# 313-05-87
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## DU MILLÉNAIRE CAPÉTIEN À LA BATAILLE DE FRANCE
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Cette génération, la nôtre, la vôtre, tous ensemble, les Français aujourd'hui vivants, nous aurons devant l'histoire la responsabilité d'avoir accepté, ou de n'avoir pas accepté, d'être les derniers des Français.
Jean Madiran.
*15 mars 1987*
*Septièmes Journées nationales\
d'Amitié française\
pour le millénaire capétien*
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### Avertissement La bataille politique
LA BATAILLE DE FRANCE, c'est la bataille politique, aujourd'hui, pour la survie de la nation française, menacée d'être submergée par l'invasion.
Aucune autorité officielle, aucun institut de statistique n'est capable de dire avec certitude, à un million près, combien il y a présentement d'étrangers installés à demeure en France ; clandestins ou légalisés.
La plupart y sont entrés illégalement, puisqu'ils ne sont point passés par l'Office d'immigration. Tous ont immédiatement les mêmes droits économiques et sociaux que les Français : par ce pillage de la Sécurité sociale, un immigré pakistanais, à ne rien faire en France, y jouit d'un niveau de vie vingt ou cinquante fois supérieur à celui qui est le sien chez lui en travaillant péniblement.
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Cela se sait de plus en plus dans le Tiers-Monde, attirant chez nous une immigration qui pour bénéficier de tels privilèges n'en méprise pas moins le pays assez stupide, ou assez pourri, pour les offrir sans conditions, sans discernement et sans contrepartie. Et puis, en masse, ces immigrés reçoivent le droit de vote par l'artifice des naturalisations automatiques ou complaisantes et par celui des mariages blancs.
Une cascade affreusement cohérente d'anomalies aussi énormes, aussi généralisées, aussi mortelles, mais favorisées et protégées aussi bien par la droite libérale que par la gauche socialiste, aussi bien par l'épiscopat catholique que par la franc-maçonnerie, ne résulte pas d'une négligence mais d'un plan concerté. L'ensemble des pouvoirs temporels et spirituels, la totalité de la classe dirigeante sont activement complices de ce plan ou au moins acceptent en fait de ne pas le contrarier. C'est le plan défini par une formule saisissante et profondément exacte de Pierre Debray : *utiliser l'immigration pour effacer le passé chrétien de la France et transformer ce territoire en un terrain vague où campent cent peuples divers* ([^1])*. --* Nous n'en sommes pas là ? -- Nous y allons. Au dilettantisme sceptique dans lequel s'aveuglent et s'excusent les éternels pancaliers, Jean-Marie Le Pen répond en invoquant l'effroyable accélération continue qui est le propre des décadences. Notre législation est de plus en plus anti-nationale. Les naturalisés français issus de pays musulmans gardent la nationalité de leur pays d'origine : 90 % des jeunes Algériens ayant reçu dans ces conditions la nationalité française ont préféré accomplir deux ans de service militaire en Algérie plutôt qu'une année dans l'armée française ; à leur départ sous les drapeaux du FLN ils ont bénéficié d'une prime d'incorporation obligatoirement versée par leur employeur, à leur retour ils ont droit à la priorité de réembauche.
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Le chef hezbollah Hussein Moussavi a pu faire cette déclaration, reproduite par le journal socialiste *Le Matin* du 10 septembre 1986 : « *La France, c'est sûr, deviendra une république islamique* »*,* sans provoquer aucune émotion visible ni même aucune préoccupation dans la classe dirigeante de la V^e^ République. Aux Journées nationales d'Amitié française du CENTRE CHARLIER, en 1983, André Figuéras évoquait l'éventualité non pas immédiate, mais point exclue dans l'avenir, de l'élection, à la tête de l'État français, d'un président musulman : il fut poursuivi devant les tribunaux par la machinerie judiciaire du soi-disant anti-racisme. L'appareil législatif, les pouvoirs judiciaires et administratifs, culturels et politiques, médiatiques et moraux sont détenus par *une classe installée qui n'est ni désireuse ni capable de renverser le cours de l'invasion.*
La chance d'en renverser le cours réside dans la mobilisation populaire croissante pour un sursaut national qui s'organise à l'appel de Jean-Marie Le Pen.
La revue ITINÉRAIRES ne s'est jamais tenue « à l'écart » de la politique française. Elle en a fait la chronique, l'analyse, la philosophie, depuis trente ans, sans y sacrifier ses autres activités. Aujourd'hui il est devenu nécessaire d'inviter nos lecteurs à une attention plus vigilante, à une activité plus militante. Avec le CENTRE CHARLIER de Bernard Antony, avec ses COMITÉS CHRÉTIENTÉ-SOLIDARITÉ, nous devons apporter au Front national de Jean-Marie Le Pen, soit en y adhérant, soit sans y adhérer, un soutien plus spécifiquement politique.
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Comme on le verra ci-après, la méditation du millénaire capétien a débouché sur l'engagement dans la bataille de France. Il est temps. Nous voyons poindre en deçà de l'horizon le moment où il pourrait être trop tard.
J. M.
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### Du millénaire capétien à la bataille de France
par Jean Madiran
*Discours prononcé le dimanche 15 mars 1987 au meeting des Septièmes Journées* *nationales d'Amitié française et de Chrétienté organisées par le* « *Centre* *Charlier* »*.*
En cette célébration du millénaire capétien à laquelle nous a conviés le CENTRE CHARLIER, c'est à un avertissement de notre maître Henri Charlier que je voudrais vous demander de réfléchir :
« Notre situation est pire que ne l'était celle des premiers Capétiens. »
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Au premier abord cela peut sembler une exagération.
La première tâche d'Hugues Capet et de ses successeurs, c'était que l'on puisse aller de Paris à Orléans sans courir le risque d'être attaqué, d'être volé, d'être rançonné, d'être assassiné.
Nous n'en sommes plus tout à fait là, dira-t-on, la situation à cet égard est plutôt meilleure aujourd'hui, -- encore qu'il ne soit pas tellement recommandé, une fois la nuit tombée, de s'arrêter imprudemment à n'importe quel parking non éclairé au bord de l'autoroute.
Nous avons aujourd'hui aussi nos problèmes d'insécurité. Mais avec une différence formidable : c'est que la classe dirigeante et les autorités morales ne paraissent plus persuadées, aujourd'hui, que la première tâche de l'État est d'assurer, dans la justice, par la justice, la sécurité des personnes et des biens.
La classe politico-médiatique a même eu la perversité d'inventer une expression péjorative, celle d' « idéologie sécuritaire », pour discréditer l'aspiration naturelle à la sécurité, et pour la diffamer.
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Oui, c'est là une rude différence avec le X^e^ siècle. Le rétablissement de la sécurité des personnes et des biens y fut long et difficile : mais il était universellement tenu pour un objectif honnête et nécessaire. Aujourd'hui cet objectif est artificiellement réputé une préoccupation réactionnaire, une attitude frileuse à connotation fascisante, exploitant des « sentiments bas ».
Ce n'est au demeurant qu'un exemple parmi d'autres. Vous remarquerez que les sentiments naturels se rapportant à la vie familiale, à la fidélité conjugale, à l'attachement au sol natal, à l'honnêteté dans le travail, au culte de la patrie, sont habituellement tournés en dérision par la plupart des commentaires, des spectacles et des lectures qui nous sont massivement proposés. Et cette diffamation systématique est une diffamation officielle. Elle est opérée principalement par deux services publics qui sont deux États dans l'État, deux puissants, deux redoutables États dans l'État :
-- le service public de l'Éducation nationale,
-- le service public de la radio-télévision française.
Cette dernière, nous dit-on, est en train de cesser partiellement d'être un service public ; elle est en cours de « privatisation » partielle.
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Je remarque simplement que jusqu'à nouvel ordre, privée comme publique, elle demeure aux mains de la même classe médiatique, qui à part quelques exceptions, est globalement une classe pourrie qui fabrique une radio-télévision à son image, une radio-télévision pourrie qui pourrit la nation.
Par parenthèse, la radio-télévision telle qu'elle est n'est pas seulement un instrument de pourriture morale. Elle est un instrument d'abêtissement. Et le résultat, c'est qu'une grande partie du public devient idiot. Je veux dire : sans discernement.
Il y a eu au mois de février une enquête d'un journal du soir, que je ne citerai pas autrement, pour savoir si le public trouvait que les présentateurs-vedettes étaient plutôt « à droite » ou plutôt « à gauche ». Tout en serait à commenter. Je ne retiens qu'un seul cas, celui de Mme Anne Sinclair. Il n'y a pas eu un quart du public pour s'apercevoir qu'elle est « plutôt à gauche ». Moins d'un quart, 24 %. Ceux d'entre vous qui ont quelquefois entrevu sur le petit écran le sourire glacé et coupant comme une lame de guillotine de ce Fouquier-Tinville en jupons (du moins je le suppose), peuvent apprécier le résultat : une majorité de 76 % estime que cette dame n'est pas à gauche, la trouvant soit objective et impartiale, soit même « plutôt à droite ».
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Comme quoi, avec la télévision, on n'arrête pas le progrès... de la sottise.
Je reviens à l'avertissement d'Henri Charlier. Notre situation est pire que celle des premiers Capétiens car eux, dit-il, *ils avaient l'appui du peuple et de l'Église.* Tandis que *de nos jours,* dit encore Henri Charlier, *le peuple est un peuple trompé, et l'aveuglement de l'Église s'oppose aux réformes nécessaires.*
Voyons ces deux points : le peuple, l'Église.
I. -- Le peuple est un peuple trompé. Il est trompé à partir de l'école. Il est trompé sur son passé historique et sur son identité nationale. D'un peu partout on entend monter la plainte des parents : -- *Aujourd'hui les enfants n'apprennent plus rien à l'école...* Si c'est le cas de vos enfants, ne vous plaignez pas. C'est un moindre mal. L'école étant ce qu'elle est, il vaut mieux qu'ils n'y apprennent rien, plutôt que d'y apprendre les mensonges de l'école maçonnique, les mensonges de l'école sans Dieu, les mensonges de l'école sans foi ni loi.
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II\. -- L'Église s'oppose aux réformes nécessaires. Aujourd'hui elle s'oppose à la réforme du Code de la nationalité, elle s'oppose à la préférence nationale, elle favorise une immigration sans discernement et sans limite, elle milite pour l'attribution du droit de vote aux immigrés.
Le noyau dirigeant de l'Église de France a viré à gauche, mais en outre dans la gauche il n'a pas choisi le centre gauche, il n'a pas choisi une gauche modérée ou une gauche romantique, une gauche chimérique et débonnaire, il a choisi la gauche extrême, il a choisi la gauche révolutionnaire, il a choisi la gauche immonde.
La preuve ? -- Le CCFD : Comité catholique, etc. Le CCFD est un mouvement de gauche -- mais pas d'une gauche humanitaire et philanthropique perdue dans des utopies généreuses et naïves. Le CCFD penche systématiquement du côté des thèses et du côté des mouvements qui militent pour un développement marxiste du Tiers-Monde. Et le noyau dirigeant de l'épiscopat soutient à fond le CCFD avec une partialité, avec un culot extraordinaire, avec des blagues énormes qui sont des impostures. On nous dit : -- *Le CCFD est pour les pauvres, vous êtes contre le CCFD, vous êtes contre les pauvres !*
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La campagne de Carême -- ce qu'on appelle pompeusement aujourd'hui « campagne de Carême », c'est ce qu'on appelait tout simplement la quête ; la quête qui est, je n'en disconviens pas, le plus ancien et le plus solide des systèmes financiers, beaucoup plus sûr que le prêt sur gage ou la spéculation en Bourse -- la quête de Carême, donc, est lancée sur le thème :
-- *Si vous ne voulez pas que des hommes meurent de faim, si vous croyez en Jésus-Christ, donnez votre argent au CCFD.*
Le cléricalisme classique et même le cléricalisme caricatural sont ainsi dépassés, enfoncés. Nous sommes en pleine exploitation de la crédulité publique : cela se nomme du charlatanisme.
D'ailleurs, je pose la question :
-- Le noyau dirigeant de l'épiscopat, qu'a-t-il à nous dire du millénaire capétien ?
Il ne dit rien.
Il est muet.
Peut-être cela vaut-il mieux -- quand on voit ce qu'il dit aujourd'hui, quand il dit quelque chose.
Mais nous ne perdons rien pour attendre : il se réserve sans doute pour la célébration de 1789.
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Nous, nous avons voulu, répondant à l'appel du CENTRE CHARLIER et de Bernard Antony, célébrer le millénaire capétien par un acte public de piété nationale qui entend honorer et méditer l'exemple et la leçon d'Hugues Capet et de ses successeurs.
Il me semble que l'on dit un peu vite, parfois, que le millénaire capétien est le millénaire de la nation française et que les Capétiens ont fait la France. On a raison en un sens. Mais Bainville disait plus sagement, plus exactement : « La succession de mâle en mâle par ordre de primogéniture, conquête inaperçue des contemporains, allait permettre de *refaire* la France » : *refaire.* Il ajoutait « La France avait ainsi l'instrument politique de son *relèvement* »* : relèvement.*
C'est que la date de 987 n'est pas *au début* de l'histoire de France. Elle est plutôt *au milieu.* En 987, la conquête romaine de la Gaule avait plus de mille ans. Il y a presque autant d'histoire -- d'une histoire qui souvent est déjà une histoire de France -- avant l'avènement d'Hugues Capet que depuis son avènement. L'identité française est gallo-romaine et chrétienne : elle l'est à jamais. Je cite Charles Maurras :
« *La France ne se définit ni gauloise ni latine, mais, pour l'essentiel, gallo-romaine... Cet essentiel gallo-romain, baptisé et baptiseur -- baptisé et baptiseur à la romaine, depuis Clovis, quand les autres rois barbares étaient ariens forme l'armature essentielle de la patrie.* »
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Pas plus que la France ne commence en 1789, la France n'a commencé en 987. Saint Martin, sainte Clotilde, sainte Geneviève sont bien des saints de France. Et saint Éloi, à qui remonte en substance la devise française par excellence, celle qui exprime l'âme politique de la France, la devise : travail-famille-patrie.
Ce n'est pas diminuer les premiers Capétiens, bien au contraire, que de rappeler qu'ils sont -- déjà -- des héritiers ; les héritiers d'une France gallo-romaine et chrétienne, d'une France déjà fille aînée de l'Église, d'une France pour la défense de laquelle la famille d'Hugues Capet se battait au premier rang depuis un siècle, une famille qui avait déjà régné, en alternance avec les derniers Carolingiens.
Mais la France allait disparaître.
Elle approchait d'un point de décomposition qui serait devenu irréversible sans Hugues Capet : et ses successeurs. Il n'y a jamais rien d'irréversible, direz-vous ? Non ; en histoire il n'y a jamais rien d'irréversible, sauf la mort. Et les nations aussi peuvent mourir.
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Voyez, toutes les nations contemporaines de la venue sur la terre de Notre-Seigneur Jésus-Christ ont disparu ; à une exception près, elles ont toutes disparu en tant que nations. La France n'est pas immortelle par nature ; les Français peuvent la tuer, ils peuvent aussi la laisser mourir, et d'abord dans leur cœur. Mais les premiers Capétiens ont *recommencé* la France. Ils ne l'ont pas commencée. Ils l'ont recommencée. Et alors tout devient possible. Tout redevient possible. Dans les angoisses, dans les misères, dans les désordres, dans les désespoirs de cette fin du X^e^ siècle va naître... la chevalerie !
La France aujourd'hui atteint un degré de déchéance, un degré de décomposition proche de l'irréversible.
Cette génération, la nôtre, la vôtre, tous ensemble, les Français aujourd'hui vivants, nous aurons devant l'histoire la responsabilité d'avoir accepté, ou de n'avoir pas accepté, d'être les derniers des Français.
Il est tard.
Mais avec l'esprit capétien, aujourd'hui, demain, et toujours, la France recommence.
Jean Madiran.
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## Le millénaire capétien
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### La mémoire nationale du sacrifice des rois capétiens
par Jean de Viguerie
« *La leçon d'Hugues Capet : les rois sacrifiés *» : *discours prononcé le dimanche 15 mars 1987 au meeting des Septièmes Journées nationales d'Amitié française et de Chrétienté.*
AUJOURD'HUI nous rendons hommage à la famille qui a si longtemps régné sur la France avec l'accord des Français. Nous voulons célébrer le souvenir de cet accord séculaire, de ce consensus unique dans l'histoire, de ce lien si fort et si mystérieux que nos pères l'appelaient le « mystère de la monarchie ».
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Mais il ne suffit pas de célébrer le miracle. Nous voulons encore essayer de le comprendre. Nous aimerions saisir le secret de la durée capétienne. Comment y parvenir ? Le mieux est de remonter aux origines. Remontons à Hugues Capet. Tentons de nous recueillir et de méditer l'histoire des commencements.
Au début de l'été 987 -- il y a donc près de mille ans -- Hugues Capet est proclamé roi par l'assemblée des grands réunie à Senlis et, quelques jours après (le 3 juillet probablement) sacré roi à Noyon. Ce n'est pas une usurpation. Louis V, le roi carolingien, un tout jeune homme, vient de mourir d'un accident de chasse et ne laisse pas d'enfant.
Le prince proclamé par les grands du royaume est, un puissant seigneur. La « terra Hugonis » -- c'était le nom donné à la principauté de son père Hugues le Grand, et dont lui-même est investi -- couvre toute la France Occidentale entre Seine et Loire. Paris, Orléans, Tours, Angers, Chartres et Beauvais sont à lui. Il possède son domaine propre. Il a ses vassaux, ses fidèles, qui sont les comtes. Les autres princes le révèrent et reconnaissent sa prééminence en sa qualité de « duc des Francs ».
Pourquoi se fait-il proclamer roi ? Qu'est-ce que la royauté ajoute à sa puissance ? En fait rien ou presque rien, si nous parlons de puissance matérielle. De duc il devient roi, de « dux Francorum » « rex Francorum », mais le roi des Francs n'a pas plus de possessions, il n'a pas plus de châteaux, il n'a pas plus de soldats que le duc des Francs.
Rien donc matériellement, mais beaucoup en dignité. Il possède maintenant la « regia dignitas », la dignité royale. Or cette dignité est d'une grande valeur. Elle vaut infiniment plus que toutes les forces matérielles. Depuis les origines de l'humanité la qualité de roi jouit d'un prestige mystérieux. En outre la royauté qui revient à Hugues Capet, au moment où elle lui revient, a un sens véritable, une fonction réelle. Elle est le pouvoir dépositaire de la puissance publique, telle tlue Rome l'avait conçue, le pouvoir garant de l'ordre public. Elle est encore un pouvoir de telle nature que tous les hommes libres du royaume doivent fidélité sous peine de crime à celui qui le détient.
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Elle est enfin un pouvoir sacré, le roi en France étant oint comme les rois de l'Ancien Testament. Depuis la chute de l'Empire Romain, la royauté est le régime politique dominant dans les pays d'Occident. D'où vient cette forme de gouvernement ? Des Barbares et non pas de Rome. La Ville n'avait plus de rois depuis longtemps. La royauté y était proscrite. Le pouvoir impérial romain, s'il était monarchique, n'était pas royal, puisque c'était un pouvoir sans couronne. La royauté que revêt Hugues Capet est donc la royauté barbare, mais elle est aussi la royauté d'Orient, elle est la royauté biblique depuis que le sacre l'a sanctifiée. En 987, depuis deux siècles au moins tous les rois des Francs sont sacrés. Depuis ce temps-là ils ne sont plus des chefs de bandes germaniques, mais des princes serviteurs de l'Éternel, figures des rois de Juda.
Telle est l'éminente dignité de la royauté. Telles sont les raisons pour lesquelles Hugues Capet veut être élu roi, et qui finalement se résument à une seule : la royauté est capable de retenir les fidélités. Depuis longtemps déjà, la société était constituée d'une hiérarchie de fidélités, les hommes se recommandant aux châtelains, les châtelains aux comtes, les comtes aux princes et les princes au roi. Mais au temps de Hugues Capet, ce réseau est en train de se défaire, cette hiérarchie de se morceler. Les petits seigneurs et les comtes veulent être souverains, refusant toute autorité au-dessus d'eux et changeant de fidélité au gré de leurs intérêts. Quelle est la cause de ce désordre ? C'est à la fois l'insécurité et l'impuissance de l'État. Aux invasions normandes ont succédé les guerres continuelles entre les princes et entre les rois. L'État s'avère incapable de restaurer la paix. Chacun ne fait plus confiance qu'à soi-même et à celui dont, de ses propres yeux, il voit la force. Hugues Capet le sait par expérience : ses vassaux se détachent de lui. Il sait que bientôt il ne sera prince que de nom. Il jette alors ses regards sur la royauté. Car c'est le seul pouvoir capable de retenir les fidélités, à cause de sa haute dignité, à cause de son caractère sacré. On peut trahir un prince. On ne trahit pas si facilement un roi. Du moins le pense-t-il. Voilà pourquoi il ceint la couronne. Certes il n'est pas le premier roi de sa famille. Eudes et Robert, ses aïeux, avaient régné.
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Certes la mort de Louis V est une occasion favorable. Le trône est vacant. Toutefois ces raisons ne suffisent pas, n'expliquant pas assez l'acceptation d'Hugues Capet. Eudes et Robert avaient régné, mais d'une royauté mal assise et éphémère. Louis V n'avait pas d'héritier, mais il laissait des parents, l'un d'eux, Charles de Lorraine, prétendant même à la succession. Non, les vraies raisons ne sont pas là. La vraie raison c'est que Hugues Capet a besoin de la royauté. C'est qu'il ne peut pas rester prince sans devenir roi.
Alors, considérant un tel mobile, nous dirons : il agit par intérêt ; il n'agit que pour lui. Peut-être, encore que nous ne puissions l'affirmer. Mais ce que nous savons avec certitude, c'est qu'en acceptant la couronne, il sauve l'ordre public, il sauve l'État. La royauté n'est rien comme puissance matérielle. Mais ce rien est la garantie de l'ordre public. Car l'ordre public n'est pas tellement tributaire de la force de l'État que de sa dignité.
Voici donc Hugues Capet roi. Dès lors, cette dignité royale, justement parce qu'il est conscient de son extrême utilité, et comme s'il voulait à jamais la préserver du déclin, il travaille à la confirmer.
Il la fortifie, par l'hérédité. Les rois de la seconde race avaient déjà pratiqué l'hérédité dynastique selon l'ordre de primogéniture. Hugues Capet l'érige en principe. Il fait sacrer son fils Robert et le désigne ainsi clairement pour sa succession.
Il la confirme par la justice. L'idéal du roi juste avait été formulé sous les Carolingiens, mais sous son règne on le ravive, on le proclame avec éclat. « La justice du roi, écrit un moine, reprenant un canon d'un concile de 829, la justice du roi est de n'opprimer personne par abus de puissance (...), d'être le défenseur des étrangers, des veuves et des orphelins, de réprimer les vols, châtier les adultères (...) défendre les églises, nourrir les pauvres par des aumônes (...) défendre la patrie avec courage et justice contre les ennemis. »
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Enfin il la grandit par le sacre. Ce rite avait déjà une grande importance. Sous Hugues Capet et Robert il devient essentiel. C'est à ce moment là que l'histoire de la sainte Ampoule renfermant l'huile sainte miraculeusement envoyée par Dieu à l'évêque Rémi de Reims, trouve droit de cité dans tous les récits de l'histoire des Francs. Et c'est à cette époque également que le roi des Francs devient un roi thaumaturge. Nous ne savons pas si Hugues Capet touchait les malades, mais nous le savons de son fils Robert, dont le biographe, le moine Helgaut, écrit « qu'en touchant leurs parties malades et en faisant le signe de la croix, il faisait disparaître leurs infirmités ». Ni les Mérovingiens, ni les Carolingiens n'avaient guéri les malades. Cela était réservé aux Capétiens, seuls rois thaumaturges de tous les temps.
Par le sacre un lien s'établit entre la politique et la religion, entre la nature et la surnature. Au sacre Hugues Capet a promis la justice à son peuple. « Je promets, a-t-il dit, de concéder de notre autorité au peuple qui nous est confié, une justice selon ses droits. » Une telle promesse est un acte politique, et la justice ainsi promise ressort de la politique naturelle, ne faisant qu'exprimer le principe de tout État digne de ce nom. Car une telle justice n'est que cette « nécessité sociale » dont parle Aristote. « La justice, dit le Stagirite, est une nécessité sociale, car le droit est la règle de l'association politique. » Seulement cette promesse que fait le roi, est jurée à Dieu. Elle est aussi un serment, et « le plus beau serment qui se puisse faire » selon les anciens jurisconsultes. C'est devant l'autel et entre les mains de l'archevêque Adalbéron de Reims, que le roi a promis. De sorte que de sa promesse il doit raison à Dieu, et que, s'il est bien « débiteur de justice » envers les Français ses sujets, c'est à Dieu qu'il rend compte de l'acquittement de sa dette. La foi jurée, tel est le lien par lequel la royauté française, dès ses origines, s'est reliée à Dieu. Le pouvoir n'est que politique, mais le roi est chrétien.
Ce n'est pas tout. Le sacre fortifie le roi, lui donnant par l'onction la grâce et la vertu d'être roi. Car le roi des Francs est un nouveau Saül, un nouveau David, et son cœur est changé par le sacre. A propos de l'onction de Saül, il est dit au livre saint que « Dieu lui changea le cœur ». Le sacre de David est raconté ainsi : « Samuel prit la corne d'huile et l'oignit au milieu de ses frères. L'esprit de Iahveh s'empara de David ce jour-là. » ([^2])
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Nous ne savons que bien peu de choses de la personnalité morale d'Hugues Capet, mais le peu que nous savons lui est favorable. Avant son élection -- est-ce sa vocation royale ? -- il est fidèle à Lothaire et à Louis V ses souverains. Après son élection -- est-ce la vertu du sacre ? -- il donne au moins deux preuves d'une belle sagesse. Il réforme les monastères et gouverne par conseil. Il réforme les monastères et en cela complaît à son ami Mayeul, le grand abbé de Cluny. Grâce à lui le renouveau de l'observance monastique gagne Marmoutier, Saint-Maur-des-Fossés, Saint-Denis, et la salutaire influence clunisienne se répand dans tout le royaume. C'est une chose remarquable que cette coïncidence entre l'ascension des Capétiens et l'élévation de Cluny. Une tradition est fondée. La plupart des successeurs d'Hugues Capet veilleront sur les cloîtres, comme si la perfection de la vie contemplative importait au salut de l'État. Quant à l'esprit de conseil, maint témoignage nous en est donné. Citons le roi lui-même. Dans une lettre de 987 adressée à l'archevêque de Sens il écrit : « Ne voulant en rien abuser de la puissance royale, nous décidons de toutes les affaires de la Respublica en recourant au conseil et sentence de nos fidèles. » Il établit ainsi cet usage que l'on verra durer autant que la monarchie et qui préviendra toujours la tyrannie.
