# 316-09-87 1:316 ## Brève apologie pour l'Église ![](media/image1.png) 6:316 AVERTISSEMENT La *Brève apologie* du P. Calmel est un ouvrage qu'il écrivit à la fin de l'année 1970 et au début de l'année 1971 ; les chapitres en furent d'abord publiés, de mars à juillet, en articles successifs de la revue ITINÉRAIRES, puis, à l'automne, en un tiré à part. Le texte de la présente édition a été établi par les Dominicaines Enseignantes du Saint Nom de Jésus et du Cœur Immaculé de Marie, à Brignoles (Var). Elles ont introduit un chapitre nouveau : *Autorité et sainteté,* qui est un ajout prévu par l'auteur, ainsi que les corrections qu'il avait préparées pour l'éventualité d'une réédi­tion ; elles ont en outre recueilli en six annexes d'autres articles du P. Calmel qui précisent, complètent ou développent certains points de la *Brève apologie.* Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation. 7:316 *A Notre-Dame de Grâces\ de Cotignac en témoignage filial\ de profonde dévotion\ et d'humble gratitude* 9:316 ### Prologue Égarés par la grande chimère de vouloir découvrir les moyens infaillibles et faciles de réaliser une bonne fois l'unité religieuse du genre humain, des prélats, des prélats occupant les charges les plus importantes, tra­vaillent à inventer une Église sans frontières dans la­quelle tous les hommes, préalablement dispensés de renoncer au monde et à Satan, ne tarderaient pas à se retrouver, libres et fraternels. Dogmes, rites, hiérarchie, ascèse même si l'on y tient, tout subsisterait de la pre­mière Église, mais tout serait démuni des protections requises, voulues par le Seigneur et précisées par la Tradition ; par là même tout serait vidé de la sève catholique, disons de la grâce et de la sainteté. Les adeptes des confessions les plus hétéroclites, et même ceux qui refusent toutes les confessions, entreraient alors de plain-pied ; mais ils entreraient de plain-pied dans une Église en trompe-l'œil. Telle est la tentative présente du Maître prestigieux des mensonges et des illusions. Voilà le grand œuvre ; d'inspiration maçonni­que, auquel il fait travailler ses suppôts, prêtres sans la foi promus théologiens éminents, évêques inconscients ou félons, sinon apostats déguisés, portés rapidement au comble des honneurs, investis des plus hautes préla­tures. Ils consument leur vie et perdent leur âme à édi­fier une Église *postconciliaire, sous le soleil de Satan.* 10:316 Les dogmes, décidément frappés de relativisme par la nouvelle *pastorale* qui ne condamne aucune hérésie, ne proposent plus un objet précis et surnaturel ; dès lors il n'est pas besoin pour les recevoir, à supposer que le mot garde encore dans ce cas une signification, d'incliner l'intelligence ni de purifier le cœur. Les sacre­ments sont mis à la portée de ceux qui ne croient pas ; presque plus rien n'empêche de s'en approcher les incroyants et les indignes, tellement les nouveaux *rites ecclésiastiques* sont devenus étrangers, par leur instabi­lité et leur fluidité au *signe sacramentel efficace de lui-même,* divinement fixé par le Sauveur une fois pour toutes *et jusqu'à ce qu'il revienne. --* Pour la hiérarchie, elle se dissout insensiblement dans le *peuple de Dieu* dont elle tend à devenir une émanation démocratique, élue au suffrage universel pour une fonction provisoire. Grâce à ces innovations sans précédent on se félicite d'avoir abattu les barrières qui retenaient hors de l'Église celui qui hier encore, dans la période antéconci­liaire toute proche, rejetait les dogmes, repoussait les sacrements, ne s'abaissait pas devant la hiérarchie. Sans doute, tels qu'on les entendait avant le concile, dogmes, sacrements, gouvernement, exigence de conver­sion intérieure donnaient à l'Église l'aspect d'une ville fortifiée -- *Jérusalem quae aedificatur ut civitas* ([^1]) *--* avec portes bien gardées et remparts inexpugnables. Nul n'était admis à franchir le seuil divin qui ne se fût converti. Désormais cependant les choses changent sous nos yeux ; croyances, rites, vie intérieure sont soumis à un traitement de liquéfaction universelle si violent et si perfectionné qu'ils ne permettent plus de distinguer en­tre catholiques et non-catholiques. Puisque le oui et le non, le défini et le définitif sont tenus pour *dépassés,* on se demande ce qui empêcherait les religions non-chrétiennes elles-mêmes de faire partie de la nouvelle Église *universelle,* continuellement mise à jour par les interprétations œcuméniques. 11:316 On se le demande, si du moins l'on accepte le point de vue que se laissèrent imposer tant et tant de Pères circonvenus par Vatican II : forger un système inconnu auparavant et un appareil encore inédit en vue de gagner le monde à l'Église sans être exposé à l'échec ni souffrir persécution, et en commençant par relativi­ser le surnaturel. Mais cela ne signifie rien. Car d'une part Jésus a dit : *Le disciple n'est pas au-dessus du Maî­tre, s'ils m'ont persécuté ils vous persécuteront, s'ils ont gardé ma parole ils garderont la vôtre* ([^2])*.* D'autre part le surnaturel n'est pas volatilisable ou modifiable ; il est ferme et précis ; il présente un visage déterminé ; il a une configuration achevée et définitive ; depuis l'Incar­nation du Verbe, depuis la croix rédemptrice et l'envoi de l'Esprit Saint, le seul surnaturel qui existe est chré­tien et catholique. Il n'a de réalité que *in Christo Jesu, et Virgine Maria et Ecclesia Christi.* C'est pourquoi si l'on préserve en son âme le point de vue de l'Évangile de Jésus-Christ et des vingt premiers conciles, on voit fort bien ce qui refoule dans le néant la chimère de l'unité œcuménique : c'est l'obligation de fléchir le ge­nou devant le Fils de l'homme, auteur et dispensateur souverain du Salut, mais uniquement dans la seule Église qu'il ait établie. Trop de dignitaires ecclésiastiques se sont abandon­nés à la perversion moderniste de l'intelligence ; ils en sont venus à ne plus trouver monstrueuse l'habitude d'affirmer dans un même discours des propositions in­compatibles, parce qu'ils estiment l'intelligence incapa­ble du vrai. Ils supposent plutôt qu'il existe quelque part, on ne sait où, une sorte de *noumène* religieux insaisissable à propos duquel l'esprit fabrique des sys­tèmes ingénieux, indéfiniment variables au gré de l'évo­lution de notre espèce, mais toujours impuissants à atteindre ce qui est. 12:316 Une chose compte : que ces sys­tèmes, idéologies, théologies soient mis au service de l'essor de l'humanité ; on les appréciera sur leur poten­tiel stimulateur d'une ascension grandiose vers la liberté et le progrès. Celui qui consent à une pareille déforma­tion spirituelle se défend de condamner hérétiques ou hérésies et ne s'estime lié par aucun dogme. Il contem­ple avec détachement et bienveillance les thèses les plus opposées, s'appliquant à faire valoir en chacune les éléments qui préparent un avenir meilleur et qui se rat­tachent de près ou de loin à un soi-disant esprit évan­gélique -- l'Évangile étant interprété comme un fer­ment d'avenir idéal, mais non pas reçu comme une règle définitive, fidèlement gardé par une Tradition divi­nement assistée. -- Lorsque des prélats à l'esprit aussi dénaturé occupent les premiers postes dans l'Église, c'est pour tous les fidèles une détresse sans nom. *Si ces temps n'étaient pas abrégés nulle âme ne serait sauvée, mais ces temps seront abrégés à cause des élus* ([^3])*.* Poussés par des motifs apparemment sublimes à convoiter de toutes leurs forces et dès leurs premiers pas dans la cléricature les postes les plus élevés de l'Église, de jeunes prêtres ont offert au démon une proie trop facile. Le démon les a pris en charge pour les faire arriver, mais il leur a fait payer le prix fort. Autrefois, dans les temps de la chrétienté médiévale ou classique, qui voulait se pousser pour devenir cardinal ou davantage encore, devait bien souvent se faire le complice, au moins par son silence, des péchés et pré­varications des princes chrétiens. Aujourd'hui les princes chrétiens n'existent plus ; en tout cas ils sont dépossé­dés. 13:316 Le pouvoir a passé aux sociétés occultes, maçon­niques ou communistes. Voilà pour une grande part les maîtres horribles des temps modernes. Aujourd'hui donc le prêtre qui nourrirait l'ambition de se pousser dans l'Église aux postes supérieurs, c'est avec ces prin­ces qu'il lui faudrait compter. C'est de ceux-là qu'il devrait se faire le complice. Le pourrait-il s'il ne consen­tait à s'enfoncer, par degrés peut-être mais véritable­ment, dans une radicale perversion de l'esprit ? Car s'il refusait de se laisser gagner peu à peu par les ténèbres spirituelles, il resterait incapable, malgré tous ses efforts, de devenir un allié utile pour les forces occultes ; tant bien que mal il s'opposerait, il resterait un adversaire. Or il faut qu'il soit un auxiliaire ; ce n'est pas pour autre chose que le César moderne l'a hissé aux postes de commande. Il arrive qu'un homme ou une femme, ivres de pas­sion, acceptent d'ouvrir, avec une détermination effra­yante, la porte sacrée de leur liberté au démon de la luxure. Le démon devient leur maître, il est comme investi du pouvoir de les précipiter dans le gouffre, il a des chances de paralyser quasi-totalement la volonté de ses victimes. Or le démon de l'orgueil est plus redouta­ble que celui des convoitises charnelles. Quelle ne sera donc pas la force de son emprise sur le prêtre qui avide du pouvoir *in spiritualibus* s'est confié, serait-ce indirectement, pour être plus assuré de l'obtenir, à ces formidables organisations occultes de notre temps sur lesquelles le démon règne en maître. Dans quelle défor­mation de l'esprit le démon ne va-t-il pas faire glisser ce prêtre ambitieux ? S'il ne parvient pas à se ressaisir à temps, sa raison sera comme invinciblement faussée par le Prince de ce monde. *Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste* *Qui bercera bientôt son esprit enchanté* *Et le métal sans prix de toute loyauté* *Sera vaporisé par ce savant chimiste.* 14:316 La détresse de l'Église serait-elle cent fois plus déchi­rante, cent fois plus cruelle, c'est le Seigneur qui en est à jamais le Maître et le Roi. C'est à lui *que toute puissance a été donnée, c'est devant lui que fléchit tout genou au ciel, sur la terre et dans les enfers, y* compris dans cette sorte d'enfer, pour le moment indolore, qui est la secte moderniste. Elle ne peut étendre sa nocivité au-delà des étroites frontières que le Seigneur lui assigne et le Seigneur ne lui concède un certain pouvoir d'obs­curcir, de fausser et de scandaliser en mille manières, que pour le bien des élus et pour augmenter la splen­deur de grâce de son Église. Nous n'avons donc pas à craindre, mais à persévérer avec confiance dans l'Église de toujours. 15:316 ### 1. Deux aspects inséparables du mystère de l'Église L'Église est indivisiblement d'une part *médiatrice du salut* par sa prédication, ses sacrements, sa hiérarchie et d'autre part *résidence sacrée où Dieu habite,* à la fois par la charité qui brûle toujours dans son cœur et par la présence eucha­ristique du Seigneur Jésus qui nourrit cette charité. La fonc­tion médiatrice ne s'exerce que durant le pèlerinage *dans la vallée de larmes ;* en revanche c'est pour le temps des com­bats de l'exil comme pour le repos ineffable de la patrie éternelle que l'Église est le tabernacle de Dieu. Car elle est embrasée du même amour sur la terre et dans le paradis ; mais dans le ciel l'amour procède de la vision, alors que sur la terre il prend sa source dans la foi et les sacrements de la foi. La fonction médiatrice de l'Église ne pourrait pas être assurée si certaines conditions n'étaient pas remplies. Hors de ces conditions en effet il serait impossible à l'Église de dispenser la grâce avec certitude, d'annoncer la vérité sans variations, de célébrer le culte dans une liturgie loyale et agréée du Père céleste. Par ailleurs si la fonction de média­tion venait à s'interrompre l'Église cesserait aussi d'être *la demeure de Dieu parmi les hommes.* Comment en effet le Seigneur résiderait-il encore sous les espèces eucharistiques alors que ne seraient plus assurés les dogmes de foi, les ordinations valides et les humbles lois déterminées de la célébration sacramentelle par quoi cette présence devient effective ? 16:316 Et comment les dogmes de foi, les ordinations valides et les humbles lois déterminées de la sainte messe pourraient-ils rester assurés et préserver la validité, si les rites n'étaient plus soumis à une réglementation précise, si on faisait fi des formules dogmatiques et du pouvoir d'ordre en même temps qu'on abandonnerait formulaires et rites à l'arbitraire du célébrant et aux fantaisies de l'assemblée ? Si on détruisait les humbles conditions de la présence réelle eucharistique il en serait fait de l'Église. Car si la présence eucharistique venait à cesser comment serait nourrie et entre­tenue la charité théologale ? Et si la divine charité n'était pas soutenue et alimentée comment subsisterait-elle ? Mais du jour où elle viendrait à s'éteindre l'Église ne mériterait plus son titre de suprême noblesse : *le tabernacle de Dieu parmi les hommes.* ([^4]) Elle n'existerait plus. Ainsi donc la dignité de l'Église qui est double -- dis­pensatrice de grâce, demeure de Dieu, -- est maintenue vivante et elle resplendit parce que certaines conditions sont respectées. Et c'est une des supercheries des modernistes de nous parler de l'Église sur tous les tons alors qu'ils s'appli­quent avec une précision scientifique à lui enlever ses mo­yens de vivre, soit qu'ils relativisent les définitions de la foi, soit qu'ils désagrègent les rites, soit qu'ils inventent je ne sais quelle transposition naturaliste de la charité surnaturelle. Comme si l'Église pouvait garder la foi, la répandre dans le monde, nourrir ses enfants des vérités du salut et cependant faire fi, alors qu'elle doit redire les *paroles qui ne passeront pas,* des termes formels et des dogmes irréformables protégés par des anathématismes. 17:316 Comme si d'autre part l'Église pouvait être vivifiée par la grâce et nous la communiquer, et néanmoins se prêter tranquillement à la désagrégation de ses propres *rites,* alors qu'elle les a fixés elle-même pour proté­ger et solenniser les *signes* sacramentels qui confèrent la grâce. Comme si enfin l'Église pouvait encore tenir debout, rester inébranlable, au titre de société surnaturelle et hiérar­chique de la grâce du Christ, alors qu'elle laisserait renverser de fond en comble, sous les attaques sournoises de la *collé­gialité* démocratique, la forme personnelle de gouvernement dont le Seigneur l'a pourvue et la primauté de Pierre qu'il lui a donnée comme fondement. Les attaques modernistes, multiples et concertées, en vue de faire sauter ce que certains appellent *l'appareil juridique* de l'Église ne nous surprennent pas outre mesure, *car le disciple n'est pas au-dessus du maître,* ni l'Épouse plus grande que l'Époux. Mais ces attaques ne nous épouvantent pas, parce que nous avons l'assurance que l'Église les repoussera victorieusement. L'Église n'est pas une institution de ce monde ; *elle descend du ciel, d'auprès de Dieu, elle est le tabernacle de Dieu parmi les hommes.* Elle échappe donc par son origine comme par sa nature à la condition commune de toutes les institutions de ce monde, pour belles et nobles qu'elles soient : subir un jour ou l'autre la défaite et parois une défaite irrémédiable. Pas plus qu'on ne saurait dire du Christ en croix qu'il est vaincu, puisque sa puissance et son amour transforment son supplice très cruel en un sacrifice d'un mérite infini, -- pleinement agréé du Père, totalement efficace pour nous racheter du péché, -- pas davantage on ne saurait dire que l'Église, persécutée au dehors et même trahie au-dedans, subit une défaite et court à sa ruine, puis­que au contraire ses pouvoirs et sa sainteté demeurent tou­jours assez forts et assez actifs pour que surabonde la cha­rité au milieu de l'iniquité. L'Église est victorieuse parce qu'elle est l'Épouse du Christ victorieux. 18:316 L'Église est invin­cible, mais avec des enfants sujets à la défaite et souvent vaincus ; toutefois tant qu'ils demeurent dans son sein, ils ne sont pas vaincus sans retour. Quand ils sont vaincus c'est parce qu'ils se séparent d'elle. Ils ne la privent pas pour cela de la force qui lui est à jamais départie pour les retenir et les sanctifier. Avant comme après leur défection, elle reste la dispensatrice infaillible du Salut et le temple saint de Dieu. Ceux qui l'abandonnent se perdent mais elle n'est jamais perdue. Parce que la propriété de remporter la victoire est une prérogative inamissible du Seigneur Jésus-Christ ([^5]), c'est aussi une prérogative nécessaire de son Épouse. *Vicit leo de tribu Juda* ([^6])*.* Alors que déferlent sur l'Église les nappes de brouillard et de fumée du modernisme infernal, confesser la foi dans l'Église, dans ses dogmes et ses sacrements, consiste à *garder intacts* les définitions et les rites traditionnels, car ils sont loyaux et francs et ne donnent prise à nulle ambiguïté. Confesser la foi dans l'Église en face du modernisme, être heureux d'avoir à souffrir pour rendre un beau témoi­gnage à l'Église trahie de toute part, c'est veiller avec elle dans son agonie ou veiller avec Jésus qui continue dans son Épouse affligée et trahie son agonie du Jardin des oliviers. Dans la mesure où nous serons des veilleurs fidèles, inacces­sibles à la crainte mondaine et au découragement, nous sau­rons d'expérience que la sainte Église est un mystère de force surnaturelle et de paix divine : *Urbs Jérusalem beata, dicta pacis visio* ([^7])*.* Ville de Jérusalem bienheureuse Dénommée vision de paix Qui se construit dans le ciel 19:316 Avec des pierres vivantes, A qui les Anges font une couronne Comme à l'épouse le cortège des filles d'honneur. Nouvelle et venue du ciel Pour l'intimité des noces, Préparée comme l'Épouse, Qu'elle soit unie au Seigneur. Ses parvis et ses remparts Sont tout entiers d'or pur. Resplendissantes de pierres précieu­ses, les portes Sont ouvertes à deux battants sur le sanctuaire, Et par la vertu de ses mérites C'est là que pénètre Celui qui pour le nom du Christ Supporte de souffrir ici-bas. A grands coups taillées par le ciseau Et polies à merveille, les belles pierres Sont placées chacune en son lieu Par la main du maître d'œuvre. Elles sont disposées pour demeurer sans fin Dans l'édifice de toute sainteté. ([^8]) *Urbs Jérusalem :* non point *platea,* place publique : lieu de réunion des bavards, des démagogues, des faux-prêcheurs de religion nouvelle ; non point champ de foire : lieu de passage des touristes, des filous et des bateleurs ; mais bien bonne ville, *urbs,* habitée par de dignes sujets, ville forte munie de tours et de remparts, gouvernée par un chef et une hiérarchie ; la ville dont le bien commun est la doctrine révélée, fidèlement transmise, les sept sacrements et au-dessus de tous le Saint-Sacrement, enfin la charité des saints, iné­puisable ; la ville des huit béatitudes évangéliques. *Urbs Jeru­salem beata.* 20:316 *Dicta paris visio ; -- paris visio quia reconciliationis visio.* Ville de paix parce que ville de la réconciliation avec Dieu par le sang de son Fils Unique Jésus-Christ. Ce sang fut versé une fois pour toutes sur le Calvaire comme prix de notre rédemption, mais l'offrande réelle en est commémorée *efficacement* chaque jour sur nos autels, sous les espèces eucharistiques, jusqu'à ce que revienne le Seigneur. Or par le sacrifice de la messe les péchés sont remis, les conflits sur­montés, les pires souffrances apaisées, Dieu adoré, remercié, imploré selon une religion digne de lui. Par la vertu du Saint-Sacrifice, *offert en vérité selon le rite de toujours,* les jours de la cité sainte sont disposés dans la paix ([^9]) *dicta paris visio.* Cette bonne ville, cette ville imprenable et bienheureuse, cette ville de paix, qui par la prédication et le saint bap­tême, s'augmente sans arrêt de sujets nouveaux, ne connaît d'autre origine que céleste, puisque son essence est surnatu­relle. *Ce Royaume ne vient pas de ce monde. -- Nova veniens e caelo.* La cité sainte *vient du ciel.* Elle procède du cœur ouvert du Christ, des sacrements qui en dérivent et qui apportent à chaque génération humaine les grâces de la Pas­sion rédemptrice. Elle procède, cette Église véritable, de l'Esprit Saint que Jésus, remonté à la droite de Dieu, lui envoya au jour de Pentecôte et qu'il ne cesse de lui envoyer, non pour l'instaurer une fois de plus, car elle est établie pour jamais, mais pour l'assister, la défendre et la consoler. -- D'un autre point de vue, l'Église du Christ procède également de l'intercession du Cœur Immaculé de Marie corédemptrice. Nous trouvons à l'origine de sa vie, inséparée de la Passion de Jésus, la Compassion de Notre-Dame : *Stabat juxta Crucem*. Et c'est à l'égard de l'Église catholique, à l'exclu­sion de toute autre, que Marie exerce sa maternité spirituelle et sa régence. 21:316 (Elle exerce ce rôle, unique et réservé, tout à la fois par son intercession et par ses interventions miracu­leuses.) De même que le Christ mis au monde par la Vierge dans l'étable de Bethléem n'est pas le Christ en deux per­sonnes de Nestorius, ni le Christ en une seule nature d'Euti­chès, encore moins le personnage humanitaire et illuminé des modernistes, mais le Fils Unique du Père, seconde Per­sonne de la Trinité qui subsiste en deux natures, de même l'Église, spirituellement engendrée par la Vierge sur le Cal­vaire et gardée par l'intercession de son Cœur Immaculé, n'est point je ne sais quel regroupement universel de toutes les formations religieuses, mais la seule Église catholique fondée sur Pierre et les apôtres ; -- l'Église *des confesseurs* qui ont témoigné jusqu'à la mort de sa doctrine irréforma­ble ; -- l'Église *des martyrs* qui ont donné leur vie pour *le Credo et le Saint-Sacrement ; --* l'Église *des vierges consa­crées,* exclusivement réservées pour le Seigneur qui est leur époux. Voilà l'unique Église dont Notre-Dame est mère et reine, corédemptrice auprès du Rédempteur, *Regina apostolo­rum et martyrum ; confessorum et virginum.* Venue du ciel, l'Église y retourne par un beau mouve­ment qui ne s'arrête jamais, chaque fois que l'un des élus s'en va de notre terre d'exil. *Construitur in caelis vivis ex lapidibus.* Chaque jour et à toutes les heures beaucoup de ses enfants commencent une vie de gloire ; ils sont délégués par elle au festin de la joie ineffable et de l'action de grâces éternelle. Aussitôt unis à Dieu dans la vision béatifique ils deviennent nos puissants intercesseurs ; leur prière ne connaît ni trêve ni repos, jusqu'à ce que nous ayons part avec eux aux noces éternelles, parmi les chœurs des anges. *Nova veniens e cœlo* *Nuptiali thalamo.* *Praeparata ut sponsata* *Copuletur Domino*... *Descendue du ciel pour y revenir célébrer les noces mysti­ques, préparée comme une épouse, qu'elle soit* (*vite*) *unie à son Seigneur !* 22:316 Elle ne lui sera pas unie sans participer à sa croix, priant et veillant pendant son agonie, qui se perpétue en elle tout au long de l'histoire. Mais par la croix et l'amour, l'Époux sait unir à lui son Épouse avec tant de douceur et de force que rien ne peut plus les séparer. Dans la céleste Jérusalem, c'est en vertu d'une *disposition* d'amour *permanente* et immuable que les élus de Dieu occupent leur place bienheureuse, à l'honneur et à la gloire de la Trinité Sainte. *Disponuntur permansuri* *Sacris aedificiis.* 23:316 ### 2. Une Église définitive Le Seigneur a fondé son Église non comme une institu­tion religieuse provisoire, promise à des transformations successives jamais achevées, mais comme la société définitive du salut, constituée une fois pour toutes avec ses pouvoirs de faire le culte de la loi nouvelle et d'apporter aux hommes la grâce et la vérité ; surtout avec la charité dérivée de la croix et des sept sacrements ; la charité qui sera ardente dans son cœur jusqu'à la Parousie et pour toute l'éternité. Par ailleurs l'humanité que l'Église a mission de convertir et de sauver n'est pas le jouet d'un devenir sans forme et sans fin ; elle se développe sans doute, mais elle ne connaît de croissance vraie qu'en se réglant sur certaines lois et à l'inté­rieur de certaines limites. Qu'elle méprise ces lois -- disons ce droit naturel -- qu'elle essaie comme le monde moderne de faire craquer ces limites, c'est alors le chaos, la désola­tion, une régression épouvantable. Nous entrevoyons par là que c'est non seulement la per­fection de son origine divine qui impose à l'Église d'être définitive et non mutante, mais encore la stabilité des carac­tères propres de l'espèce humaine qu'elle a mission et pou­voir d'illuminer et de sauver. Ainsi l'Église du Christ, l'Église catholique, la seule Église véritable ne peut annoncer aux hommes la vérité surnatu­relle qu'en acceptant les lois propres de l'esprit humain pour définir et transmettre la vérité. 24:316 De même ne peut-elle com­muniquer la grâce par des signes sacrés qu'en acceptant les lois de la signification qui existent dans les sociétés humai­nes, donc en veillant à ne pas livrer ces signes au pur arbi­traire individuel. Enfin l'Église ne pourrait se dire une société si elle était régie par une constitution qui méconnaîtrait les exigences de loyauté et de justice propres à toute société humaine normale. C'est dire que sa constitution, toute sur­naturelle qu'elle soit, trouve son analogie dans le régime honnête des sociétés terrestres et non pas dans un régime révolutionnaire de mensonge et de tromperie. Évidemment l'Église grandit et se développe ; elle explicite les dogmes, elle enrichit parfois la liturgie, elle fait naî­tre chaque jour de nouveaux saints ; mais elle se développe *in eodem sensu* ([^10]) dans le même sens et dans la même ligne. Ainsi la graine de sénevé devient-elle un arbre im­mense, capable d'abriter dans ses rameaux sans nombre la foule des passereaux quand se déchaîne l'ouragan furieux ; mais enfin l'arbre immense reste toujours du sénevé. -- Il n'y a pas, il n'y aura pas d'Église nouvelle. Les absurdes rêveries postconciliaires ou les manœuvres modernistes per­verses ne changeront rien à cela. Toute Église qui se voudra nouvelle, qui se contredivisera comme le fait l'Église *aggior­namentée* à l'Église des vingt premiers conciles ne sera rien d'autre qu'une pseudo-Église. Mais considérons maintenant de plus près quelques traits majeurs de la permanence de l'Église, quelques manifesta­tions plus marquantes de son grand caractère de stabilité. 25:316 Je l'ai déjà dit en des études antérieures ([^11]) : la fixité du *rite* est nécessaire pour maintenir la validité du *sacrement.* Je dis la fixité du rite, je ne dis pas sa rigidité, parce que dans l'ordre de la grâce, plus encore que dans celui de la nature, si les lois sont fixes, elles ne sont pas rigides *Car la vie intérieure et la sacramentelle* *N'est point une entreprise ingrate et contractée...* Mais enfin si la fixité laisse un certain jeu dans le formu­laire, la langue et les gestes, ce jeu est limité et, de plus, il est sévèrement mesuré sur le sacrement lui-même, selon la configuration que lui donna pour jamais l'institution du Verbe de Dieu Rédempteur. Or cette fixité non rigide, cette organisation ferme sans raideur, pour les gestes, l'idiome, le formulaire a été trouvée dès les premiers siècles chrétiens ; depuis lors elle se transmet fidèlement, sans dureté ni capo­ralisme, par une Tradition assistée du Saint-Esprit et gou­vernée par le Magistère. Les responsables de l'anarchie de la nouvelle messe ont trouvé bon de passer outre ; ils envoient promener latin, formules et attitudes. Par des manipulations sans franchise et dont il est malaisé de déterminer la valeur juridique ([^12]), ils changent les attitudes de la messe au point que l'assemblée prend une allure de ministre principal et que le prêtre est réduit à n'être plus qu'un assistant pareil aux autres ou de peu s'en faut ; quant au formulaire, il est si bien transformé que les luthériens en sont ravis. Les résul­tats de cette mutation des rites ne se sont pas fait attendre ; l'expérience désastreuse poursuivie imperturbablement depuis le début du présent pontificat ([^13]) fournit la preuve *a contra­rio* que la validité du *sacrement* institué par Dieu est inti­mement liée à la stabilité du *rite* élaboré par l'Église. Que faire ? Puisque le présent pontificat par ses innovations inouïes met en cause la messe, le prêtre qui croit à la messe mettra en cause sur ce point capital les innovations du pré­sent pontificat. 26:316 Des sacrements venons-en aux dogmes de la foi. Les formules, entièrement homogènes à l'Écriture Sainte et à la Tradition, en furent précisées, rigoureusement délimitées, pour mieux parer aux glissements ou aux déformations des hérésiarques : le Fils CONSUBSTANTIEL au Père, et non pas semblable, comme cela se passe parmi les hommes, où le fils est seulement semblable au père et non un seul être avec lui ; -- MARIE MÈRE DE DIEU et non pas, en tout et pour tout, mère du Christ, comme si le Christ n'était pas vrai Dieu, seconde personne de la Trinité incarnée pour notre salut ; -- pour le Christ, DUALITÉ DES NATURES DANS L'UNITÉ DE LA PERSONNE ; non pas dualité de personnes reliées par union mystique, et pas davantage unité personnelle par mé­lange et confusion des natures, mais union harmonieuse des natures en vertu de l'assomption de l'humanité par le Fils de Dieu ; union telle que la nature humaine est *remplie de grâce et de vérité* et qu'elle est élevée à la dignité *d'instru­ment conjoint* de la divinité ; -- LA JUSTIFICATION DE L'ÂME réalisée non par une imputation extrinsèque, mais par une vivification surnaturelle qui atteint le recès le plus intime de la liberté en vertu d'une *grâce, guérissante et élevante ; --* LES SACREMENTS SIGNES SACRÉS PORTEURS DE GRÂCE, AGISSANT EX OPERE OPERATO, et non pas simplement gestes pieux qui excitent la ferveur ; -- LE PÉCHÉ ORIGINEL défini comme étant une faute réellement commise à l'aurore de notre his­toire *par le seul premier homme et transmise par la généra­tion à tous ses descendants,* Notre-Dame exceptée ; -- la pré­sence du Christ dans l'Eucharistie consistant en une présence réelle par TRANSSUBSTANTIATION ; -- la messe réalisant un VRAI SACRIFICE, et le même que celui de la croix, en vertu de l'identité de la victime et de l'identité du prêtre, seule étant différente la manière de l'offrir... -- Ces formulations rigoureuses de la foi dont j'apporte ici quelques exemples sont rendues plus rigoureuses encore par l'adjonction d'ana­thématismes. Ainsi le réclame la nature de l'esprit humain. Si en effet l'expression des mystères révélés demeurait floue, indécise, susceptible de multiples interprétations, comment échapper aux déviations, c'est-à-dire aux hérésies ? 27:316 Et d'autre part, puisque la foi engage notre vie et notre salut éternel, comment engager notre vie sur de l'à-peu-près, pour le temps d'ici-bas et pour l'éternité tout entière ? -- Nettes et précises, et rendues plus précises encore par les canons et les anathèmes, les définitions de foi sont *irréformables.* Ce qu'elles présentent à notre esprit, ce qu'elles proposent à notre assentiment n'est rien d'autre que la Révélation défini­tive apportée aux hommes par notre Sauveur : *omnia quae­cumque audivi a Patre meo nota feci vobis* ([^14])*.* Si les défini­tions étaient réformables c'est, ou bien que la Révélation qu'elles traduisent serait elle-même sujette à des réformes et non définitive, ou bien que l'explicitation procurée par ces définitions ne serait pas homogène au donné révélé ; mais l'une et l'autre hypothèse sont fausses. Dire, ce qui est vrai, que les définitions de la foi se sont explicitées au cours de l'histoire de l'Église, ce n'est pas dire, ce qui est faux, qu'elles sont réformables. Car elles se sont explicitées en développant leur signification *in eodem sensu, in eadem sententia,* non en substituant une signification à une autre. Quand vous voyez la rose s'épanouir aux pre­miers souffles d'avril ou de mai, vous ne dites pas que la rose se réforme ; et si le raisin en fleur, si fragile et si tendre dans les douces matinées printanières, devient une lourde grappe aux derniers jours d'été, ce n'est point parce que le cep serait réformable, c'est parce qu'il est vivant. Ainsi de l'explicitation des dogmes au cours des âges : dogme de la Trinité et de l'Incarnation ; doctrine relative à la chute ori­ginelle, au Saint-Sacrement ou à la Vierge Marie. La Tradi­tion transmet de façon vivante, elle explicite quelquefois, jamais elle ne transforme. La Tradition transmet comme vérité de vie des mystères tout ce qu'il y a de plus nets et de moins fuyants d'où la netteté tranchante des formules qui expriment le donné révélé et des anathématismes qui fer­ment la porte aux interprétations hérétiques. La Tradition transmet l'immuable et plénière vérité divine, la Révélation divine surnaturelle et totale ([^15]), à la raison humaine qui reste elle-même immuable comme notre nature ; je ne dis pas qu'elle reste immobile, incapable de progrès ; je dis immuable dans ses intuitions premières et la saisie des principes fondamentaux. 28:316 Voilà pourquoi d'ailleurs les vocables et les concepts que la Tradition assume, surélève, rend ductiles aux mystères surnaturels, sont les concepts et les vocables saisis d'emblée par notre esprit, les concepts et les vocables du sens com­mun ([^16]), ceux dont dispose facilement tout être humain, à moins de tomber fou ; ou encore, comme nos divagants modernistes, à moins de passer au-delà du vrai et du faux, et d'étouffer ainsi les lumières primordiales qui brillent dans un cœur droit. Oui, les idées et les mots qui servent d'ins­truments aux définitions de la foi sont tirés du sens com­mun, quitte à avoir bénéficié d'une certaine élaboration phi­losophique ; ils sont donc accessibles aux plus humbles, aux plus démunis d'instruction, car il suffit d'être homme, d'avoir hérité de la nature humaine pour saisir par exemple ce qu'est une personne, même si on est incapable d'en fournir un exposé argumentatif ; pour saisir également qu'il existe une nature des êtres ; que les accidents sont autres que la substance ; que nous sommes doués de liberté et d'une liberté faillible ; pour saisir, en un mot, les diverses notions mises en œuvre par *l'analogie de la foi* ([^17]). 29:316 C'est en même temps par une exigence de l'ordre humain naturel et par une exigence de la Révélation de Dieu que les définitions de l'Église sont rigoureuses et irréformables. Mais le second concile du Vatican, par son refus systématique de définir et d'anathématiser ([^18]), a induit en tentation un grand nombre de chrétiens, les amenant à se demander si la vraie foi ne serait pas située désormais au-delà des dogmes irré­formables, si l'on ne pourrait désormais envisager légitime­ment, dans l'Église unique du seul vrai Dieu, *le pluralisme* de la doctrine qui nous exprime le vrai Dieu. A de pareilles interrogations vingt siècles de Tradition inchangée et tou­jours vivante nous obligent à répondre par un non catégo­rique. 30:316 Que le concile vingt et unième se contredivise, s'il le veut, aux vingt conciles antérieurs, nous ne bougerons pas et nous continuerons d'étudier et de méditer les définitions et les anathématismes déjà formulés. Nous ne cesserons pas d'en nourrir notre prière, car ils nous apportent seuls la Révélation de l'amour transcendant : *Sic Deus dilexit mun­dum* (Jo. 3, 16), Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique ([^19]). C'est l'honneur de la morale chrétienne que de barrer la route aux faux-fuyants et d'en fermer toutes les issues. Pour­quoi mentir encore lorsque la racine du mensonge est dévitalisée, rendue stérile et mise à mort par le don de la grâce qui purifie et surélève ? C'est la gloire de la loi nouvelle, qui est *loi de grâce,* de faire adopter des mœurs divines en opé­rant d'abord un tri impitoyable dans les aspirations impures et mêlées de la nature corrompue, puis en faisant droit uni­quement aux exigences nobles et bonnes, et en les amenant à graviter dans l'attraction des vertus théologales. Nous admirons dans les saints les magnifiques effets de la grâce qui a purifié leur cœur et transformé leur être intime. En revanche nous nous sentons heurtés et froissés par la grossièreté intérieure des hérésiarques, et sinon tou­jours par leurs faiblesses charnelles, du moins par leur or­gueil effréné *in spiritualibus*. Il suffit par exemple d'avoir lu une biographie exacte, même abrégée, de Martin Luther pour éprouver du dégoût au spectacle du débraillé sensuel de ce prêtre marié. Pire que cela, il est dominé par un orgueil qui lui fausse l'esprit à tel point que, non seulement il se dispense de demander pardon de ses péchés, mais encore il les blanchit et les justifie, en vertu d'une interpréta­tion aberrante de l'Évangile. 