deux pouvoirs culturels principaux. Il y a premièrement le service public de l'éducation nationale, énorme machinerie qui depuis trente ans dépense la totalité du produit de l'impôt sur le revenu, et qui est organisée, noyautée, campée comme un État dans l'État : elle n'arrive même plus à apprendre à lire, voyez le rapport Martinez, mais elle fabrique des esclaves idéologiques.*
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*Il y a deuxièmement le service public de la radio-télévision, dont le gouvernement* « *privatise* » *maintenant une partie tandis qu'il remet l'autre au pouvoir d'un conseil érigé en une sorte de haute-cour : mais l'ensemble de la radiotélévision reste entre les mains de la même classe intello-médiatique qui est moralement et intellectuellement pourrie, et qui est elle aussi constituée en État dans l'État.*
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*Ce sont là les deux instruments les plus massifs de la désintégration morale de l'État, de la société civile et de la société ecclésiastique. Ils nous enfoncent et nous enlisent dans une décomposition générale. Il y a aussi l'agression plus visible des attentats terroristes ? A la télévision ils n'ont pas de fusils ni de bombes, c'est vrai, -- mais c'est pire : le pousse-au-crime y est quotidien, et dans tous les registres, de l'impiété à la pornographie, de l'incivisme à l'avortement, de la drogue au terrorisme.*
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*C'est là qu'un quotidien de combat politique comme PRÉSENT, qu'une revue de combat culturel comme ITINÉRAIRES, ont une fonction indispensable. Car il s'agit bien d'un combat. Ceux qui croient charitable, évangélique ou que sais-je, de s'endormir sur le mol oreiller d'un pluralisme universel, y perdent progressivement tout sens critique, c'est-à-dire toute faculté de discernement, et se retrouvent chaque jour davantage décérébrés. Il faut lutter.*
*Bien sûr une revue, un journal ne peuvent pas tout, ne sont pas tout. Mais ils ne sont pas rien. Ils sont l'auxiliaire adéquat de ce combat spirituel.*
*A condition pourtant d'y être suffisamment aidés par leur public. C'est cette aide qu'une fois encore je vous demande en cette fin de l'année 1986.*
*Pour organiser plus fortement et pour étendre votre défense intellectuelle et morale contre l'agression politico-médiatique des pouvoirs culturels, il vous faut diffuser davantage votre presse.*
*Une campagne a été ouverte dans le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR et dans PRÉSENT : celle de l'abonnement-cadeau de Noël.*
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*Apportez-y chacun votre concours, isolément ou à plusieurs, selon vos moyens. Faites la chaîne, d'amitiés en amitiés, de prochain à prochain. Que votre programme de fin d'année soit un programme* « *abonner le prochain* »*. Multipliez les abonnements-cadeaux.*
*Il y a le petit cadeau à 615 F.*
*Il y a le grand cadeau à 2.000 F.*
*Les petits cadeaux pour entretenir l'amitié.*
*Le grand cadeau pour frapper un grand coup.*
*Ils vous attendent à l'avant-dernière page du présent numéro.*
*En étendant la diffusion et l'influence de PRÉSENT, le quotidien du combat politique, et d'ITINÉRAIRES, la revue du combat culturel, vous FORTIFIEREZ votre espace de défense intellectuelle, civique et religieuse.*
*C'est bien un RENFORT, c'est votre plus grand renfort, c'est ce renfort-là que je viens vous demander.*
Jean Madiran.
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## CHRONIQUES
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### Les médias pris la main dans le sac
par Jean-Marc Berthoud
Sous le titre « *Perspectives sur les droits de l'homme en Amérique centrale* » un important colloque international s'est tenu les 6 et 7 octobre 1986 à Genève dans le Grand Auditoire du Centre Interprofessionnel à la rue Saint-Jean. Ce colloque qui rassemblait des spécialistes de trois continents, était organisé par l'*Institut Économique de Paris* (organisme bien connu pour sa défense d'une économie libre de l'ingérence de l'État), conjointement avec la *Fondation Canovas del Castillo* de Madrid, la *Fondation Simon Bolivar* de Bogota, l'*Université Francisco Marroquin* du Guatemala et la *Inter-American Security Education Institute* de Washington. Le colloque fut présidé par M. Guy Plunier de l'*Institut Économique de Paris.* Ce colloque était largement ouvert au public ainsi qu'à la presse dont plus de 300 représentants avaient été invités.
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Il est difficile de surestimer l'importance de la réunion d'un colloque de ce genre rassemblant des personnalités de premier plan sur un tel sujet, aussi controversé que tragique. *Tragique* par les souffrances sans nombre imposées, souvent à des populations sans défense, soit par le terrorisme de l'État qui ne reconnaît plus les limites de l'exercice légitime de son pouvoir, soit par le terrorisme de groupes particuliers cherchant à se saisir de ce même pouvoir par tous les moyens, même les plus inimaginables de cruauté. *Controversé :* toute la question des *droits de l'homme* est devenue, dans le monde entier, spécialement par rapport à ce qui se passe en Amérique centrale, une arme de guerre culturelle et psycho-politique très puissante. Car il est évident aujourd'hui qu'à la guerre psycho-politique léniniste classique s'est ajoutée, grâce aux travaux d'Antonio Gramsci (1891-1937), une vision proprement culturelle de l'action révolutionnaire. Ce colloque donnait la possibilité de se faire une idée assez objective, quoique inévitablement partielle, de ce qui se passe véritablement en Amérique centrale, grâce aux témoignages de première main des nombreux acteurs et témoins présents à Genève.
Les deux journées ont débuté par une conférence magistrale, tant par le fond que par sa forme, de personnalités politiques sud-américaines éminentes. Le lundi matin, S. Exc. Misael Pastrana Borrero, ancien président de Colombie, ouvrit les débats. Le mardi ce fut le tour de S. Exc. Gonzales Facio, ancien ministre des affaires étrangères du Costa-Rica. Dans ces deux interventions de premier ordre MM. Pastrana et Facio nous ont dépeint, pour le premier, l'arrière-plan historique, économique et politique « sud-américain » qui est celui de l'Amérique centrale ; pour le second la place de ce conflit dans le contexte plus vaste de la lutte entre le communisme international et les nations libres de l'Occident. Il n'est guère possible ici de résumer les propos nets et courageux de ces deux conférenciers. Du premier, M. Pastrana, signalons simplement une observation intéressante qui allait conduire à un des thèmes qui domina le colloque tout entier. M. Pastrana nous signala le fait assez curieux que ceux qui s'élèvent contre ces infractions que nous appelons violations des « droits de l'homme » le font en général par rapport aux crimes de l'État contre ses citoyens.
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Des dénonciations pareilles ne sont que rarement entendues au sujet des violations des droits des citoyens par des groupes de terroristes. Du second, M. Facio, nous retiendrons de son exposé dense, robuste et fortement pensé une description précise de la présence libyenne, et cela depuis déjà plusieurs années, à Managua pour former des groupes de guérillas-terroristes, entraînés pour agir dans les États voisins. Cette aide libyenne est très appréciée des autorités sandinistes qui ne se donnent guère de peine pour la dissimuler, les médias internationaux se chargeant très efficacement de ne pas en parler. Le célèbre manuel libyen employé pour la formation des terroristes, le *Livre vert,* est systématiquement et ouvertement utilisé au Nicaragua pour la formation des forces d'intervention dans les pays voisins. Ces faits fort intéressants n'ont pas été transmis en Occident, ou du moins en Europe, par les médias qui prétendent nous informer, entre autres, sur le terrorisme.
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La suite des deux journées était consacrée à des tables rondes où des spécialistes s'exprimaient sur des questions précises et répondaient aux nombreuses interventions de l'auditoire. La première table ronde du lundi matin fut consacrée à la question générale des droits de l'homme. Vu l'imprécision et le caractère idéologique du vaste domaine des « droits de l'homme », les deux exposés théoriques consacrés à ce sujet ne furent pas très éclairants. Tant M. Juan Carlos Pastrana, président de la *Fondation Simon Bolivar* de Colombie, que M. Jurgen Aretz, responsable de la question des droits de l'homme en Amérique du Sud pour la conférence épiscopale de l'Allemagne de l'Ouest, donnèrent l'impression de confondre christianisme et humanitarisme athée en rapprochant la théorie des droits de l'homme, élaborée par les philosophes du siècle des Lumières, de la vision chrétienne de l'homme créé à l'image de Dieu.
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La question d'un participant demandant aux orateurs de définir de façon plus précise le véritable contenu des droits de l'homme, perçus dans une perspective chrétienne, ainsi que celle se référant au rapport exact, dans le détail des réalités sociales, politiques et juridiques, des droits de l'homme avec le droit existant, seule garantie sûre des libertés et des biens, furent élégamment escamotées. Mais la suite des exposés et des interventions de la salle allait fournir d'abondantes précisions sur ces questions essentielles.
Beaucoup plus intéressants et utiles furent les propos incisifs illustrés de faits précis de S. Exc. l'ambassadeur Emilio Beladiez, directeur de la *Fondation Canovas del.Castillo* de Madrid. Il attira, lui aussi, notre attention sur la double norme qui prévaut dans le domaine de la défense des droits de l'homme. Il illustra son propos en nous signalant le fait que lorsqu'un touriste se promène sur la place Dzerjinski à Moscou tout en admirant le théâtre Bolchoï devant lui, il marche littéralement sur la tête des prisonniers de la Loubianka dont certains des locaux se trouvent sous cette place. Il attira également notre attention sur le fait que le gouvernement socialiste de Felipe Gonzales, en intervenant inconstitutionnellement dans la nomination des juges de la Cour Suprême d'Espagne, préparait pour l'avenir de nombreuses violations des droits de l'homme (en d'autres termes des illégalités et des injustices) en détraquant, comme il le faisait, la séparation des pouvoirs judiciaire et politique.
De son côté Jaime Suchlicki, professeur d'histoire à l'*Université de Miami,* éclaira fortement toute la situation dans laquelle se trouve l'Amérique centrale en brossant pour nous un tableau succinct, mais fort différencié, de l'arrière-plan politique ethnique, économique et militaire de cette région. Il nous expliqua qu'une des causes fondamentales de l'insécurité, de l'instabilité et de la violence dans cette partie du monde, ainsi que la fragilité des régimes démocratiques en place dans la plupart de ces pays, provenait de la faiblesse numérique des élites politiques. Il nous montra comment, dans cette question des droits de l'homme, chaque groupe social avait une tendance marquée à définir ces droits selon son propre intérêt, tirant ainsi la couverture idéologique de son côté.
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Cela nous ramène évidemment à la nécessité de définir le contenu de ces « droits » de façon précise, à la lumière de normes absolues de justice, la loi transcendante de Dieu, et de les rattacher de manière beaucoup plus détaillée au droit existant. Sans cela cette revendication de justice qu'exprime le souci de défendre les droits de l'homme sera manipulée au gré des intérêts et des revendications de chacun.
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L'après-midi du lundi fut consacrée à trois tables rondes fort instructives sur la situation exacte des infractions aux droits de l'homme dans trois pays d'Amérique centrale, le Salvador, le Guatemala et le Nicaragua.
En ce qui concerne le Salvador, M. Ernesto Rivas-Gallant, ambassadeur itinérant de son pays, nous donna un aperçu de la nature atroce et aveugle des massacres de citoyens non-armés par des terroristes révolutionnaires appuyés par les sandinistes du Nicaragua. Il nous parla également de la riposte de plus en plus efficace des forces armées qui étaient parvenues à juguler, dans une grande mesure, ce fléau. Cette évolution semblerait être en rapport avec la réforme agraire qui se poursuit normalement. Des moyens très importants ont également été mis en œuvre pour enrayer la violence arbitraire des forces de l'ordre, que ce soit dans les opérations militaires et de police ou dans les conditions de détention des prisonniers. Illustrant son propos par un film instructif, Mgr Freddy Delgado, ancien secrétaire de la conférence des évêques catholiques salvadoriens et conseiller de la commission des droits de l'homme de son pays, nous décrivit l'importante campagne mise sur pied par l'Église catholique du Salvador, avec l'appui des autorités ; pour donner aux forces de l'ordre une formation se rapportant aux « Droits de l'homme », c'est-à-dire une instruction sur les limites morales de l'usage de la force par les pouvoirs de l'État. Le fruit de cette campagne s'est rapidement manifesté, tant par une diminution importante des actions arbitraires de l'armée contre les populations civiles (un nombre important de militaires ont été condamnés pour divers abus), que par la disparition de la torture dans les prisons.
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Ces dernières ont été totalement ouvertes à l'inspection d'organismes compétents, tels la Croix Rouge et diverses commissions de défense des droits de l'homme.
M. José Antonio Montes, ancien ministre-conseiller de son pays aux États-Unis, nous décrivit une semblable amélioration en ce qui concerne le Guatemala. Une des interventions les plus intéressantes du colloque fut celle du professeur Juan Fernando Bendfeldt qui enseigne l'économie et l'éthique à l'*Université Francisco Marroquin* du Guatemala. Il fit remarquer que la plupart des interventions n'attiraient guère l'attention sur l'importance de la défense du droit de propriété pour le maintien des libertés civiques et personnelles et qu'une telle omission ouvrait la voie à la domination de plus en plus grande de l'État sur toute la société. Il montra également comment l'interventionnisme croissant de l'État au Guatemala, en particulier depuis l'instauration du régime démocratique, avait profondément affaibli l'économie du pays, augmenté dans des proportions considérables la dette extérieure et conduit à de nombreuses mesures bureaucratiques de l'administration limitant fortement les libertés économiques. Une telle croissance de la puissance de l'État ne peut conduire qu'à l'affaiblissement des libertés individuelles et de l'indépendance des communautés naturelles dont la société est composée. Ici nous voyons un autre aspect de cette partialité dans la description courante des violations des droits de l'homme : les atteintes au droit de propriété n'y sont quasiment jamais mentionnées. L'aspect socialisant d'une proportion considérable des actions entreprises en faveur des « droits de l'homme » en ressort d'autant plus fortement. La suppression graduelle des libertés économiques ouvre la voie au socialisme totalitaire qui s'installe, non par la violence mais en douceur, et souvent à l'insu des populations.
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Pour ce qui concerne les injustices perpétrées en Amérique centrale, l'intervention la plus saisissante fut indubitablement celle de José Esteban Gonzalez, président de la *Commission Permanente Nicaraguayenne des Droits de l'Homme.* Mais avant de l'entendre, Mgr Pablo Antonio Vega, évêque en exil de Juigalpa au Nicaragua, nous montra les rapports inévitables entre un quiétisme religieux (qui ne connaît pas véritablement le Dieu Créateur et Sauveur, Père, Fils et Saint-Esprit et qui, en conséquence, passe à côté de la véritable conversion qui conduit à un dynamisme qui cherche l'application pratique de l'éthique chrétienne) et la passivité face aux misères de la vie. Une telle attitude conduit également ceux qui s'y abandonnent à attendre tout de l'action providentielle de l'État marxiste. Dans un langage imagé et avec beaucoup de chaleur, il nous appela à assumer dans le domaine social, dans ceux de l'économie, de la politique et de la culture les responsabilités qui incombent aux enfants de Dieu. Un tel dynamisme éthique chrétien seul peut, selon Mgr Vega, rompre le cercle vicieux qui prévaut si souvent en Amérique latine où l'on passe constamment de la passivité fataliste du peuple à la dictature d'une élite. L'abandon à la dictature totalitaire marxiste ne fait que renforcer cette tendance immémoriale.
M. Gonzalez nous donna ensuite un tableau saisissant des violations des droits de l'homme, en fait des injustices et des crimes sans nombre perpétrés par l'État au Nicaragua, tant somoziste que sandiniste. Il attira également notre attention sur les méfaits et les abus des Contras dans leur lutte contre le F.S.L.N. (Front Sandiniste de Libération du Nicaragua). Son combat contre les crimes perpétrés par l'État au Nicaragua date de l'époque de Somoza et s'est simplement poursuivi dans le cadre du régime marxiste depuis 1979. Il s'affirme ouvertement comme un sandiniste impénitent, accusant le F.S.L.N. d'avoir trahi la cause de la Révolution, selon lui toujours aussi indispensable au Nicaragua. L'essentiel de son exposé fut consacré à une description, sous forme de témoignage personnel, des crimes commis par l'État depuis la prise du pouvoir par les sandinistes au Nicaragua.
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Mais cela ne l'empêcha aucunement de s'opposer avec la plus grande vigueur à toute solution militaire aux problèmes de son pays et de critiquer avec beaucoup d'énergie les crimes de guerre commis par les forces des Contras (dont deux des dirigeants importants étaient présents dans la salle). Il s'affirma partisan d'une solution purement interne et pacifique au drame que vit le Nicaragua aujourd'hui. Par contre, M. Gonzalez ne nous a rien dit de son opposition aux crimes commis sur la population par les forces sandinistes avant leur prise du pouvoir ni aux sévices horribles commis par des forces semblables organisées au Nicaragua qui sèment destruction, mort et terreur dans les pays voisins. Selon le témoignage de M. Gonzalez les sévices du F.S.L.N. contre la population du Nicaragua dateraient du début même de l'exercice par les dirigeants sandinistes du pouvoir. Dès 1979 il y eut de nombreuses violations des droits de l'homme au Nicaragua, de nombreuses exécutions sommaires, des fosses communes de personnes assassinées par l'État révolutionnaire, l'usage systématique de la torture dans les prisons. Ces crimes de l'État marxiste ont continué sans interruption depuis ; ils persistent aujourd'hui sans diminution. Ils sont inhérents à la dictature sandiniste. Le témoignage de M. Gonzalez nous donna de nombreux exemples concrets, observés de première main par lui-même, du caractère totalement inhumain du régime en place à Managua. Son pacifisme ambigu qui semblerait provenir d'une certaine confusion de l'Évangile et de la politique, caractéristique d'une pensée démocrate-chrétienne (tributaire des idées de Jacques Maritain ?) et son opposition farouche aux Contras donne à son témoignage une force saisissante.
#### La forfaiture d'Amnesty International
Par ailleurs, en citant également de nombreux exemples concrets, M. Gonzalez nous laissa entrevoir à quel point diverses organisations humanitaires camouflent, ou simplement étouffent, les informations qui leur sont communiquées sur les injustices et les crimes commis par l'État communiste qui tyrannise le peuple du Nicaragua.
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Il s'attacha tout particulièrement au cas d'Amnesty International, organisation dont il est lui-même membre de longue date, et qui a été informée dès 1979 des crimes du régime sandiniste par le Comité Nicaraguayen des Droits de l'Homme. Ces informations, acheminées régulièrement au siège central d'Amnesty à Londres, ont tout simplement été étouffées par cette organisation humanitaire. Deux rapports d'Amnesty auraient été consacrés au Nicaragua, mais lors de ses voyages à travers l'Europe M. Gonzalez découvrit qu'il était tout simplement impossible de les obtenir dans aucun des sièges nationaux de cette organisation. Partout on lui déclarait que les documents en question étaient ou épuisés, ou pas encore publiés. Bien qu'il ait pu obtenir une photocopie du dernier rapport sur le Nicaragua en espagnol à Lisbonne, on a eu le culot de lui dire à Madrid que le texte qui se trouvait dans sa serviette n'avait pas encore été publié. C'est ainsi que certaines organisations humanitaires, tout en donnant l'illusion d'une véritable impartialité en publiant des rapports sur les crimes commis par certains États contre leurs citoyens, font en sorte que ces informations ne soient pas connues en empêchant la diffusion de leurs propres rapports. Ici le propos de M. Gonzalez rejoignait de manière remarquable cette préoccupation du colloque que nous avons déjà signalée l'information sélective diffusée par de nombreux organismes humanitaires internationaux et par la plus grande partie des médias.
#### M. Cruz parle
Le mardi 7 octobre, après la conférence magistrale de M. Facio qui situait toute la question soulevée par le colloque dans son cadre international, nous avons eu droit à un des hauts points de toute la rencontre :
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la table ronde rassemblant trois journalistes, auxquels s'était joint M. Arturo Cruz, un des deux chefs des Contras présents (l'autre était M. Adolfo Calero). M. Cruz nous parla, d'une part, des efforts entrepris par les forces contre-révolutionnaires pour limiter les abus perpétrés par leurs troupes dans le cadre d'actions militaires clandestines où il n'est pas toujours facile de tenir ses troupes parfaitement en main ; d'autre part il nous expliqua les nombreuses tentatives des Contras pour entamer un dialogue constructif avec le gouvernement sandiniste en vue du rétablissement au Nicaragua d'un régime politique où pourraient co-exister les différentes tendances dont le pays était constitué. Ces propositions se sont constamment heurtées au refus absolu du F.S.N.L. d'entrer en matière. La dictature du prolétariat dans un régime marxiste-léniniste n'est, évidemment, pas négociable. Arturo Cruz donna l'impression d'un homme paisible, modéré et nullement fanatique, véritablement soucieux du bien de son pays, ayant été contraint par la cruauté du régime dictatorial qui écrase son peuple à prendre les armes.
#### Le fonctionnement du mensonge
Hildegard Stausberg, rédactrice pour les affaires latino-américaines du *Frankfurter Algemeine Zeitung* nous fit part de son expérience concrète en Amérique centrale et des immenses difficultés qu'elle avait rencontrées, en dehors de son journal, pour faire entendre, en Europe du moins, la vérité sur ce qui se passait réellement dans cette partie du monde. Elle constatait dans les médias de l'Europe de l'Ouest un intérêt tout à fait sélectif quant aux informations relatives aux crimes politiques commis dans la région silence sur les méfaits du gouvernement nicaraguayen à l'intérieur du pays et des terroristes et guérilleros expédiés par lui dans les pays voisins ; gonflage hors de toute proportion des méfaits des forces contre-révolutionnaires anti-communistes luttant au Nicaragua et de ceux commis par les armées des États agressés par la guerre révolutionnaire qui leur est faite à partir du Nicaragua.
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Ce colloque donna l'occasion de constater le fonctionnement de ce processus de mensonge sur place. Plus de 300 journalistes des divers médias avaient été convoqués. Très peu ont profité du privilège de s'informer directement auprès des personnalités d'Amérique centrale présentes. Même les représentants des journaux prétendument « conservateurs » de Suisse romande ont brillé par leur absence. Seuls quelques représentants de la presse de gauche suisse étaient présents lors de ces deux journées. Le *Journal de Genève* du lundi 7 octobre 1986 consacra son éditorial au thème : « Nicaragua : pour ou contre », répercutant uniquement les banalités d'usage sur cette question, renvoyant dos à dos le sandinisme et l'administration américaine comme faisant également partie de ce qu'il appelait « le système pervers ». Évidemment, aucun effort n'avait été fait par ce journal pour s'informer du contenu des débats du colloque, comme si l'information de ses lecteurs était en fait le dernier de ses soucis. Par contre, tant ce journal bourgeois que *La Suisse,* autre quotidien genevois situé, lui, nettement plus à gauche, ont consacré des articles à la manifestation communiste et gauchiste-chrétienne organisée devant le bâtiment où se tenait le colloque, *La Suisse* donnant même la parole au compagnon de route genevois bien connu, le marxiste Jean Ziegler. Il était évidemment trop difficile pour ces journaux de demander à leurs journalistes de faire quelques pas de plus et de pénétrer dans la salle de conférences afin d'informer l'opinion genevoise du point de vue de personnalités marquantes du monde politique d'Amérique centrale. Il devient de plus en plus clair que le but poursuivi par *la plus grande partie* des médias n'est nullement l'information du public. Bien au contraire, ce qu'on appelle bien à tort « l'information » sert uniquement à créer un climat favorable à une option politique particulière.
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C'est cet aspect des problèmes que nous posent aujourd'hui les moyens modernes de communication que chercha à éclairer le participant suivant à cette table ronde. M. Francis Balle, vice-chancelier de l'Université de Paris et ancien directeur de l'*Institut Français de Presse,* nous parla d'abord de ses expériences récentes lors d'un voyage de presse effectué au Salvador et au Nicaragua, où il avait pu voir de ses propres yeux la nature véritablement tragique d'une situation occultée, du moins pour lui, par les médias. Il fut obligé de constater *la discordance radicale entre son expérience concrète dans ces deux pays et l'image qu'en répercutaient les médias européens.* M. Balle tenta de nous esquisser une explication de cette dichotomie entre réalité et information, de ce déséquilibre constant constatable dans les informations diffusées par les médias, de cette sympathie continuellement sélective que l'on trouve dans les journaux et les revues, dans la radio et la télévision. Il s'appuyait sur les recherches de Serge Tchakotine (*Le viol des foules par la propagande politique,* Paris, Gallimard, 1952). Tchakotine avait découvert le mécanisme à la base des succès de propagande de Goebbels qui appuyait la propagande nazie sur l'instinct de conservation. M. Balle nous expliqua le mécanisme psychologique sur lequel, de manière très semblable, se fondait l'action perverse des médias modernes pour faire avaler au public une propagande, déguisée en information partiale, partielle et tout simplement mensongère. Il fit remarquer la distinction essentielle entre deux notions fondamentales, l' « idéal » d'une part, et l' « idéologie », de l'autre. L' « idéal » serait un but moral élevé, personnel ou social, que l'on s'efforce, petit à petit, d'atteindre. Comme tel il est inoffensif et, dépendant de la valeur de l'idéal, souvent bénéfique, tant socialement que personnellement. Tout autre est l' « idéologie ». L' « idéologie » est un système de justification intellectuelle de diverses entreprises politiques. Une telle justification intellectuelle de visées politiques prend très rapidement l'allure d'un dogme systématique, absolu, intouchable. Ce que constate M. Balle de manière très générale c'est que les manipulateurs de l'opinion, disciples, certes inconscients, des grands propagandistes totalitaires du passé, journalistes, hommes des médias et ceux qui leurs donnent leurs consignes, n'utilisent plus, comme le faisait Goebbels, l'instinct de conservation comme moteur émotionnel de leur propagande, mais *les bons sentiments,* le sens de l'idéal.
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Celui-ci ainsi détourné de sa fonction normale, nécessaire et utile, devient l'instrument d'un blocage intellectuel de nature émotive qui rend celui qui s'y soumet incapable de reconnaître la réalité dès qu'elle sort du schéma dans lequel elle a été enfermée. C'est ainsi que sont utilisés les sentiments en faveur de la paix, de l'aide du prochain, de la défense des droits de l'homme pour des buts qui leur sont radicalement contraires. C'est ainsi que l'on rend d'innombrables hommes « de bonne volonté » non seulement incapables de reconnaître la vérité où qu'elle soit, mais qu'on leur enlève même, comme nous l'avons vu par ce colloque, tout désir de la découvrir. C'est ainsi que les sentiments généreux des jeunes sont détournés de manière très habile vers des fins qui leur sont totalement contraires sans que ceux qui sont l'objet de ce détournement aient la moindre idée de ce qui leur arrive et sans qu'ils puissent sortir de cet *esclavage idéologique* dans lequel ils se sont enfermés. C'est pour cette raison que ces idéalistes pervertis par l'idéologie sont totalement inaccessibles aux évidences de la réalité et aux arguments de la raison. Seul un violent choc de tout leur être -- tel celui que subit le jeune cadre communiste Alexandre Soljénitsyne, par son expérience du goulag -- peut les délivrer de cet esclavage intellectuel et émotionnel. Les arts ainsi que le système éducatif participent très largement à ce processus de propagande. Cela explique l'état effrayant d'anémie intellectuelle dans lequel se trouvent toutes nos élites si longuement éduquées. La Bible nous parle très clairement de ce phénomène aussi ancien que le péché et le mensonge. Le prophète Isaïe ne parlait-il pas d'un peuple aveugle bien qu'il ait des yeux, des hommes sourds, bien qu'ils aient des oreilles (Isaïe, 43,8). Et le Christ lui-même citait Isaïe en parlant des juifs de son temps :
« *Vous entendrez bien, et vous ne comprendrez point, vous regarderez bien, et vous ne verrez point. Car le cœur de ce peuple est devenu insensible ; ils se sont bouché les oreilles, et ils ont fermé les yeux, de peur de voir de leurs yeux, d'entendre de leurs oreilles, de comprendre de leurs cœurs, et de se convertir en sorte que je les guérisse.* » (Matthieu, 13, 14-15.)
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Les hommes pris au piège du blocage de leurs bons sentiments sur des systèmes de justification politique sont comme les juifs auxquels Jésus-Christ s'adressait quand il disait d'eux : « *En voyant ils ne voient pas, en entendant ils n'entendent ni ne comprennent.* » (Matthieu 13, 13.)
Sur un plan plus général il s'agit de l'état de ceux dont parle l'apôtre Paul dans sa deuxième épître aux chrétiens de Thessalonique quand il décrit l'influence qu'exercera un jour sur le monde tout entier un esprit de mensonge que Dieu Lui-même envoie à ceux qui ont en même temps la haine de la vérité et l'amour de l'injustice :
« *Dieu leur envoie une puissance d'égarement, pour qu'ils croient au mensonge, afin que soient jugés ceux qui n'ont pas cru à la vérité, mais qui ont pris plaisir à l'injustice.* » (2 Thessaloniciens, 2, 11-12.)
Ces conclusions bibliques n'étaient certes pas celles de notre conférencier mais elles sont manifestement dans la ligne de son analyse d'une lucidité vraiment extraordinaire.
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M. Jean-Pierre Moreau, du *Figaro-Magazine,* nous donna ensuite une application directe de ce que venait de nous expliquer M. Balle. Il analysa d'abord les réactions unilatérales, non-informées et absurdes des médias genevois au colloque auquel nous assistions. Il nous montra ensuite que la dissolution du mythe sandiniste par ceux qui l'avait créé et cru était tout simplement impossible pour la bonne raison qu'il s'agissait du modèle irremplaçable de cet instrument de guérison de plaies sociales de l'Amérique du sud par le mariage du marxisme et du christianisme, le christianisme dans cette alliance jouant le rôle des bons sentiments qui devaient être fixés sur l'idéologie marxiste. Il nous donna l'exemple de ce qu'il avait vu dans les bureaux administratifs du diocèse de Sao Paolo au Brésil où les murs étaient ornés d'affiches vantant la révolution chrétienne-marxiste des sandinistes au Nicaragua.
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Il termina son exposé par une citation remarquable tirée de la *Revue Militaire Soviétique* qui, selon l'authentique tradition chrétienne, accompagnait la déclaration des droits du soldat-citoyen d'une déclaration complémentaire de ses *devoirs.* Ces devoirs étaient évidemment entièrement au bénéfice du dieu de cette société impie, l'État soviétique. Mais comme le faisait remarquer M. Gonzalez dans une de ses nombreuses interventions, « *les enfants de ce siècle sont plus rusés que les enfants de lumière* »*.* Les communistes soviétiques ont compris que les droits ne peuvent être séparés de ce qui leur donne réalité, les devoirs des citoyens, sans les transformer en ces bons sentiments si dangereux lorsqu'ils sont les alliés d'une idéologie. Comme d'habitude les Soviétiques ont compris que leur idéologie mariée aux bons sentiments est utile pour établir ces blocages idéologiques si nécessaires à l'action révolutionnaire mais ne valent rien pour la construction d'une société, même totalitaire. Les lendemains qui chantent sont cet enfer dont le chemin est pavé de bonnes intentions.
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Le colloque se poursuivit le mardi après-midi sous la direction du Dr L. Francis Bouchey, président du *Conseil des Affaires Inter-Américaines.* Nous avons tout d'abord entendu le témoignage particulièrement émouvant de Mme Kathleen Barmon, conseillère pendant plusieurs années pour les droits de l'homme à l'ambassade des États-Unis au Salvador. Elle nous parla de l'amélioration remarquable qu'elle avait pu constater dans ce pays en ce qui concernait le traitement des prisonniers. Mais elle nous fournit des exemples nouveaux de cette double norme qui pervertit aujourd'hui tout le domaine de l'information. A mesure que s'améliorait le traitement des prisonniers dans les prisons salvadoriennes, les attaques contre le gouvernement du Salvador pour des méfaits, imaginaires pour la plupart, augmentaient en fréquence et en virulence. Elle raconta comment elle avait été dupée par une de ses informatrices sur les infractions aux droits de l'homme dans le Salvador.
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Cette informatrice, tant qu'elle racontait des mensonges, était acceptée et suivie par l'ensemble de la presse. Mais dès l'instant où elle se décida à rompre avec les forces révolutionnaires et à dire publiquement la vérité, les journalistes n'ont plus voulu l'entendre.
Nous nous trouvons toujours au cœur de notre problème : les normes doubles des médias, leur amour du mensonge et leur refus systématique de toute vérité, de toute réalité n'entrant pas dans le cadre idéologique absolutiste et dogmatique de la défense systématique d'une position politique préalable. Ainsi doivent à tout prix être défendues les pires injustices d'un régime sans foi ni loi pour que ne soient pas ébranlés les fondements émotionnels et religieux de ceux qui ont permis à leurs bons sentiments d'être pris en charge par un dogmatisme politique.
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Ce témoignage fut suivi d'une intervention beaucoup plus robuste et combative de Leopoldo Castillo, député vénézuélien et ancien ambassadeur de son pays au Salvador. Son intervention fut marquée par un réalisme politique qui n'était pas encore apparu dans les propos précédemment exprimés. Il nous décrivit d'une part la relation organique qui existe entre le terrorisme ou la guérilla (tels qu'ils se manifestent en Amérique centrale) et l'action des médias. En se référant aux développements que Gramsci a donnés aux principes classiques de la guerre révolutionnaire, il nous a montré à quel point *la violence terroriste est indispensable à la révolution culturelle,* forme moderne de la révolution que l'on peut constater en marche dans tous les pays de l'Occident. Une dialectique révolutionnaire s'établit ainsi entre action violente et transformation de la culture -- dans tous ses aspects -- en vue de l'établissement graduel en Occident d'une mentalité nouvelle. Une fois cette mentalité en place, la révolution n'aurait plus de raison d'être, l'action violente ayant perdu toute utilité.
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Par ailleurs, toutes les forces travaillant à cette révolution culturelle en douceur doivent être mobilisées pour soutenir telle ou telle action violente là où elle se manifeste, particulièrement aujourd'hui en Amérique centrale. C'est contre ce modèle *terroriste-médiatique* qu'il faut résolument se battre. Pour ce qui concerne le terrorisme il ne suffit pas de lutter par des forces spirituelles, telle celle de la diffusion par tous les moyens de la vérité comme le suggère Soljénitsyne. Sur le plan du terrorisme de groupuscules ou de celui de l'État, comme c'est le cas avec le Nicaragua, les moyens pacifiques préconisés par M. Gonzalez sont nettement inadéquats. A un mouvement qui n'est fait que de force brute il faut opposer une force supérieure. En d'autres termes, un régime monolithiquement fondé sur la seule force, tel celui des sandinistes au Nicaragua, ne peut être renversé que par une force supérieure, c'est-à-dire par une action *militaire* d'envergure. Mais cet avis raisonnable rencontre dans les circonstances présentes des difficultés politiques considérables.
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Cette proposition réaliste qu'il était bien nécessaire d'entendre fut suivie d'un témoignage puissant et profondément émouvant de Mgr Bismarck Carballo, porte-parole de l'archevêché catholique de Managua. Au nom de la conférence épiscopale du Nicaragua, Mgr Carballo nous a fait part de façon sobre et détaillée de la persécution systématique dont est actuellement l'objet l'Église catholique ainsi que tous les chrétiens du pays. Si le réalisme de M. Castillo est indispensable à toute action politique, le réalisme supérieur de la foi l'est davantage encore. Car la bataille que nous avons décrite est bien militaire, politique et culturelle. Mais, bien plus encore, il s'agit d'une véritable guerre spirituelle et l'issue de cette bataille dépend avant tout de Celui qui est le Chef suprême des armées au service du bien, Celui que la Sainte Écriture appelle le Dieu des Armées, Jésus-Christ, Chef tant du spirituel que du matériel, tant de l'Église que des nations de ce monde.
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C'est Dieu seul, Père, Fils et Saint-Esprit qui peut nous donner la victoire sur les disciples de celui qui depuis toujours a été non seulement meurtrier et père de tous ceux qui mettent leur confiance en la violence, mais aussi le père du mensonge et maître de ceux qui s'appuient sur toutes les astuces de la tromperie.
Jean-Marc Berthoud.
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### Pourquoi le Liban
par Bernard Antony
JE M'INTÉRESSE, en ce moment, au Liban, pays de culture française, lié au nôtre par plus de mille ans d'histoire. Je m'y intéresse parce que se joue là, j'en suis persuadé, une phase décisive de notre histoire.
Ce qui se passe au Liban est simple, beaucoup plus simple qu'on essaye de le faire croire. Depuis l'apparition de l'Islam au VII^e^ siècle, les Chrétiens du Liban, accrochés à leur montagne ont, cas unique dans le Moyen-Orient, maintenu, face au monde arabe musulman, leur identité. Ce, au prix, de siècle en siècle, d'effroyables massacres. En 1860, les Musulmans et les Druzes (secte locale très curieuse), appuyés par les Turcs, massacrèrent plus de cent cinquante mille Chrétiens, soit le tiers de la population. L'armée française, envoyée là-bas par Napoléon III, sauva le reste.
En 1915, les massacres recommencèrent.
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A l'issue de la Guerre, le Liban devint un protectorat français et connut alors des années de paix. En 1943, le général de Gaulle et les alliés décidèrent de lui donner son indépendance.
En 1948, l'État voisin d'Israël fut proclamé. Pour se faire de la place, les Israéliens chassèrent alors les Palestiniens installés depuis toujours en ces lieux. Quatre cent mille Palestiniens environ se réfugièrent en Jordanie, six cent mille s'abritèrent au Liban. Ils y furent accueillis très charitablement par les Chrétiens du Liban, beaucoup plus que par les Libanais musulmans. Ce fut même au Liban une grande opération d'aide au « pote palestinien ». Hélas, au lieu de remercier leurs hôtes, les Palestiniens transformèrent leurs quartiers d'accueil en camps retranchés, organisèrent leur police et leur armée, se mirent à tenir le haut du pavé, se considérant en territoire conquis.
Aussi, l'opération « Touche pas à mon pote » se termina au Liban par la nécessité pour les Chrétiens de reconquérir maison par maison, rue par rue, Beyrouth dont ils étaient peu à peu chassés. C'est alors que la Syrie intervint, se mêlant de vouloir rétablir l'ordre... à son profit et bien sûr d'en finir avec le dernier État chrétien du Moyen-Orient.
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La situation aujourd'hui est la suivante : sur les trois-quarts du territoire, les Chrétiens ont été chassés par centaines de milliers. Des dizaines de milliers ont été massacrés par les diverses communautés musulmanes. Le Liban chrétien, ce n'est plus aujourd'hui que deux morceaux du territoire : au Sud, une zone défendue par l'armée du général Lahad que soutient Israël, au Nord, la moitié de Beyrouth et mille kilomètres carrés de montagne, c'est ce que l'on appelle le « réduit chrétien ».
Partout ailleurs, les Syriens essayent d'imposer leur ordre aux différentes communautés et aux différentes milices. Ils occupent aussi déjà des villes et villages encore chrétiens dont la population subit leur joug. Mais surtout, ils veulent s'emparer du réduit.
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Je connais bien le réduit, Beyrouth-Est, les villages de la côte et de la montagne, son peuple si accueillant.
Depuis des années, ce peuple a subi des bombardements épouvantables ; des voitures piégées ont fait des centaines de morts et des milliers de victimes. Ce peuple fait corps autour de son armée et participe massivement à la Résistance Chrétienne des Forces Libanaises.
Mais, en zone occupée, les Syriens, il est vrai, ont trouvé des collaborateurs dans la population chrétienne. Certains sont des Chrétiens, simplement en ce sens qu'ils ne sont pas musulmans ! C'est ainsi qu'en réalité, les frères Abdallah sont chrétiens un peu comme Georges Marchais qui lui aussi a été baptisé ! Beaucoup de terroristes d'extrême gauche, Basques ou Irlandais, ou d'Action Directe, sont aussi, à l'origine, des Chrétiens !
Or, la vérité c'est, répétons-le, que ces drôles de paroissiens, style frères Abdallah, ayant de drôles d'évêques, style Monseigneur Capucci (en France aussi, on a nos évêques d'extrême gauche), sont les agents de la Syrie, dont l'armée est encadrée et pourvue en matériel par les Soviétiques.
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Je me devais d'expliquer cela pour que vous puissiez comprendre mon indignation, mon écœurement profond lorsque l'on essaye à la télévision ou à la radio d'accréditer l'idée que les terroristes de la rue de Rennes sont les Chrétiens du Liban !
Mais la vérité c'est que depuis belle lurette Jacques Chirac a partie liée avec les Syriens.
La vérité c'est que depuis toujours il est acquis à l'idée que le Liban chrétien doit être de gré ou de force intégrés la Syrie. Peu importe que les Chrétiens soient alors réduits à l'état de « Dhimmis », c'est-à-dire de citoyens de seconde classe, ayant le droit de payer la dîme au pouvoir islamique et de se taire.
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Et c'est ainsi que les terroristes de Paris, Abdallah ou autres, manipulés par les Syriens, ont parfaitement atteint leur but. Une propagande habile permet en effet de confondre les victimes, Chrétiens libanais, et leurs assassins qui tuent à Paris comme ils tuent depuis des années à Beyrouth. Jacques Chirac a dépassé les bornes de l'indécence politique. « Nous frapperons au cœur les États instigateurs du terrorisme » a-t-il déclaré parmi mille rodomontades de Tartarin. La réalité, c'est que le Monsignore terroriste Capucci, ami de Khomeiny, a pu visiter l'Abdallah emprisonné à la Santé ! Jacques Chirac a prétendu qu'il n'était pas au courant de cette visite ! Ou c'est vrai, et alors Monsieur le Premier Ministre n'est pas du tout informé par son Ministre de l'Intérieur. Ou c'est faux, ce qui est probable, et Jacques Chirac se moque des Français.
La vérité c'est que Chirac et Pasqua négocient avec la Syrie terroriste sur une base simple : ne tuez plus chez nous, mais feu vert pour exterminer si besoin est les Chrétiens (les vrais) du Liban ! Cela passera bien dans l'opinion maintenant qu'on les prend tous pour des Abdallah...
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Je devais, fin octobre, diriger à Nice un grand congrès de soutien aux Chrétiens du Liban. J'assume en effet la responsabilité de l'aide à mille cinq cents petits orphelins rescapés dont les parents ont été massacrés par les hordes druzes, palestiniennes ou syriennes.
On m'a interdit ce congrès, pour des raisons de sécurité. Cela constituait, m'a-t-on expliqué, une provocation à l'égard des... terroristes ! Merci pour ces derniers, ils ont tout lieu d'être satisfaits. Mais je pense à mes petits orphelins, eux, ils peuvent bien crever de faim, merci Chirac.
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29:308
Chers amis qui me lisez, peut-être penserez-vous que le Liban est bien lointain, que j'ai tort de quitter les perspectives des monts de Lacaune, de l'Albigeois ou du pays Castrais.
Alors, reprochez-moi d'avoir, grâce à l'action du Comité Chrétienté-Solidarité France-Liban, en partie permis de maintenir l'enseignement en français dans certaines écoles du Liban chrétien que les Américains étaient prêts à financer si l'enseignement était donné en langue anglaise. Reprochez-moi d'être chrétien et français.
Reprochez-moi de ne pas me résoudre à accepter que nos soldats meurent là-bas pour rien, alors qu'ils pourraient défendre les Chrétiens du Liban qui depuis des siècles aiment tant la France.
Reprochez au député européen que je suis de vouloir défendre, coûte que coûte, le prestige de l'Europe et de la France en Orient.
Reprochez-moi enfin de vous dire que ce qui se passe à Beyrouth se passera demain chez nous.
Mais tout cela, me le reprocherez-vous demain ?
Bernard Antony.
• Si vous voulez mieux connaître la situation au Liban, commandez le numéro spécial de la revue *Chrétienté-Solidarité* que je dirige (40 F, port compris : adressez vos commandes aux COMITÉS CHRÉTIENTÉ-SOLIDARITÉ, 12, rue Calmels, 75018 Paris).
• Si vous souhaitez aider les réfugiés et orphelins du Liban, demandez-moi le tract qui explique comment aider : adressez vos demandes au CENTRE CHARLIER, même adresse.
30:308
### Les foyers d'immigrés
Une situation odieuse et explosive
par Francis Bergeron
*Prostitution, drogue, délinquances diverses, agitation et prise en main politico-religieuse y préparent des foyers d'insurrection.*
TOUS LES SPÉCIALISTES des questions d'immigration le savent : les foyers d'immigrés connaissent une crise grave. Cette crise est généralement présentée sous son seul aspect financier : malgré le milliard de francs (actuels) versé chaque année par le Fonds d'action sociale, les foyers d'immigrés sont confrontés à des problèmes d'entretien des locaux provoqués par un surpeuplement et le refus quasiment général de payer quelque pension que ce soit.
31:308
Mais la crise des foyers d'immigrés va bien au-delà d'un simple problème d'administration, de rapport entre locataires et gestionnaires. Dans un tout petit nombre d'années, ces quelque cinq cents foyers deviendront autant de foyers d'insurrection. Si nous ne réagissons pas.
#### Un cadre dégradé
Tout est réuni pour créer une situation explosive. Gérés par la Société d'économie mixte SONACOTRA ou par des associations sans but lucratif (mais avec parfois des buts inavouables), ces foyers ont mal vieilli : fuites d'eau, graves défauts de fonctionnement de la plomberie, de l'électricité, de l'huisserie, leur donnent souvent l'allure de décors de films d'Eisenstein. A ces problèmes de conception et d'entretien viennent s'ajouter gaspillages et dégradations volontaires : surconsommation de gaz, d'eau, d'électricité par insouciance : aucun effort individuel pour remplacer par exemple une ampoule grillée ou un joint de robinetterie qui fuit. Dans la mesure où il n'existe aucun lien entre la pension demandée et les travaux d'entretien des locaux, les locataires refusent de participer à une quelconque amélioration de leur condition de logement, et attendent des directions des foyers que ces problèmes soient résolus sans qu'il leur en coûte rien. Les organismes gestionnaires tentent bien de maintenir une habitabilité minimum, mais ces gaspillages et saccages contribuent à leur déficit chronique.
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Il est vrai que beaucoup de ces foyers auraient dû fermer depuis longtemps. Mais les difficultés de logement des immigrés en région parisienne et dans les grandes villes sont telles qu'ils ne peuvent ni ne veulent quitter les foyers. Il faut rappeler ici l'hypocrisie des municipalités, toutes tendances confondues -- y compris donc les municipalités communistes et socialistes -- qui refusent l'implantation sur leur territoire de ces immigrés, en invoquant une notion de « quota », ce qui constitue un délit au regard du dispositif législatif de répression du « racisme ».
Les immigrés qui peuplent ces cinq cents foyers ne sont donc pas près de les quitter, à moins de renvoyer cette population dans les pays d'origine, ce qui n'est pas actuellement à l'ordre du jour, ou du moins pas dans les proportions nécessaires.
Que l'argent des caisses d'allocations familiales (qui financent le Fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés) soit utilisé pour réparer des dégradations dues à la malveillance et à l'absence totale d'esprit civique, constitue certes un premier scandale. Mais il y a beaucoup plus grave. Voici ce qui se passe tous les jours dans ces foyers.
#### Des zones de grand banditisme
Prostitution, racket et trafic de stupéfiants sont les trois piliers de la vie sociale en foyer. Le pensionnaire doit s'en accommoder ; et certains observateurs vont jusqu'à dire que ce sont des maux nécessaires à l'équilibre sociologique de ces groupes.
Les prostituées, parfois françaises, mais le plus souvent africaines -- généralement ghanéennes -- passent de chambre en chambre pour proposer leurs services. Certains directeurs de foyers mettent des chambres à leur disposition.