Nous sera-t-il permis maintenant, au moment d'achever cette brève évocation, de sortir des limites imposées par la pauvreté des textes et de parler intuitivement ? Il nous semble discerner chez Hugues Capet la présence, bien que floue encore et inexprimée, de l'idéal de sacrifice. Chez lui en effet nulle convoitise et rien qu'une acceptation. Après lui, ceux de sa descendance prendront peu à peu la claire conscience de leur mission de rois donnés, donnés au royaume, donnés au « public » selon leur mot. Très tôt ils refuseront de vivre autrement qu'en public, travaillant en public, se levant et se couchant en public, naissant et mourant à la face du peuple, « appartenant au public », ainsi que le dira Louis XIV.
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Ce sera le signe de leur abnégation. Ce sera un signe manifeste. Néanmoins le sens profond d'un si grand idéal demeurera longtemps caché. Il ne sera vraiment révélé que par la mort héroïque de Louis XVI s'offrant en victime innocente.
Or -- et je ne pense pas ici forcer l'histoire -- il y a une ressemblance étrange entre Hugues Capet et celui que la Révolution -- par intention dérisoire, mais avec un singulier à-propos -- appellera Louis Capet. Ni l'un ni l'autre n'ont convoité la royauté. L'un et l'autre ont été dignes dans leur vie et simples dans leurs mœurs. L'un et l'autre ont senti la fragilité de l'association politique et combien il était facile qu'elle fut dénaturée et divertie de son sens, et qu'il n'y avait qu'un moyen de la sauver et qui était de se faire, selon le mot si émouvant de Louis XVI, un « système de sacrifice ».
Mais revenons au fondateur. Revenons à ces temps lointains où le destin de la nation se décidait. Mystérieux Hugues Capet ! Que savons-nous de lui ? Presque rien. Et d'ailleurs qu'a-t-il fait ? Il n'a fait qu'accepter et confirmer la royauté. Il ne fut ni grand chef de guerre, ni grand législateur, ni grand constructeur d'églises ou de palais. Finalement il n'est que roi. Rien ne nous masque sa royauté.
Aujourd'hui l'ancienne royauté n'est plus. Mais son souvenir demeure vivace et son prestige grandit avec les années. Les régimes issus de la Révolution auraient voulu qu'elle soit toujours tenue en abomination. Que d'efforts n'ont-ils pas déployé pour cela ? Mais ils ont échoué. En témoigne l'extraordinaire empressement des Français à commémorer le Millénaire. En témoigne votre assemblée. Pourquoi une telle faveur ? Est-ce la magie des insignes royaux ? Est-ce l'attrait de la « regia dignitas » ? Est-ce la vénération ancestrale pour le « sang de France » ? C'est tout cela sans doute, mais c'est aussi plus que cela. C'est l'hommage d'un peuple à la mémoire du sacrifice. C'est la reconnaissance nationale à l'égard des rois sacrifiés.
Jean de Viguerie.
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### L'alliance suisse
par Roger Lovey
*L'alliance entre la Couronne de France et les Cantons du Corps Helvétique : discours* *prononcé par Roger Lovey le samedi 14 mars aux Septièmes Journées nationales d'Amitié française et de Chrétienté.*
JE VOUDRAIS TOUT D'ABORD remercier mon ami Bernard Antony et, à travers lui, le CENTRE HENRI CHARLIER pour l'invitation qu'ils m'ont adressée.
En même temps qu'un très grand honneur, j'ai ressenti une profonde joie à la perspective de vivre avec vous ces Septièmes Journées d'Amitié française.
Ces Journées, vous avez voulu les dédier au millénaire capétien ; vous avez décidé d'en faire, selon les termes de Jean Madiran, *un acte public de piété nationale* envers ce que fut la France capétienne. Vous voulez rendre un culte d'honneur, dans un esprit de piété filiale, nationale et chrétienne, à la mémoire de ces quarante rois, à la mémoire de cette monarchie qui fut, selon le mot de Jean Madiran encore, « consubstantielle à tout ce qui fit de la France ce qu'elle a été quand elle se trouvait au premier rang des nations ».
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Il semblerait dès lors qu'un étranger ne puisse assister à une telle célébration qu'en tant que spectateur, spectateur ami sans doute, mais spectateur seulement.
Mais quand cet étranger est Suisse, il lui faudrait faire preuve d'une terrible amnésie pour ne se trouver aucun motif de s'associer à ce tribut d'hommage et de reconnaissance. Il lui suffirait déjà de se souvenir qu'après la Réforme, au moment où les guerres religieuses apparaissaient inévitables, c'est grâce à la France, comme l'écrit notre historien bernois Richard Feller « *que la haine religieuse n'eut chez nous que de rares déchaînements, lesquels, quoique violents, n'eurent que peu de durée... L'alliance française développa à cette époque les meilleurs effets. Ce fut l'un des rares facteurs de cohésion qui maintinrent l'ancienne Confédération* »*.*
J'ai parlé d'alliance. Sait-on assez, dans votre pays comme dans le mien, ce que fut cette alliance entre la Couronne et les « Louables Cantons du Corps Helvétique » comme on disait alors ?
La première alliance offensive et défensive remonte à Charles VII en 1453. Elle ne sera pas renouvelée en 1510. Mais, au lendemain de Marignan, François I^er^ sut se montrer assez habile pour amener les Suisses à conclure avec lui un traité de paix « *en amitié durable et perpétuelle* »*.* Ce traité signé en 1516 sera complété en 1521 par une alliance qui se maintiendra sans faille jusqu'en 1792, soit pendant la durée exceptionnelle de 271 ans.
Par cette alliance (et ce terme collectif rassemble dans son accolade non moins de 46 accords et traités entre la Couronne de France et les Suisses), le Corps Helvétique se trouvait protégé par l'un des plus puissants souverains du monde ; la France voyait sa frontière orientale partiellement couverte contre toute tentative d'invasion et le Roi pouvait recruter, dans une inépuisable pépinière, des officiers de grande valeur et d'excellentes troupes.
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Cette alliance de 1521 ouvre une nouvelle période de l'histoire du service suisse à l'étranger : il est en effet mis fin à l'enrôlement de mercenaires isolés et ce seront dès lors des corps constitués, des compagnies régulières, des régiments qui seront levés et recrutés par les Cantons et sous leur contrôle pour être mis au service du Roi très chrétien.
Si c'est en 1497 que Charles VIII créa la compagnie des Cent-Suisses chargée depuis lors de la protection du Roi et de la garde de son palais, il faut attendre 1616 pour assister à la constitution du premier régiment permanent, celui des Gardes Suisses, appartenant avec celui des Gardes françaises, à la Maison militaire du Roi ; jusqu'en 1616 les troupes étaient levées selon les besoins et pour un temps déterminé ; la paix conclue, elles rentraient dans leur pays. Ce système dura jusqu'à Louis XIV : tous les régiments (douze au total avec un effectif de 2.400 à 2.500 hommes chacun) devinrent dès lors, comme celui des Gardes, permanents.
Ces régiments, même celui des Gardes Suisses, avaient le privilège unique, dont ne jouissaient pas les autres corps étrangers de l'Armée royale, d'être exterritorialisés et de servir sous leurs propres drapeaux. La Diète helvétique s'était réservée le droit de les rappeler en tout temps et même de leur interdire de prendre part à telle ou telle campagne. Ils restaient soumis aux lois de leur pays, chaque régiment ayant son grand juge, le plus important de ces magistrats militaires étant celui des Gardes.
Le serment qu'ils prêtaient était un acte religieux selon la tradition de tous nos anciens pactes : la formule comprenait en fait trois serments : le serment à la nation suisse, au Corps Helvétique, le serment prêté aux supérieurs : c'est proprement le serment au drapeau ; et enfin le serment au roi.
Cette formule est assez belle pour être citée ; la voici : « *Comme nous tenons de Dieu notre être et toute notre substance et que nous ne pouvons rien sans Lui et sans le secours de Sa grâce, nous devons l'avoir toujours présent à nos yeux. Il doit être le but principal de nos services et l'unique objet de nos adorations.*
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*Vous jurez devant Dieu, par le Christ notre Seigneur, de conserver l'honneur de la nation suisse, d'avoir sans cesse devant les yeux sa gloire et son avantage, d'être obéissants et fidèles au Corps Helvétique, à vos supérieurs, à Sa Majesté le roi de France et de Navarre que vous servirez loyalement, de toutes vos forces, tant que votre serment vous attachera à son service.* »
L'ampleur de ce service de France résultera de quelques chiffres. Si l'on compte les régiments au service de Louis XVIII et de Charles X, les Cantons Suisses, dont le mien, ont fourni au service de France, plus exactement au service du Roi de France, plus d'un million de soldats entre 1516 et 1830.
François I^er^ en a eu 163.000 à son service ; Henri IV 50.000 ; Louis XIII 54.000 ; Louis XIV 120.000. Vingt-trois régiments des Cantons prirent part à la Guerre de trente ans et 39 régiments à celle de sept ans. Et le nombre de nos morts s'élève à 600.000.
Pour cette période de votre histoire qui s'étend sur quatre siècles, il n'est pas une bataille où nos pères n'aient eu leur part, décisive quelquefois, et qui ne fasse partie aussi de notre histoire. Une histoire, il est vrai, que ne reflète pas l'enseignement officiel pas plus que votre enseignement officiel ne reflète la véritable et magnifique histoire de votre si beau pays.
C'est l'un de vos historiens, d'Orliac, qui pouvait écrire que les Suisses étaient entrés dans l'histoire de France, qu'ils avaient cessé d'être des étrangers « *tant leur gloire et leurs morts mêlés à nos gloires et à nos morts les confondaient dans une même histoire* »*.*
C'est qu'en effet, comme l'écrit Alfred de Vigny dans « Servitude et grandeur militaire »* :* « *La parole, qui trop souvent n'est qu'un mot pour l'homme de haute politique, devient un fait terrible pour l'homme d'armes, ce que l'un dit légèrement, ou avec perfidie, l'autre l'écrit sur la poussière avec son sang.* »
Louis XVI et les Cantons avaient renouvelé l'alliance le 25 août 1777. Quand, à la fin de 1788, toute l'Europe voyait venir l'orage et suivait avec anxiété, intérêt ou sympathie ce qui se passait en France, les Cantons suisses écrivirent à leurs soldats : « *Votre conduite est toute tracée, vous avez prêté serment au roi, ne l'abandonnez pas.* »
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Un régiment pourtant allait ternir l'honneur de son drapeau : celui de Châteaurieux cantonné à Nancy. S'étant laissés séduire par les brochures, par les journaux, par les harangues des tribuns enflammés et par l'exemple de leurs camarades français des deux autres corps, ils se révoltèrent contre les officiers qu'ils désarmèrent et emprisonnèrent. Deux autres régiments suisses, Vigier et Castella, firent immédiatement route vers eux et bientôt un combat terrible s'engagea au cours duquel une grande partie des révoltés de Châteaurieux furent tués ou faits prisonniers. Quelques jours plus tard un conseil de guerre assemblé à Nancy sur la place Stanislas, composé d'officiers des trois régiments, rendit une sentence aussi prompte que rigoureuse : 23 accusés furent condamnés à mort, 41 à trente ans de galère et 74 remis à leurs chefs pour être punis disciplinairement. Le jugement fut exécuté sur-le-champ.
Une année plus tard, l'Assemblée nationale décide d'écrire aux Cantons pour demander la grâce des 41 soldats condamnés aux galères. La réponse vint le 26 septembre 1791 : « *Les crimes dont les soldats de Châteaurieux se sont rendus coupables sont tellement graves, ils portent tellement atteinte à la fidélité inviolable avec laquelle les soldats suisses ont servi jusqu'alors et à la réputation nationale, leur révolte est si criminelle qu'ils ont dû être condamnés suivant les lois du pays, les uns à mort, les autres aux galères ; cet exemple a été regardé comme nécessaire, en égard aux circonstances actuelles pour le maintien de la discipline militaire.* »
Cette réponse mécontenta les députés qui décidèrent de passer outre et d'absoudre les condamnés qui furent même admis aux honneurs de la séance où Collot d'Herbois fit leur panégyrique. Les Suisses portaient le bonnet rouge du bagne de Brest : à l'instant, les Jacobins se souvenant du bonnet phrygien, adoptèrent cette coiffure comme emblème de la Révolution.
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La conduite de ces malheureux soldats égarés souleva en Suisse l'indignation générale. En réponse à l'Assemblée nationale, les gouvernements helvétiques déclarèrent ces soldats « *traîtres à la patrie, infâmes et bannis à perpétuité des Cantons* »*.*
A ce malheureux exemple allait répondre celui du régiment des Gardes Suisses. Le 6 août 1792, un soldat suisse écrivait à ses parents : « *Pauvres princes, comme ils sont malheureux ! Si ma vie pouvait suffire pour remettre le calme et rétablir cette infortunée famille sur laquelle je pleure, le Ciel m'est témoin qu'elle ne me coûterait pas un soupir. Je la donnerais de grand cœur.* »
Le 10 août son vœu se réalisa. Comme ils avaient juré de le faire, plus de 600 officiers et soldats ne rendirent leurs armes qu'avec leur vie. Deux cent quarante-six autres qui avaient suivi le roi à l'Assemblée déposèrent les armes sur son ordre écrit ; ils seront massacrés le 10 septembre de façon ignoble, après un simulacre de procès. Les corps des Suisses seront enterrés dans les cimetières de la Madeleine et du Roule. Le 21 janvier 1793, on déposa le corps de Louis XVI à côté de ceux qui étaient morts pour lui. La Convention pensait insulter encore la Majesté royale en lui faisant l'ignominie de la fosse commune ; elle oubliait, écrit l'historien français Fieffe, que les héros qui avaient succombé aux Tuileries pour la cause du fils de saint Louis étaient aussi des martyrs que la grandeur de leur dévouement avait élevés jusqu'à lui. (*Histoire des troupes étrangères au service de France,* I, p. 391.)
Le 7 août, pour affaiblir le régiment des Gardes, un détachement de 300 hommes fut envoyé en Normandie sous le prétexte d'escorter un convoi de grains. Louis XVI ne s'était pas opposé à cet affaiblissement. Lorsqu'ils apprirent le massacre du 10 août, une partie des hommes prirent le chemin de leurs Cantons, mais 120 d'entre eux s'engageront dans l'armée vendéenne : « *Ils étaient affamés de vengeance et se battaient comme des héros...* » raconte Mme de la Rochejaquelein dans ses mémoires.
Ils périrent tous au combat.
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Comme l'écrit l'historien De Vallière : « *L'alliance franco-suisse aurait pu n'être qu'un contrat entre deux États : celui qui fournissait les soldats et celui qui les embauchait. Les Suisses y ajoutèrent la part du cœur : ils en firent un motif d'héroïsme et d'honneur. Leur respect religieux des traités transforma cette union de quatre siècles en épopée. Ce ne fut pas une alliance d'intérêts, ce fut une collaboration de gloire entre la Suisse et la France et rien ne pourra jamais en obscurcir le rayonnement, en ternir l'éclat. Émulation de bravoure, contagion de l'exemple, fraternité des armes, volupté de servir, de se donner, de s'oublier.* » (p. 752)
De cette part du cœur que les Suisses donnèrent à la monarchie, Louis Veuillot en donne un exemple dans ses « Pèlerinages de Suisse » parus en 1839. Ayant rencontré près de Fribourg un « homme du peuple, gai, solide et avenant », et ayant appris qu'il avait servi aux Tuileries, Louis Veuillot lui demande s'il regrette encore ce service :
« *-- Toujours, répondit-il ; c'est un si beau pays que la France !*
*-- La Suisse aussi est un beau pays.*
*-- Oui, on peut dire qu'il est beau à force d'être laid. Mais quand je me promenais dans* notre *jardin... je me trouvais mieux sous les marronniers qu'aujourd'hui sous les sapins. Enfin, à la grâce de Dieu ! J'y reviendrai peut-être un jour avec nos princes. Qu'en pensez-vous, Monsieur ?*
*-- Tout est possible, mais ce que vous souhaitez ne me semble ni facile, ni probable.*
*-- C'est égal. Si le duc de Bordeaux était sur le Rhin, je laisserais tout ; j'irais le rejoindre. D'abord, moi j'aime cette famille, voyez-vous. Que ce soit raisonnable ou non, c'est plus fort que moi, c'est dans le sang.* »
Et Gonzague de Reynold, lors de la préparation de ses Mémoires, en 1958, interroge un compatriote qui lui écrit les souvenirs de sa famille et termine par ces mots : « *Et voilà, j'en arrive à répondre à votre question qui n'est pas du tout indiscrète. Démocrate en Suisse je fus même député radical une période législative -- je serais royaliste en France, car selon le mot consacré, j'ai les fleurs de lys gravées dans le cœur. Je serais volontiers* « *Chouan* » *et légitimiste. Hélas ! le drapeau blanc enveloppe la dépouille mortelle du comte de Chambord à Gôritz.* » (p. 60 + I)
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Et Gonzague de Reynold enchaîne : « *J'ai tenu à citer ce témoignage pour la raison que voici : Il ne faut jamais porter atteinte à la fidélité d'un peuple, jamais lui enlever ses souvenirs : c'est trop grave. Ce qui importe, c'est la vertu de fidélité elle-même, qui n'existe que lorsqu'on se souvient. Et la vertu d'honneur, sa sœur jumelle. Et leur mère à toutes deux, la vertu de piété que les anciens se représentaient comme une femme voilée brûlant de l'encens sur un autel. Lorsque je pense à cette famille des Yerly -- c'est le nom de son correspondant -- je vois en elle un pilotis solidement enfoncé dans cette fange collective où se décompose, se pourrit et se liquéfie notre civilisation. Ce n'est que sur de tels pilotis que l'on pourra reconstruire. Il est vrai qu'on fait tout pour en arracher les derniers, même quand on se dit conservateur. Mais Joseph Yerly ne se laissera pas arracher, lui.* »
Vertu d'honneur et vertu de fidélité, filles de la vertu de piété.
Charles X abdiqua le 2 août 1830 et délia les Suisses de leur serment. Les six régiments, rassemblés à Besançon, rentrèrent en Suisse. Mais sept mois plus tard, par décret du 10 mars 1831, Louis-Philippe institua la Légion étrangère pour conserver à la France quelques centaines de Suisses. Les trois premiers bataillons se composèrent entièrement de Confédérés. Depuis sa fondation, plus de 50.000 de mes compatriotes ont servi dans ce corps illustre dont 14.000 engagés volontaires au cours de la guerre 14-18 où plus de 8.000 sont tombés. Le régiment de marche de la Légion, entièrement composé de Suisses dès l'automne 1916, reçut la plus haute distinction de l'armée française : la Croix de la Légion d'honneur au drapeau. Citée sept fois à l'ordre de l'armée, la Croix de guerre a été attachée six fois à leur drapeau et la Médaille militaire acheva de rendre célèbre cet « *héroïque régiment que son amour pour la France et sa bravoure légendaire ont placé au premier rang.* » (citation de 1919)
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Comme l'écrit De Vallière déjà cité : « *Il existe entre les peuples des affinités qui les font se rencontrer sur les routes de l'histoire. Ce n'est pas par hasard que les drapeaux de la Légion étrangère portent, depuis 1918, la devise des anciens régiments suisses de France :* « HONNEUR ET FIDÉLITÉ ».
J'en ai terminé avec ce qui aura pu vous paraître une digression inopportune dans le cadre de vos solennités. Ma seule excuse serait en ce cas d'avoir peut-être cédé trop vite à l'amitié qui me suggérait d'évoquer ce que je viens brièvement de rappeler.
C'était cependant l'occasion de dire quels liens profonds ont uni notre peuple à votre monarchie et par elle à votre pays.
En préparant ces quelques mots que j'étais invité à vous adresser, je n'ai pu m'empêcher de constater ce fait : ce quinzième siècle qui vit conclure la première alliance entre la Couronne de France et le Corps Helvétique fut aussi celui qui vit naître, en son début et à cinq ans de distance les deux grands saints du patriotisme : sainte Jeanne d'Arc et saint Nicolas de Flüe. Leur mission fut identique : sauver leur peuple non seulement de la mort politique mais surtout de la mort spirituelle. Jeanne et Nicolas ont aimé leur patrie en Dieu parce que l'amour de la patrie est un devoir marqué par le 4^e^ commandement et parce qu'aux yeux du chrétien la patrie est l'image terrestre et partielle de la communion des saints.
Que ces deux grands saints nous apprennent à aimer nos patries et qu'ils nous aident à les secourir.
Roger Lovey.
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### Une croisade du courage
par l'abbé François Pozzetto
*Sermon prononcé par l'abbé François Pozzetto le dimanche 15 mars, à la grand messe* *des Septièmes Journées nationales d'Amitié française et de Chrétienté.*
« *Bonum est nos hic esse* »
« *Seigneur, il nous est bon d'être ici.* »
MES FRÈRES, mes chers amis, à vous tous qui avez fait l'effort d'être ici ce matin, je me permets de redire la parole que saint Pierre adresse à Notre-Seigneur sur le Thabor : « *Seigneur, il nous est bon d'être ici* »*.* Il nous est bon, au milieu des ruines qui nous entourent, en face de l'impiété de tant de nos contemporains de nous retrouver si nombreux, en famille, pour ces Septièmes Journées nationales d'Amitié française et de Chrétienté.
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Il nous a été bon hier, il nous sera bon tout au long de cette journée, de nous rencontrer, de nous conforter, de nous encourager. Il nous a été bon hier soir, il nous le sera cet après-midi, d'entendre les auteurs nous parler de la France que nous aimons, nous redire que cette France c'est la nôtre, que cette France nous voulons la reconstruire et la transmettre, comme un précieux héritage à nos enfants.
C'est avant tout, mes frères, cette reconstruction que je veux évoquer ce matin, laissant aux historiens et aux juristes le soin de nous parler de la France à bâtir il y a mille ans et même plus. Cependant, comment tous ensemble, au cours de cette messe, ne pas faire monter vers la T.S. Trinité, par Marie, un hymne d'action de grâces pour les bienfaits accordés par Dieu à notre patrie. Notre devoir est celui aujourd'hui de la piété. Sachons remercier Dieu d'avoir permis tout d'abord que la foi catholique soit transmise si tôt en Gaule par ceux et celles qui avaient connu Notre-Seigneur. Comment oublierions-nous le sang des premiers martyrs de Lyon et de Vienne qui arrosa notre patrie et fût une semence de christianisme inégalable ? C'est aux fonts baptismaux de Reims qu'en 496 la France est baptisée. Bientôt, dans neuf ans, et nous voulons nous y préparer solennellement par la prière, la piété et la pénitence, nous fêterons le quinze centième anniversaire de ce baptême.
Aujourd'hui aussi nous remercions la divine Providence pour le millénaire capétien, pour ces rois qui ont été eux-mêmes des héritiers... pour ces rois qui ont partagé, agrandi, fait fructifier l'héritage.
Cependant, mes frères, avec Henri Pourrat, avec Dom Gérard hier, magnifiquement, je n'hésiterais pas à affirmer ce matin : « *L'histoire de France aurait pu faire l'économie de beaucoup de généraux, de rois et de ministres :* elle n'aurait pas pu se passer de ses saints. »
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Nos saints de France, oui, nos compagnons du Ciel qui furent un jour les héritiers de notre pays, je pense à tant d'entre eux ce matin : un saint Hilaire ou un saint Martin, un saint Éloi, un saint Olidon ou un saint Odon, un saint Bernard ou un saint Louis, une Jeanne d'Arc, un saint François de Sales, un saint Vincent de Paul, un saint Louis-Marie Grignion de Montfort, un saint Jean Marie Vianney, une Bernadette de Lourdes, une Thérèse de l'Enfant Jésus, un Père de Foucauld, de qui, répondez-moi, la France aurait-elle pu se passer ? Que serions-nous, qui serions-nous sans cette immense chaîne de sainteté qui a bien sûr accompagné l'âme des Capétiens mais l'a précédé et, soit la suivra, soit contribuera à sa restauration ?
Comment pourrions-nous contester que sans une sainte Clotilde auprès de Clovis, un saint Louis au milieu de rois qui ne furent pas tous aussi chrétiens, sans une sainte Jeanne d'Arc pour bouter l'ennemi hors de France, notre pays, celui que nous aimons, celui dont nous voulons retrouver le visage, défiguré par la Révolution, la face meurtrie par tant de malheurs, oui, notre pays que serait-il ? Le millénaire capétien doit être pour nous l'occasion de nous souvenir que l'histoire de France est liée à celle de la sainteté. Quelle leçon pour nous qui voulons contribuer à reconstruire la France ? Nous ne ferons pas plus que par le passé l'économie de la sainteté ! La France que nous avons d'abord à restaurer est celle de la présence de Dieu, celle d'une vie chrétienne authentique, conquérante et joyeuse. Voilà pourquoi, au CENTRE CHARLIER et avec tant de nos amis ici présents, nous croyons à beaucoup de formes d'action pour résister et reconquérir, mais pourquoi nous croyons d'abord et essentiellement à l'efficacité d'une vraie prière comme celle de nos pères. Cette prière, entre autres expressions, à la Pentecôte prochaine, retentira encore, forte parce que pleine d'Espérance, sur la route entre Notre-Dame de Paris et Notre-Dame de Chartres où nous espérons nous retrouver tous avec tous nos amis, très nombreux pour que France, pour que Chrétienté continuent. Par piété et par amour de la sainteté qui a fait la France nous avons choisi de célébrer la messe que tous les saints de France ont célébrée, nous avons choisi, au CENTRE CHARLIER et avec tant d'amis ici présents, de défendre cette messe, de la garder et, puisque c'est déjà commencé, de rendre à la liturgie de notre tradition nos églises, nos chapelles et demain nos cathédrales.
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Je ne puis que vous encourager à cela et vous féliciter. Ne serions-nous pas téméraires d'aller chercher ailleurs que dans cette liturgie multiséculaire de l'Église l'aliment dont nos âmes ont besoin ?