31:316 La vie et les prétentions de Luther sont trop certainement troubles et impures pour que nous admettions jamais qu'il « a cherché honnêtement et avec abnégation le message de l'Évangile... et que les exi­gences qu'il a exprimées (traduisent) bien des aspects de la foi et de la vie chrétienne ([^20]) ». Qu'importe que ce soit l'envoyé officiel du pape régnant qui nous ait fait part de ces incroyables explications sur la vie intérieure de Luther ! La dignité du messager n'a pas le pouvoir de changer ce qui est et nous ne croyons rien des énormités qu'il voudrait nous imposer. Nous en savons suf­fisamment, aussi bien sur la loi naturelle avec ses préceptes invariables que sur la loi de grâce, révélée une fois pour toutes, pour être absolument certains que jamais la sainte Église ne fera droit aux troubles exigences du sombre fonda­teur de la religion prétendue réformée. Jamais l'Église n'ou­vrira la voie à un genre de vie spirituelle qui tenterait de concilier le Christ et Bélial ([^21]). Si les dogmes de l'Église, ses sacrements, sa vie morale et spirituelle sont commandés par la Révélation, mais res­pectent cependant les humbles lois de notre nature, nous en dirons autant du régime de l'Église. C'est un régime loyal d'autorité et de responsabilité personnelle, un régime de pouvoirs selon la grâce conférée à des détenteurs personnels au sein d'un ordre hiérarchique. Dans l'Église de toute vérité on ne peut concevoir un régime de dévolution des pouvoirs à des assemblées anonymes dont les chefs officiels ne seraient que des exécutants irresponsables ; le régime hypocrite des autorités parallèles ne pourra jamais devenir en droit le régime de l'Église, même s'il réussit, dans une certaine mesure, et pour un peu de temps, à s'imposer en fait. Parce qu'il est déjà en contradiction avec la constitution d'une société juste, il ne saurait s'introduire dans la constitu­tion de la société de grâce fondée par le Seigneur Jésus et assistée par son Esprit. 32:316 Ainsi donc, quel que soit l'aspect de l'Église que l'on considère : gouvernement ou sainteté, doctrine ou liturgie, on voit toujours briller deux grands signes inséparables, deux grandes marques indélébiles : d'abord la surnaturalité intrinsèque de cette société hiérarchique de la grâce, ensuite sa consonance et sa pleine harmonie avec les justes lois de notre immuable nature. 33:316 ### 3. Les définitions dogmatiques et l'ordonnance rituelle Les vingt premiers conciles avec leurs définitions, proté­gées par des anathématismes, ont explicité, mais non modi­fié, le donné de la Révélation. Ces explicitations touchant les mystères du Dieu unique en trois personnes, l'Incarnation, la Vierge Marie, le premier péché, bref ces développements de l'ensemble de notre foi sont rigoureusement homogènes à la Parole de Dieu. Nicée ou Éphèse, Chalcédoine ou Orange ([^22]), disent la même chose que les quatre Évangiles et les Actes des Apôtres, les Épîtres et l'Apocalypse. Ils le disent en face d'erreurs nouvelles, en se servant de termes nouveaux qui, sans faire le moindre tort au langage des Écritures, présentent l'intérêt d'en circonscrire le contenu avec le maximum de netteté et d'honnêteté. Les vingt pre­miers conciles ne risquent pas de tromper parce qu'ils pren­nent le moyen de ne pas tromper qui est de définir la vérité. Et même ces conciles, non contents de définir, poussés comme par un surcroît de franchise, en même temps qu'ils -- formulent la proposition de foi prennent la peine d'exprimer exactement la proposition contraire, afin de pouvoir mieux la repousser par un anathématisme en bonne et due forme. Voyez par exemple les textes célèbres de Trente sur l'eucha­ristie, la messe, le prêtre. 34:316 Vraiment il serait difficile d'appor­ter plus de soins à prévenir toute équivoque et toute ambi­guïté. Que voilà un langage honnête. *Est, est ; non, non...* « Si quelqu'un dit qu'après la consécration le corps et le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ ne sont pas dans l'ad­mirable sacrement de l'Eucharistie, mais qu'ils n'y sont que lorsqu'on en use, quand on les reçoit, ni avant, ni après, et que le vrai corps du Seigneur ne demeure pas dans les hos­ties ou les parcelles consacrées qu'on garde ou qui restent après la communion, qu'il soit anathème. -- Si quelqu'un dit que, dans le Saint-Sacrement de l'Eucharistie, on ne doit pas adorer le Christ, Fils unique de Dieu, d'un culte de latrie qui soit aussi extérieur, et, par suite, qu'on ne doit pas le vénérer par une solennité particulière ni le porter en pro­cession selon le rite et la coutume louable et universelle de la sainte Église ; ou qu'il ne doit pas être proposé publi­quement à l'adoration du peuple, et que ceux qui l'adorent sont des idolâtres, qu'il soit anathème. » ([^23]) « Si quelqu'un dit qu'à la messe on n'offre pas à Dieu un sacrifice véritable et authentique, ou que cette offrande est uniquement dans le fait que le Christ nous est donné en nourriture, qu'il soit anathème. -- Si quelqu'un dit que, par ces paroles : « Faites ceci en mémoire de moi » (Luc 22, 19 ; -- Ia Cor. 11, 24), le Christ n'a pas établi les Apôtres prê­tres, ou qu'il n'a pas ordonné qu'eux et les autres prêtres offrissent son corps et son sang, qu'il soit anathème. -- Si quelqu'un dit que le sacrifice de la messe n'est qu'un sacri­fice de louange et d'action de grâces, ou une simple com­mémoraison du sacrifice accompli à la Croix, mais non un sacrifice propitiatoire ; ou qu'il n'est profitable qu'à ceux qui reçoivent le Christ et qu'on ne doit l'offrir ni pour les vivants ni pour les morts, ni pour les péchés, les peines, les satisfactions et autres nécessités, qu'il soit anathème. » ([^24]) 35:316 « Si quelqu'un dit que l'ordre ou l'ordination sacrée n'est pas vraiment et à proprement parler un sacrement ins­titué par le Christ Notre-Seigneur ; ou qu'il est une inven­tion humaine, imaginée par des hommes qui n'entendent rien aux choses ecclésiastiques ; ou seulement un rite par lequel on choisit les ministres de la parole de Dieu et des sacrements, qu'il soit anathème. » ([^25]) Après cela, il n'est que d'ouvrir Vatican II pour constater que les Pères ont décidément rompu avec cette Tradition du langage net et sans équivoque. Je n'ignore pas les quelques textes vigoureusement formels comme la *nota praevia* qui remet en ordre certains développements mous et dangereux de *Lumen Gentium* sur le pouvoir des évêques. Il n'en reste pas moins d'abord que, même l'admirable *nota praevia* ne se donne pas comme une définition de foi et ne porte aucun anathème, ensuite et surtout que, habituellement, la façon de s'exprimer propre à Vatican II est imprécise, bavarde et même fuyante. Quelle est par exemple, d'après le XXI^e^ concile, la doctrine politique et sociale de l'Église catholi­que ? Autant le Syllabus, les encycliques de Léon XIII à Pie XII nous l'exposent clairement, autant *Gaudium et Spes* et *Dignitatis Humanae* nous laissent dans le vague et l'incertain. Comment du reste nous en étonner ? On sait depuis longtemps que ce sont des textes de compromis. On sait encore qu'une fraction modernisante voulait imposer une doctrine hérétique. Empêchée d'aboutir, elle est quand même parvenue à faire adopter des textes non formels ; ces textes présentent le double avantage pour le modernisme de ne pouvoir être taxés de propositions carrément hérétiques, mais cependant de pouvoir être tirés dans un sens opposé à la foi. Nous attarderons-nous à les combattre directement ? Un moment nous y avions pensé. La difficulté c'est qu'ils ne donnent pas prise à l'argumentation ; ils sont trop mous. Lorsque vous essayez de presser une formule qui vous paraît inquiétante voici que, dans la même page, vous en trouvez une autre entièrement irréprochable. 36:316 Lorsque vous cherchez à étayer votre prédication ou votre enseignement sur un texte solide, impossible à tourner, propre à transmettre à votre auditoire le contenu traditionnel de la foi et de la morale, vous vous apercevez bientôt que le texte que vous avez choisi au sujet par exemple de la liturgie, ou du devoir des sociétés à l'égard de la vraie Religion, ce texte est insi­dieusement affaibli par un second texte qui, en réalité, exté­nue le premier alors qu'il avait l'air de le compléter. Les décrets succèdent aux constitutions et les messages aux dé­clarations sans donner à l'esprit, sauf exception rarissime, une prise suffisante. On nous objecte que, pour la pastorale et pour ramener au bercail les égarés, la méthode qui définit et condamne n'est pas la bonne. Fort bien. En existe-t-il une autre de loyale ? Faute de définitions vous n'amènerez les âmes er­rantes qu'à du vague et de l'à-peu-près. Je vois mal com­ment vous pourrez ainsi prétendre *faire de la pastorale,* chercher le bien des âmes, -- la vérité pour l'esprit, la conversion pour le cœur. -- Certes, chaque fois que j'aurai affaire à un « frère séparé » j'expliquerai du mieux possible le contenu de la foi ; je veillerai à découvrir le meilleur chemin d'approche de façon à le rencontrer au point exact où ses difficultés surgissent. Mais l'explication sera comman­dée et mesurée par la définition. Pour expliquer le donné révélé je ne me servirai pas forcément du style impersonnel et abstrait qui est celui des définitions ; j'essaierai de m'adap­ter à la subjectivité de mon interlocuteur ; mais aussi je prendrai garde à ce que l'adaptation ne reflue pas sur la définition pour lui enlever, si peu que ce soit, de son tran­chant. Sous prétexte d'adaptation pastorale, faire fléchir tant soit peu la formule dogmatique que l'on tâche d'expliquer, c'est détourner de cela même vers quoi l'on essaie de conduire. 37:316 Je suppose que vous ayez un entretien avec un protestant qui cherche la lumière sur le mystère du prêtre. Vous com­mencerez par marquer la position catholique en rappelant les énoncés du concile de Trente ; ensuite vous passerez sans doute à l'examen des textes de l'Écriture relatifs au sacer­doce ; vous pourrez poursuivre en disant à votre interlocu­teur que Vous êtes d'accord avec lui sur l'existence d'un sacerdoce commun à tous les baptisés : les hommes, les femmes et jusqu'à ces pauvres êtres privés de l'usage de la raison mais renés dans le Christ ; vous conviendrez encore, probablement, de malfaçons regrettables dans certaines célé­brations de la messe qui négligent tranquillement l'assemblée et semblent méconnaître le sacerdoce commun des chrétiens ; vous plaiderez quand même les circonstances atténuantes, faisant observer qu'il n'est pas d'exemple que des rites, même ordonnés avec beaucoup de sagesse et en tenant compte de tout et de tous, se soient perpétués pendant deux millénaires en se préservant de toute bavure ou négligence ; mais enfin au terme de toute sorte de recherches, confronta­tions, explications et exégèses, vous serez bien obligés, à moins de tromper votre protestant, d'en revenir au point de départ, à la fameuse définition au sujet de laquelle vous étiez aux prises et qu'il n'y a pas moyen de déplacer ni de faire fléchir : « Si quelqu'un dit qu'il n'y a pas dans le Nouveau Testament, un sacerdoce visible et extérieur, ou qu'il n'y a pas un pouvoir de consacrer, d'offrir le vrai corps et le vrai sang du Seigneur et de remettre ou de rete­nir les péchés, mais seulement une fonction et un simple ministère de la prédication de l'Évangile ; ou que ceux qui ne prêchent pas ne sont plus prêtres, qu'il soit anathème. -- Si quelqu'un dit que l'ordre ou l'ordination sacrée n'est pas vraiment et à proprement parler un sacrement institué par le Christ Notre-Seigneur ; ou qu'il est une invention humaine, imaginée par des hommes qui n'entendent rien aux choses ecclésiastiques ; ou seulement un rite par lequel on choisit les ministres de la parole de Dieu et des sacrements, qu'il soit anathème. -- Si quelqu'un dit que le Saint-Esprit n'est pas donné par l'ordination sacrée et que c'est en vain que l'évêque dit : « Reçois le Saint-Esprit » ; ou que l'ordination n'imprime pas un caractère ; ou que celui qui a été une fois ordonné prêtre peut redevenir laïque, qu'il soit anathème. » ([^26]) 38:316 Seul le sacerdoce du prêtre détient un pouvoir qui, pour être confondant, n'en est pas moins réel et extrêmement précis : offrir le Saint Sacrifice par la transsubstantiation séparée du pain et du vin. Le sacerdoce des simples baptisés n'approche de ce pouvoir ni de près ni de loin. Il est autre et se tient dans une autre zone. Cela vient en définitive de ce que l'Église, étant hiérarchique par institution divine, cer­tains de ses membres, mais non tous ses membres indistinc­tement, jouissent de certains pouvoirs. De plus, et toujours en vertu de l'institution divine, ces pouvoirs sont conférés à titre personnel et non délégués à un collège, par la majorité des suffrages, sur consultation démocratique du peuple de Dieu. Bienveillance, patience, compréhension, agilité d'esprit pour écouter et pour s'expliquer, mais en même temps et d'abord rigueur inflexible pour proposer les définitions de la foi ; telle fut en tout temps et depuis l'origine la double loi de la pastorale catholique. Nous n'avons aucune envie d'y toucher, même si le dernier concile a prétendu faire mieux. Notre pastorale continuera donc de s'arc-bouter aux conciles précédents qui, ayant délibérément choisi de définir, de dé­partager le vrai du faux, ont pris le seul moyen de conduire les brebis vers les pâturages salubres, accomplissant par là une œuvre pastorale digne de ce nom. Nous désirons, certes, le retour des protestants à l'intégrité et l'unité catholique. Mais que ce retour s'accomplisse dans l'honneur, qu'il ne se fonde pas sur des équivoques. Que les protestants soient donc avertis d'emblée, entre bien d'autres choses, que l'Église tient leur cène pour une corruption de l'institution évangéli­que et, par suite, leur demande d'y renoncer. De même, et toujours par souci, par besoin d'honnêteté, nous dirons aux musulmans que l'Église de Jésus-Christ tient comme le seul vrai Dieu non pas le leur, mais le sien et le nôtre ; 39:316 non pas le Dieu qui exclut de son mystère la Trinité des personnes et l'Incarnation du Fils, non pas le Dieu de Caïphe et de l'énigmatique fondateur de l'Islam ([^27]), mais le Dieu d'Abra­ham et de Jésus-Christ ; car Abraham, sans connaître encore la Trinité des personnes, avait adoré leur unité avec tant de soumission et d'amour qu'il était prêt à recevoir la Révéla­tion plénière au sujet de Yavhé c'est-à-dire à croire explici­tement dans la Trinité Sainte. Souvenons-nous en effet de la grande parole de Jésus, le Verbe Incarné : « Abraham, votre père, a tressailli de joie à la pensée de voir mon jour ; il l'a vu et il s'en est réjoui. » (Jo 8, 56.) La pente de l'Évangile est toujours vers la plus grande netteté. Si l'Évangile est infiniment mystérieux, il ne demande pas moins que nous nous formions une idée précise de son mystère. Chaque verset est une invitation à nous ouvrir à la divine clarté, à prendre conscience le plus nettement possible de la Révélation ineffable : *Sic Deus dilexit mundum...* Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique (Jo. 3, 16). Pour être entendu tel qu'il est l'Évangile ne peut se passer des déterminations conciliaires formelles, et ces dé­terminations à leur tour s'enracinent dans l'Évangile, fleuris­sent à partir de la lettre de l'Écriture. Ces déterminations sans doute ne sont pas toujours le fruit de gloses exégéti­ques ; il reste que c'est bien la méditation assidue de l'en­semble des Écritures par l'Église contemplative et théolo­gienne qui a fait naître les définitions dogmatiques ; et parce qu'elles sont destinées au salut de tous l'Église les a formu­lées dans les deux langues particulièrement aptes à transmet­tre l'universel, les langues par excellence du logos : le grec et le latin. 40:316 Si tant de paraphrases de l'Évangile, si de nos jours la plupart des homélies dominicales sont d'une pauvreté affli­geante, si elles suintent de sentimentalité plus ou moins trouble ou s'égarent en divagations politiques, à la fois infantiles et révolutionnaires, cela provient en grande partie de ce que les prédicateurs ont oublié, en faisant réflexion sur le texte sacré, aussi bien les définitions dogmatiques que les simples réponses du catéchisme. Leur réflexion n'a pas été conduite dans la foi, ou elle l'a été trop faiblement, faute d'avoir pris le moyen convenable c'est-à-dire le recours aux définitions de la foi. Le remède à l'indigence si pénible de ces soi-disant prédications bibliques n'est pas d'abandonner le commentaire de l'Évangile pour celui du seul catéchisme ou des seules formules définies, mais plutôt d'avoir présentes à l'esprit les réponses du catéchisme et les grandes exposi­tions conciliaires lorsque l'on fait une lecture commentée de l'Évangile. Car nous avons trois livres dans l'Église catholique, trois livres essentiels encore qu'ils ne soient pas sur le même plan : la Bible, le Missel ([^28]) et le Catéchisme. Et non pas, et jamais, la seule Bible ; mais la Bible et en plus le Missel et le Catéchisme. A quoi chacun ajoutera, dans la mesure de ses possibilités, quelques auteurs spirituels, peut-être quelques extraits des Pères de l'Église, l'*Enchiridion Symbolorum et Definitionum* et la *Somme Théologique* ([^29])*.* L'étude de la Bible, en particulier du Nouveau Testa­ment, nous invite sans cesse, pour comprendre le texte dans sa profondeur, à nous reporter aux définitions dogmatiques ou, plus simplement, aux réponses du catéchisme. -- Reli­sons par exemple dans saint Luc le récit de l'Annonciation. Nous voyons entrer l'archange Gabriel et nous l'entendons saluer Marie *pleine de grâce.* Nous sommes saisis par la grande question : *Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d'homme ?* 41:316 Plus encore nous sommes émerveil­les par la réponse : *L'Esprit Saint viendra sur vous et la force du Très-Haut vous couvrira de son ombre, c'est pourquoi l'En­fant qui naîtra de vous sera saint, il sera appelé le Fils de Dieu...* Eh ! bien, quand nous aurons achevé de lire le cha­pitre et que nous serons tout pénétrés du charme de sa beauté céleste, il n'est pas probable que nous allions nous plonger aussitôt et sans reprendre haleine dans le recueil de Denzinger pour y chercher les anathématismes du concile d'Éphèse. Chaque chose en son temps, et nous voulons dans un premier temps, sans hâte ni discours, nous laisser impré­gner de la parole de Dieu dans sa simplicité, telle que l'Évangile la rapporte. Mais cela ne nous empêchera pas, dans un second temps, de nous reporter aux conciles, -- j'entends aux conciles antérieurs à Vatican II -- pour étu­dier selon nos forces les explications et précisions que nous fournit le magistère solennel, divinement assisté. De cette manière nous entrerons plus avant et en toute sécurité dans le texte des Écritures. Nous verrons en particulier que si les formules d'Éphèse sur Marie *Théotocos* passaient à côté de la question, alors c'est aussi le récit de saint Luc qui passe­rait à côté de la réalité. Il se réduirait finalement à une construction harmonieuse mais vide, un message séduisant mais irréel, alors qu'il est le récit historique et véridique de l'Incarnation du Verbe de Dieu, le message du Salut par Jésus-Christ qui est devenu homme grâce au *Fiat* de Marie toujours vierge. Illusoire antinomie dont on nous rebat les oreilles, celle qui oppose le dogme défini et le pur Évangile. L'un appelle l'autre. Qu'il y ait donc un va-et-vient fréquent de la lettre des Écritures aux formules des conciles et du Catéchisme. Passons de la lettre de l'Ancien ou du Nouveau Testament aux définitions conciliaires ou pontificales pour mieux saisir le contenu exact, la portée véritable du texte sacré ; ensuite revenons des conciles et du Catéchisme au simple texte de l'Écriture pour ne jamais perdre de vue le donné vivant, concret, surnaturellement inépuisable dont les formulations du magistère ecclésiastique expriment, avec toute la précision requise, la profondeur et le mystère. 42:316 Parce que nous croyons que le contenu de l'Évangile est tout ce qu'il y a de plus précis, parce que nous voulons l'annoncer dans toute sa vérité ainsi que doivent le faire des pasteurs dignes de ce nom, nous entendons ne pas séparer textes évangéliques et propositions définies, livres de l'Écriture et leçons du catéchisme, méditations sur l'Évangile et réflexions sur les anathèmes. Du *signe* sacramentel institué par le Christ aussi bien que de l'ordonnance du *rite* qui met le signe en lumière et qui l'entoure d'honneur, l'Église garde le dépôt. Elle est gardienne du signe sacramentel pour le maintenir intègre et immuable car il appartient en propre au Seigneur Jésus ; c'est lui-même qui l'a établi une fois pour toutes, aux jours de sa vie terrestre ; et c'est lui encore qui, chaque jour, dans la gloire céleste, lui confère son efficacité. -- L'Église d'au­tre part est gardienne de l'ordonnance rituelle pour la fixer avec l'assistance de l'Esprit Saint et pour la défendre une fois établie. Les changements qu'il lui revient d'introduire en certaines occasions, selon les époques et les provinces, les diocèses ou les ordres religieux, sont mesurés par la nécessité de garder valide le rite sacramentel et de le célébrer avec la plus grande dévotion. C'est dire que les changements possi­bles sont contenus dans des limites assez étroites. Il semble du reste, en bien des cas, que ces changements consistent à remonter la pente de la routine, à nettoyer les cérémonies d'un encrassement à peu près inévitable, à faire cesser les conséquences soit de la tiédeur, soit de l'arbitraire individuel, qui en étaient arrivés à prendre la consistance de rubriques. Des *changements* de cette nature, loin d'affaiblir la tradition, rendent libre cours à sa vie profonde, lui font retrouver la pureté de sa source, tout en maintenant intactes ses justes acquisitions pendant la durée des siècles. Des changements de cette nature, pour se réaliser d'une manière convenable, exigent d'être décrétés avec modération et portés par la ferveur d'un certain nombre de fidèles et de prêtres. 43:316 A la messe, le *Credo* de Nicée n'a pas à varier selon les temps et les lieux, car il définit la foi catholique qui est identique pour tous et à toutes les époques. La formule consécratoire n'a pas à varier non plus, puisqu'elle est cons­titutive du sacrifice sacramentel, institué à jamais par le Sei­gneur. Le Canon lui-même tient de trop près à l'immuable consécration, il est garanti par une tradition trop vénérable, pour envisager sans une impiété horrible de le soumettre à des transformations. Même remarque pour l'offertoire qui, sans être définition dogmatique ou signe sacramentel, est cependant intimement lié à la consécration pour en rendre sensible la portée sacrificielle. Quant aux autres parties de la messe, à supposer que quelques changements soient désira­bles, ils ne pourraient être qu'exceptionnels, et le pape ne serait fondé à les permettre que pour des raisons graves, en tous points justes et saintes. Jamais, cela va sans dire, pour gagner la faveur des protestants, encore moins pour forger, comme Paul VI a osé le faire, une messe polyvalente qui leur serait assimilable. *Diviserunt sibi vestimenta mea* (Jo. 19, 24). Désormais ce sont les prêtres de Jésus-Christ, non les soldats de Pilate, qui se partagent les vêtements du Roi crucifié. En détruisant l'unité et la stabilité des rites reçus de la Tradition, en les manipulant au gré de leurs caprices et de leurs fantaisies, les prêtres du Seigneur mettent en péril l'institution sacramen­telle indivisible et universelle, à moins que par leurs trans­formations sacrilèges ils n'en aient déjà détruit les effets, autant du moins qu'il est en leur pouvoir. Cependant la tunique de Jésus *qui était d'un seul tenant depuis le haut* ne fut point partagée ; elle fut tirée au sort mais demeura indi­vise et entière. Cette tunique, dont quelques pieux auteurs nous rapportent qu'elle avait été tissée par les mains de Notre-Dame, est l'image fidèle de la robe somptueuse dès rites sacrés que la Tradition de l'Église, depuis les origines, a tissés tout autour des signes sacramentels, particulièrement tout autour du Corps eucharistique de Jésus. Ce n'est pas sans une intercession spéciale de la Vierge Marie, Mère et Médiatrice, que l'Église a taillé et arrangé exactement ces vêtements de gloire. 44:316 Et la même intercession de la Vierge Immaculée obtiendra à l'Église de les préserver dans leur intégrité et leur noblesse. De mauvais prélats pourront bien menacer et persécuter ceux qui maintiennent le rite afin de ne pas détruire le sacrement, ils n'empêcheront pas l'Église catholique de susciter jusqu'à la fin des laïcs, des prêtres, des évêques, des papes pour préserver, en vertu de la foi aux sacrements, l'unité et la stabilité de l'ordonnance rituelle. C'est ainsi qu'ils garderont entière et indivise la robe sans couture. 45:316 ### 4. Autorité et sainteté dans l'Église Il faudrait faire violence à l'Évangile, aux Actes des Apôtres, aux Épîtres et même à l'Apocalypse pour leur faire dire que l'autorité et la hiérarchie ne sont pas essentielles à l'Église fondée par Notre-Seigneur. Le mot hiérarchie peut n'avoir pas une résonance particulièrement mystique ; il peut être irritant non seulement pour notre orgueil, mais pour notre sentiment de l'honnêteté, tant nous avons été rassasiés par les abus de pouvoir ou l'incapacité des chefs ; le terme *hiérarchie* peut nous sembler peu compatible au premier abord avec le terme *sainteté.* Il reste que l'Évangile qui est essentiellement *mystique* car il nous révèle, entre autres merveilles, ce qu'est la vie de la créature humaine quand elle est toute passée dans les *mystères de Dieu,* en le Christ Jésus, l'Évangile donc, Révélation plénière de la sain­teté est, indivisiblement, plénière Révélation d'une certaine autorité ; ce genre d'autorité qui a des pouvoirs adaptés à la sainteté : pouvoirs de faire les sacrements (en particulier le Saint-Sacrement) et pouvoir d'annoncer de manière infailli­ble cette sorte de vérité qui est le secret de Dieu, c'est-à-dire les mystères surnaturels ; pouvoir enfin d'ordonner des prê­tres qui, par la vertu du sacrement de l'ordre, et selon une juridiction déterminée, seront capables à leur tour de prê­cher les mystères et de faire les sacrements. 46:316 Enlevez de l'Évangile le choix des Douze, la primauté de Pierre parmi les Douze, l'ordination des seuls apôtres à consacrer le pain et le vin au Corps et au Sang du Fils de Dieu immolé pour nous, bref l'institution d'une hiérarchie rigoureusement cons­tituée, vous supprimez alors l'Évangile ; vous lui faites subir une amputation d'une telle ampleur qu'il n'est plus recon­naissable et ne se soutient plus. Les protestants l'ont essayé. Mais vingt fois la démonstration a été faite de la fausseté d'une thèse qui veut garder de l'Évangile la mystique et la sainteté tout en supprimant l'autorité et la hiérarchie. Si nous lisons l'Évangile comme il est écrit, si nous cherchons d'abord à voir ce qui est, quelques désagréments ou tour­ments que nous devions en ressentir ([^30]), nous sommes obli­gés de dire : la réalité de l'Église est affirmée par l'Évangile ; et réciproquement l'Église, dont l'Évangile nous garan­tit l'existence et la constitution, est une société hiérarchique de la vie surnaturelle ; ou si vous voulez, une société à la fois surnaturelle et hiérarchique de la vie avec Dieu. Fort bien. Mais depuis le blâme infligé à Pierre lui-même par Jésus nous savons tous que dans l'Église, la *sainte* Église, les détenteurs de l'autorité ne sont pas toujours des saints. Et il s'en faut. Et peut-être avons-nous fait sura­bondamment l'expérience de la vérité confondante de la réprobation de Jésus au chef des Apôtres : *Vade post me Satana.* Il arrive non seulement que les détenteurs de l'auto­rité, disons les prêtres, les évêques, le pape -- chacun à leur rang -- commettent, en les déguisant sous des masques convenables ou même sublimes, des péchés manifestement graves, des péchés horribles de tyrannie, d'orgueil, de jalou­sie, de lâcheté, de luxure, mais ils peuvent même en arriver, nous en avons la preuve sous les yeux, jusqu'à tenter de subvertir la forme d'autorité établie par le Seigneur. Dans son Église le Seigneur a voulu l'autorité personnelle et l'a instituée personnelle. Or nous assistons depuis le concile à une gigantesque tentative de dépossession de l'autorité ; de personnelle qu'elle est par droit divin, nous la voyons se par­lementariser, se collégialiser, on pourrait dire se soviétiser. 47:316 Je m'explique. Vous pouvez tourner et retourner chacune des pages de l'Évangile, nulle part vous ne trouverez que l'enseignement de la foi est dévolu à quelque commission soustraite de fait à la hiérarchie et dont évêques et prêtres ne sont que mandataires et exécutants. Je n'exagère pas. Et s'il n'en est pas ainsi dans la nouvelle Église que Vatican II a essayé de monter, expliquez-moi pourquoi tel « bon » évêque qui enseigne à ses petits-neveux un catéchisme catho­lique, -- avec Marie toujours vierge, le Saint Sacrifice de la messe, le péché originel et les saints anges, -- impose néanmoins aux dizaines de milliers d'enfants de son diocèse un catéchisme, issu des commissions, dans lequel tous ces dogmes sont niés ou embrouillés et indiscernables. Pour­quoi ? Parce que ce « bon » évêque est dépossédé de son pouvoir d'évêque par la collégialité et qu'il tente, dans le privé et comme grand-oncle, de se ressaisir et de faire taire les supportables morsures de sa conscience d'évêque. Même constatation pour l'évêque « passable » qui serait certaine­ment épouvanté à l'idée que la petite cousine qu'il vient de marier n'hésite pas à recourir à la pilule, mais qui ne trouve pas horrible d'autoriser comme chef de diocèse et pour des dizaines de milliers de jeunes filles et d'épouses les diaboli­ques produits contraceptifs. Le Seigneur Jésus, vrai Dieu et vrai homme, a fait une Église sainte, une société au niveau des mystères et de la sainteté du Dieu unique en trois personnes : *et societas nos­tra sit cum Patre et cum Filio ejus, Jesu Christo* ([^31])*.* Il a muni cette Église de pouvoirs particuliers en vue de la sain­teté. Ces pouvoirs sont hiérarchiques, assistés, personnels ; -- hiérarchiques ils comportent des degrés, une ordonnance mutuelle, un droit de commander, un devoir d'obéir (en un mot une *juri-diction,* une aptitude réelle à *dire le droit*)* ;* assistés, ces pouvoirs sont garantis par l'action de l'Esprit Saint contre l'hérésie dogmatique et l'invalidité sacramen­telle ; 48:316 personnels, ces pouvoirs sont détenus par une per­sonne déterminée (vulgaire ou noble, sainte ou médiocre) en tout cas une personne personnellement responsable ; ils ne peuvent être transférés à aucune de ces multiples variétés d'organisation de type rousseauiste et maçonnique, dans les­quelles le pouvoir réel est occulte et masqué tandis que la personne qui détient officiellement le pouvoir est dépossédée du pouvoir réel et transformée en agent d'exécution. La fausse Église qui se montre parmi nous depuis le curieux concile de Vatican II s'écarte sensiblement, d'année en année, de l'Église fondée par Jésus-Christ. La fausse Église post-conciliaire se contredivise de plus en plus à la sainte Église qui sauve les âmes depuis vingt siècles (et par surcroît illumine et soutient la cité). La pseudo-Église en construction se contredivise de plus en plus à l'Église vraie, à la seule Église du Christ, par les innovations les plus étranges tant dans la constitution hiérarchique que dans l'enseignement et les mœurs. Que faire ? Le prêtre, le fils de saint Dominique qui écrit ces lignes, sait fort bien qu'il ne peut tenir la place d'aucun des prêtres du premier ordre qui sont entrés dans la *succession apostolique.* Du reste il n'en eut jamais le désir ou l'envie. Dominicain je suis et pas plus n'en demande. Plaise à Dieu et à Notre-Dame vouloir m'octroyer fidélité jusqu'à la fin. C'est tout. Donc nous autres prêtres ne pouvons prendre la place des évêques ; pas plus que les évêques ne peuvent se faire pape. Et ce qu'il y a d'absurde et de crimi­nel dans la collégialité c'est que cette organisation de type démocratique ([^32]), maçonnique et rousseauiste nous *papifie* les évêques. Nous avons des évêques personnellement annu­lés mais, collégialement, en voie de *papification.* 49:316 Quoi qu'il en soit des aberrations de l'autorité hiérarchi­que dans la sainte Église et de la nouveauté collégialiste dans ces aberrations, les prêtres du second ordre ne peuvent tenir la place des évêques ni les laïques tenir la place des prêtres. Songeons-nous alors à mettre sur pied une immense et mondiale ligue ou association de prêtres et de chrétiens fidèles qui, devenus des « interlocuteurs valables » pour la hiérarchie officielle, l'obligeront à reprendre en main les rênes et à rétablir l'ordre ? Dessein grandiose, dessein émou­vant, dessein chimérique. Car enfin ce groupe qui se voudra d'Église mais ne sera ni diocèse, ni archidiocèse, ni paroisse ni ordre religieux, qui n'entrera dans aucun des secteurs sur lesquels et pour lesquels s'exerce l'autorité dans la sainte Église, ce groupe sera artificiel : *arte-factum,* étranger aux groupes réels, établis et reconnus. Comme pour tout grou­pement le problème du chef et de l'autorité se posera pour ce groupe ; et même avec d'autant plus d'acuité que le groupe sera plus énorme. Nous ne tarderions pas à aboutir à ceci : un groupe qui, étant une association, ne peut éluder la question de l'autorité ; un groupe qui étant artificiel (par là même en dehors des associations selon la nature et selon la Révélation et la grâce) rendra insoluble la question de l'autorité. Des groupes rivaux ne tarderont pas à s'élever. La guerre en deviendra inévitable. Il n'existera entre les groupes rivaux aucun moyen canonique de mettre fin à cette guerre ni même de la conduire. Sommes-nous alors condamnés à l'impuissance au milieu du chaos, et souvent un chaos sacrilège ? Je ne le crois pas. D'abord du fait d'être de Jésus-Christ l'Église est assurée d'une certitude absolue, de conserver, jusqu'à la fin du monde inclusivement, assez de hiérarchie personnelle authen­tique pour que se maintiennent les sept sacrements, en par­ticulier les Sacrements de l'autel et l'Ordre ; ensuite pour que soit prêchée et enseignée la doctrine du Salut, unique et invariable. « Voici que je suis avec vous chaque jour *jusqu'à la fin du monde* » (Matt. 28, 20). « Chaque fois donc que vous mangerez ce pain et boirez ce calice vous annoncerez la mort du Seigneur *jusqu'à ce qu'il revienne* » (Ia Cor, 11, 26). « Si ces jours n'étaient pas abrégés nulle âme ne serait sauvée, mais ces jours *seront abrégés, à cause des élus *» (Matt. 24, 22). 50:316 Ces textes disent ce qu'ils disent c'est-à-dire la certitude d'une permanence invincible de l'Église : doctrine, sacrement, sainteté, et ne souffrent pas de ré-interprétation désespérée ni désespérante. Par ailleurs mê­me dans l'amenuisement progressif -- mais toujours limité -- de l'autorité hiérarchique personnelle et réelle nous déte­nons tous, prêtres et laïcs, chacun pour notre compte, une petite part d'autorité. Nous autres prêtres avons les pouvoirs de célébrer la vraie messe, absoudre, prêcher. Les parents, malgré le totalitarisme étatique et la décomposition de la cité, n'ont pas perdu tout pouvoir de former et d'éduquer les enfants qu'ils ont mis au monde. On ferait une remarque du même genre pour les écoles, pour ceux et celles qui en sont responsables : prêtres, frères, religieuses ou laïques. -- Donc que le prêtre fidèle qui est apte à instruire et prêcher, absoudre et dire la messe aille jusqu'au bout de son pouvoir et de sa grâce de prêcher et d'instruire, de pardonner les péchés et d'offrir le Saint Sacrifice dans le rite tradition­nel ([^33]). Que la sœur enseignante aille jusqu'au bout de sa grâce et de son pouvoir de former les jeunes filles dans la foi, les bonnes mœurs, la pureté, les belles-lettres. Que cha­que prêtre, chaque laïque, chaque petit groupe de laïques et de prêtres, ayant autorité et pouvoir sur un petit fortin d'Église et de chrétienté aille jusqu'au bout de ses possibili­tés et de son pouvoir. Que les chefs de fortin et les occu­pants ne s'ignorent pas et communiquent entre eux. Que chacun de ces fortins, protégé, défendu, entraîné, dirigé dans sa prière et ses chants par une autorité réelle, devienne autant que possible un bastion de sainteté : voilà qui assu­rera la continuité certaine de la vraie Église et préparera efficacement les renouveaux pour le jour qui plaira au Sei­gneur. Par là se fait la préparation, non par les immenses machines d'associations planétaires pour lesquelles le pro­blème du chef demeurera insoluble cependant que les aspira­tions à la sainteté s'évanouiront en bavardages frivoles et seront étouffées sous la multiplicité des circulaires et des bulletins, sans parler du lamentable pullulement de ces réu­nions en congrès... 