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Quelques-uns, peu nombreux, il est vrai, se font les complices de ces agissements, moyennant paiement en espèces ou en nature. La recrudescence des maladies vénériennes n'est pas étrangère à cette situation, qui constitue un double délit : celui de prostitution avec racolage, et celui de proxénétisme.
Le *racket* est une forme d'impôt dont sont frappés en premier lieu les résidents clandestins, ceux qui vivent dans ces foyers -- et ils sont nombreux -- sans en avoir le droit. Le racket touche tous les foyers à population africaine. Pour avoir droit à son lit de camp dans une chambrée, dans un couloir, voire dans la salle de prière, le résident clandestin doit s'acquitter de son obole auprès du « comité de résidents ». Actuellement l'hébergement dans un foyer africain de Paris revient à 500 F par mois pour un clandestin. Il lui est demandé de payer en espèces et de n'être présent au foyer que pour la nuit.
Les fonds recueillis servent parfois au paiement d'avocats quand les populations des foyers ont rompu les ponts avec les gestionnaires et ont cessé de payer tout loyer, mais le plus souvent cet argent bénéficie aux seuls chefs de clans de certaines ethnies, qui en font profiter leurs familles, et elles seules.
Une autre forme de racket s'exerce éventuellement sur l'ensemble des pensionnaires : lorsque des « comités de résidents » gèrent une grève du loyer, il est exigé de chaque pensionnaire qu'il verse sa part à la caisse communautaire. Cet argent peut servir à payer directement les fournisseurs de fluides, mais l'absence de tout contrôle permet d'en utiliser une partie pour des actions politico-religieuses diverses, ou pour l'usage personnel des caïds des foyers.
Les trafics de drogue n'affectent pas tous les foyers, mais-ils touchent en revanche toutes les ethnies : d'abord les Sri-Lankais, mais aussi les Maghrébins, les ressortissants d'Afrique du Nord et ceux d'Extrême-Orient. Les directeurs de foyers craignent ce genre de trafic et les conséquences policières qui peuvent en découler, c'est pourquoi, à la différence de la prostitution et du racket, ce trafic se déroule généralement à leur insu, et il arrive que des opérations de police soient menées à leur initiative.
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Les seuls cas de laxisme relevés jusqu'à présent étaient liés à la crainte d'une vengeance de la part de trafiquants, arrêtés à l'occasion de contrôles précédents, et revenant au foyer à leur sortie (rapide) de prison.
Outre la drogue, la prostitution et le racket, il convient de citer quantité de petits délits couramment pratiqués : le vol, bien entendu, et le recel, mais aussi l'infraction à la législation sur le séjour en France ; dans la plupart des foyers, on trouve en effet, parmi les résidents clandestins, des étrangers en situation irrégulière, c'est-à-dire non autorisés à séjourner en France. La régularisation des clandestins, en 1982, avait fait disparaître ce délit, qui revient en force aujourd'hui, malgré la vigilance paraît-il accrue des pouvoirs publics. Beaucoup de foyers possèdent des salles de jeux clandestines, jeux d'argent qui s'exercent avec l'assentiment, tacite ou explicite, des directeurs de foyers. De même des commerces illicites sont pratiqués, depuis le « salon de coiffure » jusqu'à la « restauration africaine », en passant par les ateliers de couture. On cite ainsi le cas d'un foyer dont l'atelier de couture clandestin occupait une demi-douzaine de salariés à plein temps ! Ces foyers sont le royaume du travail au noir : les chômeurs exécutent un certain nombre de travaux de ménage, en échange d'une rémunération qui se situe bien en dessous du SMIC. Il faut citer aussi le cas de griots, ou conteurs africains, qui sont entretenus par les résidents. Le trafic de devises est largement pratiqué, notamment lors des retours au pays ; et toutes sortes de marchandises transitent par les foyers, proposées par des marchands qui ne savent visiblement pas ce que signifient les mots patente, registre du commerce, impôts, charges sociales...
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Enfin, malgré les efforts des services d'hygiène, l'abattage clandestin continue à se pratiquer dans tous les foyers hébergeant un nombre significatif de pensionnaires musulmans. Peu à peu les foyers sont devenus des zones où ne s'applique plus le droit français. Le plus souvent il a été remplacé par une sorte de droit tribal, reposant sur une hiérarchie des valeurs différente.
La suite logique de ce processus est la prise en main politico-religieuse.
#### Extra-territorialité
Beaucoup de résidents ne paient plus de loyers. Une hiérarchie parallèle s'est mise en place, qui a substitué son autorité à celle des gestionnaires des foyers. Un ancien responsable de foyer, qui a vécu cette expropriation, nous en explique le processus : le conflit commence généralement à l'occasion d'une hausse de la pension. Dans un premier temps, il y a refus de paiement au nouveau taux et tentative de paiement à l'ancien taux ; puis un avocat spécialisé dans ce genre d'affaire prend en main le conflit. Des tours de garde sont mis en place pour empêcher que soient coupés l'eau, l'électricité, le téléphone, le chauffage ; on intimide les résidents qui souhaiteraient payer leur loyer normalement, et l'affaire se termine par la séquestration et les menaces physiques à l'égard du directeur de foyer.
A ce stade, l'organisme gestionnaire retire son personnel et laisse le foyer vivre son « autogestion ». Une « autogestion » qui, après quelques mois ou quelques années, se traduit par une telle dégradation du bâtiment, des espaces verts et de l'environnement immédiat que le « comité de résidents » sollicite l'intervention des pouvoirs publics ou d'un nouvel organisme gestionnaire. C'est par exemple ce qui est arrivé au foyer ADEF du Bourget.
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Entre 1975 et 1980, les impayés collectifs ont été particulièrement nombreux. Ils étaient organisés, pour une partie d'entre eux, par un dénommé Ramon Casamidjana, responsable de la commission immigrés du parti socialiste. C'est ce même Ramon Casamidjana que l'on retrouve à la tête de la SONACOTRA, sur nomination du gouvernement socialiste. Les impayés collectifs ont permis de spolier de nombreuses associations sans but lucratif, de mouvance patronale ou caritative, et de « nationaliser » ces foyers, au travers du Fonds d'action sociale.
Les foyers qui ne sont pas passés en autogestion s'organisent toutefois, eux aussi, sous l'influence d'individus étrangers à l'organisme de gestion. Des salles de prière et des mosquées sont aménagées ; des cas de suppression de la cafétéria pour la remplacer par une salle de prière ont été relevés. Toutes les tentatives de contrôle, ou de mise en place d'une certaine organisation sont boycottées à l'initiative des comités de résidents. « Comportements marginaux, pré-délinquance ou délinquance, revendiqués comme normaux », note un rapport rédigé par le président d'une association de foyers.
#### A qui profitent ces délits ?
Systèmes d'impayés collectifs, comités de résidents, organisations autogestionnaires ne sont pas le fruit d'une naissance spontanée. Nous avons vu plus haut le rôle joué par des personnages comme Ramon Casamidjana.
En règle générale, les comités de résidents s'appuient sur des organisations à structure nationale. Il s'agit le plus souvent de la Confédération nationale du logement ou du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP). Ces deux mouvements sont d'obédience communiste.
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Mais curieusement le PCF lui-même ne se place pas en première ligne sur ces questions. Comme s'il s'agissait de prendre en main une masse de manœuvre constituée par les immigrés, sans effaroucher l'électeur qui, par définition -- jusqu'à présent tout au moins -- est français.
Le Comité de résidents du foyer AFRP de Colombes est par exemple, de façon tout à fait officielle, une antenne locale de la très communiste CNL. De même, la presse communiste locale, tel l'hebdomadaire La Voix Populaire à Gennevilliers, se fait l'écho des luttes et conflits qui secouent les foyers d'immigrés.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la CGT est peu implantée ; quant au gauchisme, qui avait fait une forte percée dans les années 70, il a pratiquement disparu des foyers.
Cette mainmise du parti communiste sur les foyers par l'intermédiaire de deux de ses filiales peut paraître paradoxale dans la mesure où les « Comités de résidents » entretiennent également des liens étroits avec des organisations religieuses.
Certes l'Amicale des Algériens en Europe, quoiqu'en perte de vitesse, reste active dans plus d'un foyer. Mais l'influence politico-religieuse ascendante est représentée d'une part par l'intégrisme d'origine iranienne, et d'autre part par les réseaux intégristes marocains.
Les chiites iraniens inondent actuellement les foyers d'une littérature religieuse envoyée directement de Téhéran en langue arabe ou française. Ces revues, de présentation luxueuse, témoignent de moyens financiers importants.
Quant aux réseaux intégristes marocains, ils bénéficient du soutien tactique des filiales du PCF. Une telle prise en main des immigrés marocains peut aboutir, à terme, pensent les militants communistes, à une déstabilisation du Maroc, dans le cadre d'un processus comparable à celui qu'a subi l'Iran du Shah.
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Les intégristes marocains sont actuellement les plus agressifs : ils revendiquent haut et fort l'expulsion de l'encadrement français des foyers et leur remplacement par des organismes gestionnaires coraniques.
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Devant une telle situation se pose alors une question que faire ? Nous serions tentés de répondre : d'abord tout faire pour éviter de loger soi-même à proximité de ces foyers. Car l'expérience du Liban est là pour nous rappeler que le développement de zones d'extra-territorialité se fait d'abord au détriment des populations vivant dans l'environnement immédiat, que cette extra-territorialité en reste au stade de la délinquance, petite ou grande, ou qu'elle se transforme en conflit armé avec les indigènes. Ensuite la logique voudrait que soit mis en place un plan de fermeture progressive de ces foyers, puisqu'ils sont destinés à loger des immigrés isolés, et que leur nombre est théoriquement en diminution du fait du regroupement des familles et de l'arrêt de l'immigration. Or jamais ces foyers n'ont été aussi pleins... Oui décidément, à moins d'un changement radical dans la politique gouvernementale à l'égard de l'immigration, la situation créée par les foyers d'immigrés constitue aujourd'hui un risque majeur de désordre. Certains organismes gestionnaires n'hésitent pas à le dire et à l'écrire : « *Par certains côtés, les foyers de travailleurs migrants sont dans la situation des universités dans les premiers mois de l'année 1968.* »
Francis Bergeron.
39:308
### La famille malade de la Révolution
par Michel Fromentoux
NOUS VIVONS de plus en plus dans une société de solitaires. Rien à voir évidemment avec les Messieurs de Port Royal que seule poussait à s'isoler l'obsession de leur destinée spirituelle... Les « solitaires » d'aujourd'hui ne fuient pas le divertissement, leur isolement ne les arrache pas à la masse, il vient uniquement de l'exaltation de leur bon plaisir.
Ernest Renan ne croyait pas si bien dire quand il parlait du citoyen sous les régimes issus de 1789 comme d'un « *individu né enfant trouvé et mort célibataire* »*.* Il s'agissait pour lui de critiquer le Code civil qui ne considérait que des quidams juxtaposés, atomisés, tous semblables. Depuis lors les idéologies libérales et libertaires (où est la différence ?) ont fait leur chemin. Le résultat commence à peine à effrayer certaines bonnes âmes démocratiques : la famille disparaît.
40:308
En juillet dernier, l'Observatoire français des conjonctures économiques a publié des chiffres impressionnants. Le mariage devient une institution surannée : de 1975 à 1984 le nombre d'unions légitimes a baissé de 36 % ! Et, selon les sociologues, si cela continue, la proportion des femmes célibataires atteindra avant la fin du siècle 42 %... Par contrecoup, le nombre des concubins augmente : 3,6 % d'unions libres en 1975, 6,1 % en 1982. Cela fait aujourd'hui 810.000 couples vivant hors mariage ; à Paris un couple sur cinq n'est pas marié. Et ce sont la plupart du temps des concubinages « endurcis » : même l'arrivée d'enfants n'incite plus ces couples à régulariser leur situation.
Avec cela augmente considérablement le nombre des enfants naturels : 6 % en 1966 ; 14 % en 1982, qui vivent le plus souvent avec la mère seule. A Paris, un « foyer » (si l'on peut dire) sur dix est ainsi monoparental. Toutefois ce sont les personnes non mariées qui ont le moins envie de « s'encombrer » d'enfants : d'où les conséquences désastreuses sur la démographie : 885.000 naissances en 1972, 768.000 en 1985. D'où, également, le vieillissement de la population.
Quant aux unions effectuées devant le maire, elles sont de plus en plus fragiles : 44.700 divorces en 1972, 98.400 en 1983 ! En gros un couple légitime sur quatre divorce. Et une fois sur trois les divorcés optent pour le concubinage ou le célibat.
Telle est donc la situation : on s'oriente vers une société de gens repliés sur eux-mêmes, qui ne pensent qu'à la satisfaction immédiate de leur plaisir, qui renoncent à s'engager pour la vie, qui du même coup n'éprouvent nul besoin d'épargner ou d'investir à long terme, et qui finiront leurs jours en souffrant plus que jamais du sentiment d'insécurité. En somme la faillite morale, psychologique, et économique.
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41:308
Le gouvernement de M. Chirac a voulu nous faire croire qu'il a pris ce problème à bras le corps. Et Mme Barzac, ministre de la Santé et de la Famille, prétend que le budget 1987 constitue une « *grande première* » en matière de politique familiale. En effet jusqu'à présent le fisc favorisait les concubins au détriment des gens mariés. Désormais les avantages dont bénéficiaient les premiers seront étendus aux seconds, notamment la décote sur les bas revenus et un certain nombre de déductions fiscales. Mais il s'agit uniquement, pour reprendre les termes de Mme Barzac (*Le Figaro,* 16 septembre), de « *traiter à la même enseigne, fiscalement parlant* » les vrais foyers et les couples cohabitationnistes. Surtout pas question de « *retour en arrière* »*,* ni de « *discrimination* » ! Appeler cela une politique familiale, c'est se moquer du monde.
Puisqu'on ne donne aucun avantage au mariage sur le concubinage, on n'incite guère à changer de vie ceux qui ont pris l'habitude de vivre ensemble et qui craignent de trop s'engager. En outre le fait d'accorder une part entière non plus seulement pour le troisième enfant, mais aussi pour le quatrième et chacun des suivants, n'aura pas son plein effet puisqu'en même temps on ne met pas tout en œuvre pour réduire le nombre de couples non mariés, qui ont rarement plus d'un ou deux enfants.
Mme Barzac, comme tout le gouvernement auquel elle appartient, est dans l'impossibilité d'envisager autre chose que des demi-mesures en faveur de la famille. Sa philosophie l'en empêche. Ne comptons pas sur elle pour revenir sur une législation qui pousse au divorce en le mettant à la portée de n'importe quelle capricieuse ou de n'importe quel capricieux. Ne comptons pas sur elle pour ôter aux couples le droit de recourir à l'avortement pour convenances personnelles, avec remboursement par la Sécurité sociale. Dès son arrivée au ministère elle déclarait que « *l'IVG est une liberté* » et que « *c'est bien d'avoir cette liberté* ». Mme Barzac se chauffe du même bois que ses devancières, les dames : Veil, Pelletier et Roudy, de sinistre mémoire.
La France vit toujours sous le règne de la philosophie qui conduit au socialisme et à la décadence morale -- cette philosophie que M. Giscard d'Estaing appelait le « *libéralisme avancé* » et décrivait comme le rejet des « *tabous* » qui « *datent du gouvernement de la peur* »,... et qui est en fait la liberté protégée de vivre hors de tous les principes de la civilisation chrétienne.
42:308
Cette philosophie qui paralyse tout effort de redressement n'est autre que la conséquence inéluctable des principes de 1789 dont tous les princes qui nous gouvernent, de droite ou de gauche, ont la sacro-sainte vénération. Il était tout à fait prévisible qu'à force de se référer aux « droits de l'homme » dont la proclamation même exprime la volonté de l'individu de n'obéir qu'à soi-même et de pouvoir jouir sans responsabilité, on en arrive à miner la cellule de base de la société : la famille. Les socialistes n'ont fait qu'accélérer une décadence que les libéraux avaient voulue et encouragée, et maintenant que ceux-ci ont repris le pouvoir à ceux-là, ils se garderont bien de tout changement en profondeur. Peu ou prou ils pensent tous, comme M. Giscard d'Estaing, que ce qui est « *au fondement même de la démocratie politique dans sa forme la plus achevée* »*,* c'est cette idée que « *l'individu est au commencement et à la fin de l'organisation sociale* » ! Rien n'est plus vain, plus débile et plus hypocrite que de s'accrocher mordicus à ces principes et de déplorer, en même temps, que dépérisse la famille formatrice du caractère, du don de soi, du sens des responsabilités concrètes.
Il ne suffit plus de larmoyer, il s'agit maintenant de remonter aux causes.
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N'est-il pas significatif que cette juxtaposition d'individus qui est tout le contraire d'une union de cœur ou d'esprit et que résume le mot équivoque de « cohabitation », on la retrouve aujourd'hui à tous les niveaux, du fin fond des alcôves au sommet de l'État ? Toute la France vit sous le signe de la cohabitation, c'est un bien mauvais signe. Et c'est la forme actuelle du mal français.
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Qu'il s'agisse de ces gens qui vivent côte à côte sans engager durablement leur responsabilité, tout juste unis le temps de quelques réjouissances, ou qu'il s'agisse du chef de l'État et de son premier ministre marchant bras dessus bras dessous parce qu'ils ont intérêt à faire croire que tout va bien entre eux, même avec des arrières-pensées divergentes, il est aisé de diagnostiquer le même mal : l'impossibilité des Français d'aujourd'hui de s'élever au-dessus de leurs aspirations individuelles ou partisanes, leur incapacité à se fondre dans une communauté de destin.
Avant que 1789 engendre l'espèce de « dissociété » (comme dit Marcel De Corte) dans laquelle nous vivons, l'amour fondait, soudait et pérennisait les familles, tandis qu'au niveau de l'État l'amour de la France créait forcément une harmonie entre le roi et le ministre qu'il appelait à son service, les qualités et même les défauts de l'un et de l'autre se complétant dans l'humble dévouement au bien commun qui les dépassait tous deux.
La monarchie capétienne avait vocation à unir les Français ; elle favorisait l'harmonieuse éclosion des communautés naturelles. N'oublions jamais que durant huit cents ans a retenti l'écho de la parole de l'évêque Adalbéron qui, dans une triste période qui ne manque pas d'analogies avec la nôtre, désignait celui qui savait se dévouer au bien public « *Élisez le duc Hugues, vous aurez en lui un père.* » Aussitôt Hugues Capet soustrayait la couronne à l'élection et faisait sacrer son fils Robert six mois après son propre sacre, montrant ainsi que désormais ce n'étaient plus des individus qui allaient assouvir au pouvoir leurs ambitions éphémères, mais une lignée, une famille, qui se donnait à la France, devant Dieu, pour le meilleur et pour le pire. Et la France capétienne illustra magnifiquement la conception de la nation comme une assemblée de familles tirant sa force et sa prospérité de la force et de la prospérité de chacune d'elles ; les souvenirs, les espoirs de tous les pères de famille s'incarnant dans la personne du roi, chef de famille.
Jusqu'au cataclysme révolutionnaire la France connut un régime qui la faisait vivre au rythme des battements de cœur d'une famille. C'est le secret de la réussite capétienne. Les familles prospéraient et le roi était intéressé à leur salut. Ce n'est pas un hasard si, au XVIII^e^ siècle, la France était le pays d'Europe le plus peuplé.
44:308
Il a suffi de deux siècles pour que, la déchristianisation aidant, dépérissent ces familles pourtant si fortement constituées au long des âges. Tant il est vrai que, comme dit Bossuet, une nation a besoin d'un État « *qui dure et se perpétue par les mêmes causes qui font durer l'univers et qui perpétuent le genre humain* »*, --* un État « *qui aille, pour ainsi dire, avec la nature* »*.*
Le millénaire du sacre d'Hugues Capet et de son fils Robert, qui sera fêté en 1987, n'est-il pas une grâce que les Français devront saisir pour réapprendre comment la France s'est faite et se demander si les principes qui ont présidé à sa formation ne pourraient pas encore favoriser son maintien ?
Deux ans avant le bi-centenaire de l'avènement de l'Individu-Roi, qui ne cesse de saper les bases de la société, puissent tous ceux qu'inquiète le déclin de la famille et de la démographie saluer comme il se doit -- c'est-à-dire en écoutant ses enseignements -- cette lignée de chair et de sang qui fit de la France une famille de familles *honorant* père et mère, meilleur moyen de vivre longuement.
Michel Fromentoux.
45:308
### Questions scolaires
par Guy Rouvrais
LA QUESTION des « rythmes scolaires » est le serpent de mer de l'Éducation nationale. Elle ressurgit à chaque rentrée, avec une nette aggravation lorsqu'il y a changement de ministre. M. Monory n'a pas manqué de sacrifier à ce phénomène saisonnier. Il s'est empressé de défaire ce que son prédécesseur avait fait, l'un et l'autre se réclamant des plus hautes autorités médicales et pédagogiques pour modifier le calendrier scolaire.
Les attendus sont invariables : l'organisation des études n'est pas adaptée aux rythmes de l'enfant et de l'adolescent. Nos rejetons sont surmenés et la fatigue est le plus sûr chemin vers l'échec scolaire.
46:308
On essaie donc toujours, sans y arriver jamais, de répartir judicieusement le temps de travail et les périodes de repos. Cet échec ne décourage pas les ministres successifs. Il devrait, pour le moins, les conduire à s'interroger sur ses causes profondes. Ce n'est pas le cas. Ou, plus exactement, on incrimine les intérêts contradictoires des *lobbies* qui pèsent sur l'école. On cite, en vrac : l'industrie du tourisme, la SNCF, les syndicats de professeurs, les parents d'élèves qui ne savent pas quoi faire de l'enfant pendant les vacances, et l'Église qui tient au mercredi pour enseigner le catéchisme.
Sans grand mérite, nous avons réussi à cerner une raison plus universelle au surmenage de nos chères têtes blondes. La voici dans toute sa cruauté : *le travail fatigue.* Le travail scolaire ne saurait faire exception à cette malédiction qui frappe l'humanité depuis la chute originelle. Aucun décret divin n'a exempté le front du potache de la sueur attachée au labeur des hommes. La grammaire sans peine, les mathématiques par la joie et les déclinaisons sans effort relèvent du magasin des farces et attrapes de la pédagogie moderne. La connaissance évidente et plénière ne nous est promise qu'au jour ineffable où nous jouirons de la vision béatifique. On rougit d'avoir à égrener ces évidences, mais qui dit encore que le savoir est une conquête qui fait violence à l'indolence de notre nature blessée ?
Pourtant, lorsqu'on a formulé cette réflexion de bon sens, on n'a pas épuisé le débat sur l'inadaptation des rythmes scolaires. Il faut rendre compte de ce paradoxe : les programmes scolaires ne cessent de s'alourdir tandis que les élèves quittent l'institution scolaire avec un bagage toujours plus léger. Ils apprennent davantage et en savent moins. Leurs heures de cours sont nombreuses et leurs connaissances rares.
\*
Pourquoi ?
Nos penseurs ne veulent voir là qu'une défaillance pédagogique aggravée d'une impéritie administrative. C'est une vision de myope. Mais myopie inévitable pour qui refuse de mettre en cause le monde moderne dont l'échec à bâtir une société humaine retentit sur le système scolaire.
47:308
Le monde moderne, c'est, entre autres, l'affirmation du primat de l'individu sur les communautés naturelles auxquelles il doit tout et sans lesquelles il ne serait rien. Cet homme-là n'est d'aucun temps, d'aucune famille, d'aucun métier, d'aucune religion. C'est une abstraction. Ainsi, la famille, l'Église, la corporation, ont donc vocation à être dépossédées de leur rôle éducatif. L'école moderne, révolutionnaire, jacobine, maçonnique, centralisatrice répond à ce besoin-là. Il n'en a pas toujours été ainsi. L'historien Philippe Ariès explique : « Le primaire tel que nous le concevons aujourd'hui n'est ni un enseignement technique, ni un enseignement de culture générale. On y apprend la lecture, l'écriture, l'usage du français et ce qu'il est indispensable de savoir pour se débrouiller dans la vie, à quelque profession ou à quelque condition qu'on appartienne. Or, au Moyen Age et au début des temps modernes ces connaissances élémentaires et empiriques n'étaient pas objet d'enseignement scolaire : on les acquérait dans sa famille ou dans son métier, par un apprentissage. » ([^1])
Voilà une première réponse à ceux qui s'émeuvent, à juste titre, de voir des bambins de six ans déposés à l'école où ils pénètrent encore ensommeillés à 8 h 30 pour n'en sortir qu'à 16 h 30, ou 18 heures, excités, fatigués, nerveux, sans avoir pu apprendre grand chose. C'est la sanction, non d'une « inadaptation des horaires scolaires », mais de la destruction systématique des communautés naturelles.
L'individualisme révolutionnaire, prolongé par le centralisme napoléonien, comporte d'autres conséquences. Si l'individu est partout identique, s'il est interchangeable, alors s'impose le programme unique et le manuel universel.
48:308
Les élèves étant égaux, ils doivent progresser en même temps et au même rythme. Ils étudieront à la même heure la même leçon. Ainsi est née la « classe » où se retrouvent les enfants du même âge. Au même âge, ils doivent avoir les mêmes capacités, tel est le dogme. Or, jusqu'au XVIII^e^ siècle, au moins, l'école « accueillait-elle, et sans y prendre garde, les enfants, les jeunes gens, les adultes, précoces ou retardés, au pied des chaires magistrales » ([^2]). Et Philippe Ariès note encore qu'on ne s'étonnait guère « qu'un adulte désireux d'apprendre se mélangeât à un auditoire enfantin, car c'était la matière enseignée qui importait quel que fût l'âge des écoliers. Un adulte pouvait écouter le Donat ([^3]) au moment même où un garçon précoce répétait l'Organon ([^4]) : il n'y avait là rien qui parût étrange » ([^5]). Quelle liberté ! La « liberté » scolaire prétendument révélée au monde par les anticléricaux de la Troisième République n'est qu'un caporalisme niveleur.
Nos modernes technocrates croient avoir tout inventé : ils ont, paraît-il, découvert la panacée à l'échec scolaire sous le nom de « formation des adultes » ou d' « éducation permanente » ! Le poids de la réalité les contraint à admettre ce que les Anciens ont toujours su ; c'est la volonté d'apprendre, quel que soit l'âge, qui nourrit l'effort de connaître.
On ajoutera qu'au Moyen Age, l'éducation permanente impliquait qu'on n'estimait pas acquis, une fois pour toutes, ce qu'on appelle les rudiments. La grammaire, par exemple, occupait aussi bien les grands de quinze ou vingt ans que les petits de neuf ans. On étudiait toujours les mêmes auteurs. De nos jours, à un âge précis doit correspondre un savoir précis, dûment répertorié par les circulaires ministérielles, et correspondant à des manuels strictement homologués. L'objectif n'est pas tant d'apprendre véritablement que d'être allé jusqu'au bout du programme au jour libérateur du 30 juin.
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Évidemment, pour atteindre cet idéal pédagogique le carcan horaire journalier doit être toujours plus rigide. Et voilà pourquoi votre système scolaire est malade et les rythmes qu'il impose à l'enfant, inadaptés.
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Nous pourrions multiplier les exemples dans lesquels nos technocrates auraient grand profit à puiser quelque inspiration. Nous ne prétendons pas que le Moyen Age constitue l'horizon indépassable en matière d'éducation. Si tant est que cela soit possible, nous n'entendons pas davantage transposer aujourd'hui les pratiques d'hier. Nous voulons simplement souligner que l'on ne saurait envisager la question scolaire indépendamment de la civilisation où elle se pose. Ceux qui veulent rebâtir l'école sur les ruines du monde moderne ne pourront pas faire l'économie de la réforme intellectuelle et morale. *Il y a un débat sur les* « *rythmes scolaires* » *parce que la société dans laquelle nous vivons est héritière d'une conception de l'homme individualiste, matérialiste, égalitariste et mécaniste.*
Qu'on ne vienne pas nous rebattre les oreilles avec les « ténèbres du Moyen Age » qui, comme le disait l'historien Marc Bloch, sont surtout « celles de notre ignorance ». Informée par la foi chrétienne, sa conception de l'homme était autrement plus riche et plus noble que la nôtre. Voilà pourquoi l'école de ce temps-là était aussi plus respectueuse de l'élève, de ses rythmes, de son évolution psychique et spirituelle. Il n'y avait pas de pédagogues professionnels, au sens moderne du terme, mais il y avait des maîtres qui, grâce aux lumières de la raison naturelle et de la Révélation, connaissaient la vérité de l'homme.
\*
50:308
Cette nécessaire réhabilitation de la civilisation chrétienne, ce devrait être la tâche de l'Église, ne serait-ce que pour défendre le vrai bien « des hommes de ce temps » et des petits d'hommes. Or, dans la controverse autour des rythmes scolaires, elle échange son droit d'aînesse sur la société civile contre le plat de lentilles d'une petite place autour de la table des débats, quelque part entre la SNCF, le Club Méditerranée et la FEN. Elle réduit son rôle à celui d'un quelconque groupe de pression défendant ses intérêts particuliers.
Que demande-t-elle ? Que le samedi ne prenne pas la place du mercredi comme jour de congé. Pourquoi ? Parce que les enfants partiraient pour le week-end et n'iraient donc pas au catéchisme le samedi. Pour que l'épiscopat français ait quelque chance d'être écouté, il aurait fallu qu'il *ne commençât pas à sacrifier lui-même au culte du week-end,* en instaurant les messes anticipées du samedi soir et même les messes du dimanche soir ! Le ministre de l'Éducation nationale aurait beau jeu de lui suggérer de créer le catéchisme anticipé du mardi soir. Il y a quelque audace, de la part de nos évêques, à demander au pouvoir civil de décréter l'immutabilité du mercredi profane, comme jour de congé, après avoir fait du dimanche sacré une quasi fête mobile !
Il n'y a pas de commandement divin ni de précepte ecclésiastique qui ordonne d'enseigner le catéchisme *le mercredi.* En revanche, l'Église a obligation d'enseigner *le catéchisme.* Or, en France, elle prive les enfants des connaissances nécessaires au salut qui constituent la matière du catéchisme. L'épiscopat revendique le mercredi pour *ne pas* enseigner le catéchisme. A cette fin, n'importe quel jour ferait l'affaire. On parle quelque part dans l'Évangile de ces gens qui filtrent le moucheron et laissent passer le chameau.
Guy Rouvrais.
51:308
Trente-trois jours aux USA (II)
### A la conquête du Far West
suite et fin
par Nicole Delmas
##### 15 août
Visite surprise, à Logandale, d'un ranch en activité, appartenant au chanteur Wayne Newton's. Deux cents acres partagés entre l'élevage et la nourriture de trois cents chevaux réservés à la reproduction. On nous présenta quatre étalons, dont un « pèse » un milliard de centimes et un autre, volontiers nostalgique, regarde sa télévision personnelle, en noir et blanc. Heureux, les enfants remercient en chantant. A l'entrée du ranch, deux rangées de petits chevaux de bois attendent...
52:308
Rapide passage par l'Arizona pour rentrer en Utah, état mormon ([^6]). La religion mormone, stricte (ni alcool, ni thé, ni café, ni tabac) allie la tradition juive et une certaine américanisation de la religion chrétienne (Jésus est venu en Amérique). Ajoutez à cela une formidable structure sociale, car les Mormons, en Utah, détiennent les plus grosses fortunes (comme Howard Hugues), donc la totalité de la vie économique. L'Église, payée par l'État, fonde écoles, hôpitaux etc., et il faut être mormon pour survivre en Utah.
C'est donc ainsi prévenus que nous abordons Saint George, après la traversée de la Virgin Gorge, volcanique. Nous sommes reçus par la seule église catholique de la ville qui compte cent vingt paroissiens (nous sommes cent soixante dix). Le logement est difficile et toutes les communautés se proposent : luthérienne, presbytérienne, mormone, catholique bien sûr.
53:308
Nous étions venus apporter un réconfort moral au père Kuzy, bien isolé. Les Mormons, accueillants avec nos enfants, boycottèrent le concert et, dans une salle à peu près vide de l'université, les incidents s'enchaînèrent : absence de techniciens éclairagistes, condamnant la scène à l'obscurité et la salle aux feux de la rampe, écroulement soudain d'une partie de l'estrade occupée par les hommes. Rude soirée, redoutable pays ! Et pas le moindre petit remontant.
##### 17 août
Longue journée qui commence par la visite de deux parcs nationaux : celui de Zion, verdoyant et creusé par la Virgin River et celui de Bryce Canyon, au relief de stalagmites de toutes couleurs, châteaux forts pétrifiés. Il faut continuer. Au loin, une montagne rose à chapeau blanc, dans un décor de falaises blanches. Et maintenant, Capitol Reef et ses montagnes hautes, lisses et rouges. Depuis ce matin le paysage change sans cesse ; il est lunaire, sec et blanchâtre à la sortie de Capitol Reef. Il nous conduit à Price.
Nous sommes toujours en pays mormon, mais ici vit une importante communauté catholique rencontrée lors d'un voyage précédent. La population minière et campagnarde a mis le spectacle dans la salle. Les enfants grouillent, on parle, on mange, on boit ; de temps en temps, on écoute -- on applaudit beaucoup. Pour la première fois, trois solistes présentent deux trios de la *Flûte enchantée* de Mozart. C'est superbe mais ce public préfère le show américain et les majorettes. Tant pis, nous garderons un souvenir de dépaysement amusé.
54:308
##### 19 août
Avant de quitter Price, je fais une prière à l'église Notre-Dame de Lourdes (dans de nombreuses villes, nous rencontrerons, dans des jardins publics, la reproduction miniature de la grotte de Lourdes). Au-dessus de l'autel, un monumental Christ en majesté bénit, mais je ne vois nulle trace de croix dans cette église.
Premiers nuages au ciel depuis notre départ et la chaleur est étouffante à notre arrivée à Salt Lake City, capitale de l'État et « Mecque » des Mormons. La première église catholique apparut en Utah en 1866 et en 1909 la cathédrale de Salt Lake City fut dédiée à sainte Madeleine. Cette cathédrale, lourde de forme, a un petit côté faux ancien qui a presque du charme aux USA. J'ai découvert que l'on pouvait s'y confesser de deux façons : dans un énorme confessionnal de bois ouvragé, j'ai ouvert deux portes : l'une « private side », donnant dans une pièce, grande, séparée du prêtre par notre grille traditionnelle, l'autre, sans nom particulier, communiquant avec la pièce même où se tient le prêtre. Cette cathédrale entraîne une chorale de chant grégorien et, le 15 août, la messe y est célébrée en latin selon l'Ordo de Paul VI.
Après la répétition, la curiosité nous pousse vers Temple Square, foyer sacré des Mormons, qui regroupe deux millions de fidèles de l' « Église des saints des derniers jours ».
A l'intérieur de l'enceinte du temple se trouvent le temple même, le Musée, le Tabernacle, la Salle des Assemblées et le centre d'accueil. Il est on ne peut plus accueillant, ce centre, avec ses salons grands et confortables, aux fauteuils profonds. Partout, des missionnaires vous sourient, vous abordent (chaque Mormon doit à son Église deux ans de son temps pour partir, aux frais de l'Église, en mission, à l'étranger le plus souvent).
55:308
On nous présente un film naïf sur le bonheur éternel, dans lequel une famille, radieuse, après une bonne vie mormone va retrouver, via un escalier en nuage, ses morts en aube blanche dans un paradis vert et rose. Revenue sur terre, je repars pour le ciel mais, cette fois, par une rampe qui monte en tournant jusqu'à un immense plafond bleu étoilé ; là une immense statue du Christ nous attend.
C'est avec plaisir que je retrouve les bêtises de nos garçons qui assurent, malgré leur fatigue, un beau concert le soir à la cathédrale. Même sans climatisation, comme on est mieux dans une cathédrale pour écouter de la musique sacrée. Et le chœur, arrivant en procession précédé des drapeaux, imposait silence et respect et rendait plus forte une certaine présence.
##### 20 août
Nous avons une longue route à faire et tant de choses à voir aujourd'hui. Nous sommes pressés. La police encore plus, de nous rattraper. L'amende sera importante. Joignant l'utile au désagréable, nous leur demandons la permission de les filmer et la réponse vient, souriante : « Pour le prix que nous allons vous demander, vous pouvez tout faire ! Pouvions-nous tout faire ?
Arrivés un peu plus tard que prévu à Arch National Park, c'est le jeu des devinettes qui démarre pour ces orifices de pierre, ces ponts, ces fenêtres et cette arche si particulière « Delicate Arch », baptisée par les cow-boys de la région « les pantalons de l'institutrice ». Les Américains seraient-ils frivoles ?
56:308
Rien ici n'est à dimension humaine, mais l'Amérique peut-elle être à dimension humaine ? Soudain l'orage éclate, énorme, le long de la rivière Colorado. Cent miles sous ce torrent. Nous arrivons à Grand Junction où le concert est prévu en plein air. Le temps le permet ; le public moins. C'est la fête, foraine, et malgré quelques gradins installés, chacun apporte son siège, sa couverture, son lit de camp... Un piano de bastringue, transformé en piano de concert, offre à Aleksander Woronicki un concert Chopin tout à fait inattendu. Pourtant le concert reste de qualité, écouté toujours plus attentivement par un millier de personnes pour lesquelles, justement, « la qualité » est un événement, et la musique sacrée prend une amplitude soudaine dans cette fête foraine.
Dans la nuit, rencontre de Français émigrés -- simplicité -- nostalgie -- adaptation, sur fond de bonheur.
##### 21 août
Petite nuit encore car le cognac français n'autorise pas la hâte. La tempête menace et Aspen est sous la pluie quand nous y arrivons. Il fait froid. Nous sommes à 8.000 pieds, dans une des plus célèbres stations de sports d'hiver d'Amérique, qui devient en été une ville de milliardaires et de festivals. Le milieu un peu snob et très cultivé est capable de séduire des Français, tel ce professeur de français qui passa par hasard, eut le coup de foudre et ouvrit un restaurant de petits plats français.
57:308
Le concert est donné en l'église Sainte-Marie, ornée de statues « rétro » habillées de tissus brillants. Au-dessus de l'autel, un retable à clocheton aux couleurs naïves. Le public est connaisseur et vient pour écouter de la belle musique. C'est le seul endroit où l'arrivée des drapeaux et des enfants passa pratiquement inaperçue. Énorme succès, la chorale ne dépare pas dans cet endroit averti et la qualité d'écoute pendant le *Requiem* de Mozart rendait fier.
C'est le lendemain, à la sortie d'une soirée festival Schubert-Bartok que se confirmèrent nos raisons d'être heureux. L'administrateur de ce festival, pépinière de nombreuses vedettes internationales, proposait une participation du chœur au festival 1988 avec la présentation complète d'une grande œuvre comme le *Requiem* de Mozart ou la *Passion selon saint Jean* de Bach.
##### 23 août
L'orchestre nous a quittés hier soir, tenu de rentrer plus tôt en France. Quelques nostalgies... Hier matin, au cours de la messe célébrée pour notre groupe exclusivement, le Père rappelait aux enfants l'importance de l'harmonie universelle. Dans ces endroits magnifiques, cela paraît presque facile de prier. Il suffit de contempler, ainsi les Montagnes Rocheuses, vers Denver, capitale du Colorado où nous sommes invités par la Colorado Children Chorale.
58:308
A l'origine ville de chasseurs et de mineurs, rapidement envahie par les chercheurs d'or, Denver n'a plus rien de pittoresque. Une minuscule église méthodiste, perdue dans un décor de science-fiction nous reçoit.
Aujourd'hui, dimanche 24, nous commençons la journée par une prière personnelle car nous n'entendrons pas la messe. Le chœur doit assurer un concert intégré dans un service méthodiste (qui se résumera à une prière et une bénédiction finale).
Imaginez un théâtre avec balcon, une épaisse moquette rouge et des sièges confortables. De part et d'autre de « la scène », une loggia ; au fond de cette scène, un orgue gigantesque. Ajoutez-y des salons de repos, une salle de restaurant, des cuisines. Sur le devant de la scène, deux anges de marbre blanc montrent le ciel et aussi que nous sommes dans le chœur d'une église. C'est du haut d'une des loggias que j'ai entendu Delalande et, de Poulenc, la *Petite prière de saint François d'Assise.* Une Américaine, amusée, m'a expliqué, après, que je m'étais installée à l'endroit réservé aux femmes enceintes au siècle dernier. Aucun Américain ne songerait à occuper ces places !
L'orgue se déchaîne : Bach, Vierne, la Toccata de Duruflé. L'orchestre absent, ce sont désormais les voix qui doivent remplacer, moduler, jouer. Le son y gagne en majesté.
L'après-midi se passe dans la montagne pour assister à une séance de travail, à leur camp d'été, de la Colorado Children Chorale. En Amérique, chaque chorale a différents niveaux d'études. Le choriste change de niveau selon ses capacités et seul le niveau supérieur (une vingtaine d'enfants) assure les tournées.
59:308
Leurs responsables sont frappés par 1) l'importance de notre chorale (120 personnes de tous niveaux) qui permet l'exécution d'œuvres monumentales avec orchestre ; 2) la mixité hommes-enfants qui autorise un répertoire varié, 3) une alternance « grand chœur » (l'ensemble) -- « petit chœur » (quelques voix choisies) qui donne une couleur particulière aux œuvres ; et toujours cet équilibre dans la diversité qui fait passer du calme à l'entraînant par des morceaux a cappella, avec soliste, avec piano ou orgue ou orchestre.
La Colorado Children Chorale nous présenta un mini-show à l'américaine et je lus un intérêt non gratuit dans l'œil de certain responsable.
##### 25 août
C'est au Nouveau-Mexique qu'auraient vécu les premiers hommes de l'Amérique du Nord, il y a 17.000 à 25.000 ans. La civilisation indienne est toujours vivante dans cette région et Santa Fe, la capitale, reflète ce mélange de culture indienne (25 %), espagnole et anglo-saxonne. Son nom fait rêver (comme fait rêver la maison de Kit Carson, aperçue à Taos).
Lors d'un arrêt, un Indien pueblo, au profil très pur, nous salue gravement, longuement. Il semble que le moment qui passe soit unique. Nonchalance méridionale ou approche de la sagesse ? Nous suivons le Rio Grande et plus d'un se prend à rêver d'aventure et de mauvais garçons, de désert et d'enfance. L'arrivée de nuit dans une Santa Fe qui s'endort dans ses rues ocres concrétise le rêve.
60:308
##### 26 août
Il y a un temps pour remercier. La Mission San Miguel de Santa Fe, tenue par les frères des écoles chrétiennes, nous réserve notre messe et les enfants se sentent chez eux (le collège Saint-Nicolas-Passy-Buzenval est également tenu par les frères des écoles chrétiennes). C'est la plus ancienne église (1610) encore utilisée aux USA. Elle est intime. Elle est belle. L'archevêque de Santa Fe, venu spécialement célébrer notre messe, remercie les choristes d'avoir apporté en Amérique la culture française, la beauté, la France. Il leur rappelle qu'ils sont là comme missionnaires mais qu'un missionnaire ne peut se contenter d'apporter.
C'est la fête de saint Louis et un Frère présente notre saint national comme un grand saint certes, mais d'abord espagnol par sa mère et puis... français. Après une bénédiction spéciale, il remet à chaque personne présente une médaille de saint Jean-Baptiste de la Salle, patron des frères des écoles chrétiennes.
Le concert a lieu à la cathédrale Saint-François d'Assise (saint patron de Santa Fe) et Francis Bardot a trouvé le mot juste en présentant l'archevêque comme « la grandeur manifestée par la simplicité ». La réponse : « Ce que j'ai entendu ce soir m'a montré l'œuvre de Dieu » résume les efforts, la persévérance, le don de ces enfants. -- Dans une chapelle latérale, Notre-Dame de la Conquistadora (1625) sourit. « *The Queen of the kingdom of New Mexico and its Villa Santa Fe* »*,* priez pour nous.
61:308
Je ne savais pas que c'était triste de quitter une ville. Je ne savais pas que ce 27 août j'allais vivre une journée inoubliable.
Partis pour l'Arizona et le Canyon de Chelly, nous sommes retardés par un orage tel que les voitures arrêtées ont rapidement de l'eau jusqu'à mi-roue. Nous échappons à ce flot et, pour rejoindre le canyon, nous empruntons un chemin de terre. Praticable au départ, il devient vite boueux, glissant. Impossible à dix-huit voitures lourdement chargées de faire marche arrière. Il est 15 h et la première voiture tombe dans le fossé, puis... la suivante. On pousse, on glisse, on rit. Les voitures « décollent » peu à peu mais avancent en crabe.
Nouvelle voiture dans le fossé. La roue est crevée cette fois, dans la descente et en plein virage évidemment. Tout paraît plus difficile avec la fatigue qui augmente. Des Indiens, au visage impassible, qui suivent en voiture, viennent donner un coup de main. La colonne repart mais les voitures trop chargées enfoncent et deviennent incontrôlables. Il y a trois miles à faire dans ce chemin impossible ! Pour alléger les voitures les enfants descendent à pied. Les incidents se multiplient ; la boue est partout ; la nuit approche. En silence, presque ponctuellement, les Indiens viennent nous aider.
Voilà quatre heures que nous sommes sur cette piste. Désormais chaque voiture ne peut passer que seule, soutenue dans les virages par six hommes qui font contre-poids. Et c'est le tour de notre « Gaspi », motor-home de... huit tonnes. Épopée française au pays des Indiens !
La nuit est tombée et l'on mesure la formidable amitié qui unit tout ce groupe. Une voiture s'est échappée pour aller quérir une dépanneuse et les rangers. Ceux-ci ne vinrent pas et celle-là arriva trop tard. Elle s'imposa quand même. Salaire oblige !
62:308
21 h 30 -- Mon Dieu que le béton est doux sous les roues ! -- 4 h du matin -- les lumières de Flagstaff, enfin. Les familles américaines, prévenues d'un petit retard, sont là accueillantes, souriantes, nous offrant un repas chaud. Merci.
Courte nuit, bonne nuit. Nous n'avons rien vu de ce qui était prévu aujourd'hui, mais que de souvenirs d'efforts, de sourires, de victoire.
##### 28 août
Il pleut sur Flagstaff et je voulais tellement voir le soleil se lever sur le Grand Canyon ! Je pourrais le décrire à l'avance. On m'en a trop parlé.
Le soleil se lève peu avant la forêt qui conduit au Canyon et c'est le choc, inoubliable. Je ne sais pas, non, je ne veux pas raconter l'inracontable. Je pourrais rester des heures à contempler et il vient tout naturellement une envie de prier, sans mots.
Le « voyage » se poursuit dans un petit hélicoptère qui survole d'abord la forêt et soudain, plus rien, le vide, immense, happant, au fond duquel coule un filet d'eau, le Colorado. 440 km de murailles gigantesques et de paysage inhumain. Mais cette approche ne me satisfait pas, il manque le silence ; et la machine qui s'immobilise un instant ne permet pas que l'on oublie le monde. On a seulement envie de regarder, immensément regarder, mais j'aspire à ce quelque chose d'imperceptible que seul peut apporter le silence.
63:308
Ce soir, concert à l'université de Flagstaff. Les enfants veulent « se défoncer » pour montrer leur gratitude à ces gens qui hier soir les ont attendus si longtemps. L'auditorium est confortable et le tiers de la salle occupé à mi-hauteur par un orgue. Après le ballet des drapeaux, un peu de musique profane, mais c'est toujours la musique sacrée qui met en évidence une qualité particulière d'attention. Et pourtant. Le chœur est-il trop loin sur la scène ? Le théâtre n'est-il vraiment qu'un théâtre ? Et, s'il y a performance technique, l'étincelle n'a pas jailli. On ne chante bien la musique sacrée que dans une église.