Parce que nous savons aussi que l'histoire de la France c'est celle du sacerdoce fidèle, je pense dans les derniers siècles aux prêtres martyrs héroïques de la Révolution, au saint Curé d'Ars, à Charles de Foucauld... pour cela nous nous sommes tournés vers l'évêque qui a su dire non à l'autodémolition pas seulement par de fortes paroles, mais en donnant à l'Église et à la France des prêtres... Je parle bien évidemment de celui à qui nous devons tant dans cette époque de troubles : Son Excellence Mgr Marcel Lefebvre.
Et parce que nous savons que la France s'est construite autour de ses abbayes et de ses monastères nous sommes heureux aujourd'hui d'offrir le produit de la quête de cette messe qui je l'espère sera très généreux au monastère bénédictin du Barroux, celui du R. Père Dom Gérard, ce monastère qui est déjà devenu pour combien un phare, celui où le CENTRE CHARLIER et CHRÉTIENTÉ-SOLIDARITÉ ont choisi régulièrement de refaire leurs forces spirituelles.
Aussi, mes frères, à tous les saints que nous fêtons aujourd'hui ensemble car ils font partie intégrante de notre histoire, de nos Journées d'Amitié française, nous demandons la sainteté et tous les moyens pour être et demeurer des saints : la messe à laquelle nous avons droit, le sacerdoce authentique, la prière telle qu'elle a fleuri sur notre terre de France, la vie religieuse témoin de la bonté de Dieu pour les hommes.
Nous demandons toutes ces grâces à Dieu mais lui demandons plus. Nous le supplions de nous accorder une sainteté conquérante. Nous avons besoin de nos moines, nous avons besoin de nos prêtres, mais, mes frères, croyez-moi, nous avons besoin aussi de croisés. Car il s'agit bien d'une nouvelle croisade à mener. Le cardinal Pie dans son magnifique panégyrique de saint Louis proclamait déjà au siècle dernier :
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« *Nous n'en sortirons que par une croisade que je prêche à tous mes concitoyens sans distinction : la croisade du courage chrétien, croisade de retour à la foi de nos pères, à la religion de saint Louis. Le salut et l'honneur de notre société le commandent. Au milieu de nos divisions, nous n'avons qu'un signe de ralliement, l'étendard de nos ancêtres, c'est-à-dire la Croix de Jésus-Christ.* »
Une croisade du courage ? Pourquoi, me demandez-vous peut-être ? Une croisade du courage pour nous battre jusqu'à la mort s'il le faut pour défendre l'honneur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de sa Mère, de l'Église et de la France. Oui ! nous devons lutter jusqu'au bout pour remporter la victoire, pour reprendre à nos ennemis le pouvoir, pour transmettre à nos enfants l'héritage transmis par nos aïeux.
Nous demandons donc aujourd'hui la sainteté, le courage et la victoire. Écoutez encore ce que Charles Péguy nous enseigne pour courir à la victoire :
« Demander la victoire et n'avoir pas envie de se battre, je trouve que c'est mal élevé.
« Les croisés, entre tous (autres) saint Louis, qui faisaient une guerre sainte, qui se battaient littéralement pour le corps de Dieu, pour le temporel de Dieu, puisqu'ils se battaient pour le recouvrement du tombeau de Jésus-Christ, ne s'y fiaient pourtant pas. Ils ne priaient pas comme des oies, qui attendent la pâtée. Ils priaient mieux que nous, et ensuite, et si je puis dire en exécution de leur prière, et presque déjà en couronnement de leur prière, *ils se battaient, eux-mêmes, tant qu'ils pouvaient, de tout leur corps, et eux-mêmes de tout leur temporel.* Car dans le temporel et pour la conquête du temporel il faut aussi engager le temporel. *Aide-toi, le ciel t'aidera,* ce n'est pas seulement un proverbe, de chez nous, et une fable de La Fontaine, *c'est une théologie, et l'ordre de marche, et la forme même du commandement.* Et la seule théologie qui soit orthodoxe. Les autres seraient hérétiques.
« Pareillement Jeanne d'Arc qui assurément ne fit pas la guerre sainte mais qui certainement avait pensé à la guerre sainte, à une continuation et au couronnement de la croisade, et qui fit non seulement une guerre sacrée mais une guerre de vocation, et de vocation propre, une guerre à elle personnellement et formellement commandée.
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Et pourtant ces gens-là priaient mieux que nous. Mais quand ils avaient prié ils bouclaient leur ceinturon, pour le couronnement même de leur prière et aussi obéissaient ainsi à la loi de travail. »
Mes frères, mes bien chers amis, je vous souhaite, à l'occasion de ce millénaire capétien, et les yeux déjà tournés vers le 1.500^e^ anniversaire du baptême de la France, la sainteté et le courage de ceux qui ont fait la France. Réalisant notre faiblesse sans Notre-Dame de France, je me tourne vers Elle et lui demande à notre nom à tous :
Ô Notre-Dame de France, vous qui avec votre divin Fils, le Roi de France, avez fait la France, donnez-nous à nous qui voulons contribuer à la restaurer la sainteté de nos aïeux et si possible une sainteté encore plus forte car l'ennemi est partout. Ô Notre-Dame de la Sainte-Espérance, convertissez-nous à nouveau sur la route de Chartres qui sera, si vous le voulez, le premier grand acte de préparation au 1.500^e^ anniversaire du baptême de la France.
Ô Notre-Dame de la Sainte-Espérance, vous que nous nous sommes donnée comme chef et guide de la croisade des temps modernes, sachez nous rendre, chaque jour, le courage et l'espérance. Avec vous oh ! Notre-Dame, nous promettons de travailler de tout notre cœur, de toute notre âme et de toutes nos forces à reconstruire la France. Ainsi soit-il.
Abbé François Pozzetto.
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### Héroïsme et sainteté tracent les avenues du Royaume
par Dom Gérard o.s.b.
*Discours prononcé le samedi 14 mars 1987, aux Septièmes Journées nationales* *d'Amitié française et de Chrétienté.*
JE DEMANDE PARDON à ceux que pourrait offusquer la présence d'un moine bénédictin sur une estrade, chose qui contraste violemment avec notre vocation au silence et à la contemplation. Si j'ai accepté de vous parler ce soir dans le cadre des rudes combats temporels qui s'annoncent, c'est parce que nos anciens eux-mêmes, les moines de jadis, nous ont donné l'exemple, en des cas exceptionnels, de participation active au grand effort d'une chrétienté en armes et d'une *Église en clameur.* Mais avant de commencer, demandons au ciel de nous aider à bien parler du ciel. (*Ave, Maria.*)
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On nous demande de parler de la chrétienté, or la chrétienté est chose de la terre, et Jésus a ordonné à ses apôtres de prêcher le Royaume des cieux : *Quand vous entrerez dans une ville, vous direz : Le Royaume de Dieu est proche !* Mais qu'est-ce que la chrétienté, sinon justement une réfraction du Royaume des cieux sur notre terre misérable, sur la vie et sur le destin des hommes ?
Le Royaume de Dieu, c'est la vie éternelle commencée, la vie de prière, la vie de sacrifice, l'union de notre âme avec le Père céleste. Le Royaume de Dieu, c'est l'Église triomphante, mais c'est aussi l'Église ferment, le levain qui fait lever la pâte terrestre de nos patries et de nos cités, en des gestes d'une élégance et d'une beauté auxquelles Dieu nous pardonnera de garder une part secrète de notre amour et de notre gratitude. S'il a existé une civilisation chrétienne et des mœurs de chrétienté, c'est qu'il y a eu des saints, pour qui l'amour de Dieu passait avant l'amour de toutes les choses qui sont sous le ciel. Au procès de Rouen, on demandait à Jeanne si le dimanche elle faisait trêve de guerre : « Oui, répondit la sainte, Messire Dieu premier servi ! » La chrétienté est née de ce fleurissement de la grâce sous le soleil de Dieu. Si nous voulons aider au fleurissement ou au refleurissement d'une certaine expression humaine et surnaturelle qui a produit sur notre sol ces monuments de beauté et de sagesse que nous connaissons, il faut, d'abord et à tout prix, nous mettre en accord avec cette grâce de l'amitié divine. Il faut que nous soyons des saints. Je voudrais appuyer cette affirmation sur la pensée d'un homme politique qui fut un grand observateur de la réalité française, Charles Maurras. Voici ce que disait le vieux lutteur monarchiste :
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« Désintéressement, générosité, fidélité sont les beaux traits généraux et distinctifs des aînés des grandes races royales. Parfois, tout roule un peu par la vitesse acquise (le bienfait de l'institution monarchique pouvant compenser les erreurs ou parfois les indignités du monarque). Mais aux berceaux, aux crises, il faut des bons hommes, il faut des prud'hommes, il faut, je le dis tout à trac, des héros et des saints et peut-être des saints plus que des héros. »
\*\*\*
Analysons rapidement ce que signifie ce recours à la sainteté comme principe constitutif de la civilisation.
Quand nous parlons de sainteté, il va sans dire qu'il ne s'agit pas uniquement de ces êtres d'exception que l'Église choisit pour modèles et qu'elle canonise en vertu d'une référence à certains *canons *; il s'agit de la montée spirituelle d'un peuple entier, sanctifié par les eaux du baptême et convié tout naturellement aux dépassements héroïques du Sermon sur la montagne.
Pour Charles Péguy, qui fut par excellence le poète et, ne craignons pas de le dire, le théologien de la chrétienté, « on n'est pas chrétien parce qu'on a atteint un certain niveau moral, intellectuel et même spirituel. On est chrétien parce qu'on appartient à une race ascendante, à une certaine race mystique, à une race spirituelle et charnelle, temporelle et éternelle, à un certain sang » ([^3]). La tare du présent est que « dans le monde moderne la chrétienté n'est plus un peuple... un immense peuple, une race immense ; le christianisme n'est plus spécialement la religion des couches les plus profondes, une religion populaire, enracinée dans les plus grandes profondeurs même temporelles, la religion de tout un peuple, temporel, éternel » ([^4]).
Nous reconnaissons là l'inspiration d'un grand génie, capable de faire toucher du doigt l'essence même de la chrétienté, qui est d'être soulevée par un courant profond de communion. Communion avec les ancêtres d'une même lignée, communion avec la terre et avec les vivants, par une identité de vocation et de destin ; communion avec les morts de l'Église du Purgatoire et de l'Église du ciel.
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Nous pensons qu'aux âges de remontée spirituelle et de résurrection, les héros et les saints nous sont nécessaires pour tracer les avenues du Royaume, pour rétablir cette communion qui est l'âme de la chrétienté.
Comment le font-ils ? Essentiellement par un souci de vérité et de charité. L'accouplement de ces deux mots, vérité et charité, n'est pas fortuit. Il obéit à une logique profonde. C'est parce que Dieu est tout uniment Lumière et Amour que les hommes de Dieu doivent annoncer le vrai, enseigner les nations, propager la lumière de la foi qui chasse les ténèbres d'une part ; et d'autre part être une vivante image de l'amour.
Mais cette propagation n'est pas une propagande. Elle ne violente pas, elle libère. « La Vérité vous rendra libres », nous dit Notre-Seigneur. L'honneur de l'Occident, dès sa naissance, est de s'être battu pour la Vérité. De croire qu'il y a une vérité en religion, une vérité en politique, en art, en philosophie et en morale. Tertullien, aux tout premiers âges du christianisme, disait : « La vérité n'a point de honte, sinon d'être cachée. » Et Charles Péguy : « Quand on connaît la vérité, il faut la gueuler. » Voici ce qu'André Charlier écrivait aux jeunes gens dont il avait la charge : « Je voudrais vous voir envahis par cette joie immense d'être dans la vérité... et que vous transmettiez ce goût à ceux qui vous entourent... Il n'y a pas de plus grande marque d'amour que d'introduire une âme dans la vérité. » Et de nos jours Alexandre Guinzbourg, le grand dissident de la Russie soviétique, interrogé par ses juges, leur répond : « Je veux bien mourir pour ma patrie, mais il m'est impossible de mentir pour elle. » Voilà une sainte parole. C'est cela, en tout premier lieu, qui sauve les civilisations.
Ce refus du mensonge, qui fait les héros et les saints, ne peut venir que d'un goût profond, d'une soif incoercible de vérité. Honneur aux martyrs qui n'ont pas voulu acheter la vie sauve au prix d'une trahison, au prix d'une petite signature. Ceci suppose évidemment une certaine dose de caractère.
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Combattre la peur qui étreint, braver le ridicule, marcher joyeusement à contre-courant du conformisme et des idées régnantes. Cela peut mener très loin : renoncer au confort, renoncer à l'approbation des hommes, renoncer aux mensonges que la télévision déverse comme une source empoisonnée. Cela peut aller jusqu'au témoignage suprême. Jusqu'au témoignage du sang. Nous sommes les fils des martyrs.
« Mais, comme l'écrit quelque part Paul Claudel, il y a aussi une manière morale, une manière spirituelle de répandre son sang ; et devant le spectacle désolant de tant de cadavres, de tant de demi-cadavres, de tant de malades estropiés autour de nous, je n'ai qu'une chose à dire, c'est qu'il y a des responsabilités, et que contre les responsables je trouve l'indignation de Péguy rafraîchissante. L'épée, cette épée de Fierbois, il me semble que je la vois encore briller à son poing, et devant tant de coups assénés d'une main qui est non seulement une main de soldat mais une main d'ouvrier, je ne puis m'empêcher de trouver qu'il peut arriver à une arme d'être le plus bienfaisant des outils. La grande vertu de Charles Péguy, c'est le courage au service de la foi, c'est le courage dans l'affirmation. »
Ce courage, cette force dans l'affirmation, cette délimitation sourcilleuse entre le vrai et le faux, c'est cela qui fut l'armature intérieure de nos sociétés. C'est ce goût fort pour la vérité qui établit les frontières entre l'obéissance vraie et ce qui en est la caricature : l'obéissance servile, infantile, faite de paresse, de conformisme, de peur de déplaire ; l'obéissance qui tourne le dos à la vérité, l'obéissance immorale à laquelle les évêques voudraient forcer les catholiques de la tradition, parce qu'ils les savent habituellement enclins à l'obéissance et joyeux d'obéir. Mais ce qu'ils nous demandent, nous ne pouvons le leur donner, parce que cette obéissance est une obéissance qui est le contraire de la vérité et le contraire de l'amour.
Je vois poindre ici une objection : ce témoignage, parfois dur et tranchant, ne conduit-il pas au fanatisme ? C'est là précisément que nous avons besoin, au milieu de nous, de la présence des saints.
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Dieu, avons-nous dit, est Lumière et Amour. Alors les saints sont écartelés. Ils sont attachés à la vérité et à la charité. Ils sont l'honneur de l'humanité, non pas seulement parce qu'ils sont les témoins de la lumière dans un monde où tout conspire contre elle, mais parce qu'ils ont été une image vivante, combien douce et aimable, de la charité. « Ils sont, disait saint Grégoire de Nazianze, la face humaine de Dieu. »
Notre religion est la religion de l'amour. Où avez-vous vu ailleurs que chez nous le condamné à mort embrasser son bourreau avant l'exécution ? Où avez-vous vu des hommes de guerre prier pour ceux qui tomberaient sous leurs coups au prochain assaut ? Où avez-vous vu le pardon des offenses fleurir aussi naturellement que sur cette vieille terre pétrie de l'Évangile ?
Le prieur du monastère bénédictin de Tienh-Ann, en Indochine, nous a rapporté le trait suivant. C'était avant le grand assaut des hordes communistes du Viet-Minh, qui ont tout massacré sur leur passage. Dans un village voisin, un jeune homme a été assassiné dans la nuit. Le lendemain, son meurtrier, complice du Viet-Minh, est arrêté par les gens du village. Comme le veut la coutume, il est attaché au pilori sur la place centrale, il restera là tout le jour sous un soleil brûlant devant la foule des villageois qui l'invective. Soudain, une vieille femme s'avance. Stupeur ! Elle s'écrie : « Voulez-vous détacher ce malheureux et lui donner tout de suite un bol de thé : ne voyez-vous pas qu'il meurt de soif ? » Qui est cette femme qui vient de parler ? C'est la mère de la victime, la mère du jeune homme assassiné la veille. Admirable pardon des offenses, expression la plus pure de la charité, présage de la vie future !
Ô Chrétienté, projection de l'Évangile sur nos chemins de terre, de terre ingrate, rocailleuse, boueuse, Chrétienté sans cesse menacée par le déferlement des hordes de l'enfer, menacée plus encore par le péché, la peur, la paresse, la médiocrité ; Chrétienté, terre arrosée de sueur et de sang, toi qui as vu partir les chevaliers des croisades tandis que s'élevaient les murs de nos cathédrales, toi qui as entendu saint Thomas et saint Bonaventure verser leur enseignement en fleuves de lumière dans l'esprit de milliers d'étudiants,
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toi qui as vu naître les coutumes de l'ancienne France, les arts, les métiers, la prière des humbles, le serment de loyauté, les nations unies en une grande famille ; Chrétienté d'hier (ou de demain) fondée sur la foi, qui est l'amour de la lumière, et sur la charité, qui est la lumière de l'amour, nous te jurons fidélité.
Si de grands saints rayonnants ne se lèvent parmi nos frères, c'est peut-être qu'un appel pressant à la sainteté nous est adressé à nous autres, ici et maintenant.
Car « sans le désir de la sainteté en nos pensées et nos actions, un jour ou l'autre, viendra la tentation de prendre des armes de la sottise et de l'iniquité pour soutenir des institutions d'intelligence et de justice et pour autant nous travaillerons à leur ruine » ([^5]).
\*\*\*
Mais cet appel à la sainteté avant d'en faire une exhortation morale, je voudrais lui donner la forme plus haute d'une contemplation admirative de la bonté de Dieu. « O Bonitas ! » s'écrie saint Bruno arrivant dans le désert de Chartreuse. Ô Bonté de Dieu, comment se dérober à votre attraction suave ? On reconnaît ici l'âme médiévale éprise d'admiration pour les vestiges des transcendantaux. A quoi on objectera peut-être que dans un univers de beauté, la contemplation de la Bonté divine est peut-être moins difficile qu'on ne le pense. Assurément, mais louer la Sagesse et la Bonté de Dieu quand on est soi-même sur la croix acquiert une plus haute valeur. Un de nos Pères, volontaire pour être brancardier en 1914, tomba dès les premiers jours, criblé d'éclats d'obus. Il agonisa toute la nuit sans qu'on puisse l'opérer ni le soulager. Mais on ne surprit sur ses lèvres que ces paroles constamment répétées et murmurées comme en un souffle : « Dieu est bon, Dieu est bon... »
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Faut-il redescendre de ces hauteurs sublimes ? J'aimerais vous laisser un moyen pratique de faire régner dans votre vie ce primat de la vérité, c'est la mise en acte fréquente de l'*instinct de la foi.* L'instinct de la foi est une prompte détermination de l'âme qui devance le raisonnement et comme par intuition produit immédiatement son acte avec une sûreté stupéfiante. Les humbles y sont plus portés que les autres car le Saint-Esprit, qui est le *Père des pauvres,* le leur octroie généreusement. Ainsi les prêtres, abandonnés par leurs évêques, qui refusèrent sous la Révolution de prêter serment à la Constitution civile du clergé, le firent bien souvent sans avoir tous les éléments en mains et sans le secours de Rome ; ils sauvèrent l'honneur du catholicisme français.
Aujourd'hui, lorsqu'un prédicateur offense vos convictions nationales ou religieuses, vous sortez de l'église sans balancer une minute ; quant au rite lui-même de la messe en son aspect insolite, il vous rend suspect son contenu avant que vous ayez pu en faire l'analyse. Dans ces deux cas et en bien d'autres, c'est l'instinct de la foi qui a joué.
\*\*\*
Il y a aussi un « instinct de la charité » qui permet, au-delà des apparences souvent contradictoires, de faire confiance à nos frères, de se dévouer pour eux, de les supporter et de leur pardonner. « La gloire de la charité, disait Blanc de Saint Bonnet, c'est de deviner. » On peut reconnaître là une forme exquise de cet art de vivre légué par les anciens, qui permettra de prévenir ou de panser les blessures de nos frères, accablés par 200 ans de luttes fratricides ; capable peut-être de nous refaire une *France fraternelle,* réunissant les hommes comme les fils d'un même Père, en quoi nous voyons germer et se dégager lentement des ombres de la terre, pour notre joie et notre consolation, l'ébauche d'une civilisation chrétienne.
Frère Gérard o.s.b.
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## La bataille de France
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La campagne pour le sursaut national a été lancée par Jean-Marie Le Pen, le 2 avril 1987, dans l'immense salle du « Zénith », porte de Pantin à Paris.
Cette campagne a la volonté d'imposer les mesures nécessaires au renversement du courant de l'invasion : sans quoi la France sera ethniquement submergée.
Imposer ces mesures soit par une pression politique grandissante sur le pouvoir ; soit, s'il le faut et Dieu aidant, en prenant le pouvoir.
Une réforme du Code de la nationalité est indispensable, afin d'en rétablir la juste définition : *sont français ceux qui sont nés de parents français.* L'acquisition de la nationalité française par « naturalisation » doit être limitée, surveillée, méritée.
Cette réforme législative ne suffira évidemment pas au redressement intellectuel, moral et politique de la France. Mais elle est au premier rang des urgences pour la survie de la patrie.
J. M.
Ci-après, l'essentiel des discours prononcés au meeting du « Zénith », le 2 avril 1987, par Georges-Paul Wagner, Bruno Mégret, Jean-Pierre Stirbois et Jean-Marie Le Pen.
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### Pourquoi réformer le Code de la nationalité
par Georges Paul Wagner
*Principaux passages du discours prononcé le 2 avril 1987 au Zénith à Paris, lors du* *meeting du Front national lançant la campagne pour une reforme du Code de la nationalité.*
SI VOUS ÊTES VENUS SI NOMBREUX, ce soir, si vous remplissez, et au-delà, cette salle immense, c'est que vous ressentez, jusqu'à l'angoisse, que, sur le sujet capital de l'immigration, l'État ; qui devrait être le protecteur et le défenseur naturel de ses nationaux, ne remplit pas son devoir. Il le remplace par des rodomontades ou des mensonges. C'est que vous savez, sur la question différente, mais connexe, du Code de la nationalité, que le gouvernement se refuse à faire ce qu'il avait dit qu'il ferait. Il remplace ses promesses par des reculades.
56:313
Nous disons que le gouvernement ne fait pas son devoir sur l'immigration. Il prétend qu'il la refoule, quand elle est clandestine. Il annonce que, cette année douze mille étrangers en situation irrégulière, ont été reconduits à la frontière, chiffre sur lequel les âmes sensibles pleurent à gros bouillon. Et pourtant douze mille étrangers clandestins refoulés, qu'est-ce ? Alors que, selon les calculs les plus optimistes, ils sont cinq cent mille, sans compter ceux qui entrent quand les autres sortent, sans compter ceux qui rentrent par la fenêtre quand on les chasse par la porte, et réciproquement, sans compter les naissances ! Eh bien, même à retenir ce chiffre trop optimiste de cinq cent mille, il faudrait quarante ans pour venir à bout de l'immigration clandestine. Quarante ans, presque six septennats aussi longs que celui de M. Mitterrand !
On le voit : la machine à refouler les étrangers clandestins est une petite pompe essoufflée, bruyante, à peu près inefficace, même si elle est servie par de gros bras, qui montrent volontiers leurs biceps, j'ai nommé M. Pasqua et M. Pandraud.
Surtout que, à côté de la petite pompe à refouler, une gigantesque pompe aspirante est installée au cœur de notre dispositif. Elle repose sur un socle bétonné, sur une thèse que personne, sauf nous, n'ose contredire, dans le monde politique, à savoir que les étrangers, en France, ont les mêmes droits économiques et sociaux que nous ; que, même clandestins, ils peuvent réclamer par exemple l'aide sociale, car les mairies doivent fermer les yeux sur leur clandestinité ; ou réclamer, même clandestins, l'indemnité de chômage, pour peu qu'ils se soient présentés comme réfugiés politiques, au premier guichet. Parfois même l'étranger a plus de droit que le Français, par exemple en cas de regroupement familial ; en ce cas, il bénéficie d'un voyage gratuit, pour toute sa famille.
Comment une telle législation, de telles pratiques, de tels mécanismes sociaux n'aspireraient-ils pas vers nous les populations sous-développées du Maghreb, de l'Afrique, du sous-continent indien, de l'Amérique du Sud ? Une telle vitrine d'accueil offerte à l'étranger n'est-elle pas unique au monde ? Le seul droit qui lui soit encore refusé, c'est le droit politique, le droit de vote, parce que la Constitution s'y oppose.
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Alors, comme le disait récemment Jean-Yves le Gallou « les partisans du lobby pro-immigré ont trouvé un moyen détourné pour donner le droit de vote aux immigrés, sans changer la Constitution ; c'est de fabriquer des Français, massivement, sans aucun contrôle, et au fond de distribuer la carte d'identité, comme on distribue la carte orange, c'est la nationalité-passoire ».
« La nationalité-passoire », voilà une excellente définition du code actuel de la nationalité. Ceux qui vous gouvernent avaient promis de le changer. La majorité du pays demande ce changement, mais M. Chalandon ne veut pas, ne veut plus, non parce que les choses ont changé, mais parce qu'il a changé lui, sous l'influence de deux ou trois évêques et de Jean-Philippe, dit Harlem Désir. Pour se justifier, il en vient même à renverser la formule qui avait fait, un temps, la renommée du député André Laignel : il paraît que nous avons juridiquement tort, parce que nous sommes politiquement majoritaires...
Nous sommes donc, au Front national, aujourd'hui, les seuls du monde politique à oser dire et réclamer que le droit de la nationalité française se fonde sur trois principes essentiels.
Le premier principe : est Français celui qui naît de parents français. C'est le droit du sang et de la lignée, le droit de la famille, car ce sont les familles qui font les nations et les nations sont, elles, des héritages, historique, spirituel, culturel. La France était riche d'elle-même et de son passé, de ses œuvres et des travaux de ses héros et de ses saints, avant que les immigrés viennent l'enrichir, par leur présence et leur travail.
Le second principe, c'est qu'on peut devenir Français et même bon Français par naturalisation, mais alors, il faut le demander, le souhaiter ; il faut le mériter, au cours d'un temps d'épreuve, par sa conduite et son assimilation.
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Le troisième principe c'est qu'on ne peut évidemment acquérir la nationalité française sans perdre sa nation antérieure et que nous n'avons que faire de bi-nationaux qui sont en général des étrangers se servant de la France au lieu de la servir.