51:316 Ce qui reste toujours possible dans l'Église, ce que l'Église assurera toujours, quoi qu'il en soit des essais diabo­liques de la nouvelle Église post-vaticanesque, c'est ceci tendre à la sainteté réellement, pouvoir s'instruire de l'im­muable et surnaturelle doctrine dans un groupe réel même fort petit, sous « une autorité réelle et gardant l'assurance qu'il restera toujours à la fois des vrais prêtres et des évê­ques fidèles qui n'ont pas démissionné (peut-être sans même le voir) aux mains des commissions et de la collégialité. Le moyen, me semble-t-il, pour permettre au combat chrétien d'atteindre toute son ampleur en échappant aux conflits intérieurs et aux rivalités extérieures, c'est de le mener par petites unités, qui se connaissent dans la mesure où elles le peuvent, qui se portent secours à l'occasion, mais qui refusent d'entrer dans je ne sais quelles organisations systématiques et universelles. Dans ces diverses unités telles qu'une modeste école, un humble couvent, une confrérie de piété, un petit groupement entre familles chrétiennes, une organisation de pèlerinage, l'autorité est réelle et indiscutée ; le problème du chef ne se pose pratiquement pas ; l'œuvre à faire est précise. Il s'agit seulement d'aller, jusqu'au bout de sa grâce et de son autorité dans la petite sphère dont on a certainement la charge, en se tenant relié, sans grandes machines administratives, à ceux qui font pareil. Le Seigneur brisera la collégialité, accordera des évêques qui exerceront personnellement et saintement leurs pouvoirs, fera lever un grand et saint pape lorsqu'il verra dans son Église des âmes et des groupes assez fervents pour les ac­cueillir. D'ici là le Seigneur ne permettra pas à la collégialité et à la démocratisation de jamais prévaloir. Il ne le permet­tra pas parce qu'il donnera toujours à son Église, pour res­ter sainte, c'est-à-dire pour faire les sacrements et sanctifier les âmes, la quantité indispensable de pouvoir hiérarchique et de pouvoir sacerdotal ordinaire. 52:316 La Vierge élevée aux cieux, qui ne cesse d'intercéder pour l'Église de son Fils, est toujours sûre d'être exaucée. Il est permis de lui dire *Regina pastorum omnium ora pro nobis.* 53:316 ### 5. Le régime de l'Église et la sanctification Dans le Nouveau Testament l'Église n'est qu'un grain de sénevé, elle ne nous apparaît pas encore comme un grand arbre. Son mystère propre nous est cependant révélé avec une clarté suffisante pour ne laisser aucun doute sur sa constitution hiérarchique et le statut personnel des pouvoirs. Le pouvoir de régence suprême et de souveraine juridiction est conféré au seul Vicaire du Christ et non pas à un synode ; au seul Pierre et non pas à une assemblée ([^34]). Le pouvoir d'offrir le Saint Sacrifice n'est pas donné à tous indistinctement, mais aux seuls Apôtres et à ceux des chré­tiens qu'ils auront ordonnés. La juridiction sur les églises particulières dont nous parlent souvent les Épîtres de saint Paul revient à un évêque déterminé, et non pas à un comité composé de laïcs et de clercs. A la différence de ce qui se passe dans les cités terrestres les pouvoirs donnés dans la Cité Sainte, dans le Royaume de Dieu, visent un objet transcendant et céleste -- un ordre de réalités divines, un bien commun proprement surnaturel. *Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit* (Matt. 28, 19). -- *Je te don­nerai les clefs du Royaume des Cieux* (Matt. 16, 19). -- *Faites ceci en mémoire de moi. Chaque fois en effet que vous man­gerez ce pain et boirez ce calice vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il revienne* (Ia Cor. 11, 25-26). 54:316 Ce qui est mis en cause de nos jours c'est non seulement la portée transcendante et surnaturelle des pouvoirs départis à l'Église mais aussi, et peut-être davantage, leur appropria­tion. Or l'ordination divine contre laquelle nous ne pouvons rien, a voulu que, dans l'Église, les pouvoirs soient person­nellement appropriés. Le régime d'assemblée, le gouverne­ment de type démocratique et rousseauiste est étranger au Royau­me de Dieu. Les conciles mêmes ne font pas exception. Car s'il est vrai que, dans ces grands rassemblements œcuméni­ques, ce sont les évêques en corps qui définissent (sauf à Vatican II) et qui légifèrent, il n'en reste pas moins, d'abord que leurs décisions n'ont de portée que pour autant que le Souverain Pontife les sanctionne, ensuite que l'autorité de chaque évêque sur son diocèse n'est aucunement suspendue du fait du concile, ni transférée au corps épiscopal. La démocratie de type rousseauiste est un régime conçu et appliqué de telle manière que le nombre prime le droit et que les vrais responsables, ceux qui de fait exercent l'auto­rité, aient ordinairement le moyen de se dérober ; en effet les détenteurs officiels du pouvoir sont hypocritement dépos­sédés du pouvoir effectif ; la réalité du pouvoir est transférée à des autorités parallèles, irresponsables et fuyantes. C'est en cela que la démocratie rousseauiste est un régime de men­songe ([^35]). Elle est encore plus intolérable dans la sainte Église -- dans le Royaume de toute vérité -- que dans les royaumes de ce monde. 55:316 Du reste il suffit de voir à l'œuvre le régime démocra­tique de la collégialité pour être fixé sur son degré d'hypo­crisie et sa malice intrinsèque. Au bout de quelques années à peine, quels sont en effet les fruits du système collégial ? Un catéchisme faussé grâce au *Fonds Obligatoire,* une morale du mariage pervertie grâce à la *Note 16* ([^36])*,* une messe devenue équivoque, parfois invalide, souvent sacrilège, grâce aux transformations rituelles effrénées. Dans tout cela, rien, absolument rien dont on puisse faire retomber la faute sans crainte d'erreur sur telle ou telle tête épiscopale, comme nous faisons retomber sur Martin Luther l'initiative d'avoir marié les prêtres. Dans les bouleversements révolutionnaires qui saccagent l'Église de France, et qui étaient inconcevables il y a seulement dix ans, tout est imposé par un pouvoir sans tête, collégialement, dans l'anonymat des majorités écra­santes. A qui nous en prendre et comment nous prononcer ? En promulguant le *Fonds Obligatoire* ou la *Note 16* la collé­gialité de Lourdes n'exécutait quand même pas un ordre immédiat et explicite du Saint-Siège. Accuserons-nous tel évêque, tel archevêque, tel cardinal ? Mais pourquoi celui-ci plutôt que celui-là ? Ils se perdent tous, ils sont tous noyés dans l'assemblée. C'est l'assemblée qui a voulu cela, cette destruction de la foi, de la morale et du culte. L'assemblée, c'est-à-dire tout le monde et personne. L'assemblée a ratifié par un vote massif les propositions élaborées dans les petits groupes de théologiens, à la majorité des suffrages. De l'as­semblée aux commissions, des commissions aux petits grou­pes, des petits groupes aux comités restreints, on a eu conti­nuellement un moyen commode de se renvoyer la balle sans jamais savoir qui le premier au juste l'avait lancée, ni pour atteindre exactement quel but. Seulement le but, la démoli­tion de la religion, était bel et bien touché. A chacune des assemblées plénières collégiales, la destruction de la doctrine, de la morale et de la liturgie a fait des progrès considéra­bles. Mais qui est le destructeur ? 56:316 Tous les évêques, ou de peu s'en faut, si on considère le mécanisme de la majorité des suffrages, mais un petit nombre difficile à identifier, si on considère la détermination personnelle, mûrement délibé­rée, réfléchie et calculée. Et c'est en cela que le système col­légial est hypocrite et contre nature : il exempte au maximum un chacun du poids de ses responsabilités propres et des intolérables brûlures du remords, mais en même temps et par le même mécanisme il fait coopérer un chacun aux pires forfaits, à l'instauration d'une religion pseudo-chrétienne sous un masque chrétien. Eh ! bien, le système collégial ne fait qu'étendre à l'Église les méfaits de la démocratie rousseauiste. Qu'il se prolongeât quelques années encore et l'Église serait vidée de ses pouvoirs divins de transmettre infailliblement la Révélation, célébrer la vraie messe, donner les vrais sacre­ments, assurer les ordinations valides. Car les ordinations elles-mêmes n'échapperaient pas à l'universel désastre. Que l'évêque qui ordonne en vienne progressivement à rejeter la foi de l'Église dans le Saint Sacrifice de la messe, que, par une conséquence normale, son intention se modifie et qu'elle ne soit plus d'ordonner en vue du Saint Sacrifice, alors il finira par transformer le rite et il cessera de conférer aux ordinands le caractère sacerdotal ; son ordination s'annule. C'est par un semblable processus que les évêques anglicans, au XVI^e^ siècle, cessèrent de conférer validement les saints ordres. Or il est dans la logique de la collégialité de renou­veler ce processus, ou plutôt de le systématiser et de l'éten­dre. La collégialité en effet a tout ce qu'il faut pour trans­former la foi et donc la détruire, mais rien pour la préserver. En dépouillant *pratiquement* l'évêque de son pouvoir per­sonnel de transmettre la saine doctrine, en soumettant la foi de l'évêque au recyclage des assemblées délibérantes et vo­tantes, la collégialité en vient insensiblement à transformer la foi de l'évêque ; sa foi étant changée il adviendra que change également son intention en conférant les sacrements qui relèvent de son pouvoir ; le changement de rite suivra sans tarder le changement d'intention ; alors le sacrement devien­dra nul. 57:316 Les évêques qui passèrent à l'anglicanisme sous Édouard VI, au XVI^e^ siècle, avaient certainement reçu une consécration valide ; ils détenaient certainement le pouvoir d'ordre. Il reste que dans les ordinations qu'ils conféraient il arriva un moment -- à partir du jour où, ayant perdu la foi au Saint Sacrifice, ils changèrent leur intention et chan­gèrent le rituel -- il arriva donc un moment où leurs pou­voirs, quelle qu'en fût la réalité, n'eurent plus aucun effet, cessèrent de conférer le seul véritable sacerdoce ([^37]). Voilà sans aucun doute ce qui se produirait avec les évêques col­légialisés si le système n'était bientôt réduit en miettes. Les pouvoirs de l'Église, aussi bien dans la ligne de la juridiction que dans celle de l'ordre, sont des pouvoirs per­sonnels. C'est ainsi que le Seigneur les a fondés une fois pour toutes. Et il les a ainsi fondés parce que l'approbation personnelle est en harmonie avec les saintes lois de la fran­chise et de l'honneur. Que chaque ministre sache donc que c'est lui qui est choisi, honoré à ce point, investi de cette charge divine ; lui et non pas un groupe anonyme. Que chacun de ceux qui recourent aux ministres du Seigneur et se soumettent à leurs pouvoirs -- et les ministres eux-mêmes se trouvent dans ce cas à l'égard de leurs confrères -- que chacun de ceux qui écoutent la prédication, vont à confesse, participent au Saint Sacrifice, se sente en sécurité, n'ait pas à se méfier de l'imposture, n'en soit pas réduit à cette condition désespérante et honteuse de ne pas savoir à qui il a affaire, et en définitive qu'est-ce qui est en cause : le pouvoir authentique, effectivement surnaturel, d'un ministre du Christ, ou le simulacre de pouvoir d'une assemblée sans visage ? Le Seigneur ayant voulu que les pouvoirs, dans son. Église, soient personnellement attribués et exercés, ne per­mettra pas que la collégialité les résorbe et les supprime. Il mettra plutôt fin à la collégialité d'une manière ou d'une autre. 58:316 Nous n'avons donc pas à craindre, mais à prier en toute confiance, exercer sans peur, selon la Tradition et dans notre sphère, le pouvoir qui est le nôtre, préparer ainsi les temps heureux où Rome se ressouviendra d'être Rome et les évêques d'être des évêques ([^38]). Car Rome retrouvera sa primauté -- et fera cesser, notamment, cette comédie collé­giale qui permet aux évêques de faire schisme en assemblée nationale, en groupe organisé, et collectivement, alors que nul d'entre eux ne se risque à se déclarer personnellement schismatique, bien au contraire. Il ne faudra pas un siècle, ni un demi-siècle, pour qu'on en finisse avec ces dialogues d'irresponsables qui se multiplient depuis le concile. « Mon­seigneur, comment avez-vous pu supporter les propos de ce religieux dans la conférence qu'il vient de nous faire sur le péché originel et le baptême des enfants ? -- Pour ma part, je ne parlerais pas ainsi. Mais que puis-je faire et comment intervenir puisque la collégialité des évêques de France estime maintenant qu'on n'a plus de certitude sur toutes ces choses. -- Monseigneur, comment supportez-vous que tel Père réu­nisse périodiquement les prêtres de votre diocèse pour les initier à ce qu'il faut appeler par son nom : une parodie de la sainte messe ? -- Personnellement, je ne goûte ni ses théories, ni ses manières. Mais enfin il est mandaté ou il s'est fait mandater par la commission liturgique ; et cette commission est agréée et encouragée par nos assemblées col­légiales. Comment voulez-vous que moi, tout seul parmi les évêques, je m'élève là-contre ? C'est impossible. » Ce serait tout à fait possible si l'évêque avait un peu de courage sacerdotal, osait regarder en face son devoir, s'ex­poser au mépris, aux moqueries, peut-être à la relégation sociologique, afin de rendre témoignage au Souverain Prê­tre : Jésus-Christ. Mais il s'est laissé prendre dans une ma­chine et dans des engrenages combinés tout exprès pour l'empêcher d'exister lui-même dans la légitime soumission à Rome. 59:316 Après cette démission préalable où trouver le courage requis pour confesser la foi et combattre les hérétiques ? La première faute fut d'entrer dans ce système collégial, de type rousseauiste, où le détenteur officiel du pouvoir est dépos­sédé du pouvoir effectif tout en ayant l'apparence de le gar­der. Mais le système sera mis en pièces et tous ses méca­nismes voleront en éclats. Sans doute les commissions spécialisées ne seront-elles pas abolies. Elles furent indispensables de tout temps pour l'étude de questions particulièrement ardues. Seulement elles ne fonctionneront plus dans l'ano­nymat. On saura qui les nomme, jusqu'où s'étend leur com­pétence, devant qui les membres qui les composent doivent répondre de leur travail. De même pour les rencontres entre évêques. Elles ne seront pas suspendues, parce qu'elles sont dans la nature des choses et qu'elles favorisent, jusqu'à un certain point, la ferveur de la prière et la fécondité de l'apostolat. Mais qu'elles soient réglées par un statut précis approuvé de Rome ; que chaque évêque soit encouragé à prendre ses devoirs encore plus à cœur, loin d'être annihilé dans un appareil qui le dépossède de ses pouvoirs et le dis­pense de porter les responsabilités de son ministère. Que cesse en un mot la Révolution collégialiste et démocratique : il y va de la sainteté de l'Église et de notre propre sanctification. Car la sainteté de toute l'Église et la sanctification de chacun dans l'Église demande et requiert non pas que nous n'ayons jamais à surmonter le scandale de l'hérésie chez un évêque ou chez un docteur accrédité par l'évêque, mais que le recours à la chaire de Pierre soit possible contre l'héréti­que, que l'hérétique ne devienne pas indiscernable par Rome, insaisissable, dissimulé dans le brouillard opaque de la collé­gialité qui l'encourage ou le défend. 60:316 La sainteté de toute l'Église et la sanctification de chacun dans l'Église demande et requiert non pas que ne se produise jamais le scandale de messes invalides ou sacrilèges, mais que les évêques coupa­bles ou complices de telles énormités ne trouvent plus le moyen quasi-infaillible, grâce à l'habile camouflage collégial, de passer pour innocents et de se soustraire à la justice du Pontife Romain. Car *s'il est nécessaire que les scandales arri­vent,* il est non moins nécessaire que l'Église ne soit pas dominée par les scandales, et donc que son régime lui per­mette de vaincre les scandales, de demeurer sainte et sancti­fiante. Or tel est bien l'effet du régime dont le Seigneur l'a pourvue grâce à des pouvoirs surnaturels hiérarchisés, assis­tés par le Saint-Esprit, personnellement attribués. Les désordres post-conciliaires en général, et la collégia­lité perverse en particulier, auraient été contenus et refoulés aussitôt si les prêtres en grand nombre n'avaient eu d'autres aspirations que de glorifier le Souverain Prêtre, en traitant avec le plus grand respect les pouvoirs ineffables qu'il a remis entre nos mains. Il doit suffire à tout prêtre du pre­mier ou du second ordre de faire honneur à celui qui nous a consacrés. Il doit nous suffire d'agir en tout comme ses ministres fidèles ([^39]) ; faire ce qui est en nous pour qu'il trouve consolation et gloire quand il lui plaît de se servir de nous, soit comme purs instruments dans le Saint Sacrifice, soit comme dispensateurs de sa vérité dans la prédication, soit comme lieutenants de sa souveraineté dans l'exercice de la juridiction qui peut nous revenir pour une certaine part. Des prêtres et des évêques ayant pris profondément conscience que le Seigneur lui-même daigne se servir d'eux pour offrir la sainte messe, sont horrifiés à la seule idée de rites polyvalents ; ils n'admettent à aucun prix ni sous aucun pré­texte, alors qu'ils se donnent au Seigneur de toute vérité pour qu'il offre par eux son Sacrifice, de ne pas se confor­mer, dans une fonction aussi sainte, aux rites loyaux, non équivoques, marqués de la plus humble révérence, que la Tradition nous a gardés. L'incompatibilité est absolue entre le Dieu de toute vérité et les rites équivoques. 61:316 C'est se moquer du Seigneur avec beaucoup d'insolence et une méchanceté horrible que d'accomplir le mystère de la foi -- *Mysterium Fidei --* selon un rite qui conduit par lui-même à la destruction de la foi. Seigneur, gémit intérieurement le prêtre fidèle, Seigneur, que vous ayez la satisfaction de trouver en moi un digne ministre dans le Saint Sacrifice que vous allez offrir par moi en vous servant du pauvre pécheur que je suis. Que je fasse au moins cela pour vous de ne pas vous contrister alors que vous daignez vous servir de moi. Et pour ne pas vous contrister, pour que je sois livré à votre action en toute dis­ponibilité, que ferais-je de mieux que de commencer par m'en tenir aux rites très saints, sanctionnés par l'Église de toujours ? -- Et, de son côté, l'évêque qui entrevoit la confiance que lui a faite Jésus-Christ quand il lui a confié une portion de son troupeau, ne demandera-t-il pas au Pon­tife Souverain et Éternel d'être à la perfection la vivante image du Bon Pasteur ; qu'au moins, il n'hésite pas à porter les devoirs de sa charge à ses propres risques et périls, à la vie et à la mort, bien loin de s'en laisser dépouiller par la collégialité irresponsable ; qu'il transmette fidèlement la doc­trine de la foi et, pour cela, qu'il garde la Tradition catholique. Que nous tous qui, grâce à l'intercession de la Vierge corédemptrice, avons eu part au sacerdoce ministériel, nous ayons la résolution très ferme d'honorer le Souverain Prê­tre ; alors nos pouvoirs seront exercés d'une manière plei­nement conforme à l'institution du Seigneur et à la Tradition de son Église -- pour la sanctification des fidèles, notre propre sanctification et la splendeur accrue de la sainte cité. De même que l'on parlerait de la charité surnaturelle tout de travers si l'on essayait de l'expliquer en termes d'amour sentimental, de même que l'on se tromperait abso­lument sur la justification si on la concevait comme Luther à l'image d'une sorte de fiction juridique, de même raisonne­rait-on à contresens si, pour pénétrer dans le mystère de l'Église, on allait prendre *une analogie,* sans peut-être s'en rendre compte, dans les sociétés contre nature, les sociétés révolutionnaires, celles qui, de diverses façons, se proposent les mirages du messianisme terrestre comme idéal à atteindre et bien commun à réaliser ; celles qui établissent leur pou­voir sur des organisations occultes et des structures anonymes. 62:316 N'importe quelles analogies ne permettent pas de réflé­chir à n'importe quels mystères surnaturels, n'importe quelles notions ne peuvent être mises en œuvre pour parvenir à une certaine intelligence des secrets révélés par Dieu. Il ne suffit point, par exemple, pour saisir la vérité sur la sainte huma­nité du Christ de lui attribuer pêle-mêle les grandeurs et les faiblesses de la condition humaine ; il faut voir au contraire que la nature qu'il daigne assumer ne peut être que *remplie de sagesse et de grâce,* ensuite que les infirmités qu'il veut faire siennes ne peuvent jamais être les tares physiques ou psychiques qui tiennent au manque d'intégrité qui a suivi le péché originel ([^40]) ; le Christ a été sujet à la soif, à la fati­gue, à certaines tristesses et aux tourments terribles de la croix, mais il était nécessairement exempt de la maladie ou des déficiences psychologiques. (Il ne pouvait souffrir de ces maux que dans les membres de son Corps mystique.) ([^41]) Eh ! bien, il en est en quelque sorte de l'Église comme du Christ lui-même puisqu'elle n'est rien d'autre que *Jésus*-*Christ répandu et communiqué.* Pour exprimer le vrai à son sujet, il faut comprendre que cette société venue du ciel fait sienne et surélève à son niveau certaines propriétés d'une société juste, mais demeure exempte, obligatoirement, des artifices et des tares qui sont inséparables d'une société de type révolutionnaire. 63:316 Or la conception de l'Église qui se répand de nos jours a ceci de nouveau qu'elle est une transposition d'une idée fausse et pernicieuse : l'idée rousseauiste ou maçonnique de la société. Si beaucoup de théologiens, ou prétendus tels, admirent la collégialité, s'ils applaudissent à telles initiatives d'un pseudo-messianisme qui est une parodie de l'Évangile, c'est qu'ils trouvent tout normal le concept révolutionnaire de société. Dès lors leur théologie de l'Église devient aberrante ([^42]). La politique fait chavirer leur théologie. Dans certains cas c'est la foi elle-même, le contenu de la foi et la religion tout entière qui fait naufrage parce qu'elle ne peut plus résister à la poussée, plus ou moins consciente, d'une erreur politique qui envahit tout l'univers mental, d'une passion politique désorbitée qui a les exigences implacables d'un faux messianisme. Le mystère de l'Église est alors transposé non seulement en une simple réalité de ce monde mais, ce qui est pire, en une réalité anti-naturelle, un monstre cérébral et dévastateur qu'il est impossible d'assouvir. C'est contre cette altération radicale, cette falsification perverse du mystère de l'Église que nous avons rappelé la doctrine traditionnelle de la *Sancta Civitas.* 64:316 ### 6. Le messianisme de l'Église Comme les pouvoirs de l'Église dérivent de ceux du Christ, comme sa sainteté est celle du Christ *répandue et communiquée,* son messianisme est l'expression du seul mes­sianisme véritable, celui du Christ Jésus, notre Seigneur et notre Roi. *Regnum meum non est de hoc mundo... Tu dicis quia Rex sum Ego* ([^43])*.* Messianisme sans rien de nébuleux ou d'impur, -- d'utopique ou de revendicatif, il annonce aux hommes et il leur apporte même ici-bas, en un certain sens, *libération, renouvellement* et *paix.* Mais c'est du péché que l'Église nous délivre en nous baptisant dans la Passion du Christ ; elle ne met pas fin obligatoirement aux servitudes de la vie économique, ni aux oppressions des tyrannies mul­tiformes. « *Nul s'il n'est rené de l'eau et de l'Esprit ne peut entrer au Royaume de Dieu* » (Jo. 3, 5). « *Vous me cherchez parce que vous avez été rassasiés ; cherchez non une nourri­ture périssable, mais celle qui demeure pour la vie éternelle* » (Jo. 6, 26-27). -- Semblablement la paix que dispense l'Église n'efface pas les frontières entre les nations, ne sup­prime pas les traditions particulières à chaque patrie, n'exempte point les États de veiller chacun à ses propres intérêts ; car la paix de l'Église n'est pas d'abord située au niveau des sociétés temporelles, mais bien au niveau de la foi, de l'amour, de la commune docilité à une hiérarchie d'ordre surnaturel. 65:316 « Pierre... je te donnerai les clefs du Royaume des cieux » (Matt. 16, 19). -- « Je vous ai dit ces choses afin que vous ayez en moi la paix ; dans le monde vous aurez à souffrir (bien) des afflictions ; mais confiance, j'ai vaincu le monde » (Jo. 16, 33). Il est trois passages de l'Évangile qui expriment admira­blement l'intention et le grand dessein du messianisme de l'Église : *Cherchez d'abord le Royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît* (Matt. 6, 33). *Une seule chose est nécessaire ; Marie a choisi la meilleure part et elle ne lui sera pas enlevée* (Luc, 10, 42). *Je suis roi, mais mon Royaume ne vient pas d'ici-bas* (Jo. 18, 36-37). Le messianisme de l'Église commence par distinguer spi­rituel et temporel ; deuxièmement il se tient au niveau de la conversion du cœur et de la vie de la grâce ; il exige enfin le consentement à la croix, aussi bien dans le temporel que dans le spirituel. Son but n'est aucunement de supplanter les royaumes terrestres ni de remplir la mission qui leur est confiée. Dans la mesure cependant où il est reçu par ces royaumes, il y fait fleurir une juste paix politique, *pax chris­tiana ;* la vallée de larmes demeure sans doute une région d'exil, d'épreuve et de combat, mais loin d'être, comme le monde moderne, une anticipation de la géhenne avec ses cris affreux et ses grincements de dents, la *vallée de larmes* devient un séjour habitable, non dépourvu d'une très pure douceur, qui laisse pressentir, à travers les déchirements, les consolations éternelles de la patrie céleste. Sans cesser d'être la *vallée de larmes,* la terre devient le pays des *béatitudes évangéliques* ([^44])*.* Le messianisme de l'Église est marqué d'une triple em­preinte : vie de la grâce communiquée par les pouvoirs sacramentels ; adoration de la croix ; distinction entre le spi­rituel et le temporel et soumission du second au premier. 66:316 Quand ces empreintes font défaut ou qu'on les efface c'est alors un autre messianisme qui envahit le monde : messia­nisme charnel et judaïque ; maçonnique et communiste ; celui du diable et de ses suppôts. On fascine les hommes par des promesses de liberté, de communion et de paix ; mais la liberté est factice lorsque le cœur humain n'accepte pas de se laisser toucher par la grâce, car alors il ne sur­monte pas la tyrannie de l'orgueil et des passions. De même la communion est artificielle lorsque les personnes et les sociétés sont soustraites aux seuls pouvoirs qui fassent voler en éclats l'égoïsme et le mensonge : les pouvoirs surnaturels et hiérarchiques de l'Église du Christ. Quant à la paix, en dehors de l'amour divin, elle ne peut être que le morne résultat, sous la direction de l'État totalitaire, du fonction­nement très perfectionné de la propagande et de la police ; elle est à l'image de cet ordre maudit qui préside à l'Enfer. Que, par une aberration sans précédent, des hommes d'Église se fassent désormais les hérauts et les pourvoyeurs des mouvements de messianisme terrestre, il n'est hélas plus possible d'en douter. « Qui a pris au sérieux l'appel des églises chrétiennes en faveur du tiers-monde, pendant la deuxième décennie du développement des peuples ? Qui a pris en considération la proposition du pape à l'O.N.U. de lever un impôt international pour faire justice aux opprimés de la terre ? Combien sont-ils ceux qui militent pour une politique du partage et du respect entre tous les humains ? » Telle est la proclamation du cardinal-archevêque de Pa­ris ([^45]). On pourrait continuer sur la même lancée et dire équivalemment, comme tant de prêtres « post-conciliaires » : « Offensés et humiliés de tous les pays, regroupez-vous en des internationales supra-religieuses et construisez une hu­manité libre et fraternelle, par-delà tous les dogmes, toutes les morales et tous les rites. Croyants de toutes les religions et incroyants de toutes les sectes, associez-vous dans un grand office international des opinions religieuses ou irréli­gieuses : la réussite collective de l'humanité, voilà le dieu de l'avenir. » 67:316 A tous ces prêtres qui ont perverti le langage évangé­lique que répondre sinon que, pour promouvoir dans une ligne de solidarité non chrétienne, indifférente même à toute confession, le développement de notre espèce malheureuse, les hommes n'ont que faire de leur évangile sans la grâce. -- Ô prêtres égarés qui trahissez votre sacerdoce, sachez donc que les hommes et les peuples pour réaliser ce que vous venez leur prêcher n'ont pas besoin de vous avoir entendus. Pour organiser à l'échelle de la planète le confort et la sécurité, pour faire de cette organisation l'objectif sou­verain et la suprême loi, on n'ira quand même pas s'adres­ser aux ministres de Jésus-Christ, aux prêtres du *Testament Nouveau et Éternel.* Votre mission n'est pas là. Francs-ma­çons et Contre-Église feront beaucoup mieux. Il se peut que la Contre-Église vous sache gré un instant de lui avoir amené une clientèle catholique ; mais ce travail une fois terminé, elle se passera fort bien de vos services. Vous n'êtes pas faits pour cela. L'Église, ainsi que l'histoire nous le prouve, n'est pas à l'abri des faux-papes. Mais elle est trop sainte, les pouvoirs qu'elle tient du Christ sont trop divinement assistés pour que, dans ces moments de grande épreuve, elle ne discerne promptement le vrai pape, qui condamne le faux et conso­lide la chaîne de la continuité un instant vacillante. -- L'Église, qui n'est pas à l'abri des faux-papes, n'est pas non plus à l'abri de : n'être jamais gouvernée par quelque pape énigmatique dont certains actes porteraient la marque du faux-messie. Au temps de la chrétienté médiévale ou classique il était bien difficile d'envisager pareille éventualité, car s'il avait pris fantaisie à l'un des Souverains Pontifes d'alors de vouloir jouer au faux-messie il eût été prompte­ment rappelé à l'ordre et tiré de ses illusions, tant il aurait heurté de front non seulement l'intérêt des princes chrétiens mais leur foi et leur bon sens. 68:316 Or nous voici entrés dans une époque où la chrétienté est en déroute : le temporel, pour une grande part, est asservi à des institutions de men­songe, intrinsèquement perverses, contraires au droit naturel non moins qu'à l'Évangile ; par ailleurs l'épiscopat est choisi de plus en plus selon un critère non incompatible avec la Révolution anti-chrétienne : ne pas entrer en lutte avec des organisations politiques contre nature, ne pas déplaire aux dirigeants, manifestes ou dissimulés, de pareilles organisa­tions. Voilà pourquoi ([^46]) on se demande quel obstacle ma­jeur rendrait absolument impossible l'avènement de quelque pape étrange sur qui le faux-messianisme exercerait une sorte de fascination. Reste toutefois contre la démesure de certains égarements d'un pape semblable l'obstacle suprême, et celui-là infranchissable, de l'assistance du Saint-Esprit. Cette assistance, on le sait, ne va pas à rendre le pape en tout point indéfectible, mais ses effets dans les cas les plus défavorisés, sont encore extraordinairement précieux : garan­tir l'infaillibilité ; maintenir la défectibilité du Vicaire du Christ à l'intérieur d'un cercle rigoureusement circonscrit de sorte que, quelles que soient les fautes, il n'impose pas d'hé­résie formelle. Il convient de rappeler à ce propos la doctrine commune sur les privilèges de la papauté et leur nécessité absolue pour la vie de l'Église. -- « Heureusement, nous autres, nous avons le pape, à la différence des protestants », me répon­dait un jour avec intrépidité une bonne chrétienne, « incon­ditionnelle » des rites nouveaux, à qui j'expliquais mon refus des messes polyvalentes. Cette parole qui exprimait un sur­saut de la foi, il serait impie de l'affaiblir d'aucune manière, mais il est utile et chrétien de chercher à l'expliciter correc­tement. 69:316 -- *Heureusement nous avons le pape,* pour garder la doctrine et les sacrements, pour paître tout le troupeau du Seigneur, agneaux et brebis, prélats et simples fidèles, pour guider et corriger ce troupeau soit par les décisions infailli­bles du magistère extraordinaire, soit plus généralement par les actes du magistère ordinaire qui se tiennent dans la continuité de la Tradition. -- *Heureusement nous avons le pape,* non pour méditer à notre place les mystères de la foi, mais pour être éclairés et défendus dans notre méditation personnelle par son enseignement qui est assisté de l'Esprit de Dieu ; non pour exercer à la place des évêques et des prédicateurs le ministère qui leur incombe, mais pour leur permettre d'accomplir ce ministère dans la vérité, sans faire de faux-pas ni égarer les âmes. -- *Malheureusement nous avons quelquefois de mauvais papes* pour trahir, dans une certaine mesure, l'Église et la papauté ; mais leur trahison a nécessairement des bornes car ils sont préservés de pouvoir enseigner formellement l'hérésie. Même avec de mauvais pa­pes le chrétien ne fait pas fausse route quand il suit celles de leurs prescriptions qui se situent dans la ligne de la Tra­dition de l'Église ; car dans des prescriptions de ce genre les mauvais papes ne sont pas mauvais mais bons et bienfai­sants. -- *Heureusement nous avons le pape,* non pour nous empêcher d'ouvrir les yeux en obéissant et pour nous impo­ser l'horrible déformation d'une obéissance qui refuse ou qui néglige d'y voir clair ; non pour nous interdire jamais aucune résistance, quels que soient le contenu de l'ordre donné ou la forme dans laquelle il est donné ; non pour nous épar­gner toute épreuve dans l'obéissance ; mais d'abord pour nous épargner l'épreuve, qui serait intenable, d'être dépour­vus, dans les choses mêmes du Christ, d'un Vicaire visible, universel, infaillible ; ensuite pour nous permettre de garder la paix, même lorsque notre obéissance est mise à très rude épreuve, parce que nous devons résister à des mesures ou à des ordres qui induisent à pécher, soit qu'ils s'opposent aux vertus morales, soit qu'ils s'opposent dans une certaine me­sure à la foi elle-même en négligeant par exemple de répri­mer ces hérésies. 70:316 -- La résistance ne ferait perdre la paix que si les ordres ou les mesures qui exigent notre refus étaient à la fois interdits par Dieu au titre où il parle par sa loi naturelle ou révélée et imposés par Dieu au titre où il parle par son Vicaire. Nous serions voués alors à un conflit insoluble. Mais nous sommes assurés par avance que cela ne peut se produire. Lorsqu'en effet le pape ordonne ou omet de condamner, alors que cela est requis, des actes gravement coupables qui sont contraires soit à la morale, soit même, à certains égards, à la sauvegarde de la foi, il n'agit plus comme Vicaire du Christ. Ce n'est plus Jésus-Christ qui parle par sa bouche. Lui résister alors ce n'est pas résister à Jésus-Christ ; c'est au contraire obéir à Jésus-Christ ; c'est, de plus, honorer la dignité du Vicaire de Jésus-Christ que de ne pas lui céder sur un point où il déshonore cette dignité. Et parce que nous rendons honneur à sa dignité, serait-ce de cette façon inattendue, notre attitude continue d'être respectueuse et filiale. Agir ainsi c'est nous tenir en accord avec le Seigneur et avec son Vicaire parmi nous, en cela du moins où il relève certainement du Seigneur. En cet accord réside la paix, même si la résistance demeure pénible. -- *Heureusement nous avons le pape :* si nous le reconnais­sons pour ce qu'il est, si nous sommes pieusement dociles à son égard, alors les biens de l'Église les plus magnifiques sont assurés dans notre vie et dans notre âme, en particulier la vraie dévotion à la Vierge et le vrai culte de l'Eucharistie. Il reste que ces biens, propres à l'Église catholique, sont infiniment au-dessus du pape qui en est le gardien. Nous ne mettons pas sur le même plan la Vierge, l'Eucharistie, le pape. La docilité au pape, aussi pieuse soit-elle, implique toujours la clause : *le Saint-Sacrement premier servi et la vraie dévotion à Notre-Dame maintenue* ([^47])*.* 71:316 Ainsi donc, même si quelque pape venait à prendre des allures de faux-messie ([^48]) ce ne pourrait être que par inter­mittence, sans continuité, avec toutes sortes d'hésitations et de repentirs. Il n'entrerait dans son deuxième personnage, celui de tentateur de l'Église et d'instrument du démon, ni tout entier, ni franchement. Il ne proclamerait jamais par exemple comme un point assuré du magistère ordinaire, comme une interprétation authentique de vingt siècles de catholicisme, encore moins comme une définition *ex cathedra,* que la *montée de l'humanité* et sa réussite terrestre est main­tenant la forme nouvelle de notre religion. Seulement il mélangerait à s'y méprendre deux messages qui s'opposent dans leur essence même : d'une part le message de domina­tion prométhéenne du monde, conformément aux Trois Ten­tations et sans tenir compte *pratiquement* de la souveraineté de Dieu ni du péché de l'homme, et d'autre part le message de la foi chrétienne qui annonce la Rédemption par la seule croix du Seigneur Jésus. Par l'effet de cette intrication contre nature le scandale serait près d'atteindre sans doute ses limites ultimes ; il serait porté à un point de séduction extraordinairement dangereux. Il ne serait pas assez fort, malgré tout, pour perdre les élus, ni abolir, l'Église. D'abord parce que la promesse de Jésus à Pierre ne passera pas. « *J'ai prié, Pierre, pour que ta foi ne défaille point. Et toi, quand tu seras converti, affermis tes frères.