Le lendemain, au hasard du voyage, halte à Oak Creek Canyon dans une petite chapelle ultra-moderne accrochée dans une montagne de grès rouge. Le fond du chœur, vitré, plonge sur la vallée et le Père choisit cet endroit pour faire réfléchir. Dans la Bible, ouverte au hasard, il lit cette prière du Livre de Jérémie : « Si vous restez en paix, je vous bâtirai et vous n'aurez plus à pleurer. » Confiance et espérance. Le Père nous fait part encore de sa découverte. Chaque journal américain, même non confessionnel, consacre une ligne au moins à la prière quotidienne, perdue entre la politique et la publicité. Et je repense à ma première impression de l'Amérique mélange de rigueur -- policière, morale, spirituelle -- et de laisser faire total -- éducation des enfants, sans parler de l'habillement et de l'alimentation. Si cet enfant non éduqué devient un adulte responsable et conscient des valeurs essentielles, c'est que sa finalité est simple : être Américain. Une foule cosmopolite qui s'est choisi une patrie pour l'honorer et la servir, c'est cela l'Amérique.
Dieu est présent partout et cette chapelle inattendue le prouve. Cela valait bien le *O Jesu Christe* qui fut entonné.
64:308
Pendant des centaines de kilomètres maintenant la route descend vers Phœnix : rare végétation de cactus ; palmiers et ensembles résidentiels ; 340 jours de soleil.
Le chœur se produit dans une église méthodiste résidentielle, à l'image de la ville, caractérisée par un magnifique orgue à chamades (en américain « *festival trompettes* »). Est-ce la fin de la tournée et un besoin de tout donner ? Entre le chœur et le public il flottait cette complicité intellectuelle (spirituelle ?) qui crée les grands moments. Les enfants sont capables de sublime quand ils Perçoivent l'exigence de la beauté et l'on oublie alors quelque immense bêtise... Mais, oublions. Par contre, rien ne me fera oublier la douceur de la nuit au bord de la piscine et le champagne (californien) qui même au désert arrose les rêves.
Plus qu'un jour (encore un jour diraient certains, fatigués, et que n'arrivent plus à soutenir ni les vitamines, ni les sourires de notre « femme-médecine »).
Six cents kilomètres de désert en ligne droite à 55 miles/h, c'est éprouvant et cela laisse le temps de classer ses souvenirs. Je retrouve avec joie le ciel bleu et la forte chaleur. Tout va être rapide aujourd'hui. Concert à San Diego, dans une église bondée, au public plus familial que connaisseur, mais merveilleusement chaleureux, et cela est bon pour un dernier concert. Je comprends toute la portée des remerciements de Fr. Bardot : « Nous venons tous les deux ans en Amérique, et quand on me demande pourquoi, je réponds : pour trois raisons. La première, c'est que c'est le pays où nous recevons le meilleur accueil ; la seconde, c'est la vieille amitié qui unit nos deux pays ; la troisième, c'est la beauté de votre pays. » *America the beautiful...*
65:308
Une visite au Pacifique pour un adieu à l'Amérique. Tous les bains de minuit ne se ressemblent pas.
##### 31 août -- 5 h du matin
Un car nous emmène de San Diego à Los Angeles. Nous serons à Paris demain matin à 10 h, heure locale.
Dans des lettres reçues depuis son retour par le directeur du chœur et envoyées respectivement par l'évêque de San Francisco et l'évêque de Sacramento, l'accent est mis sur la variété des musiques présentées et la haute tenue des concerts -- « ... *they are terrific, one of the world's finest ensembles* » en dit le *San Francisco Chronicle --* mais surtout sur la dignité de nos enfants : « Ils sont de bons représentants de votre pays. Merci de partager la richesse de votre culture avec nous et nous espérons que vous ressentez la gratitude de nos cœurs pour le don de votre musique. » Et la récompense, venue de l'archevêque de Santa Fe : « Mes prières ont été rarement accompagnées ainsi. C'était un privilège pour moi de célébrer la messe avec une telle musique. »
Ces voix d'enfants se sont faites chœur de louange. Venus offrir la beauté et la joie, ils ont tout gagné en donnant leur cœur : amitié, estime et admiration. Ils ont aussi gagné le droit d'avoir des souvenirs.
Nicole Delmas.
66:308
### Un aventurier tricolore (II) : * *le marquis de Morès (1858-1896)
par Alain Sanders
#### Le gentleman-farmer du Far-West
« MON BRAVE William, pour faire fortune dans cette région, je ne vois que l'élevage : bœufs et moutons. De l'eau, des pâturages, des débouchés sur le reste du pays. »
Le « brave William », William Van Driesche, est tout à fait d'accord pour se lancer dans l'aventure aux côtés de Morès auquel il voue un véritable culte. Aussitôt dit, aussitôt fait. Morès achète une concession qu'il utilise sur une vingtaine d'acres de chaque côté du petit Missouri et sur une profondeur de trente miles. « Nous avons des droits sur l'eau, mon brave William. Les autres éleveurs devront passer par nous. »
67:308
Les autres éleveurs ne savent pas très bien, en fait, ce que signifie l'expression « avoir des droits sur »... Ils sont plutôt de la tendance Smith et Wesson et un bon « six coups » leur semble beaucoup plus efficace que le Code. Pour faire régner la Loi et l'Ordre dans ce qui commence à ressembler à une petite ville, un groupe de bons citoyens, le Comité de vigilance, se réunissent secrètement et décident de la peine à appliquer à tel ou tel individu indésirable.
L'indésirable en question peut être un cow-boy trop porté sur la bagarre, un voyou de saloon, une « Belle » un peu trop exubérante, un joueur professionnel de poker. Ce peut être aussi un ranchman qui a trop bien réussi et qui fait de l'ombre aux autres propriétaires. Pour signifier à l'indésirable qu'il doit quitter la ville, on lui adresse une carte à jouer frappée de deux tibias entrecroisés, d'une tête de mort, et de chiffres mystérieux : « 7-11-77 ». Traduit librement, cela veut dire : « Vous disposez d'une journée pour quitter la ville et n'y jamais revenir. Passé ce délai... »
Un samedi de juin 1883, un nommé Mac Cauley, cow-boy grande gueule et très populaire dans la région, prend la parole dans le saloon local :
« Ce pays est un pays libre. Tout le monde a le droit de s'y installer à condition de bien se conduire. Tout le monde sauf les Français et les Anglais qui se conduisent comme des tyrans et veulent s'octroyer des privilèges spéciaux. Va falloir que ça change ! »
Mac Cauley est très applaudi, et d'autant plus chaudement qu'il offre une tournée générale de la part de son patron, le propriétaire du ranch Lang. Tout le monde a compris : celui qui est directement visé, c'est le « Frenchie » de Little Missouri, celui qui a des droits sur l'eau, Antoine de Morès...
Le lendemain, un dimanche, Morès trouve une enveloppe épinglée à la porte de son ranch. Il l'ouvre. C'est l'avertissement sans frais, deux tibias, une tête de mort, le chiffre cabalistique. Il a vingt-quatre heures pour quitter le pays.
La première réaction de Morès est de prendre son artillerie lourde et d'aller s'expliquer, d'homme à homme, avec les petits malins du ranch Lang Van Driesche, mais aussi ses cow-boys, Miller et Dick Moore lui conseillent d'essayer de faire les choses légalement. Si ça ne marche pas, il sera toujours temps de faire parler la poudre.
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La loi et ses représentants de l'Office Land, c'est à Bismarck qu'ils se trouvent. Morès s'y rend et explique sa petite affaire. Les employés de l'Office Land ne sont pas des foudres de guerre. Ils se consultent un peu, puis : -- Nous ne saurions trop vous conseiller d'obéir à l'avertissement. Les *Vigilantes* de Little Missouri ne plaisantent pas. Vous avez la loi pour vous mais ils ont pour eux le secret et donc la certitude de l'impunité...
Morès remercie, salue bien bas les conseilleurs et se précipite chez le premier armurier de Bismarck. Ce soir-là, quand le train le dépose à Little Missouri, Morès est armé jusqu'aux dents. Il regagne son ranch et prévient ses hommes : -- La nuit sera chaude.
Il ne se trompe pas. Toute la nuit, des inconnus vont donner l'assaut au ranch sans oser, toutefois, s'approcher trop près. Morès a une réputation de fine gâchette qui décourage un peu les vocations héroïques. Au petit matin, Dick Moore réussit à se glisser hors du ranch pour télégraphier au shérif de Bismarck.
Le shérif arrive dans la matinée. Comme il connaît la réputation des ranchmen de Little Missouri, il s'est fait escorter de vingt shérifs-adjoints. Le télégraphiste de Little Missouri étant un ami de la bande des assaillants -- et les ayant donc prévenus -- le shérif et ses hommes se trouvent nez à nez, devant la gare, avec le chef de la bande, un nommé O'Donnell, et quelques cow-boys résolus.
Le shérif s'avance vers O'Donnell : -- J'ai un mandat d'arrêt contre vous. Il est signé de l'attorney. J'ai mission de vous ramener dans la capitale du comté, à Mandan.
O'Donnell se tourne vers ses gars et s'esclaffe : -- Nous sommes à votre disposition, shérif. Venez nous chercher. Mais en attendant, levez les bras et suivez-nous au saloon.
Pris sous la menace des fusils, le shérif suit O'Donnell au saloon. Après avoir bu force whiskies, O'Donnell et ses cow-boys sautent sur leurs chevaux et repartent au grand galop vers leur ranch... pour tomber sur Morès et Miller qui se sont placés en embuscade. Un des hommes de O'Donnell, Luffsey, est tué sur le coup. Une mort qui suffit à calmer O'Donnell et le convainc de se rendre.
69:308
Les assaillants du ranch Morès sont jetés en prison. Mais Morès lui-même doit répondre de la mort de Luffsey, tué au cours de l'action. Le procès commence le 3 septembre 1885. Il va durer près d'un mois pendant lequel Morès et ses hommes sont constamment sur le qui-vive. Enfin, le verdict tombe. « Antoine de Morès et ses compagnons étaient en état de légitime défense. Ils sont acquittés. »
Reste à quitter la salle du tribunal encerclée par les hommes de Luffsey et de O'Donnell. Le juge s'étant déclaré incapable de ramener l'ordre dans la rue, un juré fait passer son revolver à Morès qui, l'arme au poing, se ménage un passage au milieu d'une foule où ses partisans et ceux du ranch Lang font le coup de poing... Le soir même, Morès couche dans son ranch.
Ce ranch est devenu en moins de trois ans, un endroit tout à fait civilisé et digne d'accueillir Mme de Morès : « Il \[Morès\] se fait bâtir, écrit Charles Droulers, une maison sur le flanc de la falaise d'où il peut dominer toute la plaine. Dans la vallée, il trace le plan d'un village, construit une auberge pour les ouvriers. Au bout de quelques mois, il va chercher à New York la marquise de Morès et revient avec un train complet d'objets de toute nature, sans oublier un grand choix de fusils, de revolvers, de cartouches. Le marquis se décide à acheter les terrains (environ six miles carrés) dominés par le viaduc sur lequel le chemin de fer traverse le petit Missouri, afin d'y créer une ville qu'il baptise Medora du nom de sa femme. Lui-même fait le geste symbolique d'y planter une tente, puis il convoque entrepreneurs et ouvriers. Pendant que les premières constructions s'élèvent, le marquis parcourt la plaine. Il est presque toujours à cheval, coiffé du feutre à larges bords, vêtu d'une chemise rouge et d'une culotte en cuir enfoncée dans de hautes bottes, sans oublier la carabine et un ou deux revolvers attachés à sa ceinture. » Nous sommes en plein Gustave Aymard façon Fenimore Cooper...
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Mme de Morès chevauche souvent à ses côtés. Et elle ne rate aucune des chasses à l'ours régulièrement organisées dans les montagnes environnantes. Cette jeune femme, qui a été l'un des ornements de Paris, de Cannes, de New York, va se révéler être de la race des pionnières. Elle a fait du ranch un endroit délicieux où les trophées de chasse sont aux places d'honneur. Quand elle se trouve enceinte -- elle aura deux enfants, un fils et une fille -- Mme de Morès part accoucher à New York mais en revient bien vite, les bras chargés de journaux tout bruissants de la légende qui commence à être tissée autour de son mari.
Il faut dire qu'il contribue lui-même à alimenter sa propre légende. Pour voyager, il s'est fait aménager un wagon spécial avec salon, sleeping, cuisine, salle de bains, chambre à coucher. Les journaux lui consacrent donc leurs manchettes : « *A titled cow-boy* » (un cow-boy titré) ; « *How a nobleman with energy can succeed in America* » (comment un aristocrate plein d'énergie peut réussir en Amérique) ; « *A blue-blood Ranchman* » (un ranchman au sang bleu) ; « *The monarch of Montana lands* » (le roi du Montana)...
Les invités du marquis ajoutent eux aussi à l'espèce d'histoire dorée qui se forge autour de celui que les journalistes ont désigné « comme le plus intéressant jeune homme de l'Ouest ». Un avocat de Morton, Theodor K. Long, raconte ainsi l'un des exploits du marquis : « Morès avait tué un si grand nombre d'animaux à coups de fusil qu'il était blasé et saturé de ce genre de chasse. Il déclara vouloir se mesurer avec un ours, seulement armé d'un couteau. Il prépara donc un appât avec le cadavre d'un vieux cheval qu'il plaça sur la rive du petit Missouri, à un endroit où les ours venaient boire. Puis il s'étendit sur le sol et attendit. Bientôt un ours apparut et s'apprêta à festoyer sur la carcasse. Le marquis, alors, se leva et s'avança. Il avait étudié avec soin où et comment il frapperait. L'ours essaya de le saisir, mais, plus rapide que lui, il enfonça le couteau à l'endroit vulnérable. L'ours s'abattit raide mort sans que Morès ait reçu une égratignure. »
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Son sport favori reste cependant le dressage des chevaux sauvages et la poursuite des voleurs de bétail qu'il jure de poursuivre jusqu'au bout du monde. Quand ses amis lui conseillent de se ménager, de prendre moins de risques, il éclate : « Je ne dois mourir qu'une fois ! » Charles Droulers note : « A vingt-six ans, âge de l'insouciance et du plaisir, Morès a organisé une immense exploitation couvrant près de cinq cents kilomètres carrés de terrain et occupe plus de trois cents employés. A Medora, chaque division a son chef, seul responsable vis-à-vis du marquis. Un rapport détaillé est établi par chacun quotidiennement, si bien que le maître, en arrivant le matin à son bureau, peut, en quelques heures, se rendre compte de tout. Le marquis voit grand. Il a tracé le plan de la future ville. Au centre, il fait construire l'église, en briques qu'il fabrique sur place. Tout autour s'élèvent des magasins. Puis ce sont des maisons ouvrières, des auberges. Il achète quinze mille moutons et les fait revenir à grands frais du Sud-Dakota. »
Les moutons... La « bête noire » si l'on ose dire, des éleveurs de bœufs. Être berger, dans l'Ouest, est un métier dangereux. Dans le meilleur des cas, on se retrouve balancé dans un tonneau de goudron, roulé dans un amas de plumes, chassé des villes où l'on pratique le culte des bêtes à cornes. Le plus souvent, on finit avec une balle dans le ventre au fond d'un canyon oublié. On peut lire dans le *Cheyenne Leader Daily :* « Le cow-boy est un cavalier. Le berger est un piéton solitaire dont les seuls compagnons sont un chien et des milliers de moutons stupides, sans particularités, tous semblables. »
La première difficulté est donc de trouver des bergers. Morès va en trouver. Des incapables qui, en moins d'un hiver, laissent mourir des milliers de bêtes. Au printemps, les survivants sont conduits aux abattoirs et Morès revient à ses premières amours, les bœufs, les *longhorns.* A cet élevage, il ajoute celui des chevaux et fait venir de l'Est des juments de grande taille et des étalons. Les bénéfices de cet élevage compensent les pertes de celui des moutons...
En 1885, Medora compte six cents habitants. « Il leur faut un journal » pense Morès. Il crée le *Bad Lands Cow-Boy* où paraissent potins de village et renseignements précieux sur le marché de l'élevage.
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C'est en lisant un article sur le prix de la viande sur pied que Morès s'aperçoit d'une absurdité du système : tous les ans, en automne, après le *round-up,* le rassemblement des bœufs, des milliers de têtes de bétail partent par le train vers les abattoirs de Chicago. Plus tard, la viande abattue revient également par le train et les habitants des villes paient très cher cette viande alors qu'ils ont de la viande sur pied dans les zones d'élevage...
« C'est simple, explique Morès aux autres éleveurs : on va créer sur place un marché et éviter de la sorte les frais -- et les pertes d'animaux -- occasionnés par le transport, installer d'immenses abattoirs, conserver la viande par le froid et l'expédier dans toutes les villes des États-Unis et même jusqu'en Europe. »
L'idée est bonne et, pour donner l'exemple, Morès fait construire un premier abattoir à Medora. Pour transporter la viande abattue, il fonde la *Northern Pacific Refrigerator Car and Co.* Capital : 200.000 dollars, société par actions contrôlée par son beau-père et un groupe de financiers de l'Est. Bientôt, Morès a ses propres wagons réfrigérés et ouvre une conserverie très moderne.
Cette initiative attire de nouveaux habitants à Medora. La ville s'enrichit d'un théâtre, d'un club, d'un grand hôtel, le « De Morès ». Pour relier les fermiers isolés à Deadwood (Dakota du Sud), il crée une ligne de diligences. L'administrateur en est A.T. Packard, diplômé de Michigan University, champion de baseball. J. L. Rieupeyrout note dans son *Histoire du Far-West* (Tchou, 1967) : « Quatre élégantes diligences aux portes frappées du blason *U.S. Mail --* et baptisées « Kitty », « Medora », « Dakota » et « Deadwood » -- relièrent régulièrement Medora à Deadwood. Hélas ! cette dernière ville périclitant bientôt, en raison de l'épuisement des mines d'or de sa contrée, la concurrence de lignes nouvellement créées vers Dodge City se révéla dangereuse. De Morès vendit ses diligences à Bill Cody \[Buffalo Bill\] qui les utilisa dans son *Wild West Show* dont le numéro le plus sensationnel fut justement "l'attaque de la diligence de Deadwood". »
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Et Rieupeyrout continue : « Cet échec ne découragea pas le *businessman* qu'était devenu le marquis. D'autres abattoirs furent construits en des villes voisines ; des magasins réfrigérés s'élevèrent à New York, Chicago, Milwaukee, affirmant le désir du Français d'entrer dans la compétition. Ici intervient la légende, qui trouve explication à tout : selon elle, le marquis visant le trône de France multipliait ses entreprises afin de récolter les fonds nécessaires à financer une révolution qui rétablirait la monarchie à son profit... Laissons à la légende toutes ses responsabilités. » Laissons-les lui d'autant plus que ce genre de « légende » est typiquement américaine et bien évidemment dénuée de tout fondement.
Désireux de contrer la réussite de Mores, une réussite qui remet en cause leurs magouilles et leurs juteux profits, les intermédiaires et autres commissionnaires vont consentir aux bouchers de Chicago une remise telle qu'ils baissent leurs prix et finissent par ruiner la *Northern Pacific Refrigerator Car and Co* qui est bientôt obligée de fermer ses portes.
« Ils ne m'auront pas aussi facilement », décide Morès. Il fonde alors la *National Consumers Company* qui s'adresse directement aux consommateurs, disposant d'un capital de dix millions de dollars divisés en un million d'actions de dix dollars chacune : « Les actionnaires ont le droit d'acheter la viande nécessaire à leurs besoins au prix le plus bas dans un certain nombre de magasins ouverts par la Compagnie dans les quartiers populaires de New York. »
C'est l'invention, bien avant la lettre, du système « *Directement du producteur au consommateur* ». La formule de Morès, telle qu'il l'explicite dans son manifeste *Aux consommateurs et ouvriers,* est. « *Du ranch à la table* ». C'est une formule révolutionnaire qui attire l'attention de W.R. Grace, le maire de New York ; d'Eugène Kelly, banquier ; de Bryan Laurence, gros commerçant ; de Patrick Ford, directeur de l'*Irish World.* Pour soutenir son projet, Morès ouvre à New York trois grandes boucheries peintes en rouge vif et où l'on vend la viande à des prix défiants toute concurrence.
Ça devrait marcher. Ça ne marche pas. Les tout puissants détenteurs du *Beef Trust* s'arrangent pour briser les reins à la Compagnie et dissuader les possesseurs de capitaux de participer à la coopérative inventée par Morès.
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Sûr de ne pas trouver de nouveaux actionnaires, sa conserverie perdant un million de dollars par an, Morès -- sans doute découragé pour la première fois de sa vie -- liquide toutes ses affaires américaines et se résout à quitter ce pays en lequel il a trop cru.
Il explique :
« Il faut que je fasse de l'argent car je ne puis laisser ma maison tomber. Malheureusement, depuis cinq cents ans, nous avons été des soldats et il est difficile de changer les vieux instincts de la race. Je suis profondément accablé de ces pertes d'argent. Je me blâme de m'être cru plus fort et meilleur que les autres... Mais patience ! Tout chemin a son tournant. Un homme sans ambition n'est bon à rien. Il faut un but, toujours plus haut... J'ai vingt-huit ans. Je suis fort comme un cheval. Je veux gagner la partie, je suis prêt à recommencer. La vie n'a jamais compté pour moi. »
En décidant de quitter l'Amérique, Morès y abandonne au moins un ami : Theodor « Teddy » Roosevelt qui fut son voisin. Roosevelt a débarqué un jour à la gare de Little Missouri. Il a vingt-trois ans et désire acheter une concession (un *scrip)* dans la région. Installé non loin de Medora, il devint vite un familier des Morès chez lesquels il dinait fréquemment. Dire que Morès vibra aux brûlantes déclarations de Roosevelt sur les « forces de progrès » et autres billevesées serait exagéré. Mais les deux hommes se retrouvent pour parler de chevaux et de chasse. Fin 1886, « Teddy » quitte le Far-West et entame une grande carrière politique.
Cette réussite à l'américaine à côté de laquelle Morès est passé dans une certaine mesure, un jeune Français, Pierre Wibaux, installé non loin du marquis, la réalisa. Originaire de Roubaix (où son père possédait une filature de coton), Wibaux s'est établi début 1883 sur les bords de la rivière des Castors dans le Montana.
Droulers indique : « Sa première habitation est un terrier qu'il creuse dans la berge. La température, la nature du sol, sont beaucoup meilleures dans cette région que dans le Dakota où Morès a établi son domaine. Cette circonstance jointe à sa ténacité suffirait à expliquer le succès de son entreprise. Il profite de l'expérience de Morès avec lequel il entretient des rapports très amicaux.
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Il se garde d'entreprendre l'élevage du mouton et se borne à celui des bœufs. Son troupeau atteint le chiffre de 50.000 bêtes à cornes. Il met son affaire en société, fonde une banque, devient président de la Banque nationale du Montana. Une agglomération se forme autour de son ranch et les habitants décident de lui donner le nom de Wibaux. La ville est située à trente-cinq miles de Medora, sur la même ligne de la Compagnie Northern Pacific qui contribue à son développement en y créant de vastes entrepôts. »
Wibaux (Montana) et Medora (Dakota) existent toujours aux USA aujourd'hui. A Medora, on peut voir une très belle statue de Morès : érigée avec les fonds provenant d'une souscription de la *Libre parole,* elle représente le marquis en pied, chapeau de cow-boy dans une main, fusil dans l'autre, bottes aux pieds, cartouchière à la ceinture. En médaillon : Madame de Morès, Medora...
Souvenir émouvant que celui de cet homme que les autochtones avaient surnommé le « crazy Frenchman » : le Français fou. « Appellation dépourvue en leur bouche de tout caractère péjoratif mais qui risquait d'abuser ceux satisfaits d'un jugement hâtif, note Rieupeyrout. Car le Français n'était pas fou et n'avait aucun des caractères propres au « pied tendre », ce bleu venu dans l'Ouest, grisé de l'auréole attribuée au cow-boy par les littérateurs de quatre sous de l'Est. Il connaissait les « droits sur l'eau », la législation terrienne particulière aux vastes pâturages et les mœurs de la société qui les exploitait. »
*(A suivre.)*
Alain Sanders.
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### Thérèse ? Hélas !
par Yves Daoudal
AU MOIS DE JUILLET DERNIER, le SNOP (secrétariat national de l'opinion publique), c'est-à-dire le service de presse de l'épiscopat français, répercuta tous azimuts un article de « Mgr Jean Vilnet, président des évêques de France » publié dans le bulletin diocésain de Lille. Le titre de l'article était : *Thérèse.* Il s'agissait du film d'Alain Cavalier, qui venait d'être primé au festival de Cannes. Et voici ce qu'en disait Mgr Vilnet : « Son scénario ? Aucun. » *Sic*. En lisant cette ahurissante affirmation, je ne pus m'empêcher d'imaginer les critiques de cinéma s'esclaffer et esquisser un sourire de commisération pour cet évêque qui se pique de parler de cinéma et s'imagine qu'on peut faire un film sans scénario.
Mais la suite méritait qu'on s'y arrête bien davantage :
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« Aucun sinon la biographie d'une jeune fille à la fin du siècle dernier, qui a enclos son existence dans l'espace exigu d'un carmel où elle mourut de la tuberculose à la fleur de l'âge. »
Cette biographie, trop pauvre pour que sa transposition puisse être appelée scénario, est celle de « Thérèse de Lisieux ». Mgr Vilnet ne disait pas : *sainte Thérèse de l'Enfant Jésus.* Il disait : *Thérèse de Lisieux.* Il aurait sans doute dit : *Thérèse Martin,* s'il avait été certain d'être compris. Il ne s'agissait pas de l'histoire d'une des plus grandes mystiques de l'histoire de l'Église. Il s'agissait d' « une jeune fille », etc.
Mais alors comment expliquer qu' « un certain Alain Cavalier » ait fait de cette courte vie, incapable de donner un scénario, un « film envoûtant » (sic) ? Eh bien, disait Mgr Vilnet qui *n'avait pas vu le film,* c'est Alain Cavalier lui-même qui l'explique. Les chroniques de cinéma des journaux et des magazines reproduisaient alors à qui mieux mieux les propos du réalisateur. Festival de Cannes oblige. Mgr Vilnet n'avait que l'embarras du choix. Et il choisit *Témoignage chrétien,* l'hebdomadaire des chrétiens d'extrême gauche. Et il reproduisit dans son article ce que disait Alain Cavalier au journal qui bénéficie des faveurs du « président des évêques ».
Voici donc « la clé » du film :
« Les carmélites sont amoureuses d'un homme qui n'a cessé de répéter comme un slogan : Je suis la Vie, je suis la Vie, je suis la Vie. Cet homme les enchante et parfois les abandonne. Il tient auprès d'elles tous les rôles : époux, père, enfant... »
Il aurait été du rôle d'un évêque de commenter ces propos à la lumière de la doctrine de l'Église. De montrer qu'ils comportent assurément une part de vérité, mais qu'ils sont néanmoins, tels quels, une lamentable réduction de la réalité de la vie religieuse. De reprendre les mots un à un.
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Au moins de souligner que le « slogan » (le message de salut) « répété » (révélé) par cet « homme » (-- Dieu) n'était pas celui que lui prête Alain Cavalier, mais : Je suis la Voie, la Vérité et la Vie, affirmation fondamentale du Verbe incarné. Mais le « président des évêques » ne faisait aucun commentaire. Pour lui ces propos d'Alain Cavalier exprimaient au contraire de façon claire pourquoi ce film était « envoûtant ». C'est peut-être le moment de remarquer que dans le vocabulaire catholique le mot *envoûtant* n'a pas précisément un sens valorisant...
Et Mgr Vilnet ajoutait à la panoplie admirative « ce constat dont l'humour n'a rien de sacrilège » mis dans la bouche d'une « compagne de Thérèse » : « Dire qu'on en pince toutes pour un type mort il y a deux mille ans et on ne sait même pas s'il a existé ! »
Le Fils unique de Dieu, qui s'est anéanti jusqu'à la mort sur la Croix pour nous acquérir la Rédemption éternelle. On en pince pour ce type à cause de son slogan : pour le « président des évêques », c'est un *constat,* un constat *amusant,* qui n'a *rien de sacrilège...*
Intarissable, Mgr Vilnet poursuivait :
« Aujourd'hui encore, nous qui faisons profession de foi au Christ \[ce type qui répétait son slogan\] *sommes interpellés.* »
Il fallait le dire. Il l'a dit. Mais, en fait, on s'aperçoit qu'en disant *nous,* c'est à *vous* que s'adressait Mgr Vilnet, c'est *vous* qu'il « interpellait », vous les traditionalistes. Car voici la suite :
« Que ceux qui mobilisent l'opinion jusqu'à des manifestations de rue à l'encontre de films jugés inadmissibles sachent soutenir une telle réalisation. Montrons que les catholiques ne sont pas uniquement cantonnés dans une réserve critique à l'encontre des grands media de notre époque. »
Ces deux phrases sont scandaleuses à plus d'un titre. Elles montrent dans quel mépris Mgr Vilnet tient les catholiques conscients d'être catholiques. La seconde est stupidement calomniatrice.
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On ne voit pas où le « président des évêques » a pu constater que les catholiques seraient « uniquement cantonnés dans une réserve critique » à l'encontre du cinéma. L'accusation est plus ridicule encore que calomniatrice, et au fond il vaut mieux pour son auteur qu'il en soit ainsi. La première phrase est la claire affirmation que Mgr Vilnet ne juge pas inadmissibles les films qui blasphèment ouvertement l'Incarnation et la Vierge Marie. On avait cru comprendre que le noyau dirigeant de l'épiscopat français réprouvait les manifestations organisées contre l'ignoble *Je vous salue Marie* de Godard. S'il y avait une ambiguïté, il n'y en a plus désormais. Le « président des évêques » a parlé.
Quant à la mise en demeure qui nous était faite de « soutenir » le film d'Alain Cavalier, elle était évidemment inacceptable. Non seulement en raison du contexte, mais surtout parce qu'il est contraire à la plus élémentaire honnêteté de louer un film qu'on n'a pas vu. On peut éventuellement faire écho au jugement de quelqu'un qui l'a vu et en qui on a toute confiance, mais précisément il est difficile d'accorder toute confiance à Mgr Vilnet, et surtout celui-ci disait lui-même qu'il ne l'avait pas vu. Il en parlait par ouï-dire, et donnait ses ordres d'après des on-dit, dans une sorte de défi.
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*Thérèse* d'Alain Cavalier est sorti dans les salles en septembre. Et je suis allé le voir aussitôt. A vrai dire, après les articles que j'avais lus ici et là, je n'en avais plus guère envie. Mais par principe je n'accorde aucune importance à ce que disent les réalisateurs de leurs œuvres, et je n'excluais pas que les critiques n'aient rien compris au film, même si je devais me rendre à l'évidence qu'en retournant leurs articles (qu'ils soient favorables ou défavorables) dans tous les sens, en les prenant à contre pied, en lisant entre les lignes, rien ne paraissait pouvoir sauver l'entreprise de M. Cavalier.
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J'espérais donc découvrir la profondeur spirituelle cachée que personne n'avait appréhendée (par exemple)... et me trouver enfin un point d'accord avec Mgr Vilnet. De plus, les films à résonance vraiment spirituelle sont tellement rares, et les films réellement catholiques tellement plus rares encore, que je me sentais malgré tout porté à la plus extrême bienveillance.
Hélas aucune bienveillance ne peut sauver ce film. Car le plus grave est qu'il est terriblement anti-spirituel. Il pèse sur les images et la bande sonore une charge psychique oppressante, et de plus en plus oppressante à mesure que l'on avance. Je ne sais de quelle névrose inconsciente souffre Alain Cavalier, mais l'étrange déballage caché (dans le « non-dit », pour employer le jargon à la mode) de ses difficultés « existentielles » est pénible et met mal à l'aise. Sans parler de certaines séquences positivement sinistres où passe « en clair » un souffle qui a quelque chose d'infernal.
Cette oppression psychique est soulignée à l'image par cette toile grisâtre qui est l'unique fond devant lequel les rares meubles paraissent flotter -- et aussi les personnages -- comme dans le néant, le vide -- un vide qui n'a assurément rien à voir avec le *nada* de saint Jean de la Croix.
Elle est soulignée dans la bande sonore par cette amplification indiscrète de tous les bruits (en l'absence de toute musique), qui transforme le moindre froissement en tempête d'équinoxe, et les chuchotements en sifflements de serpent.
Sans doute certaines images sont-elles objectivement très belles. Mais on voit les influences. Or, sur le plan de la composition et de l'utilisation des couleurs, on est loin de Bresson ; en ce qui concerne le vide, il n'a ici aucunement la valeur d'interrogation métaphysique qu'il a chez Bergman ; et si cette suite de brèves séquences aux fins abruptes, sans fondus ni enchaînement, fait penser à Godard, ce ne peut guère être un compliment.
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Anti-spirituel dans son essence même, le film est agnostique sur le plan religieux. De fait Alain Cavalier est agnostique, on ne peut donc guère le lui reprocher sauf le fait d'avoir choisi, et donc défiguré, sainte Thérèse. L'imposture se manifeste brutalement dans le fait que pas une seule fois on ne voit les religieuses dans leur chapelle, que ce soit pour l'office ou pour la messe. Réaliser un film d'une heure et demie sur des carmélites sans montrer un instant la prière conventuelle et le saint sacrifice qui en est le cœur, c'est refuser sciemment la réalité carmélitaine, la spécificité de la vie religieuse, et donc sainte Thérèse elle-même. C'est également s'enfoncer dans un grave contresens sur l' « histoire d'amour » que vivent les carmélites avec Jésus. Car s'il est vrai que les mystiques féminines emploient souvent, et parfois avec une grande audace, le langage de l'amour humain (comme dans le *Cantique des cantiques,* cité jusqu'à plus soif par Alain Cavalier), il est inadmissible de passer sous silence la divinité de Jésus, l'aspect trinitaire de l'adoration carmélitaine, et le culte rendu à la Vierge Marie.
Après cela, les erreurs d'ordre liturgique et historique ne sont que peccadilles. Elles sont pourtant grossières et gênantes. L'aumônier donne la communion en dehors de la messe (et de la chapelle) sans raison apparente, en utilisant les paroles de la messe de Paul VI en français ; ce prêtre porte une étole rouge ; l'évêque ne porte pas de croix pectorale ; ni même le pape, Léon XIII, qui avait alors 77 ou 78 ans et en paraît trente de moins, et fort peu convaincu d'être le souverain pontife...
Les incongruités de langage sont encore plus grossières elles cachent mal leur indigne vulgarité, contraire à la religion naturelle elle-même, derrière la fameuse « distanciation » censée permettre n'importe quoi au nom de la « création artistique ».
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On y entend bien le propos que Mgr Vilnet considérait comme un « constat dont l'humour n'a rien de sacrilège » : « Dire qu'on en pince toutes pour un type mort il y a deux mille ans, et on ne sait même pas s'il a existé ! » « Mais si, mais si ! » répond Thérèse. On entend encore : « Si vous saviez à quoi je passe mes nuits ! » « Et ça ne vous rend pas sourde ? » réplique Thérèse. La novice qui parle ainsi finit par quitter le couvent. On voit alors Thérèse marcher sur un crucifix et le frotter par terre d'un mouvement tournant du pied, pour se venger de Jésus qui n'a pas exaucé ses prières concernant cette novice. Inutile d'insister sur le fait que cette scène est par son aspect sacrilège d'une très haute improbabilité. Et une sœur voyant de nouveau le crucifix près de Thérèse lui demande : « Vous vous êtes remis ensemble ? »
Autre scène scandaleuse : celle de la nuit de Noël, où -- à l'exclusion de tout autre aspect de la « sainte nuit » -- les carmélites éméchées dansent en chantant un air de la *Belle Hélène,* l'une d'elles berçant une statue de l'enfant Jésus tandis qu'une autre imite les vagissements d'un bébé.
Sans doute Alain Cavalier a-t-il entendu parler de la « familiarité » des mystiques envers leur époux. Mais il n'est pas allé y voir de plus près, et il est à cent lieues de comprendre que cette « familiarité » dans l'adoration, la prière perpétuelle et l'union divine est aux antipodes des incongruités profanatrices qu'il imagine.
Ce naufrage est d'autant plus regrettable qu'Alain Cavalier avait trouvé en Catherine Mouchet une jeune actrice inconnue qui ressemble physiquement à sainte Thérèse, et qui surtout a parfois des attitudes vraies, dans ce film qui sonne tellement faux, des attitudes et des expressions qui renvoient effectivement à ce que l'on sait de sainte Thérèse par ses photographies et ses écrits.
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Ceux qui les connaissent déjà seront sans doute incités à se replonger dans ces cahiers d'humble et haute mystique. Quant aux autres, peut-être vaguement émus d'un mouvement de sensibilité toute humaine, ils se diront que tout cela est bien gentil mais que ces femmes qui « en pincent pour un type mort il y a 2000 ans » ne les concernent d'aucune manière. Et l'on ne voit pas au nom de quoi on le leur reprocherait.
Yves Daoudal.
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### Impressions de Paray
5 octobre 1986
par Arnaud de Lassus
##### LE POSITIF
####### 1) Le pape, c'est le pape...
Il est venu dans la cité du Sacré-Cœur à une époque où la dévotion au Sacré-Cœur est bien oubliée.
Il a rappelé le message de Paray-le-Monial, ordonné à la Compagnie de Jésus de mettre tous ses efforts à le diffuser ; il a rendu hommage à sainte Marguerite-Marie et au bienheureux Claude de la Colombière ; parlant de la famille, de la fidélité conjugale, du respect de la vie, il a montré la place de la dévotion au Cœur de Jésus dans la vie familiale.
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Et ses attitudes, ses rappels, ses objurgations, ses conseils ont été répercutés partout...
... pour être oubliés demain, diront certains. Pas nécessairement : nous pouvons contribuer à ce que l'impulsion ainsi donnée par le chef de l'Église ne soit pas perdue.
####### 2) Le pape, c'est le pape...
Et, des quatre coins du pays, le bon peuple français est venu lui rendre hommage, est venu rendre hommage, à travers sa personne, à la monarchie pontificale qui est l'une des colonnes de l'Église.
La fidélité à Rome est chez nous une vieille tradition ; fidélité maintenue, même quand Rome nous déçoit, nous meurtrit, donne l'impression de ne plus savoir ce qu'elle fait ou d'être colonisée par des forces ennemies.
Le cinq octobre, à Paray, la fidélité romaine du peuple catholique de France s'est manifestée avec force.
##### LE NÉGATIF
####### 1) Un message atténué
Sans doute le message de Paray a-t-il été rappelé, mais de façon incomplète ; les douze promesses n'ont pas été évoquées avec précision ; rien n'a été dit sur les demandes du Sacré-Cœur concernant la France ; rien non plus, nous semble-t-il, sur le devoir de réparation.
####### 2) La révolution liturgique en acte
La messe du 5 octobre à Paray manifestait, de façon saisissante, les effets de ce que le père Joseph de Sainte-Marie appelait « *la révolution permanente dans la liturgie* » ([^7])*.*
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Il n'est pas question de mettre ici en doute la chaleur humaine de la grande assemblée, la joie des fils de retrouver leur père dans la foi, l'enthousiasme exprimé par les dizaines de milliers de foulards multicolores balancés avec ensemble ; il n'est pas question de minimiser la beauté des chants rythmés accompagnant la cérémonie. Mais, dans tout cela, que devenait le saint sacrifice de la messe ?
Une liturgie sans latin (sauf pour le Pater) ; un mini-credo par questions et réponses ; un canon pris parmi ceux pour messes de réconciliation ; une élévation que ne signalait aucune sonnerie et à laquelle la foule assistait debout ; des chants rythmés, d'une beauté certaine -- répétons-le -- mais qui ne correspondaient pas à ce qu'on est en droit d'attendre d'une liturgie catholique ([^8]) ; et surtout un manque de respect flagrant pour la distribution de la sainte communion ([^9]). Manque de respect contrastant avec le respect -- éminemment louable -- dont était entourée la personne du saint-père.
A quoi assistait-on ? A une assemblée amicale venant fêter le plus illustre de ses membres ou au saint sacrifice de la messe ? Aux deux à la fois sans doute, mais la première impression prédominait sur la seconde.
On pouvait constater les résultats de vingt ans de révolution liturgique : dans le peuple chrétien, le sens du sacré, le sens du mystère, le sens du sacrifice offert à Dieu se perd de plus en plus.
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####### 3) Un corps malade qui ne se sait pas malade
Transformation de la messe qui ressemble de plus en plus à un « *community singing* » de style protestant, perte du sens du sacré... là n'est pas le plus grave, nous semble-t-il.
Quand un corps social est malade et qu'il se sait malade, la guérison peut être proche ; car les responsables s'en préoccupent.
Quand un corps social est malade et qu'il ne se sait pas malade, la situation est pire. Et les espoirs humains de guérison sont faibles.
Tel était le cas, nous semble-t-il, pour l'assemblée de Paray. Un corps catholique ayant perdu en partie le sens du sacré et à qui sa ferveur pour le pape donnait l'illusion d'être en bonne santé spirituelle. Les gens pour la plupart paraissaient heureux des chants qu'ils entendaient, de la cérémonie à laquelle ils assistaient. Ils étaient à cent lieues d'imaginer qu'ils participaient à une liturgie partiellement dégradée. Dégradée ? Comment cela, puisque le pape l'avalisait par sa présence et comme officiant !
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Quelle conclusion tirer de ces éléments contrastés ? Qu'il faut bien sûr insister sur le positif, en tirer parti.
Et le positif de la visite du pape à Paray-le-Monial, c'est principalement la remise en valeur du culte du Sacré-Cœur. Or, comme le disait le cardinal Pie ([^10]) : « Le culte du Sacré-Cœur c'est la quintessence même du christianisme, c'est l'abrégé et le sommaire substantiel de toute la religion... Le christianisme ne saurait être identifié aussi absolument avec aucune autre dévotion comme celle du Sacré-Cœur. »
Arnaud de Lassus.
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### La sainte Église catholique (III)
par le P.Emmanuel
Quatrième article, juin, 1883
#### Prophéties touchant l'Église
On a vu, dans le précédent article, comment l'Église avait pour ainsi dire couvé dans l'humanité avant Notre-Seigneur. Durant une première période, à savoir d'Adam à Moïse, elle est disséminée dans tous les peuples avec les traditions primitives, mais secrètement, sans aucune forme visible ; à dater de Moïse, elle se concentre plus spécialement dans le peuple juif, il apparaît au monde une figure de ce qu'elle doit être, et sous cette figure elle prépare son apparition. Enfin Notre-Seigneur l'a fait surgir et éclater au grand jour.
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En disant que l'Église était comme concentrée dans le peuple juif, nous sommes loin de prétendre qu'il n'y ait eu d'élus que parmi ce peuple. Saint Augustin démontre qu'il y en avait parmi les autres peuples, communément désignés sous le nom de Gentils. (*De civ. Dei.,* lib. XVIII, cap. 47.) Nous disons seulement que le peuple juif était comme le creuset mystérieux, dans lequel s'élaborait lentement cette merveille des merveilles qu'on nomme l'Incarnation, et cette autre merveille qu'on nomme l'Église.
Ce peuple contenait une multitude d'hommes charnels ; et ceux-là n'entendaient rien à l'état prophétique au milieu duquel ils vivaient. Mais il y avait aussi des hommes spirituels ; et ceux-là, élevés par la foi au-dessus de leur temps, pénétraient l'avenir, et voyaient clairement que cet état n'était qu'une préparation à un ordre de choses tout spirituel et tout divin.
Ces hommes ont écrit : et l'ensemble de leurs écrits, nommé l'ancien Testament, comprend à la fois et la description de l'état où ils sont et la prophétie du monde futur.
Nous allons étudier ces prophéties. L'Esprit Saint les a inspirées : car c'est lui *qui a parlé par les* *prophètes*. *(Symb. Nic.)* « Par eux, dit saint Augustin, Dieu préparait les âmes des hommes, afin qu'ils désirassent ce Pontife pour lequel il n'est pas besoin de prier. » (*Cont. Ep. Pet*., lib. II, CV.) Ils dépeignent donc ce Pontife : mais en même temps ils dépeignent ce peuple nouveau, au milieu duquel il doit exercer son sacerdoce, et qui est l'Église étendue au monde entier.
Les prophètes attribuent à cette Église plusieurs caractères, par lesquels elle contraste complètement avec la synagogue juive : 1° Elle est universelle, et doit comprendre tous les peuples ; 2° Elle est indéfectible, elle a des promesses d'une éternelle durée ; 3° Elle est spirituelle. Nous allons reconnaître successivement, dans les prophéties, cette triple marque de l'Église de Jésus-Christ.
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Premièrement, disons-nous, les prophètes parlent unanimement de l'Église comme devant s'étendre au monde entier.
L'ancien Testament était nécessairement borné à un peuple : car il consistait en ce que ce peuple se développait temporellement sous la conduite de Dieu qui y maintenait la vraie religion. Le Psalmiste chantait : Dieu est connu en Judée, son nom est grand en Israël. (*Ps*. LXXV.) Le temple de Jérusalem était le seul lieu du monde où Dieu fût légitimement honoré. Tout indique une restriction à un coin de l'univers.
Quand il est question de l'Église, au contraire, toutes les bornes sont levées, il n'y a d'autre limite à son empire que le monde lui-même.
Écoutons Dieu qui parle à Abraham : *En toi, toutes les nations seront bénies.* (*Gen.* XII, 3.) En toi, dans ta race, c'est-à-dire, comme l'explique saint Paul (*Gal*., III, 6), dans le Christ qui sortira de ta race, toutes les nations participeront à une commune bénédiction.
Plus tard Jacob, annonçant à son fils Juda de magnifiques destinées, lui déclare que le sceptre ne sortira pas de sa race, jusqu'à ce que vienne Celui qui doit être envoyé : et il sera, ajoute-t-il, *l'attente des Gentils,* il viendra pour sauver tous les peuples du monde. (*Gen.*, XLIX, 10.)
Ainsi, dès le commencement, avant même qu'il y eût un peuple juif, il est établi que le Sauveur sortira de la race d'Abraham, de la descendance de Juda, mais que le salut s'étendra d'Israël à tous les peuples.
Les psaumes sont remplis d'allusions à ce règne du Messie sur toute l'étendue de la terre. Dans le psaume II, Dieu donne à son Fils en héritage toutes les nations, et en possession les confins du monde. Le psaume XXI, qui dépeint d'une façon si surprenante la passion de Notre-Seigneur, nous en montre le fruit ; et c'est que *toutes les nations se ressouviendront du Seigneur et se convertiront à lui.* Le psaume LXXI est tout entier une magnifique peinture de l'univers soumis à la domination pleine de douceur du Fils de Dieu. Nous nous bornons à ces citations : l'esprit de ces divins cantiques est un esprit de louange universelle, c'est déjà l'Église qui chante et qui prie.
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Nous pourrions également apporter presque tout Isaïe à l'appui de notre thèse. Ce prince des prophètes vivait par avance au sein de l'Église. Il voyait tous les peuples marcher à sa lumière ; il voyait Dieu prendre dans la gentilité des prêtres et des lévites ; il voyait les îles, c'est-à-dire les peuples les plus éloignés du globe, attendre avec impatience les envoyés du Seigneur. « Venez à moi (dit le Seigneur à tous les peuples), écoutez et votre âme vivra, et je passerai une alliance éternelle avec vous. Voici que j'ai donné (mon Christ) aux peuples comme témoin, aux Gentils comme chef et comme maître. Tu appelleras la nation que tu ne connaissais pas ; et les peuples, qui t'ignoraient courront à toi, à cause du Seigneur ton Dieu, et du saint d'Israël qui t'a glorifié. » (*Is*., LV, 3-6.) Que peut-on souhaiter de plus formel pour établir la catholicité de l'Église ?