De ces trois principes, clairs comme un matin d'Ile de France, il découle qu'il faut abolir dans le Code de la nationalité ce qu'on nomme le droit du sol, le *jus soli* et, par exemple la faculté de devenir français par le seul fait d'être né en France de parents qui y sont nés (art. 23 du code), ou encore la faculté de devenir Français à sa majorité du seul fait d'être né en France de parents étrangers (art. 44) ou encore la faculté d'acquérir la nationalité française, six mois après un mariage, fût-il blanc, avec un Français.
Une croisade de longues figures, qui réclame arrogamment pour elles le titre d'autorités morales, exige, et est sur le point d'obtenir le maintien de ce « droit du sol », de ce jus soli, qui chaque année nous apporte cent mille Français de plus...
Mais la plupart le deviennent sans le vouloir ; beaucoup sans le savoir, certains, comme par exemple les Algériens, sans perdre leur nationalité et sans accomplir un service militaire qu'ils préfèrent faire en Algérie.
On nous dit que ce droit du sol, ce *jus soli,* est de tradition républicaine. Curieuse tradition, car elle est née, en France, d'une loi du 7 février 1851, sous le Prince-Président et peu avant son coup d'État.
On nous dit que ce droit du sol, ce *jus soli*, a été renforcé sous la troisième république, le 26 juin 1889, mais cette loi est contemporaine de la loi du 15 juillet 1889, sur le recrutement de l'armée, en une époque où on voulait faire le plus de Français possible pour les soumettre au service militaire obligatoire. Mais aujourd'hui, de ces nouveaux Français, nous l'avons vu, nous ne faisons pas des soldats ; nous faisons des assurés sociaux, des chômeurs, ou des délinquants, nous en faisons des Français qui réclament, par leurs porte-parole, de devenir Français sans cérémonie, afin qu'on ne le sache pas dans leur famille et dans leur pays.
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C'est la nationalité clandestine proposée comme remède à l'immigration clandestine ! Pourquoi considérer comme intolérable, comme révoltant, comme raciste, que nous appliquions chez nous le droit du sang, le *jus sanguines ?* Ce sont les règles qu'on pratique envers l'étranger, en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Japon, au Danemark. Continuerons-nous de tolérer que des autorités morales sans mandat contredisent la volonté du peuple. Ce soir, vous êtes à la fois le nombre et la raison. Vous imposerez silence à ceux qui parlent en France la voix de l'étranger.
Georges Paul Wagner.
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### La légitimité nationale
par Bruno Mégret
*Principaux passages du discours prononcé le 2 avril 1987 au meeting du Front national.*
QUI EST FRANÇAIS ? Qui est étranger ? Voilà la question ! Et cette question n'est pas secondaire. Elle est essentielle car elle est au cœur de l'idée même de nation. Elle est intimement liée à l'identité de la France. A l'identité de notre peuple.
Le Code de la nationalité qui répond à cette question, qui dit ceux qui sont Français et ceux qui ne le sont pas, n'est donc pas un texte administratif comme un autre. C'est un texte qui est au fondement même de notre nation.
Il est le rempart de notre identité. Il est même le dernier rempart, celui au-delà duquel il n'y a plus de recours.
Car si un grand nombre d'étrangers devient juridiquement Français tout en restant étrangers dans l'âme et dans le cœur, il n'y aura plus de peuple français.
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Car une nation, ce ne sont pas des populations rassemblées sur un même sol et sous un même pouvoir politique. Ce qui fonde notre nation est beaucoup plus mystérieux, plus sacré, plus mythique.
Notre nation c'est d'abord un peuple, un peuple d'hommes et de femmes vivants, morts et à venir. Car « la France est de chair et d'os » comme le dit Barrès et elle est marquée par un passé de quatre mille ans et par une histoire de quinze cents ans.
Notre nation est un peuple sur une terre qu'il a forgée au fil des siècles, à l'image de la terre de ces vignobles de Bourgogne, façonnée par deux mille ans de travail.
Notre nation est un peuple qui a marqué un pays de son sceau. Ce sont les beffrois dominant les plaines du nord, les cathédrales érigées sur les vastes étendues de Beauce, les châteaux qui ponctuent le Val de Loire, les centrales nucléaires dressées face à la mer sur les côtes normandes, les villes noyées de soleil du pays de Provence.
Notre nation est un peuple avec ses fois, ses espoirs, ses ambitions, ses conquêtes et son génie.
Et notre peuple c'est une culture. Celle qui s'est répandue de par le monde, condensé de la culture européenne qui a montré le chemin aux autres continents, c'est une civilisation qui a découvert le monde entier sans jamais être découverte, qui a lancé ses navigateurs de par les mers lointaines, pour coloniser le monde entier, c'est une civilisation qui a inventé la liberté et la science sans laquelle le monde serait encore dans l'obscurantisme.
Et pour tout cela beaucoup ont sacrifié leur vie. Car un peuple c'est aussi la souffrance en commun et aux heures graves le sens du sacrifice.
Et ceux qui sont morts à Poitiers, à Sedan, à Verdun, à Dien-Bien-Phu, ils nous regardent et il nous jugent. Nous ne pouvons pas accepter qu'ils soient morts pour rien car de tout cela nous sommes les héritiers, les dépositaires et nous sommes responsables pour les générations à venir.
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Et tout cela, les partis de la classe politicienne n'en ont que faire. Ils ont ouvert grandes les portes à l'immigration du tiers monde. Ils ont donné à tous ceux qui mettaient un pied sur notre sol un droit à y rester éternellement. Ils leur ont donné les mêmes droits qu'aux Français. Et maintenant ils voudraient les laisser devenir Français sans même se préoccuper de ce qu'en pensent les Français.
Ils célèbrent le millénaire capétien mais ils veulent faire de la France un nouveau Liban.
Eh bien nous les empêcherons. Car ce qu'ils ne veulent pas faire, nous le ferons à leur place, en prenant leur place. Car nous savons que l'homme n'existe pas sans identité, qu'il n'existe pas sans appartenance à une communauté.
Nous n'existons que parce que nos ancêtres ont existé et nous ont transmis ce qu'ils ont fait et ce en quoi ils ont cru. Nos enfants n'existeront que si nous pouvons leur transmettre un héritage : comme le dit le chant spartiate : « Nous sommes ce que vous fûtes, nous serons ce que vous êtes. » Car on ne peut se battre que si l'on sait qui l'on est et ce que l'on a à défendre. Un peuple qui n'a plus conscience de son identité est un peuple qui a renoncé à se battre ; il est condamné.
Eh bien aujourd'hui notre peuple est menacé dans son identité par le déferlement d'une immigration venue du tiers monde, inassimilable et incontrôlée. Et alors que les principales digues ont été rompues et que nous nous trouvons sur la dernière ligne, notre garde baissée, le gouvernement refuse de la relever. Il refuse de rétablir solidement l'ultime frontière de protection de notre identité, celle qui donne accès à la nationalité française.
Bien sûr notre nation doit être ouverte au monde. Mais Renan le dit clairement : « Une nation est une âme. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent, l'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs, l'autre est le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. » Où est la volonté de vivre ensemble chez ces nouveaux Français que nous fabrique la classe politicienne et qui préfèrent deux ans de service militaire en Algérie, plutôt qu'un an de service militaire en France ?
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Avec le Code de la nationalité tel qu'il est, les politiciens sapent systématiquement les fondements de notre nation et son identité. C'est grave, car le rôle premier du pouvoir souverain ce n'est pas la gestion économique et sociale, c'est précisément d'assurer la survie de la nation et il n'y a pas de survie pour la France sans maintien de son identité.
Ceux qui nous gouvernent ne sont que des commis qui ignorent qu'une nation est un peuple de chair et de sang, ils ne voient plus le visage des Français, ils ont oublié le nom de notre peuple.
Ils se disent hommes politiques, hommes d'État, mais ils ont perdu toute notion de leur devoir et de leur mission, toute vision des nécessités du long terme. Ils ont perdu la dimension historique de leurs responsabilités.
C'est pourquoi le redressement de la France ne peut plus venir que de vous.
Nous en sommes revenus comme au temps de Jeanne d'Arc ou celui qui devait assurer le destin de notre pays se cachait et renonçait.
Il est temps que le peuple se redresse pour rappeler aujourd'hui comme alors où est le chemin.
Et c'est à nous de le faire, nous qui exprimons sur la nationalité et l'identité, l'opinion de plus de 60 % des Français. Nous qui sommes les seuls à incarner la légitimité de la volonté populaire.
Voilà pourquoi notre responsabilité est grande à l'égard de notre pays. Car nous sommes aujourd'hui les seuls à incarner cette légitimité.
Voilà pourquoi nous ne sommes pas ici simplement pour protester. Nous sommes ici pour affirmer notre volonté de faire ce que les autres ne veulent pas faire et qui doit être fait.
Et si vous partagez notre volonté venez le dire à la fête de Jeanne d'Arc le dimanche 10 mai. Venez soutenir celui qui peut assumer demain le destin de notre pays : Jean-Marie Le Pen.
Bruno Mégret.
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### L'immigration aggrave tous nos problèmes
par Jean-Pierre Stirbois
*Principaux passages du discours prononcé le 2 avril 1987 au meeting du Zénith.*
QUEL OBSERVATEUR politique pourrait encore parler de feu de paille à notre sujet ? Nous sommes plus de 15.000 Parisiens réunis sous ce grand chapiteau. Le feu de paille *c'est Harlem Désir* derrière lequel toute la gauche PC, PS, 200 associations mobilisèrent dans toute la France, pour réunir moins de 10.000 personnes, le 15 mars dernier à Paris.
L'Anti-France est minoritaire dans le pays, et pourtant elle a réussi jusqu'à aujourd'hui à faire reculer le gouvernement :
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-- qui a abandonné dans son projet de réforme du Code de la nationalité, la procédure de prestation de serment solennel devant la République Française,
-- qui a annulé la session extraordinaire du Parlement prévue en janvier,
-- qui a retiré son projet de loi du bureau de l'Assemblée pour le remodeler.
Avec qui ?
« Avec des Sages », a dit M. Chalandon. De qui se moque-t-on ? Où sont les sages ?
S'agit-il d'Harlem Désir ?
de Farid Aïchoune ?
de Nacer Kettane ?
d'Albert Lévy ?
d'Yves Jouffa ?
d'Éric Ghebali ?
de SOS-Racisme ?
de Sans-Frontière ?
de Radio-Beur ?
du M.R.A.P. ?
de la Ligue des Droits de l'Homme ?
de France-Plus, qui se ventait d'avoir incité 870.000 Beurs à s'inscrire sur les listes électorales... ?
Sont-ils sages parce que l'État par la grâce du gouvernement Chirac, avec le soutien de Raymond Barre, Simone Veil et de toute la gauche, participe au financement de ces associations antinationales ? *Les sages ce sont les seuls représentants du peuple français !* Dans notre Démocratie, ce sont vos députés. Pourquoi la majorité RPR/UDF agit-elle ainsi ? Parce qu'il y a un consensus de la classe politicienne pour ne rien faire contre l'immigration envahissante *qui n'a jamais cessé et qui aggrave le chômage des Français.*
*-- *Plus d'un million de jeunes sont demandeurs d'emploi. -- C'est la première fois dans notre histoire qu'ils se trouvent dans une telle situation d'infériorité dans leur pays. Alors je pose la double question : devront-ils quitter leur pays, bien qu'ils représentent l'avenir de ce pays, la France, pour laisser des emplois en nombre suffisant aux immigrés qui sont venus s'y installer ?
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Est-ce bien à eux de partir, alors que notre Constitution leur garantit un droit à l'emploi ?
Eh bien je réponds à la question : NON, NON, et NON !
Ce sont aux étrangers de partir !
-- les clandestins
-- les faux réfugiés politiques
-- les bénéficiaires du regroupement familial, qui concerne les épouses parfois multiples ou les maris, les enfants..., les cousins des cousins.
Aucun texte, aucun principe général du droit ne stipule que le regroupement familial est à sens unique.
*Il peut se réaliser en sens contraire !* « Vivre au pays », c'est vivre chez soi. Nous n'avons pas importé le chômage de l'étranger !
-- Occupons-nous de nos propres chômeurs, nos nationaux, nos ressortissants de la CEE.
-- Réservons les allocations chômage de fin de droits aux Français et diminuons ainsi le nombre des « nouveaux pauvres ».
Pour ces nouveaux pauvres et beaucoup d'autres, la sécurité sociale est la seule ressource indispensable permettant de ne pas se laisser aller au désespoir. Pour défendre, assurer la sécurité sociale pour tous les Français, il faut *réduire son déficit occasionné très largement par l'immigration. Les seuls Français doivent bénéficier des cotisations qu'ils versent !* Plus de la moitié des lits d'hôpitaux sont occupés par des étrangers ! *Pourquoi ne paieraient-ils pas leur propre sécurité sociale ?*
Les socialistes ont osé écrire en 1983 : « *L'immigration participe à l'équilibre de la sécurité sociale.* » Ils continuent de le clamer à l'Assemblée nationale sans entraîner la moindre protestation sur les bancs de la majorité. C'est le gouvernement socialiste qui, le 24 mai 1984, fit voter un projet de loi permettant l'installation des immigrés en France. Ce jour-là, les immigrés se voyaient accorder la carte de résidents de 10 ans renouvelable de plein droit.
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Je n'oublierai pas de préciser que les communistes votèrent pour. Et que, lorsque le tableau lumineux donna le résultat du vote, le président de séance indiqua 488 votants. 488 pour... Tous les députés RPR et UDF avaient voté avec la gauche... Et il y a quelques mois, ils repoussèrent avec la gauche nos amendements qui réclamaient la suppression de cette carte.
-- Comme si la poursuite de l'immigration ne suffisait pas.
-- Comme si l'installation ne suffisait pas !
Contrairement aux promesses électorales de Messieurs Chirac et Lecanuet, le gouvernement, sous la pression de la gauche, s'achemine vers le maintien d'un statu quo évitant ainsi toute véritable réforme du Code de la nationalité.
• Alors que les étrangers nés en France peuvent acquérir automatiquement la nationalité française, soit à leur naissance, soit à leur majorité même s'ils sont délinquants !
• Alors que de jeunes Algériens devenus automatiquement Français peuvent faire leur service militaire en Algérie et que 90 % d'entre eux choisissent ainsi la voie de l'Islam.
Quelle différence y a-t-il entre 1) les paroles du terroriste et chef de la branche dure du mouvement hezbollah Hussein Moussavi « la France c'est sûr, deviendra d'ici une à deux générations une république islamique » ?
Et 2) les propos de M. Chevènement, je cite : « Il faut préparer l'identité nationale de la France de l'an 2025 qui sera à forte composante arabo-musulmane ? »
Le président de la République François Mitterrand, il y a quelques jours, n'a pas pu s'empêcher de dire à propos des immigrés « nul n'est de trop ». Pour M. Chirac « en France, il y a de la place pour tous ».
*Non, Messieurs le cohabitationnistes !* Il n'y a de place en France que pour les Français.
*Et pour, et pour seulement,* ceux qui aiment la France, et ceux qui, d'au-delà le rideau de fer, sont venus trouver une nouvelle patrie.
*Être Français ça se mérite !*
68:313
Rejoignez le Front national, défenseur de la nationalité française, de notre peuple, de son identité, de ses emplois, de sa sécurité, car il a aussi la chance d'avoir à sa tête Jean-Marie Le Pen.
Jean-Pierre Stirbois.
69:313
### La patrie est en danger
par Jean-Marie Le Pen
*Principaux extraits du discours prononcé au meeting du Zénith, le 2 avril 1987*
LE MOUVEMENT que nous représentons aujourd'hui incarne une majorité de Français. Tous ceux qui sont favorables à une réforme du Code de la nationalité au Front national, bien sûr, mais aussi au RPR et à l'UDF qui en avaient fait l'un des points forts de leur plate-forme pour gouverner ensemble, enfin parmi les électeurs du PS et du PC au sein desquels il y a, nous le savons, une majorité d'hommes et de femmes soucieux que la France reste la France.
C'est la question de *l'identité nationale* qui est posée. Le Code de la nationalité définit qui est Français et qui ne l'est pas.
70:313
Être Français, c'est être l'héritier d'une lignée de Français ; c'est recevoir un héritage culturel, historique, spirituel ; c'est aussi recevoir un héritage matériel, l'héritage des richesses accumulées par les générations qui ont précédé.
Les Français d'aujourd'hui sont responsables de cet héritage vis-à-vis de leurs ancêtres comme vis-à-vis de leurs descendants ; ils ne doivent pas le galvauder mais le préserver.
C'est pour cela qu'il faut redéfinir le Code de la nationalité sur des principes simples :
-- *naît* Français celui qui naît de parents français et celui-là seul ;
-- peut *devenir* Français, l'étranger ou l'enfant d'étrangers qui :
• le souhaite ;
• le demande ;
• le mérite ;
• renonce à sa nationalité d'origine.
Tous les êtres vivants se voient assigner par la nature des aires vitales conformes à leurs dispositions ou à leurs affinités. Il en est de même des hommes et des peuples. Tous sont soumis à la dure loi de la lutte pour la vie et l'espace. Les meilleurs, c'est-à-dire les plus aptes, survivent et prospèrent autant qu'ils le demeurent. Ce n'est pas une mince fierté pour nous que la France y ait réussi depuis plus de mille ans.
Il y a en outre entre les hommes et leur terre natale une affinité qui ne se résume pas complètement dans l'instinct de posséder ou la nécessité d'exploiter. Pétris d'elle par la main de Dieu, ils y retournent irrésistiblement comme au giron d'une mère. *Quia pulvis es...*
Cette osmose naturelle crée un lien d'une nature telle qu'il ne se rompt pas sans douleur. Les Anciens faisaient du bannissement ou de l'exil des peines capitales et c'est à juste titre que l'on parle de « déracinés » pour décrire les émigrants contraints de s'expatrier. La plus dure épreuve des Pieds-noirs ne fut pas de devoir abandonner le fruit de leur travail et les paysages qui les avaient vu naître mais, avec leurs cimetières, la terre de leurs morts.
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A l'inverse, l'étranger peut entrer dans la nation par un acte officiel : la naturalisation. Il ne peut s'intégrer à la patrie que par un acte sacrificiel : l'effusion de son sang. Il est alors Français « non par le sang reçu mais par le sang versé », comme le dit le poème légionnaire. Sinon, c'est quand son corps redevenu poussière se mêlera à la terre de France, mais alors seulement, que ses fils et ses filles auront ici leur patrie.
C'est donc généralement au rythme de la nature que s'accomplit le rite mystérieux qui unit la patrie à ses fils. Mais il est donné à certains d'entre eux d'y participer dans la gloire du sacrifice suprême. Ceux-là sont les mieux aimant qui ont tout donné.
Il est des lieux, chez nous, sites militaires ou grandes nécropoles, où ce mélange intime s'est fait dans de telles proportions qu'ici, l'homme s'est fait terre. Sous le dôme du ciel, il y règne le même silence que dans les grandes cathédrales. Saisi d'émotion révérencielle, le visiteur se tait, marche sur la pointe des pieds, se recueille. Il est dans un temple de la patrie.
Le temps est loin où notre hymne national proclamait « Mourir pour la patrie est le sort le plus beau. » Aujourd'hui, la patrie est bannie des discours officiels, ignorée dans les écoles, les églises et même les casernes. Pourtant, la patrie n'est pas un mot, c'est une réalité vivante et charnelle. Elle ne cesserait de l'être que si ses fils cessaient d'y croire. C'est pourquoi, l'ennemi de l'extérieur et celui de l'intérieur font tout ce qu'ils peuvent pour tuer leur foi.
L'histoire de notre patrie c'est, bien sûr, celle de son peuple de paysans et de marins, d'artisans et d'artistes, d'ouvriers et de savants, de clercs et de poètes mais c'est aussi celle de son armée, sans la garde de laquelle elle ne fût pas restée libre. Placée au confluent des civilisations, parée de tous les charmes de la nature, elle fut et restera une proie. Il est écrit dans la géographie et dans l'histoire que la France doive se mériter, c'est pourquoi nous n'avons pas cent ans de paix dans les mille ans de notre histoire nationale.
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La France vivra, tant qu'il y aura des hommes lucides et courageux pour accepter de répondre à l'appel qui si souvent lança notre peuple aux frontières : Citoyens, la patrie est en danger... !
Jean Marie Le Pen.
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## ÉDITORIAUX
### Une perversion sans précédent
par Yves Daoudal
AUTANT L'AVOUER sans détour : nous ne trouvons plus désormais les mots capables de qualifier l'état d'abaissement moral de notre pays, la sauvagerie morale de ce qui fut la civilisation chrétienne occidentale. Et si nous ne trouvons pas les mots, c'est tout simplement parce que jamais la perversion n'était allée aussi loin, non seulement dans notre longue histoire de France, mais dans l'histoire de d'humanité elle-même. Les mots que nous cherchons sont à inventer. Ils n'ont jamais eu d'existence, en aucune langue.
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Objection : le vice et la perversion ont toujours et partout plus ou moins proliféré depuis la chute originelle, et particulièrement dans les périodes de décadence des civilisations ; rien de nouveau sous le soleil.
Mais ce n'est justement pas de cela que je parle. J'en prends à témoin les historiens. A-t-on déjà vu une *perversion mortifère* considérée *par les autorités* comme *option légitime,* et d'autres perversions mortifères considérées par les autorités comme la parade et le remède au caractère mortifère de cette perversion ?
Je parle du sida, et de la « lutte contre le sida ». Et je constate que, jusqu'à preuve du contraire, la révolte contre l'ordre naturel n'était jamais allée aussi loin.
L'origine première de la propagation du sida, ce sont les relations homosexuelles, qui sont contre nature. Mais il ne faut pas le dire, c'est là un jugement moral intolérable dans une « société de libertés ». Le président de la République demande au Comité national d'éthique de réfléchir « aux précautions qu'une société doit prendre pour se défendre contre ses pires excès ». Il ne s'agit pas des excès du vice. Tout au contraire, il s'agit des intolérables atteintes à la « liberté » et à la « dignité » de l'homme auxquelles pourrait conduire « la logique de l'angoisse et de l'exclusion ». A la radio, c'est le Père di Falco qui lance un « cri d'alarme », car il craint « des fléaux bien plus graves que le sida », si nous nous laissons « manipuler par les réflexes moyenâgeux qui sommeillent en nous ». Le clergé conciliaire étant tout imprégné de l'ambiance du monde, on ne trouvera pas un évêque pour condamner avec quelque éclat l'homosexualité. Ne parlons même pas d'un éventuel aspect de « châtiment de Dieu ». Malgré l'exemple de Sodome. Nos clercs sont incapables de comprendre que le Dieu d'amour puisse châtier. Malgré les innombrables exemples des saintes Écritures.
Pour « lutter contre le sida » on doit donc éviter... comme la peste tout ce qui pourrait avoir une connotation d'exclusion et même de désignation des premiers responsables.
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C'est par un affreux hasard que les propagateurs du sida sont les homosexuels, puis les drogués, puis les « touristes » du sexe et les prostituées. Les malheureux hémophiles morts du sida à cause du sang empoisonné, les malheureux bébés morts du sida parce que leur mère en était atteinte, sont des victimes du hasard. Des hasards de la vie...
Il n'est donc pas question de porter atteinte à la « liberté » des homosexuels, ni des drogués, qui propagent le sida par leurs seringues souillées. Pas question de dépistage systématique, pas question de conseiller aux uns de s'abstenir de leurs relations multiples et aux autres d'abandonner l'héroïne. Dans cette logique de l'aberration libertaire, la seule solution qui reste est de conseiller aux uns de se munir de préservatifs et aux autres d'acheter des seringues propres, que l'on met désormais en vente libre.
Voici donc la publicité pour un accessoire contre nature, publicité qui est une incitation directe à la débauche sous couvert de « prophylaxie » et qui en banalisant tous les tourismes sexuels ne fera qu'accroître le mal. Le mal moral, mais aussi le mal physique, la mortalité par le sida. Car le préservatif ne supprime pas totalement le risque, les « touristes » ne sont pas *a priori* gens à s'imposer cette « discipline » de façon absolue, et cette publicité risque, comme disent les évêques (d'Irlande) « *d'encourager davantage la permissivité et de contribuer ainsi à un nouveau développement de la maladie* » ([^6])*.*
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Et voici les seringues en vente libre, initiative bénéficiant elle aussi d'une large publicité, initiative criminelle banalisant l'usage de l'héroïne, publicité en faveur de la drogue, qu'on le veuille ou non, et donc en faveur de la mort par déchéance ou overdose.
Incitation à la débauche, disons-nous. Ce n'est pas un procès d'intention. Il suffit de voir les bandes dessinées destinées à « sensibiliser » les jeunes au problème des maladies sexuellement transmissibles (MST) et particulièrement du sida, pour s'en rendre compte. En même temps qu'on installait quinze (!) distributeurs de préservatifs sur le campus de Grenoble, *l'académie* du même lieu lançait la BD *Merlot contre MST-Sida,* d'une laideur et d'une vulgarité dignes des pires sous-productions du genre. *Merlot contre MST-Sida* est devenu un feuilleton radiophonique en vingt-cinq épisodes, diffusé sur Radio-France-Isère, puis sur les stations Radio-France de Valence, Rouen, Brest... Cependant que d'autres bandes dessinées, plus provocantes encore (*Le dernier des tabous, La bébête qui monte...*) faisaient leur apparition en d'autres endroits, bénéficiant d'une large diffusion dans les écoles, dans les maisons de jeunes, etc., grâce au financement et au soutien des conseils généraux, de la Mutualité française, et autres institutions officielles. La seule idée développée dans ces BD, dans toute la « campagne d'information », est celle-ci : montrer aux adolescents comment ils peuvent multiplier les partenaires sexuels « sans risque ». Nulle part il n'est question d'amour vrai et de fidélité : la lutte contre le sida est un simple prétexte à une vaste campagne d'incitation à la débauche, y compris homosexuelle.
Et cela s'inscrit dans l'évolution suicidaire de notre société. A la télévision, des feuilletons montrent l'avortement comme un acte normal, voire méritoire. L'avortement est remboursé à 80 % quand le coût de l'enfant est pris en charge à 16 %. Le nombre des mariages ne cesse de baisser, les naissances hors mariage et les divorces se multiplient. Selon le gouvernement, il y a désormais un enfant sur deux dont les parents sont divorcés ou concubins, ou dont la mère est célibataire. Claude Malhuret, qui cite ce fait, ne s'en émeut d'ailleurs pas. Le ministre des droits de l'homme conclut simplement que la loi doit suivre l'évolution de la société...