* » (Luc 22, 32.) -- Par ailleurs nous tenons comme un principe certain et universel que l'ordre du bien et celui du mal ne s'opposent pas à égalité et ne sont pas symétriques. Ce qui signifie notamment que le fauteur du scandale ne sera jamais qu'une créature, alors que le défenseur contre le scandale est le Sei­gneur tout-puissant. Les insinuations, propagandes, pressions et persécutions du monde, quelque soutien qu'elles reçoivent de la part des hommes d'Église, n'ont rien de comparable à la grâce du Seigneur, soit comme force qui pénètre la liberté, soit comme douceur qui l'attire au parfait amour. La grâce est d'un autre ordre que tout le créé, infiniment plus forte ([^49]). 72:316 -- Enfin l'intercession maternelle et royale de la Vierge Marie défendra toujours victorieusement l'Église contre les embûches des faux messianismes ([^50]). Même si un pape en arrivait à prêter un concours plus ou moins éloigné à ceux qui se sont juré d'obtenir la transformation humani­taire de la religion de Jésus-Christ, cette vertigineuse complicité du successeur de Pierre serait neutralisée d'avance, ren­due inefficace par la supplication de la Vierge corédemptrice. Est-ce que sa prière pour la conversion de Pierre ne s'élevait pas déjà, muette mais irrésistible, alors qu'elle se tenait debout au pied de la croix de son Fils avec le Disciple bien-aimé et quelques saintes femmes, pendant que les autres apôtres s'étaient enfuis honteusement, sans faire exception de Pierre ? Est-ce que Jésus, qui est devenu homme par le Fiat de Marie, pourrait ne pas prêter l'oreille à la supplication de la Vierge sa Mère, ne pas l'exaucer comme son Fils, dans une heure de ténèbres où cette intercession deviendrait, comme jamais jusque là, une question de vie ou de mort pour l'Église catholique ? *Monstra te esse matrem* *Sumat per te preces* *Qui pro nobis natus* *Tulit esse tuus*. Le faux messianisme ne prévaudra ni contre l'Église ni contre la papauté. Jusqu'à la fin l'Église, fondée sur Pierre, gardera dans son cœur et répandra parmi les hommes le seul messianisme véritable, celui de Jésus-Christ : messia­nisme de la grâce, de la conversion et des Béatitudes ; mes­sianisme qui réside en plénitude dans le Royaume qui n'est pas de ce monde et qui de là fait sentir son influence sur les royaumes de ce monde, si du moins ils reçoivent la loi évangélique et s'efforcent d'accomplir leur œuvre temporelle *de par le Roy du Ciel.* 73:316 ### Épilogue Il est utile de démasquer les stratagèmes des modernistes, de faire voir que ces hérétiques mentent quand ils prétendent ne pas toucher à l'Église mais seulement aider à son renou­veau et son expansion ; en réalité ils la trahissent, ils veulent la faire mourir, puisqu'ils lui arrachent hypocritement ce qui est indispensable à la vie pour y substituer ce qui devrait la conduire à la mort, si elle n'avait la promesse divine de surmonter tous les désastres. En effet, à l'Église qui est maî­tresse de vérité, ils prétendent imposer une façon de dire et un type de magistère qui la changeraient en une pseudo-prophétesse diabolique, distribuant au monde une doctrine infiniment fluente dans une phraséologie vaguement chrétien­ne. A l'Église qui dispense la grâce de Dieu par les sept sacrements et qui offre au Seigneur l'unique sacrifice vérita­ble, ils prétendent imposer un autre Missel et un autre rituel, qui généraliseraient l'invalidité sacramentelle ou le sacrilège, qui transformeraient la liturgie en une entreprise misérable de représentations soi-disant religieuses. La tare essentielle du modernisme est le mensonge. Ils mentent et ils voudraient amener l'Église à devenir la parfaite institution du mensonge universel. Pour cela, ils s'appliquent à la dé­pouiller de ce qui la fait être vraie. Ils veulent lui retirer les moyens indispensables et traditionnels d'être la vraie Église. -- Le pouvoir de juridiction et même le pouvoir d'ordre est menacé dans son efficience par *la collégialité,* la messe est exposée à devenir invalide par *l'altération des rites,* le dogme s'en va en charpie par *l'abandon systématique des formules irréformables,* la sainteté enfin se dissout en rêveries humani­taires par le fait du *pseudo-messianisme.* 74:316 Il reste que, le modernisme ayant fait entrer l'Église en agonie, il ne suffit pas d'une méditation, même pieuse et apologétique, sur la nature de l'Église pour se tenir à la hauteur de l'épreuve qui l'accable. Il faut encore, et c'est urgent, veiller auprès du Seigneur Jésus qui est en agonie dans son Église. *Jésus sera en agonie jusqu'à la fin du monde, il ne faut pas dormir pendant ce temps-là* ([^51])*.* Il sera en ago­nie dans son Église jusqu'à la fin du monde, d'abord en ce sens qu'il continuera de souffrir en ses membres éprouvés qui, pour son amour, s'offrent volontiers ou du moins ne se refusent pas aux tourments de la maladie, aux persécutions des ennemis de l'extérieur, aux renoncements même très cruels qu'exige la fidélité absolue à la loi de la grâce. Cependant à certaines périodes particulièrement terribles, -- et nous sommes dans une de ces périodes, -- Jésus est en agonie dans son Église d'une autre manière, qui du reste ne fait que s'ajouter à la précédente : il est en agonie parce que son Église est entravée, bafouée, contrecarrée, combattue de l'intérieur dans son office primordial de dispensatrice de la Rédemption ; non qu'elle soit près de disparaître puisque *les portes de l'Enfer ne prévaudront pas ;* mais ses propres fils et, parmi ses fils, des chefs hiérarchiques la maltraitent avec tant de vilenie et de méchanceté qu'elle n'avance plus qu'en retombant à chaque pas, épuisée et languissante. Ouvrons les yeux et regardons. Sans que jamais soit abolie la messe traditionnelle, il devient quand même de plus en plus fré­quent que la messe soit célébrée dans l'équivoque et profa­née par le sacrilège. Sans que jamais se taise la prédication de la saine doctrine, il arrive cependant maintes fois que la prédication soit rendue incertaine par les pseudo-prophètes et les théologiens de mensonge. 75:316 De même, encore que la sainteté reste toujours jaillissante et pure, il n'est pas rare qu'elle soit travestie et caricaturée par les contrefaçons les plus viles. Telle est une des formes que prend de nos jours l'agonie du Seigneur dans l'Église. *Il ne faut pas dormir pen­dant ce temps-là.* Mais comment veiller et lui tenir com­pagnie ? D'abord redoubler de prière avec paix et amour. Ensuite voyant qu'il est devenu désormais impossible de participer à la vie de l'Église sans nous exposer à toutes sortes d'ennuis, ne pas reculer devant cette souffrance mais la supporter en union avec l'Église, elle-même souffrante et accablée. Veut-on quelques exemples ? Nous devons persévérer, quoi qu'il en coûte, dans l'étude des saintes Lettres, alors que se mul­tiplient les obstacles pour nous empêcher de les scruter et de nous en nourrir. Nous devons ne pas hésiter à nous donner du mal pour venir en aide sagement à ces prêtres qui célè­brent la messe de toujours. Pareillement ne devons-nous pas hésiter, malgré l'humiliation qui peut-être nous attend, à faire monter vers une autorité ecclésiastique, qui souvent se moque de nous, notre réclamation respectueuse mais inlas­sable pour qu'elle nous rende *l'Écriture, le Catéchisme et la Messe.* Nous devons encore et surtout prendre la peine de chercher, dans cette Église sainte que les modernistes vou­draient dé-spiritualiser, les moyens qui ne lui manqueront jamais de préserver le primat de la prière et de la contem­plation. Par ces quelques exemples nous pouvons entrevoir ce que c'est que veiller avec Jésus qui est en agonie dans l'Église. Nous ne parviendrons du reste à veiller ainsi que parce qu'il nous en rendra capables par son Église même. Bien loin de dire que nous souffrons par l'Église, nous dirons plutôt que nous souffrons avec l'Église, en union avec elle, et cela grâce aux divins secours que l'Église, du fond de sa détresse, continue de nous prodiguer. Restant plus que jamais unis à l'Église dans cette situa­tion exceptionnellement cruelle, nous confessons par là notre foi dans l'Église. Cette veille pendant l'agonie telle est, en ces temps de persécution sèche, la forme que revêt notre confession de la foi. 76:316 Considérons de plus près les caractères particuliers qu'elle présente. -- Le modernisme n'attaque pas en face mais en dessous et sournoisement, en introduisant partout l'équivoque. Dès lors confesser la foi en face d'auto­rités modernistes c'est se refuser à toute équivoque, aussi bien dans les rites que dans la doctrine. C'est s'en tenir à la Tradition car elle est, tant pour les définitions dogmatiques que pour l'ordonnance rituelle, nette, loyale et irréprochable. Pour les rites de la messe notamment voyons bien que nous ne confesserons pleinement la foi de l'Église dans la messe, que nous ne réprouverons catégoriquement la mortelle am­biguïté moderniste qu'en maintenant, dans la célébration elle-même, le rite traditionnel, plus que millénaire, qui ne donne aucune prise à l'hérésie. Accepter les rites nouveaux, serait-ce en y mettant une réelle piété, serait-ce même en prêchant droitement sur la messe, ne serait certainement pas une confession de foi qui ne laisse pas d'échappatoire, ni une réprobation suffisante de l'hérésie dans sa forme actuelle. Si nous acceptons en effet la célébration nouvelle polyva­lente, nous voici engagés, par cette concession, sur le chemin du reniement en acte ; que peuvent faire alors les attesta­tions verbales ou les gestes pieux ? Seront-ils autre chose qu'une contradiction ajoutée à une équivoque ? Face à des autorités qui veulent imposer le mensonge sous sa pire forme -- la forme moderniste -- et au milieu d'un peuple chrétien déconcerté par cette imposture sans précédent, nous voyons tout de suite que confesser pleinement la foi dans l'Église qui garde la messe véritable c'est d'abord continuer de célébrer la messe de toujours. S'il est très vrai que cela ne va pas sans peine, il est non moins vrai que l'Église dont nous célébrons la vraie messe nous donne, par cela même, de supporter cette peine avec vaillance et légèreté. *Garder intacts* l'enseignement et les rites non pas au sens d'immobilité pétrifiée et de routine morte, mais au sens de permanence ordonnée et vivante. En période de Révolution, *garder intact* signifie ne pas se lancer dans des adaptations d'ensemble pour la raison obvie que l'autorité qui préside à l'ensemble est inexistante, à moins qu'elle ne se soit rendue complice du désordre. 77:316 Il faut nous en tenir aux adaptations limitées à la petite sphère de notre autorité réelle ; mais, dans ces limites, en vertu de l'attachement fervent et sage à la Tradition, ne pas être timoré pour faire les adaptations qui sont requises par la vie même de la Tradition. -- Même en période de Révolution liturgique, par exemple, le main­tien fidèle, non seulement du latin, mais des formulaires latins antérieurs à Paul VI, ne doit pas empêcher de faire attention à la diversité des assemblées chrétiennes qui de­mandent de participer au culte liturgique. En période de Révolution *garder intacte* la Tradition ne signifie pas : ne pas vivre, mais vivre dans l'ordre -- (dans l'ordre limité à notre *petit fortin, qui* se tient en liaison avec les fortins d'alentour) -- puisque l'ensemble du territoire est systémati­quement livré à l'anarchie. Vivre dans l'ordre, même à l'in­térieur de limites étroites, c'est tout le contraire de somnoler, grogner sans rien faire, se consumer de rage impuissante et de dégoût. C'est faire, dans les limites que nous impose la Révolution, le maximum de ce que nous pouvons faire pour vivre de la Tradition avec intelligence et ferveur. *Vigilate et orate.* 79:316 ## Annexes 81:316 ANNEXE 1  ### Je crois à la sainte Église *Chapitre 1, p. 15* L'épreuve actuelle de l'Église est profonde et universelle. C'est au point que des prélats et des théologiens, hier encore incroya­blement optimistes, commencent de laisser percer une certaine inquiétude dans leurs conversations, leurs conférences ou leurs articles. Sans doute l'Église, née du côté ouvert de Jésus en croix et assistée par l'Esprit Saint, ne saurait être abolie ; d'autre part, la misère des temps, la faiblesse des hommes, la rage du démon n'empêchent pas que, même de nos jours, elle ne fasse germer des saints dans toutes les conditions de vie. De cette rare merveille peut-être avons-nous des preuves tangibles. Il reste que l'épreuve de l'Église nous atteint au fond de l'âme, nous blesse, nous meur­trit. La foi, le courage, la décision de persévérer dans la tradition reçue des Apôtres, rien de tout cela ne parvient à supprimer la peine, parfois l'angoisse. Dans ces conditions, le lecteur voudra bien m'excuser si je commence ex abrupto. Que des clercs abusés osent donc exprimer clairement ce qu'ils insinuent avec beaucoup de réticence, qu'ils proclament, s'ils en ont le courage, qu'ils fassent réciter et chanter un Credo mis à jour et qu'ils disent : je crois à une Église mutante, qui doit rat­traper son retard par rapport à l'histoire et se convertir de ses péchés ; pour nous, insérés dans la tradition de deux millénaires, nous continuons de croire à l'Église sainte, une à travers tous les siècles, ne commettant pas de fautes et n'ayant pas à se convertir, mais ne cessant de rendre plus effective la conversion de ceux qu'elle a enfantés à la vie surnaturelle ; une Église qui n'est jamais en retard pour apporter aux pécheurs le salut ; une Église dont le mouvement et la marche ne sont pas déterminés par l'histoire, mais par l'Esprit de Dieu ; (l'histoire est une occasion non une cause efficiente). 82:316 Que des clercs illusionnés, qui jamais n'ont porté le poids d'aucune institution d'Église : paroisse ou monastère, collège libre ou orphelinat, que des clercs sans nulle expérience, nulle souf­france d'aucune réforme réelle s'occupent fiévreusement à tracer sur le papier (qui accepte tout) les plans et théories, à la fois sim­plistes et compliqués, si ce n'est hérétiques, des « ressourcements » et mises en place, révisions et mises à jour, pour nous, nous continuons à penser que les vrais et saints réformateurs commen­cent par se réformer eux-mêmes, respectent l'héritage des siècles incorporé au trésor ecclésial, portent en vérité le poids des âmes afin de répondre à leurs besoins spirituels ; ces besoins qui pour le fond sont toujours identiques, encore que tel besoin se fasse davantage sentir à telle époque. Il arrive parfois que des chrétiens qui se plaignaient hier de sclérose et d'abus, se trouvent aujourd'hui désemparés en présence de réformes rongées par la subversion, comme l'organe par le cancer qui le dévore. Vont-ils perdre pied, céder au vertige du doute ou peut-être du désespoir ? Qu'ils reprennent plutôt courage et assurance, et nous avec eux, en affirmant notre foi dans l'Église sainte et indéfectible, en nous souvenant qu'elle détient tout ce qu'il faut pour nous défendre aujourd'hui des fausses réformes, comme elle nous défendait hier de la sclérose et de la routine ; elle nous en défendait, mais notre cœur n'était pas toujours assez pur pour s'en apercevoir. La protection de l'Église, aujourd'hui comme hier, deviendra efficace pour nous si nous veillons d'abord à la réforme inté­rieure, si nous préservons avec amour le dépôt inaliénable qui nous fut transmis. Nous connaissons tous, hélas ! les changements radicaux que la subversion, surtout depuis le concile, s'efforce de nous imposer. Prenons quelques exemples. *Au point de vue dogmatique* le bouleversement se poursuit en deux directions : ou bien remplacer les formules définies et irréformables par des expressions lâches et molles, véhicules de l'hérésie ; ou bien observer un silence systéma­tique sur certains dogmes, comme le péché originel, la maternité virginale de Notre-Dame, la surnaturalité intrinsèque du Royaume de Dieu. 83:316 -- *En liturgie* on instaure selon une gradation savante et insidieuse ([^52]) un genre de célébration de la messe qui méconnaît de plus en plus la réalité du Saint Sacrifice, la présence réelle du corps et du sang du Seigneur sous les saintes espèces, le rôle du prêtre ministériel qui est sans commune mesure avec celui des simples fidèles. Si vous demandez la raison des altérations dogma­tiques ou liturgiques on vous répond par trois séries d'arguments. (La conclusion logique, même si on n'en vient pas à cette extré­mité, est *l'abolition pure et simple de la foi dans l'Église.*) On invo­que donc, tantôt les exigences de la pastorale, tantôt les requêtes de l'histoire et de l'homme « d'aujourd'hui », tantôt le « ressour­cement » évangélique. Voici ce qu'il convient de répondre à partir de l'article du *Credo : et unam, sanctam, catholicam et apostolicam Ecclesiam.* Que serait une Église qui, pour des raisons *pastorales,* ne donnerait plus aux âmes la même vérité selon le cours des siècles ou les ferait participer à un culte différent, comme si les âmes ne devaient plus être éclairées par les mêmes dogmes, sanctifiées par le même culte, ramenées à Dieu par la même conversion ? Comment consi­dérer encore l'Épouse du Christ, vivante dépositaire de sa vérité, dans une Église qui *appellerait ténèbres la lumière et lumière les ténèbres* ([^53]) ; qui ayant proclamé au temps de saint Athanase que le Christ est *consubstantiel* au Père, se résignerait à laisser dire, au temps de Paul VI, qu'il est seulement de *même nature.* Tout pareil en cela aux enfants selon la génération humaine, qui sont bien de même nature que leur père, mais ne laissent pas pour autant de former des substances irréductibles ? Si maintenant, pour légitimer les mutations que l'on cherche à introduire, on tire argument des *requêtes de l'histoire,* je demande­rai alors : qui donc est le guide et l'inspirateur de l'Église : le devenir de l'humanité ou l'Esprit Saint donné aux apôtres au jour de la Pentecôte ? -- Que, dans son assistance infaillible, le Saint-Esprit tienne compte des vicissitudes de notre histoire, qu'il ait suscité par exemple de nouveaux ordres missionnaires lors de la découverte du nouveau continent, personne ne songe à le nier et c'est du reste normal, puisque l'action féconde du Saint-Esprit est promise pour tous les siècles. Mais c'est une action qui donne à l'Église de transcender les siècles, de les juger, de répondre d'en haut à l'imploration des âmes. 84:316 Cette assistance est tout le contraire d'une animation qui se fusionne avec le devenir de l'humanité, se dissout dans le flux des idéologies et des événements, ignore toute forme de condamnation, accélère tout ce qui va dans le sens d'une prétendue « construction de la terre ». Quand il s'agit des bouleversements liturgiques « post­conciliaires » ce n'est pas toujours en vertu des requêtes de l'his­toire qu'on prétend les imposer ; on se réclame, ou bien d'une cer­taine pastorale, dont j'ai dit plus haut ce que je pense, ou bien du « ressourcement » évangélique. Je demande alors : Qu'est-ce qu'une Église dans laquelle, pour retrouver l'Évangile et sa pureté, il est loisible de faire table rase de douze ou quinze siècles de dévelop­pements homogènes ? Un tel « ressourcement », dans la disconti­nuité absolue et dans la négation, impliquerait à coup sûr que la société surnaturelle fondée par le Seigneur ne soit pas une et défi­nitive, ne pouvant connaître de croissance sinon homogène et harmonieuse. -- Cette société surnaturelle n'a donc pas à remettre en cause les traits essentiels de son culte ; à moins de se renier -- ce qui est impensable -- l'Église ne saurait donc altérer, quelque précaution que l'on prenne ([^54]), une célébration de la messe qui rend admirablement sensible et qui sauvegarde notre foi immuable au sacrifice de nos autels. Rappelons ici le lien indissoluble qui existe entre renouveau évangélique et développement ecclésiastique. Pour être mieux com­pris je me permettrai une allusion personnelle. Je suis donc prêtre et prêtre dominicain. Si je veux revenir à l'Évangile, est-ce que par hasard je dois dépouiller la robe blanche choisie par notre saint fondateur, briser le rosaire qui fut ajouté à notre costume vers le XV^e^ siècle, endosser la tenue du commis-voyageur ou de l'agent de change ? 85:316 Est-ce que je dois aussi ne plus prêcher dans les églises, surtout quand elles sont de beaux monuments ([^55]), mais simple­ment aller faire des discours à la bourse du travail ou dans les salles de cinéma ? Plus encore, si je veux être « évangélique », est-ce que, dans ces discours, je dois proscrire systématiquement toute formule dogmatique, comme *péché originel, maternité virginale, rédemption du péché ?* Ne devrais-je pas aller jusqu'à remettre en cause la spécificité irréductible de mon Ordre ? Le retour à l'Évangile n'impliquerait-il pas, logiquement, la rupture avec un héritage théologique, disciplinaire, liturgique qui, après tout, ne se trouve pas déployé dans les textes des quatre évangélistes ? Il s'y trouve toutefois en germe et *comme destiné à se déployer harmonieuse­ment* ([^56]) au cours des siècles. Dès lors il est inadmissible de prati­quer le retour à l'Évangile comme si l'Église n'était pas une société qui a grandi, qui s'est exprimée en des institutions homo­gènes aussitôt qu'elle a joui de la liberté en tant que société. Ces déploiements qu'elle s'est donnés, qu'elle a consacrés dans les définitions des dogmes et les points majeurs de la législation canonique, n'ont pas à être remis en cause. L'Église a grandi comme elle en avait la capacité et le devoir de par l'Évangile même ; il serait anti-évangélique d'essayer de la ramener à une stature de naine ou de rachitique pour lui faire découvrir l'Évangile. Les accroissements inévitables et harmonieux de l'Église, loin de contredire l'Évangile l'accomplissent en toute vérité. 86:316 Il ne servi­rait de rien de faire observer que ces accomplissements prêtent à des empâtements et des abus ; car ces abus l'Église ne cesse pas de les corriger ; (du reste je voudrais bien savoir s'il est une insti­tution que les hommes ne finissent point par empâter et alourdir, en notre *vallée de larmes*)*.* Ainsi donc ces développements harmonieux ne sont pas en contradiction avec l'Évangile ; ils ne sont pas non plus de simples réalisations contingentes que l'on bouleverserait à volonté selon le temps et les lieux. Ils sont nécessaires à l'Église ; homogènes à sa nature. -- Des persécuteurs qui la détestent, des fils qui la trahis­sent peuvent bien tenter de les supprimer ; aussitôt que l'Église recouvre un peu de liberté elle les fait renaître et refleurir. C'est ainsi par exemple que, la tourmente révolutionnaire à peine cal­mée, l'Église rouvre les couvents, redonne aux moines un habit distinctif, fonde des universités catholiques, bâtit des écoles et des hôpitaux, sonne de nouveau les cloches et recommence les proces­sions publiques en l'honneur du Saint-Sacrement. L'Église fait cela parce qu'elle est évangélique. Le déploiement ecclésiastique est un effet normal de la vie évangélique. -- Il serait absurde de chercher le retour à la source par le tarissement du fleuve, car la source ne peut pas éviter de devenir un fleuve. L'antinomie est illusoire et désastreuse entre la pureté de la source et l'abondance du fleuve, entre la simplicité de l'Évangile et le déploiement de l'Église dans l'ordre de la discipline, du culte, de la doctrine. Comme si dans ce vaste déploiement la simplicité de l'Évangile n'était point présente et transparente. Comme si, lorsque la simplicité de l'Évangile est menacée, l'Église n'était pas toujours en mesure de la sauvegarder, non par une impossible amputation, mais par un renouveau de ferveur et par une purification qui condamne les fausses doctrines et réprime les abus ; en un mot par une vraie réforme. Car les vraies réformes ne se font pas contre le développement, mais en maintenant la pureté à l'intérieur du développement même. Une cassure, un clivage, une dislocation sont en train de se produire et s'élargissent peu à peu, entre ceux qui croient à l'Église de toujours et ceux qui, volontiers ou à contre-cœur, ont accepté de réviser l'article du *Credo* relatif à l'Église. Le débat ne porte point principalement sur la pastorale, « l'homme d'aujour­d'hui » et le devenir historique, ni même sur le « ressourcement ». C'est en réalité la foi dans l'Église qui fait le fond de la querelle présente. 87:316 Pour les uns, dont nous sommes grâce à Dieu, il est admis pour jamais que l'Église fondée par le Seigneur, avec les accroissements merveilleux qu'elle s'est donnés, surtout lorsqu'il lui a été loisible de se *déployer* comme société parfaite, -- la sainte Église catholique, apostolique et romaine, -- quelle que soit l'épo­que, et serait-ce dans les temps modernes, n'a jamais failli à sa mission, a gardé inviolable la pureté de la source évangélique, a rempli sa charge pastorale d'une manière adaptée, reconnaissable et féconde. Cependant d'autres chrétiens se sont mis à douter de la perfection qui est celle de l'Église. D'après eux, elle fournit dans tous les secteurs des preuves manifestes de ses insuffisances et incapacités. Pour y remédier, ils tentent de provoquer des muta­tions dont ils s'interdisent d'ailleurs d'assigner le terme, ou plutôt le seul terme assignable ce sont les exigences, toujours sujettes à révision, d'un monde plus heureux à édifier. En réalité ils ne croient pas en une Église libre et indépendante par rapport à l'his­toire, qui transcende et qui juge le monde afin de pouvoir le sau­ver. Ils croient à l'histoire qui s'impose à l'Église, qui la domine et la transforme. On objecte parfois que la thèse traditionnelle d'une Église société sainte et parfaite, et qui transcende l'histoire, serait inad­missible parce qu'elle paralyserait toute réforme. La seule thèse valable serait celle d'une Église assujettie aux « requêtes de l'his­toire ». Si c'était vrai, comment se fait-il que les réformes dignes de ce nom, les seules qui n'aient pas trahi l'Église, se soient accomplies précisément non pas en cédant aux « requêtes » de l'histoire, mais en vertu de l'autorité et de la sainteté dont les mesures ne sont pas prises du temps mais de l'éternité. Je ne dis pas que toutes les réformes aient été décidées par des saints. Les Pères du concile de Trente -- concile réformateur s'il en est -- sont bien loin d'être tous canonisables. Cependant le concile mérite le titre de saint parce que, ayant été légitimement convoqué et approuvé dans le Saint-Esprit, ses décrets réformateurs se sont traduits dans les actes grâce à l'impulsion et aux épreuves des saints. Il est donc bien légitime de dire que les réformes véritables dans l'Église, encore qu'elles soient promulguées par l'autorité légi­time, sont un fruit de la sainteté. 88:316 Or les réformateurs que l'Église a reconnus et approuvés, saint Bernard ou saint Dominique, sainte Catherine de Sienne ou saint Jean de la Croix ont recherché avant tout, dociles à l'autorité légi­time, la conversion personnelle et la fidélité à la grâce de Dieu. On ne voit pas que le motif déterminant de leur action ait été la docilité à l' « attente du monde », ni aux « requêtes de l'histoire ». Puisque nous parlons de conciles et de réformes, disons qu'il importe assurément de distinguer entre conversion personnelle et réforme des abus. Mais il n'importe pas moins de saisir le lien entre les deux. C'est ainsi que, pour le concile de Trente, la réforme des abus n'a fini par aboutir que grâce à la vertu de quelques grands saints et à l'amendement intérieur de beaucoup de fidèles. C'est ainsi que, de nos jours, inversement, la fausse réforme que l'on veut impo­ser après le dernier concile, ne saurait être arrêtée si la résistance ne procédait pas d'une volonté délibérée de conversion personnelle. Sans une telle conversion comment échapper longtemps au scandale de certaines défections de l'autorité, aux pressions aussi tenaces que perfides d'une Église apparente ? Par ailleurs la réforme personnelle est le grand moyen, -- non pas le seul, mais le premier de tous -- de préparer les voies à la condamnation des erreurs, le démasquage et l'évincement des autorités parallèles, la mise en œuvre, assez vaste et au grand jour, de la tradition véritable. Au sujet des réformes et de la sainteté de l'Église on fait sou­vent observer que de saints réformateurs furent arrêtés net dans leurs tentatives, aussi sages que nécessaires, de redresser telles cou­tumes abusives, de rajeunir tel organisme d'Église sclérosé. Je n'ignore pas ce malheur ; je vois même un malheur encore plus lamentable lorsque des réformes, qui allaient se faire dans un sens traditionnel, sont empêchées par des hommes d'Église médiocres ou jaloux, et bientôt après prises ([^57]) en main et gâtées par de véritables révolutionnaires. Tout cela est incontestable, mais que conclure ? Mettre l'Église en accusation, lui reprocher d'avoir été en dessous de sa mission divine, d'avoir déçu des âmes ? La sim­ple justice n'oblige-t-elle pas au contraire à reconnaître que de telles iniquités l'Église n'est point coupable, car ces iniquités ont été commises malgré elle, contre sa loi et son inspiration. La part qui revient à l'Église dans ces malheurs, ce que l'on doit faire remonter jusqu'à sa vérité, sa sagesse et sa sainteté, ce ne sont pas les jalousies, médiocrités ou forfaitures de ces pauvres hommes d'Église qui ont combattu les saints réformateurs, mais bien plutôt d'abord le zèle de ces réformateurs eux-mêmes, leur patience, leur humilité, ensuite la conversion (quand elle arrive) de leurs calom­niateurs et de leurs ennemis. En cela seulement se reconnaît l'Église, avec la charité qui l'anime, la vérité qu'elle dispense, l'ef­fet sanctifiant de ses pouvoirs hiérarchiques. 89:316 Du reste, ceux qui font grief à l'Église de retards ou de paresse dans l'œuvre du Salut, ont-ils vraiment éprouvé le poids de cette théorie, son poids de mort ? En effet leurs considérations aboutis­sent tout juste à donner aux fidèles et aux clercs, qui seront vic­times des dignitaires ecclésiastiques, des raisons plausibles de briser avec l'Église. Du jour où tel petit vicaire, tel curé, tel supérieur d'institution religieuse se trouveront frappés par une mesure ab­surde ou inique, il ne leur restera d'autre recours, *si du moins ils ont pris au mot nos théoriciens,* que de tirer les conclusions prati­ques ; conclusions qui mènent droit à l'apostasie : « Tout ce qui m'arrive là, c'est la faute de l'Église. Rien à attendre d'une société qui se dit sainte et apostolique, alors qu'elle est gouvernée par des prélats tellement indignes des saints et des apôtres. Rien d'autre à faire que de me sortir de là et un peu vite. » Il est tout à fait logique de quitter l'Église lorsque, ayant fait l'expérience que tels de ses dignitaires n'ont pas l'intelligence des besoins des âmes ou manquent d'esprit évangélique, on fait retom­ber sur l'Église elle-même ces insuffisances et ces fautes. La raison de rester dans l'Église, quels que soient nos péchés et ceux de nos frères, la raison de gagner les âmes à l'Église et de les retenir dans son bercail c'est que l'Église, selon le mot impérissable de Bossuet, est purement et simplement *Jésus-Christ répandu et communiqué.* Si l'Église est aussi autre chose, si c'est *aussi* l'inintelligence, la malice, le mensonge doucereux répandus et communiqués, que faisons-nous encore dans sa communion ? Pourquoi travailler à étendre une société religieuse qui, tout bien pesé, ne vaut ni plus ni moins qu'une autre ? Laissons les musulmans à leur islamisme, les ani­mistes à leur animisme et les bouddhistes à leur Bouddha, puis­que, en somme, la religion que nous voudrions leur apporter se trouverait elle aussi, un jour ou l'autre, très en dessous de sa tâche et faillirait à sa mission. -- Si c'était l'Église qui entravait sanctifi­cation et réforme, qui n'arrivait pas à temps pour sauver les âmes qui se perdent, alors elle ne serait pas la société surnaturelle, sainte et définitive, fondée par le Fils de Dieu notre Rédempteur. Place à une forme mieux conçue et plus adaptée de société reli­gieuse, du moins à supposer qu'elle existe. 90:316 Il ne conviendrait pas de dire à ce sujet que les fautes morales et « historiques » de l'Église ne doivent pas nous détourner d'elle, pas plus que les insuffisances et les travers de n'importe quelle autre société n'empêchent ses membres de continuer d'y vivre. L'argument ne tient pas, car l'Église n'est pas n'importe quelle autre société. Elle se dit elle-même sans commune mesure avec les autres sociétés : elle se donne comme *la demeure de Dieu parmi les hommes, l'Épouse de Jésus-Christ.* Rien de moins. Elle revendique pour soi la prérogative confondante de combler les aspirations de l'homme à l'absolu, ou plutôt de lui apporter les biens surnaturels, de le justifier et de le sanctifier par ses pouvoirs divins. L'Église en un mot se donne comme une société de l'ordre de la grâce : *Jésus-Christ répandu et communiqué.* Or si une société ayant ces préten­tions est convaincue de péché et se montre insuffisante à sa tâche, incapable de la remplir à certaines époques, cette société nous trompe. Nous ne sommes plus assurés de trouver en elle les biens divins qu'elle nous promet. Demeurer dans son sein serait nous rendre complices de son imposture. -- Ainsi mettre l'Église en accusation comme une société pécheresse et prévaricatrice, et cependant persévérer dans cette même Église comme si elle était sainte et messagère infaillible de sanctification, est une attitude contradictoire et logiquement intenable. Pour nous, reprenant les thèmes classiques du cardinal Jour­net ([^58]) nous dirons volontiers pour exprimer le mystère de l'Église : l'Église ne pèche pas. Elle demande pardon au Seigneur *non pas pour les péchés qu'elle a commis,* mais pour les péchés que commettent ses enfants, dans la mesure où ils ne l'écoutent pas comme leur mère. -- L'Église n'est pas impure : *elle se purifie, non en ce sens qu'elle se laverait de ses souillures,* mais en ce sens qu'elle rend purs les enfants qu'elle a engendrés, ou bien en ce sens qu'elle grandit en sainteté, à partir non de l'impureté mais d'une sainteté antérieure. -- L'Église n'est jamais déformée : elle se réforme *non en ce sens qu'elle retrouverait une doctrine qu'elle aurait laissé corrompre, ni en ce sens qu'elle se corrigerait d'habi­tudes coupables,* mais en ce sens qu'elle ne cesse pas de ramener ses enfants à l'intégrité de la doctrine, à la droiture des mœurs, au sentiment de la noblesse et de la dignité dans l'exercice de leurs charges. 91:316 -- L'Église n'est jamais en retard sur sa mission ; si l'on tient à dire qu'elle « rejoint le siècle », il est indispensable de le comprendre *non pas en ce sens qu'elle aurait autrefois perdu du temps et, à certaines périodes, n'aurait pas apporté au monde l'im­muable vérité et le salut définitif* dont chacun des siècles de l'his­toire est terriblement privé, mais en ce sens qu'elle donne à ses enfants, à toutes les époques, de répondre à la détresse des âmes avec une pitié pure ; et l'Église, à toutes les époques, fait surgir un grand nombre de chrétiens, clercs et laïques, qui comprennent le cri d'angoisse de leur mère : *quid fient peccatores* (que deviendront les pécheurs ?). L'Église n'a pas une doctrine nouvelle à apprendre, ni de nou­veaux moyens de salut à découvrir ; elle progresse cependant en doctrine et en charité ; *mais en ce sens que le même contenu de la foi -- invariablement le même -- est mieux explicité, en ce sens également que la fructification de la grâce est multiforme, aussi variée que chacun des élus et chaque grande famille spirituelle.* Telle est notre foi dans l'Église : une et sainte, sans tache ni ride, sans lenteur ni vieillissement, sans à-peu-près ni insuffisance ; sans complicité pour l'erreur ni accommodement au péché, sans naïveté ou sottise en présence des sophismes captieux ou des organisations occultes d'une fausse Église, d'une *Église apparente.* -- L'Église en laquelle nous croyons est toujours prête pour toutes les heures du temps du Salut, invulnérable aux erreurs et aux péchés du monde, d'une miséricorde que rien ne fatigue pour les âmes qui ont recours à elle. Son visage et son cœur gardent inal­térée la ressemblance de Notre-Dame, la vierge Mère de Dieu qui est son refuge, sa mère et sa reine. Que faire dans ce désarroi ? Avant tout persévérer dans la foi qui nous a été transmise, *avec ses définitions et ses anathèmes.* On a beau promouvoir des réformes, si l'on ne fait plus cas des dogmes définis ni de la condamnation des erreurs, -- comme si le monde cessait d'être le monde -- ces réformes ne méritent plus leur nom ; elles deviennent des mouvements subversifs. Que faire encore ? -- Nous étant attachés à la foi de toujours, tendre à nous convertir ; *faire pénitence,* car le Royaume de Dieu, c'est-à-dire l'Église sainte, *est réellement venu et il est toujours au milieu de nous ; chercher d'abord le Royaume de Dieu et sa justice, et le reste, notamment la force de persévérer, nous sera donné par surcroît.