Non seulement les prophètes contemplaient ces magnifiques promesses, mais ils en désiraient l'accomplissement avec une ardeur extrême. « Ayez pitié de nous, ô Dieu de tous, s'écriait l'Ecclésiastique, regardez-nous et découvrez-nous la lumière de vos miséricordes. Envoyez votre crainte sur les nations qui ne vous cherchent pas, afin qu'elles sachent qu'il n'y a pas d'autre Dieu que vous et qu'elles racontent vos merveilles. Levez votre main sur les nations étrangères, afin qu'elles voient votre puissance. De même qu'en leur présence vous avez été sanctifié en nous, ainsi en notre présence vous serez glorifié en elles : afin qu'elles sachent, comme nous le savons, qu'il n'y a point d'autre Dieu que vous, ô Seigneur. » (*Ecclesiast.*, XXXVI, 1-16.) Magnifique prière ! Elle est réalisée aujourd'hui ; et, grâce à l'Église, l'univers entier est en voie de connaître le seul vrai Dieu.
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Les Juifs ne disconvenaient pas que le règne du Messie dût embrasser tous les peuples ; seulement, ayant perdu le sens tout spirituel des prophéties, ils en étaient venus à le regarder comme un conquérant qui devait leur soumettre l'univers entier.
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Ils ne faisaient pas attention que les promesses qui les regardaient eux personnellement étaient conditionnelles, tandis que les promesses relatives au Messie et à son Église étaient absolues et éternelles.
Dieu leur promettait la félicité, la prospérité, et, disons-le, une sorte de magistrature sur le reste du monde, s'ils lui étaient fidèles à lui et à son Christ : au cas contraire, il les menaçait d'une irrémédiable dispersion qui serait leur anéantissement comme peuple.
La prophétie de Jacob, relatée plus haut, suppose expressément que le sceptre sortira de Juda lors de la venue du Messie : ce qui marque assez le déclin du peuple juif. Le Deutéronome, ce testament sublime de Moïse, roule tout entier sur ce thème que l'existence *sociale* du peuple est attachée à sa fidélité à Dieu (ch. XXVIII). Plusieurs psaumes posent comme condition à la durée de la nation juive son obéissance à la loi divine. Osée voit les enfants d'Israël rester de longs jours sans roi, sans prince, sans sacrifice, sans sacerdoce, sans oracle, en un mot anéantis comme peuple, et cela pour cause d'infidélité. (Os., III, 4.) Isaïe met cette infidélité en regard de la vocation des Gentils : « Ceux qui ne m'interrogeaient pas m'ont cherché, ceux qui ne me cherchaient pas m'ont trouvé ; j'ai dit me voici, me voici, au peuple qui n'invoquait pas mon nom. » Et, au contraire, « J'ai tendu les bras au peuple incrédule qui marche dans la voie qui n'est pas la bonne, en suivant ses propres pensées. » (LXV, 1-2.) Saint Paul s'empare de ce texte pour représenter aux Juifs leur opposition au Sauveur, *cause de leur réprobation.* (*Rom*., X, 21-22.) (*Heb.,* V, VIII, 8-13), il leur met sous les yeux un passage de Jérémie qui annonce clairement la substitution d'une alliance nouvelle à celle passée avec leurs pères sur le Sinaï, et qu'eux-mêmes ont rompue.
Tous ces textes montrent surabondamment le caractère conditionnel des promesses faites à la nation juive : par contre celles qui sont faites à l'Église sont absolues et indéfectibles.
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Dans tous les passages si nombreux où le Messie est représenté comme assis sur un trône éternel, il est implicitement supposé qu'il aura un peuple à lui, et que ce peuple jouira sans fin des bienfaits de son empire : dans toutes les promesses faites au sujet du Messie, l'Église est donc renfermée, comme étant cette maison de Jacob dans laquelle il régnera éternellement. (Luc, I, 32.) Parfois, elle est explicitement désignée comme ayant part à l'éternité des promesses. « Je passerai avec vous, dit Dieu aux hommes, un pacte éternel ; ce sont les miséricordes promises à David et qui ne manqueront pas. -- Pareils aux cieux nouveaux et à la terre nouvelle que j'établirai devant moi, votre postérité et votre nom subsisteront en ma présence », c'est-à-dire éternellement (*Is*., LV, 3, LXVI, 22).
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Toutes ces promesses de fécondité, de perpétuité, faites à l'Église du Messie, sont voilées le plus souvent sous les images d'une prospérité temporelle. Les prophètes, hommes spirituels, parlaient à un peuple charnel encore, et c'est pourquoi ils présentaient les biens spirituels sous des couleurs empruntées à la vie présente. Toutefois, sous ces images, on reconnaît aisément un règne spirituel, une société spirituelle.
Quand le Psalmiste peint la justice et la paix qui germent de terre sous le règne du Messie ; quand il le montre prenant soin des pauvres et des petits ; quand il dit qu'il racontera à ses frères le nom de Dieu, qu'il le louera dans une grande Église : nous avons une peinture de la douceur et des bienfaits de l'Évangile. (*Ps*. XXI, 23-26.)
Quand Isaïe dit que la connaissance de Dieu couvrira le monde, comme les flots couvrent le fond de la mer, il fait voir qu'il sera conquis par la prédication, non par les armes (XI, 9). Quand il décrit les souffrances inouïes de Celui qu'il nomme le Bras de Dieu, et qu'il y voit le salut de tous les hommes, et le gage d'une longue postérité (LIV), il nous initie au plus profond des mystères, et au plus éloigné du sens humain : la rédemption du monde par la croix.
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Quand Jérémie, après avoir parlé de la nouvelle alliance, donne pour caractère au peuple nouveau, que tous connaîtront Dieu du plus petit au plus grand, que tous auront la loi de Dieu écrite dans leurs cœurs, il ne pouvait marquer plus clairement une société spirituelle (XXI, 33).
Nous pourrions prolonger ces citations : elles suffisent pour démontrer que les prophètes ont vu et connu l'Église comme société éminemment spirituelle, comme autant élevée au-dessus des sociétés temporelles que les pensées de Dieu le sont au-dessus des pensées des hommes.
Nous allons voir, maintenant, Notre-Seigneur à l'œuvre dans la formation de cette Église, qui est à la fois le fruit de son sang et l'objet de son amour.
(*A suivre*.)
Père Emmanuel.
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**Le fond de la question **
### Le vote par ordre
Henri CHARLIER
96:308
NOUS NOUS RÉJOUISSONS, comme (presque) tout le monde, de ce que la IV^e^ République ait fini comme une chandelle qui s'éteint, et sans crise de *delirium tremens.* Mais nous ne pensons pas que le bien se fera aisément ni que la société retrouvera facilement son équilibre. Il y a trop d'idées fausses.
Il s'est heureusement trouvé un homme qui pouvait faire accepter son arbitrage par la grande majorité de la nation, et cela est certainement un ménagement de la Providence envers le peuple le plus trompé de l'univers. Cet homme lui-même n'avait pas, dans le passé, montré un juste sens politique ... Ce qui est fait est fait. Éclairé sur les fautes qu'il a commises, il est probable qu'il ne recommencera pas les mêmes. Il est obligé de s'entourer de fonctionnaires, qui sont effectivement à peu près les seuls hommes compétents dans les affaires d'État : mais ces fonctionnaires feront tout le possible pour empêcher de naître les institutions libres qui permettraient de gouverner sans eux. Leur compétence est surtout *administrative ;* elle est doublée du privilège pratique de *gouverner ;* et le gouvernement *par l'administration* est désastreux pour la nation. Les institutions nous manquent, qui permettraient à l'État de *gouverner sans avoir besoin d'administrer.* Il est douteux que l'administration se laisse facilement déposséder d'un pouvoir politique qui pourtant ne devrait pas lui appartenir. C'est le prix de cette administration irresponsable qui obère financièrement la nation ; c'est elle qui stérilise les efforts des citoyens libres.
\*
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MAIS le fond du problème n'est pas là. Le fond du problème est que *le nombre ne fait pas le droit.* C'est là-dessus que les idées fausses seront le plus difficilement vaincues et c'est à ce sujet que les conflits naîtront le plus facilement. Il y a un droit naturel, une morale naturelle contre lesquels le nombre n'a droit à rien et ne signifie rien. Cent hommes peuvent avoir tort et un seul représenter le droit naturel et la raison. Il faut donc enseigner avant toute chose la morale et la justice, pour que la majorité des hommes recule devant les atteintes à la justice que leur conseilleraient leurs passions. On fait le contraire ; on a mis en doute, dans l'enseignement même, tous les principes. Les partis politiques ne font guère qu'exciter les passions et rendre impossible l'observation des règles du droit naturel.
Les religieux ont été chassés de France, l'Église a été spoliée à quelques voix de « majorité ». Toutes les lois contre l'enseignement religieux ont été ainsi votées ; tandis que nous payons aux Musulmans leur enseignement religieux, nous le refusons aux Français. Contre l'intérêt, bien visible à présent, de tout le peuple, les propriétaires d'immeubles sont spoliés depuis quarante ans. Ne croyez pas que les catholiques soient exempts de cette perversion de l'esprit, malgré qu'ils en soient bien souvent les victimes. Des catholiques ont fait voter les nationalisations par lesquelles furent spoliés d'au moins la moitié de leur avoir une foule de petites gens.
Ce n'est pas autre chose que la « fascination de la quantité » comme dit Claudel. Donnons aussitôt un exemple qui fasse comprendre comment cette justice de la quantité est opposée à la véritable nature des choses. Voici quatre cents paysans, éleveurs, habitants d'un village, qui ont du lait à vendre ; quelques industriels laitiers qui le leur achètent pour faire de la crème, du fromage et du beurre. Et quelques commerçants qui vendent ces produits. Ils ont besoin de s'assembler pour régler des intérêts professionnels en vue, par exemple, d'un marché commun.
98:308
Votera-t-on au suffrage universel ? Non. Les producteurs de lait sont de beaucoup les plus nombreux ; les intérêts légitimes des laitiers et des commerçants seraient, certainement, injustement sacrifiés. Le résultat serait qu'il n'y aurait pas d'organisation interprofessionnelle et que chacun tirerait à soi au détriment de tous. Il faudra voter *par ordre* comme aux états généraux autrefois. Par exemple, trois représentants des producteurs, trois des laitiers, trois des commerçants ; et on verra tour à tour laitiers et producteurs s'imposer aux commerçants (par exemple par une marque d'origine), commerçants et industriels imposer aux producteurs une certaine qualité du lait, commerçants et producteurs fixer aux laitiers une marge de profits. (Ce nombre *trois* a réellement une vertu.) Si cette organisation interprofessionnelle ne s'établit pas, à chaque échelon (canton, pays, etc.), on aura une main-mise des technocrates de l'administration qui prendront des décrets à tort et à travers ; quoi qu'il arrive, quels que soient les désordres économiques amenés par l'action d'hommes *irresponsables pécuniairement et politiquement,* ces technocrates toucheront de bons appointements ; il n'est pas de pire vice social. Le monde ouvrier comprend très bien tout cela ; il ne lui vient même pas à l'idée de faire voter au suffrage universel les conventions collectives en mêlant les voix de trois directeurs, dix « cadres » et deux cents ouvriers. L' « *ordre* » est une notion naturelle ([^11]). Ce n'est point par justice qu'on y a renoncé, mais par une fausse idée d'égalité.
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Les hommes sont tous inégaux en dons naturels et c'est à l'avantage de la société humaine quand celle-ci daigne observer la loi morale. Je suis bien aise qu'il y ait des gens plus habiles que moi pour assembler un meuble, faire la soupe ou calculer la poussée d'un moteur. La justice ne demande l'égalité que devant la justice ; là il ne doit pas y avoir d'acception de personne. Mais cela fut connu de tout temps. S. Louis, Charlemagne, Salomon sont célèbres pour les exemples qu'ils en ont donné. Aristide aussi, mais le suffrage universel l'a exilé à cause de cela.
La justice de la quantité telle qu'elle domine aujourd'hui est issue des idées fausses sur l'égalité qu'a répandues Jean-Jacques Rousseau. Quelle confiance donner à un idéologue qui dans son *Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes* écrit : « Commençons par écarter tous les faits ; car ils ne touchent point à la question (de la loi naturelle). Il ne faut pas prendre les recherches dans lesquelles on peut entrer sur ce sujet pour des vérités historiques, mais seulement pour des raisonnements hypothétiques et conditionnels, plus propres à éclairer la nature des choses qu'à en montrer la véritable origine, et semblables à ceux que font tous les jours nos physiciens sur la formation du monde. » Commençons par écarter les faits ! Quel aveu ! Des raisonnements hypothétiques plus propres à éclairer la nature des choses que les faits !
Les faits, ce sont des exemples comme celui que nous venons de donner ; on eût dû être fixé déjà sur les raisonnements conditionnels de la science du temps de Jean-Jacques ; et quand on sait le nombre d'hypothèses scientifiques qui se sont succédées et détruites l'une l'autre depuis son temps, comment n'être pas effrayé d'idéologies qui « écartent les faits » et l'histoire ?
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Et quel désastre pour la société que ces expériences successives et contradictoires !
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L'Algérie est un terrain tout prêt pour que ces erreurs aient un effet mortel. La justice de la quantité y causerait le même désordre que dans une association interprofessionnelle du lait. Le fond de la question est celui-ci : comment éviter l'injustice manifeste (et le désastre politique) qu'amènerait la *justice de la quantité,* en subordonnant la population active, instruite, productrice, à une multitude ignorante ne songeant qu'à consommer les biens accumulés ? Personne n'en parle ouvertement, à cause d'habitudes mentales jamais contrôlées, à cause d'une superstition inavouée, honteuse et tenace envers les idées « démocratiques » confondues sans raison avec la superstition de la quantité : car celle-ci interdit à tout peuple qui veut être sain et prospère de mettre en valeur ses élites.
Aussi, pour éviter d'être une minorité, les « Roumis » demandent l'intégration complète à la France, ce qui, étant donné la différence des économies, est presque une impossibilité financière et économique, sinon à longue échéance. Les Musulmans qui sont la majorité numérique sont exposés à désirer des institutions qui fassent jouer à leur avantage la justice de la quantité. Et les solutions sont d'autant plus délicates que les Musulmans eux-mêmes sont très différents les uns des autres. Ceux qui vivent habituellement mêlés aux « Roumis » en ont à peu près les habitudes, et leurs femmes désirent la liberté des chrétiennes. (Comme les chrétiennes ont oublié que cette liberté leur venait du Christ, nous doutons qu'il puisse s'en suivre quelque bien pour les unes et les autres.)
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Mais beaucoup de ces Africains d'origine vivent et pensent comme il y a trois mille ans, à côté du tombeau de l'ancêtre du clan, et font un sacrifice pour le premier labour de l'année. J'honore davantage de telles habitudes, qui maintiennent l'esprit en présence des mystères du monde, que celles de nos compatriotes ne cherchant qu'à jouir de la vie, mais elles ne facilitent pas l'assimilation, sinon avec des hommes pieux et cherchant avant toute chose le royaume de Dieu. Partout nous retrouvons cette nécessité de la religion pour comprendre et agir bien.
Il faudrait des institutions libérales à *la base,* c'est-à-dire dans le district, le canton, la tribu. Les petites communautés kabyles sont de petites républiques régies par les anciens comme les tribus d'Israël au temps des Juges, avec des manières de penser très semblables et très peu actuelles. Il faudrait s'en rapporter à eux sur ce qu'ils désirent, faire voter par tribus dans les djebels, par professions dans les villes, assembler ces représentants et ensuite voter *par ordres.* Il faudrait trente ans d'un essai patient de ces réformes de base, il faudrait ajouter petit à petit les institutions que l'expérience révélerait utiles et bonnes, supprimer celles qui se sont révélées funestes. Comment obtenir cela de ces fonctionnaires parisiens qui ont déjà en poche une *loi-cadre* toute prête, leur permettant de faire tout ce qu'ils voudront ? Et qui refusent systématiquement aux citoyens français cette liberté de base des communautés élémentaires de la nation ? Nous l'avons montré récemment au sujet des artisans et des propriétaires forestiers ([^12]).
Comment faire comprendre cela aux politiciens, musulmans ou non ? comment faire comprendre cela *au monde *?
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Car les politiciens qui en profitent ont répandu partout des idées si rudimentaires et si fausses que la justice de la quantité est prônée dans tout l'univers comme l'idéal que doit se proposer l'amour du peuple et de son bien. Les Français ont pu voir que tout le monde était contre eux, au nom de ces idéologies qui ont eu leur origine en France (sinon par des Français). Par tout le monde les « idées françaises » sont celles de la Révolution.
Or c'est une erreur que les idées françaises soient telles ; ce sont celles seulement qui ont prévalu dans notre Université et notre gouvernement. Edgar Quinet écrivait dans la préface de son *Marnix *:
« Il faut que le catholicisme tombe ... Honnête Brutus, dupe magnanime, prends garde ! Antoine te perdra si tu ne perds Antoine ... La Révolution française n'osait frapper le passé religieux ; elle n'ôtait pas à ses ennemis l'espérance de renaître ... Il fallait en finir ... Le despotisme religieux ne peut être extirpé sans qu'on sorte de la légalité. Aveugle, il appelle contre lui la force aveugle ... Qu'attendez-vous ? »
Aujourd'hui encore, nos socialistes, comme les communistes et tous les francs-maçons partagent les mêmes idées. Ils sont en état de lutte contre la loi morale universelle et en cherchent vainement une autre qui ne les obligerait pas. D'où tant d'attentats contre l'histoire véritable, perpétrés par l'Université même, et par lesquels on tente toujours de frapper le « passé religieux » ; de frapper *non seulement le christianisme, mais le Décalogue même,* qui n'est pas spécifiquement chrétien, mais simplement *l'expression de la nature morale de l'homme.*
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Dans le même temps où ces idées semblaient prévaloir en France et prenaient à l'étranger le nom d' « idées françaises », la France fournissait les trois-quarts des missionnaires, et créait des moyens d'apostolat universellement adoptés aujourd'hui. L'œuvre de la Propagation de la foi, celle de S. Pierre Apôtre et la plupart des congrégations missionnaires religieuses et enseignantes du monde entier sont françaises d'origine ; la plupart datent de ce XIX^e^ siècle, cru le siècle des idées révolutionnaires ; mais les saints canonisés de ce temps ont une gloire universelle qui ne fait que grandir. Y a-t-il une grandeur issue du peuple et des institutions dites démocratiques qui témoignent davantage pour ce peuple et sa capacité à recevoir les bénédictions divines que la pauvre petite bergère de Lourdes, sainte Bernadette ? Quelle enfant misérable et chétive est jamais parvenue à une telle gloire sur cette terre et de son vivant par un universel suffrage échappant au nombre ? Dieu n'a-t-il pas fait comprendre que les « idées françaises » qu'il bénit sont celles du curé d'Ars, de Bernadette, de sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus ?
Les arts et la poésie sont par essence spiritualistes ; ils ont été en France au XIX^e^ siècle même en lutte constante contre la société révolutionnaire et matérialiste qui les entourait. A cause de cela, la majeure partie de nos grands artistes et de nos grands poètes a vécu dans une situation misérable qui est une des hontes de la civilisation moderne ; elle a fait de ces grands hommes les martyrs du spiritualisme ; de même, ce sont les philosophes français qui ont commencé la guerre contre l'idéalisme philosophique. Enfin, personne ne peut montrer une phalange de poètes chrétiens comparable à celle que forment Verlaine, Francis Jammes, Marie Noël, Claudel et Péguy. C'est-à-dire que depuis longtemps, par en dessous, sous la tyrannie sorbonique et politicienne, dans les parties de la société qui étaient sans pouvoir pour diriger ou enseigner, dans ses véritables élites, la France est redevenue chrétienne et rejette la justice de la quantité.
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Les faits eux-mêmes, en Algérie et ailleurs, y obligent malgré eux ses misérables maîtres. Et c'est pourquoi, dans les convulsions de ce retour difficile à la loi naturelle, elle a contre elle toutes les nations dont l'intérêt ou des nuées diaboliques offusquent la vue et le jugement. Un professeur américain chargé de mission diplomatique nous écrivait lors de l'expédition contre Nasser en 1956 :
« En Italie, je me suis trouvé isolé. Le ministère des affaires étrangères et le président du conseil penchaient du côté de la France ; mais l'opinion publique, du Président de la République au dernier huissier des ministères, des néo-fascistes aux communistes, étaient du côté de Nasser, cléricaux, démocrates et socialistes. Phénomène étrange, ou peut-être pas tellement étrange, si l'on pense qu'à l'O.N.U. il y a eu l'accord entre tous ceux qui, pour une raison ou une autre, à cause du passé ou à cause du présent, n'aimaient pas la France, et surtout : sentiment de haine et d'antipathie pour la culture française. « Ce qui s'est passé n'a pas été seulement une explosion de nationalisme afro-asiatique ou de pacifisme américain ; mais une révolte contre ce par quoi la France a contribué au progrès de l'humanité, Descartes et Voltaire, Bossuet et Lamennais, la révolution, l'Empire et les Républiques. Enfin, pensaient les intellectuels qui croient tout savoir et ne savent rien, on peut prendre la revanche contre Louis XIV, contre Napoléon, contre Clemenceau le Tigre, contre le maréchal Lyautey ... C'est cela qui pour moi a été grave. Les Américains ont été aveugles, ils ont donné la victoire à leurs ennemis. Maintenant, c'est passé ; il y a des changements, espérons qu'ils soient pour le mieux. Mais cela a été très dur. »
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Cet Américain n'a qu'une idée confuse de la vocation de la France ; il ressent seulement qu'elle en a une très particulière et qui pour l'instant (souvent à cause de nos sottises) est incomprise et s'oppose à l'opinion du monde entier ; c'est celle que de Maistre exposait pendant la Révolution même :
« Chaque nation, comme chaque individu, a reçu une mission qu'elle doit remplir. La France exerce sur l'Europe une véritable magistrature, qu'il serait inutile de contester, dont elle abuse de la manière la plus coupable. Elle était surtout à la tête du système religieux, et ce n'est pas sans raison que son Roi s'appelait *très chrétien :* Bossuet n'a rien dit de trop sur ce point. Or comme elle s'est servie de son influence pour contredire sa vocation et démoraliser l'Europe, il ne faut pas être étonné qu'elle y soit ramenée par des moyens terribles. »
La France, étonnée, se trouve en présence de problèmes que les idées fausses rendent insolubles même en son sein. Elle commence d'entrevoir le conflit qu'elles amènent entre les institutions dites démocratiques (et faussement démocratiques) et la nature des choses ; peut-être va-t-elle s'aviser que la justice de la quantité est inhumaine par nature, et que le nombre ne fait pas le droit.
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En effet, le suffrage universel a toujours été prôné par des hommes, révolutionnaires en 1789 ou contre-révolutionnaires comme Bismarck, qui voulaient *mener à leur gré l'opinion.* Aussitôt au pouvoir Bismarck a institué le suffrage universel. Si Louis-Philippe l'eût fait, sa descendance règnerait peut-être encore. Et cela est très facile à comprendre. On fait voter les gens sur de grands problèmes auxquels ils n'entendent rien faute de renseignements, ou sur de grands principes dont les fondements ne sont jamais examinés mais dont l'expression est flatteuse.
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Nous-mêmes votons tous les quatre ans pour le premier venu dont nous ne connaissons pas la pensée, sur un programme assez général pour permettre ensuite de faire n'importe quoi Nous votons contre un autre que nous jugeons pire, sans aucun espoir de voir tenues des promesses que nous savons impossible de tenir dans un pareil système ; on a ajouté en 1946 le vote des femmes, que personne ne demandait, pour éliminer le vote des prisonniers dont on doutait qu'il fût conforme aux intentions des maîtres de l'heure.
Cette souveraineté dérisoire nous importe peu et le nombre des abstentionnistes montre que bien des gens pensent comme nous, qui votons tout de même. Ce simulacre n'est défendu avec énergie que par les parlementaires qui en vivent et le présentent comme le fondement des libertés républicaines. Ce n'est que la liberté pour eux de faire durer un système où il n'est demandé ni expérience ni savoir pour commander, et où il n'y a ni responsabilité, ni sanction dans l'exercice du pouvoir.
Que peuvent bien penser du suffrage universel ces chefs africains sortant de nos écoles et très renseignés sur l'ignorance et l'indifférence de leurs compatriotes ? Qu'ils lui feront dire ce qu'ils voudront dans l'intérêt de leur domination.
Et l'on supprime les libertés élémentaires là où les gens sont compétents, là où ils sont responsables, là où ils sont intéressés à ce que les choses aillent pour le mieux. Des producteurs de lait votant entre eux ne seront pas toujours d'accord, mais ils savent pourquoi et la majorité représente non des passions, mais des intérêts véritables découlant de faits connus et constatés. C'est dans ces sociétés élémentaires que se forment les vrais hommes d'État.
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Il suffirait de réunir les chefs élus de ces sociétés primaires dans le canton, le pays, la province, pour avoir une représentation véritable des élites de la nation. Mais le suffrage universel a pour objet d'éliminer ces élites naturelles ; *ce sont les assemblées locales, les assemblées de métier et de province que suppriment tous les tyrans, tandis que le suffrage universel leur convient très bien.* Les dirigeants des « démocraties populaires » obtiennent 98 % des voix. Et là où l'absence de gouvernement laisse toute liberté aux partis, comme chez nous, ces partis gouvernent leurs hommes par le suffrage universel presque aussi étroitement que les dirigeants russes, dans l'intérêt de leur autorité et non dans celle de leurs mandants. Le saint pape Pie IX appelait ce système : *le mensonge universel.*
La consultation du peuple doit Se faire dans la sphère où la *qualité* prévaut, où la *compétence* existe, au niveau des communautés élémentaires. Les systèmes inventés pour faire prévaloir la justice de la quantité sur le droit sont mortels pour les nations qui s'y asservissent. Les dix commandements du Décalogue sont le fondement de toutes les sociétés stables. Tant qu'on ne l'enseignera pas aux Français et aux habitants de l'Union française comme base de leur vie morale, économique et politique, on ne saura résoudre aucune des questions de justice proposées à notre temps.
Les erreurs sont propagées par notre enseignement même et la plupart du temps de bonne foi, comme des choses apprises et jamais examinées ; c'est pourquoi une réforme intellectuelle est aussi pressante qu'une réforme morale. Les débats là-dessus viennent, nous l'avons montré ([^13]), d'une mauvaise intelligence de l'ordre logique ; ces deux réformes sont la même réforme, car l'esprit de l'homme est un ; les puissances de l'âme ne sont pas indépendantes l'une de l'autre, mais elles sont inégalement puissantes en chacun de nous.
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Enfin le *vrai* est un *bien* que désire la volonté ; le *bien* est de l'être qui doit être conçu par la raison. « *Apprenons donc à bien penser, c'est le principe de la morale.* »
Et puisque nous en sommes aux citations, finissons par les citations héroïques et conjuguées de Péguy et de Pascal. Voici comment Péguy en 1902, plusieurs années avant sa conversion, envisageait la question qui nous occupe :
PÉGUY. -- XIV^e^ *Cahier de la troisième série. Le bon à tirer est du* 22 *avril* 1902.
« Nous devons nous préparer aux élections ...
« Toutes spéculations théoriques sur le suffrage universel étant réservées, en effet, il est devenu incontestable que l'exercice du suffrage universel en France est devenu, sauf de rares et d'honorables exceptions un jeu de mensonge, un abus de force, un enseignement de vice, une maladie sociale, un enseignement d'injustice.
« ... Nous mesurons ce que c'est que deux siècles de la vie d'un grand peuple dans l'histoire de l'humanité ; du premier peuple vraiment, de celui qui a marché le premier et le plus avant dans l'institution de la démocratie. Nous mesurons d'autant la faillite, la banqueroute immense que nous avons faite. Et que le monde a faite avec nous, car l'usage de la démocratie n'a pas donné en Amérique, en Angleterre, des résultats moins lamentables que ceux qu'il a donnés en France. Et quand nous voyons dans les journaux que tant de Russes, que tant de Belges combattent, meurent, nous nous demandons avec anxiété s'ils vivent et meurent pour qu'un jour, dans leur pays un nouveau genre de vice déborde.
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« Faut-il croire que par une loi de fatalité, religieuse ou métaphysique, tout effort humain est damné ? Faut-il croire que tous les biens de ce monde, bons à prendre, sont mauvais à garder ? Faut-il croire que toute acquisition est bonne et que toute conservation est mauvaise ? Tout cela n'est-il qu'un immense divertissement ?
« *Quand je m'y suis mis quelquefois,* à *considérer les diverses agitations des hommes ; et les périls et les peines où ils s'exposent, dans la cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et sou vent mauvaises, etc., j'ai découvert que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre* (...) »
Suit la citation complète des notes de Pascal sur le divertissement : « *Cet homme si affligé de la mort de sa femme et de son fils unique, qui a cette grande querelle qui le tourmente, d'où vient qu'à ce moment il n'est pas triste, et qu'on le voit si exempt de toutes ces pensées pénibles et inquiétantes *? *Il ne faut pas s'en étonner ; on vient de lui servir une balle et il faut qu'il la rejette à son compagnon* (...) »
Les citations de Pascal sont fréquentes dans les premières œuvres de Péguy ; ainsi, dans le dialogue *De la grippe* (1900) ; enchâssées dans la prose de Péguy, elles prennent une allure émouvante et solennelle qui s'ajoute à leur profondeur et qu'elles tiennent de la grande âme de Péguy.
Le suffrage universel est un moyen de divertir le peuple de ses vrais besoins ; on le détourne des vraies sources de la justice, du droit ... et du bonheur, pour le livrer aux tyrans hypocrites régnant sous son nom, qui font prévaloir dans le monde entier la justice de la quantité.
Henri CHARLIER.
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## NOTES CRITIQUES
### Histoire de la Berbérie
Abbé Vincent SERRALDA et André HUART : *Le Berbère... lumière de l'Occident* (Nouvelles Éditions Latines).
Ce petit livre plein d'intérêt est à la fois une histoire de l'Afrique du nord et une histoire de l'Église jusqu'à la conquête musulmane. Ce que l'on appelle Maghreb (Occident) dans nos journaux, et qui fut hier l'Afrique du nord française devrait, les auteurs n'ont pas tort de le dire, s'appeler Berbérie, du nom de ses principaux habitants. Les Berbères représentent un type humain très mélangé -- diverses invasions y ont aidé -- mais ils ont leur langue, leurs coutumes et un tempérament national assez marqué depuis au moins deux mille cinq cents ans. Notez que cette langue et ces coutumes sont plus présentes dans les montagnes que dans les plaines, et plus au Maroc qu'en Tunisie. Jean Servier a relevé l'existence de rites et de croyances qui n'ont rien à voir avec l'Islam, et très vivaces encore dans les campagnes. Reste que beaucoup de ces Berbères parlent arabe et se croient Arabes (ce que Ben Bella faisait acclamer en 1963 : « Nous sommes Arabes ! Arabes ! »).
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La Berbérie n'a connu ni écriture ni État. Pour l'écriture, on parle toujours des caractères tifinar, mais quels textes ont-ils fixés ? Toujours, ces régions furent colonisées : on y a vu Carthage, Rome, les Vandales, Byzance, les Arabes, les Turcs, les Français. Le Maroc semble faire exception. L'unité lui est venue des Berbères sahariens, et ses maîtres n'ont jamais réussi longtemps à dominer tout le pays. Peut-être sommes-nous entrés dans une nouvelle ère, mais je n'y crois pas beaucoup. Si l'on regarde ce qui s'est passé jusqu'ici on voit que ce rivage est le seul de la Méditerranée où ne soit pas née une forme de civilisation, le seul qui n'a jamais allumé le flambeau.
Les auteurs de ce livre montrent un véritable enthousiasme pour le Berbère, ses vertus, sa qualité intellectuelle. On comprend bien que pour eux, il s'agit du Berbère chrétien. C'est de celui-là qu'ils peuvent écrire en conclusion : « Les Berbères ont éclairé l'Occident. Puissent-ils retrouver toute la vigueur de leur flamme et la répandre à nouveau sur le monde, afin qu'elle devienne l'inséparable apanage du titre de Maghrébin. » L'abbé Serralda note que l'Afrique nous avait donné dix grands penseurs quand la Gaule n'en comptait pas encore un seul. On devra attendre saint Hilaire de Poitiers : avant lui, saint Irénée enseigne à Lyon, mais il nous vient de Smyrne.
Ce n'est bien sûr pas moi qui diminuerai l'importance de saint Augustin, si délaissé aujourd'hui. Il est clair que l'Église, si le problème pouvait se poser, lui préférerait Pélage -- et verrait dans le donatisme une théologie de la libération. Saluons aussi avec reconnaissance saint Gélase, grand pape, saint Adrien qui finit sa vie à Cantorbéry et même Tertullien, qui sent bien un peu le fagot. Parmi tant de saints, j'aurais apprécié qu'un mot évoquât sainte Salsa que nous apprenions à aimer à Tipasa (les progressistes la contestent).
Tout cela est bel et bon, et les auteurs font œuvre utile en rappelant tant de titres de gloire négligés. Mais je n'irai pas aussi loin qu'eux. Et d'abord, il me semble que ce n'est pas « Le Berbère » qui a éclairé le monde, mais tel ou tel individu formé, filtré, porté par la civilisation latine et chrétienne. Le Berbère, comme il est bien normal, a toujours valu ce que valait le colonisateur : il n'a guère brillé sous les Vandales ou sous les Turcs (qui sont restés là trois cents ans).
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D'ailleurs, peut-on dire qu'un homme apporte à une civilisation plus qu'il n'en reçoit ? Maurras montre très bien que nous sommes toujours débiteurs. Si grand que soit un homme -- et saint Augustin, par exemple, reste des plus grands -- il ne donnera jamais autant qu'il lui a été donné par le Christ et par Rome. Ce sont là des évidences, qu'on m'en excuse. La lumière diffusée par ces grands Berbères, nous la percevons à travers le latin qu'ils n'ont pas créé, et chaque grand Berbère est devenu « universel » à travers la langue du vainqueur latin, arabe ou français. (Pour le français, il est vrai qu'on peut citer beaucoup de noms médiocres et pas un nom majeur. Cela ne change rien à la chose. Sans doute a-t-il manqué quelques générations d'imprégnation française.)
Il ne faut pas oublier non plus que les Berbères se sont montrés au cours des temps particulièrement indociles et versatiles, aisément rebelles, impulsifs. Trahisons, retournements d'alliance, remplissent leur histoire depuis Syphax et Massinissa. De Tacfarinas sous Auguste à Gildon sous Théodose, l'empire ne cessera presque pas de connaître des troubles en Afrique. Une des causes est qu'à côté d'une population romanisée subsistaient des tribus réfractaires, pour qui la civilisation ne représentait que des chances de pillage. Cet esprit se manifeste encore dans le donatisme, hérésie peu compréhensible si on oublie son caractère « national » une chicaya où la haine de l'autorité et les questions de personnes sont l'essentiel. Cela tourne à la guerre sociale quand les donatistes s'allient aux circoncellions (pilleurs de fermes). Les Vandales ariens mettront au pas ce monde turbulent. Mais quand les Byzantins viennent remplacer Rome, c'est une suite de révoltes et de lâchages. Peut-être les Grecs étaient-ils pervers. Le résultat, c'est que la Berbérie se trouvera seule face à l'Islam et sera conquise. Une bonne part de ses fils s'en console aisément, appréciant la guerre sainte et les expéditions fructueuses qu'elle permet. Cependant, des chrétiens, et des évêques subsisteront jusqu'au XI^e^ siècle. Et une nouvelle Église d'Afrique s'établira après 1830, finissant sous nos yeux comme on sait.
Dans leur bibliographie, les auteurs citent C. A. Julien, auteur du manuel le plus répandu aujourd'hui sur l'histoire de l'Afrique du nord. Je l'ai relu, dans l'édition amendée en 1951 par Christian Courtois, qui avait atténué le caractère polémique de l'œuvre.
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Elle reste malgré cela une longue exaltation des révoltes berbères. C'est une histoire faite pour le FLN, ce qui explique son autorité persistante. Julien (il vit toujours, je crois) est un des grands-prêtres de l'anticolonialisme.
J'ai relu aussi quelques autres livres, dont « le Passé de l'Afrique du nord », d'E.-F. Gautier, grand historien, plein de science et d'intuitions, jamais pédant, un de ces esprits comme on n'en fait plus. Lui aussi relève la floraison d'écrivains berbères, face à la Gaule stérile. La raison lui en paraît simple. Les Berbères étaient une pâte travaillée depuis mille ans par les Puniques, les Gaulois une pâte vraiment vierge. Les premiers arrivaient à la maturité quand les autres restaient dans l'enfance. L'explication semble bonne.
Georges Laffly.
### Pour les enfants Des livres au pied de la crèche
L'étoile de la crèche d'âge en âge nous promet et nous assure que nous pouvons croire aux merveilles.
Le jour de Noël chacun attend quelque chose : une surprise, un cadeau, ne serait-ce qu'une boucle de cheveux liée d'un ruban et qui réchauffe le cœur. Les poètes l'ont senti qui ont écrit tant de contes charmants et de miracles pour illustrer le bonheur de Noël.
Il y a un tout petit livre avec une souris grise qui tient ses assises dans la théière à fleurs et qui charmera les tout petits qui attendent des images. C'est l'histoire de Ninette, qui plante des bleuets au clair de lune. C'est un jardin et une maison intimes et raffinés, un monde poétique en teintes douces que *Ninette et son jardin* dont on aime la beauté.
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*Ninette et son château... de sable,* raconte la même petite demoiselle, éprise d'aventure et qui va vivre sa vie dans un château de sable. Un galant souriceau la sort de son château effondré, et bientôt ils échangent leurs cœurs. L'histoire est jolie et les images ont le même charme que les précédentes.
*La maison des vacances* met en scène toute la famille, laquelle se promène dans une roulotte de fantaisie et prend des vacances au bord de la mer. Ces trois livres d'images offrent un univers paisible où le petit enfant se sentira bien et en compagnie de personnages gentils. Une grosse typographie les rend accessibles à ceux qui savent déjà lire, les autres regarderont les images. (Créés par Heather Buchanan, ces albums ont chacun 28 pages, ont été édités chez Gautier-Languereau en 1986 et dans la collection : « Les aventures de Robin et de Ninette » (18 F. chaque).)
Plus élevé, moins luxueux mais plus profond, un petit livre intitulé « *Jacinta* » est une lecture marquante. L'enfant portugaise qui en est l'héroïne passe à travers son histoire avec la frimousse naïve et pure qu'on pourrait lui rêver. Elle ne ressemble pas, plastiquement, à la vraie. En revanche texte et attitude soulignent cette prière de cœur tout au long des jours et ces beaux sacrifices qui émerveillent. C'est un modèle pour les petites filles. On pourrait peut-être faire un reproche : l'image privilégie la pureté, la candeur de Jacinta et n'évoque pas la personnalité déterminée, volontaire de l'original. C'est un choix. Il faut tout de même le savoir.
« *Francisco* »*,* autre voyant de Fatima est le gentil héros d'un livre tout semblable. Il a les mêmes qualités, les mêmes accentuations que l'ouvrage précédent. L'histoire est racontée « pas tout à fait pareil » comme disent les enfants ; cependant c'est bien la même histoire : la même fraîcheur d'âme, la même transparence se lit sur son visage et c'est bien joli.
C'est bien un cadeau de Noël, ce livre petit et que l'on peut glisser dans une poche. L'imagerie offre un monde transparent lui aussi avec des arbustes légers sur fond de pierraille. Il y a ici la Sainte Vierge, l'ange gardien du Portugal, claires et douces peintures qui invitent à la prière. Il y a bien l'enfer aussi mais l'illustrateur (anonyme) connaît les enfants. Le lac de feu et ses occupants tout noirs ne donneront pas de cauchemars au petit lecteur. Bref, sur ce fond d'aquarelles légères le texte se détache avec la simplicité d'une grande, merveilleuse vie, mise à la portée des enfançons de l'Église.
*Francisco* et *Jacinta* ont chacun 78 pages. Ces ouvrages -- si l'on peut dire, vu leur taille -- sont écrits par le Père Leite. On les trouve aux éditions Téqui au prix respectif de 11 frs.
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Et si vous aimiez, et si vous aviez envie de vieilles chansons ?
Il y a un nouveau livre intitulé : « Rondes et Comptines » qui pourrait bien vous séduire.
C'est un choix de 29 chansons d'hier et d'aujourd'hui qui portent à sourire et parfois à s'étonner. Il y a ces vieux airs que l'on chantonne d'âge en âge : *Pêche, pomme, poire,* ou bien *Bon voyage Monsieur Dumollet,* il y a aussi ce cher vieux *Petit homme* qui allait à la chasse aux hannetons, en compagnie d'un certain *Biron qui voulait danser* et des *Compagnons de la Marjolaine.* Il y a aussi quelques airs plus modernes tels que *Ah les cro cro cro, les crocodiles* et autres chants à brailler au long des sentiers de France. Vous savez, ces soirs où l'on rentre au camp la tête haute et les pieds pleins d'ampoules en bramant qu'un éléphant ça trompe énormément. (L'éléphant est là, sa partition aussi.) Arrive des Antilles un joli chant pour évoquer de l'île Maurice les terres lointaines *l'Oiseleur.* Cela et les comptines font un bel album aux images bien dessinées et joliment composées. Alors pourquoi faut-il que la couverture soit ratée ? Elle fait *creux* et *raide* comparée au reste.
« Rien n'est jamais parfait » écrit Saint-Exupéry qui le fait dire par son renard ! (Rondes et Comptines, illustrations de Jacqueline Guyot, éditions G.P., collection : « Rouge et Or », 1986, 70 fis.)
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Sous mon nez j'en vois un autre : c'est le nez fin de Sire le Renard qui pointe sous un autre livre. Voilà, voilà on arrive goupil, pour parler de ton nez fin, de tes yeux d'or et de ta vieille malice. Ton histoire me plaît depuis l'enfance et tu es fier, hein, que l'on parle toujours de toi ! C'est qu'il a l'air de poser pour la postérité et d'écouter ce que le siècle va dire, mon Renart avec un « t ». Il trotte sans fin à travers la littérature celui-là et s'arrête entre les feuilles, le temps de faire une couverture pour le vingtième siècle. *Le Roman de Renart* nous revient sur grand format et papier glacé.
Je suis restée perplexe devant ce livre. Certes les dessins de Romain Simon sont beaux et ses bêtes sont souples. Je regrette pourtant mon Renart à moi, celui du Moyen-Age, qui portait le bliaud, le surcot en hiver, et se vêtait de bleu de vert et de rouge. Celui-ci est belle bête de sa personne. C'est un renard de campagne et qui en fait de belles. Aussi le lecteur adulte risque de trouver un décalage entre le texte et l'image.
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Enfin disons que « je pousse un peu ». Certes le coup des anguilles et les mille tours du farceur gardent leur drôlerie intelligente et rosse. Certes y a-t-il châteaux et manants dans les perspectives des paysages. Cela permet donc miséricorde pour une faute vénielle, en comparaison de l'ensemble. Cet ensemble-là est la forêt française avec ses taillis sauvages et son goupil à l'œil rusé. Voilà, maintenant vous savez tout. *(Le Roman de Renart,* adaptation et illustrations de Romain Simon, éditions Gautier-Languereau, 76 pages, 1986. 95 francs. Age de lecture entre 8 et 13 ans selon les goûts.)
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Il y a de ces garçons qui ne rêvent que plaies et bosses. C'est même assez courant chez les garçons catholiques et c'est une bonne chose. Enfin c'est bon si adapté à de bonnes guerres, laissant les Goldorak et supermen divers dans les nuées, le plus loin possible. Une bonne guerre en voici une : l'histoire de Bruno le petit chouan et du canon La Marie-Jeanne.
C'est ici le monde que l'on aime : un paysage de France, quelque part en Vendée et la grande bataille des Blancs contre les Bleus. Il y a ici aussi l'amour de la Sainte Vierge, la défense du Roi et des paysans braves. Le personnage principal est surtout le canon qui fait l'intérêt de l'histoire.
Tout cela ne dit pas la personnalité du livre, qui n'emprunte rien à personne et garde un cachet ancien des plus savoureux. De fermes dessins l'illustrent et collent parfaitement au texte. Les compositions sont intéressantes et l'on ne décolle pas de cette lecture, prenant avec le jeune Bruno les petits sentiers de campagne le chapelet à la main et la faux sur l'épaule.
(*Le vengeur de la Marie-Jeanne,* auteur anonyme, éditions Sainte Jeanne-d'Arc, « Les Guillots », Villegnon, 18260 Vailly-sur-Sauldre, 38 pages, 1985, 10 à 13 ans, 60 francs.)
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Héroïsme, mystère, inquiétude, panache... vous aimez ?
*Le Bienheureux Noël Pinot, prêtre martyr de la Révolution* va vous ravir.
C'est l'histoire d'un petit gars de chez nous, qui vient au monde en 1747, seizième d'une famille de bons chrétiens.
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Noël est un bon petit. Il fleurit sur sa terre et devient prêtre à Angers puis aumônier des Incurables. M. Pinot aurait pu vivre inconnu, peut-être. La Révolution va révéler son courage et l'obliger à se terrer de ferme en grange comme beaucoup d'autres. Il sera trahi, pris et guillotiné.
La beauté de l'affaire, ce qui lui est spécifique est que M. Pinot, monte à l'échafaud en ornements sacerdotaux disant *Introibo ad altare Dei,* sa dernière messe, et dont il sera la victime. C'est une histoire parfaitement racontée par une dame qui en a d'ailleurs l'habitude : Louise André-Delastre a écrit souvent pour les petits. L'histoire se déroule avec aisance, une grosse typographie et dans un ton familier. L'ouvrage est constellé d'images ce qui le rend aimable et aéré. Elles ont le style personnel et ferme de quelqu'un qui sait très bien dessiner. C'est ainsi que chaque illustration est décantée des détails, superflus et donne le mouvement du personnage. Cependant ce mouvement est parfois saccadé sous une couleur qui surprend, avec un côté fané par moments. En revanche la palette des illustrations bleues est fine et jolie. Cela fait un ensemble inégal, très intéressant, avec une couverture un peu lourde sur un très bon livre ma foi. (*Le Bienheureux Noël Pinot prêtre martyr de la Révolution,* écrit par Louise André-Delastre, 38 pages, 1985, 60 francs.) 8 à 11-12 ans.
Toujours dans le domaine du panache et de la France chrétienne, nous arrive un bien beau livre : *Vive le Roi !... quand même.*
Nous retrouvons ici Christophe de Lenharé, héros de cet autre joli livre : « Le petit tambour ».
Lui et sa sœur Alphonsine vivent les affres de la Révolution française. Depuis le retour du Canada Christophe a grandi et ses vertus aussi. Il recueille un pauvre garçon et nous emmène dans ces temps mouvementés à travers une France devenue folle. Il y a de beaux moments dans cet ouvrage et surtout une nuit de Noël en cachette qui est très émouvante. Il y a de beaux personnages, comme ce Messire Dangenot, une belle figure de prêtre non jureur. Il y a de belles planches signées Joubert.
Ces personnages ont une rondeur et une pureté que l'on souhaite voir par la suite. Aimables gens et belles images dessinés d'une plume légère rehaussent l'ensemble.
Il y a dans cet ouvrage un curieux ton d'historien qui raconte en un français châtié une histoire, destinée à l'adolescence. Cela fait un ensemble, comment dire ? -- chaud et froid -- c'est à la fois joli et personnel mais d'aucuns risquent de trouver cela bien sérieux.
(*Vive le Roi... quand même,* Louis Fontaine, éditions de l'Orme Rond, 232 pages, 1985, images de Pierre Joubert, 100 francs, 12, 13 ans.)
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Pour glisser un beau cadeau dans la paille des crèches voici un dernier livre, lui aussi remarquable. *Crécy -- 1346 -- autopsie d'une bataille,* de Henri de Wailly édité chez Lavauzelle.
Ces 93 pages qui valent 165 francs, les valent en effet au sens propre du terme.