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La loi doit donc elle aussi être mortifère comme les perversions qu'elle *doit* légaliser. L'avortement en est l'exemple éminent. Laxiste pour les délinquants, la loi moderne est de la plus implacable cruauté pour les enfants. Au divorce, au concubinage, aux « familles » monoparentales, à l'avortement, s'ajoutent aujourd'hui les procréations artificielles. Et l'on ne voit pas où l'on s'arrêterait sur cette pente fatale que l'on dévale en chantant les prodiges de la science...
Il en est de même pour la drogue. On met les seringues en vente libre. Ce qui veut dire : « *Droguez-vous proprement.* » Mais c'est là encore s'engager sur une pente dont on ne voit pas pourquoi elle devrait rester potentielle. D'autant qu'il n'y a que le premier pas qui coûte. Et ce premier pas est déjà du passé. On ne s'étonnera donc pas des propos du procureur Apap et du professeur Schwarzenberg. Le premier demande que la drogue soit légalisée ; selon lui la seule différence entre la drogue et l'alcool est celle de l'interdiction légale, et la toxicomanie, comme l'alcoolisme, s'élevant « inexorablement avec ou sans prohibition jusqu'à un étage où elle se stabilisera », il « faudra bien s'en accommoder ». C'est un procureur de la République qui parle. Le second est professeur agrégé de cancérologie, mandarin universellement respecté. Il propose la création par le ministère de la santé (sic) d'un organisme où « viendraient se faire enregistrer, déclarer, mais de façon anonyme, tous ceux qui seraient en état de besoin avant qu'ils ne deviennent en état de manque », et où ils pourraient recevoir les doses dont ils ont « besoin » cela couperait le marché aux trafiquants et supprimerait la délinquance due aux drogués. Bien sûr, voilà la solution : la distribution de la drogue par l'État. Il ne manque plus que le remboursement par la sécurité sociale. A moins que ce ne soit « gratuit », ce qui serait logique : il en est bien ainsi de l'avortement.
De là on passera tout naturellement à la promotion de la drogue. Et c'est déjà fait. Jusque dans les livres pour enfants et jeunes adolescents. On y trouve de plus en plus des incitations au vol, au banditisme, à la violence, à la débauche, au suicide, même. Mais l'un des sujets de prédilection est la drogue.
78:313
Dans *Mon premier amour et autres désastres,* la jeune héroïne de douze ans a déjà l'habitude de fumer des « joints ». *Après une fugue* raconte en détail une initiation au « hasch » et les effets merveilleux de la drogue sur le sens de l'ouïe...
L'autre sujet de prédilection des auteurs qui cherchent à pervertir les jeunes est évidemment le sexe, et avec grossièreté, vulgarité, et avec des tendances vicieuses et homosexuelles. Tant qu'à faire... Ainsi *Valérie et Chloé.* Un soir ces deux petites filles rencontrent des ivrognes :
« *-- Si on se faisait violer,* dis-je d'une voix rauque. -- *Aucun problème,* dit Chloé d'un air dégagé. *Personne ne nous violera, nous jouerons les lesbiennes.* Et nous nous enlaçâmes d'une façon étudiée. -- *Peut-être qu'un abruti trouvera que c'est excitant de violer des lesbiennes,* murmurai-je. »
Ces livres sont bel et bien proposés aux enfants, à vos enfants peut-être, sur les rayons pour enfants des bibliothèques publiques. Voire étudiés en classe. Ainsi *Le gone de Chaâba,* « étudié » en quatrième à l'externat Saint-Charles de Serin, à Lyon. Promu livre de classe en raison de son « antiracisme » et parce qu'il a été écrit par un « universitaire », cet infâme roman, d'une infantile vulgarité qui est déjà une insulte permanente à la langue française, contient des pages que la plus élémentaire décence interdit de citer. Des parents ont protesté contre cette ignominie. Le directeur de l'école leur a répondu notamment que ce livre avait été l'objet « d'une recommandation parue dans la revue *Je bouquine* (publication du groupe Bayard-Presse, principal organe de communication de l'Église française) le conseillant avec enthousiasme aux enfants à partir de 10 ans ». Néanmoins, comme il apparaît que « tel passage du livre a profondément heurté certaines familles », son étude a été « suspendue », en attendant l'organisation d'une réunion « au sujet des questions qui ont pu surgir autour de ce travail, afin qu'aucune équivoque ne subsiste ».
Les enfants qui ne savent pas encore lire ne sont pas épargnés pour autant. Ils ont déjà la télévision, où certaines émissions pour enfants sont d'une insigne laideur et comportent éventuellement des dialogues scabreux et des situations malsaines.
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En ce qui concerne les jouets, il semble que les concepteurs soient en passe de mettre sur le marché sous ce nom de véritables instruments de perversion. Au dernier salon, une gamme de jouets, non, de « produits d'éveil », était intitulée « Touche à deux », et la publicité pour une poupée était accompagnée de ce commentaire : « Je touche, je gratouille, je caresse, merci d'éveiller ma sensualité, j'ai réglé mon complexe d'Œdipe. » Cette innommable entreprise qui vise à salir et briser le psychisme de l'enfant pour le seul plaisir d'adultes déséquilibrés s'inscrit dans un contexte d'anti-morale qui a largement débordé les communautés de marginaux « alternatifs » à la Cohn-Bendit. En témoigne ce salon du jouet, comme le titre inscrit récemment sur la couverture d'un magazine : « Faites l'amour en famille. »
Des jouets pervers à l'envahissement général de la pornographie (publications, télévision, affiches, minitel), des ignobles livres pour enfants à l'avortement remboursé et aux manipulations de la « procréatique », de l'apologie de la drogue à l'incitation officielle à la débauche, et pour couronner le tout cette monstrueuse « prophylaxie » qui consiste à combattre le fléau mortel venu des invertis par la promotion d'un accessoire contre nature et d'un autre fléau mortel, on n'avait encore jamais vu un tel ensemble d'abominations. Et quand toutes les possibilités de la nature déchue auront été explorées pourra venir l'apocalypse. En tout cas cette expérience ne se poursuivra pas impunément. Il y a eu le Déluge, il y a eu Sodome et Gomorrhe, il y a eu la fin du monde romain, on risque de s'apercevoir un jour que le sida n'était qu'un avertissement en quelque sorte anodin...
Yves Daoudal.
80:313
### L'ordre moral
par Guy Rouvrais
FIN MARS, nous avons appris de la classe politico-médiatique qu'un mal terrible menaçait de s'abattre sur le pays : le retour à « l'ordre moral ». La nouvelle a surpris. L'apologie du préservatif et sa diffusion massive, à l'initiative de Mme Barzach, ou la mise en vente libre des seringues, ne nous étaient pas apparus comme les signes précurseurs d'une telle restauration. Était-ce alors le rétablissement de la censure préalable que l'on préparait ? Nullement. Peut-être allait-on abroger quelque loi scélérate sur l'avortement ? Pas davantage.
81:313
Allait-on, enfin, nettoyer les écuries d'Augias de la télévision en interdisant Sexy-Folies, entre autres ? L'idée n'a effleuré aucun de nos ministres.
Non, figurez-vous que le ministre de l'intérieur a seulement eu la velléité d'appliquer une loi vieille de près de quarante ans destinée à protéger la jeunesse contre des publications licencieuses. Oh ! Il ne s'agissait pas d'empêcher leur impression ni même de les saisir, simplement d'entraver leur diffusion et leur affichage.
Aussitôt, le ban et l'arrière-ban des pétitionnaires professionnels montèrent au créneau, au nom de la culture, de la liberté, des droits de l'homme, de l'antiracisme, de la démocratie, etc. Nous vîmes de singulières alliances. Les marchands de sexe d'un capitalisme immoral reçurent le secours de la gauche et de l'extrême gauche. Le syndicat national des journalistes vola au secours des patrons de presse, spécialement de leur bête noire, M. Filipacchi. Jack Lang et François Léotard parlèrent d'une même voix. M. François d'Aubert, anticohabitationniste notoire mêla son indignation à celle de M. Mitterrand. Les homosexuels de droite unirent leurs protestations à celles des homosexuels de gauche. L'union sacrée, quoi...
Tous se prononcèrent contre « l'ordre moral » dont nous étions prétendument menacés.
On remarquera qu'aucun homme politique responsable n'a jamais déclaré, publiquement, *préférer le désordre à l'ordre.* Aucun ne professe que l'immoralité, ou l'amoralité, est supérieure à la moralité. Ce qui « fait problème », comme on dit aujourd'hui, ce n'est pas, officiellement du moins, l'ordre, ce n'est pas la morale, c'est la juxtaposition des deux : « L'ordre » « moral ».
Qu'y a-t-il d'abominable dans cette expression qui justifierait cette levée en masse ? François Léotard, ministre de la culture, nous l'a révélé. Voici : « *Je suis résolument hostile à toute idée* d'ordre moral, *d'ordre défini par l'État et qui s'imposerait aux citoyens contre leurs propres convictions, leurs pratiques, leurs mœurs.* »
82:313
Ainsi parla Léotard au Club de la Presse, le dimanche 22 mars. On ne peut formuler autant d'à-peu-près, de contre-vérités et d'absurdités en si peu de mots. François Léotard est d'autant plus impardonnable qu'on le supposait mieux éclairé que d'autres sur un tel sujet. En tant qu'ancien novice bénédictin, et à l'époque où il le fut, il a dû recevoir quelques rudiments de philosophie et de théologie. Mettons qu'il a la mémoire courte, ou que son ambition politicienne a pris le pas sur la rigueur intellectuelle que notre charité persiste à lui supposer...
Mais il nous faut d'abord dire nous-mêmes ce qu'est *l'ordre moral.* Pour les historiens et les politiques, c'est cette période qui va de la chute du Second Empire (1870) à la démission de Mac-Mahon (1879). Et l'on vit, en effet, pendant ces neuf ans, un louable effort pour restaurer les fondements moraux de la société civile. *Dans son essence,* « l'ordre moral », ce n'est pas ça. *C'est la coïncidence de la loi civile et de la loi naturelle.* Cette harmonie n'est liée à aucun type de régime ou de gouvernement. Elle est une exigence qui s'impose à tous. C'est pourquoi l'Église, jusqu'à Vatican II, ne cautionnait aucune forme de gouvernement pour peu que soient observés les principes du droit naturel. Cela n'interdit à personne de penser que la monarchie chrétienne traditionnelle est la plus apte à mettre en œuvre cette politique naturelle. Mais cela est une opinion, pas une vérité de foi...
L'expression « ordre moral » est donc une tautologie dans la société civile, l'ordre est moral ou il n'est pas. Un « ordre » immoral, c'est-à-dire qui viole l'ordre naturel, n'est pas l'ordre, c'est le désordre.
Léotard, lui, pense que l'ordre moral est un « ordre défini par l'État ». C'est une erreur. L'État ne définit pas l'ordre naturel : il le reçoit. Les lois qu'il promulgue n'ont de valeur qu'en tant qu'elles expriment cet ordre. Comme l'Église, mais à son rang, il en est gardien. Il doit veiller à son respect et punir ceux qui le transgressent. Ce que l'État peut définir, c'est *son application* conjoncturelle.
De cette erreur initiale découle le reste du propos léotardien.
83:313
Si c'est l'État qui *définit* les normes de la moralité, alors, oui, les citoyens ont raison de s'insurger contre cet abus de pouvoir. C'est le propre des régimes totalitaires que de substituer leur loi à la loi naturelle, leur ordre à l'ordre moral. Mais le ministre de la culture n'est pas seulement opposé à cette conception pervertie d'un prétendu « ordre moral », il est « résolument hostile à toute idée d'ordre moral ». Y compris, donc, la juste idée que nous défendons ; la seule qui puisse mériter le nom d'ordre moral.
Ayant ainsi récusé la loi morale naturelle comme norme pour le législateur, François Léotard est bien obligé de lui en substituer une autre, car il n'y a pas de loi qui ne se réfère à une morale, au moins implicite. Il refuse donc une loi « qui s'imposerait aux citoyens contre leurs propres convictions, leurs pratiques, leurs mœurs ». La morale qu'il met à la porte resurgit aussitôt par la fenêtre. Ce qui sera normatif, pour le législateur libéral, ce seront « *les convictions, les pratiques, les mœurs* » des citoyens. La loi sera donc informée par la statistique. L'homosexualité est-elle largement répandue ? Elle sera déclarée licite. Ce qui implique qu'étant « normale » l'homosexualité pourra librement devenir prosélyte. Y compris en direction des adolescents : l'enfant n'est-il pas le « père de l'homme » ? Il y a des lecteurs pour les revues pornographiques ? Celles-ci pourront être librement diffusées. Un certain nombre de téléspectateurs se repaissent d'émissions licencieuses à la télévision ? L'avenir de ces « spectacles » est garanti. Le droit à la pornographie fait partie des droits de l'homme. Pour l'avortement libre et gratuit, pour le divorce, la cause est depuis longtemps entendue.
Jusqu'où s'arrêtera-t-on ? Car il n'y a aucune raison que cela s'arrête. Le projet de M. Pasqua était d'avance voué à l'échec. Nous avons appris, à l'occasion de cette controverse, qu'en France deux types d'ouvrages pornographiques demeuraient interdits : ceux qui donnaient à voir des scènes de zoophilie et ceux qui avaient des enfants pour acteurs. Nous nous en félicitons. Mais dans la logique libérale qui est celle de M. Léotard, au nom de quoi les proscrire ? S'il y a des amateurs ? S'il y a des gens qui y voient l'épanouissement de « *leurs propres convictions, de leurs pratiques, de leurs mœurs* »* ?* Que leur opposer sans violenter leur souveraine liberté ?
84:313
On aurait tort de croire, cependant, que, pour M. Léotard, toutes les convictions, toutes les pratiques, toutes les mœurs, soient également respectables. Ceux dont les convictions, les pratiques, les mœurs, s'inspirent de la morale catholique traditionnelle sont exclus de la sollicitude libérale. Si nous entrons dans le jeu du critère statistique, nous pouvons affirmer que les homosexuels, les pornographes, sont bien peu nombreux par rapport aux Français observant la morale conjugale et qui sont choqués par les affiches qui s'étalent sur les murs de nos villes. Ceux-là sont partisans de « l'ordre moral », même s'ils ignorent cette expression. La liberté, telle que la conçoit M. Léotard, fait violence à la leur qui est, par exemple, celle de pouvoir acheter un journal sans être agressé par la couverture de revues indécentes.
On objectera, bien sûr, que l'État n'empêche personne de pratiquer la morale catholique ni de l'enseigner à ses enfants. On peut aussi fermer les yeux dans la rue, devant telle ou telle affiche, on peut éteindre son récepteur de télévision, on peut se déclarer hostile à l'apologie du préservatif, le lycéen ou la lycéenne pourra se boucher les oreilles quand on lui apprendra à s'en servir. On peut... On peut... être ainsi un citoyen de seconde zone. Être déclaré *persona non grata* dans son pays, sa cité, son quartier ; on est exclu d'une société dans laquelle tout est organisé *contre* ceux qui prétendent suivre la loi morale.
Il est vrai que la famille est le premier lieu d'éducation des enfants, l'État n'ayant qu'un rôle subsidiaire. On ne demande donc pas à ce dernier de les éduquer à la place des parents, cela va de soi, mais de ne pas développer une contre-éducation. Or, c'est ce qui se produit.
On va expliquer aux collégiens, au cours de films, de discussions de cours, que le préservatif est le seul moyen efficace d'enrayer la propagation du sida. Ce qui est faux, puisque la chasteté est un moyen encore plus sûr. Elle est non seulement efficace, mais elle est morale.
Qu'est-ce que cette propagande postule ?
85:313
*Que l'on doit céder à ses désirs sexuels dès qu'ils se manifestent.* Que, d'ailleurs, tel est bien l'avis, et la pratique des autres adolescents. Et cela s'appellerait, d'après Mme Barzach, ne pas « faire de la morale » ! En un certain sens, c'est exact : c'est une contre-morale. Ainsi, l'État rend *normatifs* en les banalisant ces comportements sexuels. On imagine le trouble jeté chez des jeunes élevés dans une famille où on leur aura enseigné que les relations sexuelles préconjugales sont un mal pour leur corps et un péché pour leur âme. Car ceux qui leur enseignent le contraire, ce sont des hommes et des femmes ayant autorité sur eux, des éducateurs, des professeurs. Des gens dont ils devraient respecter l'autorité, puisque c'était une autorité déléguée par leurs parents. Or, voici, que les enseignants s'autorisent de cette délégation pour lutter contre ceux dont ils ont reçu, et accepté, le mandat. Il s'agit là d'une forfaiture. Telle est la prétendue neutralité libérale ! M. Léotard ne se contente pas de se prononcer contre « l'ordre moral », passivement, intellectuellement, formellement : il le combat activement. Il veut lui substituer le *contre-ordre* de l'individualisme libéral. Il instaure, il étend, il magnifie le désordre des mœurs. Il incite les mineurs à la débauche.
La vérité est que l'on nous considère comme des dinosaures antédiluviens. On peut donc nous piétiner et considérer comme nulle et non avenue notre éthique sexuelle. Nos enfants ? Nos petits-enfants ? Ceux sur lesquels nous avons autorité ? Ce sont de pauvres gosses que l'on doit rapidement soustraire à notre influence pernicieuse. C'est là que le libéralisme rejoint le totalitarisme. Enlever aux parents le droit moral, en attendant qu'il soit juridique, d'élever leurs enfants dans la morale -- légitime -- de leur choix, c'est la première initiative des régimes totalitaires.
Certes, nous pouvons confier nos enfants à des écoles privées. Il n'est pas sûr hélas ! que ce soit mieux -- à moins qu'elles ne soient réellement privées de liens avec l'État. Car l'Église qui est en France est d'un étrange mutisme dans cette affaire. Certes, on entend ça et là, quelques protestations. Mais ce n'est rien par rapport aux homélies, avertissements, articles, monitions, que suscite la lutte épiscopale contre le prétendu racisme.
86:313
L'épiscopat prétend qu'il n'intervient dans ce débat-là qu'au nom de la morale, ce qui est totalement faux, son combat, aux côtés de la gauche, est politique. L'éthique sexuelle est un lieu privilégié de la morale ; l'enseignement de l'Église est d'une éblouissante clarté : le noyau dirigeant est néanmoins gêné aux entournures. L'initiative avortée de Charles Pasqua l'a laissé muet. Est-il pour la vente libre aux mineurs de revues homosexuelles ou pornographiques ? On n'en saura rien. On veut penser qu'il est plutôt contre. Si nos évêques avaient eu le courage de le dire, ils se seraient trouvés dans une situation horrible pour eux : ils auraient été d'accord avec Pasqua et... Le Pen. On les aurait pris pour des partisans de « l'ordre moral » !
\*\*\*
En demandant le retour à l'ordre naturel, en exigeant que l'État incarne la loi morale dans la loi civile, nous ne demandons pas seulement que l'on nous respecte, nous et nos enfants. Nous ne prêchons pas pour notre paroisse. Nous ne voulons pas être simplement admis au banquet du pluralisme. Nous voulons que l'ordre moral régisse l'ensemble de la société civile.
La voilà bien notre prétention à « imposer » nos « choix » moraux aux autres, celle que M. Léotard dénonce avec une force de conviction dont on ne le soupçonnait pas ! « Comment ! vous voulez contraindre ceux qui ne sont pas catholiques à se soumettre à la morale catholique ? » Eh bien, oui ! A cette différence, mais elle est essentielle, que ce n'est pas la morale catholique au sens confessionnel. C'est la loi naturelle, universelle dans le temps et dans l'espace, qui est inscrite dans le cœur de l'homme et qui fut explicitement révélée à Moïse dans le Décalogue. Elle n'est pas l'expression arbitraire de la volonté d'un dieu maniaque. Elle n'a pas pour objet d'empêcher notre épanouissement, de nous « contraindre ». Elle est pour le bonheur de l'homme. Elle est pour la paix des sociétés. Elle est la base qui permet de régir justement les relations entre les êtres, et de ceux-ci avec leur Créateur.
87:313
C'est une loi de liberté, d'une vraie liberté. L'homme peut, certes, s'en affranchir mais il en recueille inévitablement les fruits amers. Analogiquement, on peut mépriser les lois de la pesanteur et se jeter du dixième étage : personne ne s'étonnera de se retrouver à l'arrivée dans un état nettement moins bon qu'au départ.
Oui, nous voulons la restauration de l'ordre moral. Sommes-nous des utopistes ? A vue humaine, la tâche est immense, et même si, ça et là, nous avons des signes d'espérance, nous ne sommes pas, manifestement, sur le chemin d'une telle restauration. La loi naturelle, qui est objectivement libératrice, est vécue, subjectivement, comme une insupportable contrainte par beaucoup de Français. A qui la faute ? A ceux qui, depuis trois siècles, au moins, n'ont cessé de la bafouer, en parole et en action : nos libéraux et nos socialistes sont leurs continuateurs, leurs fils.
Mais l'ordre social chrétien n'est pas une utopie. Il a existé. Il peut renaître. Pour remettre la société sur ses justes bases, il faudra bien appliquer les seuls principes viables, ceux de la loi naturelle. Lorsque nos penseurs, nos politologues, nos gouvernants, auront tout essayé et que l'on continuera à s'enfoncer dans une décadence toujours plus profonde, on peut espérer une réaction salutaire. C'est ce à quoi il faut travailler. Il nous faut dire, bien haut et bien fort, ce que nous croyons, ce que nous voulons, sans nous laisser intimider par le terrorisme intellectuel qui voudrait nous réduire au silence. Peut-être sommes-nous condamnés pour longtemps encore au témoignage, eh bien, témoignons ! C'est ce que nous faisons et ce que nous continuerons à faire. Prêchons-nous dans le désert ? Il arrive au désert de refleurir.
Guy Rouvrais.
88:313
### Évian 1962-1972-1987
par Georges Laffly
*Le présent éditorial est composé de deux parties. La première est la reproduction d'un article publié par Georges Laffly en 1972. La seconde, ce sont les réflexions qu'il inspire aujourd'hui à Georges Laffly, quinze ans après.*
#### I. -- Le traité d'Évian vu en 1972
MAINTENANT, la France traite le couteau sur la gorge. Un couteau qu'elle applique elle-même. Déjà, en 1954 à Genève, M. Mendès-France s'engageait à tenir un pari : en finir avec l'Indochine avant le 1^er^ juillet. A Évian aussi, en 1962, les deux camps étaient en position inégale.
89:313
La France clamait très fort qu'elle voulait la paix. Le général de Gaulle s'était engagé à finir cette guerre impopulaire -- et qu'il avait contribué à rendre telle en lui ôtant tout objectif. Il ne rêvait que de politique planétaire, voulant prendre hardiment la tête des petites nations -- particulièrement des jeunes nations nées du démembrement des empires coloniaux -- et, chef de cette horde, se dresser entre les deux blocs, URSS et États-Unis.
En face, des interlocuteurs « valables » qui devaient tous disparaître de la scène. Assez fins, ces fils de marchands ou de paysans, pour comprendre qu'ils étaient moins demandeurs que l'autre partie.
On n'a pas l'habitude de décrire les choses ainsi. Il est entendu ici que l'armée avait vaincu la rébellion intérieure (ce qui est vrai) et que dès lors, l'amour-propre étant sauf, on pouvait octroyer l'indépendance. Comme Louis XVIII avait octroyé la Charte -- mais avec moins de raisons, et de raison.
L'Algérie indépendante n'a jamais accepté cette version. Son mensonge est inverse. Il est certain que la « nation algérienne », vague entité dont Ferhat Abbas, vingt ans avant, disait qu'elle n'avait jamais existé, ne pouvait prendre vie et forme que dans une victoire éclatante sur une grande nation, modèle hier encore respecté et admiré.
L'ALN, armée qui n'avait jamais servi, étant restée sagement aux frontières, avait besoin de ces lauriers en carton. Des fellagha de l'intérieur, beaucoup étaient morts. Les survivants n'éprouvaient nul besoin de mettre en doute leur victoire.
Le 4 juillet 1972, Boumediène vient encore d'affirmer cette version : « L'histoire a pourtant démontré que l'Algérie a été le tombeau du colonialisme qui, ici même, a amené définitivement son drapeau et a été contraint de se retirer en traînant devant lui tous les signes de la défaite. »
Il vaut mieux savoir ces chosés-là. D'autant que cette image a toutes les chances de se développer en France même, en vertu de la mythologie régnante. Cette mythologie veut que chaque moment montre la lutte, à la fin couronnée de succès, des forces du Bien, du Progrès, de la Libération de l'Homme, contre les forces du Mal, de la Réaction, de l'Impérialisme.
90:313
Ce schéma étant intangible, il faut donc bien que le FLN (des maquisards d'ailleurs) soit assimilé au Bien, et la France au Mal. Même si, pour le moment, par une explicable retenue, ce sont les seuls partisans de l'Algérie française qui sont marqués du signe de malédiction. Cela ne durera pas.
Il est certain que cette mythologie a joué un rôle dès les accords d'Évian. Un pays qui sentait -- dont les officiels et les intellectuels sentaient -- la présence française en Algérie comme une oppression (ce qu'elle n'était nullement) ne pouvait que céder.
Que ressortait-il des accords ?
Les garanties envers les personnes, dont on parla beaucoup, étaient nulles. Sans doute une armée française nombreuse restait en Algérie. Mais elle avait l'ordre de ne pas bouger. Pis. Un ordre vint, interdisant aux unités françaises d'accueillir et de ramener en France les musulmans harkis ou supplétifs divers -- que le FLN pourchassait. Des dizaines de milliers de ces malheureux périrent, souvent après des humiliations et des supplices épouvantables.
Quant aux Européens, ils partirent. Ils partirent tous. Sans doute la thèse officielle de la V^e^ République était qu'il fallait prévoir 400.000 « retours » (sur un million de personnes). Les autres resteraient en Algérie : ils en étaient les cadres naturels, et avec le temps, convertis au gaullisme, deviendraient d'excellents coopérateurs et propagandistes. Ce beau roman ne tenait pas debout.
N'oublions pas que 3.000 à 5.000 de ces Français d'Algérie, enlevés, jetés dans des camps, ont disparu, sans que la France intervienne. Certains sont peut-être encore vivants ? Dans quel état ? Ces enterrés vivants, qui y pense, tandis que continuent de plastronner les responsables ?
Ces harkis pendus, écartelés, bouillis (oui, bouillis), ces disparus, c'est le péché qui pèse sur notre histoire. On peut l'oublier, feindre de l'oublier. Son ombre continue de nous recouvrir.