* 92:316 Enfin, troisième attitude en présence d'une réforme qui est passée aux mains de la subversion : garder une fidélité vivante à l'héritage séculaire de l'Église. On prétend nous ramener, en vertu du « ressourcement » évangélique aux formes de vie chrétienne, non encore pleinement explicitées. On voudrait abolir formulations dogmatiques, discipline strictement codifiée, état de vie ascétique des clercs, chant grégorien, langue liturgique particulière, détermi­nation des droits de l'Église dans la société civile. Il s'agirait de nous « ressourcer » en remontant à une source qui serait, paraît-il, la véritable, la seule évangélique, et qui cependant n'aurait point donné naissance au fleuve qui nous porte. Or c'est une interpréta­tion absurde de l'Évangile que celle qui commence par refuser les développements qui en procèdent et qui, par exemple, sous pré­texte de retrouver le culte *en esprit et en vérité* promis par le Christ à la Samaritaine, rejette la forme du culte catholique qui a commencé de se fixer au V^e^ siècle ; comme si la phalange innom­brable des saints prêtres qui ont célébré la messe d'après le Canon n'avaient pas rendu au Seigneur un culte *en esprit et en vérité.* Ce type de « ressourcement » a un nom : c'est le protestan­tisme ; l'Évangile sans l'Église ; ou plus exactement une interpréta­tion arbitraire de l'Évangile qui entend ignorer l'Église, sa crois­sance, son héritage, sa législation. Le vrai « ressourcement » au contraire -- si du moins on tient à ce mot -- est celui qui ayant d'abord reçu en toute piété l'héritage de l'Église, le délivre s'il y a lieu de surcharges déformantes, le remet dans son plus beau jour ; et cela, conformément à la tradition et non point en vertu des requêtes de « l'Histoire ». De cette fidélité vivante à la source évangélique, toujours jaillissante au sein d'une Église qui grandit, nous avons des signes admirables. Pensons aux documents disci­plinaires comme, au début du siècle, le *Motu Proprio* de saint Pie X sur la musique sacrée et, tout récemment, la Constitution *Veterum Sapientia* de Jean XXIII sur la langue latine. Les réformateurs qui furent des saints, les seuls auxquels nous soyons attachés, ont tous procédé de la même manière. Qu'ils aient réformé un Ordre, le clergé d'un pays, le gouvernement ecclésiastique, ils ont tous cherché, en premier lieu, leur propre réforme personnelle ; puis, en accord avec le magistère légitime, ils ont jeté l'anathème sur le monde, ses fausses maximes et ses scan­dales institutionnalisés ; enfin ils ont maintenu, dans une fidélité vivante, l'héritage sacré d'une Église qui a grandi selon l'Évangile, depuis ses premiers pas dans la Judée et la Samarie, depuis la première reconnaissance de ses droits et privilèges à la suite des grandes persécutions romaines. 93:316 Le type de réforme que l'on voudrait maintenant introduire dans l'Église ne peut qu'amener de terribles dégâts parce qu'il est commandé par des principes faux : on présuppose en effet ou bien que l'Église avec ses développements disciplinaires, dogmati­ques et cultuels a cessé au cours des siècles d'être homogène à l'Évangile ; ou bien qu'elle se rend coupable de péché, notamment qu'elle est paresseuse et retardataire pour apporter au monde les biens célestes. Ces présupposés à leur tour dérivent d'une foi très insuffisante dans l'Église, une foi diminuée, rabaissée, ne percevant pas bien l'élévation et la pureté surnaturelle de son mystère. Or l'Église est une société vraiment surnaturelle, vraiment sainte, -- *corps mystique* du Christ, *épouse du Christ* d'une fidélité intacte, à l'image de celle de la Vierge Marie. Elle est à travers tous les siè­cles, sans exception, et jusqu'à la fin du monde, *Jésus-Christ répandu et communiqué.* Cela et rien d'autre. 94:316 ANNEXE 2 ### Fils de l'Église en un temps d'épreuve *Chapitre 5, p. 54* Il serait vain de chercher à nous dissimuler que l'Église est soumise par son Seigneur à une très dure épreuve ; une épreuve assez nouvelle car les ennemis qui lui font la guerre sont dissimu­lés dans son sein. Malgré les discours souvent optimistes, le pape actuel ([^59]) n'a pas hésité à parler de cette crise ; le terme d'*auto­démolition* est bien de lui ; du reste l'expérience quotidienne ne nous permet plus de penser que, du point de vue des garanties que donne l'autorité comme du point de vue de la foi des fidèles, tout marcherait encore comme avant le concile. L'expression dont se servait Maritain dans *Le Paysan de la Garonne : apostasie immanente,* nous en vérifions chaque jour un peu plus la terrible justesse. Les faits sont innombrables qui font toucher du doigt les carences de l'autorité hiérarchique, la puissance étonnante des autorités parallèles, les sacrilèges dans le culte, les hérésies dans l'enseignement doctrinal. En présence de cette épreuve un grand nombre de prêtres et de fidèles ont pris le parti de ce qu'ils appellent l'obéissance. En réalité ils n'obéissent pas vraiment parce que des ordres véritables qui offriraient pleine garantie juridique, ne sont pas portés. Je prends l'exemple que je connais bien des religieux, des religieuses ou des prêtres séculiers. Ceux et celles qui se sont mis en civil, ceux et celles qui récitent un office forgé par telle maison ou pour telle maison, les prêtres, j'entends les prêtres pieux, qui se compo­sent les liturgies qui leur conviennent davantage selon les jours et les assemblées, dirons-nous de tous ceux-là qu'ils obéissent ? En réalité ils suivent, généralement sans grand enthousiasme, des indi­cations ambiguës ; ils subissent, ils « encaissent » les innovations. 95:316 Les plus sages essaient de ne pas trop s'engager dans un sens ou dans un autre ; ils n'excluent pas radicalement ce qui se faisait depuis des siècles, ils ne prennent pas non plus ce que l'on appelle une position en pointe. De toute manière, encore qu'ils marchent dans le sens des innovations, il est certain qu'il ne s'agit pas pour eux, même si d'aventure ils le pensent, d'obéissance au sens propre du mot ; ils ne se conforment pas à un précepte qui aurait les qualités d'un précepte ; qui se présenterait avec la netteté et la force de l'obligation ; il semble surtout ([^60]) qu'ils ne veulent pas ou qu'ils n'osent pas contrarier une certaine mode, sur la valeur et sur la validité de laquelle ils demeurent assez perplexes. De toute façon ces fidèles, ces prêtres, ces religieux sont résolus à ne pas mettre en cause la foi de l'Église, ni la morale qu'elle enseigne ; nous pensons que, pour un certain nombre d'entre eux, leur doci­lité et leur bonne foi ont été surprises ; ils sont abusés plutôt que coupables. Mais jamais ne nous a effleurés la pensée qu'ils ne seraient plus dans le sein de l'Église. Nous ne les considérons pas autrement, cela va sans dire, que comme des fils de l'Église. Le malheur, le grand malheur, c'est que, même sans qu'ils le veuil­lent, leur conduite fait le jeu de la subversion. Ils se sont pliés en effet à des innovations désastreuses ; des innovations introduites par des ennemis cachés, des transformations équivoques et polyva­lentes, qui n'ont d'autre but effectif que d'énerver une tradition certaine et solide, de la débiliter et finalement, sans donner l'éveil, de changer peu à peu la religion. Sous prétexte qu'il fallait faire des réformes, sous prétexte qu'il fallait essayer de gagner les pro­testants, sous ce prétexte rassurant les modernistes, ces hérétiques dissimulés, ont fait entrer la Révolution. Or il est des fidèles, des prêtres séculiers et réguliers, des reli­gieuses, de rares évêques, qui ayant discerné, plus ou moins vite, plus ou moins profondément, que les innovations innombrables procédaient de l'intention révolutionnaire de l'ennemi, -- et d'un ennemi qui travaillait dans la place, -- ont décidé, par attache­ment à l'Église, de maintenir ce qui était pratiqué, ce qui était enseigné avant la période très amère et très périlleuse de l'*auto­démolition.* 96:316 Pour la messe ils s'en tiennent au rite, à la langue, au formulaire de la *messe catholique traditionnelle, latine et grégo­rienne,* s'ils ont à réciter le bréviaire ils se servent toujours de celui qui était d'un usage universel avant Jean XXIII ; ils gardent pour les psaumes la version millénaire antérieure à la révision ridi­cule des jésuites du cardinal Bea ([^61]) ; ils continuent à dire le *Notre Père* et le *Je Vous Salue* comme ils l'ont appris ; ils portent encore soit la soutane de leur état clérical, soit la tunique de leur profes­sion religieuse ; ils enseignent le catéchisme de saint Pie X ; et de même que dans leur prédication ils n'embrouillent pas la vie de la grâce et le développement économique, de même dans leur étude doctrinale ils ne se laissent pas égarer par la chimère d'une réconciliation de l'enseignement de l'Église avec les philosophies moder­nes ; ils estiment enfin que dans l'ordre social et politique l'Église approuve et favorise uniquement une cité qui est conforme à la morale naturelle et qui reconnaît les droits de Dieu et de son Christ ; ils sont assurés que l'Église ne met pas, ne mettra jamais sur le même pied d'une part une société et des lois révolution­naires et d'autre part une société conforme au droit naturel et chrétien. L'Église condamne la Révolution et la condamnera tou­jours, qu'elle s'appelle libéralisme ou socialisme. Eh ! bien donc les chrétiens qui, conscients de l'ambiguïté des innovations récentes non moins que des intentions perverses qui en réalité sont à leur origine, qui les gâtent et les corrompent radicalement, les chrétiens dis-je qui les ont refusées par attachement à la foi et à l'Église, ces chrétiens fidèles les accuserons-nous de désobéissance ? Gémirons-nous sur leur aveuglement en leur reprochant de céder au libre examen, de s'ériger eux-mêmes en arbitres de la situation ? Serons-nous scandalisés de ce qu'ils n'aient pas mauvaise conscience ? Comprenons plutôt que devant la carence désolante de l'autorité, devant l'affolante incertitude des directives et la multiplicité invrai­semblable des changements, loin de s'ériger en arbitres ils s'en tiennent, si l'on peut dire, à un arbitrage, à un ensemble de lois et de coutumes qui se sont perpétuées jusqu'à Jean XXIII, qui étaient encore reçues paisiblement il y a de cela une quinzaine d'années, qui ne peuvent être que tout à fait sûres ayant pour elles la force de la tradition *in eodem sensu et eadem sententia* ([^62])*.* 97:316 Les chrétiens dont je parle prient de toute leur âme le Christ notre Seigneur, qui est notre chef et notre roi invisible, de faire sentir la puissance et la sainteté de son gouvernement sur le corps mystique par un chef visible, par un pontife romain qui plutôt que de déplorer l'autodémolition exercera sa charge suprême avec netteté et suavité, et confirmera la tradition ; il la confirmera en tenant compte de quelques adaptations nécessaires ; il le fera sans ambi­guïté, en garantissant l'essentiel loin de l'exposer à la ruine. Dans l'attente de ce jour je ne vois pas ce qui autoriserait certains chré­tiens à taxer de désobéissance les fidèles ou les prêtres qui gardent la tradition ; je vois encore moins ce qui permettrait de les accuser de n'être plus des fils de l'Église. La position de ces fidèles n'est rien moins que confortable. Ils refusent les compromis ; ils refusent d'entrer en complicité avec une Révolution qui est assurément moderniste. Sociologiquement ils sont tenus à l'écart. Quels que soient leurs mérites, les postes de responsabilité importants ne sont pas pour eux. Ils ne s'en plai­gnent pas du reste, sachant qu'ils ne peuvent rendre témoignage sans être exposés peu ou prou, selon les lieux et les personnes, aux blâmes, à la suspicion, à la ségrégation. Ils ne se plaignent pas de payer ce prix pour rester fils de l'Église. Si vous hésitez à les sui­vre, au moins ne leur jetez pas la pierre. Vous seriez d'autant moins fondés à le faire qu'eux-mêmes n'ont jamais songé à vous anathématiser, encore qu'ils pensent que, probablement sans bien le saisir, vous faites le jeu de la subversion. Ces chrétiens qui gardent la tradition en ne concédant rien à la Révolution désirent avec ardeur, afin d'être pleinement les fils de l'Église, que leur fidélité soit pénétrée d'humilité et de ferveur ; ils n'ont de goût ni pour le sectarisme, ni pour l'ostentation. A leur place, qui est modeste et tout juste supportée, ils essaient de maintenir ce que l'Église leur a transmis, étant bien certains qu'elle ne l'a pas révoqué et s'efforçant, dans leur maintenance, de garder l'esprit de ce qu'ils maintiennent. 98:316 C'est évidemment en vue de la gloire de Dieu et du salut des âmes que la tradition nous a transmis le rite latin et grégorien de la sainte messe, le bréviaire antérieur aux bouleversements, le catéchisme romain, l'ascèse et la discipline de l'état ecclésiastique et de l'état religieux. C'est également pour l'amour de Dieu et le bien des âmes -- d'abord de notre âme, -- et non par un esprit de contention ou de zèle amer que nous essayons de maintenir. Ce faisant nous ne doutons pas d'être fils de l'Église. Nous ne formons aucunement une petite secte marginale ; nous sommes de la seule Église catholique, apostolique et romaine. Nous préparons de notre mieux le jour béni où l'autorité s'étant retrouvée elle-même, dans la pleine lumière, l'Église sera délivrée enfin des brouillards suffocants de l'épreuve présente. Encore que ce jour tarde à venir, nous essayons de ne rien relâcher du devoir essentiel de nous sanctifier ; nous le faisons en gardant la tradition dans l'esprit même où nous lavons reçue, un esprit de sainteté. Nous n'en sommes pas moins d'Église parce que nous opérons un tri dans les messes qui se célèbrent ou dans les formes d'enter­rement que l'on prétend imposer aux familles, à l'encontre d'ail­leurs de la volonté expresse des défunts. Nous n'avons rien de schismatique du fait de choisir entre les rites, les prières, les prédi­cations, car ce choix l'Église elle-même nous a appris à le faire. -- Je me souviens à ce sujet du propos désolé de Louis Daménie, qui était le directeur de l'Ordre Français ; c'était à la fin de 1969 lors de l'invasion des messes nouvelles. « Jusqu'à ces derniers temps, me confiait-il, j'allais à la messe à peu près tous les jours et d'après l'heure qui cadrait le mieux avec mes déplacements. J'étais tranquille sur la messe que je trouverais, quelle que soit l'église où j'étais entré. Mais à présent je vois tellement de varia­tions et de différences, je souffre tellement de ces rites de commu­nion désinvoltes et même sacrilèges, ces rites avilis, contraires à la foi dans la présence réelle, contraires à la fonction réservée au prê­tre, en un mot je trouve un peu partout et si souvent des messes protestantisées, des messes qui ne portent ni le caractère de la foi ni celui de la piété, que je suis obligé de m'abstenir. *Après tout c'est l'Église qui m'a appris à faire comme je fais : ne point pactiser avec ce qui détruit la foi*. Je me suis limité à quelques chapelles ; mais du fait même de cette limitation inévitable je ne vais plus à la messe en semaine que très rarement. » Qui oserait dire que le chrétien d'une loyauté exemplaire qui avait pris cette décision très pénible avait cessé d'être aussi filial à l'égard de l'Église du jour où il avait fait ce choix ? 99:316 Ce choix il le faisait justement parce qu'il aimait l'Église comme un fils ; parce qu'il savait que notre Mère l'Église tient pour abominables les rites ambigus. Car une Église dont la liturgie serait ambiguë ferait injure à son Époux, le Souverain Prêtre ; elle exposerait ses fidèles à un danger mortel. Je souhaite à tous nos frères catholiques qui seraient tentés d'attri­buer nos choix à quelque passion sectaire, à quelque attrait pour le schisme, de considérer que c'est précisément pour échapper à la rupture dans la discipline et à la déliquescence dans la foi, c'est pour demeurer au cœur de la sainte Église, que nous maintenons les choix que la tradition a maintenus. Du reste si nos choix au sujet des rites de la messe, des catéchismes, des enterrements ou des baptêmes entrouvraient une brèche schismatique ou procé­daient d'une racine diabolique de rébellion, il serait dans l'ordre que nous soyons frappés dans les règles et juridiquement condam­nés. Nous ne le sommes pas. Il est vrai que nous passons pour suspects, nous sommes souvent regardés sans bienveillance, ridicu­lisés ou bafoués ; mais cela n'a rien à voir avec des sanctions juridiques. C'est parce que nous sommes d'Église, c'est pour rester ses fils dociles et aimants, que nous avons choisi de ne pas marcher dans le sens de toutes ces innovations, sachant bien que le but inavoué mais certain est la démolition, l'autodémolition. En outre, et de toute évidence, ces innovations qui se multiplient sans mesure et sans frein ne sont pas tenues en main par les autorités ecclésiastiques. Non seulement l'Église ne nous a pas excommuniés pour nous être conformés à la doctrine et à la pratique d'avant le concile, mais tout ce que nous croyons de l'Église et de sa stabilité vivante nous persuade que, sans trop tarder et bien clairement, elle approuvera notre attitude et la consacrera de son autorité. Nous ne pensons pas, nous ne disons pas qu'elle réprouvera toute adaptation, bénira la sclérose, canonisera l'engourdissement ; nous disons simplement que, par l'effet de sa volonté sainte de faire valoir la tradition en ce qu'elle est véritablement, elle rejettera avec grande netteté les innovations ambiguës qui biaisent avec la tradi­tion, qui l'exténuent et la détruisent, sous prétexte de lui rendre sa pureté primitive ou son ampleur missionnaire. 100:316 Comme si, malgré la faiblesse des hommes d'Église, il existait quelque antinomie entre vie et tradition, entre tradition et zèle, tradition et vie évan­gélique. Nous espérons en paix, et non pas dans le sommeil mais dans une fidélité attentive, que l'Église, sans trop tarder, élèvera sa voix puissante et portera des décrets efficaces pour faire savoir qu'elle ne supporte pas les catéchismes douteux, les messes protes­tantisées, l'abolition pratique du latin dans la liturgie ni la sup­pression pratique du canon romain latin traditionnel, ni ce rite tendancieux de la communion qui contrarie sournoisement la foi dans l'eucharistie et dans le sacerdoce ; -- et nous ne dirons rien ici de l'indiscipline religieuse et de l'anarchie cléricale qui sont un outrage pour le sacerdoce et une insulte pour les saints fondateurs. Il se lèvera bien le jour où l'Église qui, pour le quart d'heure, subit comme le répète Madiran avec tant de justesse l'occupation ennemie, condamnera très ouvertement tous ces soi-disant renou­veaux qui biaisent « modernistiquement » avec la tradition ; et cassera, en même temps que ces nouveautés modernistes, les auto­rités occultes qui du fin fond de quelque repaire maçonnisé tirent savamment les ficelles et introduisent dans la pratique la religion antéchristique de l'homme en évolution. Il se lèvera le jour où nous chanterons avec le grand classique qui paraphrasait Isaïe : *Jérusalem renaît plus brillante et plus belle...* *D'où lui viennent de tous côtés* *Les enfants qu'en son sein elle n'a point portés ?* *Lève, Jérusalem, lève ta tête altière...* *Les peuples à l'envi marchent à ta lumière* ([^63])*.* En définitive, si nous sommes persuadés que les innovations postconciliaires ne sont pas d'Église, n'engagent pas notre obéis­sance, seront manifestement rejetées lorsque prendra fin l'occupa­tion de l'Église, c'est parce que ces bouleversements travaillent *par eux-mêmes* à détruire l'Église si nous la considérons dans son mys­tère fondamental. Que nous voyions en effet l'Église comme tem­ple et *demeure de Dieu* parmi les hommes ou comme *médiatrice divinement assistée* de la vérité et de la grâce ; que nous l'envisa­gions comme *le corps du Christ* et son prolongement mystique -- *Jésus-Christ répandu et communiqué* -- ou comme l'Épouse *sans tache ni ride* 101:316 qui dispense aux pécheurs les biens surnaturels, dans une union intime avec son Époux et son Roi, de toutes ma­nières ([^64]) les mesures ambiguës, le rituel mouvant, le catéchisme informe, la morale sans précepte, la discipline religieuse sans obli­gation, l'autorité hiérarchique dépersonnalisée et transférée à un appareil fuyant et anonyme, aucune de ces inventions postconci­liaires n'appartient véritablement à l'Église. Nous n'avons pas à en tenir compte puisque nous sommes enfants de l'Église et que nous entendons le rester. Nous gardons la tradition avec patience. Les forces modernistes occupantes ne pourront plus bâillonner bien longtemps les lèvres sacrées de notre Mère. Elle nous dira tout haut que nous n'avons rien de mieux à faire que de tenir sainte­ment la tradition. *Patientia pauperum non peribit in finem* (Psaume 9). La patience des pauvres ne sera plus indéfiniment trompée. 102:316 ANNEXE 3  ### De l'Église et du Pape *Chapitre 5, p. 53* *Mon pays m'a fait mal...* écrivait un jeune poète en 1944, en pleine épuration, lorsque le chef d'État que nous savons poursui­vait implacablement la sinistre besogne préparée depuis plus de quatre ans. *Mon pays m'a fait mal...* ce n'est point là une vérité que l'on proclame à son de trompe. C'est plutôt une confidence que l'on se fait à soi-même, avec grande douleur, en essayant malgré tout de garder l'espérance. Quand j'étais en Espagne, dans les années 55, je me souviens de l'extrême pudeur que mettaient des amis, quelle que fût par ailleurs leur préférence politique, à laisser filtrer des précisions sur *la guerra nuestra.* Leur pays leur faisait encore mal. Mais quand il s'agit non plus de la patrie charnelle, quand il s'agit, non sans doute de l'Église considérée absolument, car à ce titre elle est de tous points indéfectible et sainte, mais du chef visible de l'Église ; quand il s'agit du déten­teur actuel ([^65]) de la primauté romaine, comment nous y pren­drons-nous et quel est le ton qu'il faudra trouver pour nous avouer à nous-mêmes tout bas : *Ah ! Rome m'a fait mal.* Sans doute le journal quotidien de la dénommée *bonne presse* ne manquera pas de nous dire que, depuis deux mille ans, l'Église du Seigneur n'a jamais connu de pontificat aussi splendide. Mais qui prend au sérieux ces maniaques incorrigibles des encen­sements officiels ? Quand nous voyons ce qui s'enseigne et ce qui se pratique dans l'Église entière sous le pontificat d'aujourd'hui, ou plutôt lorsque nous constatons ce qui a cessé d'être enseigné et d'être pratiqué et comment une Église apparente, 103:316 qui se donne partout pour la véritable, ne sait plus baptiser les enfants, enterrer les défunts, célébrer dignement la sainte messe, absoudre les péchés en confession, lorsque nous regardons attentivement grossir la crue empoisonnée de la protestantisation générale, et cela sans que le détenteur du pouvoir suprême donne l'ordre énergique de fermer les écluses, en un mot lorsque nous acceptons de voir ce qui est, nous sommes obligés de dire : *Ah ! Rome m'a fait mal.* Et nous savons tous qu'il s'agit d'autre chose que d'une de ces iniquités, en quelque sorte privées, dont les détenteurs de la pri­mauté romaine furent trop souvent coutumiers au cours de leur histoire. Dans ce cas les victimes, plus ou moins mises à mal, avaient une relative facilité de s'en tirer en veillant davantage à leur propre sanctification. Nous devons toujours veiller à notre sanc­tification. Seulement, et voilà ce que dans le passé l'on n'avait jamais vu à ce degré, l'iniquité que laisse se perpétrer celui qui, aujourd'hui, occupe la chaire de Pierre, consiste en ce qu'il abandonne aux manœuvres des novateurs et des négateurs les moyens de sanctifica­tion eux-mêmes ; il admet que soient minés systématiquement la saine doctrine, les sacrements, la messe. Cela nous jette dans un péril nouveau. Si la sanctification n'est certes pas rendue impossible, elle est beaucoup plus difficile. Elle est aussi beaucoup plus urgente. Dans une conjoncture si périlleuse, est-il encore possible au simple fidèle, au modeste prêtre de campagne ou de ville, au reli­gieux prêtre qui se trouve de plus en plus étranger dans son insti­tut, est-il possible à la religieuse qui se demande si elle n'a pas été jouée et mystifiée au nom de l'obéissance, est-il possible à toutes ces petites brebis de l'immense troupeau de Jésus-Christ et de son vicaire de ne pas perdre cœur, de ne pas devenir la proie d'un immense appareil qui les réduit progressivement à changer de foi, changer de culte, changer d'habit religieux et de vie religieuse, en un mot changer de religion ? *Ah ! Rome m'a fait mal.* On voudrait se redire avec tant de douceur et de justesse les paroles de vérité. Les simples paroles de la doctrine surnaturelle apprises au catéchisme, que l'on n'ajoute pas encore au mal mais plutôt que l'on se laisse profondément persuader par l'enseignement de la révélation, que Rome, un jour, sera guérie ; que l'Église apparente bientôt sera démasquée d'auto­rité. Aussitôt elle tombera en poussière, car sa principale force vient de ce que son mensonge intrinsèque passe pour la vérité, n'étant jamais effectivement désavoué d'en haut. 104:316 On voudrait, au milieu d'une si grande détresse, se parler en des mots qui ne soient pas trop désaccordés d'avec le discours mystérieux, sans bruit de paroles, que l'Esprit Saint murmure au cœur de l'Église. Mais par où commencer ? Sans doute par le rappel de la vérité première touchant la seigneurie de Jésus-Christ sur son Église. Il a voulu une Église ayant à sa tête l'évêque de Rome qui est son vicaire visible en même temps que l'évêque des évêques et de tout le troupeau. Il lui a conféré la prérogative du roc afin que l'édifice ne s'écroule jamais. Il a prié pour que lui, au moins, parmi tous les évêques, ne fasse point naufrage dans la foi de sorte que, *s'étant ressaisi après les défaillances dont il ne sera pas nécessairement préservé, il confirme à la fin ses frères dans la foi :* ou alors, si ce n'est lui en personne qui raffermit ses frères, que ce soit l'un des successeurs les plus proches. Telle est sans doute la première pensée de réconfort que l'Esprit Saint suggère à nos cœurs en ces jours désolés où Rome est partiellement envahie par les ténèbres : il n'y a pas d'Église sans vicaire du Christ infaillible et doté de la primauté. Par ailleurs quelles que soient les misères, même dans le domaine religieux, de ce vicaire visible et temporaire de Jésus-Christ, c'est Jésus lui-même qui gouverne son Église, qui gouverne son vicaire dans le gouvernement de l'Église ; qui gouverne de telle sorte son vicaire que celui-ci ne puisse pas engager son autorité suprême dans des bouleversements ou des complicités qui changeraient la religion. -- Jusque là s'étend, en vertu de la Passion souverainement efficace, la force divine de la régence du Christ remonté aux cieux. Il conduit son Église à la fois de l'intérieur et du dehors et il domine sur le monde ennemi. Il fait sentir sa puissance à ce monde per­vers, même et surtout lorsque les ouvriers d'iniquité, avec le modernisme, non seulement pénètrent dans l'Église mais préten­dent se faire passer pour l'Église véritable. Car l'astuce du modernisme se déploie en deux temps : d'abord faire confondre les autorités parallèles hérétiques avec la hiérarchie régulière dont elles tirent les ficelles ; ensuite se servir d'une soi-disant *pastorale* universellement réformatrice qui tait ou qui gau­chit par système la vérité doctrinale, qui refuse les sacrements ou qui en rend les rites incertains. La grande habileté du modernisme est d'utiliser cette *pastorale* d'Enfer, à la fois pour transmuer la doctrine sainte confiée par le Verbe de Dieu à son Église hiérar­chique, et ensuite pour altérer et même annuler les signes sacrés, porteurs de grâce, dont l'Église est la dispensatrice fidèle. 105:316 Il est un chef de l'Église toujours infaillible, toujours sans péché, toujours saint, ignorant toute intermittence et tout arrêt dans son œuvre de sanctification. Celui-là est le seul chef car tous les autres, y compris le plus élevé, ne détiennent d'autorité que par lui et pour lui. Or ce chef *saint et sans tache, absolument à part des pécheurs, élevé au-dessus des cieux,* ce n'est point le pape, c'est celui dont nous parle magnifiquement l'épître aux Hébreux, c'est le Souverain Prêtre : Jésus-Christ. Jésus, notre rédempteur par la croix, avant de monter aux cieux, de devenir invisible à nos regards mortels, a voulu établir pour son Église, en plus et au-dessus des nombreux ministres par­ticuliers, un ministre universel unique, un vicaire visible, qui est seul à jouir de la juridiction suprême. Il l'a comblé de préroga­tives : « *Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et les portes de l'Enfer ne prévaudront pas contre elle.* » (Matt., 16, 18-19.) *--* « *Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. Jésus lui dit : Pais mes agneaux...Pais mes brebis.* » (Jo., 21, 16-18.) -- « *J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas, et toi, une fois converti, confirme tes frères.* » (Luc, 22, 32.) Or si le pape est le vicaire visible de Jésus qui est remonté dans les cieux invisibles, il n'est pas plus que le vicaire : *vices gerens,* il tient lieu mais il demeure autre. Ce n'est point du pape que dérive la grâce qui fait vivre le corps mystique. La grâce, pour lui pape aussi bien que pour nous, dérive du seul Seigneur Jésus-Christ. De même pour la lumière de la révélation. Il détient, à un titre unique, la garde des moyens de la grâce, des sept sacrements aussi bien que la garde de la vérité révélée. Il est assisté à un titre unique pour être gardien et intendant fidèle. Encore faut-il, pour que son autorité reçoive, dans son exercice, une assistance privilégiée, qu'elle ne renonce pas à s'exercer... Par ailleurs, s'il est préservé de défaillir quand il engage son autorité au titre où elle est infaillible, il peut faillir en bien d'autres cas. Qu'il défaille, en dessous bien entendu de ce qui relève de l'infail­libilité, cela n'empêchera pas le chef unique de l'Église, le souve­rain prêtre invisible, de poursuivre le gouvernement de son Église ; cela ne changera ni l'efficacité de sa grâce, ni la vérité de sa loi ; cela ne le rendra pas impuissant à limiter les défaillances de son vicaire visible ni à se procurer, sans tarder trop, un nouveau et digne pape, pour réparer ce que le prédécesseur laissait gâter ou détruire, car la durée des insuffisances, faiblesses, et même par­tielles trahisons d'un pape ne dépasse pas la durée de son exis­tence mortelle. 106:316 Depuis qu'il est remonté aux cieux Jésus s'est ainsi choisi et procuré deux cent soixante-trois papes. Certains, un petit nombre seulement, ont été des vicaires tellement fidèles que nous les invoquons comme des amis de Dieu et de saints intercesseurs. Un nombre encore plus réduit est tombé dans des manquements très graves. Cependant que le grand nombre des vicaires du Christ fut à peu près convenable. Aucun d'eux, tout en restant encore pape, n'a trahi et ne pourra trahir jusqu'à l'hérésie explicitement enseignée, avec la plénitude de son autorité. Telle étant la situation de chaque pape et de la succession des papes, par rapport au chef de l'Église qui règne dans les cieux, il ne faut pas que les fai­blesses d'un pape nous fassent oublier, si peu que ce soit, la soli­dité et la sainteté de la seigneurie de notre Sauveur, nous empê­chent de voir la puissance de Jésus et sa sagesse qui tient en sa main même les papes insuffisants, qui contient leur insuffisance dans des bornes infranchissables. Mais pour avoir cette confiance dans le chef invisible et souve­rain de la sainte Église sans nous contraindre pour cela à nier les défaillances graves dont n'est pas de soi exempt, malgré ses préro­gatives, le vicaire visible, l'évêque de Rome, le clavigère du Royau­me des cieux -- pour mettre en Jésus cette confiance réaliste qui n'élude pas le mystère du successeur de Pierre avec ses privilèges garantis d'en haut comme avec sa défectibilité humaine -- pour que la détresse qui peut nous venir par le détenteur de la papauté soit absorbée par l'espérance théologale que nous plaçons dans le souverain Prêtre, il faut, de toute évidence, que notre vie intérieure soit référée à Jésus-Christ et non au pape, ; que notre vie inté­rieure, embrassant le pape et la hiérarchie, cela va sans dire, soit établie non dans la hiérarchie et le pape, mais dans le Pontife divin, dans ce prêtre-là qui est le Verbe incarné rédempteur, dont le vicaire visible suprême dépend encore plus que les autres prêtres. Plus que les autres, en effet, il est tenu dans la main de Jésus-Christ en vue d'une fonction sans équivalent chez les autres. Plus que tout autre, à un titre supérieur et unique, il ne saurait laisser *de confirmer ses frères dans la foi,* lui-même ou son suc­cesseur. 107:316 L'Église n'est pas le corps mystique du pape ; l'Église avec le pape est le corps mystique du Christ. Lorsque la vie intérieure des chrétiens est de plus en plus référée à Jésus-Christ ils ne tombent pas désespérés, même lorsqu'ils souffrent jusqu'à l'agonie des dé­faillances d'un pape, que ce soit Honorius le ou les papes anta­gonistes de la fin du Moyen Age ; que ce soit, à l'extrême limite, un pape qui défaille selon les nouvelles possibilités de défaillance offertes par le modernisme. Lorsque Jésus-Christ est le principe et l'âme de la vie intérieure des chrétiens ils n'éprouvent pas le besoin de se mentir sur les manquements d'un pape pour demeu­rer assurés de ses prérogatives ; ils savent que ces manquements n'atteindront jamais à un tel degré que Jésus cesserait de gouver­ner son Église parce qu'il en aurait été efficacement empêché par son vicaire. Tel pape peut bien s'approcher du point limite où il changerait la religion chrétienne par aveuglement ou par esprit de chimère ou par une illusion mortelle sur une hérésie telle que le modernisme. Le pape qui en arriverait là n'enlèverait pas pour autant au Seigneur Jésus sa régence infaillible qui le tient encore en main lui-même, pape égaré, qui l'empêche de jamais engager jusqu'à la perversion de la foi l'autorité qu'il a reçue d'en haut. Une vie intérieure référée comme il se doit à Jésus-Christ et non au pape ne saurait exclure le pape, sans quoi elle cesserait d'être une vie intérieure chrétienne. Une vie intérieure référée comme il se doit au Seigneur Jésus inclut donc le vicaire de Jésus-Christ et l'obéissance à ce vicaire, mais *Dieu premier servi,* c'est dire que cette obéissance, loin d'être inconditionnelle, est toujours pratiquée dans la lumière de la foi théologale et de la loi naturelle. Nous vivons par et pour Jésus-Christ, grâce à son Église, laquelle est gouvernée par le pape, à qui nous obéissons en tout ce qui est de son ressort. Nous ne vivons point par et pour le pape comme s'il nous avait acquis *la rédemption éternelle,* voilà pourquoi l'obéissance chrétienne ne peut ni toujours ni en tout identifier le pape à Jésus-Christ. -- Ce qui arrive ordinairement c'est que le vicaire du Christ gouverne suffisamment dans la conformité à la tradition apostolique pour ne point provoquer, dans la conscience des fidèles dociles, des conflits majeurs. Mais il peut en être quelquefois autrement. Encore que ce soit très excep­tionnel, il peut arriver au fidèle de se demander légitimement comment garderais-je encore la tradition si je suivais *les directives* de ce pape ? 