Victoire de la discipline sur la fougue et de l'efficacité sur la bonne volonté, « victoire du savoir-faire sur la fureur » écrit l'auteur, sont les termes qui donneront une forme à l'ensemble. C'est ce point qu'Henri de Wailly développe avec la minutie de l'historien honnête au travail. Sa recherche nous livre les mouvements de l'ost anglaise dans le Cotentin, la Normandie, le Vexin et la Somme. Les comptes sont là : 17.000 morts chez les Français et 300 chez les Godons. C'est ainsi que ce beau livre grand et bien fait apporte beaucoup de matière à méditer et à réfléchir. Leçon de stratégie, de politique et d'histoire, il fourmille de richesses diverses.
L'intérêt pour un garçon de 13 ans sera de feuilleter les pages où déferlent les petits guerriers des enluminures. Ces enluminures il y en a partout avec cette profusion médiévale de formes et de couleurs fortes, spécifiques des manuscrits à peintures.
Il ne vous reste plus qu'à perpétuer la longue tradition des Noëls blancs de neige comme disait le poète. Après la plénitude de ce jour vient le soir, et l'heure où l'on allume les lampes. C'est l'heure aussi où l'on s'enfonce dans un bon fauteuil pour lire un beau livre.
France Beaucoudray.
### Lectures et recensions
#### Alexandre Vialatte *La maison du joueur de flûte* (Arléa)
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Il y a une maison, dans un village d'Auvergne, peuplée de locataires étranges, qui disparaissent et reviennent, semblent se multiplier. Des enfants, un abbé américain, qui joue du piano, le principal d'un collège voisin, un satyre, la tante Fanny, un nègre, on n'en finirait plus de les énumérer. Tout un peuple que le propriétaire ne contrôle plus (c'est lui qui nous conte l'histoire). Il photographie à tour de bras ce peuple mais les photos sont toujours ratées. Il rêve de retrouver la flûte qui lui permettrait de les enchanter, comme faisait le ménétrier de Hameln. Il les mènerait se noyer, tant il enrage. « Qui commande dans cette maison ? Ils m'ont relégué à la porte. C'est à moi de les gouverner. »
Ce propriétaire débordé, n'en doutez pas, c'est Vialatte lui-même envahi par ses songes. Sa « maison du grand tourment » fait penser à un manège retentissant de musiques avec son toit orné « où tant d'or se relève en bosses » (car la préciosité n'est pas absente, il faut le signaler).
C'est une confidence déguisée en fantaisie. Dans ce fourmillement d'images, il en est de cruelles. Qu'on ne s'en étonne pas. Les enfants frivoles de cette imagination sont pareils à l'auteur lui-même. « Sans doute sont-ils nés en province à cette époque de la fin de l'autre guerre qui transforma tant d'enfants en soldats, où l'on retrouvait l'élève Frédéric Lamourette, qui portait en toutes saisons un pantalon de bains de mer blanc rayé de bleu, montant la garde dans les Vosges sur un gros cheval de brasseur, et le petit Perceron qui venait de passer le bachot, en col marin et en culotte garçonnet, étendu au fond de sa tranchée comme un petit guignol aux ficelles cassées, gazé comme les copains et la gueule déjà verte. »
Voilà le secret de Vialatte. Voilà pourquoi la musique de son manège est parfois si inquiétante. Il était de ceux qui n'ont jamais oublié le grand massacre. Il a vécu entouré de fantômes.
Le romancier, chez lui, a su prendre le contrôle des rêves et jouer de la flûte assez bien pour contenir ses créatures dans les lignes strictes d'un récit : ce furent *Battling* et les *Fruits du Congo. Le Fidèle berger,* c'est autre chose : l'aveu d'un homme *défait* par le désastre, en 40, et qui a toutes les peines du monde à se rassembler, à se retrouver.
On n'aime pas, généralement, la fantaisie quand elle est vraie, violente, sauvage comme ici, quand elle est poème à l'état brut. Vialatte le savait. Il a gardé ce manuscrit pour lui (avec sa modestie habituelle). Il faut se réjouir de le voir publier, non sans préciser qu'il est destiné aux amateurs confirmés. Une recommandation : s'acclimater à Vialatte avant d'aborder ce récit, dont l'alcool risque de paraître trop fort.
Georges Laffly.
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## FICTION
### Une partie de carré magique et autres épisodes
NOUVEL AVIS AU LECTEUR. -- La première partie de ce récit a paru dans notre numéro 306 de septembre-octobre. Il s'agit d'une fiction picaresque, satirique et translucide. Quelques lecteurs se sont déclarés surpris que l'on fasse parler de la sorte des personnages supposés hauts dignitaires de la curie romaine. C'est pourtant le langage familier, en privé, des plus puissants d'entre eux, ainsi que l'attestent des témoins dignes de foi. Mais il n'y a pas seulement le langage. Il y a la manière et l'esprit. Et, pour le dire en grec, MYTHOS DELOI TI.
*J. M.*
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*Si prenant mon vol dès l'aurore*
*Je vais habiter au-delà des mers,*
*Même là c'est votre main qui me conduit*
*Et votre droite m'y saisit.*
*Ps. 138*
« HERE IS PAGO-PAGO -- HERE IS PAGO-PAGO -- TUTUILA -- TUTUILA -- BASE OF THE U.S. NAVY -- NO TRACE OF POPE IN THE ISLAND -- NO TRACE OF POPE IN THE ISLAND -- OVER »
Excellences, comme vous pouvez l'entendre, malgré les nouvelles contradictoires que propage la presse, une seule chose est certaine : le Saint-Père a disparu.
En gros, 3 hypothèses sont avancées : le pape a été soit enlevé par des terroristes, soit volatilisé par les pouvoirs mystérieux de la déesse Lorak, soit encore enlevé par des extra-terrestres.
Avant d'examiner chacune de ces hypothèses je me permettrai de vous donner quelques renseignements qui ont déjà été fournis par les media. Tutuila est une île de l'archipel des Samoa d'une superficie de 135 km ^2^ située entre les îles Fidji et Tahiti. Elle a plus ou moins 30 km de long sur 2 à 10 de large. Sa forme est celle d'un pistolet d'arçon pointé vers l'Est. Tutuila compte 23.000 habitants. Pago-Pago, sa capitale, est une base de la Marine américaine. Toutes les îles des Samoa sont volcaniques, hérissées de cratères, toutes sont entourées d'atolls, en particulier Tutuila a des côtes très découpées. La forêt équatoriale ne couvre que 20 % de la superficie. Les indigènes sont des Polynésiens convertis au catholicisme ou au protestantisme.
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Seul un groupe ethnique distinct habitant les hauteurs est resté fidèle à l'animisme. Voici un extrait du discours papal prononcé la veille à Moorea :
« *Secouons la poussière des siècles. Ouvrons les fenêtres de l'Église sur les vastes océans, en particulier l'Océan pacifique, le bien nommé, carrefour des religions où tous, musulmans, bouddhistes, animistes, shintoïstes, chrétiens, malgré les distances, pratiquent la convivialité. C'est une leçon pour nous. Ouvrons donc nos esprits et nos cœurs aux autres façons de penser, de sentir, d'aimer.*
« *A ceux qui luttent, à ceux qui sous d'autres cieux sèment et s'aiment autrement, l'Église, peuple de Dieu, adresse son fraternel salut.* »
Le lendemain notre Saint-Père, ayant débarqué à Tutuila, se rendait en Land-Rover par un chemin tortueux, accompagné d'une petite escorte à l'endroit appelé Geto-Geto où l'attendait une assemblée de douze sorciers.
Examinons à présent les trois hypothèses :
*Hypothèse n° 1. --* L'enlèvement par un groupe de terroristes est à mon avis la plus plausible mais pose néanmoins quelques difficultés. On peut se demander pourquoi le groupe s'est emparé de l'escorte tout entière (une vingtaine de personnes). Quatre véhicules ont été retrouvés non loin de l'enclos sacré. Ils ont servi à transporter les visiteurs et sont intacts. Par contre nulle trace des sorciers ni des statues en bois polychrome du dieu Kora-Kora et de la déesse Lorak. Aucun hélicoptère n'a été repéré par les radars de l'île. La côte nord, abrupte, plonge directement dans la mer et l'on voit difficilement un groupe de vingt à trente personnes franchissant cet obstacle. Toute l'île a été passée au peigne fin. Tôt ou tard ce groupe terroriste se manifestera d'une façon ou d'une autre : message, communiqué, avec revendications, rançon, etc., qu'il faudra bien entendu démêler d'autres messages envoyés pour brouiller les pistes. Mais je crois que nous aurons des nouvelles avant quinze jours.
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A l'heure actuelle on ne peut se faire aucune idée de la tendance du groupe. Terroristes téléguidés par le KGB ? Réseau autonome ? Extrême-droite ? Ce n'est pas impossible.
*Hypothèse n° 2. --* J'en parle parce que certains journaux en font état de même que quelques « spécialistes » de science-fiction et d'occultisme. Nous voilà dans le domaine des phénomènes para-normaux. « La sorcellerie et la sainteté, voilà les seules réalités », affirmait un livre à la mode il y a 25 ans. Si, Excellences, nous sommes devenus sceptiques quant à la sainteté, croyons-nous pour autant à la sorcellerie ? Certes, nous manquons d'informations précises et concordantes à ce sujet, mais depuis quelques années, certains milieux scientifiques intensifient leurs recherches de ce côté.
Cependant, sans prendre position sur le fond, je vous signale qu'à la suite de la disparition de notre Saint-Père, le professeur Manouiloff, de l'Université de Gênes, a fait une découverte sensationnelle dans un incunable de notre bibliothèque. Vous connaissez ce qu'on a appelé le carré magique -- ou carré sacré -- que l'on a découvert en 1936 sur une colonne de la grande palestre de Pompeï et que l'on retrouve d'ailleurs non loin du château de Rochemaure dans la vallée du Rhône. Alexis Curvers en a fait une remarquable étude ([^14]).
SATOR
AREPO
TENET
OPERA
ROTAS
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Ce carré possède la propriété suivante : ses lettres sont disposées de façon telle que, de quelque manière qu'on les lise, ce sont toujours les mêmes mots qui se présentent à nous.
Or, Manouiloff, intrigué par l'anagramme de Cowley (Lorak-Karol) consulta aussitôt ses microfiches et retrouva un incunable ayant pour titre « Prophéties de Nostra Kora », mage oriental ayant séjourné à Venise au XV^e^ siècle. Dans cet ouvrage un carré magique :
LORAK
OPERA
RETER
AREPO
KAROL
ce qui est déjà extraordinaire.
La lecture en diagonale donne :
LPTPL et KRTRK
où l'on retrouve les racines de Popocatépetl -- un des principaux sommets volcaniques du Mexique -- et celles de Krakatoa, -- île de la Sonde que l'éruption du volcan Perbuatan a réduite de 32 à 10 km ^2^ en 1883. Sans préjuger de ce que nous révéleront les autres méthodes de décryptement des palindromes, selon Manouiloff et Cowley, le carré doit s'interpréter comme suit :
« *A mi-chemin entre Krakatoa et Popocatépetl*
*Se découvriront* (ou se révéleront) *Lorak et Karol.* »
Voilà qui est tout bonnement stupéfiant. D'abord parce que Tutuila est correctement située mais surtout parce que cette interprétation qui ne me paraît pas arbitraire correspond à la réalité des événements.
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H2 est invraisemblable, mais il y a un élément troublant à prendre en considération.
Quant à la 3^e^ hypothèse, celle de l'enlèvement par les extra-terrestres, je pense que ce serait vous faire insulte que de m'y attarder. J'ai terminé, Excellences.
-- Nous vous remercions Père Félix. Vous pouvez disposer.
\*
Marcpinkus hâlé par le soleil d'Ostie paraissait soucieux. Baglione fiévreux, les sourcils en accent circonflexe, avait maigri. Ses bajoues réduites à des fanons flottaient lorsqu'il hochait la tête. Cesaroli revenu d'un symposium sur « Marxisme et sexualité » à Oulan-Bator avait les yeux battus. Pas frais du tout. Solvestrani impassible. Mais ses petits yeux de fouine brillants comme des dards semblaient pénétrer la pensée de ses interlocuteurs. Don Alfredo, flegmatique, calmait son angora dont le poil s'était hérissé au nom de « Lorak » et échangeait de temps à autre des paroles à voix basse avec son secrétaire. Comme d'habitude Paul Marcpinkus ouvrit le feu :
-- H3 fera sans nul doute l'objet d'un beau reportage sur les soucoupes volantes dans *Oggi* ou *Epoca,* mais ça ne tient pas la route.
-- H2. Votre professeur, euh... Machinchose, est-ce un incunable qu'il a déniché ou Tintin qu'il lit en cachette ? Parce que ça ressemble un peu à *L'Oreille cassée* ou à *Vol 714 pour Sidney.* Éliminée ([^15]). Je penche pour KGB possible. Attendre. Quant aux mesures concrètes à prendre désignation d'une commission d'enquête en accord avec la Maison Blanche.
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-- Il ne faut pas voir le KGB partout, fit Cesaroli. Il peut y avoir des groupes totalement indépendants. Voir le Proche-Orient.
-- Les moyens mis en œuvre, répliqua Paul Marcpinkus, et la situation de l'île à 5000 miles de Los Angeles et à 3000 miles de Canberra laissent supposer une infrastructure très élaborée, des moyens considérables que ne possèdent pas les groupes indépendants mais qui sont l'apanage des grandes puissances. Je n'exclus pas l'Iran et les Frères musulmans.
-- Ce carré magique m'impressionne fort, risqua Baglione. Je pense qu'il ne faut pas négliger l'intervention de forces démoniaques, si j'ose dire. Rappelez-vous certaines morts récentes... (On sentit un malaise parmi les interlocuteurs dont le visage s'assombrit. Le damas cramoisi se mit à verdir.)
-- Ne vous rendez pas ridicule en versant dans le démonisme, fit Solvestrani.
-- Ta ta ta, contre-attaqua Baglione. Hier en pleine nuit ma nièce est venue m'emprunter de l'argent. Cette jeune personne dont je suis le tuteur était coiffée comme un Iroquois, les cheveux vert-pomme, maquillée au noir de fumée, tout de cuir et de clous vêtue. Son regard effrayant était celui d'une possédée. Lorsque je lui ai proposé des lires elle a exigé des dollars. Après son départ j'ai constaté la disparition d'une bonbonnière de prix que je tenais de mon arrière-grand-père et, plus fort encore, celle de mon anneau... sans que j'en eusse rien senti. J'ai eu la nette impression d'être entouré de forces maléfiques.
Voyant l'air contrarié de Paul et d'Achille, il rectifia le tir :
-- L'hypothèse d'un acte terroriste se tient, encore qu'il y ait un pépin...
-- Excellence, coupa Don Alfredo, nous sommes le noyau dirigeant et n'avons que faire de vos pépins. Je partage l'avis de Paul. Désignons une commission d'enquête et attendons.
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Puis très bas à son secrétaire :
-- Vérifiez toujours si cette jeune personne est bien sa nièce. Je crois savoir qu'elle se shoote. Contactez directement son revendeur. Surtout pas d'histoires de ce côté-là.
#### Il n'y a pas de terroristes au numéro que vous avez demandé
Au lointain, très atténué, on entendait le murmure de l'autoroute A2 (Rome-Naples) dissimulée par la longue allée de cyprès reliant le pavillon ocre au bassin de l'Amphitrite où se reflétait la façade sud tapissée de lierre. A droite dans l'allée de gravier bordée d'arbustes en caisse on distinguait assoupies une Rover gris perle et une Lancia prune le capot encore chaud.
Un levron blanc surgi d'un massif de buis taillé s'arrêta net, surpris par les projecteurs ([^16]) de la piscine bleu turquoise qui dévoilaient les dessous de deux tilleuls centenaires. Vénus et Apollon, bien sûr, présidaient à cette scène indiscrète et l'animal ébloui, bondissant par-dessus un parterre de camélias, disparut dans les fourrés odorants à la poursuite d'un angora.
Les murs dorés étaient encore tièdes. Le porche aux armes des Sforza s'ouvrait sur un hall de marbre bleu turquin. Deux corps d'armures milanaises montaient la garde au pied d'un Poussin représentant « Polyphème appelant Galatée au son de la flûte ». Dans la galerie de gauche une collection d'oiseaux empaillés allant du faucon au paradisier en passant par le héron cendré bordait une tapisserie flamande célébrant la prise de Turin par les armées de Louis XIV.
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La porte de la pièce ovale était entrebâillée et l'on apercevait derrière le bureau Paul Marcpinkus, renversé sur son fauteuil, le cornet à l'oreille, tapotant l'abat-jour de shantung parme. Son buste massif se détachait du mur orné de gravures de Jacopino del Conte et de Francesco Salviati entre un Constantin cuirassé aux yeux songeurs et un bodhisattva en extase.
-- Cela fait exactement quinze jours. Aucun groupe ne s'est manifesté jusqu'à présent, même officieusement. Je trouve ça un peu étrange... Vichniewsky, correspondant de la *Pravda* à Rome, vient de soutenir mordicus devant Cesaroli que le Kremlin n'est pas dans le coup, mais tu sais ce qu'il faut penser des renseignements fournis par les Marx Brothers. Il est donc très important pour moi de recouper du côté de Langley ([^17]), c'est ainsi que j'ai pensé à toi qui as d'excellents contacts avec eux. Il me faut savoir avec certitude si les Russkies sont à l'origine de l'affaire. En étant également sûr qu'il n'y a pas d'intox évidemment. De ce renseignement capital dépendra la conduite de ma politique. Oui, Taofimi'u ([^18]) m'a parlé de cette histoire de pêcheur fou, mais je crois qu'il ne faut y accorder aucune importance. D'ailleurs, lui-même s'en mord les doigts puisqu'il a organisé la rencontre de Geto-Geto... Je sais, j'ai lu le rapport, la Maison Blanche fera l'impossible pour le retrouver... Comment va Maë ?... Une phlébite... Je vois... Je te remercie, elle va bien. Toujours en vadrouille. Elle revient ce soir de Nairobi... Son oncle a finalement vendu son haras à Nassau pour acheter un élevage géant d'écrevisses au Kenya... Non ! Pas des écrevisses géantes -- du temps de Lyssenko peut-être -- Un élevage géant... et une usine de conserves à Manille.
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Elle passera vous faire la bise à tous en allant à Los Angeles... Tu peux avoir tous tes apaisements, tout est fait selon les règles. Ici c'est le désarroi le plus complet. Bag a maigri de 10 kilos. Il s'est acheté un King-Charles ([^19]) pour se consoler. Freddo est toujours au mieux de sa forme. Je sais, il ne laisse rien paraître... Taciturne mais drôlement efficace. Bien entendu... Je ne manquerai pas...
Un bref coup d'œil sur le détecteur d'écoute toujours au vert et Marcpinkus continua :
-- Très mal, le denier ne donne plus. Il y a... disons un certain flottement parmi les fidèles. Il faudrait trouver un truc mobilisateur... Encore plus mal, nous ne sommes plus sur le trépied ([^20]). Le yen ? Avec le Dow Jones à 1900 ça me semble un peu risqué. L'éventail n'est pas très large. Rockie n'est pas du même avis... Il faut se débarrasser de Zürich c'est évident... Ils ont racheté aux Frogs ([^21]) une usine de salaisons. A RMC on n'entend plus que « *CO-CHO-NOU c'est le bon saucisson comme on aime chez nous.* » Ces Japs sont extraordinaires. Ils viennent de sortir un laser de poche à découper ledit saucisson et en fourguent des cargos entiers à destination du Havre. Nissan fait son entrée chez Peugeot et Mitsubishi a racheté la Tour Eiffel. Ah ! j'oubliais de te dire : les schistes bitumeux nous passent sous le nez, les Salomon Brothers n'ont pas marché... L'histoire de la mosquée, bien sûr mais aussi la conjoncture défavorable depuis la disparition, une certaine méfiance... Je compte donc sur toi pour ce renseignement très précis. Comme convenu : mercredi 15, 21 h 50 à « Marco Polo ». Bye Lou !
Paul raccrocha pensivement, éteignit la lampe et alluma un Partagas dont la fumée tournoya lentement sous le lustre de cristal.
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Le rayon blanc et froid de la lune pénétra dans la pièce et effleura le visage énigmatique du bodhisattva, La clarté opaline révéla le regard ironique qu'il portait sur le masque ingrat de Constantin. Paul dégusta son troisième scotch de la soirée puis monta se coucher.
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« Hypocrite lecteur, -- mon semblable, -- mon frère ! » faisons une halte au sommet de cette colline pour reprendre notre souffle et observons le spectacle de la machine ronde à l'heure où l'astre du jour a déjà descendu l'escalier monumental de sa parade céleste. (Que N'eau ! Que N'eau !) L'hirondelle trempe dans l'horizon d'ambre. Suspends-toi aux étoiles et contemple. Partout ce n'est que grouillement d'insectes humains, véhicules vrombissants volant et roulant sur les mille chemins de la planète. Un frémissement d'ondes parcourant les mégapoles toutes pareilles. Dans les zincs, les pubs, les brasseries, les grandes surfaces, les salles polyvalentes, les stades, les centres de recherches, les états-majors, les hémicycles, les salles de presse tandis qu'une myriade de satellites enveloppe ce globe meurtri où l'éclat bleuté de l'étrange lucarne toujours fascinante et jamais éteinte tient lieu d'hommage, mieux encore : de *laus perennis* à « l'Ennui, ce monstre délicat ».
Prends donc le pouls de cette humanité palpitante et ne t'étonne pas puisque tu sais que « rien n'est si insupportable à l'homme que d'être dans un plein repos, sans passions, sans affaire, sans divertissement, sans application ». D'où le grand nombre de bouffons. Le monde comme spectacle. Magie de la fiction où l'être et le paraître sont pour un temps confondus aux yeux du profane.
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« Petite variation sur le Temps et l'Ennui. Distinguer le temps et la durée (Bergson). Ennui -- qualité. Temps -- quantité. Et cependant directement proportionnels. Demain affûter mon rasoir et faire ressemeler mes bottines. Dentiste à 16 heures. »
(Carnet d'Amédée Fleurissoire.)
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J + 9 -- J + 10 -- J + 11 -- J + 12 -- J + 13 -- J + 14 -- J + 15 -- J + 16 -- J + 17 -- J + 18 --.
Dix-huit jours après la disparition du Saint-Père l'émotion était encore vive dans le monde, comme disent les media. Des veillées de prière avaient été organisées dans toutes les paroisses de la chrétienté. Les chefs des religions non chrétiennes avaient envoyé des télégrammes de sympathie. Les animistes s'étaient cependant abstenus, ce qui était normal en l'occurrence. La commission d'enquête américanovaticane était revenue bredouille après avoir tué le temps au bar de l'unique hôtel de Pago-Pago. Une photo géante de Jean-Paul II figurait au balcon de Saint-Pierre de Rome devant laquelle défilaient jour et nuit pèlerins et groupes de prières. On assistait à Rome, Londres, Moscou, Washington et Tokyo à un fiévreux ballet d'ambassadeurs. Les réunions du JIC ([^22]), du Département d'État, du Politburo, les consultations d'experts et les communiqués de presse se succédaient à un rythme accéléré, mais aucun groupe ne s'était manifesté, personne à part quelques mauvais plaisants, n'avait revendiqué l'enlèvement.
Le commerce des badges était florissant : « Karol come back. » « We want the Pope. » « JP II I love you. » Quelques malins avaient brodé sur l'air « *Bring back my bonnie to me.* » Sommet du hit-parade.
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Assez curieusement, alors que la plupart des commentateurs penchaient pour l'hypothèse d'un enlèvement terroriste, certains lobbies à New York, Jérusalem et Paris firent l'exégèse de la littérature consacrée aux pouvoirs mystérieux de la déesse Lorak. On nota également une grande activité du côté des Bnaï Brith et de la Grande Loge. Le *Yehod Anaharoth* de Jérusalem sortit la manchette : « Comme Élie, Jean-Paul II est monté au ciel sur un char de Feu. » Aussitôt Schulzberger du *New York Times,* Levine de *L'Express* et Jean-François Kahn emboîtèrent le pas et le public se jeta sur la collection « Les Énigmes de l'Univers ». Les ouvrages traitant de pouvoirs surnaturels, de Kabbale, de Gnose et d'Alchimie furent rapidement épuisés. Bouvard et Pécuchet, Dupont et Durand se mirent à bûcher ferme sur « Les portes de la perception », « Lettres, chiffres et dieux », « La Géomancie pour tous », « La télépathie et les royaumes invisibles ».
Comment ne pas évoquer Saint-John Perse :
« ... Et avec eux aussi les hommes de lubie -- sectateurs, Adamites, mesmériens et spirites, ophiolâtres et sourciers... Et quelques hommes encore sans dessein -- de ceux-là qui conversent avec l'écureuil gris et la grenouille d'arbre, avec la tête sans licol et l'arbre sans usage. »
La prospérité des agences de voyages qu'on avait pu croire entamée par l'arrêt brutal des périples pontificaux s'était maintenue grâce à cette activité de remplacement. Les compagnies aériennes affichaient complet sur les lignes reliant Pago-Pago à Los Angeles, San Francisco, Tokyo et Canberra. Ce fut presque la ruée vers l'or. Des avions-cargos pleins à ras bord s'envolèrent donc vers l'île tragique. On ne savait rien, on voulait tout voir et tout savoir. Les portes de l'étrange s'ouvrirent aux ethnologues, océanographes, paléontologues et paléographes, vulcanologues et voyants, visionnaires, astrologues et astrophysiciens, chiromanciens et thaumaturges, exorcistes, occultistes, devins et aruspices, théosophes, orientalistes et philosophes, symbolistes et rose-croix, martinistes, œcuménistes et *œcudynamiciens* (s'occupent plus particulièrement de la *dynamique de l'œcuménisme* et, au plan des principes ne sont pas loin des dynamiteurs ; tout est une question de vitesse ; nous voilà ramenés au problème du temps).
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Les photographes de presse retrouvèrent les célébrités du moment : Haroun Tazieff, Eghiste Robinet (de l'Académie), Helena de Maufrigneuse (sorte de Mata-Hari de l'ésotérisme), le duo Cowley-Manouiloff, spécialistes du carré magique, Paul Lecour ressuscité, Jaboulet et Chapoutier, détectives privés, Baghwan Shree Rajneesh, 53 ans, gourou des riches, 200 millions de dollars et 91 Rolls blanches, fondateur de la Rajneesh Foundation Limited, Zou Patacca, parfumeur et modéliste, Aaron Biederman et Ryka Mandelbaum, mathématiciens et sexologues (Princeton), la maharani Shri Mataji Nirmala Devi, en relation avec les extra-terrestres, 27 concubins, 300.000 adeptes aux États-Unis, le « pape » Pie XIII, siégeant à Mandavilla del Cortijo, végétarien et théosophe, ennemi du *Filioque,* ayant supprimé la confession auriculaire pour raison de commodité, détenteur exclusif du troisième secret de Fatima et enfin Tolbouc-Bador, Mage celte, suprême Initié, Commandeur de la Chevalerie christique, Sublime Prince du royal Secret. Il ne manquait que Coluche.
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Mardi 14 mars, 19 h 40. -- Paul Marcpinkus, archevêque titulaire d'Orta descendit le Sacro Monte dont il aimait le charme désuet. Il jeta un dernier coup d'œil sur l'île de San Giulio qui s'évanouissait lentement dans la brume du soir. Le fantôme de Nietzsche semblait errer sur les flots. Il prit place dans une six cylindres qui gravit sans peine les pentes du Mottarone et jouit pendant quelques instants de la vue incomparable sur le Mont Rose et les Alpes aux sommets enneigés.
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Après avoir traversé Stresa et ses hôtels victoriens où avaient séjourné Ruskin et Turner, Paul demanda au chauffeur de ralentir, ouvrit la vitre mais la referma aussitôt tant la pestilence des hydrocarbures dégagés par les poids lourds nombreux sur l'axe Brig-Milan l'incommodait et l'empêchait de goûter le parfum des îles Borromées désertées par les touristes à cette heure. Tard dans la soirée il descendit au Castello del Sole d'Ascona où il se contenta d'un saumon en papillote et d'une truite aux amandes agrémentés d'un pouilly-fuissé. La gastronomie délicate en ce lieu l'intéressait moins que la proximité du golf 18 trous.
Le lendemain, 15 mars 18 heures, après une partie qui se termina fort tard à cause d'un rough désastreux, le chauffeur ayant vérifié le carburateur et regonflé les pneus, l'Alfa s'engagea dans les rues encombrées de Locarno. La traversée fut éprouvante mais le passage de la frontière se déroula parfaitement, le chauffeur et le capitaine s'étant salués avec un léger sourire. On longeait à présent la rive est du Lac Majeur en direction du sud. A 20 heures l'équipage atteignit la villa « Marco Polo » non loin de Santa Catharina del Sasso. Sitôt arrivé Paul forma le numéro de l'aérodrome de Malpensa et réserva un billet à destination de Rome. Après avoir dîné sobrement il prit un troisième Chivas Regal.
A 21 h 50 le téléphone retentit et une voix rauque donnait la réponse attendue : « IL NY A PAS DE TERRORISTES AU NUMÉRO QUE VOUS AVEZ DEMANDÉ. » Paul raccrocha, vit le salon tournoyer et le plafond lui tomber sur la tête. Il chancela, prit un cachet qui lui permit de regagner sa chambre non sans tituber. L'archevêque titulaire d'Orta passa une très mauvaise nuit.
135:308
#### Apparition d'une idée, naissance d'une conjuration
« *Il faut reconnaître que les événements auxquels nous assistons ces derniers temps ont une dimension étrangement cosmique, provoquent une sensation bizarre, comme un malaise indéfinissable...* »
*(Louis Pauwels. Éditorial intitulé* « *Crépuscule d'un pape et matin des magiciens* »*.)*
Le 28 mars à 17 h 12 Paul Marcpinkus, président de l'I.O.R. ([^23]), descendit du Boeing 727 de la TAP et foula le tarmac de l'aéroport de Santa Catharina. Une Dodge l'attendait qui vingt minutes plus tard traversa Funchal à vive allure, prit la route de Monte et freina devant la quinta « Dona Ines de Castro » située non loin de la « Quinta do Monte » où mourut Charles IV d'Autriche. Après avoir franchi deux grilles successives à ouverture électronique la voiture s'arrêta au pied d'un large escalier de granit orné de caravelles. Paul prit l'allée de jacarandas, balaya la terrasse du regard et aperçut sous une bougainvillée, au milieu des cattleyas et des sabots de Vénus, Lou Coppola assis dans un fauteuil roulant, les jambes couvertes d'un plaid, plongé dans la lecture de l'*International Herald Tribune* en sirotant un verre de malvoisie.
136:308
Sur la table un monticule de journaux dont la base formait une sorte d'humus. Lou leva brusquement la tête, posa ses varilux et tendit les bras en souriant.
-- Cher vieux, fit Paul, cet aéroport est vraiment un mouchoir de poche et j'ai bien cru entreprendre ma dernière plongée sous-marine.
-- Je me suis dit ça il y a dix ans aux commandes de mon Fokker. Vivre dangereusement, voilà notre destin, répondit Lou. Un verre de malvoisie ?
-- Avec plaisir. Cheerio.
-- Sais-tu qu'on tire la vanille de cette espèce ? fit Lou en caressant une orchidée.
-- Tu ne peux pas t'arrêter de singer Gulbenkian...
-- La singerie ne s'arrête pas là, cher. J'ai calculé qu'il me faudrait travailler encore une centaine d'années pour égaler la fortune de Calouste Sarkis, mais au moins avant demain, si Dieu le veut je serai propriétaire d'une toile qu'il aura convoitée toute sa vie.
-- De quoi s'agit-il ?
-- Tu verras. Un Van Eyck extraordinaire qu'un vieux fossile du coin refuse de me vendre. Ah ! Chuck fera son exposé dans une heure. Il en a un peu marre de la CIA, mais je tiens à ce qu'il y reste. C'est un de mes meilleurs contacts. Si tu veux te débarbouiller, Georges te conduira à la chambre bleue. Ted, fit-il à son secrétaire, ce soir vous irez trouver Don Cristovao et vous lui ferez comprendre qu'il n'a aucun intérêt à refuser ma dernière offre.
Lou Coppola était ce qu'on appelle aux States un « bigman » ou encore un czar (gros bonnet). Son père Jo avait travaillé avec Capone, O'Bannion et Luciano. Lorsqu'en 1936 les affaires allèrent très mal à New York, Jo l'envoya à Cicero faubourg de Chicago où il se lia d'amitié avec un condisciple surdoué qui vidait régulièrement le tronc de l'église paroissiale sans jamais se faire pincer : Paul Marcpinkus. Talent prémonitoire.
137:308
En 1955, à la mort -- purement accidentelle -- de son père, Lou se trouva à la tête d'un empire dont la partie émergée, à part plusieurs associations charitables, ne comportait pas moins de cinquante sociétés dans les quatorze États de la côte est : huit chaînes de télévision, une vingtaine de journaux, plusieurs sociétés immobilières, trois banques, deux chaînes d'hôtels, des groupes de taxis, des salles de jeu -- Las Vegas -- hors district. L'underground comprenait loteries illégales, shylocking (prêts usuraires), trafic d'armes, trafic de drogue et réseaux de call-girls. Entre les affaires légales et illégales un subtil jeu de vases communicants caractérisé par le « laundring », opération consistant à blanchir les bénéfices en faisant passer des sommes fabuleuses par les Bahamas, le Liechtenstein et quelques comptes numérotés en Suisse.
1963 fut l'année du grand bond en avant où il s'assurait le monopole dans le domaine de la drogue en contrôlant l'Asian connexion (Chine, Thaïlande, Cambodge et Vietnam) et la Latin connexion (Mexique, Colombie et Cuba via les Bahamas). Intime de Marcos, de Suharto, de Pak-Chung Hi, de Sinatra et de Nixon, il opéra deux ans plus tard son second grand bond en avant en sautant dans le wagon de la Silicon Valley, créant une société, la « Coppola United Cheeps », prenant des participations dans Intel, Rand Corporation et Advance Micro-Devices.
« Vous avez l'intelligence, moi j'ai le flair » disait-il à ses lieutenants. « L'avenir est aux technopolis du troisième millénaire qui s'installeront autour du Pacifique. » C'est lui qui fournit au président de l'IOR le tuyau sur les centrales atomiques du Yunnan. Lou ne s'habillait que chez Bijan 5th avenue, le couturier des « fat cats » de Wall Street et de la « Jet Society » où un complet coûte 3.000 dollars et une chemise 600 dollars. Bien entendu on ne se rend pas chez Bijan pour acheter une seule chemise et rarement un seul misérable costume. Une petite visite chez le bon faiseur des pétroliers vénézuéliens se monte en moyenne à 40.000 dollars.
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En 1986 Lou Coppola -- dit « Biscuit Lu » -- était assez puissant pour provoquer la chute de n'importe quel chef d'État d'Afrique noire, sortir de son chapeau une douzaine de sénateurs -- démocrates ou républicains -- ou susciter un groupe terroriste dans la jungle de Bornéo. Assez convaincant pour avoir vendu en son temps trois mille paires de patins à glace et deux cents chasse-neige à l'armée d'Imin Dada.
Mais une seule chose lui réchauffait vraiment le cœur : l'osso bucco préparé par sa fidèle épouse Maë entre deux négociations à l'autre bout du monde.
Après d'âpres négociations menées à Séoul avec Chuong Ju yun, président de la Hyundai Motors, Lou s'offrait quelques jours de repos à Madère. Un récent accident de voiture lui avait paralysé les deux jambes. Cette épreuve avait diminué son ardeur mais décuplé sa passion pour les peintres flamands depuis qu'il avait visité le musée d'art sacré de Funchal. Aux XV^e^ et XVI^e^ siècles les marchands de l'île vendaient leur sucre en Flandre et repartaient avec des tableaux. Don Cristovao de Morais, richissime de l'île et ancien ministre de Salazar, détenait le fameux portrait du pape Eugène IV par Van Eyck, peintre de la cour de Philippe le bon.
\*
La disparition du pape, commença Chuck Berry, a provoqué des réunions au plus haut niveau. Le président Reagan a déclaré qu'il ferait l'impossible pour retrouver le saint-père. Avant-hier, 23 jours après l'événement, les services de renseignements CIA, DIA (Défense Intelligence Agency), NSA (National Security Agency) ont remis leur rapport. Le soir même, avant que je ne quitte Washington, William Clark et le secrétaire d'État George Shultz se sont entretenus avec le Président.
139:308
Les interlocuteurs ont été surpris par le ton nuancé des commentaires de presse, tout au moins des caisses de résonance du lobby juif -- America Bank, Chase Manhattan, etc., contrôlées par les Rockefeller. On a noté à la NBC le ton réticent des porte-parole d'Oppenheimer et de Hammer. Comme par hasard, après ce premier coup d'archet, les critiques pleuvent à l'encontre de la politique du Président. Le sens en est clair : « Débrouillez-vous. Nous on s'en fiche ! » C'est également l'impression que l'on recueille à la lecture de la presse israélienne. Nous ne devons donc pas compter sur une coopération de ce côté. Le conseil restreint a été frappé par le synchronisme de cette attitude et du boom de la littérature consacrée aux phénomènes paranormaux comme si une puissance occulte tendait à faire accroire l'idée d'une annihilation du pape par de prétendues forces cosmiques. Pour nos analystes cela signifie que, malgré la politique de la main tendue pratiquée par Jean-Paul II en direction du judaïsme, les sheenies (juifs) ne seraient pas mécontents de voir disparaître à jamais Wojtyla afin de placer le papabile dont le nom est sur toutes les lèvres : le cardinal Jean-Marie Moustiker dont on note depuis quelques mois les fréquents déplacements au Vatican : toutes les semaines selon nos informations. Excellence, vous devez le savoir mieux que moi...
Paul fit un signe affirmatif.
Or, reprit Chuck, on a remarqué une vive surprise chez les Soviétiques, de la part de Tchernenko aussi bien que de l'actuel patron du KGB. Bien entendu nous ne tenons aucun compte des canulars diffusés par les ambassades du bloc de l'Est et nous nous sommes fiés à des recoupements faits par nos agents à Moscou. Le Kremlin, vous le savez, poursuit depuis toujours un travail de déstabilisation de l'Europe occidentale et téléguide les neuf dixièmes des actions terroristes dans le monde. Toutefois le KGB n'est pour rien dans cette disparition et cela peut sembler ahurissant quand on songe à la tentative d'assassinat du saint-père par la filière bulgare en 1981.
140:308
A l'époque la presse occidentale refusait de croire à la culpabilité du KGB. Un an et demi après l'attentat d'Ali Agça, le *New York Times* titrait : « Le complot contre le pape : sur la base des faits connus, impossible de prouver un lien bulgaro-soviétique. » A présent, dans le cas de Tutuila, la plupart des milieux occidentaux tendent à incriminer le KGB et cette fois encore ils se trompent, mais dans l'autre sens si j'ose dire. Nos informateurs nous ont confié que le Politburo, conscient de la montée de Moustiker, bien placé, soutenu par de nombreux cardinaux et bénéficiant de l'appui de ses frères de race, -- pour ne pas dire ses coreligionnaires --, ne veut absolument pas d'un pape juif. Le KGB fera tout, vous entendez TOUT, et on sait ce que cela veut dire, pour empêcher l'élection de l'archevêque de Paris. La copie du rapport top secret dont j'ai pris connaissance avant mon départ ne laisse aucun doute à ce sujet. L'Union soviétique, qui dépend déjà de la finance internationale, redoute l'élection d'un pape juif qui donnerait au « sionisme international », comme ils disent, un atout supplémentaire. Le rayonnement spirituel d'un « judéo-christianisme » allié à la prépondérance de la finance internationale juive serait préjudiciable au prestige et peut-être à l'expansion du communisme. Si cela devait arriver les dirigeants soviétiques sont persuadés qu'en fin de parcours ils n'auraient plus qu'à se pendre avec la corde que leur auraient vendue les Rockefeller.
-- Ah, fit Paul en soupirant, cela est déjà arrivé à ce pauvre Roberto (Calvi) il y a quatre ans sous le pont des Black Friars.
-- Espérons que tu n'aies pas à partager le même sort, risqua Lou.
-- D'autre part, poursuivit Chuck, nos experts ont une analyse qui diffère sensiblement de celle de Marenches. Contrairement à l'ancien chef du DGSE, ils font deux remarques.
141:308
D'abord, bien qu'issu de l'endroit où foisonnent les diables (c'est-à-dire les gens de l'Est), le pape n'a jamais condamné formellement le communisme. Son humanitarisme à la Carter lui fait déplorer la violence d'où qu'elle vienne. C'est tout. Fausse fenêtre pour la symétrie. Excellent écran de fumée pour les Soviétiques. Ensuite, si la tâche historique du pontife est la reprise en main de l'Église catholique, il faut bien admettre que Wojtyla n'est pas à la hauteur. Depuis le concile l'Église dégringole et en huit ans le barnum wojtylien n'a pas redressé la situation. La CIA se fie aux statistiques, pas à l'applaudimètre. Il ne faut pas être grand clerc pour se rendre compte que le pape ne gouverne pas. (Le président de l'IOR gigota sur sa chaise l'air agacé.)
Nous savons que l'irréalisme du pontife provoque des crises de fou rire chez les crustacés du Politburo. Conclusion : le Kremlin préfère le statu quo et redoute l'élection de Jean-Marie Moustiker pour les raisons que je vous ai exposées.
-- Vos informations sont très intéressantes, Chuck, mais, en fin de compte, qui détient le pape ? demanda Paul.
-- Vous allez me dire que les agents de renseignements ne savent pas grand chose. Chaque service a ses défauts : le KGB se noie dans les détails, la CIA rate la plupart de ses mesures actives. Voir l'Iran. Mais ni le KGB, ni aucun des groupes qu'il contrôle de par le monde ne sont impliqués dans cette disparition. Nous avons tout vérifié. C'est pourquoi à l'heure convenue je vous ai envoyé de Nassau un bref message téléphonique à San Catharina del Sasso. A l'heure actuelle, en tant que porte-parole de la CIA, je ne puis pas vous répondre. Pour nos services c'est le mystère le plus complet.
-- Pour en revenir aux sheenies, dit Paul, ce sont eux qui provoquent toutes les difficultés de l'IOR : tarissement des débouchés, suppression des lignes de crédit, annulation de contrats. Mais revenons à Tutuila. Je suppose que la base de l'US Navy est bien surveillée par radar. Or, le pape a bien dû sortir de l'île !
142:308
-- Ce n'est pas sûr.
-- Pourtant on a passé toute l'île au peigne fin.
-- Je n'ai qu'une confiance très limitée dans la Naval Intelligence (NI) dont les renseignements sont centralisés à la Défense Intelligence Agency (DIA) de même que ceux de l'Air Force Intelligence (AFI). S'il faut avouer que la CIA est un désastre bureaucratique, la situation à la NI est bien pire. Notre patron Paul Casey lui-même prétend que la plupart de nos analystes n'évaluent pas bien la situation et que dans le meilleur des cas les vues concrètes qu'ils émettent disparaissent dans le processus de coordination. (Mines consternées de Lou et de Paul.)
-- En ce cas, que devons-nous penser de vos analyses ?
-- Je ne suis pas analyste, Monsieur, mais uniquement conseiller.
-- Ce Casey a une tête d'enfoiré, grommela Lou.
-- Je suis sûr que ça changerait drôlement si tu prenais la direction des opérations, fit Paul.
-- En tout cas je ne recruterais pas mes agents sur les campus universitaires, répondit Lou. Mais quelle que soit la valeur de vos analyses, il y a bien des faits. Par exemple, pouvez-vous nous décrire brièvement le système de surveillance dans cette région du Pacifique ?
-- A Tutuila nous avons bien sûr des radars, des garde-côtes équipés de sonar. Des avions de surveillance lâchent des XBT (bathythermographes non récupérables) qui transmettent leur lecture par un fil. La Navy dispose également d'un système SOSUS d'hydrophones déposés dans le fond de l'Océan mais les Samoas n'en sont pas équipées. Par contre, de grands bobinages sont déposés tout autour de l'île qui surveillent les variations du champ électrique. Mais je crois qu'on peut les brouiller ou les neutraliser.
-- Ce qui veut dire qu'un sous-marin de poche en plastique muni d'un système anti-détection et naviguant entre deux eaux pourrait passer inaperçu ?
143:308
-- Oui Monsieur, mais je ne connais pas de sous-marin en plastique.
-- Je suppose que vous avez pris connaissance du rapport de la commission d'enquête américano-vaticane ? Qu'en pensez-vous ?
-- La CIA n'accorde aucune valeur à ce rapport.
-- Voulez-vous dire que ce sont des incapables ?
-- A peu près, Monsieur.
-- Que pensez-vous de la déposition de ce pêcheur samoan qu'on dit ne pas être très équilibré ?
-- Taloki affirme avoir vu un sous-marin le jour même de la disparition, mais le reste de sa déposition est incohérent.
-- L'a-t-on interrogé plus avant ?
-- Non Monsieur, car il a été interné dans un asile psychiatrique. Les journalistes ont daubé là-dessus. Le *Daily Mail* titre : « *White pope in yellow submarine* »*.* « *Yellow submarine* » est une chanson célèbre des Beattles d'il y a quelque 20 ans.
-- Je sais, je sais. On a dansé là-dessus alors que vous étiez encore à la maternelle. Mais votre opinion personnelle ?
-- Le pape a été enlevé par un groupe terroriste stationné dans le sud-est asiatique et qui a pu effectivement utiliser un submersible. Cependant comme il s'agissait de gens inexpérimentés, le responsable a dû mal fermer l'écoutille provoquant ainsi...
-- Mais bon sang de bon sang, pourquoi ne l'avez-vous pas dit plus tôt, s'écria Paul en se redressant, les yeux injectés, la mâchoire tremblante, les poings sur les hanches. Voulez-vous dire que le submersible a coulé et qu'il repose maintenant au fond de l'Océan ?
-- Exactement, Excellence, fit Chuck dont le visage s'illumina brusquement. Le sous-marin gît actuellement dans la fosse des Tonga par 10.800 mètres de fond.
-- Comment le savez-vous ? hurla l'archevêque.
-- Du calme Paul, fit Lou en le saisissant par le bras. Assoyez-vous.
144:308
-- Je ne le sais pas de science certaine, je le suppose ou, hésita-t-il, plus exactement j'en ai l'intuition car il faut vous dire que je fais un peu de parapsychologie à mes heures perdues.
-- De la parapsychologie ? Qu'est-ce que c'est que ce machin ? Avez-vous fait part de vos... intuitions à votre supérieur hiérarchique ?
-- Non Excellence, car dans ce cas on m'aurait immédiatement fait rejoindre le pêcheur en question.
-- Invraisemblable, fit Paul, arpentant la terrasse de plus en plus nerveux.
-- Incroyable mais vrai, répondit Chuck.
-- A supposer que vous disiez vrai, y aurait-il moyen de récupérer ce submersible ?
-- Cela s'est déjà fait lors du projet « Jennifer ». La CIA et la Navy ont récupéré l'épave d'un sous-marin soviétique par 4.700 mètres de fond dans le Pacifique, mais il a fallu construire un navire de 63.000 tonnes, le « Glomar Explorer », qui a été vendu peu après aux Soviétiques.
-- Mes amis, déclara Lou, je me sens un peu fatigué. Pour le moment restons-en là. Vos renseignements sont très précieux, Chuck, et nous vous en remercions. Paul, voulez-vous me conduire près de la piscine ? Bien que paralysé des jambes je commence à perdre les pédales.
Les deux hommes s'engagèrent dans le parc.
-- Chuck marche un peu à côté de ses pompes, Paul.
-- Je ne partage pas ton avis. S'il est vraiment siphonné il ne nous reste plus que l'hypothèse numéro deux.
-- C'est-à-dire ?