91:313
Les personnes n'ont donc nullement été protégées. Les biens non plus. Cela n'intéressait pas de Gaulle. Mais trois choses lui importaient :
I. Garder pour quelques années les installations de Reggane (pour expérimenter la bombe atomique). Garder les bases -- Colomb-Béchar, Bou-Sfer, Mers el-Kébir -- qui en permettaient l'accès.
II\. Garder la main sur le pétrole du Sahara, découvert et mis en valeur par la France, et garantie de son indépendance énergétique.
III\. Faire de l'Algérie une alliée docile, et s'ouvrir par elle la voie du tiers monde, en vue de la politique mondiale dont nous parlions plus haut.
Aucun de ces trois objectifs n'a été atteint, et ne pouvait l'être : on avait lâché la proie pour l'ombre.
I. Reggane a dû être abandonné rapidement. Les bases, qui devaient rester françaises jusqu'au milieu des années 70, ont été rétrocédées bien avant.
L'Algérie n'entendait nullement supporter une diminution de son indépendance, ni approuver la politique de force de frappe. Elle se classait tout naturellement parmi les jeunes nations qui craignent et méprisent à la fois l'Europe. On oublie trop, d'autre part, qu'elle trouvait ses conseillers dans la gauche révolutionnaire française (voir l'entourage de Ben Bella), cette gauche qui rêva de faire la révolution en Algérie, puis de la réimporter en France. Elle ne réussit qu'un beau gâchis, d'ailleurs, et fit tomber Ben Bella.
II\. Le pétrole a fini par être nationalisé, mais avant cela, toute une série de mesures grignota -- presque mois par mois -- le pouvoir que la France avait sur les puits et les installations. Non seulement ce pétrole nous revient fort cher, mais il est de fait qu'il n'assure pas plus notre autonomie dans ce domaine que s'il venait du golfe Persique. L'Algérie a fermé, et fermera les robinets dès qu'elle le voudra. Si nous avions des velléités d'aider Israël, par exemple. C'est une chaîne que nous traînons là.
92:313
III\. La politique mondiale de De Gaulle n'a jamais vu le jour. Le général-président était trop un homme de la vieille Europe pour satisfaire les révolutionnaires : Castro, dans le rôle, était plus vraisemblable. Et la France, pays riche, industrialisé, représentait trop ce que le tiers monde envie ou veut détruire pour se poser en chef du camp des affamés. L'URSS elle-même paraît trop bourgeoise.
On sacrifia les bases, on donna tout, et le pétrole lui-même. Les Algériens prenaient et ne bougeaient pas. Comédie de la vieille belle et du gigolo.
Tel est le bilan lamentable d'Évian, et des « aménagements » qui ont suivi. Ce n'est pas ainsi qu'on le considère, lorsqu'on est convenable. Évian serait, au contraire, le début d'une ère nouvelle. La France, répudiant le péché de colonialisme, retrouvait une conscience pure. Le sang s'arrêtait de couler. L'Algérie devenait une amie. Voilà le tableau qu'il faut peindre quand on parle de ces choses.
Mais l'amitié des peuples -- et particulièrement des peuples arabes -- ne va pas sans estime, et je doute que cette estime existe, après ce que la France a laissé faire. Si la paix est un grand bien, cette paix nous a laissés désarmés sur tout le flanc sud du pays. La France ne compte plus en Méditerranée -- les deux seules flottes qui y comptent sont la soviétique et l'américaine -- et un jour, les côtes d'Afrique du Nord peuvent devenir des bases d'attaque sur le Midi. Qu'importe qu'il y ait ou non des missiles russes installés en Algérie ? L'important est qu'ils peuvent y être très rapidement, eux ou d'autres.
Autre élément qui comptera : le pullulement de ces peuples qui s'organisent bien mal pour nourrir leur population. L'Algérie, 10 millions d'habitants en 1962, en compte 14 aujourd'hui. Elle en aura 25 millions en 1985. L'agriculture y est délaissée, au profit des installations pétro-chimiques et sidérurgiques. Cela donne un équilibre instable. Puissance et fragilité.
On peut se souvenir que les Sarrazins ont occupé plus d'un siècle une partie du Languedoc, l'Esterel et les Maures...
93:313
#### II. -- Remarques quinze ans après
Un ami, Jean-Paul Angelelli, a retrouvé cet article paru dans le premier numéro (été 1972) du *Monde moderne*, revue qui dura peu. C'était le dixième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, et on m'avait demandé de dire ce qui restait des accords d'Évian.
Si quinze ans après je propose à Jean Madiran de publier de nouveau ces quelques pages, ce n'est pas vanité. Qu'on n'imagine pas que je leur trouve une qualité extraordinaire, une prescience remarquable. Ce bilan dix ans après, c'était celui qu'avec bien d'autres j'avais fait à chaud, sur le moment.
Mais il n'était pas permis de parler ainsi en 1962. Pas dans la « grande presse » en tout cas, qui n'a de grand que sa docilité, sa paresse d'esprit, son culte des puissances établies. En 62, bien sûr, le feu des passions empêchait de parler librement. Admettons. Cependant, dix ans plus tard il en allait de même, alors que l'Algérie semblait déjà une affaire bien lointaine -- les morts vont vite -- et que les passions s'enflammaient pour de tout autres objets : société de consommation, écologie, terrorisme urbain.
La vérité, c'est qu'*il y a une censure.* Il y a des vérités certaines, des évidences que l'on ne doit pas regarder. Que les grands journaux ne prennent pas en compte. Ce sont les « taches aveugles » de l'information : elles définissent assez bien les vrais principes d'une société, ce qui pour elle est sacré. Il y a des silences qui persistent même au-delà d'un délai raisonnable. De plus en plus notre histoire récente est marquée par de tels trous, remplacés par des légendes peu croyables. Comme l'imposture finit par filtrer, elle n'a pour résultat que de rendre les jeunes Français honteux de leur pays, qui fut si grand. Je trouve que ce résultat ne doit pas être encouragé.
94:313
Sur Évian, et l'Algérie, quels sont les mensonges ?
**1. -- **Le général de Gaulle, un des grands hommes de notre histoire, a choisi la meilleure solution.
Non. En renonçant à toute protection des personnes et des biens, il a créé dans les rangs du FLN et bientôt dans toute l'Algérie la conviction qu'il était impossible à la France de défendre les siens. C'est donc bien qu'elle avait été vaincue. Le pays vaincu doit tout subir du vainqueur, qui n'a pas à manifester la moindre bonne foi. Vae victis, disait le Gaulois.
Laisser assassiner harkis et moghaznis, laisser massacrer ou périr de mort lente des milliers d'Européens n'était pas seulement un crime. C'était préparer une longue chaîne de crimes futurs : les vainqueurs quand ils s'installent en France ont droit de traiter les Français à leur guise ; ils ont droit d'interdire leurs quartiers à la police française ; droit d'emmener en Algérie les enfants qu'ils ont eu d'une Française et de les élever en musulmans ; droit d'empêcher des citoyens français de circuler en Algérie etc.
La France est méprisée, donc bafouée.
**2. -- **La décolonisation était une œuvre morale : mais elle ne rachète pas le crime de la colonisation.
Si le FLN est le Bien, la France doit être le Mal. La France, et pas seulement les partisans de l'Algérie française. Sur ce point, on pourrait penser que je me suis trompé. Il y a un front commun FLN -- France de gauche, France gaulliste, qui effectivement ne laisse dans la honte que les quelques-uns qui n'ont pas renié leur engagement pour l'Algérie française. Selon nos media, et nos écoles, il paraît que la France unanime soutenait le FLN contre quelques paras et policiers, plus quelques « colons ». Grâce à quoi notre belle jeunesse ne traîne pas avec elle le lourd péché du colonialisme.
En fait, cette situation permet simplement aux porteurs de valises et aux journalistes prédicateurs d'imposer des reniements de plus en plus lourds.
95:313
Il y a quelques années, on parlait à la cantonade de faire juger Massu à Alger, pour crimes contre l'humanité (évidemment, la difficulté était que de Gaulle, Debré, etc. ne seraient pas restés blancs). Récemment on a célébré comme un grand deuil l'anniversaire d'une manifestation FLN à Paris qui, tournant mal, fit plusieurs morts. A quand la journée annuelle contre la police française ?
(Se rappeler que nos hommes sensibles n'ont jamais eu un mot pour plaindre les commerçants et ouvriers algériens tués ou torturés à Paris et ailleurs parce qu'ils ne cédaient pas au chantage du FLN.)
\*\*\*
Laissons les mensonges. Je veux ajouter deux remarques.
**1. -- **Un point qu'on peut juger secondaire, mais qui ne l'est pas à mon sens : je comprends que certains Pieds-noirs soient ulcérés qu'on leur ait volé des biens durement acquis, et que leurs voleurs enrichis se prélassent en France même. Mais que vingt-cinq ans après l'indépendance nos associations aient l'air de n'avoir que cela en tête, il y a de quoi rougir.
**2. -- **Je notais en 1972 l'importance de la question démographique. La population du Maghreb double tous les vingt ans. A ce moment-là, la natalité ne s'était pas encore effondrée en France ; les épouses algériennes ne venaient pas rejoindre en masse leurs maris immigrés ; on ne connaissait pas encore le baratin infect sur la France pluriculturelle, la France Beneton. Ces circonstances n'ont fait qu'aggraver la situation.
Mais il y avait un point auquel je ne portais pas attention, c'est que cette population si féconde et qui grossissait si vite, allait se livrer avec passion à une version sommaire et guerrière de l'Islam. C'est le fait politique le plus important depuis la révolution d'octobre. Il mobilise des foules qui trouvent là une raison de vivre, une fierté ; vraiment le sentiment d'une supériorité sur les Occidentaux et les Soviétiques, et d'une revanche sur eux.
96:313
Quand les ventres sont creux, l'art de gouverner consiste à pousser les gens vers des enthousiasmes et des colères de ce genre. On n'est donc pas près d'en avoir terminé avec les « fondamentalistes » et les « Frères musulmans », déjà solidement installés dans notre pays.
Georges Laffly.
97:313
## CHRONIQUES
98:313
### Témoignage sur la messe sur la liturgie et sur la secte
par Jean-François Pilbouin
LE DIMANCHE, je suis généralement à la campagne, où je peux, au prix de quelques kilomètres en voiture, assister à une messe traditionnelle. Quand il arrive que je reste à Paris, j'ai à ma disposition Saint-Nicolas du Chardonnet ou Sainte Germaine de Wagram. Cependant, dimanche dernier, j'ai dû aller aussi à la messe conciliaire de ma paroisse, ce qui ne m'était pas arrivé depuis longtemps ; et je n'ai pu m'empêcher de faire plusieurs observations.
99:313
C'est la messe de 10 heures et demie, qui dure une heure, donc sans doute la plus importante du dimanche. Or, il n'y a pas beaucoup de monde. Certes, si l'on additionne tous les assistants à toutes les messes de paroisse à Paris, cela fera plus de monde que le total de ceux qui fréquentent Saint-Nicolas et Sainte-Germaine ; mais ce calcul froid n'empêche pas qu'on ressente un petit malaise, que ne donnent pas les nefs remplies des églises dites « traditionalistes ». Ici, la messe flotte dans des habits trop grands.
Trop grands, et pas taillés pour elle. Dans cette église d'architecture séculaire -- elle fut inaugurée par l'impératrice Eugénie -- la liturgie nouvelle a des allures de bernard-l'ermite. La disparition de la chaire et de la table de communion, la duplication de l'autel (on n'a pas osé casser le vieux), l'abondance des fils de micro trahissent l'installation d'*autre chose* dans un décor qui n'était pas fait pour ça : autre malaise.
J'ai vu des messes traditionnelles dans des salles inadéquates, mais l'impression était inverse : la foi des catacombes. La mûrisserie de bananes, aux Halles, où officiait un prêtre « traditionaliste », c'était une annexion à l'Église ; ici, c'est une annexion de l'Église.
Et à quoi ? A quelle chose de bien fragile, qu'on se donne bien du mal pour faire vivre, si j'en juge par ce que je vois. L'épiscopat accuse élégamment les « intégristes » de former une « secte » : mais l'impression de secte, et de secte sans avenir, je ne l'ai jamais ressentie aussi forte que parmi ces conciliaires. A cette grand messe du dimanche il n'y a strictement que des vieux. Sur les quelque 80 assistants, pas plus de trois ou quatre, apparemment, ont moins de 50 ans, et l'écrasante majorité en a plutôt 60 ou 70. Un seul enfant : il est antillais. Et sur cette assistance tous les poncifs de l'ancienne littérature anticléricale pourraient se donner libre cours. Rien de moins populaire que ce public d'une paroisse populaire du Nord de Paris ; sauf quelques Portugais, tout est ici bourgeoisie. Ma voisine de derrière pousse sa voix de gorge à la limite du supportable dans les chansonnettes liturgiques ; mon voisin de droite, raide comme un I, le visage sculpté dans une châtaigne, a des mouvements de marionnette qu'on s'attend à ouïr grincer.
100:313
Et certes ces paroissiens ont le cœur pur et sont sans doute meilleurs chrétiens que moi ; mais ils ne présentent pas l'image d'une « chrétienté jeune et conquérante ». Une institution qui meurt dans un décor trop grand pour ce qui en reste.
Le clergé en est-il conscient ? Le fait est qu'il s'époumone. La liturgie tourne à la pédagogie, elle se mord la queue à s'expliquer constamment elle-même : un prêtre monte au micro pour expliquer ce que va dire l'autre qui prend son micro. Le coryphée -- est-ce le curé ? -- a le sourire crispé de l'animateur de réunion qui a peur que ça rate, que les gens ne suivent pas ; il sue la cordialité forcée. Cette messe a quelque chose des jeux radiophoniques : « et maintenant on applaudit bien fort ! ». C'est d'autant plus ridicule que l'assistance suit parfaitement, très docile. Il n'y a que moi pour bafouiller « bonjour, madame » quand une voisine me serre la main en disant (je le comprends trop tard) « la paix du Christ ». Ils chantent leurs petits refrains, ils communient tous dans le creux de la main ; depuis le temps, ils sont bien habitués. Alors pourquoi, de la part des prêtres, un tel besoin de chercher l'adhésion ? A la fin de la messe, ils se précipitent à la sortie pour serrer des mains c'est gentil, mais ils courent presque pour y aller. Tout cela sonne un peu faux.
Alors, je me mets à réfléchir, et un souvenir me revient. Récemment j'ai traversé la charmante église Saint-Lambert de Vaugirard, où je fus baptisé, et machinalement j'y ai pris le bulletin du mois : il contenait le budget de la paroisse. Je le retrouve, et je lis : « Le denier du culte a progressé en valeur, mais *le nombre de participants a légèrement diminué* » (c'est moi qui souligne). Et voici les chiffres : en 1986 le denier du culte a augmenté de 9,3 %, mais le produit des quêtes de 3 % seulement -- c'est maigre, compte tenu de la légère inflation qui subsiste ; en revanche, les « dons pour cérémonies, troncs, cierges » ont augmenté de 11,7 % : ça, c'est la piété traditionnelle, les gens suivent toujours -- mieux que la quête, liée à la fréquentation du dimanche.
101:313
Autre exemple : les paroisses de l'Immaculée-Conception, dans le XII^e^ arrondissement, -- encore un quartier populaire. Là, je lis qu'il y a eu, en 1986, au denier du culte, 961 cotisants, -- contre 995 l'année précédente (là aussi, la somme d'argent, elle, a augmenté). Coïncidence, ou mouvement général ? Il serait intéressant d'avoir les chiffres d'autres paroisses...
Toujours est-il que je serai content, dimanche prochain, de retrouver ma paroisse « intégriste ». La liturgie n'y fait pas la retape, le clergé non plus, ni à l'entrée ni à la sortie ; le culte y est parfaitement digne. Il n'y a qu'une chose qui le trouble : les enfants, qui y pullulent.
Jean-François Pilbouin.
102:313
### Un aventurier tricolore (VI) le marquis de Morès 1858-1896
par Alain Sanders
#### Aux côtés de Drumont
ON LIT dans *Le Pilori* du 20 janvier 1890, le compte rendu suivant :
« Il s'est passé, samedi dernier, à Neuilly, dans une vulgaire salle de bal, un fait considérable, je dirais même un événement historique. Les bases ont été jetées d'une alliance étroite entre ce qui reste d'aristocratie virile et clairvoyante et le monde des travailleurs sur le terrain des revendications sociales. D'énergiques appels à la justice ont été poussés, de loyales promesses d'union été échangées entre des hommes de classes jusqu'ici ennemies devant une foule ouvrière enthousiaste jusqu'au délire. »
On note dans la salle, au milieu de « la foule ouvrière enthousiaste », la présence du prince de Tarente, du comte de Dion, du prince Poniatowski, du duc de Luynes, du marquis de Breteuil, du marquis de Peyronnet, du duc d'Uzès.
103:313
A la tribune, on remarque surtout Morès. Parce qu'il porte un superbe gardénia à la boutonnière, bien sûr, mais surtout parce qu'il va faire un discours qui épatera effectivement les assistants :
« Contre un gouvernement indigne qui compromet lâchement, par égoïsme, les intérêts les plus sacrés de la patrie, j'invite tous les bons citoyens à s'unir. Il ne doit plus être question d'aristocrates ni de prolétaires, il ne doit y avoir que des Français fraternellement appliqués aux réformes sociales. Les riches, les aristocrates, sont prêts à tous les sacrifices nécessaires à l'amélioration du sort du peuple. Ils ne lui demandent en échange qu'un peu d'amitié (...) Je suis prêt, quant à moi, à sacrifier ma vie pour lutter contre la féodalité financière soutenue par toutes les forces gouvernementales. »
Il faut se rendre à l'évidence : Morès passe bien la rampe, il plaît. Il plaît et il inquiète. Peu de jours après le meeting triomphal de Neuilly, paraît dans *La Nation* un article signé Camille Dreyfus, député de la Seine, et intitulé : « Les filles des Juifs et les fils des Croisés ». On y explique que nombre de nobles décatis n'hésitent pas à se marier avec de riches héritières et on met nommément en cause la marquise de Morès.
Le jour même de la parution de l'article, les témoins du marquis de Morès, Feuillant et le comte de Dion sont chez Camille Dreyfus :
-- Qui seront vos témoins, Monsieur ?
-- Lockroy et Pichon.
-- Le marquis de Morès étant l'insulté, voici ses conditions pour le duel : six balles à vingt pas au commandement. Pour éviter les ennuis avec la police, M. de Mores propose que la rencontre ait lieu en Belgique.
104:313
Camille Dreyfus est loin d'être un lâche. Il accepte les conditions et, le 2 février 1890, témoins et adversaires se retrouvent à Commines. On se salue. On s'observe. Le choix des places est tiré au sort : l'avantage échoît à Camille Dreyfus, il tirera donc le premier entre les commandements « un » et « trois ».
Immédiatement après le « un », Dreyfus fait feu. Sans succès. Il n'aura pas d'autre occasion d'essayer son talent. Entre le « deux » et le « trois », Morès a tiré. Et logé une balle dans l'avant-bras de Camille Dreyfus. La blessure est spectaculaire mais elle n'est que bénigne. Le sang a coulé, l'honneur est sauf.
Ce duel victorieux renforce encore, auprès de l'électorat populaire, l'espèce d'aura dont jouit désormais Morès. Flatté -- et quelque peu enivré, semble-t-il -- par les encouragements qu'il reçoit, Morès décide de se présenter aux municipales dans le quartier des Épinettes. Face à lui, un rouge bon teint, Paul Brousse, et un socialiste modéré, Boulé.
*Le Figaro* de l'époque garde la trace de la profession de foi de ce candidat pas tout à fait comme les autres. « Je suis avant tout socialiste, déclare-t-il, c'est-à-dire qu'à mon avis il n'y a pas de droit sans devoir, et que le devoir de la société est d'aider le producteur à obtenir le plus grand résultat possible de son travail. Je crois, de plus, que l'expression de la volonté du peuple est la loi. »
Pour que les choses soient encore plus claires, il ajoute « Jusqu'à ce jour, l'habileté des rois de l'exploitation a été de garder l'anonymat et d'abriter leurs opérations derrière une institution légitime. Ainsi le sentiment de la propriété ancré par l'épargne dans le cœur des Français leur a servi à abriter pendant longtemps leurs fortunes spéculatives dont l'origine n'est pas justifiée. Dans un pays où l'égalité politique existe, l'inégalité économique et judiciaire ne peut durer... La révolution sociale est proche... Comment se fera-t-elle ? Il est permis à tous les hommes de bonne volonté d'indiquer les solutions qui leur paraissent les meilleures. Pour mon compte, je suis partisan de l'association des travailleurs pour la solution du problème social par la loi naturelle : croissez et multipliez sous toutes les formes, de façon à avoir des ressources de toute espèce en plus grand nombre à partager entre les hommes. »
105:313
Charles Droulers note : « Le socialisme de Morès, on le voit, n'a guère de point commun avec celui de Karl Marx, de Lafargue et de Jules Guesde. Il respecte profondément la religion, la patrie, la famille, la propriété individuelle, toutes choses honnies et condamnées par les pontifes du collectivisme. »
Les ralliements et les appuis se faisant plus nombreux, Morès doit, pour répondre à la demande, ouvrir une permanence. Il choisit un appartement un peu triste au 65 de la rue Sainte-Anne.
Droulers témoigne : « Le bureau de la rue Sainte-Anne voit accourir, dès le début, des gens d'origines très diverses, des mécontents de toutes couleurs : royalistes, boulangistes, socialistes, anarchistes. Un syndicat des employés révoqués, s'étant constitué, trouve tout indiqué de canaliser ses troupes oisives vers le bureau du marquis. On croit celui-ci très riche et on le sait généreux. Des candidats sans électeurs, des journalistes sans lecteurs, se ruent vers le néo-politicien dont ils exploitent la générosité inépuisable et la confiance sans bornes. Mais la corporation la plus représentée est celle des argousins et espions de la préfecture de police. Le bureau de la rue Sainte-Anne est infesté. Certains lieutenants du marquis appartiennent eux-mêmes à la police ! »
Certains lieutenants de Morès sont peut-être des argousins. Mais son bras droit, son second, est un brave homme de serrurier, très populaire à la Villette, Gaston Vallée. L'électorat des Épinettes apprécie sa gouaille et son franc-parler qui tranchent avec les politicailleries du candidat révolutionnaire, Paul Brousse :
Longtemps rédacteur aux *Droits de l'Homme,* Brousse a quitté la France après une condamnation à trois ans de prison. On chuchote qu'il a utilisé ces trois années à mettre au point un plan d'action politique radical avec Bakounine. Toujours est-il que, rentré en France, Brousse a fondé un journal, *Le Prolétaire* qui, très vite, se pose en concurrent direct de *L'Égalité* de Jules Guesde. L'affrontement des frères ennemis est concrétisé par la scission du parti socialiste au congrès de 1882 : Jules Guesde et ses partisans se retirent pour former le « parti collectiviste ». Paul Brousse et les siens forment le groupe des « possibilistes ».
106:313
Cette succession de « iste » et de « isme » fera dire à Gaston Vallée : « J'ai été à l'école dans les bois, mais cela ne m'empêche pas de prendre en pitié toutes ces divisions de partis socialistes, possibilistes, boulangistes, froussistes et autres fumistes. »
Les auditeurs de Vallée ne voient pas très bien ce que le fait d'avoir été à « l'école dans les bois » ajoute à l'affaire, mais ils applaudissent de bon cœur à l'allant du serrurier patriote.
Mars 1890 est une année-clef pour Morès. On le voit partout. Il n'a pas terminé son meeting aux Épinettes qu'il bondit soutenir Drumont au Gros-Caillou et Vallée à la Villette. Ce même mois, il lance un journal au titre explicite L'Assaut.
Il ne se contente pas de prendre d'assaut les mots. Le 18 avril, il fait irruption dans la salle des Capucines où se tient une réunion contradictoire et, après avoir réduit au silence les perturbateurs (« Assommez-les », a-t-il dit à ses partisans...) il lance : « Je n'ai jamais insulté un rabbin et pourtant les israélites ne se gênent pas pour déclarer qu'il faut fusiller nos prêtres ! Oui ! ils écrivaient le 4 septembre 1883 qu'on avait eu raison de fusiller des calotins en 1871, que la seule chose qu'on pouvait reprocher aux communards, c'était de ne pas en avoir tué assez ! »
Cris Insultes. Sifflets. Applaudissements. Et intervention musclée de la police...
La date de l'élection approchant, Morès fait distribuer une proclamation aux habitants du quartier des Épinettes, XVII^e^ arrondissement :
« Citoyens,
Au moment de me présenter à vos suffrages, il est de mon devoir de vous dire qui je suis et quel est mon but. De 1882 à 1887, j'ai habité l'Amérique du Nord, l'expérience m'a rendu socialiste ; producteur, j'ai lutté contre les intermédiaires, et j'ai pu me rendre compte des besoins des consommateurs.
107:313
Pendant cette période, dans une jeune démocratie, j'ai pu voir les nécessités sociales, les facteurs nécessaires à la production des matières premières, à la vie communale, au transport, à la distribution, au crédit. L'harmonie de toutes ces choses est le socialisme.
Pour lutter contre la tyrannie administrative dirigée par des accapareurs masqués, il faut organiser le travail de France ; pour cela, il faut la liberté absolue d'association, afin de permettre aux forces vives de la nation de se grouper naturellement au lieu d'être divisées par les formes administratives ; ensuite, donner à ces groupements les moyens d'action par le crédit ouvrier alimenté par un léger prélèvement sur le travail lui-même et géré directement par les associations ouvrières ; enfin, au point de vue administratif, l'autonomie communale la plus complète, car le travail et les communes peuvent seuls sauver la France.
En ce qui concerne la ville de Paris, je désire la destruction des fortifications, la construction, par les associations ouvrières, de logements à bon marché dans la zone militaire, la suppression des octrois ou, en tout cas, l'application des droits *ad valorem* sur les denrées, l'abrogation de la loi Griffe, l'autonomie communale dans chaque arrondissement avec un maire élu, et enfin la mairie centrale avec le maire de Paris élu par le peuple.
Je suis venu aux Épinettes présenter ma candidature parce que là se trouvent les travailleurs et les petits rentiers que mes théories peuvent intéresser. Aux premiers, elles apportent la propriété de leur instrument de travail, aux autres la protection de leur épargne. Quant aux ouvriers des Compagnies, le crédit aux travailleurs peut leur permettre, dans un temps donné, de devenir les principaux actionnaires des Compagnies où ils travaillent.
Il y a en France 300.000 ouvriers de chemins de fer ; il y en a 100.000 à Paris.