108:316 La vie intérieure d'un fils de l'Église qui mettrait de côté les articles de foi relatifs au pape, l'obéissance à ses ordres légitimes et la prière pour lui, une telle vie intérieure aurait cessé d'être catholique. D'autre part une vie intérieure qui inclut d'être agréa­ble au pape inconditionnellement c'est-à-dire à l'aveugle, en tout et toujours, est une vie intérieure qui est nécessairement livrée au respect humain, qui n'est pas libre à l'égard de la créature, qui s'expose à bien des facilités et des complicités. Dans sa vie inté­rieure le vrai fils de l'Église ayant reçu de tout son cœur les arti­cles de foi qui se rapportent au vicaire du Christ prie fidèlement pour lui et lui obéit volontiers, mais seulement dans la lumière, c'est-à-dire étant sauve et intacte la tradition apostolique et bien entendu la loi naturelle. -- Il paraît certain que, trop souvent, on a prêché un type d'obéissance à l'égard du pape plus soucieuse d'efficacité, de réussite dans les mouvements d'ensemble que de simple fidélité à la lumière, quoi qu'il en soit des réussites specta­culaires. Non sans doute que fût absent le souci de rester dans la tradition apostolique et dans la fidélité à Jésus-Christ. Mais ce qui était le plus important, le plus actif, le plus pressant, c'était quand même de donner satisfaction à un homme, de s'attirer ses faveurs ; parfois de faire carrière, de préparer sa tête pour le chapeau car­dinalice ou de donner du lustre à son Ordre ou sa Congrégation. Mais Dieu ni le service du pape n'ont besoin de notre mensonge : *Deus non eget nostro mendacio*. Souvenons-nous de la grande prière du début du canon ro­main, ce canon que Paul VI n'a pas hésité à ravaler au niveau de prières polyvalentes accommodées aux cènes calvinistes. (Or équi­parer de la sorte le canon romain n'a pas le moindre fondement dans la tradition apostolique et s'oppose de front à cette tradition imprescriptible.) Donc le prêtre dans le canon romain, après avoir instamment supplié le Père très clément par son Fils Jésus-Christ, de sanctifier le sacrifice sans tache offert en premier *pro Ecclesia tua sancta catholica*... continue ainsi : *una cum famulo tuo Papa nostro... et Antistite nostro*... L'Église n'a jamais envisagé de faire dire : *una cum* SANCTO *famulo tuo Papa nostro et* SANCTO *Antistite nostro* alors qu'elle fait dire : *pro Ecclesia tua* SANCTA. Le pape à la différence de l'Église n'est pas saint obligatoirement. L'Église est sainte avec des membres pécheurs, dont nous-mêmes ; des mem­bres pécheurs qui tous hélas ! ne tendent pas ou ne tendent plus à la sainteté. Il peut bien arriver que le pape lui-même figure dans cette triste catégorie. Dieu le sait. 109:316 En tout cas, la condition du chef de la sainte Église étant ce qu'elle est, c'est-à-dire n'étant pas nécessairement la condition d'un saint, il ne faut pas nous scanda­liser si des épreuves, parfois de très cruelles épreuves, surviennent à l'Église par son chef visible en personne. Il ne faut pas nous scandaliser de ce que, sujets du pape, nous ne puissions quand même pas le suivre en aveugles, inconditionnellement, en tout et toujours. Dans la mesure où notre vie intérieure sera référée au chef invisible de l'Église, au Seigneur Jésus, souverain Prêtre ; dans la mesure où notre vie intérieure sera nourrie de la tradition apostolique avec les dogmes, le missel et le rituel de la tradition, avec la tendance à l'amour parfait qui est l'âme de cette tradition très sainte, dans cette mesure même nous accepterons beaucoup mieux d'avoir à nous sanctifier dans une Église militante dont le chef visible, s'il est préservé de faillir dans certaines limites précises, n'est point toutefois soustrait à la commune condition du pécheur. Le Seigneur, par le pape et la hiérarchie, par la hiérarchie soumise au pape, gouverne en telle manière son Église que celle-ci soit toujours assurée dans sa tradition, intelligente sur la tradition qui est la sienne, jamais inconsciente ni amnésique. Sur les vérités du catéchisme, sur la célébration du saint sacrifice et sur les sacrements, sur la structure hiérarchique fondamentale, sur les états de vie et sur l'appel au parfait amour, disons sur tous les points majeurs de la tradition, l'Église est assistée de telle sorte que tout baptisé ayant la foi, qu'il soit évêque, pape ou simple fidèle, sait nettement à quoi s'en tenir. Ainsi le simple chrétien qui, se référant à la tradition sur un point majeur, connu de tous, refuse­rait de suivre un prêtre, un évêque, une collégialité, voire un pape qui ruinerait la tradition sur ce point, ce simple chrétien qui, dans ce cas précis, refuserait de se laisser faire et d'obéir ne donnerait pas pour autant, comme d'aucuns le prétendent, des signes carac­térisés de libre examen ou d'orgueil de l'esprit ; car ce n'est pas orgueil ni preuve d'insoumission soit de discerner la tradition sur les points majeurs, soit de refuser de la trahir. Quelle que soit par exemple la collégialité d'évêques ou le secrétaire de congrégation romaine qui manigance en dessous pour que les prêtres catholi­ques en viennent à célébrer la messe sans donner aucune marque d'adoration, aucun signe extérieur de foi dans les saints mystères, tout fidèle sait qu'il est inadmissible de célébrer la messe en fai­sant cette manifestation de non-foi. 110:316 Celui qui refuse d'aller à cette messe, ou plutôt à cette cérémonie qui, le plus souvent, a cessé d'être une messe, ne fait pas de libre examen, n'est pas un révolté ; il est un fidèle établi dans une tradition qui vient des apôtres et que nul dans l'Église ne saurait changer. Car nul dans l'Église, quel que soit son rang hiérarchique et ce rang serait-il le plus haut, nul n'a le pouvoir de changer l'Église et la tradition apostolique. Je sais qu'il passe souvent pour un farceur ou un maniaque le prêtre qui, n'ayant pas adopté le bouleversement du missel et du rituel entrepris par le pontife romain de maintenant, ose toutefois affirmer : *je suis avec Rome ; je me tiens à la tradition apostolique gardée par Rome.* -- Vous êtes avec Rome, me disent certains allons donc ! Mais quelle est votre manière de baptiser, de dire la messe ? -- La manière, leur dis-je, de Paul VI lui-même jusqu'en 1970 ; la manière plus que millénaire sanctionnée par les papes d'avant Paul VI ; la manière pratiquée par eux, par les évêques et par les prêtres de l'Église latine. Je fais ce qu'ils ont fait unani­mement lorsque je maintiens les exorcismes au baptême solennel, lorsque j'offre le saint sacrifice selon un *Ordo Missae* consacré par quinze siècles et qui ne fut jamais accepté par les négateurs du saint sacrifice. Si nous, du reste, nous les ministres de Jésus-Christ qui traitons de la sorte la messe et les sacrements avons brisé avec Rome, avec la tradition dont Rome est garante, pourquoi ne sommes-nous point frappés de sanctions canoniques *dont la levée soit réservée exclusivement au vicaire du Christ ?* J'écris ceci parce que c'est vrai et parce que j'espère conforter quelques fidèles qui n'arrivent pas à comprendre cette contradiction manifeste : être avec Rome ce serait adopter en matière de foi ou de sacrement ce qui détruit la tradition apostolique et ce en quoi, du reste, nul ne peut préciser jusqu'à quel point le pontife romain actuel a pré­tendu engager son autorité. (De même que dix ans après Vatican II nul ne sait au juste jusqu'à quel point s'étend l'autorité de ce concile « *pastoral* »*.*) Encore une fois sur tous les points majeurs, la tradition apostolique est bien claire. Il n'est pas besoin d'y regarder à la loupe, ni d'être cardinal ou préfet de quelque dicastère romain pour savoir ce qui s'y oppose. Il suffit d'avoir été instruit par le catéchisme et la liturgie, antérieurement à la corrup­tion moderniste. 111:316 Trop souvent quand il s'agit de ne pas se couper de Rome on a formé les fidèles et les prêtres dans le sens d'une crainte en par­tie mondaine de sorte qu'ils soient pris de panique, qu'ils vacillent dans leur conscience et n'examinent plus rien, aussitôt que le pre­mier venu les accuse de *ne pas être avec Rome.* Une formation vraiment chrétienne nous enseigne, au contraire, à nous préoccu­per d'être avec Rome non dans l'épouvante et sans discernement, mais dans la lumière et la paix, selon une crainte filiale dans la foi. Que nous importe si des adversaires se moquent de nous parce qu'ils nous accusent de ne savoir pas distinguer dans la tradition une partie contingente et variable d'avec l'essentiel qui est irréfor­mable. Leurs moqueries ne pourraient nous atteindre que si nous avions le ridicule d'accorder même valeur à tout ce qui se réclame de la tradition. Il n'en est rien. Nous disons seulement, et c'est la seule chose qui nous importe, que d'abord sur les points majeurs la tradition de l'Église est établie, certaine, irréformable ; ensuite que tout chrétien, tant soit peu instruit de sa foi, les connaît sans hésiter ; troisièmement que c'est la foi, non le libre examen, qui nous les fait discerner de même que c'est l'obéissance, la piété, l'amour non l'insubordination qui nous fait maintenir cette tradi­tion ; quatrièmement que les tentatives de la hiérarchie ou les fai­blesses du pape qui tendraient à renverser ou laisser renverser cette tradition seront un jour renversées, cependant que la tradi­tion triomphera. Nous sommes tranquilles sur ce point : quelles que soient les armes hypocrites mises par le modernisme entre les mains des collégialités épiscopales et du vicaire même du Christ, -- armes d'Enfer sur lesquelles ils se font peut-être illusion, -- eh ! bien, quelle que soit la perfection de ces nouvelles armes, la tradi­tion par exemple du baptême solennel qui inclut les anathéma­tismes contre le *diable maudit* ne sera pas écartée longtemps ; la tradition de n'absoudre en principe les péchés qu'après la confes­sion individuelle ne sera pas longtemps évincée ; la tradition de la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne avec langue, canon et ensemble d'attitudes qui soient fidèles au missel romain de saint Pie V, cette tradition sera bientôt remise en honneur ; la tradition du catéchisme de Trente, ou d'un manuel qui lui soit exactement conforme, refleurira sans tarder. Sur les points majeurs du dogme, de la morale, des sacrements, des états de vie, de la perfection à laquelle nous sommes appelés, la tradition de l'Église est connue des membres de l'Église quel que soit leur rang. 112:316 Ils y tiennent sans mauvaise conscience, même si les gardiens hiérarchi­ques de cette tradition prétendent les intimider ou les jeter dans le doute ; même s'ils les persécutent avec les aigres raffinements des bourreaux modernistes. Ils sont très assurés qu'en tenant la tradi­tion ils ne se coupent point du vicaire visible du Christ. Car le vicaire visible du Christ est gouverné par le Christ de telle sorte qu'il ne puisse transmuer la tradition de l'Église, ni la faire oublier. Que par malheur il essaie le contraire, eh ! bien, lui ou les succes­seurs immédiats seront obligés de proclamer bien haut ce qui demeure à jamais vivant dans la mémoire de l'Église : la tradition apostolique. L'Épouse du Christ ne risque pas de perdre la mémoire. Quant à ceux qui disent à ce propos que tradition est syno­nyme de sclérose, ou que le progrès se fait en s'opposant à la tra­dition, bref tous ceux que font délirer les mirages d'une absurde philosophie du devenir je leur recommanderai de lire saint Vincent de Lérins dans son *Commonitorium* et d'étudier d'un peu près l'histoire de l'Église : dogmes, sacrements, structures fondamen­tales, vie spirituelle, pour entrevoir la différence essentielle qui existe entre : « aller de l'avant » ou « aller de travers » ; avoir « des idées avancées » ou « avancer selon des idées justes » ; bref distinguer entre *profectus* et *permutatio.* Plus qu'en des temps de paix, il nous est devenu utile et salu­taire de méditer dans la foi sur les épreuves de l'Église. Nous serions peut-être tentés de réduire ces épreuves aux persécutions et attaques venues de l'extérieur. Or, les ennemis de l'intérieur sont quand même bien plus à redouter : ils connaissent mieux les points vulnérables, ils peuvent blesser ou empoisonner au moment où on s'y attendait le moins, le scandale qu'ils provoquent est bien plus difficile à surmonter. C'est ainsi que, dans une paroisse, un instituteur anti-religieux ne parviendra pas, quoi qu'il fasse, à gâter aussi profondément le peuple fidèle que le prêtre jouisseur et moderniste. De même le défroquage d'un simple prêtre, encore qu'il éclate davantage aux yeux de tous que l'incurie de l'évêque ou sa trahison, n'a pas des conséquences aussi funestes. Quoi qu'il en soit, il est certain que si l'évêque trahit la foi catholique, même sans défroquer, il impose à l'Église une épreuve beaucoup plus accablante que le simple prêtre qui prend femme et qui cesse d'offrir la sainte messe. -- Faut-il parler après cela du genre d'épreuve dont peut souffrir l'Église de Jésus-Christ par le pape lui-même, par le vicaire de Jésus-Christ en personne ? 113:316 A cette seule question, beaucoup se voilent la face et ne sont pas loin de crier au blasphème. Cette pensée les met à la torture. Ils se refusent à regarder en face une épreuve de cette gravité. Je comprends leur sentiment. Je n'ignore pas qu'une sorte de vertige peut s'emparer de l'âme lorsqu'elle est mise en présence de cer­taines iniquités. *Sinite usque huc* (Luc, 22, SI), disait aux trois Apôtres Jésus agonisant, lorsque s'avançait la soldatesque du grand-prêtre venue pour l'arrêter, pour traîner au tribunal et à la mort celui qui est le Prêtre souverain et éternel. *Sinite usque huc ;* c'est comme si le Seigneur disait : le scandale peut atteindre jusque là ; mais laissez ; et selon ma recommandation : VEILLEZ ET PRIEZ CAR L'ESPRIT EST PROMPT MAIS LA CHAIR EST FAIBLE. *Sinite usque huc :* par mon consentement à boire le calice je vous ai mérité toute grâce, alors que vous étiez endormis et que vous m'aviez laissé tout seul ; je vous ai obtenu en particulier une grâce de force surnaturelle qui soit à la mesure de toutes les épreuves ; à la mesure même de l'épreuve qui peut venir à la sainte Église par le fait du pape. Je vous ai rendus capables d'échapper à ce vertige même. Au sujet de cette épreuve extraordinaire il y a ce que dit l'his­toire de l'Église et ce que ne dit pas la révélation sur l'Église. Car la révélation sur l'Église ne dit nulle part que les papes ne péche­ront jamais par négligence, lâcheté, esprit mondain dans la garde et la défense de la tradition apostolique. Nous savons qu'ils ne pécheront jamais en faisant croire directement une autre religion voilà le péché dont ils sont préservés par la nature de leur charge. Et lorsqu'ils engageront leur autorité au titre où elle est infaillible c'est le Christ lui-même qui nous parlera et nous instruira : voilà le privilège dont ils sont revêtus dès l'instant où ils deviennent les successeurs de Pierre. Mais si la Révélation nous affirme ces préro­gatives de la papauté elle ne porte cependant nulle part que lors­qu'il exerce son autorité au-dessous du niveau où il est infaillible, un pape n'en viendra pas à faire le jeu de Satan et à favoriser jusqu'à un certain point l'hérésie ; de même, il n'est pas écrit dans les Saintes Lettres que, encore qu'il ne puisse enseigner formelle­ment une religion autre, un pape ne pourra jamais en venir à lais­ser saboter les conditions indispensables à la défense de la religion véritable. Une telle défection est même considérablement favorisée par le modernisme. 114:316 Ainsi la révélation sur le pape n'assure nulle part que le vicaire du Christ n'infligera jamais à l'Église l'épreuve de certains scan­dales graves ; je parle de scandales graves non seulement dans l'ordre des mœurs privées mais bien dans l'ordre proprement reli­gieux et, si l'on peut dire, l'ordre ecclésial de la foi et des mœurs. De fait, l'histoire de l'Église nous rapporte que ce genre d'épreuve venue par le pape n'a point fait défaut à l'Église, encore qu'il ait été rare et ne se soit jamais prolongé à l'état aigu. C'est le contraire qui serait surprenant, lorsque l'on constate le tout petit nombre des papes canonisés depuis saint Grégoire VII, le tout petit nombre des vicaires du Christ qui sont invoqués et vénérés comme des amis de Dieu, des saints de Dieu. Et le plus surpre­nant est encore que des papes qui subirent des tourments très cruels, par exemple un Pie VI ou un Pie VII, n'aient été priés comme des saints ni par la *Vox Ecclesiae* ni par la *Vox populi*. Si ces pontifes, qui eurent pourtant à souffrir tellement au titre de pape, ne supportèrent pas leur peine avec un tel degré d'amour qu'ils en soient des saints canonisés, comment s'étonner que d'au­tres papes, qui envisageraient leur charge d'un point de vue mon­dain, ne puissent commettre des manquements graves, ni imposer à l'Église du Christ une épreuve particulièrement redoutable et déchi­rante ? Quand ils sont réduits à l'extrémité d'avoir de tels papes les fidèles, les prêtres, les évêques qui veulent vivre de l'Église ont le grand souci non seulement de prier pour le Pontife suprême, qui est alors un grand sujet d'affliction pour l'Église, mais ils s'at­tachent eux-mêmes d'abord, et plus que jamais, à la tradition apostolique : la tradition sur les dogmes, le missel et le rituel ; la tradition sur le progrès intérieur et sur l'appel de tous au parfait amour dans le Christ. C'est ici que la mission de ce frère prêcheur qui est, sans doute, de tous les saints, celui qui a travaillé *le plus directement* pour la papauté, c'est ici que la mission du fils de saint Domini­que Vincent Ferrier, est particulièrement éclairante. Ange du juge­ment, légat *a latere Christi,* faisant déposer un pape après avoir usé à son égard d'une infinie patience, Vincent Ferrier est aussi, et du même mouvement, le missionnaire intrépide et plein de béni­gnité, débordant de prodiges et de miracles, qui annonce l'Évangile à l'immense foule du peuple chrétien. Il porte dans son cœur d'apôtre non seulement le pontife suprême, si énigmatique, si obs­tiné, si dur, mais encore tout l'ensemble du troupeau du Christ, la multitude de ce menu peuple désemparé, la *turba magna ex omni­bus tribubus et populis et linguis.* 115:316 Vincent a compris que le souci majeur du vicaire du Christ n'est pas, et de loin s'en faut, de ser­vir loyalement la sainte Église. Le pape fait passer avant tout la satisfaction de son obscure volonté de puissance. Mais si, au moins parmi les fidèles, le sens de la vie dans l'Église pouvait être réveillé, le souci de vivre en conformité avec les dogmes et les sacrements reçus de la tradition apostolique, si un souffle pur et véhément de conversion et de prière déferlait enfin sur cette chré­tienté languissante et désolée, alors sans doute pourrait enfin venir un vicaire du Christ qui serait vraiment humble, aurait une conscience chrétienne de sa charge suréminente, se préoccuperait de la remplir au mieux dans l'esprit du Souverain Prêtre. Si le peuple chrétien retrouve une vie en accord avec la tradition apostolique, alors il deviendra impossible au vicaire de Jésus-Christ, quand il s'agira de maintenir et défendre cette tradition, de tomber dans certains égarements trop profonds, de se laisser aller à certaines complicités avec le mensonge. Il deviendra nécessaire que, sans tarder, un bon pape et peut-être un saint pape succède au pape mauvais ou égaré. Mais trop de fidèles, de prêtres, d'évêques, voudraient que dans les jours de grand malheur, lorsque l'épreuve vient à l'Église par son pape, les choses se remettent en ordre sans qu'ils aient rien à faire ou presque rien. Tout au plus acceptent-ils de murmu­rer quelques oraisons. Ils hésitent même devant le rosaire quoti­dien : cinq dizaines chaque jour offertes à Notre-Dame, en l'hon­neur de la vie cachée, de la Passion et de la gloire de Jésus. Ils ont très peu d'envie, en ce qui les regarde, de s'approfondir dans la fidélité à la tradition apostolique : dogmes, missel et rituel, vie intérieure (car le progrès de la vie intérieure fait évidemment partie de la tradition apostolique). Ayant à leur propre place consenti à la tiédeur, ils se scandalisent néanmoins de ce que le pape, à sa place de pape, ne soit pas, lui non plus, très fervent quand il s'agit de garder pour l'Église entière la tradition apostolique, c'est-à-dire de remplir fidèlement la mission unique qui lui est confiée. Cette vue des choses n'est pas juste. Plus nous avons besoin d'un saint pape, plus nous devons commencer par mettre notre vie, avec la grâce de Dieu et en tenant la tradition, dans le sillage des saints. Alors le Seigneur Jésus finira par accorder au troupeau le berger visible dont il se sera efforcé de se rendre digne. 116:316 A l'insuffisance ou à la défection du chef n'ajoutons pas notre négligence particulière. Que la tradition apostolique soit au moins vivante au cœur des fidèles même si, pour le moment, elle est lan­guissante dans le cœur et les décisions de celui qui est responsable au niveau de l'Église. Alors certainement le Seigneur nous fera miséricorde. Encore faut-il pour cela que notre vie intérieure se réfère non au pape mais à Jésus-Christ. Notre vie intérieure qui inclut évi­demment les vérités de la révélation au sujet du pape doit se réfé­rer purement au souverain prêtre, à notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ, pour arriver à surmonter les scandales qui viennent à l'Église par le pape. Telle est la leçon immortelle de saint Vincent Ferrier au temps apocalyptique de l'une des défaillances majeures du pontife romain. Mais avec le modernisme nous sommes en train de connaître des épreuves plus terribles. Raisons plus impérieuses pour nous de vivre encore plus purement, et sur tous les points, de la tradition apostolique ; -- sur tous les points, y compris ce point capital dont on ne parle presque jamais depuis la mort du père domini­cain Garrigou-Lagrange : la tendance *effective* à la perfection de l'amour. Et pourtant, dans la doctrine *morale* révélée par le Sei­gneur et transmise par les apôtres, il est dit que nous devons ten­dre à l'amour parfait, puisque la loi de croissance dans le Christ est propre à la grâce et à la charité qui nous unissent au Christ. Transcendance et obscurité du dogme relatif au pape : le dogme d'un pontife qui est vicaire universel de Jésus-Christ et qui, toutefois, n'est pas à l'abri de défaillances, même graves, qui peu­vent être fort dangereuses pour les sujets. Or le dogme du pontife romain n'est lui-même que l'un des aspects du mystère plus fon­damental de l'Église. On sait que deux grandes propositions nous introduisent à ce mystère ([^66]) : d'abord l'Église, recrutée parmi les pécheurs, dont nous sommes tous, est cependant la dispensatrice infaillible de la lumière et de la grâce, dispensatrice par le moyen d'une organisation hiérarchique, dispensatrice gouvernée du haut des cieux par son chef et Sauveur Jésus-Christ, et assistée par l'es­prit de Jésus. D'autre part, sur cette terre elle-même, le Sauveur offre par son Église le sacrifice parfait et il la nourrit de sa propre substance. 117:316 Ensuite l'Église, Épouse sainte du Seigneur Jésus, doit avoir part à la croix, y compris la croix de la trahison par les siens ; -- elle ne laisse pas pour autant d'être assez forte­ment assistée dans sa structure hiérarchique, à commencer par le pape, et d'être assez brûlante de charité, en un mot elle demeure en tout temps assez pure et sainte, pour être capable de participer aux épreuves de son Époux, y compris la trahison de certains hiérarques, en conservant intactes sa maîtrise intérieure et sa force surnaturelle. Jamais l'Église ne sera livrée au vertige. Si, dans notre vie intérieure, la vérité chrétienne au sujet du pape est située comme il faut à l'intérieur de la vérité chrétienne au sujet de l'Église, nous surmonterons dans la lumière le scandale de tous les mensonges sans excepter ceux qui peuvent survenir à l'Église par le vicaire du Christ ou par les successeurs des Apôtres. En cela, du moins quant aux évêques, sainte Jeanne d'Arc est un modèle incomparable. A notre tour, et selon notre chétive mesure, nous essaierons d'être fidèles à ce qui fut l'une des grâces particu­lières de sainte Jeanne d'Arc. Lorsque nous pensons au pape de maintenant ([^67]), au moder­nisme installé, à la tradition apostolique, à la persévérance dans cette tradition, nous en sommes de plus en plus réduits à ne pou­voir considérer ces questions que dans la prière, dans une implora­tion instante pour l'Église entière et pour celui qui, de nos jours, tient en ses mains les clefs du Royaume des cieux. Il les tient en ses mains mais il ne s'en sert pour ainsi dire pas. Il laisse ouvertes les portes de la bergerie qui donnent sur les chemins d'approche des brigands ; il ne ferme pas ces portes protectrices que ses pré­décesseurs avaient invariablement maintenues closes avec serrures incassables et cadenas infrangibles ; parfois même, et c'est l'équi­voque de l'œcuménisme postconciliaire, il fait semblant d'ouvrir ce qui, à jamais, sera tenu fermé. Nous voici réduits à la nécessité de ne penser à l'Église qu'en priant pour elle et pour le pape. C'est une bénédiction. Cependant penser à notre Mère, penser à l'Épouse du Christ dans ces conditions de grande pitié, ne diminue en rien la résolution d'y voir clair. Au moins que cette lucidité indispen­sable, cette lucidité sans quoi se détendrait toute force, soit péné­trée de tant d'humilité et de douceur que nous fassions violence au Souverain Prêtre et qu'il se hâte de nous secourir. 118:316 *Deus in adjutorium meum intende, Domine ad adjuvandum me festina.* Qu'il lui plaise de charger sa très sainte Mère, Marie immaculée, de nous apporter au plus tôt le remède efficace. 119:316 ANNEXE 4 ### Brumes du « révélationisme » et lumière de la foi *Chapitre 5, p. 63* J'appelle « révélationisme » une confiance *désordonnée* dans les révélations privées ; confiance qui n'est pas assez éclairée et recti­fiée par la raison et par la foi. Pour sûr je ne reproche pas à ces frères dans la foi de croire au merveilleux d'ordre privé, ni à son rôle indispensable dans l'Église, mais bien de le situer *pratiquement* au-dessus de l'Écriture et de la Tradition ; ensuite d'équiparer les faits merveilleux les plus différents ; enfin de laisser désorbiter leur vie intérieure par le merveilleux, au lieu de la mettre sous l'empire des vertus théologales qui sont le centre véritable de toute vie dans le Christ. On trouve donc certains chrétiens qui accordent à des révéla­tions puériles et bizarres, reçues soi-disant par des âmes privilé­giées, exactement le même crédit qu'aux messages de Lourdes si limpides, si sobres, si consonants avec le dogme catholique. Et que dire de ces chrétiens qui, se prévalant des visions de ces fameuses âmes privilégiées, en savent beaucoup plus long sur la Passion du Seigneur que les évangélistes eux-mêmes. Et puisque les révélationistes nous parlent tellement des juge­ments du Seigneur sur l'histoire des hommes, rappelons-nous les enseignements de la Révélation tels que nous les rapportent les textes inspirés ([^68]). 120:316 Rappelons-nous aussi, sur le même sujet, la doctrine solide des Pères et des docteurs. -- Nous croyons au retour du Seigneur : « *Credo... in unum Dominion Jesum Chris­tum... et iterum venturus est cum gloria judicare vivos et mortuos, cujus regni non erit finis.* » Non seulement à la fin des fins la foi sera presque éteinte et la charité ne sera vivante que chez un petit nombre, tellement la froideur et l'égoïsme auront répandu la mort dans les âmes, mais encore il y aura au cours de l'histoire des préfigurations de cet enténèbrement et de cette sorte d'extinction de la vie spirituelle. -- Les chrétiens ont toujours su, en particulier depuis l'apôtre saint Jean et depuis saint Augustin, qu'il viendrait un dernier antéchrist mais qu'il avait des précurseurs depuis les temps apostoliques (la Jo. 2, 18). Le livre de l'Apocalypse, auquel on se réfère à juste titre pour parler correctement de la fin du monde, ne peut être considéré comme une chronologie anticipée ; ce livre est une théologie de l'histoire sous forme de symboles qui se récapitulent et se précisent progressivement ([^69]). Une autre source de références capitales saint Matthieu chapitre 24, saint Luc dernière partie du chapitre 17 et chapitre 21, doit être interprétée avec discernement car ces textes fondamentaux ne concernent pas seulement et de façon exclusive deux générations : la génération contemporaine de la première venue du Seigneur, celle qui vit la ruine du temple et la dernière génération, celle qui verra le retour glorieux de Jésus-Christ... Ces chapitres s'adressent aussi, sous bien des rapports, aux générations qui se situent entre les deux. Le Seigneur a jugé dignes de son enseignement infaillible, au sujet des jugements qu'il porte sur le déroulement de l'histoire, les nombreuses générations intermédiaires qui devaient être, de loin, celles qui compteraient le plus de fidèles, celles qui formeraient la part la plus importante de son Église. Il est un signe de la fin qui n'aura pas de répétition antérieure : c'est la conversion du peuple juif au titre de peuple. Mais ce signe même, nul n'est en mesure de dire à quelle place exacte­ment il faut le situer avant la fin du monde. Pour les autres signes : apostasie, antéchrist, expansion de l'Évangile, mort spirituelle, guer­res et cataclysmes, nous savons que même s'ils vont se dévelop­pant selon *une sorte de progrès linéaire,* ils procèdent aussi par *des répétitions comme cycliques.* Vers laquelle des répétitions sommes-nous en marche : Dieu le sait. 121:316 Donc aux générations intermédiaires entre celle qui connut la ruine de Jérusalem et celle qui verra la fin du monde, le Seigneur a donné une révélation double : en même temps qu'il annonçait les débordements de l'iniquité et les châtiments prodigieux, il nous garantissait la permanence des sources du courage et de la conso­lation. Quels que soient en effet les perfectionnements historiques de l'iniquité, ces jours d'épreuve, aussi dangereux soient-ils, seront abrégés à cause des élus (Matt. 24, 22) ; d'autre part nul ne pourra ravir les brebis de la main du Bon Pasteur (Jo. 10, 28-29) ; troisièmement la Rédemption ne cessera pas d'être proche et il faudra lever la tête, *levate capita vestra* (Lc, 21, 28) vers Celui dont le Cœur est ouvert pour nous (Jo. 19, 37) ; quatrièmement le Saint-Esprit ne cessera de rendre témoignage du Christ (Jo. 16, 1-15), même lorsque l'apostasie semblera tout submerger. Pour tout résumer *les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre l'Église* (Matt., 16, 18), contre Pierre et contre la foi ; contre la messe ([^70]) et contre les sacrements, alors même que *l'homme d'iniquité* siégera dans le lieu saint (Ha Thes. 2, 4 et Matt. 24, 15). -- Il est donc une double révélation au sujet des jugements et des châtiments divins. Les aspects contrastants ne doivent pas être isolés et sépa­rés. Lorsque des révélations privées portent sur les interventions de la justice divine, elles doivent s'inscrire fidèlement dans cette pers­pective de la révélation canonique. Les prédictions comminatoires font partie intégrante de l'Évangile de Jésus-Christ. Notre miséri­cordieux Sauveur s'est donné comme roi et comme juge ; juge non seulement à la fin du monde, mais encore juge sur le cours de l'histoire. *Ipsius sunt tempora et saecula* ([^71])*.* Les prédictions sur la ruine de Jérusalem, sur la terrible fin du monde, sur les persécu­tions des chrétiens ne peuvent pas être enlevées des Évangiles et des Épîtres. C'est à plusieurs reprises que Jésus a parlé en *pro­phète de malheur.* Mais il est *prophète de malheur* dans un climat d'Évangile et c'est cela qui change tout, qui fait de sa prophétie une nourriture pour vivre de la grâce divine, une source de paix intérieure et de béatitude. 122:316 *Beati qui lugent quoniam ipsi consolabuntur* ([^72])*. --* Ainsi, nous aurons garde de mépriser les prophéties privées quand elles sont prophéties de malheur et préci­sément pour cette raison ; mais nous demandons deux choses d'abord des titres suffisants pour admettre que le messager ou la visionnaire nous parlent de par Dieu, *en nom Dieu,* et non pas de son propre cru ; ce qui suppose cette deuxième condition que sa prophétie se situe dans cette ligne de paix, de conversion, d'équili­bre surnaturel qui est la ligne de l'Évangile. En un mot que les prophéties privées, même comminatoires, se tiennent à ce niveau d'élévation, de sobriété, de pureté qui est celui de l'Évangile. Nous donnerons maintenant quelques directives plus immédia­tement pratiques pour préciser quelle doit être la conduite à tenir dans l'heure présente. L'heure présente c'est celle où la célébration de la messe étant terriblement menacée il faut d'autant plus la maintenir, donc la dire et y assister *dans les dispositions requises.* C'est l'heure où le vrai catéchisme étant difficile à assurer c'est une raison de plus de s'y mettre. C'est l'heure où la législation familiale (si on peut dire) devient criminelle et monstrueuse, il faut donc la combattre de toutes nos forces. C'est l'heure où les inno­vations de Paul VI sont frappées de la suspicion la plus légitime comme le prouve la liste accablante établie par le *Libellus* de l'abbé de Nantes ; ayons donc le courage de voir que, par les nouveautés *de ce pontife-là* ([^73])*,* nous ne sommes pas liés. C'est l'heure où les évêques malaxés et manœuvrés par la collégialité tentent de faire prévaloir un syncrétisme religieux simultanément maçonnique, communiste et chrétien ; nous n'avons pas à suivre de pareils évêques. C'est l'heure enfin où nous devons témoigner de la foi de toujours avec des dispositions de force et d'humilité qui sont à renouveler sans cesse, car notre témoignage n'est point en face d'une persécution violente, ce qui précipiterait et simplifie­rait bien des choses, mais en face d'une révolution moderniste qui est inspirée par les démons des pires embrouillaminis. 123:316 Telle est l'heure présente. C'est le diagnostic que nous faisons en nous ser­vant de la raison que Dieu nous a donnée, éclairée par les lumières de la foi et de la réflexion théologique. C'est donc dans l'heure présente, qui est telle, que nous avons à nous sanctifier et à rendre témoignage, et cela d'autant plus que nous demandons à Dieu que, pour les années à venir, se réalise, de quelque façon, la prophétie de saint Pie X. La période présente, autant et plus que les périodes antérieures, requiert du chrétien une attitude spirituelle de lucidité, de réalisme, de foi, de charité, d'espérance. Or ce ne sont pas ces attitudes raisonnables et théologales que favorisent dans les âmes de bonne volonté les producteurs et les détaillants de papiers révélationistes. De la prophétie privée au sein de l'Église ils ne semblent connaître qu'un seul aspect : l'annonce des châtiments divins. *Or il est d'autres aspects,* non opposés au premier sans doute, mais bien supérieurs : ce sont les charismes d'ordre doctrinal, comme l'enseignement de sagesse, le *sermo sapientiae* qui est accordé à quelques grands saints pour l'édification des âmes. -- Ce *sermo sapientiae* n'est pas à proprement parler un charisme accordé aux femmes ([^74]) ; on doit dire cependant qu'un message comme celui de la *voie d'enfance* de la petite Thérèse relève d'un véritable cha­risme. C'est trop restreindre les faveurs que l'Esprit du Christ accorde à l'Église de ne voir les charismes que dans les messages comminatoires donnés en des apparitions, même si le message est orthodoxe et le voyant digne de créance. L'une des failles les plus graves des révélationistes est celle-ci : ils n'ont point médité sérieusement sur la vie et la mort des saints et des saintes qui furent engagés le plus avant dans la prophétie privée, dans les apparitions ; dans le merveilleux et le miracle : une Jeanne d'Arc, une Marguerite-Marie, une Catherine Labouré, une Bernadette, les enfants de Fatima. 124:316 Dans la vie et la mort de ces privilégiés authentiques rien que de simple, de calme, de limpide ; ni affolement, ni exaltation. Leur message fut le moins entortillé qui soit, le moins compliqué. Pour ce message ils étaient prêts à donner leur vie et, de fait, sainte Jeanne d'Arc fut martyre. Cependant ce n'est pas dans un merveilleux *séparé et comme exor­bité* que Jeanne et les autres avaient situé et fixé leur âme ; c'est comme tous les chrétiens, comme tous les saints, dans la foi, l'es­pérance, la charité. Ils ne tenaient à leur message que parce que celui-ci faisait partie du devoir exceptionnel que Dieu leur com­mandait à eux de remplir -- comme il commande à la plupart un devoir ordinaire ; devoir *ordinaire* qu'il faut remplir avec un amour *parfait.* Ces messagers tenaient à leur message uniquement parce que cette fidélité première était pour eux la condition pour vivre des vertus théologales et des dons du Saint-Esprit ; là se situait l'âme de leur vie spirituelle. Leur vie ne se conçoit pas plus sans l'intervention du merveilleux que sans la fidélité à rendre témoi­gnage de ce merveilleux, mais l'âme de leur vie c'est la charité non le merveilleux. Le merveilleux, révélations et prophéties, dont ils étaient les messagers fidèles, est indispensable à l'existence et à la sainteté de l'Église, à la conversion et à la survie de la France. Le corps mys­tique ne se passe point ici-bas des grâces *gratis datae.* Mais c'est la grâce *gratum faciens,* la grâce des vertus et des dons, qui est son âme vivante. -- Jeanne, Marguerite-Marie, Catherine Labouré, Bernadette, les enfants de Fatima, ces messagers du merveilleux le plus exceptionnel ne cessèrent pas, en communiquant et défendant leur message, de s'affermir dans la grâce sanctifiante, dans l'amour le plus humble et le plus réaliste. On comprend alors que leur message, non seulement par l'équilibre de son contenu mais par la manière de le transmettre, ne fut pas affolant mais pacifiant, aussi bien pour leur prochain que pour eux-mêmes. L'Église ne rejette pas, ne peut pas rejeter le merveilleux, les révélations et les miracles ; mais l'Église place au-dessus, et sans comparaison, la vie théologale et la sainteté. Fidèles à cette doc­trine, nous gardant bien de faire fi par principe des manifestations du merveilleux, mais sans être sottement crédules ou vainement affolés, ayant mis à leur place les révélations privées qui méritent confiance (notamment les révélations privées de portée universelle), nous les utiliserons au mieux dans la lumière de la foi, -- *la foi qui est agissante par la charité* (Gal. 5, 6). 