-- Karol réduit en fumée par la déesse Lorak, fit Paul narquois.
-- Hé ! l'archevêque, restez sur les rails voulez-vous ? Car j'ai bien peur que vous ne finissiez vos jours en psykouchka comme disent les Russkies.
Après une pause il reprit, mélancolique : Paul, il y a trois ans encore je sautais de ce plongeoir...
145:308
-- Lou, fit Marcpinkus brusquement, tout ce que Chuck vient de nous dire n'est pas si idiot. Il en connaît un rayon et n'a pas dévoilé le tiers du quart de ce qu'il sait. Je t'invite à plonger avec moi.
-- Tu débloques ou quoi ?
-- Voilà un bon moment que j'y pense, mais maintenant ça y est. Pendant que Chuck nous déballait ses salades une idée géniale m'est venue. Tu crois à la résurrection ?
-- Euh, un peu comme tous les Siciliens.
-- Tu crois à la réanimation ?
-- Cesse de me mener en bateau Paul. Où veux-tu en venir ?
-- Je t'explique le pourquoi du comment du chose. Suppose que...
\*
Tard dans la soirée, à l'heure où le datura dégage son parfum enivrant, Lou et Paul devisent dans le patio décoré d'azulejos :
-- Paul, revenons-en à ta proposition. Je suis preneur et je m'occupe de l'affaire avec ma sous-traitance. Je te garantis que les intéressés n'iront pas voir trop loin à condition de les sucrer et pas un peu. Pour le moment, l'indifférence des sheenies nous est favorable, mais il ne faudrait pas que cela se transforme en hostilité. Pour le reste il s'agit qu'au bon moment quelques gus à la CIA regardent ailleurs. Je m'en charge, comme également de trouver un spécimen. Nous sommes d'accord sur les chiffres. A partir de demain plus aucun coup de fil entre nous. Fort Meade (siège de la NSA) et Menwith Hill en Angleterre interceptent automatiquement les communications des personnalités reprises sur leurs listings et nous en sommes c'est certain. De même les cabines publiques sont répertoriées et surveillées par ordinateur.
146:308
La NSA est parvenue à faire interdire les brouilleurs téléphoniques à cent dollars pièce, mais je pense pouvoir bientôt tourner la difficulté. J'enverrai le code à l'adresse convenue. Brûle tes notes ou passe-les au broyeur. N'en parle à personne, pas même à Lola. Je t'enverrai un contact en cas de besoin. Ne modifie en rien tes habitudes. Paul, je ne te reverrai plus avant longtemps. Bonne nuit et bon retour.
-- On se retrouvera « Se Deus quizer ».
*(A suivre, peut-être)*
Raymond Delestier.
147:308
## DOCUMENTS
### Le rapport Martinez ([^24])
sur le désastre culturel\
de l' « éducation nationale »
Dans un rapport parlementaire de 96 pages, et oralement à la tribune de l'Assemblée nationale, le député Jean-Claude Martinez a montré que notre fameuse éducation d'État est un *désastre culturel.* Il avait même parlé de *génocide culturel.* Comment le nier, quand on constate que le nombre des illettrés, au lieu de diminuer, augmente sans cesse.
La classe politico-médiatique installée, ses quatre partis rassemblés en union sacrée, a fait bloc contre Martinez et son rapport. C'est que l'on touche ici à un ressort secret, à un ressort constant, à un ressort essentiel de la République en France : la main-mise étatique sur l' « éducation ».
L' « éducation nationale » coûte à la France la totalité de ce que rapporte l'impôt sur le revenu.
Depuis trente ans, en effet, la totalité du produit de l'impôt sur le revenu est absorbée par le financement d'un système scolaire qui apprend tout juste à lire à un élève sur dix en sixième, un sur cinq en troisième.
Jean-Claude Martinez, député du Front national, est lui-même un « enseignant » : agrégé de droit public et de sciences politiques, et auteur de plusieurs ouvrages de référence sur le droit budgétaire, la fiscalité, la guerre et le commerce des armes.
148:308
Au nom de la commission parlementaire des finances il a été au mois de novembre, devant l'Assemblée nationale, le rapporteur spécial du budget de l'éducation nationale.
Voici le texte intégral de son rapport.
SOMMAIRE
Pages
INTRODUCTION 149
A. *-- Les moyens de l'Éducation nationale : le budget des grands nombres* 150
1\. L'éducation nationale en chiffres 150
2\. L'éducation nationale en comparaison 151
B. -- *L'efficacité de l'Éducation nationale : l'institution aux petits résultats* 156
1\. L'observation : le Darwinisme éducatif ou la régression des espèces scolaires 156
2\. Les interrogations : l'efficacité du système éducatif ou 168,2 milliards pour quoi faire ? 159
I. -- Un budget de fonctionnement : les crédits essentiellement verrouillés 160
A. *-- Le financement de contraintes : la double pesanteur des effectifs* 160
1\. L'effectif des personnels 160
2\. L'effectif des élèves 170
B. -- *La gestion des habitudes : de multiples errements effectifs* 178
1\. Les errements structurels 178
2\. Des gaspillages virtuels 183
II\. -- Une gestion des dysfonctionnements : des crédits partiellement gaspillés 186
A. *-- La mesure des échecs : la* « *déséducation* » *nationale* 187
1\. L'échec des élèves : un « désastre » culturel 187
2\. L'échec des enseignants : un naufrage collectif 194
B. -- *Les facteurs internes des échecs : le* « *parasitage *» *de l'Éducation nationale* 199
1\. Le syndicalisme, son effet et son emprise : la « délaïcisation » de l'éducation 199
2\. Le pédagogisme et ses méfaits : la perversion de l'éducation nationale 208
III\. -- Une amorce des redressements : des crédits positivement réorientés 218
A. -- *La stratégie du budget Monory : les petits pas* 218
1\. Les réformes de gestion 218
2\. Des audaces embryons 220
B. -- *La stratégie des budgets à venir : sauter le pas* 222
1\. Mettre fin 223
2\. Donner des fins 224
IV\. -- Examen en commission 225
A. -- *Le déroulement de l'examen* 225
B. -- *L'observation, après examen* 226
ANNEXES 227
149:308
#### INTRODUCTION
Un budget de 168,204 milliards de francs. Soit 3,2 % du P.I.B., 16 % du montant du budget de l'État, 78,9 % du produit de l'impôt sur le revenu ou 99,4 % du budget de la défense nationale ([^25]).
C'est le budget de l'éducation nationale.
Et encore n'y figure pas l'enseignement universitaire et ses 21,7 milliards de francs. Manifestement, les moyens de l'enseignement scolaire sont de grande ampleur.
Mais les résultats eux, sont-ils en proportion ?
La réponse chacun la connaît. Elle est dans les livres témoignages d'enseignants, désabusés ou révoltés ([^26]), dans les échecs scolaires, chaque année renouvelés et dans le nombre impressionnant d'illettrés : 20 % en sixième ([^27]). En 1986. Chez nous. Après 84 ans d'école obligatoire et gratuite.
Autant dire que les moyens importants ont conduit à des résultats modestes. A voir même certaines écoles et le résultat de certains examens ([^28]), on ne serait pas loin, à l'occasion, de démarquer Géricault, son école et son radeau.
150:308
##### **A. -- Les moyens de l'Éducation nationale : le budget des grands nombres**
En eux mêmes, les chiffres de l'Éducation nationale sont impressionnants. Ils le sont encore plus, quand on les compare avec les données d'autres ministères.
###### l. L'Éducation nationale en chiffres.
On peut aligner les chiffres de la rentrée comme un succès. Et avancer ceux de 1987 et son budget. 10. 164.200 élèves dans le public. 2.148.000 dans le privé. Sans compter les D.O.M.-T.O.M., soit 550.000 élèves en plus.
658.000 enseignants environ pour les accueillir ([^29]), dans 4.897 collèges, pour le secteur public, 2.574 lycées et des centaines de milliers de classes dont 226.626 pour le seul premier degré public ([^30]).
On comprend le cliché habituel selon lequel les masses de l'Éducation nationale ne se comparent qu'avec General Motors ou l'Armée rouge.
Le budget de 168,204 milliards de francs, consacré aux crédits de paiement, contre 164,827 milliards de francs en 1986, est en progression de 2,11 %, quand l'ensemble des dépenses définitives de l'État ne progressent elles que de 1,8 % en francs courants. Le budget de l'enseignement scolaire se compare donc pratiquement aux 206,7 milliards de francs du budget de la défense nationale. Du moins à ses quatre cinquièmes.
Hors pensions, les crédits de paiement s'élèvent à 143,142 milliards de francs, en augmentation de 1,54 %. Compte tenu de la décentralisation de 998 millions de francs de crédits de paiement, soit un reliquat de la décentralisation du financement des constructions scolaires qui figure encore à ce budget en 1986, la progression réelle des crédits, d'une année sur l'autre, s'établit à 2,27 %.
151:308
TABLEAU n° 1 :
\[nota bene : utiliser les touches Alt + Tab pour revenir au texte\]
152:308
Les dotations en faveur de l'enseignement scolaire progressent ainsi à un niveau légèrement plus soutenu que la hausse des prix (2 %) selon l'hypothèse associée au projet de loi de finances.
Au sein des crédits de paiement, les dépenses ordinaires atteignent, hors les 25,064 milliards de francs de pensions et allocations, 141,404 milliards de francs. Soit + 2,28 %. Les dépenses en capital, elles, diminuent de 36,1 %, avec 1.737 milliard de francs, contre 2,718 milliards de francs en 1986 (cf. tableau 1).
*Les dépenses de fonctionnement représentent ainsi rien moins que 99 % environ du budget de l'enseignement scolaire.*
C'est l'Éducation nationale, avec son budget de la démesure, réparti en quelques grandes masses de la rémunération des personnels en activité, avec 105 milliards de francs, à l'action éducative et culturelle absorbant plus de 24 milliards de francs. Neuf chapitres regroupent à eux seuls l'essentiel du budget de l'éducation scolaire.
TABLEAU n° 2 :
La comparaison avec les autres composantes du budget de l'État est à cet égard significative du gigantisme financier de ce monde de la scolarité.
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###### 2. L'Éducation nationale en comparaison.
Certes, on peut trouver dans le budget général, les budgets annexes ou les comptes d'avance du Trésor des masses financières qui soutiennent la comparaison avec ces crédits de l'Éducation nationale. Le budget des charges communes fait même mieux. Avec plus de 303 milliards de francs. Il est vrai qu'il s'agit d'un budget *carrefour,* lui aussi en constant *développement...*
Mais pour l'essentiel, comparé aux grands ministères dépensiers ou aux plus importantes sources de recettes, *le budget de l'Éducation nationale* pèse d'un poids majeur et *absorbe à lui seul l'équivalent du produit d'un impôt comme celui qui ampute le revenu.*
Même sur un simple quart de siècle, la montée en force du budget de l'Éducation nationale est saisissante. Il représentait 13,64 % du budget général en 1963, 2,55 % du P.N.B. et 56,58 % du budget des armées. Dix ans après, en 1973, les chiffres étaient passés respectivement à 18,38 %, 3,22 % par rapport au P.I.B. et 103,6 %. Vingt ans après, le mouvement se maintient avec 18,1 % du total des crédits en 1987, enseignement supérieur compris, 3,7 % du P.I.B. et 97,4 % du budget de la défense ([^31]). (cf. tableau n° 3.)
Comparé au montant des recettes de l'État, les dépenses de l'Éducation nationale occupent une place encore plus parlante. Pour 1987, le budget de l'enseignement scolaire exige à lui seul le tiers des 498 milliards de francs attendus de la T.V.A., voire 150 % des recettes qui devraient être tirées de l'impôt sur les sociétés ou près de 80 % du produit prévisible de l'impôt sur le revenu.
Sur trente ans, avec une régularité étonnante, on voit même le produit de cet impôt évoluer en parallèle avec le budget de l'Éducation nationale. (cf. tableau n° 4.) Les deux courbes se confondent presque.
Tellement d'ailleurs, qu'une question surgit. Dès lors en effet que ces dépenses de l'Éducation nationale peuvent expliquer un prélèvement comme celui qui s'opère sur le revenu, chacun peut se demander si l'efficacité des actions ainsi financées est à la mesure du sacrifice fiscal demandé.
Or, si la réponse n'est pas négative, elle est loin d'être positive. Dans un rapport coût-efficacité, l'Éducation nationale n'a pas vraiment une gestion dont les résultats mériteraient d'être félicités.
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TABLEAU n° 3 :
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##### **B. -- L'efficacité de l'Éducation nationale : l'institution aux petits résultats**
Pour être wagnériens, les chiffres de l'Éducation nationale ne doivent pas tromper. Certes, les 12,7 millions d'enfants ou d'adolescents scolarisés en 1986, contre 1,3 million en 1875, sont impressionnants ([^32]). Consacrer en 1987, comme chaque année depuis 1983, 16 % environ des dépenses du budget de l'État à l'Éducation nationale, contre 3,7 % en 1880, traduit indéniablement un changement de priorité, opéré depuis trente ans exactement ([^33]).
Mais cette arithmétique budgétaire ne doit pas cacher des statistiques tout aussi claires. Le contrôle parlementaire ne peut pas tenir dans un examen des comptabilités. L'appréciation de l'efficacité est aussi son domaine. Les représentants des contribuables qui paient veulent être fixés sur le rapport du coût-efficacité. *Quand les contribuables voient consacrer en effet à l'Éducation nationale l'équivalent de 80 % de l'impôt sur le revenu, ils peuvent légitimement se demander ce que tant de ressources sont devenues.*
L'observation débouche sur les interrogations.
###### l. L'observation : « le darwinisme éducatif » ou la régression des espèces scolaires.
Il est des chiffres qui laisseraient presque pantois...Au point que pour les croire, il faut presque s'y reprendre à deux fois. Comment pourrait-on penser en effet qu'aujourd'hui, *en 1986, 20 % des élèves de sixième ne savent pas lire ? Illettrés ! 29 % savent juste ânonner.* Épeler.
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Syllabe par syllabe. En troisième, à la sortie du collège, ils sont encore 12 % à ne savoir toujours pas lire ([^34]).
Confirmant une enquête de 1983, dans l'académie de Nice, qui révélait 22,5 % d'élèves de sixième ne sachant pas lire et 45 % d'enfants incapables d'exécuter une tâche concrète à partir d'une consigne écrite, les résultats de cette enquête 1986, sur un échantillon de 16.000 élèves de sixième et de troisième, doivent changer forcément l'optique du contrôle effectué jusqu'ici par le Parlement.
Chacun peut comprendre que s'interroger en priorité sur des questions du type de la résorption de l'auxiliariat, des transports scolaires en Île-de-France, des transferts de crédits résultant de la décentralisation ou de la dotation de 55,2 millions de francs pour les travaux dans les services extérieurs, n'a plus qu'une signification limitée par rapport à l'interrogation majeure. Celle de l'efficacité du système éducatif français, au regard des crédits importants qui lui sont consacrés.
*On ne peut donc plus se limiter à présenter les comptes du ministère de l'Éducation nationale, il faut lui en demander.*
D'autant que toutes les sources confirment. 7 % des appelés du contingent sont illettrés. Le ministre de la défense nationale les chiffre à 30.000 chaque année ([^35]). Soit rigoureusement la proportion d'illettrés de la décennie 1890 parmi les conscrits ([^36]).
Comme si un siècle après les lois du 16 juin 1881 et du 28 mars 1882 qui rendaient gratuit et obligatoire l'enseignement primaire, la France se retrouvait au point de départ. *Au temps de la génération de Sedan.* Avec la même proportion d'illettrés. Mais après avoir demandé chaque année aux contribuables, pendant soixante-dix ans, de payer une somme égale à l'impôt sur le revenu, pour contribuer au financement d'une Éducation nationale dont on voit à quel résultat elle est parvenue.
Si certains doutaient d'ailleurs encore de l'ampleur du désastre, les résultats des examens ne leur laisseraient guère d'illusion. Le brevet des collèges, version allégée du B.E.P.C., disparu depuis dix ans, s'est transformé en juin 1986 en une hécatombe pour les 760.000 élèves de troisième qui l'ont subi. Moins d'un candidat sur deux aura décroché ce certificat de fin de premier cycle secondaire. Dans les lycées professionnels, le taux de réussite descend même jusqu'à 9 % ([^37]). Au point qu'il aurait fallu, sous des pressions insistantes et généralisées, maquiller les résultats.
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Un dossier très circonstancié, de septembre 1986, révèle des manipulations de correction gravissimes, si elles sont exactes ([^38]). Autant dire qu'à ce point de dégradation, où l'on voit la presse de 1986 pouvoir en arriver à demander un « Plan Orsec » pour la lecture ([^39]), forcément, l'examen parlementaire du budget de l'Éducation nationale pour 1987 ne peut plus continuer à ronronner dans une simple présentation analytique des crédits. Au demeurant verrouillés par les pesanteurs des services votés. Les questions essentielles doivent être posées.
###### 2. Les interrogations : l'efficacité du système éducatif ou 168 milliards pour quoi faire ?
1890-1990 : l'évolution par bien des points a été circulaire. L'éducation a tourné en rond. Trois questions essentielles se posent alors.
D'abord, 168,2 milliards de francs pour 1987, certes ! Mais pourquoi faire ? Budgétairement, la réponse paraît simple. Pour l'essentiel, le budget de l'Éducation nationale est un budget de fonctionnement (1^e^ partie).
Ensuite, comment en est-on arrivé là ? A ce constat d'échec scolaire et à une situation dite « d'école des barbares » ([^40]) où le racket, la drogue, l'alcool, les vols, les agressions et le vandalisme ont cessé d'être des situations isolées. A tel point que le 25 septembre 1986, Mme le secrétaire d'État, chargé de l'enseignement, a dû présenter un programme anti-violence.
Le budget de l'éducation nationale, avec ses subventions à 222 organismes péri-scolaires, ses inadmissibles mises à dispositions de personnels à des associations et mouvements pseudo-pédagogiques, son 1,1 million d'heures de décharges syndicales ou ses 865,564 millions de francs au bénéfice notamment d'établissements publics nationaux distillant des idéologies pédagogiques déstabilisatrices, n'alimente-t-il pas en lui certains des facteurs qui expliquent précisément le délabrement de cette éducation et son ampleur ?
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La réponse est en grande partie positive. Si les causes de cette situation grave sont sans doute multiples et enchevêtrées, elles n'en sont pas moins en effet connues. Au moins pour les facteurs internes à l'institution scolaire. Ceux qui expliquent son autodégradation et son implosion.
Ces causes, il faut les dire. Elles expliquent que l'éducation soit arrivée au pire.
C'est d'abord *le syndicalisme, avec ses* « *tribus corporatistes* »*, rétrogrades et parfois mercantiles, poussant leurs ramifications commerciales, métastasant l'école et lui faisant perdre sa neutralité. C'est ensuite et surtout, le pédagogisme idéologique des Trissotins* « *pédagopathogènes* » *qui se développent au sein des organismes théoriquement chargés de la recherche,* voire de la documentation. L'Institut national de recherche pédagogique et le Centre national de documentation pédagogique semblent à cet égard avoir été les responsables objectifs, quand ce n'est pas actifs, du travail de sape mené méticuleusement au sein de l'éducation nationale.
Autant dire que les crédits qui leur sont affectés ne sont pas loin d'être gaspillés. Le budget de l'éducation nationale permet là, pour partie, la gestion des dysfonctionnements. (2 partie).
Mais alors la question majeure se pose. QUE FAIRE ?
Le budget de 1987 amène incontestablement et heureusement, l'amorce d'un commencement de solution. Comme un frémissement, avec le rétablissement d'un responsable de l'autorité dans les écoles, la suppression de 1.679 emplois budgétaires profitant inutilement à des organismes péri-scolaires ou l'arrêt du recrutement des P.E.G.C., ce palliatif qui avait médiocratisé le système dont on doit exiger qu'il fonctionne au sommet.
En réorientant des crédits, ce budget esquisse des redressements salutaires. Ils sont à continuer sur les autres exercices budgétaires. (3^e^ partie).
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#### I. -- UN BUDGET DE FONCTIONNEMENT : LES CRÉDITS ESSENTIELLEMENT VERROUILLÉS
Quand plus de 95 % des masses budgétaires de l'Éducation nationale sont destinés à rémunérer les titulaires de plus de 900.000 postes budgétaires et à financer les 110.000 contrats passés avec les établissements d'enseignement privés, la rigidité est évidente.
Le budget de l'Éducation nationale se résume à *financer les contraintes* qu'amène la double pesanteur des effectifs. Ceux des maîtres et ceux de leurs élèves (A).
La marge de choix est dès lors financièrement minime. D'autant qu'il faut gérer les héritages, quand ce n'est pas les habitudes et leurs multiples errements effectifs (B).
##### A. -- Le financement des contraintes : la double pesanteur des effectifs.
Il y a des élèves. Il faut les accueillir. Et des maîtres sont donc nécessaires. Tout le budget de l'Éducation nationale est là. Sorti du financement de ces deux exigences, il n'y a plus guère de crédits à recueillir.
###### l. L'EFFECTIF DES PERSONNELS
Lorsque le chapitre 31-33, « Personnels enseignants du second degré. -- Rémunérations principales », est doté à lui seul de 52,067 milliards de francs, soit une enveloppe supérieure de près de 60 % à la totalité du budget d'un département ministériel aussi important que celui de l'agriculture, on comprend le poids budgétaire des personnels.
####### a) Les personnels des établissements publics.
Au 31 décembre 1986, compte tenu des mesures prévues par la première loi de finances rectificative, le nombre des emplois budgétaires, pour l'ensemble des administrations de l'État, s'élève à 2.511.332 ([^41]).
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Sur ce total, l'enseignement scolaire représente 907.022 postes. Soit le tiers des effectifs budgétaires de la fonction publique nationale. Rien ne lui est comparable. Aucun ministère ne l'égale. La fonctionnarisation de la société active française est passée par la démesure des effectifs de l'enseignement scolaire.
TABLEAU n° 5 :
*Quatre chapitres par exemple, 31-20 et 31-22 pour les instituteurs, 31-33 et 31-34 pour* les *professeurs du second degré, absorbent à eux seuls plus de 91 milliards de francs* en rémunérations principales et heures supplémentaires. Soit plus de la moitié du budget de l'enseignement scolaire. Le poids financier des effectifs est là, on ne peut plus évident.
Près de 300.000 instituteurs et institutrices ([^42]), 186.624 enseignants dans les collèges et 146.997 dans les lycées d'enseignement général et les lycées professionnels, amènent une rigidité qui laisse peu de place à des choix et à une volonté. *Le nombre* exerce sa domination et dicte les lignes budgétaires de l'Éducation.
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Toutefois, le budget 1987 se donne une légère possibilité de jeu et de souplesse en dégageant 3.649 suppressions nettes d'emplois. Ce qui modifie, modestement il est vrai, les taux d'encadrement, avec les débats stériles qu'ils suscitent tous les ans.
######## 1° *Le nombre et ses conditionnements : l'ampleur, les réductions et les redéploiements.*
Émargeront l'an prochain au budget de l'enseignement scolaire :
-- 902.073 emplois budgétaires, soit - 4.949 par rapport à 1986 ;
-- 9.882 emplois non budgétaires (agents des internats et certains agents des établissements publics rattachés (787 par rapport à 1986) ;
-- 2.562 emplois gagés sur les ressources et la formation continue (+ 600 par rapport à 1986) ;
-- et 111.954 emplois correspondant aux contrats passés avec les établissements privés (+ 320 par rapport à 1986).
soit au total, 1.026.471 emplois ou équivalents emplois.
Sur ces postes, les suppressions et les redéploiements ont joué pour les administratifs comme pour les enseignants.
-- *Les administratifs et les enseignants se* partagent les emplois dans des proportions qui ne sont pas sans avoir un caractère surprenant. Ainsi en 1986, pour 658.604 personnels enseignants, y compris les 26.766 agents de l'éducation physique et sportive, on comptait près de 3.000 personnels d'inspection, plus de 22.000 fonctionnaires de direction, 36.329 personnels de surveillance, et plus généralement 161.718 personnels administratifs. Soit plus de 223.000 agents de gestion ([^43]). Si bien que pour moins de trois personnes qui enseignent, on compte un fonctionnaire qui les gère, les surveille, les inspecte, les assiste ou les dirige, moins qu'il ne les parasite.
Il y a là une proportion excessive qui en dit long sur les pesanteurs de cette administration démesurée, comme sur les causes qui expliquent sa faible efficacité. Sans parler de sa rentabilité, manifestement étrangère aux préoccupations de ceux qui devraient l'assurer.
-- *Les suppressions et les redéploiements* devraient évidemment s'exercer sur ces postes administratifs en priorité.
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De fait, la loi de finances pour 1987 pratique un resserrement heureux de ces effectifs administratifs avec 1.480 suppressions nettes d'emplois.
Outre ces personnels non enseignants, pour lesquels le solde des créations et suppressions d'emplois se traduit par la suppression nette de 1.697 postes, les mouvements les plus significatifs concernent :
-- les écoles, où sont supprimés 1.200 postes d'instituteurs alors qu'il y a encore quelques années on recrutait plusieurs milliers d'instituteurs par an ;
-- les collèges, où sont supprimés 2.000 postes de professeurs (dont 1.150 de P.E.G.C. et 850 de certifiés) ;
-- les lycées professionnels, où sont créés 464 postes, et, enfin ;
-- les lycées, qui bénéficient de 3.776 postes, (dont 3.068 de professeurs certifiés et 400 de professeurs agrégés).
Ces redéploiements peuvent paraître importants. Surtout si on les compare avec le total des mouvements d'emplois affectant l'ensemble des budgets. Quand, pour l'ensemble de l'État, 7.058 postes sont créés en 1987 et 26.161 supprimés ([^44]), il est évident que les 4.352 créations bénéficiant à l'enseignement scolaire et les 9.626 suppressions d'emplois qui l'affectent ([^45]), sont proportionnellement dominantes.
Sur les 19.103 emplois nets supprimés en 1987, 25 % l'ont été dans l'enseignement scolaire avec 4.689 postes en moins (**201**). Apparemment c'est beaucoup.
En réalité pourtant c'est bien peu. Si l'on compare en effet avec les postes abusivement créés, dans l'atmosphère de laxisme qui présidait à la gestion des affaires après le printemps 1981, les 4.689 suppressions nettes d'emplois de 1987 ([^46]) sont bien modestes au regard des 34.800 postes financés entre 1981 et 1983. Simplement, pour revenir sur ces recrutements baroques de 1981, ce sont 30.000 postes de plus qu'il aurait fallu supprimer en 1987.
Il est vrai que l'on n'aurait pas manqué d'invoquer dans cette hypothèse des taux d'encadrement difficiles.
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######## 2° *Les taux d'encadrement : des tensions limitées et des solutions possibles.*
On pourrait certes, s'inquiéter des suppressions d'emplois effectuées, même fort modérées, dès lors qu'elles seraient mises en parallèle avec l'évolution démographique et les besoins qualitatifs nouveaux entraînés par la rénovation des collèges. De fait, un tableau comparatif semblerait suggérer des risques de tensions dans le taux d'encadrement des élèves.
Tableau n° 7 :
De fait, apparemment, les redéploiements 1987 entraîneraient, semble-t-il :
-- une diminution du taux d'encadrement dans les écoles, d'autant plus sensible, dans certains secteurs, que tous les enfants ne trouvent pas place en maternelle, certains devant d'abord figurer en liste d'attente ;
-- une augmentation du taux d'encadrement dans les collèges. On notera cependant que la diminution proportionnelle du nombre des postes, du fait notamment des effets de seuil dus à l'impossibilité de supprimer certaines classes à faible effectif. D'autre part, la poursuite du plan de rénovation des collèges devrait, à elle seule, nécessiter automatiquement environ 1.500 postes supplémentaires ;
-- une diminution du taux d'encadrement dans les L.E.P., où le ministère semble tabler sur une forte diminution des effectifs dans les années qui viennent et, enfin,
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-- la poursuite de la dégradation continue du taux d'encadrement observée ces dernières années dans l'enseignement long.
Il faut toutefois relativiser. Le nombre moyen d'élèves par classe, dans le premier comme dans le second degré, reste à un niveau moyen qui n'a pas de quoi inquiéter. Même si des dispersions, autour de ces moyennes, existent du « public » au « privé », d'une région à l'autre ou du second cycle long au second cycle court.
Nombre moyen d'élèves par classe et par division ([^47]) -- 1985-1986.
-- Écoles maternelles 28,6 dans le public et 28,8 dans le privé.
-- Écoles primaires 21,9 dans le public et 25,2 dans le privé.
-- Premier cycle du second degré 24,3 dans le public et 25,5 dans le privé.
-- Second cycle court 24,5 dans le public et 22,8 dans le privé.
-- Second cycle long 29,9 dans le public et 24,7 dans le privé.
Au demeurant, si une tension existait dans les taux d'encadrement, la réponse à cette situation serait simple. La lutte contre le gaspillage devrait être enfin menée et intensifiée. *Les 1.627 postes payés en 1986-1987, sur crédits financés par des prélèvements, au titre des décharges syndicales et en contradiction avec les dispositions de l'article 1.1 de la déclaration de 1789, montrent où pourrait se trouver la voie d'une saine gestion des crédits publics.*
####### b) Les personnels des établissements privés.
L'enseignement privé emploie environ 120.000 maîtres dont 77.000 dans le second degré. Ces crédits ont pris ici une signification nouvelle depuis 1984 et sa mobilisation populaire.
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Chacun a pu voir qu'il y avait là une lame de fond qui changeait la présentation du problème classique et lancinant des rapports entre les deux types d'établissements d'enseignement.
######## 1° Présentation des crédits.
Les crédits, consacrés aux établissements privés représentent sensiblement 12 % de ce budget de l'éducation et 2 % du budget général de l'État. Ils évoluent dans le sens d'un « rattrapage » sensible.
Tableau n° 8 :
Des mesures nouvelles sont prévues. Elles actualisent d'abord les crédits de rémunération des personnels enseignants à concurrence de 421,4 millions de francs. Sans parler de l'actualisation de la partie non décentralisée du forfait d'externat avec + 45,8 millions de francs.
484 contrats nouveaux sont inscrits au 1^er^ janvier 1987, soit 51,60 millions de francs au chapitre 43-01. Pour le 1^er^ septembre 1987 ; 320 contrats nouveaux sont prévus avec un coût de 16,30 millions de francs. Soit 48,9 millions de francs en année pleine. Ils correspondent aux mesures de même nature dans l'enseignement public.
Par ailleurs, les moyens de la formation continue progressent de 12 % soit + 15 millions de francs.
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Le plan d'amélioration de la situation des instituteurs est appliqué ici avec 76,7 millions de crédits.
Au Total, le nombre d'enseignants des établissements privés sous contrat a légèrement augmenté en 1985-1986 par rapport à l'année précédente (+ 1 %).
Tableau n° 9 :
Pour l'essentiel, dans l'enseignement privé sous contrat du second degré, les enseignants sont des maîtres auxiliaires à concurrence de 54,5 % en 1985-1986. Viennent ensuite les adjoints d'enseignement avec 19,4 % des effectifs. Les agrégés représentent 0,5 %, soit 392 en 1985-1986. Les bi-admissibles 0,1 % avec 80 et les certifiés 4,4 %, soit 3.432 enseignants.
Ces personnels sont dans leur immense majorité dans des établissements privés catholiques. *A plus de 90 % l'école privée est une école confessionnelle.* Il y là une équation qui pour être sociologiquement évidente n'en dispense pas moins de suggérer une réflexion.
######## 2° *Réflexions sur le non-dit.*
Les événements de masse du 24 juin 1984 ont démontré qu'un courant de fond existe. Spontané. Enraciné et vibrant de vitalité. Il ne doit pas cacher pour autant des risques en pointillés, même s'ils sont extrêmement mineurs.
-- *Le mouvement sociologique porteur* ne s'est pas simplement manifesté, le 24 juin 1984, par l'impressionnant défilé de plus d'un million de personnes qui de l'ensemble des provinces de France avaient conflué sur Paris ([^48]).
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D'autres chiffres révèlent le phénomène de société. Ceux des flux d'élèves entre les établissements publics et les établissements privés. De la rentrée 1981 à celle de 1985, le solde des échanges, entre le secteur public et le secteur privé, a toujours été favorable à ce dernier.
TABLEAU n° 10 :
-- *Des potentialités, même mineures,* n'en sont pas moins à soulever. 9 % des effectifs globaux de l'enseignement scolaire sont en effet des enfants dont les parents sont de nationalité étrangère. *Soit 1.076.179 en* 1985, entraînant un *coût de scolarisation évalué à 8,6 milliards de francs.* Dans l'enseignement élémentaire, ils représentent même plus de 12 % des effectifs de l'école.
Dans certaines académies, comme celle de Paris ou de Créteil, ils représentent plus de 20 % des effectifs de l'enseignement scolaire.
Les nationalités dominantes sont entre autres celles d'Algérie, pour 286.000 élèves, du Maroc pour 177.000 enfants scolarisés et de la Tunisie, avec plus de 61.000 élèves.
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La loi Debré et les contrats simples ou d'association, offrent, à une population scolarisé de 525.000 élèves environ, la possibilité de créer ses propres écoles confessionnelles. Dans cette hypothèse, *l'équation école privée = école catholique,* subirait une inflexion.
Il y a là des potentialités sociologiques qui appellent réflexion des politiques.
###### 2. L'EFFECTIF DES ÉLÈVES
La question peut être abordée sous plusieurs aspects.
On peut l'inscrire d'abord dans le cadre de l'opposition, heureusement en voie d'être apaisée, sinon dépassée, entre les effectifs des établissements publics et ceux du privé. Sous cet angle, on peut observer qu'en 1986-1987, les établissements privés accueillent 2,17 millions d'élèves, dont 968.000 dans le premier degré et 1.210 million dans le second degré. Ils scolarisent ainsi 17,1 % des élèves, à raison de 14 dans le premier degré et de 20,8 % dans le second degré.
*Un élève sur sept dans le premier degré et un sur cinq dans le second degré, fréquentent donc un établissement privé.*
TABLEAU n° 11 :
On peut ainsi aborder les effectifs scolaires, par le biais des aides sociales qui leur sont amenées.
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Et de fait, sous forme de bourses, d'aides aux transports ou pour les manuels, le budget de l'enseignement scolaire comprend des crédits pour ces aides sociales.
Mais comment ne pas voir que ces aspects des choses de la scolarité sont mineurs, sinon dérisoires, par rapport à l'angoissant problème de la rupture dans le nombre des enfants scolarisés.
Les effectifs scolaires confirment une situation alarmante.
La désertification démographique de la France s'inscrit dans les chiffres scolaires. 650.000 élèves en moins dans l'enseignement primaire public de 1977 à 1985.
L'ampleur des effectifs que le budget de 1987 se charge de scolariser, sonne le tocsin démographique.
####### a) La mesure des effectifs : le tocsin démographique.
Même l'apport numérique des départements d'outre-mer et la surévaluation des statistiques, par le biais des redoublements ou de la scolarisation d'enfants de nationalité étrangère, n'arrivent pas à masquer la *déchirure démographique.*
Les maternelles se vident et les collèges se dépeuplent.
Dans les lycées eux-mêmes, si le nombre des élèves augmente pour le moment, la chute des effectifs, au milieu de la décennie 1990, ne sera masquée que par l'allongement de la scolarité.
*On voit déjà venir la désertification du monde des écoles et le silence tomber sur des locaux devenus inutiles. Comme si* « *la dernière classe* » *allait sortir des* « *Contes du lundi* »*, d'Alphonse Daudet, pour s'inscrire dans la réalité des écoles désertées* (cf. tableau n° 11).
######## 1° *Les maternelles se vident*
Les chiffres portent cette béance. On voit s'inscrire dans leur alignement le *témoignage d'une inconscience généralisée et de l'inconsistance de ceux qui auraient dû diriger.*
*En 1987, il y aura 32.900 enfants en moins dans les écoles maternelles publiques métropolitaines*. Il y en avait eu 29.400 en moins en 1986. Les maternelles privées, elles, compteront 6.200 enfants en moins en 1987. Le même chiffre qu'en 1986.
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TABLEAU n° 11 :
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TABLEAU n° 12 :
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Le mouvement de baisse est continu. Si les écoles primaires y échappent, ce n'est que dans les dernières années. *De 1977 à 1985, l'enseignement primaire public a perdu 650.000 élèves*. Ils étaient en France métropolitaine 3,95 millions à la rentrée de 1980. Cinq ans après, à la rentrée de 1985, ils n'étaient plus que 3,41 millions.
Il en va de même pour l'enseignement élémentaire public dans les D.O.M. Ils étaient 180.000 élèves en 1990. Ils n'étaient plus que 149.000 en 1985.
L'enseignement élémentaire privé n'y a pas évidemment échappé, lui non plus. Les 668.600 élèves que l'on y comptait en métropole, en 1980, ont laissé la place au moindre effectif des 614.100 élèves de 1985.
Seuls les T.O.M. résistent à cette chute des effectifs. Les 18.570 élèves des maternelles de 1980, public et privé confondus, étaient 21.706 en 1985. De même dans le primaire, 53.442 enfants se comptaient en 1980 et 64.562 en 1985.
Mais les territoires du Pacifique ne peuvent bien évidemment à eux seuls inverser les courbes de la métropole, quand les effectifs des établissements, publics et privés, y ajoutent leur baisse parallèle.
######## 2° *Les collèges se dépeuplent.*
Il y aura 250.000 élèves en moins d'ici à 1990, dont 86.800 pertes dès 1987 dans le seul secteur public métropolitain et 12.300 dans le secteur privé.
*La diminution des élèves va d'ailleurs s'y accentuer jusqu'en 1990. Le vide démographique, parti des maternelles, remonte le corps scolaire comme une embolie gazeuse.*
*250.000 élèves auront été perdus au total de 1986 à 1990*.
Le mouvement a commencé discrètement à la rentrée 1984 avec 8.600 élèves en moins dans les collèges publics métropolitains. Mais dès la rentrée 1985, ils étaient 51.600 en moins.
Les collèges privés n'y échappent pas. Si bien qu'au total, public et privé confondus, les collèges ont perdu, en métropole et dans les D.O.M, 54.900 élèves en 1985. Le même nombre à nouveau en 1986 et bientôt 102.500 à la rentrée 1987.
Bien entendu, la tyrannie du statu quo est telle qu'à court terme chacun y gagne. On supprime modestement des postes d'enseignants et le budget s'en satisfait. On laisse surtout subsister plus d'enseignants que les postes ne le voudraient. Et le travail de direction des classes s'en trouve allégé.
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A long terme pourtant, qui ne le voit, le budget de l'Éducation porte déjà en lui les premiers signes qui fissurent les fondations.
####### b) Les aides sociales aux effectifs : le piétinement statistique.
Une rentrée scolaire a un coût : celui des fournitures en papier, du matériel pour écrire, peindre ou dessiner, de l'habillement scolaire ou des frais de scolarité. On le chiffrait en 1986 à 460 F *pour un élève de 4^e^ ;* 556 F pour un élève de 6^e^ ; 633 F en première année de lycée professionnel tertiaire, près de 830 F pour un élève de seconde, plus de 860 F dans un lycée professionnel secondaire.
*Les familles ont dépensé en moyenne entre 1.000 et 1.600 F par élève lors de la rentrée 1986.*
Le budget de l'enseignement scolaire leur amène des aides, sous forme de transports scolaires, de bourses et de manuels.
TABLEAU n° 13 :
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######## 1° *Les transports scolaires.*
Les responsabilités en matière de transports sont décentralisées depuis le 1^er^ septembre 1984. Seules sont prises en charge, par le budget des enseignements scolaires, les dépenses pour l'Île-de-France et les T.O.M. (cf. annexe l).
Le montant représente 312 millions, soit près de 12 % en plus, par rapport à 1986, dont 7,204 millions pour l'enseignement privé (action 01.16.04).
######## 2° *Les bourses et les manuels scolaires.*
Les crédits pour les manuels sont en augmentation de 33 % ; avec un total de 298 millions dont 14 millions pour le seul renouvellement des manuels en classe de 5^e^ des établissements d'enseignement privé (ch. 43-20).
Sur ce terrain des aides sociales, ce sont toutefois les bourses et secours d'études qui font problème. Déjà, lors de la discussion du projet de budget pour 1986, le rapporteur spécial de la commission des finances du Sénat observait la « régression en francs constants, des crédits de bourses ([^49]).
TABLEAU n° 14 :
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La rigueur s'est maintenue et s'est même aggravée. Les bourses font en effet l'objet d'une mesure d'économie portant sur 78,680 millions (mesure 01.18.01). Soit 3 % du chapitre 43-71. Les débats en commission des finances ont révélé d'ailleurs des préoccupations légitimes sur ce point.
D'abord parce que nombre d'élèves sont concernés, avec plus de 1.523.000 boursiers. Notamment dans les collèges et les L.E.P.
TABLEAU n° 15 :
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Ensuite et surtout, parce qu'en dépit des bourses, la charge scolaire qui reste aux familles est encore fort importante.
Les bourses allouées aux élèves des collèges qui en bénéficient n'atteignent en moyenne que 200 F. par trimestre. Or, le coût de la gestion du système des bourses peut être évalué à environ 120 millions de francs, soit 20 % du montant des sommes versées aux boursiers des collèges.
Dans ces conditions, on peut s'interroger sur le point de savoir si les bourses du premier cycle ne devraient pas laisser place à un dispositif plus simple qui, tout en ne lésant pas les familles, serait d'une gestion moins coûteuse. Dans cette perspective, les bourses des collèges pourraient être remplacées par une allocation de rentrée scolaire étoffée. Néanmoins, pour l'année 1987-1988, l'extension en année pleine des mesures prises en 1986, soit 80,08 millions de francs, permettra de financer l'évolution des effectifs et la création d'une prime de 900 F. au profit de tous les boursiers accédant à la classe de seconde.
Pour l'année 1986-1987, le ministère estime qu'en gestion, grâce à une réaffectation des moyens à l'intérieur du chapitre 43-71, il sera possible de maintenir le régime actuel d'aide aux familles en francs courants.
##### B. -- La gestion des héritages : de multiples errements effectifs.
Caractérisé par le gigantisme et le poids des services votés, le budget de l'éducation nationale n'est pas exempt d'errements structurels. Des gaspillages virtuels pourraient s'y ajouter si l'engagement pour l'informatique et les pratiques budgétaires qu'il a déjà entraînées n'étaient pas maîtrisés.
###### 1. LES ERREMENTS STRUCTURELS
De rapports en rapports, la cour des comptes en dresse depuis 1982 la liste régulière. Deux remontrances reviennent le plus souvent. On pourrait y ajouter, avec le téléphone et les frais de déplacement, deux autres exemples de mauvaise gestion.
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####### a) Deux remontrances permanentes de la Cour des comptes.
Sur les établissements publics pédagogiques, les centres d'examens ou les pratiques ayant accompagné le premier plan informatique, la cour des comptes n'a pas failli à sa mission.
Les plus surprenants des errements de gestion ont été relevés.
Pour être plus austères, d'autres errements sont régulièrement dénoncés. Par exemple, le recours excessif aux autorisations de visa ou dépassement présentant pourtant un caractère irrégulier. On a même vu, en 1984, le chapitre 31-94, sur les « Rémunérations d'auxiliaires administratifs », bénéficier d'autorisations de visa en dépassement portant sur 280 % de la dotation initiale du chapitre.
On retiendra deux illustrations des commodités régulières que s'accorde le ministère.
######## 1° *La maîtrise insuffisante dans la gestion de différents chapitres.*
Il s'agit essentiellement des chapitres d'auxiliaires, d'heures supplémentaires, de frais de déplacement qui font l'objet chaque année de mouvements d'ajustement.
Par exemple, en 1982, les crédits du chapitre 31-97, concernant les « autres personnels enseignants ». « Rémunérations principales » et retraçant essentiellement les rémunérations des auxiliaires d'enseignement, payés sur crédits, ont été abondés de près de 10 % de la dotation initiale par un décret de virement du 11 juin 1982 qui avait déjà été précédé d'une autorisation de visa en dépassement, donnée par le ministre chargé du budget. Ce décret de virement a été lui-même complété par un arrêté de transfert, du 9 juillet 1982, portant sur un montant de 200 millions de francs. Ce même chapitre a été abondé de 124 millions de francs par la loi de finances rectificative du 30 décembre.
Au total, les majorations successives ont représenté 60 % des crédits initiaux. Elles sont dues aux retards apportés, par rapport aux inscriptions budgétaires, à la titularisation de certains personnels, ainsi qu'au réemploi en surnombre de plus de 3.000 auxiliaires.
Pour les auxiliaires administratifs, dont les rémunérations sont retracées notamment par le chapitre 31-94 -- « Rémunérations d'auxiliaires administratifs » --, les retards enregistrés, dans la mise en œuvre de la titularisation, ont conduit en 1983 et en 1984 à une insuffisance de crédits par rapport à des dotations initiales sous-estimées. Les autorisations de visa en dépassement ont dû être accordées ([^50]).
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Il est vrai que les difficultés de gestion des auxiliaires administratifs n'ont pas été propres au budget de l'éducation nationale.
Pour 1987, les crédits de ce chapitre diminuent, avec au total 702 millions de francs.
######## 2° *Des reports de charges élevés.*
Régulièrement, pour les trois derniers exercices, la Cour a été amenée à dénoncer les dépassements de fait sur trois groupes de chapitres du budget de l'enseignement scolarisé :
-- les frais de déplacement,
-- les stages et la formation,
-- les examens et concours, auxquels s'ajoute le chapitre des remboursements à diverses administrations.
A s'en tenir aux chapitres d'examens et concours, l'ampleur des restes à payer est attestée par les chiffres suivants relevés par la Cour ([^51]) :
80 millions de francs à la fin de la gestion 1982 ; 100,2 millions de francs à la fin de la gestion 1983, dont 93 millions de francs pour le chapitre 37-42 « Lycées -- Examens et concours », soit 31,9 % des crédits ouverts, et 6,5 millions de francs pour le chapitre 37-22 « Écoles -- Examens et concours ». Soit 58,9 % des crédits ouverts ;
84,5 millions de francs à la fin de la gestion 1984.
Selon une estimation provisoire, les impayés dépasseraient 100 millions de francs à la fin de 1985. Ce dernier chiffre figure dans l'observation de la Cour intitulée « *L'organisation des examens et concours au ministère de l'éducation nationale* » (rapport au Président de la République, 1986, p. 73 à 79).
Cette étude souligne, notamment, d'une part l'absence d'engagement préalable, l'engagement comptable n'intervenant que tardivement à un moment où la dette de l'État est déjà certaine, d'autre part, le caractère très rudimentaire, du moins jusqu'à une date très récente, de l'évaluation des états de frais en attente. ([^52])
181:308
Il faudrait aussi mentionner les pratiques de « cavalerie » budgétaire ou les manipulations financières permises par le Fonds spécial des grands travaux, aujourd'hui mis en extinction et l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie. La Cour des comptes a dénoncé ces « facilités de gestion », au bénéfice des établissements d'enseignement du second degré. ([^53])
Le budget 1987 n'échappe pas à ces pesanteurs de l'administration scolaire. Comme ses homologues des autres ministères, manifestement la qualité de la gestion n'est pas sa préoccupation première. Deux exemples peuvent le montrer.
####### b) Deux exemples de facilités de gestion dans les comptes.
Les crédits de téléphone et les frais de déplacement ne sont pas des modèles de bonne administration.
######## 1° *Les crédits de téléphone : les commodités de gestion*.
Au 1^er^ août, les arriérés de téléphone et d'imprimerie sont évalués respectivement à 4 et 6 millions de francs.
Le projet de loi de finances pour 1987 aborde le chapitre 34-93 « Remboursement à diverses administrations », d'une mesure nouvelle de 10 millions de francs qui s'ajoute à l'augmentation de 2 % de l'ensemble des dépenses de fonctionnement (1,4 millions de francs).