Que ces ouvriers puissent emprunter solidairement des sommes, ou même, -- s'ils concentrent leurs épargnes sur des actions d'une même compagnie, ils arriveront vite à avoir le droit d'être représentés dans les conseils d'administration, à se rendre compte de la gestion et à éliminer les étrangers.
Les chemins de fer, artères de la nation, ont un but social, ils doivent être employés dans un but social et non pas dans un but individuel.
108:313
Je terminerai cette déclaration, déjà trop longue, en disant que depuis trop longtemps on excite la nation française contre les aristocrates qui sont le passé et les catholiques qui, aujourd'hui, sont les victimes.
Il est temps de s'occuper des accapareurs qui sont le présent et de l'avenir qui est à nous.
Pour moi, je suis catholique, et partisan de la séparation de l'Église et de l'État, car je suis prêt à payer les services du prêtre sans intermédiaire.
En politique, j'accepte intégralement le programme du parti national, et je ne reconnais que la souveraineté du peuple.
Vive la France ! »
C'est signé : « Marquis de Morès, candidat socialiste révisionniste. » Et c'est, avouons-le, quelque peu cahotique et, plus encore, trop « hardi » pour l'époque. Le 27 avril 1890, les électeurs des Épinettes choisissent de renvoyer Paul Brousse au conseil municipal.
On aurait tort, une fois de plus, de croire Morès découragé par cet échec.
Remerciant les électeurs qui lui ont fait confiance, le marquis leur écrit : « Le 1^er^ mai sera la fête du travail et je vous fais la proposition suivante : je vous invite tous, ce jour-là, à venir déjeuner avec moi au Champ de Mars. Chacun de vous recevra une trique, et au bout de cette trique, il y aura un panier contenant un pain, un saucisson, un litre de vin et un mirliton. Nous déjeunerons joyeusement et nous montrerons que nous ne sommes ni des pillards ni des incendiaires. »
Constans et le gouvernement prennent la menace au sérieux. D'autant plus que des groupes anarchistes ont, eux aussi, annoncé qu'ils fêteraient tout particulièrement ce 1^er^ mai.
Le 1^er^ mai, la troupe est mobilisée et, en quelques heures, tous les rassemblements sont dispersés avant même que d'avoir pu se constituer en cortèges.
109:313
Le même soir, vers 19 heures, Morès descend de voiture à hauteur de chez son beau-père, 5, rue de Tilsitt, quand il est accosté par deux « en-bourgeois » :
-- M. de Morès ?
-- C'est moi-même. En quoi puis-je vous être agréable, messieurs ?
-- Nous sommes de la police et nous avons un mandat d'arrêt contre vous. Si vous vouliez bien nous suivre jusqu'au commissariat de la rue Berryer...
Morès obtempère et se retrouve dans le commissariat où l'on vient le chercher, pour le conduire au dépôt. Après une fouille réglementaire, il est enfermé dans une cellule. On lui a notifié, entre-temps, les faits portés à sa charge : « Provocation à des attroupements ; provocation au meurtre, au pillage, à l'incendie ; provocation à des militaires, excitation à la désobéissance envers leurs chefs. »
Le ministre de l'intérieur, Constans, n'a manifestement digéré ni le pain, ni le saucisson, ni le vin, ni le mirliton, ni la trique...
Le 2 mai au matin, serré de près par un commissaire et des agents, Morès assiste aux perquisitions programmées au 65 de la rue Sainte-Anne et au 5 de la rue de Tilsitt.
Rue Sainte-Anne, les policiers récupèrent quelques tracts et quelques affiches. Devant la mine déconfite du commissaire, Morès ne peut s'empêcher de rire :
-- Je vous avais dit que vous ne trouveriez rien. Et surtout pas le dossier Richaud auquel votre patron, M. Constans semble tenir si fort...
Rue de Tilsitt -- où le commissaire ne trouvera strictement rien -- Morès demande la permission d'embrasser sa femme et de faire un brin de toilette.
Ramené menottes aux poignets au Dépôt, il ne sera libéré que le 4 mai. Le 4 juin, il comparaît devant la 9^e^ chambre présidée par le président Toutée.
Après avoir décliné ses nom, âge et qualités, Morès répond aux questions du président :
110:313
-- Vous êtes un privilégié... vous n'habitez pas un taudis, vous habitez dans un beau quartier, rue de Tilsitt, un hôtel, qui a façade sur rue. Quel est le chiffre de votre fortune ? Et celui de la fortune de votre femme ?
-- J'ai une fortune personnelle d'à peu près 800.000 francs. Quant à la fortune de ma femme, je n'y ai pas touché. Elle reviendra à mes enfants.
Le dossier Morès étant fort maigre, son avocat, M^e^ Demange (ce sera, plus tard, un des défenseurs de Dreyfus), explique au tribunal : « Le seul texte invoqué par vous, et à tort, le voici : « Il n'y a lieu à poursuites que lorsque l'attroupement ne s'est pas dispersé. La peine en ce cas est d'un mois à trois mois. » Or, il n'y a pas eu d'attroupement. M. de Morès ne devait pas être poursuivi et son acquittement s'impose. »
Verdict du tribunal : trois mois de prison ferme. Le maximum de la peine... Dans *L'Intransigeant,* Rochefort fustige allégrement « cette accusation jésuitique de provocation à un attroupement en vertu de laquelle on pourrait condamner à trois mois de prison tous les directeurs de théâtre qui invitent le public à se réunir sous le péristyle de leur établissement ».
Morès fera ses trois mois à Sainte-Pélagie. A peine sorti de prison, il loue -- avec le fidèle Gaston Vallée (qui a fait, lui, un mois ferme) -- la salle des Capucines pour y tenir une conférence. Le thème ? « La Banque de France et les Rothschild ». L'argumentation principale tient en un postulat de base : « La France ne pourra jamais travailler à son organisation économique tant que Rothschild, le roi des accapareurs et des spéculateurs sera le maître de son crédit. »
Vallée profitera de l'occasion pour prendre à partie Clemenceau qualifié pour l'occasion de « faux radical, buveur de vin blanc, créateur des coulisses de l'Opéra, mouchard politique, ministéricide »...
111:313
« Quant à Rothschild, témoigne Droulers, entendant prononcer le nom de Morès, il est pris d'un accès de rage furieuse, et, frappant sa table de la canne qu'il tient à la main, s'écrie : "Si le gouvernement français ne me protège pas contre cet homme, je sauterai, tout sautera !" »
Réponse de Morès dans *La Libre parole* de Drumont « Eh bien ! Rothschild, ta tête contre la mienne et à nous deux ! »
(*A suivre.*)
Alain Sanders.
112:313
## NOTES CRITIQUES
### De Rome et d'Assise
Être allergique à « Assise » est-ce souffrir d'une maladie plus générale, que *La Pensée Catholique* (janvier-février 1987) diagnostique comme un « complexe d'anti-romanité » ? A vrai dire, je ne me sens pas très bien depuis le 27 octobre dernier, mais je me suis bien examiné, j'ai même « consulté » et je ne crois pas être un anti-romain. J'ai même une tendance marquée à l'ultramontanisme. En conséquence, la plus grande joie que l'on pourrait me procurer serait de me rassurer pleinement sur cette étrange démarche qui réunit pour une prière non pas commune mais simultanée et localisée, avec une intention partagée, des représentants de ce que l'on appelle aimablement les « autres religions ».
Je ne cherche pas à polémiquer avec qui que ce soit, surtout avec un illustre théologien. Mais, ayant voulu éclairer ma lanterne, j'avoue ne pas être convaincu par l'article intitulé « Prier à Assise ».
« *Respectables sont donc ces non-chrétiens qui ont gardé leur "dimension religieuse" ! La grâce de Dieu aidant, ils sont capables d'accueillir la Parole de Dieu.* » Qui le niera ? Tout l'effort des missionnaires partait de cette certitude. Mais le rôle de l'Église n'est-il pas de les aider à aller plus loin ? A Assise, elle ne le fait pas, elle leur dit : priez comme vous avez l'habitude de le faire. La Parole de Dieu n'a pas été donnée. Des lèvres pontificales est tombée cette simple phrase : « Je redis ici humblement ma propre conviction : la paix porte le nom de Jésus-Christ. » C'est l'opinion d'un homme qui, de plus, ne cherche pas à l'imposer, qui la confie à autrui « humblement » et le contexte cérémonial porte à croire que si les invités d'Assise pensent autrement, leurs propres concepts seront respectés, qu'on ne leur en tiendra pas rigueur, qu'on ne leur demandera pas même d'en changer.
113:313
Est-ce juger le pape que de faire ces réflexions ? Il faut s'entendre une bonne fois sur le mot « juger » et se souvenir que lorsque le Christ dit « Ne jugez pas », quelques versets plus loin il met en garde contre les faux docteurs et indique les signes à quoi on les reconnaîtra. La question n'est pas de juger Sa Sainteté Jean-Paul II mais de voir ce qu'on nous demande et, puisqu'on fait appel à notre raisonnement par de multiples discours, d'en user, avec la prudence nécessaire, certes, mais aussi avec la rigueur qui préserve des sophismes. Nous en analyserons ici quelques-uns.
« *Tous, à Assise, sont venus pour prier, chacun selon sa foi, sans doute. Qui donc oserait les prendre pour des comédiens, coupables d'outrages au véritable Dieu ?* » Je ne sais où ces reproches ont pu être formulés ; la presse, à ma connaissance, n'y a pas fait écho. Mais la question est autre c'est la présence, dans les lieux consacrés, de chefs religieux en tant que tels, de représentants de doctrines refusant de reconnaître le Christ et même blasphémant contre lui, qui est un outrage au véritable Dieu. Ce qui se passait dans les consciences de ces hommes et de ces femmes appartient à un autre domaine, qui certainement n'est pas de notre ressort. Il reste que le trouble est entré dans la nôtre par la juxtaposition de « vérités » différentes entre lesquelles il semble que l'on ait désormais le droit de choisir. Les media, sur ce point, ne s'y sont pas trompés, qui titraient le lendemain : « Tous les dieux de l'humanité s'étaient donné rendez-vous hier à Assise » (*France-Soir*)* *; « Assise : la paix des dieux » (*Le Quotidien*)* *; « Notre Père qui êtes aux dieux » (*Libération*)*.*
« *Répondant à son invitation* (de Jean-Paul II), *s'inclinant avec respect devant l'unique représentant de Dieu sur la terre, les chrétiens non-catholiques et les non-chrétiens auraient-ils offensé Dieu ?* » Mais ce n'est pas du tout ce qui s'est passé ! Le Dalaï Lama et le Grand-Sachem ne considèrent pas le pape comme l'unique représentant de Dieu sur la terre. Ils se sont inclinés devant leur hôte, devant un confrère qui, à leurs yeux, se croit le représentant unique de Dieu. Comment en serait-il autrement, puisqu'ils estiment peu ou prou l'être eux-mêmes. Pour le musulman, le représentant de Dieu, c'est Mahomet, pas le pape.
Les « Réponses à quelques objections » qui suivent l'article ne sont pas davantage convaincantes : « *Les théologiens ne confondent pas union, réunion avec communion.* » Hélas ! le peuple chrétien n'est pas fait que de théologiens. La réunion d'Assise a une signification pastorale qui a débouché au mieux sur l'ambiguïté. Au pire sur un aval donné à l'indifférentisme. A Lourdes, les évêques français ont déclaré : « Les religions en général et celle du Christ en particulier, prônent le respect des uns et des autres, la paix généralisée » (à l'exception peut-être de la « guerre sainte » ?). Et Mgr Vilnet a conclu en revendiquant un « espace » de liberté pour la religion du Christ comme pour celles de la concurrence. Si les évêques eux-mêmes le comprennent ainsi et que ce n'est pas cela qu'on ait voulu dire, l'erreur de pastorale est manifeste.
114:313
« *Ce n'est pas avec l'erreur qu'un rapprochement était recherché, mais avec des personnes, membres de la grande famille humaine dont le Pape, Vicaire du Christ, est le Père.* » Proposition impossible à soutenir : le pape n'a pas invité les hommes sans exception, quelle que soit leur foi ou leur absence de foi : il a invité les représentants des religions, qui représentent par le fait même l'erreur. « *Les théologiens ne confondent pas la tolérance chrétienne avec la tolérance maçonnique.* » Il semble que d'aventure ils confondent la tolérance pour les hommes et la tolérance pour les idées.
« *Le Pape, nous dit-on, n'empêchera pas les interprétations des médias et du grand public.* » « *Ce n'est pas parce que beaucoup ont mal interprété les textes du Concile que le Concile doit être rejeté. Ce n'est pas parce que les 4 Évangiles ont été par beaucoup mal interprétés depuis 2000 ans que l'Église doit les tenir pour équivoques.* »
Comparaison n'est pas raison. Par qui les Évangiles ont-ils été mal interprétés depuis 2000 ans ? Pas par l'Église, j'espère, qui était chargée de cette interprétation ! Ou bien il faut cesser de faire confiance à l'Église « qui ne saurait ni se tromper ni nous tromper ». Dans le cas d'Assise, c'est l'interprétation des media qui est en cause. Elle ne saurait être rectifiée que par une diffamation ex cathedra du Magistère de Pierre, qui fait défaut jusqu'ici. Quant au Concile, il ne fait de mystère pour personne que s'il a été mal interprété, c'est parce que beaucoup de ses déclarations sont ambiguës. On en trouvait quelques exemples dans ITINÉRAIRES de mars 1987, sous la plume de l'abbé Dulac, à propos du Décret relatif à la vie religieuse. Prenons-en deux au hasard : « La clôture doit être maintenue pour les moniales de vie contemplative, mais elle doit être adaptée selon les conditions des temps et des lieux, et les coutumes désuètes supprimées. » Qu'est-ce à dire ? Quoi que l'on fasse, avec un tel article, on est toujours en règle, comme l'a montré la scission intervenue dans l'ordre des carmélites, à laquelle une intervention du Saint-Siège a dû tenter de mettre fin après de nombreuses années. « L'habit sera conformé aux exigences de l'hygiène ; adapté aux circonstances des temps et des lieux. » Comment comprendre autre chose que : « Habillez-vous comme vous le jugerez bon. »
Mais Assise pose une autre difficulté : « *Quand nous voyons notre Pape, au cours de ses nombreuses visites pastorales, prendre contact avec les Responsables des religions d'Asie, d'Afrique et d'Océanie, quand nous voyons notre pape inviter à Assise ces mêmes personnalités non-chrétiennes pour obtenir du Ciel la Paix promise aux hommes de bonne volonté par la prière et par la pénitence...* »
115:313
La recherche d'une prière *efficace* est clairement indiquée. Il faut en conclure qu'une prière ne passant pas par l'unique Médiateur, Jésus-Christ, peut l'être. Qu'elle plaît à Dieu même lorsqu'en s'adressant à lui on nie formellement la divinité de son Fils descendu parmi nous il y a deux mille ans.
Le malaise que je ressens comme beaucoup, ne doit rien à un complexe d'anti-romanité ; il vient de ce que pour la première fois, urbi et orbi, le chef de l'Église a omis de terminer son oraison par les mots « per Dominum nostrum Jesum Christum ».
Marc Dem.
### Fin de partie
Triste fin de carrière que celle de Jacques Laurent. L'ancien jeune homme insolent, reçu sous la Coupole, a débité pendant une heure des platitudes. Avec sa mine de vieux gamin débauché, il s'est pâmé d'admiration en évoquant son prédécesseur Fernand Braudel, historien assez moyen et très mesquin, dont le principal talent consista à bien gérer sa carrière et celle de quelques disciples.
A vrai dire, les reniements de Jacques Prudhomme (cette épée d'académicien est le plus beau jour de sa vie) ont commencé dès 1975 dans son *Histoire égoïste :* il tente d'y faire accroire que, s'il est devenu en 1940 fonctionnaire appointé du gouvernement de Vichy (comme un autre allait devenir titulaire de la Francisque...), c'était pour aider la Résistance. Comment on pouvait œuvrer à la fois pour Philippe Henriot ([^7]) et pour De Gaulle, il l'expliquait assez mal.
Le jeudi 5 mars, il a commis une autre petite félonie. Fernand Braudel, qui devait beaucoup à l'Algérie française, avait été assez vil pour glisser dans son discours de réception, en 1985, un éloge des fellaghas. Jacques Laurent a emboîté le pas, parlant de la « fidélité » de Braudel à « cette Algérie qui, en continuant de parler notre langue » (Pol Pot aussi parle français), « prouvait que la France était digne de sa chance ».
116:313
Les centaines de milliers de victimes du FLN, parti au pouvoir en Algérie depuis 1962, apprécieront leur chance...
Après cela, Michel Déon peut bien avoir rappelé que le meilleur de Jacques Laurent réside dans ses années de jeunesse, dans un roman méconnu, *Le Petit Canard,* dans quelques pamphlets, *Au Contraire* et *Mauriac sous De Gaulle,* et dans une revue, *La Parisienne ;* il peut bien avoir cité Maurras (et Gaxotte, que Braudel éliminait systématiquement de ses bibliographies !) ; il peut bien, surtout, avoir refusé de saluer la Résistance chère à Laurent, en rappelant qu'ils appartenaient à une génération, celle des vingt ans en 1938, « qui a vu les boutefeux devenir des pacifistes et les pacifistes des boutefeux »...
C'était trop tard. Le Jacques Laurent que l'Académie française a reçu n'est plus qu'un cadavre. *Jam foetet...*
Robert Le Blanc.
### Une lettre inédite de Charles Maurras
La publication de cette lettre inédite de Charles Maurras mérite d'être contée.
En 1925 ou 1926, Raymond Dhaleine, fils d'un professeur lorrain, lui-même ancien élève de l'École normale de la rue d'Ulm et agrégé d'allemand, épousait Madeleine Zanetto, ancienne élève de l'École normale de Sèvres, agrégée de « philo-lettres », fille d'un inspecteur primaire de Savoie.
Tous deux avaient à peu près le même âge, nés avec le siècle. En 1929, ils eurent enfin une fille, Nicole, mais les médecins ne leur laissèrent aucun espoir d'avoir d'autres enfants. Or cette fille exquise mourut à douze ans, le 21 mars 1941, après trois mois d'une douloureuse maladie.
Dans la préface du livre aujourd'hui livré au public ([^8]) (Mme Dhaleine étant décédée le 21 février 1987, sept ans après son mari), Raymond Dhaleine a écrit :
117:313
« *Je n'essaie pas d'évoquer ce que furent pour nous les mois suivants, et notre existence saccagée par l'inacceptable séparation. Pendant des semaines, ma femme ne vit qu'une issue, le suicide. Je refusai de disparaître avec elle. Pas un instant je n'ai cessé de croire que notre suicide nous éloignerait tragiquement de notre fille. N'aurions-nous pas été trop indignes d'elle en n'acceptant pas la douleur ? Cette conviction, ma femme la partagea enfin, et se mit, peu à peu, à désirer l'appui de la foi, la foi qui avait tant soutenu notre enfant pendant son martyre.*
« *Je recherchai alors et retrouvai un de mes bons camarades de promotion à l'École normale, dominicain, prieur du couvent d'Étioles. A l'heure où certains de nos amis se détournaient du spectacle gênant de notre douleur, le Père Avril, comprenant ce que notre existence avait de pathétique, acceptant nos révoltes et nos blasphèmes, nous apporta le réconfort de son affection et de sa sereine certitude. Il prépara ma femme, seulement baptisée, à sa première communion. Elle découvrit lentement un sens à sa souffrance, et accepta de porter avec moi le fardeau. Elle m'a littéralement sauvé à mon tour.*
« *Le poids de nos misères devait être alourdi par d'autres deuils.* (*...*) *Le désir de sortir du désert creusé autour de nous par la mort nous a amenés à adopter deux petits enfants* (*...*)*. Le travail aussi est une présence autant qu'une servitude.* (*...*) *j'ajoutai donc à ma besogne de professeur un travail de traduction qui me conduisit, entre autres entreprises, à transposer en français les poésies de Mörike* ([^9])*. Et c'est à cette occasion que ma femme, deux ans après le désastre, tenta un jour d'exprimer en vers sans rimes une jolie page de ce poète délicat inconnu d'elle jusqu'alors.* (*...*) *L'habitude des vers, oubliée depuis son adolescence, fut reprise pour l'amour de Mörike. De là, un jour, une première tentative pour évoquer dans un poème l'un des instants de notre misérable existence. Ce fut le point de départ de ce livre.* »
M. Dhaleine voulut consulter quelques amis sur les écrits de sa femme. Il envoya même le premier tiers du manuscrit, dès 1943, à Maurras. Car il était depuis sa jeunesse un lecteur assidu de *L'Action française.* Je tiens même d'un de ses collègues une anecdote amusante, révélatrice d'une certaine neutralité prudente de professeur de l'enseignement public. -- « J'achète *L'Action française,* lui disait. Dhaleine entre 1925 et 1930, mais je ne m'y abonne pas, étant fonctionnaire. » ([^10])
118:313
Toujours est-il qu'il pensa à Maurras, en 1943, quand sa femme eut commencé de transcrire en vers son douloureux cheminement. Elle, de son côté, envoya en 1946 un manuscrit complet à Albert Camus, aussitôt après avoir lu le chapitre de *La Peste* où meurt un enfant, le petit Othon.
Albert Camus répondit consciencieusement, noircissant de son écriture appliquée le recto et le verso d'un feuillet à en-tête des éditions de la NRF, le 3 septembre 1946. Il évoquait ses deux enfants encore petits et concluait :
« *Quoi qu'il en soit, vous avez retrouvé une sorte de paix et bien qu'elle soit due à une foi qui n'est pas la mienne, vous me permettrez de m'en réjouir, du fond du cœur, et de former des souhaits pour que s'atténue le souvenir d'une douleur dont je sais qu'elle est insupportable trop longtemps.* »
Outre un dessin, de nombreuses photographies d'enfants (ainsi que du Père Avril) et cette lettre, l'ouvrage aujourd'hui publié reproduit en fac-similé la réponse de Maurras à Raymond Dhaleine. Trois feuillets de son écriture rageuse et galopante. Je les transcris intégralement, y compris les derniers mots en travers de la lettre, que Raymond Dhaleine a mal déchiffrés et qui forment un contraste intéressant avec ceux de Camus sur « une foi qui n'est pas la mienne » :
« Martigues, 20 septembre \[1943\],
veille de ma rentrée à Lyon
« Monsieur,
« Vous m'avez fait la confidence d'une histoire poignante, et mieux encore, d'une œuvre pleine d'émotion et de poésie à laquelle je dois vous avouer que je suis profondément sensible. Il ne m'est possible de la lire que peu à peu. Faute de temps ! Et parce qu'elle est manuscrite. Comme j'aurais béni une dactylographie à défaut d'un imprimé ! Cependant, la vérité, l'intimité de ces tableaux d'une douleur de mère, de mère et de père, ce qu'ils ont de direct, de simple, d'ingénu, s'impose à la lecture, y entraîne, et l'on baigne dans ce pathétique profond et vrai avec une véritable volupté. La valeur ? Elle me paraît grande par la matière, sa richesse, son naturel. L'art peut venir ensuite. « L'amour mène et l'art nous aide », dit un poète provençal.
119:313
« Dans quelle mesure me sera-t-il possible de tout lire ? Avec quelle vitesse ? J'ai déjà sauté ce qui était barré au crayon. J'y reviendrai, car certains débuts de ces poèmes, ainsi retranchés à dessein, m'ont paru beaux et vifs. Le temps ! Le temps ! Quelle misère ! Enfin, je tâcherai de ne pas être indigne de votre confiance. Très cordialement à vous, Monsieur, et de tout cœur ma respectueuse admiration à la mère et poète,
Ch. Maurras.
« \[en travers\] A quelle belle et noble religion pleine de promesses vous m'avez initié aussi ! Merci. »
En 1973-1974, Mme Dhaleine a donc fait imprimer les quatre-vingt-deux textes en vers et en prose qui constituent ses *Pauca meae,* avec la préface de son mari, et une postface où elle souhaite leur diffusion posthume pour aider ses « sœurs de souffrance » à « redevenir capables de regarder des yeux vivants, d'écouter des confidences, de raconter un peu, parfois, par bribes, ce qui leur est arrivé, dans une communion de pensée qui régénère et soulève jusqu'à Dieu ».
Jean-Jérôme Blanchard.
120:313
## FICTION
### Avant-dernier épisode
par Raymond Delestier
Résumé des épisodes précédents : voir notre numéro d'avril (n° 312), pages 152 et 153.
*Bons baisers\
de la mer de Bismarck*
« *Chère maman,*
*Tu trouveras peut-être bizarre que je t'écrive après un aussi long silence car ça fait longtemps que tu ne voulais plus me voir parce que j'étais en tôle et puis tu n'as jamais voulu croire ma version.*
121:313
*Et pourtant je te jure que lorsque je suis entré dans le salon privé du Club Bolivar le gars était déjà raide et les poulets me sont tombés directement sur le paletot parce que j'ai été victime d'une entourloupe de cette petite frappe de Zoziau. Mais à quoi bon remuer le passé. Personne n'a jamais voulu me croire. Ni le district attorney, ni les* « *témoins* »*, ni ma femme. Mais j'ai ma conscience pour moi et le Seigneur jugera sa brebis. Heureusement j'ai refait ma vie. J'ai été engagé par une firme de renom international qui commercialise les peaux de crocodiles -- sacs à main, chaussures, etc. Le chef du personnel m'a tout de suite repéré. Il a senti que j'étais un honnête gars à qui on pouvait faire confiance. J'ai donc été promu chef du département prospection. Et voici deux mois qu'on est ici tous les trois, installés dans notre faré au bord de la mer de Bismarck du nom de celui qui a conquis les Indes sur son cheval blanc. Je suis en train de siroter un Cuba libre sous la véranda. En face une immense plage de sable fin, la mer émeraude, le ciel cobalt. On ne chasse le crocodile que deux ou trois heures par jour et le travail est vraiment sans risques. Tous les soirs repas gastronomique : homard, dorade, oursins, lychees...* »
*-- *Hé ! monsieur l'écrivain, à la soupe !
-- Qu'y a-t-il au menu Jeff ?
-- En v'la une question : porc et patates douces comme d'habitude.
-- Encore ? Mais ça fait trois semaines qu'on bouffe du porc sans désemparer. J'en ai des furoncles à ne plus pouvoir m'asseoir.
-- Monsieur est bien difficile parce qu'il est enfant unique. J'ai connu un affreux du Katanga interné au Burundi qui n'a mangé que des bananes pendant dix-huit mois. Ne te plains pas.