125:316 Pour vivre droitement dans l'Église il ne suffit pas au chrétien de se dire : l'enseignement du magistère hiérarchique suffit ; s'il y a autre chose je ne veux pas le savoir. Car le magistère lui-même est obligé de savoir qu'il y a autre chose ; non certes un autre enseignement que celui dont la hiérarchie a le dépôt et la garde vigilante mais d'autres voix miraculeuses de messagers fidèles, qui ont mission de parler pour attirer l'attention sur ce même ensei­gnement que dispense le magistère. Il n'y a pas un autre magistère que celui de la hiérarchie, un magistère inspiré qui lui serait supé­rieur et devant lequel le sien se devrait de baisser pavillon ; mais il y a d'autres messagers que ceux de la hiérarchie, des messagers inspirés, miraculeux, que les dignitaires hiérarchiques doivent accep­ter d'entendre, encore que ce soit à la hiérarchie de conclure et de trancher. La notion catholique de l'Église n'exclut certes pas les charismes ([^75]) mais elle les subordonne à la hiérarchie. Elle n'exclut pas les révélations privées, elle demande seulement que ce ne soient pas des illusions privées, ensuite que ces révélations soient en accord avec la Révélation. En aucun temps de l'histoire de l'Église la voix de la hiérarchie véritable, non pas les insinuations de la hiérarchie moderniste, -- donc en aucun temps la vraie hiérarchie que garantit à titre ordi­naire et officiel le *charisme de vérité* (saint Irénée), n'a prétendu étouffer les voix inspirées et miraculeuses car ces voix, si elles viennent de Dieu, loin de contredire la Révélation, la redisent, la font comprendre, en persuadant les cœurs avec un accent plus pénétrant et comme sur un ton plus approprié aux situations nou­velles. C'est ainsi que les paroles du magistère hiérarchique sur le Sacré-Cœur de Jésus n'ont pas été changées par les révélations privées de sainte Marguerite-Marie mais, après ces révélations, les mêmes paroles ont été dites avec plus de véhémence et répercutées avec plus d'enthousiasme. En 1854 avait retenti la grande voix du Pontife romain dans la définition infaillible de l'Immaculée-Conception, mais cette voix n'a mis en marche les foules et mobi­lisé les nations pour la prière et la pénitence qu'à la suite des apparitions de l'Immaculée à sainte Bernadette. On ferait des remarques semblables pour la dévotion au Rosaire et pour la consécration au Cœur Immaculé de Marie : sans la voix inspirée des voyants de Fatima, la voix du magistère ordinaire ne se serait pas imposée aussi profondément aux âmes chrétiennes. 126:316 Et que dire des révélations privées comminatoires ? Les avertissements du 24^e^ chapitre de saint Matthieu sont toujours là et l'Église les fait tou­jours entendre pour le dernier dimanche après la Pentecôte ; seule une liturgie d'inspiration et de fabrication modernistes tente de les faire oublier. Donc l'Église fait toujours retentir aux oreilles des fidèles les oracles du 24^e^ chapitre de saint Matthieu ; mais pour que ces avertissements soient pris au sérieux par tant de chrétiens modernes qui tournent en rond dans leurs péchés, avec une hébé­tude aussi épaisse que les contemporains de Noé à la veille même du déluge, pour réveiller les dormants, il est nécessaire que, selon les circonstances historiques, l'enseignement du magistère hiérar­chique sur les jugements divins soit non pas modifié, non pas infléchi dans un sens millénariste, mais répercuté fidèlement par des messagers ayant la charge de transmettre des révélations com­minatoires. On demande seulement à ces messagers de se présenter avec des garanties suffisantes, de même que l'on attend du mes­sage qu'il soit consonant à l'Évangile. Tout ceci pour dire que les révélations privées et, d'une façon générale, tous les charismes ont une place dans la vie de l'Église, un rôle non négligeable, non surérogatoire mais nécessaire ; il faut donc les mettre à leur place : les subordonnant à l'autorité du magistère véritable (tout autre que le faux magistère moderniste), les situant dans la ligne de la Révélation divine, nous laissant réveiller, toucher, convertir, édifier par l'accent miraculeux avec lequel ils nous redisent les paroles de la vie éternelle. 127:316 ANNEXE 5 ### Note doctrinale sur le mystère du Christ-Roi *Chapitre 6, p. 64* ([^76]) Comme le mystère du Christ-Sauveur ou du Christ Souverain-Prêtre, le mystère du Christ-Roi est une vérité révélée. Si nous voulons le considérer utilement il est donc essentiel de partir de la Révélation telle qu'elle est contenue dans l'Écriture, telle qu'elle est explicitée par le magistère, notamment par l'encyclique *Quas Pri­mas*. En réfléchissant conformément à l'analogie de la foi, nous verrons alors la nature particulière de la royauté du Christ et la manière dont elle s'étend au genre humain. Dans notre réflexion nous risquons de nous briser à un double écueil : ou bien nous comprenons l'essentiel de la royauté de Jésus-Christ qui est de convertir les âmes et de les unir à leur Sauveur, mais nous négligeons l'extension de cette royauté qui est de bâtir selon les contingences historiques une civilisation d'un cer­tain esprit et d'une certaine forme ; ou bien, tout au contraire, ayant saisi que les hommes ne sont pas des anges et que les struc­tures de la cité les aident terriblement à se perdre ou à se conver­tir, nous comprenons l'extension du règne de Jésus-Christ aux valeurs de civilisation mais nous perdons plus ou moins de vue l'essentiel de cette royauté, nous n'en voyons plus que l'aspect social. Les uns situent en son lieu propre qui est l'ordre de la cha­rité le royaume de Jésus-Christ mais ils ne voient pas qu'il ne peut éviter de répandre ses bienfaits sur l'ordre des esprits et sur l'ordre des corps Les autres ont l'évidence que le royaume de Jésus-Christ doit se trouver présent même dans l'ordre des esprits et des corps mais ils comprennent mal que c'est par dérivation et surabon­dance. 128:316 Car l'aspect social de la royauté du Christ, qui est bien réel certes, et incontestable, demeure malgré tout dérivé. Mais cette dérivation n'est pas artificielle, elle appartient à la nature des choses. Parce qu'il est roi intérieur, roi dans le secret des âmes, roi de conversion, Jésus-Christ doit être roi dans l'ordre domestique et professionnel, économique et politique. Disons tout de suite que l'ordre domestique et professionnel, économique et politique étant régi par des lois propres qui ne sont pas exactement celles de la vie intérieure et de la conversion du cœur, la régence du Christ en ces divers domaines n'exigera pas seulement la vie religieuse des chrétiens mais aussi la reconnais­sance des lois propres à ces divers domaines. Bien mieux, la vie religieuse ne mériterait pas son nom si elle trichait avec ces lois propres ou les tenait pour insignifiantes. En lisant l'Écriture, le vieux Testament et l'Évangile, il est impossible de n'être pas frappé par la différence entre l'accomplis­sement du royaume de Dieu dans l'Évangile et sa prédiction dans les psaumes et les prophètes. Certes les voyants inspirés avaient laissé entendre que Dieu régnerait par la sainteté et la pureté du cœur, et même par les humiliations et par la croix. Le *regnavit a ligno Deus* de la liturgie chrétienne résume bien un des aspects de l'ancienne prophétie. Mais ce n'est qu'un des aspects. Il y avait un autre point de vue et qui tenait une place très marquée ; le règne de Dieu devait coïncider avec une transformation politique éblouis­sante et radicale. C'était l'attente de beaucoup d'Israélites et elle se trouvait en harmonie, au moins partielle, avec les « oracles de Yaveh ». Eh ! bien, à cette aspiration véhémente et qui faisait souvent beaucoup trop de volume, Jésus-Christ s'est toujours re­fusé à donner satisfaction. Chaque fois que les disciples ont voulu le faire roi et l'amener à jouer un rôle sur le terrain proprement politique il s'est dérobé. Il avait du reste répondu à Satan qui lui offrait la terre et ses royaumes au début de son ministère public *Vade retro Satana : Arrière Satan.* Réfléchissant sur la manière inattendue et souvent déconcer­tante dont s'étaient accomplies les prédictions inspirées d'Israël, et considérant le décalage entre la figure et la réalité, le Père Lagrange devait écrire cette page lumineuse : 129:316 « Au moment où Jésus-Christ parut toute la question qui se posa, comme Pascal l'a compris, c'est de savoir si Dieu attachait plus d'importance à la gloire humaine des Juifs qu'au salut des âmes, au bonheur temporel d'une nation qu'à la réforme morale de tous les peuples, au triomphe des armes juives qu'à la victoire que chacun remporterait par la grâce sur les passions et sur le péché. Quand les apôtres eurent reconnu en Jésus de Nazareth celui que Dieu avait envoyé sur la terre pour enseigner aux hommes à aimer Dieu et leurs frères, ce qui était toute la loi, pour leur apprendre à être parfaits comme leur Père céleste est parfait, pour les réconcilier avec Dieu par son sang et par sa mort, quand ils eurent constaté qu'étant ressuscité il était monté au ciel, étant vraiment Fils de Dieu, ils ont estimé devant ce don de Dieu suprême, inespéré, ineffable, que tout ce qu'Israël avait rêvé pâlissait comme une espérance charnelle, étroite, peu digne de Dieu. Ayant vécu avec le Fils de Dieu ils jugèrent qu'un roi glo­rieux eût fait auprès de lui petite figure. « L'immense effusion de grâces dont ils étaient les instruments leur parut une œuvre divine qui rendait superflus les agrandisse­ments territoriaux d'Israël. Pouvait-on reprocher à Dieu de n'avoir pas tenu sa promesse envers son peuple, quand c'était à lui qu'il confiait d'appeler tous les peuples au véritable salut ? Pour com­prendre tout cela... il suffisait d'avoir l'âme religieuse, de désirer que Dieu fût connu et aimé, de mettre sa gloire à plus haut prix que celle d'Israël. C'est bien ce que veut dire Pascal, et c'est lui qu'il faut entendre : « Dans ces promesses-là chacun trouve ce qu'il a dans le fond de son cœur, les biens temporels ou les biens spirituels, Dieu ou les créatures ; mais avec cette différence que ceux qui y cherchent les créatures les y trouvent, mais avec plu­sieurs contradictions, avec la défense de les aimer, avec l'ordre de n'adorer que Dieu et de n'aimer que lui, ce qui n'est qu'une même chose, et qu'enfin il n'est point venu de Messie pour eux ; au lieu que ceux qui y cherchent Dieu le trouvent, et sans aucune contradiction, avec commandement de n'aimer que lui, et qu'il est venu un Messie dans le temps prédit pour leur donner les biens qu'ils demandent. » ([^77]) 130:316 Que Jésus-Christ soit le Souverain-Prêtre cela ne fait pas de difficulté pour nous. Nous savons en effet que Jésus-Christ est venu selon l'ordre religieux qui est l'ordre de la prière, du pardon des péchés, des rites qui nous rapprochent de Dieu. Nous entre­voyons que le titre de prêtre lui convient pleinement lorsque par exemple nous écoutons sa réponse à la Samaritaine : « L'heure vient où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » ; lorsque nous le voyons remettre les péchés de la Made­leine ou du paralytique. Enfin lorsqu'il donna aux Apôtres le pouvoir de pardonner les péchés à leur tour et lorsqu'il établit le rite de la nouvelle alliance en son sang, *dans le calice de son sang répandu pour la multitude humaine,* nous ne pouvons clouter qu'il détienne et qu'il exerce un pouvoir proprement sacerdotal. Il est possible que pour les Juifs de l'*Épître aux Hébreux* le sacerdoce de Jésus fût objet de doutes ou de difficultés du fait de ses diffé­rences profondes et fondamentales avec le sacerdoce lévitique. Pour nous, après vingt siècles de foi chrétienne, après la destruc­tion du Temple de Jérusalem et la disparition du culte qui s'y célébrait, la question du sacerdoce lévitique ne présente qu'un intérêt rétrospectif et ne nous empêche aucunement de saisir le bien-fondé de ce point de notre croyance : le Christ est véritable­ment prêtre ; il est prêtre souverain. Au contraire, s'agit-il du point de notre croyance relatif au Christ-Roi nous pouvons avoir des difficultés à le comprendre, du fait que le titre de roi ne s'applique pas d'abord à une réalité reli­gieuse. Alors que prêtre est un vocable du domaine religieux, roi est un vocable du domaine politique. Prêtre fait penser à prière, rite, groupe religieux. Roi évoque les idées de groupe politique, concorde, organisation sociale bonne et honnête. Or (quel chrétien pourrait en douter ?) Jésus-Christ est venu selon l'ordre religieux ; sa personne et sa mission se situent dans l'ordre religieux et non pas dans l'ordre politique. Dès lors comment devons-nous enten­dre son titre de roi ? D'autant que nous ne pouvons éluder la question : lui-même en effet revendique ce titre devant Pilate ; et l'Église catholique, son Épouse parfaitement intelligente et inspirée, a institué une fête pour célébrer sa dignité royale. Quelle que soit la difficulté, nous devons éviter de concevoir la royauté de Notre-Seigneur sur un type politique. Les textes ne le supporteraient pas et nous ferions violence à la commune tradition du christianisme. Il faut nier résolument que Jésus-Christ soit un roi politique, et qu'il exerce un pouvoir au sens des gouverne­ments de ce monde. Je sais bien que l'on parle beaucoup de la royauté sociale de Notre-Seigneur. 131:316 Nous verrons que c'est nor­mal et légitime ; nous verrons également que cette seigneurie sur la société civile, toute réelle qu'elle soit, n'est assimilable à la sei­gneurie d'aucun roi, empereur, gouverneur, dictateur : elle est autre chose que la seigneurie des grands de ce monde ; elle est de nature spirituelle, pour nécessaires et inévitables que soient ses répercussions sur les réalités temporelles. Vous penserez peut-être que je fais le jeu du laïcisme et de la laïcisation des institutions civiles en refusant toute conception politique de la royauté du Sei­gneur. Ayez un peu de patience, vous verrez que non, vous saisi­rez que le laïcisme n'est pas du tout favorisé, qu'il est réfuté au contraire, par l'affirmation de la nature propre du règne de Jésus-Christ. Plus nous voulons combattre les idées de ceux qui répètent avec les Juifs infidèles : *nous ne voulons pas que celui-ci règne sur nous,* plus nous voulons essayer de convaincre ceux qui s'égarent, et plus nous devons veiller à leur présenter le véritable visage du règne de Jésus-Christ. Or c'est un règne intérieur : c'est un règne d'ordre religieux. Vous me direz peut-être : dans le domaine reli­gieux vous nous avez dit que Jésus-Christ est prêtre ; cela n'est-il pas suffisant ? Quel besoin d'ajouter qu'il est roi ? En vérité, l'ex­cellence du Fils de Dieu, Sauveur des hommes, est tellement émi­nente que nous avons besoin de plusieurs termes pour la com­prendre ; de sorte que le vocable de roi ne fait pas double emploi avec celui de prêtre. Il y ajoute. Il y ajoute notamment l'idée sui­vante : de même que le roi se caractérise par le gouvernement d'un groupe politique, ordonné par le moyen d'une loi, de même Jésus-Christ gouverne, d'un gouvernement de sanctification, la mul­titude des hommes par une loi de grâce et par le Saint-Esprit, et d'autre part ce gouvernement ne peut pas demeurer étranger aux sociétés terrestres. Bref, le terme de roi appliqué à Notre-Seigneur complète le terme de prêtre en ajoutant des notions non seulement d'universalité et de loi de grâce mais aussi l'influence sur la société civile. Il faut en venir au texte capital, à cette réponse de Jésus à Ponce-Pilate qui ne laisse pas le moindre doute sur la nature inté­rieure du royaume qu'il est venu fonder. Déjà son refus de se lais­ser proclamer roi par la foule des Juifs, après le miracle de la multiplication des pains, et plus nettement encore son invective à Satan quand celui-ci lui offrait les royaumes de la terre, avaient situé dans ses vraies perspectives le royaume qu'il venait instaurer. 132:316 Mais le dialogue avec le gouverneur romain, à l'heure même de la condamnation à mort, est encore plus net et plus explicite : « *Jésus lui répondit : mon royaume n'est pas de ce monde ; si mon royaume était de ce monde mes serviteurs auraient combattu pour m'éviter d'être livré aux Juifs. Mais mon royaume n'est pas d'ici-bas. -- Alors Pilate lui dit : Tu es donc roi ? -- Jésus lui répondit : Tu dis bien, je suis roi, je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.* » Évidemment ces paroles veulent dire que le royaume de Jésus n'est pas assimilable aux autres, à aucun autre. Il ne se défend pas par les mêmes moyens. Et surtout il n'est pas situé au même niveau : il est situé à l'intime du cœur de l'homme, à cette profondeur où l'homme écoute la vérité qui vient d'en haut, la parole de vie qui le délivre, le convertit et le sauve. Intérieur et spirituel et situé dans le secret du cœur, dans ce sanctuaire où l'homme entend la voix de la grâce, le règne de Jésus-Christ est par le fait même ecclésial ; il se réalise indivisi­blement dans l'intime de nos âmes et dans toute l'Église. Cela se comprend sans difficulté. Dans l'Église en effet intériorité et société ne s'opposent pas mais coïncident. L'Église est la seule société qui se situe au niveau du secret des cœurs, à ce recès dernier où l'âme communique avec Dieu ; car les paroles que dit l'Église ne sont autres que les paroles de Dieu ; et les sentiments qui se dévelop­pent dans l'Église et par elle ne sont autres que ceux de la grâce et de l'amour divin. Eh ! bien donc, le règne du Christ est indissolublement inté­rieur et ecclésial, et même si l'attitude scandaleuse de tel chrétien nous révoltait et nous induisait en tentation nous ne devons pas mettre d'antinomie entre la vie intérieure personnelle et la vie dans l'Église. Bien plutôt, que l'enseignement de l'Évangile nous suffise. Assurément, et nous l'avons déjà dit, le règne que Jésus est venu instaurer est religieux et d'une religion de conversion et de com­munion avec Dieu. L'Évangile le proclame ou l'insinue à toutes les pages. Cependant pour intérieur qu'il soit ce règne de Dieu, et même secret, caché, mystique, Jésus n'a jamais laissé entendre qu'il pouvait se passer de rites et de ministres, qu'il était au-delà de l'Église ou à côté. La religion intérieure que Jésus a fondée est en même temps ecclésiale. Arrachez de l'Évangile (et de saint Paul) ce qui concerne l'Eucharistie et le sacerdoce, la prédication assistée par l'Esprit Saint et la hiérarchie qui ne doit pas s'écrou­ler, supprimez de l'Évangile les passages qui montrent la connexion entre le pain vivant et la vie théologale, 133:316 entre l'union avec Dieu et les pouvoirs divins de la hiérarchie, bref, essayez de retenir de l'Évangile uniquement ce qui est intérieur en rejetant ce qui est visible et juridique et vous laissez échapper même ce qui est inté­rieur. Votre Évangile n'est plus le véritable. Dans l'Évangile -- tel qu'il est écrit et que nous le lisons -- le règne de Jésus-Christ apparaît en même temps intérieur et relatif à une société et des pouvoirs hiérarchiques, et intérieur parce qu'il est relatif à cette société surnaturelle et à ses pouvoirs. Du reste le sens chrétien n'hésite pas là-dessus. Le chrétien qui aspire à la douceur et à l'humilité, à la pureté et au service désin­téressé de son prochain, *à être seul avec le seul,* totalement livré pour l'amour de son Dieu et pour le salut de ses frères, bref le chrétien qui aspire à la sainteté et à l'imitation de Jésus-Christ ne pensera pas qu'il peut négliger l'Eucharistie et laisser de côté la doctrine et les enseignements que lui transmet la hiérarchie sacer­dotale. Les prêtres peuvent être décevants ; comme déjà au temps de saint Paul les ministres de l'Évangile peuvent mêler tellement leurs passions et leurs intérêts à l'annonce du message sacré ([^78]) qu'il soit difficile de distinguer celui-ci et que l'on ne puisse pas s'y reconnaître sans une simplicité d'enfant et une générosité hé­roïque, il n'en demeure pas moins que le chrétien disciple de Jésus-Christ qui aspire à *la sanctification de son nom et à la venue de son règne* ne pensera jamais à se soustraire à l'Église. Plus il fera l'expérience que l'Église ne se confond pas avec la faiblesse ou la malice de certains de ses membres, plus également il voudra vivre de l'Église et fera ce qui est en lui, au-dedans et au dehors, pour que l'Église s'accroisse en mérite et en nombre ([^79]) tant il est vrai que, d'un même mouvement et par une même démarche, nous comprenons que le règne de Jésus-Christ est intérieur et *dans* une société hiérarchique surnaturelle et *par* une telle société. « Tout cela est bien beau et c'est même vrai, pourra dire tel père ou telle mère de famille ; en attendant les lois et les coutumes de mon pays rendent extrêmement difficile la tâche de l'éducation des enfants déjà assez ardue par elle-même. 134:316 Le divorce qui se généra­lise, le pullulement des films infects, un régime scolaire qui tend vers le monopole d'État, tout cet ensemble crée une pression sociale écrasante qui ne favorise guère le règne de Jésus-Christ dans l'âme des petits. J'entends bien que, en tout état de cause et même dans l'hypothèse la meilleure, les petits (et aussi les grands) seront un jour ou l'autre excités à mal penser et à mal faire aussi bien par la faute des méchants que par la faute de ceux qui se disent « les bons ». Mais autre chose être incliné au mal par une rencontre individuelle ; autre chose être scandalisé par tout l'en­semble de la vie en société. Le scandale reçoit des coutumes et des lois une virulence, une ampleur, un crédit que ne saurait lui confé­rer une personne seule : mis en loi, mis en idée, mis en œuvre d'art le scandale accroît prodigieusement sa force. Vous nous rap­pelez avec raison que Jésus-Christ n'a pas voulu un règne politi­que et qu'il a refusé la puissance de César. Un père de famille devrait-il en tirer la conclusion de former ses enfants à la vie spiri­tuelle sans se préoccuper d'une société qui les scandalise ? » Il faut répondre non. Il faut répondre que les humains n'étant pas des esprits désincarnés le salut des âmes mêmes demande que la royauté de Jésus-Christ s'étende sur la société. L'exemple du père ou de la mère de famille que je viens de proposer est immédiatement perceptible, même pour celui qui manque d'expérience politique. Mais une foule d'autres exemples sont également faciles à saisir. Ainsi remarquons la situation faite en France à la médecine, ou aux entreprises industrielles ou à la représentation des corps intermédiaires. La médecine est en passe de n'être plus qu'une ex-profession libérale et les médecins sont exposés à tomber dans le fonctionnariat ; en beaucoup d'entre­prises, l'État devient l'actionnaire principal et se substitue aux citoyens dans la tâche de direction ; la représentation des corps intermédiaires du pays est extrêmement mal assurée. Tout cela est le signe certain de l'étatisme envahissant, d'un empiètement de l'État sur des terres qui ne sont pas les siennes, d'une espèce de tyrannie qui pour être relativement douce et dissimulée n'en est pas moins réelle. Dirons-nous que ce sont des abus, sans doute regrettables, mais qu'ils n'ont pas de lien avec la royauté de Jésus-Christ ou que leur lien est très lâche et très mince ? Si nous avons le sens de la religion intérieure nous inclinerons peut-être à penser comme cela. Mais si notre sens de la religion intérieure devient plus affiné et plus pur, alors nous changerons d'avis. Qui aspire au règne de Jésus-Christ dans son propre cœur et dans le cœur de ses frères ne s'accommodera pas de savoir ses frères scandalisés par leur milieu, exposés à la corruption du cœur par le statut de la société. 135:316 Il refusera farouchement une société scandaleuse. Or une société de forme étatiste est une société scandaleuse. Elle tend à rabaisser l'être humain au niveau d'administré de moins en moins responsable ; elle transforme l'homme en une espèce de rouage. La vertu, l'honneur, la droiture, la générosité ne peuvent en être favorisés, au contraire. C'est tellement vrai que la Sainte Église, qui est le royaume de Dieu parmi les hommes, ne cesse pas depuis un siècle de dénoncer l'étatisme. Et si elle mène la lutte pour une constitution des États non point scandaleuse mais conforme au droit naturel, c'est au nom même du salut éternel de ses enfants. C'est aussi au nom de la paix et du bonheur de la société civile. Pourtant la raison principale de ses interventions, instructions, exhortations, c'est bien le salut éternel des âmes et le règne mystique de son Époux. Il n'est que de lire et d'écouter. De sorte que, exposant le mystère du Christ-Roi, j'ai la certitude de ne point passer à côté si je vais chercher, en plus des révélations mystiques des Écritures, les notions élémentaires du droit naturel et si je fais allusion par exemple au statut des professions libérales, des entreprises industrielles ou de la représentation des citoyens. Semblablement, il y a un siècle de cela, les crocheteurs du port de Marseille ne pensaient pas qu'il leur suffisait pour vivre en chrétiens d'assister à la messe le jour des saints patrons de la cor­poration : leur loi dans le Seigneur et leur volonté de le servir les avaient conduits à élaborer « sous les glorieux titres des saints Pierre et Paul et de Notre-Dame de Grâce » une belle charte réa­liste, conforme aux humbles exigences de leur rude métier. Vouloir une société conforme au droit naturel est une consé­quence de la vie intérieure. L'homme en effet qui aura reçu la vérité du Christ, qui le laissera purifier et convertir son âme, qui dès lors sera pleinement d'Église -- un tel homme qui acceptera la royauté intérieure de Jésus, quand il mettra la main aux activi­tés profanes ne pourra pas le faire comme s'il n'était pas donné au Christ. Qu'il remplisse sa mission de père de famille ou de chef d'entreprise, de poète ou de médecin, il essaiera de rendre hom­mage dans l'accomplissement de ces tâches terrestres à Jésus-Christ qui vit en lui, qui est son roi et son tout. Comment lui rendra-t-il cet hommage, et comment va-t-il manifester qu'il le reconnaît comme roi dans ses activités profanes elles-mêmes ? 136:316 Par une offrande religieuse et en priant au début de ses actions ! Sans doute. Mais enfin ses actions ont une certaine loi propre. Actions de médecin ou de poète, de père de famille ou de chef d'entre­prise, elles doivent être droites ; elles sont régies par un certain droit naturel. Dès lors, c'est en accomplissant ces tâches terrestres conformément au droit naturel et non seulement en leur donnant un encadrement religieux, que le chrétien manifestera la royauté du Christ sur ses activités profanes. -- J'ai considéré le chrétien individuellement. Dans la réalité, les choses ne se passent pas ainsi, l'homme n'est pas une monade sans porte ni fenêtre ; le chrétien vit en société. Dès lors le règne intérieur de Jésus-Christ demandera non seulement que les actions personnelles soient accomplies dans la religion et l'amour et conformes au droit natu­rel, mais aussi que les mœurs, les coutumes, les lois soient confor­mes au droit naturel. Si le règne du Christ est intérieur et ecclésial il s'ensuit inévita­blement qu'il est social ; non pas en ce sens que le Christ exerce­rait par lui-même ou par des ministres qu'il aurait institués une autorité politique ; non pas en ce sens qu'il aurait établi la législa­tion et les coutumes des sociétés temporelles, mais en ce sens que sa royauté intérieure ou ecclésiale oriente dans un certain sens, dans le sens de la fidélité à la loi divine les activités profanes et tend à donner une certaine forme aux lois et aux coutumes ; en bannit certaines, en développe d'autres. Je me hâte de conclure par le rappel et le commentaire d'un passage souvent allégué de l'encyclique *Quas primas* ([^80]) : « A l'égard (de l'universalité de l'empire du Christ) il n'y a lieu de faire aucune différence entre les individus, les familles et les États, car les hommes ne sont pas moins soumis à l'autorité du Christ dans leur vie collective que dans leur vie privée. » Pas moins parce que la loi du Christ et l'action de sa grâce les atteignent dans leur vie collective aussi bien que dans leur vie privée. Pas moins, mais *d'une manière autre.* Il est quand même évident, pour prendre un exemple, que si la loi du Christ et l'influence de sa grâce viennent toucher à l'intime de leur cœur un peintre ou un architecte pour les éveiller à la vie de prière et à l'union avec Dieu, cependant l'action vivifiante et transformante du Christ ne révéleront pas à ces artistes les règles de leur art, ni même le statut le plus sage de leur profession. 137:316 L'action spirituelle du Christ et de son Église exercera une influence certaine sur le statut de leur profession afin de le rendre conforme à la justice (en tenant compte de la situa­tion historique concrète). Mais l'action spirituelle du Christ et de son Église ne définira pas ce statut. De même l'action spirituelle du Christ et de son Église en purifiant l'imagination créatrice permettra à leur art de donner ses plus beaux fruits ; mais elle ne transformera pas directement l'imagination créatrice. En ce qui touche la vie collective, c'est-à-dire la politique, la culture et la civilisation, l'autorité du Christ revêt une autre forme que dans le domaine de la vie privée, dans le domaine de la vie intérieure, du secret des cœurs, de la communion avec Dieu au sein de l'Église. C'est pourquoi le Seigneur a refusé inflexiblement d'être roi comme les rois de ce monde. On dit quelquefois que sa royauté n'est pas de ce monde mais qu'elle est sur ce monde. C'est très vrai. Encore faut-il entendre que cette royauté sur les choses de ce monde, par exemple sur les techniques, les cultures et les gouver­nements, ne ressemble pas à sa royauté sur l'Église, à sa royauté dans l'ordre de la conversion et de la vie théologale. De cette royauté de Jésus-Christ sur les choses de ce monde quels sont les caractères et comment parvient-elle à se réaliser ? Tout d'abord le Christ sanctifie les personnes assez profondément pour qu'elles remplissent avec sainteté, et donc en faisant tout ce qui est juste, les offices divers de leur vie en ce monde, dans la famille, la profession et le gouvernement. Ensuite le Christ, par son Église, garde et explique le droit naturel -- un droit naturel chrétien ; l'Église, Épouse du Christ, non seulement proclame la Révélation mais encore elle dit le droit naturel, de telle sorte que la famille, la profession, l'État pratiquent la justice chrétienne et favorisent ainsi le bien humain et la vie théologale. Enfin, dans certaines occasions le Christ, par son Église, intervient d'autorité en des questions de soi temporelles, mais qui sont devenues ques­tions d'Église, questions spirituelles *ratione peccati* ([^81])*.* 138:316 L'apparte­nance à un syndicat par exemple est en elle-même une question temporelle ; or dans certaines circonstances, *ratione peccati,* l'Église peut interdire, au nom de Jésus-Christ, l'appartenance à tel syndicat. Au reste l'histoire politique depuis la première annonce de l'Évangile prouve surabondamment que la Sainte Église qui est la même chose que le royaume spirituel de Jésus ne peut pas éviter de faire naître et de préserver un certain type de civilisation. L'Église tend à se prolonger en chrétienté dans la mesure même où les membres de l'Église sont engagés dans la société civile, y exercent un office, y détiennent une responsabilité. J'entends bien que l'Église transcende les civilisations et ne s'identifie à aucune d'elles. Mais à travers des civilisations différentes, l'Église, le royaume spirituel de Jésus, tend à faire valoir les normes constan­tes du droit naturel, quelles que soient les vicissitudes historiques. On pourrait faire observer que, dans sa réponse à Pilate, le Seigneur Jésus ne fait pas la moindre allusion aux conséquences sociales de son règne spirituel. La remarque est juste assurément. Nous répondrons que la Révélation du Seigneur comme il l'a déclaré à plusieurs reprises ([^82]) devait être explicitée par son Épouse, par l'Église sainte et inspirée ; ensuite qu'il convenait par-dessus tout de ne laisser pas la moindre équivoque sur la nature très particulière de sa royauté. Si la qualité religieuse et sainte en était reconnue, les conséquences sociales se tireraient comme d'elles-mêmes. On le voit, le laïcisme n'a pas à glaner la miette la plus petite dans la réponse de Jésus à Ponce-Pilate, dans l'Évangile de la messe du Christ-Roi. La théorie qui définit les réalités profanes et les choses de César comme étrangères au royaume spirituel du Seigneur, à sa doctrine et à sa grâce (à l'Église qui est son achè­vement mystique, qui transmet sa doctrine et communique sa grâce) bref la théorie de la laïcisation de la cité ne peut d'aucune façon et par aucune exégèse sérieuse se réclamer de l'Évangile. On pourrait m'objecter : « Vous allez chercher trop loin, en des régions trop mystiques pour une chose aussi simple que l'or­dre normal et honnête des institutions. Pourquoi donc remonter aux Évangiles et aux mystères de la vie surnaturelle ? 139:316 Vous désirez une société qui soit d'aplomb ? Eh ! bien, mais cette rectitude est une question d'observation, de réflexion et de bon sens. Libre à vous de recourir à la révélation et à la mystique, mais ce n'est peut-être pas nécessaire. » Je saisis l'objection ; je saisis surtout qu'elle ne tient pas compte de l'état concret de notre nature. L'ob­jection méconnaît la position existentielle de notre nature, l'état de fait dans lequel se trouve notre nature et ce qui est droit pour elle, ce qui constitue son droit naturel. Car notre nature et son droit naturel sont placés de fait dans un état de chute et de rédemption ; nous sommes blessés en Adam et rachetés en Jésus-Christ. C'est pourquoi, s'il refuse le règne intérieur de Jésus-Christ, l'homme ne travaillera pas longtemps ou bien il travaillera de tra­vers à l'instauration et à la sauvegarde d'un ordre de la cité nor­mal et honnête. Il faudrait ne pas connaître l'homme, l'homme en son privé et l'homme en sa vie publique, son triste penchant à voir mal et à faire mal, il faudrait ignorer aussi que le diable s'oc­cupe activement à démolir, à corroder, à corrompre toute institu­tion honnête, pour imaginer que nous serons capables sans la grâce du Christ de ne pas répondre au mal par le mal ; -- sans le désir de sainteté en nos pensées et nos actions, un jour ou l'autre nous prendrons des armes de sottise et d'iniquité pour soutenir des institutions d'intelligence et de justice, et pour autant nous travaillerons à leur ruine. Longuement nous nous sommes expliqué là-dessus : « Il faut se garder de dire : les institutions suffisent, après tout l'ordre de la cité étant un effet politique il suffit, pour l'assurer, de cette cause politique que représentent les bonnes institutions. Car enfin les ins­titutions sont établies par des hommes ; des hommes pécheurs et rachetés qui, par le pire d'eux-mêmes comme par le meilleur, dépassent infiniment l'ordre politique et ses institutions ; des hom­mes qui, tout en étant engagés dans l'ordre politique ne s'y rédui­sent aucunement. C'est pourquoi il ne faut pas seulement dire : à effet politique cause politique, il faut ajouter : à effet politique -- cause politique et surpolitique ; à effet politique conforme au droit naturel : héroïsme chrétien et justes institutions. » ([^83]) 140:316 Que l'histoire vienne ici nous éclairer. Rappelons nos lectures sur la Guerre de Cent ans, le règne de Charles VI, les débuts du règne de Charles VII. Nous voyons bien que des résultats politi­ques, aussi purement politiques que l'indépendance d'un royaume, la fin du régime des partis, la reconnaissance devant Dieu et à cause de Dieu du souverain légitime, ces résultats de nature politi­que n'ont été obtenus que par la sainteté de la Pucelle et n'au­raient pas été obtenus par d'autres moyens. Une sagesse et une générosité qui n'auraient point procédé de l'union à Jésus-Christ auraient été vaines et sans effet ([^84]). Aussi bien, dans la condition présente, les résultats, même simplement politiques, mettent-ils en cause un homme et une cité qui ne sont plus dans leur état de nature, qui sont situés en régime chrétien. Ou, d'un autre point de vue, le droit naturel for­mule bien les lois naturelles de l'être humain et de la société d'ici-bas ; mais ces lois naturelles ne sont pratiquées et praticables (et même pleinement connaissables) que dans un régime chrétien. C'est pourquoi du reste je me sers ordinairement de l'expression droit naturel en régime chrétien, ou droit naturel ouvert à l'Évangile. Dans notre état de fait le droit naturel n'est pas clos, il ne peut pas l'être. Il est le droit d'une nature qui n'est pas close mais qui est gâtée par le diable et vivifiée par la grâce de la croix rédemptrice. Dans ces conditions comment arriverons-nous à met­tre en pratique un droit naturel ouvert à l'Évangile, un droit natu­rel en régime chrétien, si nous sommes fermés à l'Évangile, si nous ne laissons pas Jésus-Christ régner librement sur notre âme et notre esprit, notre cœur et toutes nos forces ? Songez au mariage et à la famille ; à l'éducation des enfants ; aux conditions du tra­vail et au rôle de l'argent ; comment voulez-vous, dans la situa­tion de fait de notre nature, que des institutions qui ne seront pas ouvertes à l'Évangile parviennent à ordonner droitement les réali­tés familiales et scolaires, professionnelles et économiques ? Le bon sens ne sentira tout à fait bien, au sujet de ces réalités, que s'il est aidé par le sens chrétien. La bonne volonté ne réussira à instaurer de belles coutumes que si elle est purifiée et confortée par la grâce de Jésus-Christ. De tout ceci on comprendra sans peine les conséquences. Alors que la royauté du Christ dans le domaine religieux, dans l'ordre de la conversion et de la vie théologale, se réalise avant tout par le sacerdoce, puisque c'est le prêtre qui est ministre de la grâce et de l'Évangile, la royauté du Christ sur les choses de ce monde se réalise avant tout par le laïcat. C'est la mission propre des laïcs de susciter et de maintenir des institutions temporelles conformes à la justice chrétienne. 