En matière de téléphone, le déficit s'élevait à 24 millions de francs à la fin de 1985. Les ajustements de fin de gestion ont pu l'apurer à hauteur de 21,7 millions de francs ; le déficit prévisible de fin d'année sera de l'ordre de 20 millions de francs.
Qu'en est-il en vérité ? Les administrateurs savent qu'en toute hypothèse, la note sera payée. Dès lors, ces crédits sont constamment sous-évalués. Surtout lorsque les directives imposent au ministère dépensier de chercher à économiser. Il ne prend aucun risque à couper dans les évaluations des crédits de téléphone, puisqu'il sait qu'*au bout du fil il y aura toujours une rallonge.*
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De même, la gestion montre ses limites lorsque le ministère ne dispose d'aucune information sur le nombre d'établissements équipés d'un ou plusieurs Minitel. Simplement sait-on que soixante-treize Minitel sont en service à l'administration centrale.
Il est vrai que la restructuration de l'administration centrale pourrait remettre une meilleure circulation de l'information, avec la nouvelle direction, compétente précisément pour l'information et la communication.
######## 2° *Les frais de déplacement : le soupçon d'exagération.*
La Cour des comptes avait déjà relevé, dans son rapport de 1982, une maîtrise insuffisante des chapitres 34-21, 34-31, 34-41 et 34-51 retraçant pour les écoles, les collèges, les lycées et l'éducation physique, les frais de déplacement ([^54]).
Le budget 1987 semble confirmer. L'éducation nationale est une administration où l'on voyage apparemment beaucoup. Surtout dans les rectorats. Avec 243,809 millions aux chapitres 34-90 et 34-95. Plus généralement, des services centraux aux services départementaux, on voyagera en 1987 pour plus de 398,9 millions de francs. Soit le coût d'un avion Rafale pour l'Armée de l'Air.
Ces chiffres demanderaient à être serrés de près, compte tenu des effectifs de l'administration centrale, soit environ 4.479 agents ([^55]) ou des effectifs des services centraux ajoutés aux services académiques. Soit 31.594 agents.
Par fonctionnaire non enseignant, un chiffre moyen de déplacement de l'ordre de 12.000 francs annuel demande manifestement examen. D'autant que s'y ajoutent des crédits provenant de fonds de concours. Par exemple, l'arrêté du 16 juillet 1986 rattachait, à l'ancien chapitre 34-01, une partie des sommes versées par la Commission de la C.E.E. pour contribution au financement des dépenses afférentes au projet pilote d'insertion scolaire des élèves en difficulté ([^56]).
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###### 2. DES GASPILLAGES VIRTUELS
Les deux plans informatique qui se succèdent depuis 1985 peuvent fournir exemple. Pour séduisants qu'ils puissent paraître, ils n'échappent pas aux gaspillages. Du moins pour celui de 1985.
On peut surtout se demander si dans l'enthousiasme sympathique des nouveaux convertis à la religion informatique, ces plans ont été au moins engagés avec l'ébauche d'une perception sur les risques que pourrait entraîner leur généralisation.
####### a) Les plans informatique, le saupoudrage et l'ancrage.
L'année 1985 a vu de grandes ambitions, avec la distribution de 120.000 ordinateurs. L'année 1987 serait celle des confirmations avec des logiciels. L'ancrage après le saupoudrage.
######## 1° *Le plan informatique pour tous : 1985.*
Il s'agissait d'installer, dans 33.000 écoles, un équipement de base fait d'un micro-ordinateur de type familial, d'un téléviseur couleur, d'une imprimante, d'un lecteur de cassettes et des logiciels.
Devaient s'y ajouter 9.040 ateliers dans les écoles, sous le nom de « nano-réseau », plus de 3.133 de ces ateliers dans les collèges et 911 dans les lycées. Étant entendu qu'un « nano-réseau » se compose de six micro-ordinateurs de type familial, reliés à un micro-ordinateur de type professionnel, le tout avec un téléviseur, un moniteur et une imprimante. Chacun peut mesurer la démesure du programme qui s'est traduit peut-être par la mise en place théorique de 120.000 micro-ordinateurs, mais plus certainement par un coût global supérieur à 2 milliards de francs.
Le budget du ministère de l'Éducation nationale a supporté lui, en 1985, 572 millions de francs, dont 392 millions de francs pour la formation, l'installation, la logistique et 180 millions de francs pour le matériel.
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Le résultat ? A la vérité, qui le connaît ? 5.500 stages organisés. C'est la seule certitude. Pour le reste, *des écrans, des moniteurs, des imprimantes qui sont restés à l'occasion dans des cartons. Parfois tout de même dans les placards. Éventuellement, des élèves ont vu des microordinateurs,* si tant est que la place ait existé pour les installer. *Quelques fois aussi, on a amené les enfants en promenade dans une école pour voir* « *l'ordinateur r,* puisque les ateliers informatiques devaient regrouper quatre à cinq écoles correspondant à 400 ou 500 élèves.
Du parcellaire. Du superficiel. Mais à un coin bien réel.
Sous l'alibi technologique et l'euphorie moderniste, c'est en fait un gaspillage financier qui a été réalisé, dès lors que le suivi de l'opération n'était pas assuré. *Mutatis mutandis, il* n'a pas été sans rappeler celui qui a accompagné un de ces vingt-cinq P.A.P., prévus au VII plan, pour l'équipement téléphonique. Si des cabines téléphoniques ont recouvert effectivement le pays à partir de 1976, la maintenance n'a pas été assurée. Et le résultat chacun le connaît. Il suffit d'essayer de téléphoner. On est fixé.
######## 2° *Le plan logiciel : 1987.*
L'informatique a une double utilisation dans les crédits du budget 1987.
Elle vise d'abord la gestion, avec plus de 44 millions au chapitre 34-96. Il s'agit de développer l'équipement informatique de l'administration centrale, des rectorats et des services académiques.
Elle est aussi affectée, bien entendu, à la pédagogie, avec 60 millions de crédits de rattrapages au profit de l'enseignement privé (chap. 43-03) et 116 millions consacrés à l'enseignement public (chap. 36-70) dont 24,6 millions pour les lycées et 20,33 millions pour les collèges.
Une part importante de ces crédits va à l'achat de logiciels pour les collèges, avec 19,2 millions et les lycées, avec 15 millions.
La méthode est progressive. D'abord faire un tri dans les 697 logiciels existants. Dresser ensuite les cahiers des charges pour un programme d'une cinquantaine de logiciels de synthèse, permettant la simulation et se présentant comme « des manuels des temps modernes ». Enfin, procéder à un appel d'offres pour éviter les marchés réservés et les monopoles « syndico-mercantiles » qui avaient caractérisé la réalisation du plan 1985.
Si la démarche paraît séduisante, les risques demeurent.
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####### b) Les risques du mirage informatique : le meilleur et le pire.
Personne ne conteste qu'il y ait là un complément à la pédagogie. Il faut prendre garde que l'ordinateur ne devienne pas toutefois un catalyseur des défauts.
######## 1° *Un complément nécessaire.*
Il n'est guère besoin d'insister. Dans l'enseignement technique, c'est une évidence. Les machines à commande numérique exigent une familiarité dans l'atmosphère informatique. Pour les autres enseignements, on comprend aussi que l'accoutumance soit nécessaire avec un outil de vie quotidienne.
Ceci étant, le pire côtoie là le meilleur.
######## 2° *Un catalyseur des défauts.*
Quand on voit d'abord l'état de vétusté dans lequel se trouvent les machines de l'enseignement professionnel, force est de se dire que *les logiciels savants ne devraient pas* *forcément passer avant.*
Le nécessaire n'étant pas toujours assuré, loin s'en faut, pour les lycées d'enseignement professionnel, les ambitions informatiques prennent à cette mesure un caractère presque de superflu. Pour le moins, dans l'échelle des priorités budgétaires, il n'est pas sûr que l'informatique méritait tant d'empressement et de priorité.
D'autant que son efficacité, pour être certes indéniable, n'est pourtant pas pleinement incontestable. Un exemple le montre. Les services financiers du ministère des Finances sont informatisés. Pour autant, la cour des comptes ne reçoit toujours pas les documents comptables nécessaires à son contrôle dans un délai opérationnel. Si nombre de sociétés peuvent sortir leurs documents financiers en janvier même, l'administration fiscale, pourtant informatisée, arrête toujours les comptes d'une année donnée en septembre de l'année suivante. L'informatique n'a pas permis de faire mieux que la procédure manuelle.
La raison en est simple. *Les blocages de l'administration ne relèvent pas d'un traitement technologique, mais d'un choc politique.*
Il n'est pas impossible que l'administration de l'Éducation scolaire et son informatique de gestion ne viennent confirmer l'analyse.
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En toute hypothèse, sur le terrain pédagogique, l'informatique et son raisonnement binaire frustre sont à manier avec précaution. En sortant de son strict rôle d'appoint, elle pourrait aggraver les maux que chacun dénonce chez les élèves, depuis la perte de l'esprit de finesse, jusqu'à l'incapacité au raisonnement cohérent.
C'est aussi l'avis de M. Joseph Weizenbaum, professeur de « computer science » au Massachusetts Institute of Technology, déclarant notamment : « Un nouveau mal scolaire a été inventé. C'est *l'analphabétisme informatique* (...) C'est l'ordinateur qui programme les enfants et non l'inverse. (...) Une expérience a eu lieu récemment. Un groupe d'enfants a appris la géométrie sur computer. L'autre sans. Six mois après, on a testé les uns et les autres en leur demandant de construire un angle droit avec une compas. Les enfants-ordinateurs en furent incapables. (...) Si l'on veut réduire les inégalités, la solution n'est pas de donner des ordinateurs aux pauvres, mais davantage de bourses. » (*La Quinzaine Universitaire,* n° 903, 10-1-84). ([^57]).
Comment ne pas voir en effet que 160.000 écrans, pour 20 % d'illettrés en sixième, c'est moins un fabuleux marché qu'une inversion des priorités.
A cet égard, le mirage informatique ne doit pas masquer la réalité des dysfonctionnements d'une institution dont le redressement relève moins d'une approche technique que d'une forte volonté politique.
#### II. -- UNE GESTION DES DYSFONCTIONNEMENTS : DES CRÉDTTS PARTIELLEMENT GASPILLÉS
La violence à l'école, les redoublements, les échecs scolaires, la montée de l'illettrisme, donnent la mesure des échecs et de la déséducation nationale.
Si les causes de cette situation sont multiples et parfois externes à l'école, les facteurs internes n'en sont pas moins importants. Ils résident souvent dans le « parasitage » de l'institution scolaire, notamment par des réseaux de syndicats, aux structures claniques et aux mentalités de nuées de permanents grégaires.
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##### A. -- La mesure des échecs : la « déséducation » nationale.
C'est à la fois l'échec des élèves et des enseignants.
###### l. L'ÉCHEC DES ÉLÈVES : UN « DÉSASTRE » CULTUREL
Des enseignants aux observateurs extérieurs, l'unanimité se fait sur l'ampleur du désastre affectant une institution qui avant les années 1970 encore, était un des fleurons français.
####### a) L'ampleur du désastre.
Des taux de redoublements à l'illettrisme, les signes, larvés ou au dernier degré, s'additionnent pur confirmer le diagnostic.
######## 1° *Les signes larvés : redoublements et sorties sans diplôme.*
12,5 % de redoublement en sixième, 16,4 % en cinquième, 17,8 % en seconde, 19,9 % en terminale, l'efficacité interne du système éducatif est posé. Sans parler de son efficacité externe. En 1984, les jeunes débutants venant du système scolaire ne représentaient que 9,9 % de l'ensemble des embauches par les entreprises.
Pour la formation initiale, le nombre des élèves sortis diplômés du système éducatif est aussi fort modeste. En 1983, pour le CAP et le BEP, le nombre de sorties avec le diplôme était de 23,1 %. Il tombait à 13,6 % pour le baccalauréat ou à 9,8 % pour bac + 2.
Plus généralement, les sorties de l'appareil de formation initiale montrent un pourcentage élevé d'échecs. *(Tableau n° 16).*
######## 2° *Le dernier degré : l'illettrisme.*
On l'a dit. Une : enquête publiée en 1986 et portant sur 16.000 élèves de sixième et troisième, révèle l'invraisemblable. *Un élève sur cinq ne sait pas lire en sixième. En troisième, il y a encore plus d'un élève sur dix qui ne sait pas lire.* Sans parler des 58 % des élèves de sixième et des 35 % des élèves de troisième qui ne peuvent qu'ânonner ([^58]).
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TABLEAU n° 16 :
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CARTE :
Autrement dit, *les illettrés se comptent par millions.* Dans la France du projet d'Euréka où les plus hauts dirigeants se piquent de laisser une œuvre littéraire. « Avant la première guerre mondiale, soit à une époque où la grande majorité des jeunes ne fréquentait l'école que de six à douze ans et où les classes étaient plus nombreuses qu'aujourd'hui, on comptait moins de 5 % d'illettrés parmi les conscrits » ([^59]). Ils sont aujourd'hui, on l'a vu, 7 % ([^60])
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L'évolution régressive est manifeste. Au point que s'est créée une « Association française pour la lecture ».
Ce qui revient à dire que *depuis trente ans, on prélève l'impôt sur le revenu pour financer un système juste capable d'apprendre à lire couramment à un élève sur cinq en troisième et à un élève sur dix en sixième* ([^61])*.*
BILAN DE L'ENSEIGNEMENT SCOLAIRE
(Livres témoignages sur sa dégradation.)
-- *L'Enseignement en détresse,* J. de Romilly, Julliard, 1983 ;
-- *L'École des barbares,* I. Stal, F. Thom, Julliard, 1985 ;
-- *Le Massacre des innocents,* M. Jumilhac, Plon, 1984 ;
-- *L'École est finie, l'implosion d'une institution,* P. Barnley, Éd. du Hameau, 1983 ;
-- *Le Poisson rouge dans le Perrier,* J.-P. Despin, Éd. Critérion, 1983 ;
-- *L'école en miettes,* M. Éliard, Pie, 1984 ;
-- *Lettre ouverte à tous les parents qui refusent le massacre de l'enseignement,* D. de la Martinière, Albin Michel, 1984 ;
-- *Quelle République sauvera l'école,* M. Sérac, Pie 1985 ;
-- *A hurler le soir au fond des collèges,* C. Duneton,
-- *L'école en accusation,* D. Maupas, Albin Michel, 1984 ;
-- *École : le dérapage,* Les dossiers du Canard ;
-- *La Génération sacrifiée,* J.-M. Benoist, Denoël, 1980 ;
-- *La révolte des illettrés : désastre et tribulation des pédagogies nouvelles,* J. Limouzy, France Empire, 1985 ;
-- *En plein délire scolaire,* J. Capelovici, R. Laffont, 1984.
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Et encore ne parle-t-on que de lecture. Si l'on aborde en effet la culture, même des plus modestes, l'enseignement scolaire révèle ses carences abyssales. Le rapport Giraud avouait ainsi, en 1984, que seuls 36 % des enfants qui entrent en sixième pressentent qu'il s'est passé quelque chose en 1789, tandis que d'autres situent au XIV^e^ siècle les débuts du régime soviétique...
####### b) L'unanimité sur le désastre.
Rarement sujet n'aura créé autant de consensus. Sur l'ensemble de l'éventail chromatique français, un accord unanime s'est fait. Des enseignants aux non-enseignants, chacun dénonce le désastre et en des termes à la mesure du séisme culturel qui s'est opéré. Il suffit de se limiter aux titres des ouvrages des trois dernières années. Si d'aucuns doutaient de l'état des réalités, ils seraient fixés.
######## 1° *Les enseignants alertent.*
La liste serait longue des articles et des livres de professeurs dénonçant dans les dernières années ce que l'école est devenue. On en retiendra deux, aux deux extrémités de la chaîne des sensibilités ([^62]).
• *Voulez-vous vraiment des enfant idiots ?.*
M. Maurice T. Marschino, professeur de philosophie, dénonce en 1983 et 1984, dans deux ouvrages ([^63]), l'institution scolaire vidée de tout contenu, le laxisme de l'administration, celui des enseignants.
« La crétinisation générale » ([^64]), « le problème tabou de la sélection » ([^65]) « les balivernes sur la promotion du plus grand nombre » ou le silence éthéré de la haute administration scolaire :
« Les cosmonautes qui errent dans les espaces ministériels aperçoivent sans doute des continents -- les lycées, les collèges -- mais des hautes sphères où ils évoluent, ils n'aperçoivent évidemment pas les millions de roseaux de moins en moins pensants et de plus en plus souffrants qui gémissent à leurs pieds ; leurs lamentations ou leurs colères se perdent pour eux dans la musique des astres ».
• *L'École des barbares* ([^66])*.*
Deux agrégés observent, par-delà les prétendues réformes, l'Éducation nationale qui « n'en continue pas moins de trahir à chaque heure sa mission, au vu et au su de tous, administration, parents, élèves et professeurs » ([^67]).
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L'ouvrage dénonce « l'école mutant » ou sévit l'idéologie de la « *taupinière pédagogique* » qui s'obstine à détourner les élèves des matières et des exercices véritablement formateurs.
« Le savoir est évacué de l'enseignement où les heures de cours se succèdent sans que les professeurs enseignent ni que les élèves apprennent. On pratique dans les établissements scolaires ce que les ergothérapeutes appellent des « activités occupationnelles » ([^68]).
A la limite, ce n'est pas l'école doctrinaire, mais celle du vide.
######## 2° *Les non-enseignants dénoncent.*
Des médecins pédo-psychiatres aux journalistes et même à des hauts fonctionnaires, l'inquiétude est généralisée pour dénoncer, parfois même en termes virulents, l'école et son délabrement.
*• La critique par les hommes de science.*
Le professeur Pierre Debray-Ritzen, chef du service de psychopédiatrie, à l'hôpital des Enfants Malades (Paris), expert de la dyslexie de l'enfant, s'attaque aux mythes fondateurs du néo-obscurantisme à l'école.
On le voit dénoncer « la nomenklatura freudo-marxiste » qui, pour de seuls motifs idéologiques -- non scientifiques --, anime la « pédagogie » et la « psychologie » à l'éducation nationale française, opère, depuis des décennies, de graves dommages dans la population des petits écoliers en difficultés. Alléguant avant tout de perturbations inhérentes à l'environnement : relation mère-enfant, famille, société, insuffisance de crédits... elle a culpabilisé les parents, distillé l'ignorance dogmatique, dirigé les enfants dans une psychothérapie monotone, abusive, stérile et fâcheuse.
Elle a surtout oblitéré les notions capitales d'une pédo-psychiatrie moderne qui souligne de plus en plus la causalité neuro-psychologique des difficultés et des inégalités. Ne voulant pas admettre que chaque enfant a un cerveau différent dans la tête, elle a placé notre pays quinze ans en retard par rapport au monde anglo-saxon ou scandinave ([^69]).
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Plus gravement, la nomenclature a délégué, selon Pierre Debray-Ritzen, des pouvoirs « diagnostiques » et « psychothérapiques » a des psychologues, orthophonistes, pédagogues qui se rendaient quasiment coupables d'un exercice illégal et caractérisé de la médecine.
Pierre Debray-Ritzen prend l'exemple de *la dyslexie de l'enfant* (8 % de la population) cause sournoise et méconnue de maints naufrages scolaires ([^70]). Aucune méthodologie, concernant son dépistage, n'a été mise en œuvre à l'éducation nationale. Ou bien elle est ignorée -- refusée -- car on ne peut ni ne veut concevoir une inégalité en ce domaine ; ou bien elle est considérée comme le fait de l'environnement... Alors que la neuro-psychologie internationale en a désigné les causes : la génétique et les souffrances cérébrales minimes. Mais les « pédagomanes », selon l'expression de Pierre Debray-Ritzen, s'insurgent et interdisent qu'on puisse ainsi « médicaliser » les problèmes.
Tant qu'on n'aura pas écarté des écoles françaises, de l'avis de Pierre Debray-Ritzen, ces « petits dévots » qui en trouvent d'autres dans le « centre » complice des environs, « les écoliers de notre pays et leur famille ne connaîtront pas la sérénité nécessaire et les soins éventuels qui doivent entourer une période capitale dans le destin des jeunes êtres celle de l'éducation et des apprentissages adaptés aux talents et aux handicaps de chacun ».
La neuro-psychologie contemporaine est apte à cette tâche.
Il est urgent pour Pierre Debray-Ritzen qu'elle entre en jeu, en forçant les verrous d'un véritable obscurantisme affectant « l'establishment pédagogique ».
*• La critique des hommes de gestion.*
L'ancien directeur général des impôts, Dominique de la Martinière, est si impressionné, par ce qu'il voit des « mascarades » de l'école observée qu'il en perd le style insipide et feutré habituel pourtant aux hommes de cabinet.
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On le voit parler rien moins que des « *folies pédagogiques* » ([^71]) ou de ses « *délires* »*,* « de l'empire financier » de la F.E.N., de « l'invasion des collèges par les instituteurs » ([^72]), et même des « *Khmers rouges rue de Grenelle* »*.*
Le S.N.I., devenu majoritaire dans le premier cycle de l'enseignement secondaire, est décrit dans sa quête d'un espace syndical comme les « *barbares installés aux frontières de l'empire Romain* »*.*
Au total, d'un observateur à l'autre, on voit revenir la même indignation, le même emportement que suscite l'inacceptable état des lieux et la même analyse des causes de cette situation. Le pédagogisme militant et le syndicalisme envahissant. En un mot les pathologies qui affectent le corps enseignant.
###### 2. L'ÉCHEC DES ENSEIGNANTS : UN NAUFRAGE COLLECTIF
Si ce corps d'enseignants qui a fait en d'autres temps l'ossature du pays, comme des « hussards noirs de la République » ([^73]), en vient aujourd'hui au laisser-aller, à multiplier les absences, voire à perdre parfois sa probité en se faisant rémunérer pour des services non effectués ([^74]), c'est bien que quelque chose s'est passé dans un système que le budget, d'année en année, vient financer et donc perpétuer.
Face à une double perte de statut, les enseignants se réfugient dans la fuite, sinon la démission.
####### a) La double perte du statut.
Ce n'est pas simplement la modestie de rémunération et la multiplication des statuts qui expliquent la dégradation de la situation des enseignants. C'est aussi et surtout la perte du statut social qui les met en porte à faux.
######## 1° *La perte du statut juridique et financier :* les enseignants n'ont pas ce qu'il leur faudrait.
Certes des mesures ont été prises pour améliorer la situation des personnels. Le budget 1987 prévoit 950 millions de francs au titre de ces efforts de revalorisation.
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On peut ainsi distinguer, au nombre de ces mesures :
• transformation d'emplois de professeurs de lycée professionnel, de 1^er^ grade, en emplois de professeurs de lycée professionnel de 2^e^ grade (2.000 emplois concernés),
• revalorisation de la situation des instructeurs (632 agents concernés),
• revalorisation de la situation des maîtres de l'enseignement privé (application des lois du 31 décembre 1959 et du 25 novembre 1977),
• achèvement du plan de résorption de l'auxiliariat dans le second degré : 3.140 enseignants des collèges, des lycées et en éducation physique et sportive seront titularisés en 1987,
• modification du régime indemnitaire servi aux enseignants : il s'agit d'une réforme des indemnités de conseil de classe et de professeur principal permettant de rapprocher la situation des enseignants de lycée professionnel de celle des autres catégories,
• revalorisation de la carrière des instituteurs (5^e^ tranche d'un plan de 6 ans -- coût : 860 millions de francs),
• résorption de l'auxiliariat dans le second degré (dernière tranche du plan : 3.940 enseignants seront concernés en 1987), titularisation de professeurs et personnels administratifs contractuels de la formation continue (600 agents concernés),
• promotion des professeurs adjoints d'éducation physique et sportive (4^e^ tranche d'un plan de cinq ans : 1.900 enseignants concernés).
Mais les éléments de la déperdition du statut subsistent et sur le terrain des mutations, les tensions se cristallisent toujours.
-- *Les éléments de déperdition* du statut sont connus. Ils tiennent à la multiplication des catégories enseignantes et à l'insuffisance des rémunérations dans une administration pléthorique ;
Une annexe du rapport de M. Mortelette, révélait, pour 1986, après les observations de la commission du bilan en 1981, la multiplicité déraisonnable des corps enseignants ([^75]).
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Pour le second degré on n'en compte rien moins que dix, des 20.909 agrégés aux 84.172 P.E.G.C. et assimilés, en passant par 35.191 adjoints d'enseignement.
*Il y a même des T.U.C. à l'école*. *24.177 contrats ont été signés en 1985, dont 57 % dans des collèges.*
Bien entendu, avec un corps enseignant aussi hétérogène, disparate et baroque, les tensions internes ne peuvent que naître et s'exaspérer sur les rémunérations.
TABLEAU n° 17 :
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Même avec des primes et des indemnités ([^76]), la situation financière des personnels reste modeste.
Quanti un instituteur a une rémunération inférieure à celle d'un vendeur spécialisé, on comprend que les recrutements opérés n'ont pas été toujours ceux que l'intérêt des enfants aurait exigés.
*-- La cristallisation des tensions* s'opère surtout lors des affectations et des mutations. Il est évidemment choquant de voir des professeurs agrégés affectés à des postes et en des lieux géographiques qui ne correspondent pas à ce que leur niveau de compétences leur donne le droit de souhaiter.
Le principe même d'un invraisemblable barème, à multiples éléments, pour commander les mouvements des enseignants, est très critiquables. *Le redressement de l'école passe par le rétablissement chez* *les enseignants, de la hiérarchie des valeurs. Avec les priorités qu'elle doit entraîner.*
######## 2° *La perte du statut social : l'instituteur et le professeur ne sont plus ce qu'ils étaient.*
On le voit bien dans le regard de la littérature et le comportement de l'environnement.
-- *La fin des privilèges* de l'enseignant est arrivée avec la banalisation de ses vacances et la perte du secrétariat de la mairie de son village qui était souvent son apanage.
Sur ce point, M. Monory a la volonté de réagir, notamment au moment de la formation des maîtres pour les préparer à mieux s'insérer dans la vie publique.
Mais le mal est déjà fait et la littérature le révèle.
L'instituteur d'Alphonse Daudet, Erckmann-Chatrian, ceux de Charles Péguy, de Jules Romains ([^77]) et surtout de Marcel Pagnol ([^78]), sont des personnages positifs, voire des héros.
Au contraire aujourd'hui, où l'image de l'instituteur se ternit, la littérature fait écho avec Bernard Clavel critiquant un maître d'école rural du Jura ([^79]).
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-- *La multiplication des sacrilèges,* avec les agressions fréquentes contre les maîtres traduit bien cette dégradation d'image.
Douze à vingt agressions physiques annuelles sont recensées, officiellement, par le ministère. Mais ce sont des centaines qui ont heu chaque année ([^80]) de l'injure aux pneus crevés ou de la gifle aux dégradations des biens, sans que l'enseignant humilié ose le signaler à une hiérarchie qui le plus souvent ne le soutiendrait pas.
####### b) Le double refuge dans la fuite.
N'étant plus ceux qu'ils ont été, que peuvent-ils faire, les enseignants ? Ils se replient dans des refuges. Subterfuges. Le laxisme souvent, l'absentéisme notamment, le militantisme exagérément, voire *le syndicalisme et ses avantages professionnels pour les membres du clan, les permanents privilégiés de la nomenklatura. Celle des tribus de la nébuleuse corporatiste.*
######## 1° *La fuite dans l'absentéisme.*
Le taux d'absence annuel moyen des enseignants était en 1984 de 5,1 % en métropole. Il est en progression. Les absences de plus d'un mois représentaient, en 1984-1986, 41 % des jours d'absence des enseignants.
Mais ce sont surtout les personnels ouvriers, de service de laboratoire qui ont le plus fort taux d'absence ([^81]). Jusqu'à plus de 8 %.
######## 2° *La fuite dans la maladie.*
Il y a une pathologie des enseignants. Elle induit un coût élevé et contribue pour partie à la faible productivité du système. Le Centre national d'enseignement à distance, avec ses 60 millions de subventions en 1987 en est un exemple. Objet de critiques de la Cour des comptes dans son rapport public de 1986, il tient souvent plus de la maison de repos, pour des enseignants post-cures, que d'un service administratif d'enseignement (**237**).
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Ce refuge des enseignants dans la maladie, qui amène à rechercher chez le médecin les solutions aux tensions que l'on n'a pas voulu résoudre jusqu'ici, dans le système de l'éducation, n'est pas toujours négatif pour tout un chacun. L'empire syndical y trouve le moyen d'asseoir et d'alimenter davantage son pouvoir, par le biais notamment des organismes péri-scolaires de la santé qu'il peut contrôler.
##### B. -- Les facteurs internes de l'échec : le « parasitage » de l'éducation nationale.
Certes, la crise de l'école reflète celle de la société. « *Le S.N.I.* s'accroche même à cette idée, au demeurant exacte, pour faire oublier *ses terrifiantes responsabilités dans la montée des illettrés.* » ([^82]). Mais, l'institution scolaire Ajoute aux effets négatifs de l'environnement au lieu d'y résister.
C'est en ce sens qu'il existe des facteurs internes à la dégradation de l'école financés par son propre budget. Autrement dit, quand ils sont affectés notamment à certains établissements publics pédagogiques, les crédits budgétaires servent à financer ceux qui contribuent activement à délabrer l'institution scolaire.
De fait, le syndicalisme et ses métastases ont confisqué une partie du budget de l'Éducation nationale et le pédagogisme a ajouté à grands frais ses méfaits.
C'est grave. La délaïcisation de l'éducation nationale, c'est-à-dire sa perte de neutralité et la perversion subversive qui affecte ses méthodes, quand ce n'est pas l'esprit de ceux qui les conçoivent, s'alimente à ces deux sources : les réseaux du « tribalisme syndical » et la frénésie des histrions de la pédagogie.
###### 1. LE SYNDICALISME ET SES RÉSEAUX : LA DÉLAICISATION DE L'ÉDUCATION NATIONALE
Le budget de 1987 réagit certes bien en s'attaquant, pour la première fois, à certains des éléments majeurs de la puissance syndicale : les mises à disposition par exemple.
Mais les réseaux sont déjà en place. Depuis des décennies l'ensemble de l'administration scolaire est métastasé par les ramifications syndicales. Les personnels sont déjà enserrés, englués.
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Les crédits budgétaires ne sont pas les seuls à être détournés. Les esprits le sont aussi. Si bien que l'Éducation nationale n'est pas seulement confisquée. Elle est politisée.
####### a) Le détournement des crédits : la confiscation de l'éducation nationale.
Il y a des moyens. Ils sont mêmes légaux. Ils ont eu des résultats. Mais ils sont anormaux.
######## 1° *Les moyens du détournement.*
On les connaît. Il faut les dénoncer. S'y attaquer. Comme une œuvre salutaire pour l'institution scolaire :
-- la mise à disposition de personnels,
-- et les décharges.
Sans aborder la confiscation des marchés publics, dont la C.A.M.I.F. a fourni un bon exemple, en captant à son profit une partie des crédits du plan informatique.
• *Les mises à disposition.*
On est ici au cœur des ambiguïtés. Le service public de l'Éducation nationale entretient avec les syndicats qui l'ont investi des relations que le droit ne peut accepter, sans parler de la morale publique qui devrait les réprouver.
Tout commence en 1940. L'afflux d'instituteurs réfugiés en zone Sud a permis à l'administration d'attribuer des postes à des mouvements non dissous ([^83]).
Depuis ces M.A.D. ont proliféré aux marges de la légalité. Sans un statut pour les réglementer. Du moins jusqu'en 1984.
Le chiffre réel demeure controversé. Dominique de la Martinière avance celui de 4.000 enseignants (**239**). Durant le ministère Joseph Fontanet, on évaluait le montant de ces largesses à l'empire syndical, au nombre de 3.500 ([^84]). Une première relative certitude réside dans le nombre de personnels mis à disposition des mutuelles. Il atteindrait 417 ainsi ventilé :
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-- Mutuelle générale de l'éducation nationale (M.G.E.N.) 402
-- Mutuelle assurance des instituteurs de France (M.A.I.F.) 7
-- Mutuelles retraite instituteurs et fonctionnaires de l'éducation nationale (M.R.I.F.E.N.) 4
-- Caisse d'aide sociale de l'éducation nationale (C.A.S.D.E.N.-B.P.) 2
-- Coopérative des adhérents de la M.A.I.F. (C.A.M.I.F.) 2
Certes, théoriquement, les M.A.D. donnent lieu à versement de fonds de concours. Mais ils sont inférieurs au « service » financier rendu.
TABLEAU n° 17 :
Les autres mises à disposition représenteraient encore en 1987 :
*• 1.329,25 postes répartis au bénéfice de trente cinq organismes privés, dont :*
*-- *Centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active 131,5 postes
-- Jeunesse au plein air 35,33 postes
-- Éclaireurs et éclaireuses de France 28,5 postes
-- Pupilles de l'enseignement public 145,33 emplois
-- Francs et franches camarades 113 postes
-- Fédération des œuvres éducatives et de vacances de l'éducation nationale 77,5 postes
-- Ligue française de l'enseignement et de l'éducation permanente 638,5 postes
-- Office central de coopération à l'école 71,75 emplois
-- Peuple et culture 10 emplois
Ce sont essentiellement les instituteurs qui sont mis à disposition (1.068,25 postes sur 1.329,25 M.A.D.) et les P.E.G.C. (123 emplois).
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Les règles d'attribution de ces personnels restent obscures ([^85]), même si le statut général de la fonction publique, de 1984, a donné un habillage juridique à cette pratique des M.A.D. ramenant *aux siècles oubliés de la patrimonialisation des choses publiques et du dépeçage d'un* « *butin* » *entre des forces qui s'équilibrent.*
*La ligue de l'enseignement et de l'éducation permanente, créée en 1866, et regroupant rien moins que 45.127 associations,* organisées dans un réseau départemental et régional, bénéficie à elle seule, on le voit, de la moitié des postes en 1987 ([^86]).
Le budget 1987 a eu la volonté d'esquisser enfin une réaction, après des décennies de soumission aux volontés et aux intérêts des chefs de clans du syndicalisme et de sa nébuleuse.
1.979 postes de M.A.D. ont été supprimés. C'est-à-dire que les contribuables ne seraient plus enfin abusivement obligés de financer des organismes privés.
TABLEAU n° 18 :
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Si la mesure est heureuse, en droit et en morale, elle est malheureusement incomplète. Pour deux raisons.
D'abord des subventions viennent contrebalancer les effets positifs d'une mesure de salubrité budgétaire. 73 millions de francs vont compenser les suppressions.
Ensuite des mises à dispositions subsistent encore au détriment du corps enseignant. Comme des cellules pathogènes ayant échappé à la radiation. *Avec un coût supérieur à 85 millions.*
*• Les décharges syndicales.*
Elles peuvent être pédagogiques, ce qui se conçoit. Mais aussi syndicales. Ce qui est choquant, en dépit de l'instruction du Premier ministre du 14 septembre 1970 et du décret du 28 mai 1982 sur l'exercice du droit syndical.
-- *Le total des décharges accordées aux organisations syndicales,* (exprimé en équivalent-emplois), pour l'année 1986-1987, en application des articles 14 et 16 du décret no 82-447 du 28 mai 1982, est le suivant :
TABLEAU n° 19 :
Il faut le dire. Même si la loi du 13 juillet 1983, après le décret du 28 mai 1982, a semblé apporter une caution juridique ([^87]), il n'est pas conforme aux principes fondamentaux, reconnus par les nations civilisées, de prélever l'impôt au bénéfice d'organismes privés, à finalité corporatiste, quand ce n'est pas mercantile.
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L'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, partie intégrante du bloc de la légalité constitutionnelle, est très net. Le contribuable n'a obligation que de financer les seules dépenses de défense nationale et d'administration générale. *Le produit de l'impôt ne peut pas servir à financer des clans, des réseaux, des regroupements de familles, pas toujours spirituelles, des factions et encore moins les activités commerciales, sous couvert d'actions syndicales.*
Or, c'est bien ce qu'il advient, quand on voit l'empire financier et commercial de la F.E.N., véritable « syndicat capitaliste monopoliste »*, mais pas au bénéfice de l'État.*
######## 2° *Le résultat du détournement.*
A partir de ces moyens, fournis par le budget de l'enseignement scolaire, sous forme de mises à disposition, de subventions, de 1.100.000 heures de décharges syndicales, soit un avantage de 200 millions de francs environ, les dirigeants cooptés des organisations corporatistes et périscolaires se sont constitués un vaste marché, d'une puissance insoupçonnée. Un comité coordonne cet immense réseau des œuvres mutualistes et coopératives de l'éducation nationale : le C.C.O.M.C.E.N., sorte de conseil des familles, se partageant le marché fastueux des enseignants et des enfants tel un Comecon des espaces commerciaux, à l'est de l'éducation nationale.
Sa finalité est de drainer les fonds de l'éducation nationale. Par les milliers de canaux des mutuelles, coopératives, associations. Il s'agit de pomper, capter, absorber par capillarité tout ce qui fait le budget de la scolarité. De façon plus précise, dans la mise en place de ce réseau de drainage des crédits publics, trois séries d'organismes dominent, en l'équivalent d'une « trilatérale de l'éducation nationale »
*• La constitution d'un marché :* « *le C.C.O.M.C.E.N.*, Comecon de l'éducation nationale ».
Le Comité de coordination des œuvres mutualistes et coopératives de l'éducation nationale, est l'organe fédéral. Il regroupe, avec plus de soixante organisations et une cinquantaine de syndicats, « la quasi totalité des organisations de la mouvance laïque de l'école et du syndicalisme » ([^88]).
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On y trouve ainsi douze mutuelles, de la M.G.E.N. à la M.N.E.F., de la M.A.I.F. à la M.R.I.F.E.N., vingt-deux coopératives dont une banque de dépôts, la C.A.S.D.E.N. et la C.A.M.I.F., deuxième entreprise française de vente par correspondance et vingt-six associations. Sans oublier l'essentiel bien entendu la F.E.N. et la Ligue de l'enseignement et de l'éducation permanente.
Ce Comité de coordination des chefs, des organisations tribales mutualistes, syndicales, associatives et coopératives, draine les crédits de l'enseignement scolaire par le réseau serré des milliers d'organisations de la nébuleuse périscolaire.
*• La mise en place d'un réseau :* « la trilatérale » de l'éducation nationale.
Trois séries d'organisations dominent ce quadrillage de l'espace scolaire, pour ne rien laisser échapper dans l'opération minutieuse de captage des ressources budgétaires.
-- D'abord la plus ancienne : la Ligue de l'enseignement, comme l'institution des vénérables.
-- Ensuite les institutions rentables de l'éducation : de la M.A.I.F. à la C.A.M.I.F. ou la M.R.I.F.E.N.
-- Enfin la F.E.N., la Fédération immanquable sinon immuable.
• *La ligue de l'enseignement :* « les vénérables ».
Fondée par Jean Macé en 1866, recevant l'appui des loges maçonniques ([^89]), véritable holding socioculturel ([^90]), aux 46.000 associations et 3.500.000 adhérents, cette Ligue aux 3.000 salariés à temps plein et aux 10.000 à temps partiel, détourne à elle seule 638,5 postes budgétaires d'enseignants en 1987. Plus, bien évidemment, ses subventions propres, 800.000 francs environ et celles des organismes qu'elle fédère.
*• M.G.E.N., M.A.I.F., C.A.M.I.F., M.R.I.F.E.N., C.A.S.D.E.N.* « les rentables ».
Ce sont les cinq piliers de l'économie sociale enseignante.
La M.G.E.N. est la puissance par excellence. Elle réalise un chiffre d'affaires de plus de cinq milliards.
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La M.A.I.F., rattachée à la Ligue de l'enseignement, est en situation de quasi monopole dans l'assurance enseignante. Avec 2.400 salariés, des biens immobiliers, des forets et plus d'un million d'adhérents, elle vit des enseignants et du budget de l'éducation qui les rémunère. Ses actifs excèdent trois milliards de francs.
La C.A.M.I.F. attire les dépenses des enseignants avec un chiffre d'affaires supérieur à 2,5 milliards de francs.
La M.R.I.F.E.N. pèse 2,5 milliards de francs. Drainant les investissements retraites des enseignants, elle bénéficie de liquidités considérables. Elle règne sur 80.000 mètres carrés de logements et de bureaux dont l'immeuble Solferino qui abrite le siège du parti Socialiste ([^91]). Comme un symbole.
La C.A.S.D.E.N., dernière née des grandes organisations, vivant de l'enseignement, financé sur fonds publics, occupe le dixième rang des banques populaires.
*• La F.E.N. :* l'immuable.
Sous son égide, aux 49 syndicats, soit environ 500.000 adhérents, se serait constitué un empire financier évalué à 10 milliards ([^92]). « Il dépasserait les fonds propres des compagnies financières de Suez ou de Paribas » ([^93]).
Qu'à partir de deniers publics, de crédits budgétaires et donc du produit des impôts, de tels empires privés aient pu être édifiés, ne devrait pas être accepté.
Ce contrôle d'un réseau immobilier, bancaire, médiatique, permet non seulement à la F.E.N. de confisquer une partie des crédits du budget, mais de peser anormalement dans le fonctionnement des affaires du pays. En détournant en plus les esprits.
####### b) Le détournement des esprits : la politisation de l'éducation nationale.
Le réseau syndical enserre toute l'Éducation nationale. C'est vrai du personnel. Sous couvert d'assurer la défense de ses intérêts, il l'enferme dans le marché des organisations croisées, mis en place pour attirer tous ses moyens financiers. C'est vrai aussi des enfants devenus comme des « otages » de la politisation syndicale.
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######## 1° « *L'enfermement syndical* » *des personnels.*
La gestion des personnels est assurée en étroite coordination avec les syndicats. Des comités techniques paritaires, notamment dans le domaine de l'enseignement élémentaire, permettent au S.N.I. de cogérer. Au point que les syndicats peuvent annoncer aux intéressés les décisions (mutations, affectations, nominations...) avant l'autorité hiérarchique compétente. M. le ministre Monory, sur ce point, se prépare à réagir. L'informatique de gestion a cet objectif.
Mais jusqu'ici, même et surtout la haute administration travaille en étroite collaboration, sinon prudente attention, avec les représentants syndicaux. Tellement d'ailleurs que le délégué syndical à la base est informé plus vite que l'autorité administrative compétente.
Ces réseaux de complicités, de permanentes ambiguïtés et de petites lâchetés, constituent le terreau où se développe la domination des syndicats sur les enseignants. Sous couvert d'assurer la défense des intérêts du personnel scolaire, dont on ne voit pas très bien contre qui, le syndicat surveille en fait sa matière première.
Le sort des enseignants ne peut en effet qu'importer bien peu aux dirigeants de la F.E.N., du S.N.E.S. ou autre S.N.I. Quoi que deviennent ces enseignants ou quoi qu'ils fassent, ils sont enserrés. Enfermés. Ils devront payer.
*S'ils s'assurent, c'est à la M.A.I.F. S'ils dépensent, c'est à la C.A.M.I.F. S'ils empruntent, c'est à la C.A.S.D.E.N. S'ils épargnent pour demain, c'est à la M.R.I.E.E.N. Et même la maladie ne leur permet pas de fuir le système.* La M.G.E.N. et son réseau d'établissements se chargent de rentabiliser leur souffrance.
Tout profite à l'empire syndical. Bien peu des milliards du budget de l'éducation nationale qui ne finissent pas par lui revenir. On n'échappe que difficilement à ce que d'aucuns finiraient par appeler le totalitarisme mercantile de la F.E.N.
Instituteur ou agrégé, « capésien » ou P.E.G.C., l'enseignant, même à son corps défendant, est en partie producteur de revenus pour le syndicat.
Qu'est-ce alors que la F.E.N., la C.A.S.D.E.N. ou la M.A.I.F., la M.R.I.F.E.N. ou la C.A.M.I.F. ? Pas loin dans certains cas de l'*exploitation des enseignants par d'anciens enseignants*. Une addition de permanents qui se cooptent et se soutiennent, pour maintenir un prodigieux marché. L'unique objet de leur identité. Des privilèges qui les font exister.
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*Et les élèves, les enfants dans tout cela ?* Comme pris en otage.
######## 2° *La mise sous influence syndicale des élèves.*
Normalement, ce budget de 168,2 milliards n'existe que pour les élèves. Ils devraient en être les sujets. En fait, ils ne sont que le moyen, jamais la fin.
Ils deviennent l'objet qui justifie l'existence d'un marché. Protégé. Monopolisé. Hautement rentable. Parce que générateur d'innombrables profits.
Moyens de ces avantages financiers aux syndicats, les élèves sont en effet objets, au milieu de cette commercialisation. Prisonniers des revendications corporatistes. Références des hypocrisies syndicales.
*Tout comme les enseignants, ils ne sont plus au fond, pour les permanents de la très rentable entreprise syndicale, que des éléments comptables. Des postes de l'actif. Des éléments de stock.* Comme si l'expression « éducation nationale » se réduisait à la raison sociale de la vaste entreprise contrôlée par les permanents « capitalistes monopolistes, des syndicats ».
Dépassés les pharisianismes, *ces dirigeants parlent d'écoles, de collèges ou de lycées, comme d'autres client Péchiney, la C.G.E., Peugeot ou Intermarché.* C'est leur puissant fonds de commerce. Qu'ils contrôlent d'ailleurs, sans même avoir la responsabilité de gérer. Il leur suffit de capter le produit du travail de ceux qui vont enseigner.
On comprend dès lors ce bien curieux dévouement des permanents à défendre les enseignants. Eux dont la générosité ne va pas jusqu'à exercer leur métier. Qui consiste pourtant à donner le meilleur de ce que l'on sait. Ils défendent quasiment un marché. Les profits que sur les enseignants, ils ne manquent pas de retirer.
###### 2*.* LE PÉDAGOGISME ET SES MÉFAITS : LA « PERVERSION » DE L'ÉDUCATION NATIONALE
En prévoyant, à concurrence de 716,332 millions de francs, des crédits pour des établissements publics pédagogiques, même si leurs moyens sont partiellement diminués, le budget 1987 de l'enseignement scolaire continue à financer les acteurs d'une dérive pédagogique. Celle qui a conduit en partie notre éducation nationale où elle en est. Avec l'analphabétisme que l'on sait.
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Il ne faut pas cesser de dénoncer ces obsessions, sinon ces « attouchements pédagogiques » qui se sont exercés sur une génération d'enfants, pour comprendre qu'il faudrait mettre fin au financement de ces établissements par certains aspects malsains.
####### a) Les acteurs de la « perversion » : établissements publics pédagogiques et centrales idéologiques.
TABLEAU :
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De très nombreux organismes font de la pédagogie. Mais tous n'ont pas le même statut. Seuls quelques-uns sont des établissements publics nationaux. Les autres sont fréquemment de droit privé. Associations ou fédérations.
Tous reçoivent toutefois des subventions pour des activités qui, censées d'être d'innovation et de rénovation, aboutissent en fait à une méticuleuse et insidieuse destruction de l'éducation.
L'essentiel de cette action de démantèlement, sinon de subversion, au cœur de l'école, est mené par l'I.N.R.E.F. redevenu, le 16 octobre 1986, l'I.N.R.P. C'est l'établissement dangereux.
D'autres, comme le Centre national de documentation pédagogique (C.N.D.P.) ou ces structures départementales (C.R.D.P.), pour diffuser certes l'idéologie déstabilisatrice de la pédagogie des maîtres savants, tiennent plus du rassemblement de partisans du moindre effort que de l'addition de suffisants et d'envieux, caractérisant parfois les organismes spécieux de la pédagogie spéciale.
Cet ensemble, fait de l'I.N.RP., du C.N.D.P. et du C.N.E.D. (Centre national d'enseignement à distance), représente une masse de plus de 4.000 agents, le tout géré, selon la Cour des comptes elle-même, dans un désordre exceptionnel.