-- On pourrait au moins manger du crocodile, il paraît que c'est savoureux.
-- Tu débloques. Il n'y a pas de crocodile dans cette région. D'ailleurs pour les Rioukious il est sacré et de toute façon tu ne sais pas te servir d'un couvert à poisson.
122:313
-- D'abord le crocodile c'est un saurien pas un poisson...
-- Shut up ! A la soupe.
-- M'en fous, j'ai envie de crocodile et s'il n'y en a pas j'irai faire un malheur au Big Rooster. Je rêve d'un poulet frit au maïs et petits pois.
-- Cesse de faire l'enfant gâté, Jo. Tu sais bien qu'il est défendu de sortir des limites du camp. Tu ne tiens pas à nous faire repérer tout de même ? Ne fais pas de bêtises. Demain il y aura du wallaby en civet et des flets de cantharide.
-- Est-ce qu'on ne pourrait pas avoir une literie un peu décente ? Y en a marre de coucher sur cette paillasse grouillante de cancrelats et de puces sauteuses.
-- La ferme. Au Vietnam une paillasse c'était le paradis et j'ai attendu vingt-huit mois avant de me taper un T bone steak avec french fries et ketchup. D'ailleurs on n'en a plus pour longtemps à moisir ici. Ce déluge qui dure depuis trois semaines va bientôt cesser. Les prévisions sont favorables et l'échange aura lieu dans une dizaine de jours. Ce soir briefing avec le colonel Mackintosh et l'adjudant Apfelstrudel. Ne passe pas par le ravin. Okidi y a disparu hier dans un torrent de boue. Tout pourrit ici. Change de grolles si tu ne veux pas avoir de champignons.
-- On ne pourrait pas demander à Kolé de...
-- L'est au lit avec une hépatite virale et Kina a la lèpre sèche.
-- Et Djeepeetwo ?
-- Il confesse Tony depuis une heure. Il est marrant ce pape, il parle le slang du milieu avec un de ces accents polonais, mais c'est un chic type.
-- Dis donc Jeff, neuf cent quatre-vingt-dix-neuf millions de bucks ça fait un tas non ?
-- J'ai calculé que ça remplirait cette pièce.
-- Pas possible !
123:313
-- Logique. Ouvre bien tes portugaises : une liasse de cent dollars fait 180 cm ^3^.
-- Ouais.
-- Bon. On arrondit la somme à un milliard, ça fait cent mille liasses de cent dollars pas vrai ?
-- Puisque tu le dis !
-- Cent mille fois cent quatre-vingt centimètres cubes ça fait dix-huit millions de centimètres cubes, soit dix-huit mètres cubes puisqu'un mètre cube fait un million de centimètres cubes. Tu me suis ?
-- Comme ton ombre.
-- Avec le foisonnement il faut compter vingt mètres cubes puisqu'on exige des billets usagés. Or mon Loulou cette pièce a exactement vingt mètres cubes et je suis prêt à rester encore un mois les pieds dans la boue en ne mangeant que des épluchures, mais les billets verts au sec pour finir mes jours à Acapulco. Changeons de sujet. T'as vérifié le stock aujourd'hui ?
-- Je ne fais que ça depuis deux semaines à raison de huit heures par jour.
-- Passe-moi la liste.
Jeff y jeta un coup d'œil en fronçant les sourcils :
-- Il y a du coulage. Prends note : -- cent vingt AKM 47, entre parenthèses Kalachnikov -- 7,62 intermédiaire ; quatre-vingt M 16, entre parenthèses Armalite -- 5,56, comme on en utilisait au Vietnam ; quatre enregistreurs d'images thermiques avec télescope Barr & Stroud ; six Hawklite Pikington Glass et pour terminer tu me mets vingt Smith & Wesson, ça nous changera des Beretta, l'arme du parfait tueur comme disent les journalistes. Ah ! j'oubliais : deux tentes anti infra-rouges. Tu me mettras tout ça à part ce soir entre la bauge et les feuillées vite fait bien fait. Salut ! je vais à la séance d'épouillage.
« *Pour le reste ski nautique, ma-jong ou poker. Même qu'on a la télé tous les soirs. Puis je fais mon power-training sans oublier mes prières avant de m'endormir dans des draps frais au son d'une lointaine complainte papoue.*
124:313
*Dans deux semaines je serai de retour aux States et je pense pouvoir m'offrir avec mes économies la villa de Kirk Douglas à Beverly Bills. Tu sais celle qu'on a vue dans* « *Life* » *avec des colonnades égyptiennes et un autel de sacrifice aztèque. Si tu passes par là c'est Ennis House, 2607 Glendower Avenue, 1924.*
*Chère maman je te quitte car deux superbes catamarans gréés par les beach-boys nous attendent sur la plage. On part à la pêche aux perles avec deux hôtesses du syndicat d'initiative.*
*Gros bisou et à bientôt.*
*Ton fils qui t'aime,*
*Jo.* »
#### *L'échange*
« Ici Jean-Loup Le Loïc à Port-Moresby pour France-Inter. Allo allo, vous m'entendez ?
Cette fois ça y est le pape est libre.
L'échange du personnage le plus prestigieux et de la rançon la plus colossale de l'histoire a eu lieu aujourd'hui à 13 heures heure locale sous les auspices d'un Comité international composé des représentants des Nations-Unies, de la Croix rouge, du Vatican, du gouvernement des État-Unis puisque l'enlèvement a eu lieu non loin d'une base US, et de monsieur Tom Muliap, ministre papouan de la police. Le saint-père est arrivé en hélicoptère il y a une quinzaine de minutes à Port-Moresby où un Boeing spécial le conduira à Rome via Karachi. J'ai à mes côtés le colonel australien Kevin Parry qui a supervisé les opérations d'échange.
125:313
-- Comment les ravisseurs se sont-ils mis en rapport avec vous colonel ?
-- Notre ambassadeur en Papouasie a reçu la nuit passée un appel téléphonique de monsieur Torato alors que le comité se trouvait à l'aéroport de Canberra. Dès que nous avons vérifié le code et obtenu l'autorisation de vol nous avons décollé pour Port-Moresby.
-- Est-il vrai que la rançon prend beaucoup de place ?
-- Neuf millions neuf cent quatre-vingt-dix-neuf billets de cent dollars cela fait vingt ballots d'un mètre cube.
-- Et cela représente le budget de la France pour deux mois.
-- Quatre heures après nous avons rallié Port-Moresby et chargé la rançon dans quatre Sikorsky Black Hawk accompagnés des appareils de couverture.
-- Et tout s'est passé rapidement ?
-- Du tout ! Ils nous ont d'abord fait lanterner deux heures au premier rendez-vous histoire de vérifier si nous n'essayions pas de les piéger.
-- C'est-à-dire ?
-- De les neutraliser et de libérer le saint-père sans payer la rançon.
-- Vous étiez déçu ?
-- Non, parce que c'est normal dans ce genre d'opération. Puis ils nous ont fixé un deuxième rendez-vous 800 km plus loin mais tout aussi infructueux. Deux heures plus tard le troisième était le bon. Nous avons atterri dans une clairière.
-- Une grande clairière ?
-- Oui, en effet, pour un Sikorsky il faut un terrain dégagé de cent fois deux cents mètres. Sinon nous refusons de nous poser.
-- Et puis ?
-- J'étais dans le premier hélico et une centaine de prisonniers indonésiens sont apparus verts de peur, poussés par les gars de Torato qui mitraillette au poing les utilisaient comme écran. Deux minutes après cinq hélicos, des Boeing Retriever, ont surgi et se sont posés derrière nous dans la clairière.
126:313
-- Le pape y était ?
-- Non, et nous avons été un peu déçus. Ces appareils ne devaient servir qu'au transport de la rançon. Mais quelques instants plus tard trois types en smoke ont surgi des fourrés et nous ont fait signe de descendre.
-- Ils étaient distants de combien ?
-- Une trentaine de mètres peut-être.
-- Ça devait être impressionnant.
-- Plutôt, bien que j'aie à présent l'habitude de ce genre d'opérations mais pas pour un tel enjeu. Les pales continuaient à tourner et les prisonniers indonésiens n'en menaient pas large. Ils ne comprenaient pas ce qui leur arrivait. Certains devaient penser qu'on allait les prendre en hélico pour les précipiter ensuite dans le vide. Dans les guerres du Sud-Est asiatique ça se fait couramment.
-- Et les trois types étaient papous ?
-- Non, ils portaient des cagoules et avaient l'accent américain.
-- Des instructeurs, des bérets verts, des gars des forces spéciales ?
-- Je n'en sais rien. Comment voulez-vous ?
-- Ils avaient l'air fasciste ?
-- Ah ! Vous voulez savoir s'ils avaient une tête carrée, des yeux bleus, des cheveux blonds et une grosse nuque comme dans les bandes dessinées ? Je ne peux pas vous le dire, ils avaient des cagoules. D'ailleurs vous avez un Australien devant vous qui correspond à cette description, vous ne l'avez pas remarqué ?
-- Hum. Et que s'est-il passé ensuite, colonel ?
-- Une Land-Rover vert moutarde a surgi d'une trouée au bout de la clairière. Un cagoulard m'a passé une paire de jumelles et j'ai tout de suite reconnu le pape en soutane blanche qui levait les bras en signe de joie et d'amitié.
-- Comment avez-vous su que c'était lui ?
127:313
-- Mais puisqu'on le voyait à peu près tous les quinze jours à la télé dans l'une ou l'autre partie du monde. Et puis il est venu dernièrement en Australie. A ce moment nous étions soulagés et nous lui avons répondu aussitôt en levant les bras et en faisant le V de la victoire. Ensuite les cagoulards ont fait décharger les ballots par les prisonniers indonésiens et c'est alors qu'a commencé la partie la plus délicate de l'échange car la moindre bavure -- comme abattre un prisonnier par inadvertance ou énervement, par exemple -- nous aurait valu des critiques acerbes de la part des media. Vous comprenez, nous devions être sûrs que c'était vraiment le pape et qu'il était en bonne santé, qu'ils ne l'avaient pas maltraité ou drogué. Certes il avait maigri mais il était souriant et heureux de nous voir. Nous devions être certains de le récupérer sans être piégés. D'un côté nous étions plus à l'aise mais nous courrions encore certains risques jusqu'au moment précis ou le pape serait sous notre protection. D'un autre côté il faut se mettre à la place des rebelles : ils voulaient entrer en possession de la rançon sans être piégés. A partir du moment où ils nous livraient le pape ils couraient tous les risques. Des armées entières auraient pu se mettre à leurs trousses et avec les moyens électromagnétiques dont nous disposons ils auraient été rapidement repérés. Bien sûr ils le savaient. C'est pourquoi au moment précis où nous avons réceptionné (*sic*) le saint-père nous avons appris par radio que trois personnalités australiennes étaient enlevées à Canberra pour garantir la fuite des Crocodiles gris.
-- Oui, effectivement, ici Jean-Loup Le Loïc, nous venons d'être informés de l'enlèvement du ministre de la défense australien, du PDG d'IBM-Australie et de Dave Dempster, le milliardaire bien connu de Perth. L'action a été revendiquée par les Crocodiles gris qui ont assuré les autorités que les otages seraient libérés dès que la rançon serait en lieu sûr. Et ensuite, colonel ?
-- Les ballots étant déchargés, les Crocodiles en ont choisi cinq au hasard et en ont passé les billets au compteur-détecteur électronique. Ça a pris une demi-heure à peu près. Remarquez que s'ils avaient voulu mettre dix gars à compter toute la rançon il eût fallu plus de trente heures.
128:313
-- En effet colonel, lorsque le président Marcos s'est réfugié à Hawaï avec toute sa fortune en dollars, le douanier américain qui comptait les billets a souffert pendant une semaine d'un gonflement des doigts. Merci, colonel. Ici Jean-Loup Le Loïc. J'apprends à l'instant que Jean-Paul II est attendu ce soir à 21 heures à Fiumicino aéroport de Rome. Ici Jean-Loup Le Loïc à Port-Moresby pour France-Inter. »
Raymond Delestier.
*Suite et fin dans le prochain épisode* « *Ascenseur pour l'apocalypse* »*.*
129:313
## DOCUMENT
### Le beau n'est pas un luxe
*Sermon prononcé par l'abbé Didier Bonneterre, le IV^e^ dimanche après l'Épiphanie, en la nouvelle chapelle du Prieuré Saint-Louis de Nantes.* (*Adresse du Prieuré 25, rue François Bruneau ; téléphone :40.29.48.70.*)
Mes Bien Chers Frères,
Les travaux avancent à grands pas et c'est bientôt une nouvelle chapelle qui sera consacrée à la gloire de Dieu et à la sanctification de nos âmes. C'est de notre chapelle dont j'aimerais vous parler ce matin.
Rassurez-vous, je ne vous rapporterai pas les détails des quatre années du dialogue que j'ai entretenu avec les autorités municipales, sinon pour vous dire qu'à l'échelon suprême, je me suis trouvé devant un mur ; un mur poli et courtois certes, mais de cette courtoisie particulière qui me laissait deviner l'ombre d'une mitre derrière le fauteuil de Monsieur le Maire. Je ne retiendrai du « non » injustifiable que son accent de « Niet », écho d'une autre dictature...
Mais rassurez-vous encore : ma mémoire est sélective : j'oublie plus vite les cauchemars que la Parole de Dieu. Et il en est une de ces paroles que je vous cite souvent et qui éclairera ce que je pourrai vous dire ce matin : « Tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu. »
130:313
Au « Niet » protocolaire de ceux qui ne veulent pas nous donner une chapelle dans la ville de Nantes, en votre nom à tous, je dis : « Merci ! »
« Merci », car nous refusant les temples qu'ont édifiés nos pères, vous nous obligez, nous, à construire une nouvelle « Maison de Dieu », une nouvelle « Porte du Ciel ».
Merci surtout à vous, mes bien chers frères, qui, chacun à votre place, contribuez à concourir si généreusement à l'œuvre commune.
La communauté de « pierres vivantes » que nous constituons aura désormais son incarnation, sa matérialisation, dans une chapelle, non pas dans une chapelle que l'on nous aurait concédée et que d'autres auraient conçue et réalisée... mais dans une chapelle que nous aurons construite ensemble : une chapelle selon nos moyens bien sûr, mais surtout une chapelle selon nos cœurs, ou mieux selon notre cœur.
Une chapelle qui s'efforce de n'être que beauté :
-- beauté pour la gloire de Dieu
-- beauté pour l'édification de nos âmes.
**I. -- Esthétique d'abord**
Si je voulais résumer l'idée maîtresse qui préside à l'édification de notre chapelle, je reprendrais volontiers le titre d'un ouvrage d'André Piettre, de l'Institut : « Esthétique d'abord ! »
« Esthétique d'abord » c'est-à-dire souci prioritaire du Beau, souci du Beau non bien sûr par mépris des autres valeurs spirituelles : du Bon et du Bien surtout dont le Beau est indissociable ; les Grecs l'avaient compris qui liaient les deux mots « Beau » et « Bon » en un seul : « kalokagathos ». Souci de la beauté, sans mépris du fonctionnel et de l'utile ; mais « Esthétique d'abord ! » parce que la recherche de la beauté est inséparable de la recherche de Dieu.
Dieu est beau, l'âme chrétienne est belle, la construction d'une chapelle pourrait-elle être autre chose qu'une recherche de la beauté.
*La beauté !*
Où est-il le temps où elle ornait toutes les manifestations de la vie ? La beauté apparaît aujourd'hui à tel point un luxe qu'en parler, que s'en soucier fait passer pour pédant, prétentieux, ou pire dans l'idéologie médiatique, réactionnaire d'extrême-droite, esclavagiste et exploiteur du peuple.
La beauté est devenue inutile. « Inutile » : condamnation suprême dans un univers où l'on ne conçoit plus que le fonctionnel.
131:313
Il fut pourtant un temps où « technique » et « art » étaient indissociables. Dans la langue des Grecs, « technè » désignait aussi bien la technique que l'art. L'homme qui agissait, qui créait ne pouvait faire que de l'art, que produire de la beauté.
A cette époque, ou plutôt dans cette vision des choses, « art » ne faisait que s'opposer à « science », l'art, c'est-à-dire tout l'agir humain, était à la recherche de la beauté :
-- le beau était recherché dans les productions des artisans, qu'on ne dissociait pas des artistes ;
-- le beau était recherché dans la moindre activité humaine : la manière de se tenir, de se vêtir, de parler, la manière de vivre ; c'était le temps des « belles manières ».
L'activité religieuse de l'homme étant son activité suprême, l'homme, le « kalokagathos », l'homme bel et bon des Grecs, et au fond de toutes les civilisations, l'homme réservait ce qu'il avait de plus beau pour les manifestations de sa vertu de religion : beauté des temples, beauté de la liturgie.
« Les grandes civilisations artistiques furent des civilisations où l'inutile était nécessaire, a écrit Thierry Maulnier. Dans la civilisation d'aujourd'hui, l'inutile est devenu inutile. »
C'est parce que la chrétienté n'est pas seulement une grande civilisation artistique, mais parce qu'elle est la civilisation par excellence, qu'elle pousse si loin le souci de la beauté.
« La grâce ne détruit pas la nature », et ce qui était « bel et bon » chez les Grecs se trouve transfiguré par la grâce divine.
Il a fallu attendre l'époque moderne et la lente agonie de la Chrétienté pour que l'on sépare l'art de la technique... pour que la technique ne produise plus nécessairement de la beauté.
Il a fallu notre temps pour dissocier l'artisan, le technicien, de l'artiste.
Il a fallu attendre notre temps pour que le comportement humain, l'art de vivre, ne soit plus une recherche de la beauté ; pour que l'on ne se soucie plus de se mal vêtir, de se mal tenir, de mal parler ; pour que -- l'on tourne en ridicule « les belles manières ».
Il a fallu attendre notre temps pour parler avec moquerie et presque commisération des « artistes », des « esthètes ».
Il a fallu attendre notre temps pour voir l'homme ne plus se soucier de beauté dans ses relations avec Dieu.
132:313
Au culte du Beau ne pouvait que succéder le culte du laid et de l'abject.
On ne s'est pas contenté d'arracher le Beau des préoccupations humaines, il a fallu arriver à un univers de laideur : laideur de ce qui reste des productions artistiques, laideur des manières, des vêtements, laideur des cérémonies.
Décomposition de l'univers, je dis bien : de l'univers. Dans toute la pensée grecque, « Cosmos » signifie tout à la fois monde et beauté. Création donc d'un monde, d'un « Cosmos » de laideur. L'art de vivre est celui de la « Grande Bouffe ». Les idoles sont Coluche et Gainsbourg. Le chantre est Renaud : tout ce qu'on ose encore appeler « culture » sous l'effarante responsabilité en France d'un Jack Lang ou de la « bande à Léo ».
Quant au religieux, je tremble de devoir faire allusion à ce qui en paraît bien la manifestation suprême : le « show » du Stade Gerland à Lyon.
Et bien, de ce monde-là, de ces manières-là, de cette religion-là dirai-je même, nous ne voulons pas. Et notre religion, nos manières, notre monde demeureront ceux de la recherche de la beauté, de la recherche de Dieu.
**II. -- Notre chapelle, reflet et incarnation**
Je vous le disais tout à l'heure, c'est une grâce que de pouvoir construire une église selon notre cœur, selon nos désirs. Et ce désir est beauté.
Certes, nos moyens limitent notre entreprise... mais avant tout, notre chapelle sera belle, car elle sera le reflet, elle sera l'incarnation de ce que nous essayons d'être ; reflet de notre conception de la vie, quête de la beauté liée par nature à la recherche de Dieu.
Cherchant la beauté dans nos vies, n'est-il pas naturel que nous offrions à Celui qui n'est que beauté la demeure la plus belle, la moins indigne possible de sa perfection.
La dédicace d'une église est une fête du Seigneur : ne doit-elle pas être belle celle qui est le Christ en terre, celle qui abrite sa présence eucharistique ?
Ne doit-elle pas être belle la maison de la prière, de la méditation, je vous citais, cet été, Tarkowski qui disait : « La beauté conduit à la méditation et la méditation à Dieu. »
133:313
**III. -- Chapelle éducatrice**
Si la beauté de notre chapelle est reflet de ce que nous essayons d'être, je ne doute pas que sa beauté nous aidera également à mieux vivre.
C'est André Piettre dont je vous citais tout à l'heure le titre de l'ouvrage qui l'a bien dit : « En même temps qu'il élève, écrit-il, l'amour du beau ouvre l'être à l'amour. Il introduit celui-ci au cœur même des choses... l'approche même de Dieu est inséparable des voies de la beauté... »
École d'élévation, l'esthétique ne l'est pas moins par l'effort qu'elle requiert. Comme elle affine le cœur, elle suscite les énergies. Il est infiniment plus facile de rejeter les formes que de les pratiquer, de faire du tachisme que de se soumettre à la « probité du dessin », d'adopter la mode de la vulgarité que de la distinction, celle du débraillé que de la dignité » (« Esthétique d'abord ! », p. 183).
Platon disait que « Le beau est le vestibule du bien. » L'abbé Berto, qui a construit en 1968 sa chapelle de Pontcalec, faisait parler les pierres de la maison de Dieu : « Ce n'est pas pour nous que nous sommes belles, c'est pour le Seigneur Dieu. Prends de notre beauté, écrivait-il ; prends, prends donc, nous n'en sommes pas jalouses, nous en sommes prodigues ; embellis-toi d'y baigner, fais-toi un beau cœur pour Dieu. » (N.-D. de Joie, p. 318.)
**Conclusion**
Mais, pour que vous ne pensiez pas que mes propos, ce matin, sont trop originaux ou trop personnels, je laisserai la conclusion à Pie XII. Pie XII qui a su se faire l'écho de toute la tradition catholique, en recevant des artistes italiens, le 8 avril 1952.
Pie XII qui ne se souciait pas que de la vérité, mais qui était l'ami de tous les arts, digne successeur de ces prestigieux prédécesseurs, qui ont su faire de Rome la capitale de la beauté.
Il accueillait ces artistes de sa voix cristalline : « A quel point nous est agréable votre visite, la tradition même du Pontificat Romain vous l'enseigne, qui, héritier de la culture universelle, n'a jamais cessé d'estimer l'art, de s'entourer de ses œuvres, d'en faire, dans de justes limites, le collaborateur de sa mission divine en conservant et élevant le destin qui est de conduire l'esprit à Dieu.
134:313
« Et vous, de votre côté, déjà en franchissant le seuil de cette maison du Père commun, vous vous êtes sentis dans votre monde, en reconnaissant vos idéaux dans les chefs-d'œuvre réunis ici au cours des siècles. Il ne manque donc rien pour rendre réciproquement agréable cette rencontre entre le successeur, bien qu'indigne, de ces papes qui brillèrent comme de généreux mécènes des arts, et vous, les continuateurs de la tradition artistique italienne.
« Il n'est pas nécessaire, disait Pie XII, que nous vous expliquions -- vous le sentez en vous-mêmes souvent comme un noble tourment -- un des caractères essentiels de l'art consistant en une certaine « affinité » intrinsèque de l'art avec la religion, qui fait des artistes en quelque sorte les interprètes des perfections infinies de Dieu, et particulièrement de sa beauté et de son harmonie.
« La fonction de tout art est en effet de briser le cercle étroit et angoissant du fini dans lequel l'homme est enfermé tant qu'il vit ici-bas, et d'ouvrir comme une fenêtre à son esprit aspirant à l'infini. » Et Pie XII ajoutait : « Les âmes civilisées, élevées, préparées par l'art, sont mieux disposées à accueillir la réalité religieuse et la grâce de Jésus-Christ. C'est donc là un des motifs pour lesquels les souverains pontifes et, en général, l'Église, ont honoré et honorent l'art et en offrent les œuvres comme hommage des créatures humaines à la majesté de Dieu dans ses églises, qui ont toujours été, à la fois des demeures de l'art et de la religion. »
\[Fin de la reproduction du sermon prononcé par l'abbé Didier Bonneterre, le IV^e^ dimanche de l'Épiphanie, à la grand messe de la nouvelle chapelle du Prieuré Saint-Louis de Nantes.\]
============== fin du numéro 313.
[^1]: -- (1). *Courrier hebdomadaire de Pierre Debray,* édité 3 rue des Immeubles industriels, 75011 Paris, numéro 822 du 18 novembre 1985.
[^2]: -- (1). 1 Samuel, 16, 13.
[^3]: -- (1). Un nouveau théologien.
[^4]: -- (2). Notre jeunesse.
[^5]: -- (3). R.P. Calmel, Note doctrinale sur le mystère du Christ-Roi, ITINÉRAIRES, numéro 56.
[^6]: -- (1). Les évêques d'Irlande ajoutent que la seule garantie contre le sida passe « *par la fidélité à un partenaire dans le mariage et par le renoncement et la retenue en dehors du mariage* ». Les évêques d'Allemagne soulignent également que la campagne devrait consister en « *des recommandations morales et prôner la chasteté et la fidélité* ». En revanche, le conseil permanent de l'épiscopat français a publié sous la signature de Mgr Vilnet un communiqué amphigourique dont la phrase principale est quasiment incompréhensible, et la conclusion est sous forme interrogative : « *Que veut notre société pour la dignité des femmes, des hommes et dès enfants de demain ? Veut-elle le libertinage dans la sécurité sexuelle ou l'amour vécu dans des engagements responsables ouverts au vrai sens du mariage ?* » Mais les évêques d'Irlande ont montré que l'alternative est fausse : il n'y a pas, il n'y a plus, de « libertinage dans la sécurité sexuelle ».
[^7]: -- (1). Voir les précisions (et la photographie) apportées par Charles Filippi dans son article, très modéré, de *Rivarol*, le 13 mars 1987.
[^8]: -- (1). Madeleine Dhaleine-Zanetto, *Tenter de vivre*, 120 p. Diffusion : DPF, Chiré-en-Montreuil, 86190 Vouillé, CCP 2920-71 M Bordeaux -- 45 F (plus port 12 F).
[^9]: -- (2). Raymond Dhaleine avait déjà publié une traduction du charmant opuscule de Mörike intitulé *Le Voyage de Mozart à Prague*, en 1931, dans la collection bilingue Aubier-Montaigne (une autre traduction de cette œuvre est aujourd'hui disponible en Folio-Junior).
[^10]: -- (3). Raymond Dhaleine devint à la fin de sa carrière Doyen de l'Inspection générale. Georges Pompidou présida son départ à la retraite et déclara en parodiant Flaubert : « Ainsi se tient, devant ces bourgeois épanouis, un demi-siècle de servitude... »