######## 1° *L'établissement* « *dangereux* »* : l'I. N. R. P.*
Héritier de l'ancien musée pédagogique créé par J. Ferry en 1874, il est l'aboutissement d'une longue évolution dont le rapport public de la Cour des comptes retrace en 1986 les étapes, appelées « avatars » ([^94]).
Dans cette chaîne, le dernier maillon était constitué, jusqu'au 14 mars 1986, par l'I.N.R.P., c'est-à-dire l'Institut national de recherche pédagogique. Mais en perspective des changements politiques qui s'annonçaient, les hommes de fa pédagogie ont préféré se constituer un bastion retranché avec un nouveau sigle : I.N.R.E.F. ([^95]). M. Monory devait revenir le 16 octobre 1986, par un décret n° 86-1119, à l'ancienne organisation de l'I.N.RP.
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Subventionné en 1987, à hauteur de 111,755 millions de francs, il conserve, en dépit des critiques sévères de la Cour des comptes, un budget important lui permettant d'avoir un personnel d'environ 450 agents. Mieux, il améliore ses moyens, puisque s'il perd 32 postes, il bénéficie de 48 emplois créés. On se demande d'ailleurs pourquoi, alors que la Cour des comptes révèle ses invraisemblables abus de gestion.
Les personnels ont ainsi un régime de travail de faveur, avec plus de sept semaines de congés en un an, hors les normes de la fonction publique ([^96]).
En violation des règles de la fonction publique, les agents reçoivent des rémunérations supplémentaires lors des contrats passés avec des personnes extérieures. Des inspecteurs pédagogiques régionaux s'octroient les mêmes commodités pour des travaux relevant pourtant de leurs activités normales, déjà rémunérées.
> Les avatars institutionnels de la pédagogie publique.
>
> 1955 : Centre national de documentation pédagogique (C.N.D.P.)
>
> 1956 : Institut pédagogique national (I.P.N.)
>
> 1959 : On rattache à l'I.P.N. l'enseignement par correspondance
>
> 1970 : Institut national de recherche et de documentation pédagogique (I.N.R.D.P.) et Office français des techniques modernes d'éducation (O.F.R.A.T.E.M.)
>
> 1976 : O.F.R.A.T.E.M. reprend les fonctions de documentation et d'enseignement à distance et redevient, comme en 1955, le C.N.D.P.\
> L'Institut national de recherche et de documentation pédagogique perd ses fonctions de documentation et devient l'I.N.R.P., Institut de recherche pédagogique
>
> 1980 : Le C.N.D.P. perd ses attributions pour l'enseignement par correspondance, confiées à un Centre national d'éducation par correspondance (C.N.E.C.)
>
> 1^er^ mars 1986 : Le C.N.E.C. devient Centre national d'enseignement à distance (C.N.E.D.) L'I.N.R.P. devient l'I.N.R.E.F., Institut national de recherche en éducation et formation
>
> 16 octobre 1986 : L'I.N.RE.F. redevient I.N.R.P.
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Des ouvrages, souvent de grande valeur, comme des volumes anciens du XVI^e^ siècle, sont jetés, déversés sans précaution et se délabrent dans une « humidité tropicale », près d'une chaudière de chauffage central.
Des documentalistes, au nombre de 29, ne font quasiment rien. Travaillant au rythme de *1,06 fiche de livre par jour* ([^97])*.* Et encore faut-il leur affecter des T.U.C., sans doute pour leur éviter l'ennui de leur inactivité.
Comme si cette situation n'était pas suffisamment inadmissible, les personnels de l'institut se sont constitués en amicale et recevaient encore, en 1984, 34.000 francs de subventions. Eux qui ne remplissent aucune mission utile à l'éducation.
En dépit de ces invraisemblables abus, le budget de 1987 autorise leur maintien. Il est vrai que si l'ensemble des personnels pouvait ne rien faire, ils représenteraient au moins l'utilité de la stérilité. Mais, véritable *centrale idéologique des mouvements pédagogiques,* l'I.N.R.P. joue un bien tout autre rôle.
Comme ses prédécesseurs, dont il résumerait presque les affaissements génétiques qui caractérisent les fins de dynasties où les populations se reproduisant en autarcie, l'I.N.R.P. diffuse trop fréquemment, d'études en recherches, son « charlatanisme pédagogique » qui véhicule pourtant l'idéologie déstabilisatrice de l'absence de contraintes, du spontanéisme, de la gratuité ludique et au final, d'une certaine médiocrité généralisée.
C'est très grave, parce que l'I.N.R.P. est au centre du dispositif de l'éducation nationale. Ses missions, lui donnant compétence pour assurer la recherche, en pseudo « science de l'éducation », d'aider les recherches dans les autres établissements, et prêter son concours à toute l'animation pédagogique, en font un château d'eau d'où s'écoule, vers toutes les directions de l'appareil éducatif, l'idéologie tiède, fade et grise, chargée de transformer des générations d'enfants riches de potentialités individuelles, en masses social-banalisées.
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######## 2° *Les établissements coûteux : C.N.D.P., C.R.D.P. et C.N.E.D.*
Le C.N.D.P., Centre national de documentation pédagogique, possède un important budget, permis par une subvention de 388,8 millions de francs en 1987.
Composé d'un service central à Paris, et de centres régionaux et départementaux de documentation pédagogique (C.R.D.P. et C.D.D.P.), le C.N.D.P., issu des réformes de 1976 et 1980, a des missions qui ne se distinguent pas toujours clairement de celles de l'I.N.R.P., devenue I.N.R.E.F. avant de redevenir I.N.R.P.
Avec un personnel de 2.500 agents, pratiquant, lui aussi, le gâchis, notamment dans la production de vidéo-cassettes ou de films, et le désordre de gestion, habituel aux établissements d'administration, le C.N.D.P. a une activité à faible productivité, et une utilité qui reste bien difficile à démontrer. Il est heureux que la loi de finances pour 1987 lui supprime 191 postes, pour 118 créés.
C'est un rassemblement de privilégiés dont on ne comprend pas pourquoi le budget de l'enseignement scolaire continue à financer l'existence et l'inactivité notoire.
Le C.N.E.D. ou Centre national d'enseignement à distance, quant à lui, héritier par décret du 25 février 1986 des missions du C.N.E.C. (Centre national d'enseignement par correspondance), a une activité qui relève plus du droit humanitaire que de l'enseignement scolaire.
La subvention de 60,51 millions de francs en 1987 ou le budget de 301 millions, mentionné pour 1985 par la Cour des comptes ([^98]), assurent, certes, le fonctionnement d'un organisme au personnel de plus de 1.100 agents. Même si dans le budget 1987, 18 postes ont été créés, pour 43 supprimés.
Mais la particularité vient de plus de 1.700 professeurs qui, par suite d'une inadaptation physique temporaire à l'enseignement normal, au moins pour un an, pratiquent là, au sein du C.N.E.D., une sorte de convalescence active.
Il n'y aurait guère à redire à cette solidarité, si elle n'était l'occasion de détourner encore des crédits budgétaires. La Cour des comptes a pu relever les cas les plus choquants, par exemple celui d'une enseignante, de l'université de Reims, qui s'est fait verser en 1984 plus de 373.000 francs pour des vacations à distance, tout en continuant à percevoir 209.000 francs de sa rémunération d'universitaire ([^99]).
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A côté de ce cas, peut-être exceptionnel, des centaines d'autres existent, d'enseignants installés dans la quiétude d'un enseignement sans élève présent et sans déplacement.
Comme si la paresse était aujourd'hui budgétairement financée. Il est vrai, au moins, qu'il vaut mieux payer au C.N.E.D. un enseignant restant à la maison, plutôt que de le voir pratiquer sur les élèves la perversion des « attouchements pédagogiques » de l'I.N.R.P.
Si l'activité en effet de ces organismes pédagogiques se limitait à la seule dilapidation des deniers publics, le mal serait limité. Malheureusement, ces pédagogues ne se contentent pas de « pédagogiser », ils veulent aussi pratiquer. Comme tous les imposteurs, ils développent même un « activisme frénétique » ([^100]). « Pleins de morgue..., ignares, jaloux de tout ce qui échappe à la médiocrité, haïssant le talent, l'intelligence et la culture », ils n'ont de cesse depuis des décennies de détruire un système d'enseignement qui avait fait la preuve de sa réussite et de son rendement ([^101]).
Et c'est vrai que certains des « cuistres » de la pédagogie grégaire, ne sont pas loin de réussir. Les masses budgétaires masquent mal la réalité. L'école n'est déjà plus lézardée. Elle succombe, minée par le « pédagogisme » et la subversion, le tout financé par le budget.
####### b) Les actes de « perversion » : « obsessions pédagogiques » et « subversion politique »
Déjà dans les écoles normales, les méfaits de l'idéologie « pédagogiste » reçoivent leur plein effet. Ces écoles « occupent le centre d'un réseau où s'entrecroisent, se superposent et s'interpénètrent, les associations éducatives, les centres de loisirs, les groupuscules pédagogiques, et les syndicats. Il est fréquent de retrouver les mêmes personnes et les mêmes dynasties, occupant des postes de responsabilité dans ces diverses instances.
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Aussi ne faut-il pas se représenter les écoles normales comme des forteresses closes, où l'on mettrait des savoirs fondamentaux assortis de « didactique », mais comme des bancs d'essai pour toutes sortes « d'intervenants » extérieurs, souvent des transfuges de l'enseignement qui, lassés de leurs classes, se reconvertissent dans la formation de formateurs. Ainsi trouve-t-on dans les écoles normales d'anciens instituteurs promus psychologues scolaires, d'anciens certifiés de philosophie enseignant Piaget, d'anciens agrégés de maths animant des stages d'expression corporelle ou de « relaxation relationnelle ».
« Cette joyeuse anarchie n'est qu'apparente. Le foisonnement des projets, des « actions de formation » et des programmes de recyclage est soumis au contrôle du conseil de formation, où sont majoritaires et cooptés des membres du syndicat national des professeurs d'école normale (S.N.E.P.E.N.), branche bien située de la F.E.N... » ([^102]).
Sans doute, des réformes ont eu lieu de tout temps, de l'école palatine de Charlemagne, à l'école de Jules Ferry, en passant par l'essentiel : l'école de J.-B. de la Salle, au XVII^e^ siècle, l'inventeur de l'enseignement selon le mode simultané ([^103]).
Mais jamais la volonté idéologique de « dé-construire », pour arriver à travailler les cerveaux et modifier les rapports sociaux, n'avait été poussée au point de perversité de l'école manipulée d'aujourd'hui. Excepté bien sûr dans la Chine d'hier, l'Union soviétique de toujours, le Cambodge de la déchirure et la Suède d'Olof Palme.
Tout a commencé chez nous, en fait, avec Condorcet et son plan du 20 avril 1792. Il inventait même le terme d'instituteur. Mais tout a surtout continué en 1947, avec le plan du professeur-physicien Paul Langevin et du docteur-psychologue Henri Wallon, ministre de l'éducation nationale dans le gouvernement provisoire.
Ce plan Langevin-Wallon a tout inspiré. Même la réforme Haby, entrée en vigueur dès la rentrée 1977.
A la recherche de l'égalitarisme niveleur, d'une école où l'on ne va pas « pour parvenir à un résultat personnel, mais pour apprendre à fonctionner en tant que membre d'un groupe » ([^104]), les idéologues de la pédagogie ([^105]) vont se fixer trois objectifs de « subversion », à rechercher bien sûr, à l'aide de subventions : l'enfant, la famille, la nation.
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Trois réformes permettent de les atteindre et d'assurer la déstabilisation sociale recherchée, pour arriver à la restructuration social-démocrate rêvée.
######## 1° *Les trois objectifs de la pédagogie subversive : l'enfant, la famille, la nation.*
Chez l'enfant, il faut détruire l'esprit de finesse. La famille, il faut en rompre la continuité. La nation, il faut la priver de mémoire.
• *Détruire l'esprit de finesse, en n'enseignant plus le français,* deviendrait presque une nécessité. Puisque l'homme rêvé n'est pas loin d'un être « primatisé », éprouvant des besoins et fonctionnant sur impulsion, l'école doit moins viser le néo-cortex que retrouver quasiment le cerveau amphibien.
L'enseignement du français, dans ces conditions, ne peut que connaître une restriction. Reposant sur la finesse, les associations intuitives, mais aussi la cohérence du récit et le sens de la critique, cette discipline devient gênante pour des idéologues, façonneurs de destins ([^106]).
L'enseignement sérieux de la lecture, de la grammaire ou du français, est d'ailleurs d'autant moins acceptable qu'il assurerait dans la famille la continuité des générations. Or, il faut la rompre.
• *Distendre la continuité familiale, en n'enseignant plus les mathématiques classiques,* par exemple, est la condition de l'égalitarisme. Les parents n'accédant pas aux mathématiques modernes, ils laisseront, dans le grand ensemble vide de leur désarroi, se débattre, s'égarer et s'éloigner leur enfant qui devra les décanter.
Cassant ainsi les relations de l'enfant et des parents, la transmission familiale du savoir, les idéologues cherchent à couper les ponts. A isoler l'enfant. A le niveler, à la mesure du type idéal de l'enfant défavorisé.
Au fond, comme en droit fiscal, c'est tout juste si les idéologues de la pédagogie qui sévissent dans l'enseignement, n'en viennent pas à rechercher un « enfant forfaitaire » et non un enfant réel. Un enfant sous-évalué, sur la base du plus petit niveau intellectuel, accessible à l'enfant le plus caractériel.
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La façon dont le plan Langevin-Wallon parle des surdoués est d'ailleurs édifiante. « Il s'agit de résoudre le problème des enfants dits surnormaux » ([^107]).
*Quand Mozart est un problème et le* « *crétin* » *une solution, forcément l'enseignement doit procéder par régression.* Et c'est bien ce que les « pédago-idéologues » ont fait ([^108]).
• *Effacer la mémoire nationale, en supprimant l'enseignement de la chronologie dans l'histoire,* est enfin l'objectif majeur des tenants du changement de la société.
L'histoire thématique enlève à l'enfant ses repères chronologiques. Perdu dans l'espace et dans le temps, il est alors en situation d'infériorité, ses défenses cérébrales diminuées. Le terrain est ainsi prêt : on peut *tout* lui inculquer. Et, de fait, c'est bien ce que l'on a fait.
######## 2° *Les trois réformes de la pédagogie déstabilisatrice : Rouchette, Liehnerowitz et les thèmes.*
Pour atteindre les objectifs rappelés, il fallait altérer l'apprentissage du français, bouleverser l'enseignement des mathématiques et supprimer la connaissance de l'histoire.
Trois réformes ont réalisé le démantèlement :
*• Le plan Rouchette,* du nom de l'inspecteur général de lettres qui avait conduit les travaux de la commission, dont le rapport fut déposé en 1971, a rempli sa mission. La lecture globale et l'apprentissage de la grammaire changée, ont conduit à des résultats inespérés : 20 % d'illettrés.
• *Le plan Lichnerowitz,* remis en 1967, est un succès. Avec les mathématiques modernes, les parents ont vraiment perdu pied et l'enfant a perdu goût. Mis à part ces modestes coûts sociaux, les penseurs de la pédagogie sont bien arrivés où ils voulaient aller : distendre le suivi du travail de l'écolier, par la famille qui devrait le surveiller.
*• Le plan de l'histoire thématique,* établi au titre de la réforme de 1975, a fini par tout couronner. De fait, l'enfant n'a plus de héros ; de « grands hommes », de modèles positifs, d'épopée qui fait rêver. Privé de Bouvines, de Bayard, de Fontenoy, du pont d'Arcole, de Montcalm, de Duplessy ou de Richelieu, ou bien encore des croisades, il peut enfin s'adonner à l'égalitarisme, au laxisme, à la permissivité et à la médiocrité, financée sur le budget.
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C'est à ce résultat qu'a conduit, en deux décennies, l'addition du « pédagogisme » et du syndicalisme.
Jules Ferry ne s'y était pas trompé. Lui qui s'était opposé à l'extension aux instituteurs des dispositions de la loi du 21 mais 1884, relative aux syndicats ([^109]).
Il y avait là comme une prémonition. Elle doit inspirer les solutions.
#### III. -- UNE AMORCE DES REDRESSEMENTS : DES CRÉDITS POSITIVEMENT RÉORIENTÉS
La stratégie de ce budget est celle des petits pas. Les mesures prises et financées par ces crédits 1987 vont dans la bonne direction. Pour amener l'amorce des solutions aux problèmes de l'éducation il reste à franchir le pas.
##### **A. -- La stratégie du budget Monory : « les petits pas ».**
On le voit dans des réformes de gestion. Mais surtout dans le traitement du poblème des M.A.D. Les audaces sont embryons.
###### 1. LES RÉFORMES DE GESTION
Des mesures ont été prises pour les personnels et pour l'école.
####### a) Des mesures pour le personnel.
C'est vrai pour les instituteurs, pour l'extinction des P.E.G.C., et plus généralement pour l'amélioration des situations.
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######## 1° *La poursuite de la revalorisation de la situation des instituteurs.*
520 millions sont prévus à ce titre pour les instituteurs en activité (mesure 02-14-01) et 259,6 millions pour les retraités (mesure 01-14-02). Il convient de rappeler que la rémunération nette mensuelle d'un instituteur débutant (à Paris) n'était encore que de 5.900 francs en 1985.
######## 2° *La mise en extinction des P.E.G.C.*
Suppression de 1100 emplois dans les centres de formation de P.E.G.C., et de 700 emplois de personnels de service. Enfin, l'élévation du niveau de recrutement, dans les collèges, entraîne d'importantes modifications dans la répartition des emplois existants. A ce titre, 6.000 emplois de P.E.G.C. sont transformés en emplois d'adjoint d'enseignement et 3.400 emplois de P.E.G.C. et professeurs de collège stagiaires, en emplois de professeur certifié et professeur certifié stagiaire.
Du fait de l'arrêt du recrutement, les centres qui étaient chargés de la formation, initiale des futurs P.E.G.C. verront leurs effectifs diminuer très sensiblement, à la rentrée 1986, avant de se résorber, à peu près totalement, à la rentrée 1988. Ainsi, le nombre total des stagiaires des centres qui était de 1.738 en 1985-86, sera d'environ 1.090 en 1986-87 et 185 en 1987-88.
Désormais, les postes libérés, par les départs en retraite de P.E.G.C., seront offerts en totalité aux concours externes du C.A.P.E.S. ou du C.A.P.E.T., pour ce qui concerne la technologie.
####### b) Des mesures pour l'école.
L'autorité sera mieux assurée et les contrôles renforcés.
######## 1° *Rétablir l'autorité à l'école : la revalorisation de l'emploi de directeur.*
On procède à la revalorisation de l'emploi de directeur grâce à la création d'une bonification indiciaire, dans la perspective de la création d'un grade de directeur d'école (mesure 01-14-04 ; coût : 9,7 millions de francs).
La mesure est courageuse. Elle introduit une fêlure hiérarchique dans l'unité des corps où recrutait le S.N.I.
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######## 2° *Renforcer les contrôles : création de postes d'inspection et restructuration de l'administration.*
La politique de qualité et de déconcentration du système éducatif nécessite un renforcement des moyens d'inspection et d'encadrement. A la création de 92 emplois supplémentaires d'inspection (dont 15 inspecteurs généraux) et d'encadrement, s'ajoute l'amélioration des perspectives de carrière des inspecteurs d'académie, directeurs des services départementaux de l'éducation nationale.
L'organisation de l'administration centrale a été rationalisée : dans le souci d'améliorer l'efficacité de son fonctionnement, le nombre des centres de décision a été ramené de 15 à 10, par la suppression de missions et la transformation des directions, et le nombre des bureaux de 160 à 129.
La nouvelle organisation fait apparaître trois nouvelles directions qui concrétisent trois orientations majeures de la nouvelle politique éducative :
-- *La direction des personnels d'inspection et de direction,* correspond à la volonté de renforcer les fonctions d'encadrement et d'évaluation, dans le cadre de la déconcentration des responsabilités.
-- *La réunion des collèges et des lycées* dans une même direction traduit le souci de développer la qualité d'un enseignement secondaire, organisé de façon cohérente et coordonné autour de deux pôles.
-- *La direction de l'information et de la communication* répond à la nécessité d'accroître la circulation des informations, tant à l'intérieur du système éducatif que vers ses usagers directs et indirects.
Il y a là une mesure technique pouvant avoir des effets positifs pour limiter la domination de l'appareil syndical sur les enseignants.
###### 2. DES AUDACES EMBRYONS
Le premier budget du nouveau ministère prend sur certains points un bon départ ; mais il subsiste encore des retards.
####### a) Un bon départ.
Il se manifeste sur le double terrain du « pédagogisme » et du péri-scolaire.
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######## 1° *Les restrictions dans les établissements publics pédagogiques.*
Il y a tassement des crédits et suppression d'emplois. Les cinq grands établissements publics nationaux, dépendant du ministère (le C.N.D.P., l'O.N.1.S.E.P., l'I.N.R.P., le C.N.E.D. et le C.E.R.E.Q.) ([^110]), voient leurs crédits, avec 711,512 millions, diminuer de 6,6 millions, soit de 0,9 %.
Certains de ces organismes, à la suite des remarques figurant dans le dernier rapport de la Cour des comptes, verront leurs missions et leur organisation redéfinies. Dans l'immédiat, par mesure d'économie, 115 emplois y sont supprimés (dont 73 sur 2.465 au C.N.D.P. et 35 au C.N.E.D.). Les C.R.D.P. seront placés sous l'autorité directe des recteurs.
######## 2° *L'amputation des mises à disposition pléthoriques.*
L'éducation nationale rémunérait, jusqu'à présent, des centaines de fonctionnaires exerçant auprès d'organismes divers et dont les tâches n'avaient souvent qu'un lointain rapport avec l'enseignement.
Sont supprimés 1.679 emplois de ce type, au projet de budget (mesures 01-18-02, 02-18-02, 04-18-01 et 06-18-01), correspondant à 176,5 millions en années pleine.
####### b) Encore des retards.
Les mesures positives ont été arrêtées à mi-chemin. On le voit à la fois sur le terrain du « pédagogisme » et sur celui des mises à disposition.
######## 1° *Le maintien des établissements publics pédagogiques.*
Des établissements publics pédagogiques -- surtout l'I.N.R.P. -- subsistent ou leur gestion n'est pas rigoureusement resserrée. C'est regrettable. La commission des finances, dans ses discussions, a vu le problème soulevé.
######## 2° *Les compensations financières à la suppression de mise à disposition.*
Il est bon d'avoir supprimé nombre de mises à disposition. Mais il serait meilleur de ne pas sembler vouloir biaiser en compensant par des subventions.
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Certes, celles-ci se prêtent mieux au contrôle, à la discussion et à l'amputation. Mais il faut tout de même déplorer que n'allant pas jusqu'au terme de cette remise en cause, le ministère ait inscrit 73,1 millions en tiers d'année -- soit 219,3 millions en année pleine --, pour compenser, grâce à des subventions, le manque à gagner pour ces organismes (mesure 01-15-09).
*Si pour le budget 1988 rien n'était fait sur ces crédits,* la déception serait grande et rétroagirait sur la bonne impression laissée par le budget de cette année.
##### **B. -- La stratégie des budgets à venir : sauter le pas.**
Depuis toujours l'école a été au service d'un objectif. Dans les provinces de la Gaule conquise, l'envahisseur latin couvre d'écoles le territoire. Chaque ville possède bientôt la sienne. Et même les gros bourgs ruraux. Objectif : gagner la population à la cause romaine et les assimiler intellectuellement.
« Ce que l'école romaine avait fait dans le domaine civil, l'Église entreprend de le réaliser dans le domaine religieux » ([^111]). Comme d'autres avaient romanisé les campagnes, avec ses écoles monastiques, elle les christianise.
Lorsque l'hérésie protestante gagne sur l'Europe, l'école une fois encore est mise à contribution. Il faut prendre en main les enfants tout comme Luther voyait dans l'école « une arme, une lance ». Le concile de Trente mobilise donc l'école du XVI^e^ siècle, avec obligation faite aux prêtres d'en ouvrir de gratuites.
Comme l'Église a utilisé l'école pour évangéliser le pays ou endiguer la vague réformiste, la fin du XIX^e^ siècle va l'utiliser pour implanter la République dans la mentalité collective des Français.
Qui ne voit aujourd'hui, dans les trente dernières années, que l'école a été, une fois encore, sciemment utilisée par les représentants d'une culture idéologique dominante, pour enserrer les enseignants, changer les élèves, transformer les valeurs de la société et, en final, la social-démocratiser ?
L'enseignement millénaire est donc clair. Si le budget doit mettre fin à des abus majeurs qui pervertissent l'école, il doit aussi lui donner les moyens, au service des fins qu'il faut lui assigner.
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###### 1. METTRE FIN
Il faut supprimer les détournements des finances et les expériences sur les enfants.
####### a) Au détournement des finances.
Les subventions de compensation, à la suppression des M.A.D., sont à abandonner. Définitivement. Rien de sérieux ne peut les justifier. Sinon le lobbying et la prudence électorale.
Supprimer surtout les décharges syndicales. Il n'est pas acceptable, au regard des principes constitutionnels que l'impôt serve à financer des activités privées. Surtout lorsque ces activités privées portent atteinte à la liberté de penser de chacun. Or, c'est bien ce qu'il advient, lorsque *tout contribuable doit financer des permanents de syndicats auxquels il n'adhère pas forcément.*
Et quand bien même serait-ce le cas, les impôts sont légitimés par des fins d'intérêt général (article 13 de la Déclaration de 1789) et certainement pas pour la recherche d'intérêts corporatistes :
*La F.E.N. ne justifie pas les moyens* budgétaires qu'elle recycle.
####### b) Aux expériences sur l'enfance.
Il faut mettre fin aux organismes de « perversion » pédagogique, dépourvus par ailleurs de toute utilité sérieuse et démontrée. Ce qui implique :
*• La suppression de l'I.N.R.P.*
• *La suppression du C.N.D.P., des C.R.D.P. et C.D.D.P*., qui remplissent des activités bien souvent similaires à celles de l'I.N.R.P. Leur mission de documentation présente un intérêt bien limité, sauf pour les privilégiés, à qui ils offrent d'inadmissibles rentes de situation quand bien d'autres enseignants remplissent leur mission avec dévouement.
• *Réexamen du C.N.E.D.* pour se prononcer sur la nécessité de le conserver. La raison d'être du budget de l'enseignement scolaire, en effet, n'est pas de financer *une sorte de prolongement des maisons de repos de la M.G.E.N.,* sous le nom d'enseignement à distance.
Si distance il y a c'est celle que le budget doit prendre avec un organisme à finalité réelle sanitaire, sinon humanitaire. Le budget des affaires sociales est là pour assurer cette mission. Ce n'est pas le rôle de l'éducation.
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###### 2. DONNER DES FINS
L'école a une double mission qui correspond à la double nature des êtres qui lui sont confiés : êtres individuels et êtres sociaux.
####### a) L'école et l'épanouissement individuel.
Parce qu'elle doit apprendre et donc faire comprendre et ce faisant nécessairement fonctionner sur un schéma scientifique, à base d'observation et d'analyse, l'école n'est pas là pour cacher les vérités. Mais pour les présenter. Elle doit oser dire les mots clefs et oser les pratiquer.
• Oser dire les mots clefs : Ils sont ceux de *sélection, d'épreuves* et de *compétition.* A l'image de ce qui peut s'observer, sauf évidemment dans les élucubrations des prétendues sciences de l'éducation.
• Oser les pratiquer : L'école n'a pas à supprimer les examens ou à manipuler leurs résultats, comme en 1986 sur des brevets. Supprimer les épreuves scolaires, ne fera jamais disparaître les épreuves tout court. L'école est là pour y préparer. Et le budget n'a pas à financer une organisation du mensonge.
####### b) L'école et le redressement national.
L'école est là pour diffuser de l'unité et donner un sens d'identité *Créer de l'unité :* Parce que l'école est financée par tous, elle est au service de la pérennité de ce tout. C'est en ce sens, qu'à l'image d'autres écoles, des États-Unis ou de l'Est ([^112]), elle doit redonner des valeurs nationales. Ce n'est pas l'affaire d'une heure d'instruction civique, mais d'une imprégnation de toute l'atmosphère scolaire.
*• Donner de l'identité :* L'école doit situer. Parce que pour s'élever, il faut d'abord être enraciné. Elle doit produire l'identité qui donne du souffle.
L'accord sur les fins est essentiel. Tous les autres débats, pour importants qu'ils soient, tel celui qui oppose adversaires et tenants du chèque scolaire ([^113]), ne portent que sur les moyens. Or, chacun sait qu'ils ne se justifient que par les fins.
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En la matière, si, de débat budgétaire en débat budgétaire, on continue à refuser de se poser clairement le problème des finalités de l'enseignement et de l'école qui le permet, le déroulement de la logique, déjà en place, ne tardera pas à nous imposer ses propres choix. Ils sont déjà inscrits dans les faits : 20 % d'illettrés ! *L'école est en train de dégager elle-même ses fins. Elles pourraient être au singulier...*
#### IV. -- EXAMEN EN COMMISSION
##### A. -- Le déroulement de l'examen.
La commission des finances, de l'économie générale et du plan a procédé, lors de sa réunion du mardi 7 octobre au matin, à l'examen des crédits concernant l'enseignement scolaire.
A la suite de l'exposé de cotre rapporteur spécial, dont l'économie fait l'objet du présent rapport, un débat s'est instauré :
M. Alain Rodet a exprimé ses plus vives réserves sur la manière avec laquelle le rapporteur spécial avait présenté le projet de budget. Il a considéré que ce budget privilégiait le court terme et que des besoins importants n'étaient pas pris en compte tels la rénovation des collèges ou le développement de l'enseignement technique. Après avoir mis en garde contre les conséquences d'une diminution des moyens en faveur de l'informatique, il s'est inquiété des projets du Gouvernement concernant l'Union des groupements d'achats publics (U.G.A.P.). M. Alain Bonnet, après s'être déclaré stupéfait de certains des propos du rapporteur spécial, a fait observer que les moyens de fonctionnement de l'éducation nationale, pour la première fois, progresseraient moins vite que les dépenses ordinaires de l'État. Déplorant les attaques portées contre les associations périscolaires, il s'est inquiété de l'application de la loi-programme sur l'enseignement technique et des suites qui seront donnés aux objectifs du IX^e^ Plan. Il a enfin regretté la diminution des crédits de bourses.
M. Jean Giard, après s'être déclaré atterré par les propos du rapporteur spécial, a estimé qu'un tel discours n'avait pu être tenu que dans la mesure où il traduisait les orientations du projet de budget. Il a ensuite demandé un chiffrage du coût social qu'entraînerait la suppression nette de plus de 4.500 emplois, la confirmation de la diminution des crédits de bourses, et si les subventions allouées aux associations allaient bien compenser la suppression des mises à disposition.
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M*.* Jean-Louis Dunant, après avoir également déploré les propos du rapporteur spécial, s'est inquiété de leur écho auprès des commissaires de la majorité. Il a ajouté que la baisse des taux d'encadrement ne profitait pas principalement aux enseignants mais aux élèves.
M*.* Pascal Arrighi a pour sa part, estimé satisfaisants les taux d'encadrement actuels. Il a déploré l'absentéisme des personnels, notamment des personnels d'entretien, et a par ailleurs fait observer que les bourses profitaient pour une large part aux enfants d'immigrés. Il a enfin posé le problème du devenir des adjoints d'enseignement.
M. Christian Baeckeroot, après avoir rappelé le sens des grandes manifestations du printemps 1984, a déclaré qu'il était essentiel de défendre le libre choix de l'école par les parents.
M. Philippe Auberger, après avoir regretté le ton inutilement polémique du rapporteur spécial, a déploré l'insuffisance des crédits d'investissement décentralisés en *faveur des régions pour la construction de lycées.*
M. Pierre Descaves a jugé inadmissible le grand nombre des associations qui émargent au budget de l'éducation nationale.
Après les réponses données par le rapporteur spécial aux intervenants, notamment quant à la forme de présentation des analyses, reprise de la quasi totalité des études ayant porté ses dernières années sur l'éducation nationale, la commission a sur sa proposition, adopté les crédits de l'éducation nationale (enseignement scolaire) ainsi qu'une observation tendant à la reconsidération des subventions visant à compenser la suppression de certaines mises à disposition, lors de la préparation du projet de loi de finances pour 1988.
##### B. -- L'observation de l'examen.
La commission des finances de l'économie générale et du plan souhaite que le principe de la subvention visant à compenser la suppression de certaines mises à disposition soit repensé lors de la préparation du budget de l'exercice 1988, dans le sens de la nécessaire suppression des dépenses non impérieuses.
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============== fin du numéro 308.
[^1]: -- (1) Philippe Ariès : L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien régime, Le Seuil, p. 148.
[^2]: -- (2) *Id*., p. 369.
[^3]: -- (3) Le Barbarismum de Donat traitait de la grammaire.
[^4]: -- (4) Traité de logique formelle d'Aristote.
[^5]: -- (5) Id, p. 161.
[^6]: -- (1) En 1827, un jeune protestant de 17 ans, Joseph Smith, gêné par la diversité des Églises, s'interroge et reçoit une révélation. Un ange du nom de Moroni (fils de l'archange Mormon) lui indique l'emplacement caché dans son jardin de tablettes en or gravées de hiéroglyphes, sur lesquelles se trouve la véritable histoire du peuple élu : en 600 av. J.-C. quelques Juifs inspirés émigrèrent en Amérique du Sud. Parmi ceux-ci certains restèrent fidèles, d'autres apostasièrent et, en punition, reçurent une peau et des cheveux noirs : ce sont les Indiens d'Amérique. -- S'appuyant sur une nouvelle doctrine expliquée dans le « livre de Mormon », J. Smith veut faire revivre la branche des derniers fidèles qu'il baptise « les saints des derniers jours ». Mais il est assassiné en 1844 et ses disciples, persécutés, fuient d'Est en Ouest, pendant 5.000 km, mélange de quête spirituelle, de conquêtes territoriales, d'endurance physique et de foi personnelle. Ils s'installent dans le pays le plus désertique qu'ils rencontrent : l'Utah, y prospèrent rapidement (la polygamie, abolie en 1890, existe encore). -- Tout non baptisé étant perdu pour le paradis, on baptise les morts, d'où la fantastique recherche généalogique à laquelle se livrent les Mormons, entraînant la mise en archives d'une très grande partie de la population, même non adhérente.
[^7]: -- (1) Cf. le livre de « *Missus Romanus* » portant ce titre (éditions du Cèdre). Missus Romanus était l'un des noms de plume du père Joseph de Sainte-Marie.
[^8]: -- (2) Il y avait une excellente chorale avec orchestre : celle de la communauté charismatique de l'Emmanuel ; parmi les chants, le dernier (Jérusalem, Jérusalem) utilisait-il une mélodie du répertoire judaïque ? La chose serait à vérifier.
[^9]: -- (3) De l'autel jusqu'aux différents îlots, les ciboires étaient transportés six par six, sur des plateaux en carton ressemblant à des fonds de caisses d'emballage ; dans une deuxième phase, des prêtres ou des laïcs portant les ciboires allaient de place en place, à l'intérieur de chaque îlot, pour distribuer la sainte communion en se frayant la voie comme ils le pouvaient et dans l'absence quasi totale de marques de respect pour le corps du Christ.
[^10]: -- (4) Lettre synodale, décembre 1857.
[^11]: -- (1). Les syndicats actuels sont des coopératives de consommation de la richesse acquise ou à créer. Comme le faisait remarquer Georges Dumoulin, il n'y est plus question de métier. Les excellents ouvriers n'y comptent pas plus que le dernier des manœuvres ; l'élite y est sacrifiée au détriment de tous. La justice de la quantité y pré vaut comme dans les parlements et pour la même raison : l'intérêt des démagogues. Et tout cela correspond si peu aux vraies aspirations des ouvriers que chez Citroën aux dernières élections pour le comité d'entreprise, il y avait 63 % d'abstentions.
[^12]: -- (1). Voir « Se réformer ou périr », *Itinéraires*, n° 24,
[^13]: -- (1). « Les quatre causes », *Itinéraires*, numéro 12 et numéro 15.
[^14]: -- (1) Alexis Curvers : Le carré magique, dans ITINÉRAIRES, numéros 120 (février 1968) à 126 (septembre-octobre 1968) et numéro 128 (décembre 1968).
[^15]: -- (2) On remarquera au passage la culture éclectique d'un membre de la curie.
[^16]: -- (3) Spots dans le Robert. Projecteurs pour les lecteurs d'ITINÉRAIRES.
[^17]: -- (4) Centre de la CIA aux États-Unis.
[^18]: -- (5) Archevêque de Samoa-Appia.
[^19]: -- (6) « Épagneul du roi Charles ».
[^20]: -- (7) Dé-marck, billet vert et métal jaune.
[^21]: -- (8) Grenouille en anglais. Surnom que les Américains donnent aux Français, mangeurs de grenouilles.
[^22]: -- (9) Comité interministériel des Services secrets de Sa Majesté.
[^23]: -- (10) *Istituto per le Opere di Religione,* la « banque » du Vatican.
[^24]: **\*** -- Les tableaux et annexes figurent dans le document 308-annx ci-joint, à la page correspondante. Utiliser les liens ou les touches Alt Tab tant pour l'afficher que pour revenir au texte.
[^25]: -- (1) Pensions non comprises pour le ministère de la défense.
[^26]: -- (2) 1. Stal, F. Thom, *L'École des barbares,* Julliard 1985 ; M. Maschino, *Vos enfants ne m'intéressent plus,* Pluriel 1983.
[^27]: -- (3) *Nouvel Observateur,* 4 septembre 1986, p. 52.
[^28]: -- (4) Cf. infra les résultats 1986 du brevet des collèges.
[^29]: -- (1) *Budget de programmes de l'Éducation nationale 1985,* p. 14 ; *La rentrée scolaire 1986,* ministère de l'Éducation nationale, direction de l'information, p. 6. 10 et 12.
[^30]: -- (2) N. Gauthier, Catherine Guignon, *Les instits,* Seuil 1986, p. 289.
[^31]: -- (1) Chiffre obtenu par la comparaison des deux budgets sans tenir compte des pensions.
[^32]: -- (1) R. Delorme et Chr. André, *l'État et l'économie,* Seuil 1983, p. 520.
[^33]: -- (2) C'est à partir de 1957 que s'opère une rapide croissance des dépenses d'Éducation nationale, R. Delorme, *op. cit*. p. 520 ; A. Prout, *Histoire de l'enseignement en France 1800-1987,* A. Colin, p. 487.
[^34]: -- (1) *Le Nouvel Observateur,* 4 septembre 1986, p. 52.
[^35]: -- (2) J.O. Questions Sénat 28 août 1986, Question de M. P.-Chr. Taittinger, n° 2199. p. 213.
[^36]: -- (3) A. Prost *op. cit*. p. 96.
[^37]: -- (4) Le Monde. 12 juillet 1986, l'Hécatombe du brevet, p. 10.
[^38]: -- (1) Brevet des collèges, session 1986, in *la Quinzaine universitaire,* n° 942 du 15 septembre 1986.
[^39]: -- (2) Fr. Gausaen, *Le Monde,* 3 septembre 1986, p. 10 ; *Le Point,* « Rentrée scolaire : Est-ce que la télé fabrique des cancres ? »
[^40]: -- (3) I. Stal. Fr. Thom, *l'École des barbares,* Julliard 1986.
[^41]: -- (1) Cf. R.A. Vivien, *Rapport général sur le projet de loi de finances pour 1987,* n° 395, tome 1, p. 198. Pour des chiffes légèrement différents, B. Durieux, *Rapport spécial sur la fonction publique,* 9 octobre 1986, Annexe n° 37 au rapport général, p. 10.
[^42]: -- (2) 96,1 % de femmes à l'école maternelle. 73 % à l'école primaire, 63 % dans l'enseignement spécial
[^43]: -- (1) *Budget de programmes pour 1986,* p. 14.
[^44]: -- (1) B. Durieux. *op. cit*., p. 12.
[^45]: -- (2) Chiffres rentrée 1987, enseignants et non enseignants, y compris les régularisations, adaptations et transfert.
[^46]: -- (3) Chiffres de la rentrée 1987, personnel non enseignant, y compris régularisations, adaptations et transferts.
[^47]: -- (1) La « division » ou la « classe » dans les établissements du second degré est constituée par un groupe d'élèves de même niveau qui suivent ensemble les cours d'une même section.
[^48]: -- (1) Toute l'année 1984, les manifestations se sont succédées pour la liberté de l'école : 70.000 personnes à Bordeaux, le 22 janvier ; 160.000 à Lyon, le 29 janvier : 300.000 à Rennes, le 18 février ; 350.000 à Lille le 22 février ; 800.000 à Versailles le 4 mars.
[^49]: -- (1) G. Delfau, Rapport sur l'enseignement scolaire, documents Sénat 21 novembre 1985, n° 96. annexe 12 au rapport général, page 28.
[^50]: -- (1) Rapport Cour des comptes 1982, pp. 172 a 176 ; rapport 1983, p. 201 ; rapport 1984, page 235.
[^51]: -- (2) Rapport 1982 p. 214 ; 1983, p. 205. 1984, p. 247.
[^52]: -- (1) Rapport public 1986 p. 75
[^53]: -- (2) Rapport 1984 pp. 165 et 239 ; plus généralement rapport public 1986, p. 14 à 19
[^54]: -- (1) Rapport 1982, p. 172.
[^55]: -- (2) Budget programme pour 1986, p. 123.
[^56]: -- (3) J.O. « Lois et Décrets », 31 juillet 1986, p. 9.427.
[^57]: -- (1) In *L'école des barbares*, *op. cit*., p. 99.
[^58]: -- (1) *Le Nouvel Observateur,* 4 sept 1986, p. 52.
[^59]: -- (1) J.O. Sénat, 28 août 1986, R.M. p. 1213.
[^60]: -- (2) D. de la Martinière, *Lettre ouverte à tous les parents qui refusent le massacre de l'enseignement*, Albin Michel 1984, p. 125.
[^61]: -- (3) Enquête *op. cit*. in *Nouvel Observateur,* p. 52.
[^62]: -- (1) J. C. Milner, *De l'école,* Seuil 1984, qui parle de la « ruine de l'école », p. 105
[^63]: -- (2). « Vos enfants ne m'intéressent plus ». Pluriel.
[^64]: -- (3). « Voulez-vous vraiment des entant idiots », Pluriel 1984, p. 154.
[^65]: -- (4) *Op. cit.*, p. 177.
[^66]: -- (5) I. Stal, *op. cit*.
[^67]: -- (1) *Op. cit*., p. 19 et 102.
[^68]: -- (2) *Op. cit*., p. 84.
[^69]: -- (1) Sur ces points, cf. le D.S.M. III (Manuel diagnostique et statistiques des troubles mentaux). Masson éditeur. 1983.
[^70]: -- (2) *Lettre ouverte aux parents des petits écoliers* (Albin Michel. 1978). *Comment dépister une dyslexie chez un petit écolier* (Nathan. 1979).
[^71]: -- (3) *Lettre ouverte à tous les parents qui refusent le massacre de l'enseignement*. 1985, p. 124.
[^72]: -- (1) *Op. cit*., p. 141.
[^73]: -- (2) Ch. Péguy, *l'Argent*, cahiers de la Quinzaine, 1873-19.
[^74]: -- (3) Cour des comptes. Rapport 1986, l'Organisation des examens et concours, p. 74 : un brevet professionnel avec 31 candidats amène la rémunération de 228 copies ; pour un B.T.S. de comptabilité. 7120 corrections de copies sont rémunérés quand il n'y avait que 1893 candidats...
[^75]: -- (1) Rapport spécial de la commission des finances, 1985, Annexe 4, p. 45.
[^76]: -- (1) Si les primes sont somptueuses pour les recteurs où leur accumulation atteint 60.000 francs environ, elles sont bien modestes pour un instituteur d'une école primaire avec un taux annuel d'indemnité de 80 francs.
[^77]: -- (2) *A la recherche d'une église,* 1934.
[^78]: -- (3) *La Gloire de mon père,* 1957.
[^79]: -- (4) *Le Voyage du Père,* 1965.
[^80]: -- (1) *La Quinzaine Universitaire,* 1986 n° 940, p. 4.
[^81]: -- (2) Le taux d'absence se définit par rapport suivant : nombre de jours d'absence / (effectif durée de la période exprimée en jours).
[^82]: -- (1) L'École des babares, *op. cit*., p. 31.
[^83]: -- (1) *Op. cit*., p. 164.
[^84]: -- (2) J. Montaldo, *La mafia des syndicats,* Albin Michel, p. 227.
[^85]: -- (1) La forteresse enseignante, *op. cit*.
[^86]: -- (2) H. Théry, la place et rôle du secteur associatif dans le développement de la politique d'action éducative, unitaire et sociale. J.O. Avis et Rapports/C.E.S., 29 juillet 1986, p. 36.
[^87]: -- (1) J. L. Mureau, A.J.D.A. 1986, n° 9, p. 492.
[^88]: -- (1) Voir Aubert, A. Bergounioux, *op. cit*., p. 143.
[^89]: -- (1) H. Thiry, Conseil économique et social, 1986, *op. cit.,* p. 36 ; Cf. Aubert, *op. cit.,* p. 147.
[^90]: -- (2) *La forteresse enseignante, op. cit.,* p. 144.
[^91]: -- (1) *La forteresse enseignante, op. cit.,*
[^92]: -- (2) Danièle Granet, « Les milliards des enseignants », *Le nouvel Économiste,* 14 septembre 1982, n° 302.
[^93]: -- (3) D. de la Martinière, *op. cit.,* p. 163.
[^94]: -- (1) Rapport de la Cour des comptes, page 60.
[^95]: -- (2) I. Stal, *op. cit*, page 108.
[^96]: -- (1) Rapport de la Cour des comptes, page 61.
[^97]: -- (1) Rapport de la Cour des comptes, page 1.
[^98]: -- (1) Rapport public, *op. cit*. p. 64.
[^99]: -- (1) Rapport public, *op. cit*, p. 65.
[^100]: -- (2) I. Stal, *op. cit.,* p. 104.
[^101]: -- (3) I. Stal, *op. cit*, p. 108.
[^102]: -- (1) I. Stal, *op. cit.,* p. 108 et suivantes.
[^103]: -- (2) P. Giolitto, *Abécédaire et férule, maîtres et écoliers de Charlemagne à Jules Ferry,* Imago 1986, p. 31.
[^104]: -- (3) Recteur Y. Durand, *L'enjeu éducatif,* 1983, p. 27.
[^105]: -- (4) Pour un exemple des « aventuriers pédagogues », cf. M. Sérac, Quelle République sauv*era l'école républicaine ?,* Pie 1985, p. 67 et suivantes.
[^106]: -- (1) M. Serac : *Quelle République sauvera l'école républicaine ?*, Pie 1985, page 77.
[^107]: -- (1) Cité par Recteur Y. Durant, *op. cit.,* page 170.
[^108]: -- (2) Pour un exemple de l'aventurisme pédagogique, cf. Ph. Bénéton, sur le rapport Legrand, « Nous avons échoué, continuons ! », commentaire n° 23, page 565.
[^109]: -- (1) P. Giolitta, *op. cit.,* page 139.
[^110]: -- (1) Pour la signification des sigles, cf supra et page 35 du document annexé bleu.
[^111]: -- (1) P. Giolitto. *op. cit*. p. 14.
[^112]: -- (1) Cf. pour l'U.R.S.S., recteur v. Durand, *op. cit*. p. 31.
[^113]: -- (2) Sur ce débat cf. notamment A. Madelin, *Pour libérer l'école, l'enseignement à la carte*. R. Laffont, pp. 73 et suiv. ; S.N.A.L.C. Analyse des projets de chèque éducation, déc. 1985.