141:316 Dans cette œuvre difficile et toujours à reprendre qu'ils ne se laissent pas égarer par la tentation du laïcisme ; mais aussi qu'ils repoussent résolument les intrusions abusives des clercs et les cléri­calismes de toute farine ([^85]), y compris ce cléricalisme inversé qui se répand de nos jours, où l'on voit des prêtres du Seigneur se réclamer de la religion et de l'Évangile pour dégoûter les laïcs de promouvoir un ordre temporel en accord avec la religion et l'Évangile. Pourtant la trahison des clercs n'abolit pas la cléricature. Avec ses clercs et sa hiérarchie l'Église restera toujours l'Épouse intelli­gente et fidèle qui ne saurait jamais altérer la parole de son Époux. L'Église répète, avec une sûreté infaillible, et en le tradui­sant pour chaque génération nouvelle, le message évangélique : les Béatitudes, la purification du cœur, le culte en esprit et en vérité, le primat de la contemplation. Que les défauts des clercs n'empê­chent pas les laïcs d'entendre ce message -- que les clercs du reste devraient être les premiers à entendre. Que les laïcs, afin de tra­vailler à la royauté du Christ dans l'ordre social, prêtent l'oreille à la doctrine et à l'enseignement de l'Église sur l'ordre social chré­tien, *mais d'abord à son enseignement sur l'ordre religieux chrétien ;* et qu'ils fassent le lien entre l'un et l'autre ; ou plutôt le lien est fait ; qu'ils le considèrent donc attentivement. S'ils écoutent la voix de l'Épouse ils apprendront à ne mettre en œuvre que des moyens purs. Et ceci est d'une capitale impor­tance. En effet l'ordre social chrétien étant un ordre de vérité et de justice comment le servir, comment y travailler sans hypocrisie, si l'on ne veillait pas à utiliser uniquement des armes de vérité et de justice ? Cependant on ne saurait utiliser de telles armes, on ne saurait même les discerner, si l'on ne désire pas ardemment la pureté du cœur, si la prière ne pénètre pas peu à peu toute la zone des sentiments. 142:316 Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice. Pureté des moyens, primauté effective de la contemplation, effort réaliste pour susciter ou défendre des institutions honnêtes, ces trois choses sont liées. Dans le nécessaire combat pour rendre à Jésus-Christ les choses de la vie sociale et politique que les laïcs ne se laissent pas détourner de l'intérieur, qu'ils sachent que l'effort temporel pour assainir les institutions demeurerait très insuffisant si l'on ne dési­rait pas d'être purifié, et d'être purifié au travers de cet effort temporel même. Enfin puissent-ils comprendre qu'il est une façon de poursuivre cet effort temporel qui approfondit la purification du cœur et la prière. L'ordre temporel chrétien, c'est-à-dire la civilisation chrétienne avec ses styles différents tout au long de l'histoire, n'obtiendra jamais le même degré de pureté que l'ordre spirituel chrétien c'est-à-dire la Sainte Église. Alors par exemple que l'Église demande de ses enfants pour qu'ils soient pleinement ses enfants, d'être parfaits comme le Père céleste est parfait ; alors qu'elle leur donne de réali­ser la sainteté qu'elle leur demande, une patrie même chrétienne, un groupement professionnel même chrétien, ne peuvent pas, en tant que patrie ou groupement, demander la sainteté. A la diffé­rence de l'Église en effet, la patrie ou le groupement professionnel ne sont pas situés au niveau de la communion avec Dieu et de la grâce rédemptrice. La royauté du Christ sur le temporel, même dans ses réalisations splendides, n'aura jamais la beauté sans tache de sa royauté sur le spirituel ; seule la cité sainte est toute belle (Eph. 5, 27). Imparfait quant à son degré de pureté, l'ordre temporel chré­tien l'est encore pour une autre raison. Au dehors il est toujours en butte aux persécutions et aux attaques, et le pharisaïsme cherche à le miner de l'intérieur. Devons-nous renoncer pour autant à faire naître ou à préser­ver un ordre temporel chrétien ? A Dieu ne plaise, et nous avons montré assez longuement que les institutions doivent être rendues dignes de Jésus-Christ de façon à aider son règne intérieur dans les âmes, son règne ecclésial. Dès lors encore que la civilisation chrétienne, avec ses styles différents au cours de l'histoire, doive toujours demeurer imparfaite, nous ne nous engageons pas impar­faitement à son service. 143:316 Nous mènerons le combat de tout notre cœur en nous servant avec pureté des armes convenables ([^86]). Il en est de l'effort du chrétien au plan temporel comme de l'effort d'une mère pour la guérison de son fils malade. Elle a beau savoir que la santé, même si elle revient, sera insuffisante et menacée, la mère ne soigne pas simplement à peu près. L'amour de son fils autant que la fidélité à Dieu lui demandent de s'engager tout entière. Son dévouement maternel, sans affolement et sans fureur, pénétré au contraire de paix et d'abandon, n'en est pas moins un dévouement total. 144:316 ANNEXE 6  ### Notre-Dame du temps de l'Antéchrist *Chapitre 6, p. 64* « Je voudrais vivre au temps de l'Antéchrist » écrivait la petite Thérèse ([^87]) sur son lit d'agonie. Nul doute que la Carmélite qui s'est livrée en *victime d'holocauste à l'amour miséricordieux* ne doive intercéder spécialement quand se lèvera l'Antéchrist ; nul doute qu'elle n'intercède déjà tout spécialement en notre époque où les précurseurs de l'Antéchrist ont pénétré dans le sein de l'Église ; nul doute surtout que sa prière ne se perde dans une supplication qui est, pour ainsi dire, infiniment plus puissante celle de la Vierge Mère de Dieu. Elle qui écrase le Dragon par sa conception immaculée et sa maternité virginale, elle qui est glori­fiée jusque dans son corps et qui règne dans le ciel auprès de son Fils, elle domine en souveraine tous les temps de notre histoire et particulièrement les temps plus redoutables pour les âmes : les temps de la venue de l'Antéchrist ou ceux de la préparation de cette venue par ses diaboliques précurseurs. Marie se manifeste non seulement comme la Vierge puissante et consolatrice dans les heures de détresse pour la cité terrestre et pour la vie corporelle ; elle se montre surtout comme la Vierge secourable, *forte comme une armée rangée en bataille,* dans les périodes de dévastation de la sainte Église et d'agonie spirituelle de ses enfants. Elle est reine pour toute l'histoire du genre humain, *non seulement pour les temps de détresse mais pour les temps d'Apocalypse.* 145:316 -- Un temps de détresse fut celui de la grande guerre : hécatombes des offensives mal préparées, écrasement implacable sous un ouragan de fer et de feu : Forêt de Rossignol et Bois des Caures ; Ravin de la mort et Chemin des Dames... Combien d'hommes, ayant bouclé leur ceinturon, partaient avec la certitude terrible de périr dans cette tornade hallucinante, sans jamais voir apparaître la victoire ; parfois même, et c'était le plus atroce, un doute effleurait leur esprit sur la valeur des chefs et le bien-fondé du commandement. Mais enfin sur un point ils n'a­vaient pas de cloute, sur une question qui dépassait toutes les autres : celle de l'autorité spirituelle. L'aumônier qui assistait ces hommes voués à servir la patrie jusqu'à la mort était d'une fer­meté absolue au sujet de tous les articles de la foi et la pensée ne lui serait jamais venue d'inventer je ne sais quelle transformation « pastorale » de la sainte messe ; il célébrait le saint Sacrifice selon le rite et les paroles antiques ; il le célébrait avec une piété d'autant plus profonde, une supplication d'autant plus ardente qu'ils pouvaient être appelés d'un moment à l'autre, lui prêtre désarmé et ses paroissiens en armes, à unir leur sacrifice de pau­vres pécheurs rachetés à l'unique sacrifice *du Fils de Dieu qui enlève les péchés du monde.* La fidélité de l'aumônier s'appuyait elle-même, tranquillement, à la fidélité de l'autorité hiérarchique qui gardait et défendait la doctrine chrétienne et le culte tradition­nel ; qui n'hésitait pas à bannir de la communion catholique les hérétiques et les traîtres. Sur le front de bataille, tout à l'heure, dans quelques instants peut-être, les corps allaient être broyés, déchiquetés, dans une horreur sans nom ; ce serait peut-être la suffocation inexorable la lente asphyxie sous une nappe de gaz, mais malgré le supplice du corps, l'âme resterait intacte, sa séré­nité serait inaltérée, son recès suprême ne serait pas menacé, le plus noir des démons, celui des suprêmes mensonges, ne ferait pas entendre son ricanement, l'âme ne serait point livrée à l'attaque perfide, lâchement tolérée, des pseudo-prophètes de la pseudo-Église ; malgré le supplice du corps l'âme s'envolerait de la retraite tranquille d'une foi protégée vers la retraite lumineuse de la vision béatifique en Paradis. La grande guerre fut un temps de détresse. Nous voici entrés désormais dans un temps d'Apocalypse. Sans doute nous n'en sommes pas encore à l'ouragan de feu qui affole les corps, mais nous en sommes déjà à l'agonie des âmes, parce que l'autorité spi­rituelle paraît ne plus s'occuper de les défendre, semble se désinté­resser aussi bien de la vérité de la doctrine que de l'intégrité du culte, *du fait qu'elle renonce ostensiblement à condamner les coupa­bles.* 146:316 C'est l'agonie des âmes dans la sainte Église minée de l'inté­rieur par les traîtres et les hérétiques qui ne sont toujours pas bannis. (Pendant la durée de l'histoire il y eut déjà d'autres temps d'Apocalypse. Souvenons-nous, par exemple, des interrogatoires de Jeanne d'Arc privée des sacrements par les hommes d'Église, relé­guée au fond de son noir cachot sous la garde d'affreux geôliers.) Mais les temps d'Apocalypse sont toujours marqués par les vic­toires de la grâce. Car même lorsque les bêtes de l'Apocalypse pénètrent jusque dans la cité sainte et l'exposent aux derniers périls, l'Église ne cesse pas de rester l'Église : cité bien-aimée inex­pugnable au démon et à ses suppôts, cité pure et sans tache dont Notre-Dame est Reine. C'est elle, la Reine Immaculée, qui fera raccourcir par le Christ son Fils les années sinistres de l'Antéchrist. Même et sur­tout durant cette période, elle nous obtiendra de persévérer et de nous sanctifier. Elle nous conservera la part dont nous avons absolument besoin d'autorité spirituelle légitime. Sa présence au Calvaire, debout au pied de la croix, nous le présage infaillible­ment. Elle se tenait debout au pied de la croix de son Fils, le Fils de Dieu en personne, afin de s'unir plus parfaitement à son sacri­fice rédempteur, afin de mériter en lui toute grâce pour les enfants d'adoption. Toute grâce : la grâce pour affronter les tentations et les tribulations qui jalonnent les existences les plus unies, mais aussi la grâce de persévérer, se relever, se sanctifier dans les pires épreuves ; les épreuves de l'épuisement du corps et les épreuves, bien plus noires, de l'agonie de l'âme ; les temps où la cité char­nelle devient la proie des envahisseurs et surtout les temps où l'Église de Jésus-Christ doit résister à l'autodestruction. En se tenant debout au pied de la croix de son Fils, la Vierge Mère dont l'âme fut déchirée par un glaive de douleur, la divine Vierge qui fut broyée et accablée comme nulle créature ne le sera jamais, nous fait saisir, sans laisser de place à l'hésitation, qu'elle sera capable de soutenir les rachetés lors des épreuves les plus inouïes, par une intercession maternelle toute pure et toute puissante. Elle nous persuade, cette Vierge très douce, *Reine des martyrs,* que la victoire est cachée dans la croix elle-même et qu'elle sera manifes­tée ; le matin radieux de la résurrection se lèvera bientôt pour le jour sans déclin de l'Église triomphante. 147:316 Dans l'Église de Jésus en proie au modernisme jusque parmi les chefs, à tous les degrés de la hiérarchie, la souffrance des âmes, la brûlure du scandale atteignent une intensité bouleversante ; ce drame est sans précédent ; mais la grâce du Fils de Dieu rédemp­teur est plus profonde que ce drame. Et l'intercession du Cœur Immaculé de Marie, qui obtient toute grâce, ne s'interrompt ja­mais. Dans les âmes les plus abattues, les plus près de succomber, la Vierge Marie intervient nuit et jour pour dénouer mystérieuse­ment ce drame, rompre mystérieusement les chaînes que les dé­mons imaginaient incassables. *Solve vincla reis.* Nous tous que le Seigneur Jésus-Christ, par une marque d'hon­neur singulière, appelle à la fidélité dans ces périls nouveaux, dans cette forme de lutte dont nous n'avions pas l'expérience, -- la lutte contre les précurseurs de l'Antéchrist qui se sont introduits dans l'Église, -- revenons à notre cœur, revenons à notre foi ; souvenons-nous que nous croyons en la divinité de Jésus, en la maternité divine et la maternité spirituelle de Marie Immaculée. Entrevoyons au moins la plénitude de grâce et de sagesse qui est cachée dans le Cœur du Fils de Dieu fait homme et qui dérive efficacement vers tous ceux qui croient ; entrevoyons aussi la plé­nitude de tendresse et d'intercession qui est le privilège unique du Cœur Immaculé de la Vierge Marie. Recourons à Notre-Dame comme ses enfants et nous ferons alors l'expérience ineffable que les temps de l'Antéchrist sont les temps de la victoire : victoire de la Rédemption plénière de Jésus-Christ et de l'intercession souve­raine de Marie. 148:316 ## Postface ([^88]) NÉ LE 11 MAI 1914, baptisé le 13 à Sauveterre-la-Lémance (Lot-et-Garonne), le Père ROGER-THOMAS CALMEL, prêtre de l'Ordre des Frères prêcheurs, est mort le 3 mai 1975. Il a été inhumé le 5 mai, en la fête du pape dominicain saint Pie V, dans le jardin des Dominicaines enseignantes de Saint-Pré du Cœur Immaculé, à Brignoles (Var), où l'on peut aller vénérer son tombeau. Il était venu à ITINÉRAIRES en 1958. Nous avons travaillé ensemble pendant dix-sept années. Son contrat tenait en peu de mots : je lui avais demandé d'être, à la revue, un prêtre de l'Ordre de saint Dominique. Il m'avait répondu qu'il ne pouvait ni ne voulait être autre chose. Mais en 1958, nous n'imaginions pas encore où cela nous conduirait. \*\*\* Il y avait pourtant, déjà, des difficultés. Elles nous paraissent bénignes maintenant, par comparaison avec celles qui sont venues ensuite. Bénignes sans doute, mais de même nature qu'aujour­d'hui : ce n'étaient pas des difficultés ordinaires. L'Église était de plus en plus occupée par un parti ennemi, par une puissance étrangère à son être historique : en France du moins, malgré Pie XII, malgré une curie romaine qui avait encore ses Ottaviani et ses Pizzardo. L'Église de France était occupée et tenue par une gauche maçonnique et moderniste que couronnait le trio cardina­lice Liénart-Feltin-Gerlier. 149:316 Les dominicains parlaient, écrivaient, s'éditaient partout, pourvu que ce fût à gauche et pour la gauche, toujours couverts par leurs supérieurs locaux ; mais que le domi­nicain Calmel ait le dessein d'écrire dans ITINÉRAIRES, c'était loca­lement, déjà en 1958, encore sous Pie XII, un intolérable scandale, ce n'était pas possible, ce n'était pas permis. Par la suite les dominicains de la mouvance Chenu-Congar racontèrent qu'ils avaient été martyrisés sous Pie XII : si peu, en vérité, que malgré quelques sanctions romaines leur clan restait le maître en France, où il brimait et persécutait à son gré les dominicains accusés d' « intégrisme », les empêchant d'écrire et de parler. Si bien que les premiers articles du P. Calmel dans ITINÉRAIRES durent paraître sous le pseudonyme de « Roger Thomas ». Il me fallut aller jus­qu'à Rome pour obtenir, au plus haut niveau du gouvernement de l'Ordre dominicain et de la curie romaine, l'autorisation. C'est seulement au mois de mai 1959 qu'il put commencer à signer. Jean XXIII s'installait à peine, Rome croyait pouvoir s'en consoler en chuchotant : « Les papes passent, la curie demeure », axiome souvent vérifié dans le passé qui allait bientôt être renversé, mais point trop tant que le cardinal Tardini serait là. Il y avait encore, au début de l'année 1959, des possibilités d'être entendu à Rome, et l'autorisation donnée au P. Calmel d'écrire autant qu'il le vou­drait dans ITINÉRAIRES tombait de si haut que personne, pendant longtemps, n'osa la remettre en question. Jusqu'au moment où ces sortes d'autorisations ayant perdu toute valeur morale, on n'y prêta plus attention. \*\*\* Du temps de Pie XII, le clan déjà dominant dans l'Église de France nous accusait couramment de « papolâtrie ». Il nous accu­sait à tort. Nous n'étions pas idolâtres. Mais nous étions excessifs et imprudents. Nous avions bien oublié les cruelles leçons de la condamnation de l'Action française. Puisque nous avions la chance d'avoir un Pie XII ! Nous avions cette chance en effet, et nous ne l'avons pas méconnue. Nous y étions rendus attentifs par l'ardente prédication de Marcel Clément, qui a beaucoup de bonheur de pensée et d'expression dans l'exposé de la doctrine du pape régnant. Il y mettait pourtant, déjà, quelque tendance à l'inconditionnalité, avec un enthousiasme qui méprisait les nuances, précisions et limites toujours apportées par l'Église dans son enseignement de l'obéissance. 150:316 Ces exagérations clémentino-papistes d'ITINÉRAIRES, il y en avait deux qui n'y entraient nullement, Louis Salleron et le P. Calmel, chacun de son côté car ils ne se connaissaient guère. Louis Salleron nous disait : « Vous serez bien attrapés quand vous aurez deux ou trois papes en même temps... » Nous lui répon­dions que cela n'arrive pas tous les jours. Il nous est arrivé pis avec Paul VI. Car les deux ou trois papes qui se disputaient jadis le trône de Pierre avaient tous, du moins, la même religion, la même messe, le même catéchisme. Avec Paul VI, c'est le pape qui n'avait plus la messe du pape. Le pape s'était séparé de lui-même. Il avait abandonné la messe de son ordination, il s'efforçait d'in­terdire la messe qu'il célébrait les premières années de son pontifi­cat. Du temps de Pie XII, nous n'imaginions pas la possibilité d'une telle abomination. Marcel Clément après Jean Ousset répé­tait la phrase de saint Pie X : « Il ne saurait y avoir de sainteté là où il y a dissentiment avec le pape. » Le P. Calmel mettait une grande énergie à rejeter cette proposition. L'autorité invoquée n'ébranlait pas sa certitude. Saint Pie X est saint Pie X, il le véné­rait de tout son cœur, mais là il s'agissait d'une opinion privée qui n'est pas juste. L'histoire de l'Église nous montre des saints cano­nisés qui furent en dissentiment avec des papes qui n'ont pas été canonisés. Le P. Calmel en appelait aussi à la théologie ; et au bon sens. Saint Pie X, au même endroit de ce discours aux prêtres du 2 décembre 1912, popularisé dans les éditions successives de *Pour qu'Il règne* (page 492, note 9), déclarait : « On ne limite pas le champ où le pape peut et doit exercer sa volonté. » Si l'on entend que ce champ n'a donc aucune limite, ou seulement la limite que chaque pontife veut bien lui reconnaître, en l'absence de tout critère objectif, on tombe dans une erreur manifeste, nous disait le P. Calmel. Il disait en vain. L'erreur ne nous était pas évidente. Nous avions Pie XII. Par la suite les événements se chargèrent de mieux nous instruire. \*\*\* Ceux qui rencontraient le P. Calmel après l'avoir lu étaient d'abord frappés de lui trouver une stature physique si peu en rapport avec son autorité morale. Physiquement il était chétif, d'apparence maladive, et réellement malade bien souvent ; depuis toujours diminué par une insuffisance cardiaque congénitale. 151:316 Je crois que Pascal, qu'il aimait (qu'il canonisait), l'a beaucoup aidé à vivre dans la pénible compagnie habituelle des faiblesses et des souf­frances du corps. Dans ce corps douloureux et faible, quelle âme. Une âme de croisade. Avant même le concile, il a été beaucoup persécuté par ses frères dominicains. La persécution fut même physique : principa­lement par le bruit, qu'il ne supportait pas, et le manque de sommeil. Le sachant de santé faible, on attaquait sa santé. Il en devenait malade à mourir. Il fallait alors l'arracher aux couvents de ses persécuteurs avec des certificats médicaux, et l'aider à trou­ver des refuges paisibles. Mais il en restait désolé : « Si je suis devenu dominicain, c'est pour vivre en communauté avec des frères. » Plus aucune communauté de dominicains ne lui était fra­ternelle ; partout il était traité en ennemi : avec méchanceté, avec acharnement, quelquefois avec une courtoise indifférence, mais en ennemi, toujours. A une telle persécution morale et sociale, aucun remède humain. Il la nommait une « relégation sociologique ». Mais il ajoutait : « Les mille conséquences menues et quotidiennes de cette relégation sociologique, qu'est-ce au prix de l'honneur que nous fait Jésus-Christ de confesser la foi. » Le concile terminé en décembre 1965, l'épiscopat fiançais avait, en juin 1966, condamné ITINÉRAIRES pour crime d'opposition à l'esprit nouveau. Mais de 1966 à 1969, les évêques demeuraient plus ou moins incertains des véritables intentions de Rome, malgré les encouragements à la subversion que parfois ils en recevaient en secret. Que voulait donc Paul VI, que voulait-il vraiment ? Il avait en 1967 institué une « année de la foi » dirigée en propres termes contre « la mentalité post-conciliaire » à laquelle il reprochait de « propager le vain espoir de donner à la religion chrétienne une nouvelle interprétation » ; il avait en 1968 clôturé cette « année de la foi » en prononçant lui-même sa fameuse « profession de foi ». On s'aperçut plus tard que tout s'était passé comme si Paul VI avait voulu par là non point stopper l'évolution conciliaire, mais neutraliser, en les apaisant, les craintes qui auraient pu la ralentir. Sur le moment, beaucoup de dignitaires et supérieurs ecclésiastiques, ne sachant de quel côté le vent soufflait en définitive, hésitaient à s'engager et se retranchaient dans un attentisme prudent, qui mé­nageait leur carrière en laissant tout aller à vau-l'eau. Du moins le P. Calmel en profita. Dans la confusion, on n'entreprit contre lui rien de décisif. On lui insinua plusieurs fois que son autorisation d'écrire dans ITINÉRAIRES allait être supprimée. 152:316 « Ne manquez pas, lui disais-je, de faire observer qu'un tiers est en cause. Car c'est moi qui ai demandé cette autorisation ; c'est à moi qu'elle a été consentie. » Par un soulagement que la Providence apportait à nos malheurs, il n'y eut pas, ou guère, de mesures juridico-administratives contre nous tant que la légalité ecclésiastique, n'en étant qu'au début de son auto-destruction, gardait quelque autorité morale sur nos consciences. Mais bientôt, en 1968, c'était en France l'assassinat épiscopal du catéchisme catholique, et à Rome, en 1969, l'étouffement de la messe traditionnelle. Qui nous obligeaient à une terrible liberté. L'âme du P. Calmel est auprès de nous. Elle est présente dans ses écrits, dressée sur la pointe des pieds, toute de doctrine com­mune et de prière commune de l'Église, pour grandir dans l'amour de Dieu. La théologie, la liturgie, les constitutions de l'Ordre dominicain ne lui étaient pas un guide ou un règlement, mais une nourriture intérieure. Auprès de nous il a rempli sa tâche de frère prêcheur, fils de saint Dominique, disciple de saint Thomas, prêtre de Jésus-Christ, apôtre du Rosaire. Il continue. Jean Madiran. 153:316 TABLE DES MATIÈRES \[...\] 155:316 ### Ouvrages du P. Calmel - *Selon l'Évangile*. Lethielleux 1952 (traduit en espagnol, Madrid 1956). - *Le Rosaire dans la vie*. 80 pages. Fleurus 1958 (traduit en italien, Milan 1963). - *École et sainteté.* 64 pages. Éditions de l'école 1958. - *École chrétienne renouvelée*. 202 pages. Téqui 1958. - *Sur nos routes d'exil : les Béatitudes*. 176 pages. Nouvelles Éditions Latines 1960. - *Théologie de l'histoire*. 196 pages. *Itinéraires* 1966. Seconde édition, 160 pages : DMM 1984. - *Le Rosaire de Notre-Dame*. 64 pages. DMM 1971, seconde édition 1976. - *Ordinaire de la messe : choix des traductions et établissement des notes.* DMM 1971, seconde édition 1976. - *Les mystères du royaume de la grâce*. Tome I : *Les dogmes*. 148 pages. DMM 1972. - *Les grandeurs de Jésus-Christ*. Complément au traité du Verbe incarné de l'ouvrage précédent. 88 pages. DMM 1973. - *Les mystères du royaume de la grâce*. Tome II : *Le chemin de la sainteté*. 130 pages. DMM 1975. 156:316 Articles du P. Calmel dans « Itinéraires » \[Voir Table.doc\] \[Voir 316-III.jpg\] ============== fin du numéro 316. [^1]:  -- (1). Ps. 121 *Laetatus sum in his quae dicta sunt mihi*. [^2]:  -- (1). Jo. 15, 20. [^3]:  -- (1). Matt. 24,22. [^4]:  -- (1). Revoir tout le chapitre 21 de l'Apocalypse et les Hymnes de la fête de la Dédi­cace. (Le rite dominicain les a gardées dans leur version originale.) -- Voir encore l'admirable livre du P. Clérissac, o.p., Le Mystère de l'Église (Réédition Dismas, 1986). Voir annexe 1 : Je crois à la Sainte Église. [^5]:  -- (1). Sur ce point, trop souvent oublié, de la nécessaire victoire du Christ nous nous permettons de renvoyer à notre précédent petit traité : Théologie de l'Histoire, chap. II, Lumière de l'Apocalypse, à la fin du chapitre, pages 50 et suivantes. [^6]:  -- (2). Il est vainqueur le lion de la tribu de Juda (Apoc. 5, 5). [^7]:  -- (3). Nous donnons la version première de cette hymne, avant les malencontreuses retouches du début du XVII^e^ siècle. Dans le Bréviaire dominicain cette hymne, comme les autres d'ailleurs, s'est maintenue exempte d'altérations et de retouches. [^8]: **\*** -- \[en regard du texte français dans l'original\] *Urbs Jerusalem beata / Dicta pacis visio / Quae construitur in caelis / Vivis ex lapidibus / Et Angelis coronata / Ut sponsata comite.* *Nova veniens e caelo / Nuptiali thalamo, / Praeparata ut sponsata / Copuletur Domino. / Plateae et muri ejus / Ex auro purissimo.* *Portae nitent margaritis / Adytis patentibus, / Et virtute meritorum / Illuc introducitur / Omnis qui hoc Christi nomen / Hic in mundo premitur.* *Tunsionibus pressuris / Expoliti lapides / Suis coaptantur locis / Par manus Artificis. / Disponuntur permansuri / Sacris aedificiis.* [^9]:  -- (1). Voir dans la prière d'avant la Consécration : *hanc igitur oblationem*, les paroles : diesque nostros *in tua pace disponas.* [^10]:  -- (1). Saint Vincent de Lérins, *Commonitorium*, largement cité dans Journet : *Le Dogme, Chemin de la Foi* (Fayard, Paris) surtout au chap. VI : La vie du dogme. [^11]:  -- (2). Tous mes articles d'*Itinéraires* de l'année 1970. [^12]:  -- (1). Voir par exemple le Témoignage de l'abbé Dulac, *Itinéraires* de septembre-octobre 1970, numéro 146 sur « Le Saint Sacrifice de la Messe ». [^13]:  -- (2). Écrit en 1971 (Note de l'éditeur, 1987). [^14]:  -- (1). Tout ce que j'ai entendu auprès du Père je vous l'ai fait connaître (Jo. 15, 15). [^15]:  -- (1). Sur cet aspect de la Révélation je me suis longuement expliqué dans *Théologie de l'Histoire.* [^16]:  -- (2). Les théologiens qui nous rompent la tête avec les questions d'*âge culturel* et de *réinterprétation* du langage sont-ils donc incapables de comprendre qu'il n'y a pas d'*âge culturel* qui tienne : pour un esprit normalement constitué, divinité *du Christ* signifiera, dans toutes les cultures et pour tous les siècles, union, dans la même et unique personne divine, de la nature humaine à la nature divine ; -- *présence réelle du Christ* dans l'Eucharistie voudra dire nécessairement, quelles que soient les contrées ou les époques, présence par changement de substance, les accidents n'ayant pas changé ; -- *virginité perpétuelle de Marie* n'aura jamais un autre sens que celui de consécration de la virginité de Marie *ante partum, in partu, post par­tum* par le Verbe incarné devenu son Fils. -- La *présentation pédagogique* de ces mystères pourra varier selon le fameux *âge culturel* des peuples, mais ce sont inva­riablement les mêmes mystères, et selon des termes immuablement définis, qui seront présentés à des intelligences, qui sont, pour l'essentiel, identiquement cons­truites. L'âge culturel n'y change rien. Et le Catéchisme hollandais qui, sous pré­texte de présentation pour notre âge culturel moderne, a transformé le contenu des mystères et le sens des termes définis, est le catéchisme de l'apostasie ; l'apostasie non pas ordinaire mais moderniste. Il est cela, rien d'autre. [^17]:  -- (1). Notons ici que les termes employés dans la formulation des dogmes sont sou­vent analogiques : être, personne, substance, nature, cause, grâce, connaissance, amour... Ces termes conviennent à la fois à Dieu. aux anges et aux hommes mais d'une manière fort différente. C'est ainsi que Dieu est vraiment libre mais il est libre sous un mode infiniment plus élevé que celui de toute créature, humaine ou angélique. De même c'est le propre de l'Être infini d'être personnel ; mais, dans la Trinité sainte, les vocables de personne et de nature se réalisent d'une manière infi­niment supérieure à celle qui se rencontre dans toute créature spirituelle ; *secundum quid idem, simpliciter diversum* (identique sous un certain rapport, mais diffèrent à parler purement et simplement). Cette portée analogique des termes qui expriment notre foi est quelquefois connue par la simple raison, comme lorsque nous parlons de la sagesse de Dieu ou de sa bonté ; mais plus souvent elle nous a été dévoilée par Révélation. Comment par exemple, si le Verbe de Dieu ne nous *avait fait connaître tout ce qu'il entend auprès du Père,* nous serions-nous risqués à soutenir que le Dieu unique est Père, Fils, Saint-Esprit ; ou bien que le Fils s'est incarné en Jésus ? Quoi qu'il en soit, lorsque les termes employés dans les définitions de la foi ont une valeur analogique le fidèle n'éprouve pas de difficulté particulière à les entendre dans leur vérité ; c'est spontanément qu'il comprend que, si Dieu est bien en réalité Père et Fils, c'est à la manière de Dieu et non pas comme chez les hommes ; de même pour la grâce, la charité, le rachat, le Royaume de Dieu qui est la Sainte Église. (On trouvera des remarques éclairantes sur l'analogie à la fin du chapitre des *Degrés du Savoir* de Maritain sur la Connaissance métaphysique. -- Voir aussi quelques notations dans nos articles : « La Joie des Saints » (*Itinéraires*, mai 1969) et « La Sainte Église » (*Itinéraires*. novembre 1966, surtout pages 145 et suivantes). [^18]:  -- (2). « *Le second Concile du Vatican n'a-t-il pas lui-même accueilli des exigences qui avaient entre autres été exprimées par Martin Luther et par lesquelles bien des aspects de la foi chrétienne et de la vie chrétienne s'expriment mieux actuellement qu'aupara­vant.* » Cardinal Willebrands, délégué officiel de Paul VI au Congrès luthérien d'Évian, 14-24 juillet 1970. [^19]:  -- (1). Donc, pour énoncer, défendre, transmettre le message révélé dans sa pureté et sa transcendance, nécessité absolue des définitions dogmatiques et des anathéma­tismes. Ajoutons : nécessité de fait, du moins dans l'Église de rite latin, de *l'étude* et de l'usage de la langue latine pour assurer l'orthodoxie de la foi et la validité des sacrements. Nous comptons nous expliquer là-dessus dans une autre étude. [^20]:  -- (1). Dans le texte du Cardinal Willebrands, déjà cité. [^21]:  -- (2). II Cor. 6, 15. [^22]:  -- (1). Synode Provincial, tenu en 529 sous la présidence de saint Césaire, mais dont les décisions furent reprises par le concile œcuménique de Trente. [^23]:  -- (1). Trente. Canons sur le Très-Saint-Sacrement de l'Eucharistie, dans G. DUMEIGE, La foi catholique n^os^ 748 et 750. [^24]:  -- (2). Trente. Canons sur le Très Saint Sacrifice de la Messe, dans G. DUMEIGE, La foi catholique, n^os^ 776, 777, 778. [^25]:  -- (1). Trente. Canons sur le Sacrement de l'Ordre, dans G. DUMIEGE, La foi catholique, n° 901. [^26]:  -- (1). Concile de Trente. Canons sur le Sacrement de l'Ordre, dans G. DUMEIGE, La foi catholique, n^os^ 899, 901, 902. [^27]:  -- (1). Voir les travaux du Père THÉRY O.P. (Hanna Zakarias) sur L'Islam *Entreprise Juive*, surtout le tome IV (Jean d'Halluin éd. -- 1, rue Lobineau. 75006 Paris). [^28]:  -- (1). Le Missel jusqu'à Pie XII inclusivement, et même à la rigueur jusqu'à la mort de Jean XXIII. [^29]:  -- (2). Un certain nombre d'articles de la Somme de saint Thomas, parfois une ques­tion entière, aussi bien dans la Prima Pars que dans la Secunda et surtout la Tertia Pars, sont accessibles aux chrétiens ayant reçu une bonne formation doctrinale. [^30]:  -- (1). Voir Pensées de Pascal (n° 288 de Brunschvicg) : « *Deux sortes de personnes connaissent* (la religion) : *ceux qui ont le cœur humilié et qui aiment la bassesse quel­que degré d'esprit qu'ils aient, haut ou bas ; ou ceux qui ont assez d'esprit pour voir la vérité quelque opposition qu'ils y aient.* » [^31]:  -- (1). Et que notre société soit avec le Père et avec son Fils, Jésus-Christ. (Ia Jo. 1, 3.) [^32]:  -- (1). Je parle, on le voit par tout le contexte, de la démocratie historique et rousseauiste. [^33]:  -- (1). Il va sans dire que l'exercice de ces pouvoirs n'est pas invalidé par la *vacatio legis* quand elle survient dans l'Église. [^34]:  -- (1). Voir annexe 3 : De l'Église et du Pape. [^35]:  -- (1). Sur ces questions, trois livres particulièrement vigoureux, même s'ils sont in­complets : Ch. MAURRAS : *La Démocratie Religieuse -- *Augustin COCHIN : *Les Sociétés de Pensée et la Démocratie -- La Libre Pensée et la Révolution* (Plon, édit. Paris). -- La pensée de Maurras n'est pas *vitalement* chrétienne. Il reste que beau­coup de ses vues politiques, y compris en matière religieuse, sont admirablement justes et pénétrantes. Il est normal de les mettre à profit dans la lumière de la foi. Voir aussi annexe 2 : *Fils de l'Église en un temps d'épreuve.* [^36]:  -- (1). Note par laquelle, en octobre 1968, l'assemblée collégiale de Lourdes rejetait sans franchise les prescriptions et les interdictions de *Humanæ vitæ*. -- Voir *Itiné­raires* de décembre 1968. [^37]:  -- (1). Voir *Dictionnaire de Théologie Catholique*, Ordinations anglicanes à la section III : arguments contre la validité (col. 1168 et sq. surtout col. 1183 à 1186). [^38]:  -- (1). Nous n'envisageons dans cette *brève apologie* que la première propriété de la collégialité : dépersonnalisation et donc annulation des pouvoirs. Nous n'avons garde d'oublier toutefois la seconde propriété, inséparable de la première et non moins ruineuse : la suppression de la souveraineté pontificale. Car selon la très per­tinente formule de l'abbé Dulac (*Courrier de Rome*, 10 janvier 71) : « La collégia­lité épiscopale tend à dédoubler le pouvoir souverain et à en répartir les responsa­bilités entre celui qu'on appelait le Souverain Pontife et les églises locales. » [^39]:  -- (1). Ce que l'on demande à des intendants c'est d'être trouvés fidèles (Ia Cor. 4, 2). [^40]:  -- (1). Voir IIIa Pars, qu. 14, art. 4. [^41]:  -- (2). Voir Pascal, *Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies,* surtout le paragraphe X. [^42]:  -- (1). Voir annexe 4 : *Brumes du* « *révélationisme* » *et lumières de la foi.* [^43]:  -- (1). Saint Jean, 18, 36-37. -- Voyez l'Évangile de la fête du Christ-Roi au dernier dimanche d'octobre ; ou la Passion selon saint Jean au Vendredi-Saint. Voir annexe 5 : Note doctrinale sur le Mystère du Christ-Roi. [^44]:  -- (1). On peut se reporter à notre essai sur la vie spirituelle : *Sur nos routes d'exil, les Béatitudes.* [^45]:  -- (1). *Le Journal La Croix*, 29-30 novembre 1970. [^46]:  -- (1). Ces raisons n'ont pas frappé le cardinal Journet qui, parlant de la papauté tra­hie par certains de ses dépositaires explique pourquoi de nos jours « ce danger est aboli » du fait de la réduction considérable des possessions temporelles. Le danger a pris une autre forme, voilà tout. (Voir l'*Église du Verbe Incarné*, t. II, p. 840.) [^47]:  -- (1). Sur ces questions, voir Ch. JOURNET : *Le Message Révélé* (Desclée de Brouwer 1964), le chap. IV. -- Signalons encore nos articles d'*Itinéraires* 1970, juil-août et décembre : *La certitude dans l'Église* et *Sans mauvaise conscience*. [^48]:  -- (1). Voir annexe 3 : *De l'Église et du Pape*. [^49]:  -- (1). Voir les *Mystères du Royaume de la Grâce*, tome 1, pp. 84 sq. [^50]:  -- (2). *Voir* annexe 6 : *Notre-Dame du temps de l'Antéchrist*. [^51]:  -- (1). PASCAL, *Mystère de Jésus, Pensées* (n° 553 édit de Brunschvicg). [^52]:  -- (1). Preuves fournies dans les Documents d'*Itinéraires*, numéro 118 de décembre 1967 (p. 307) : *Vers une liturgie carrément hérétique.* [^53]:  -- (2). Isaïe, 5, 20. [^54]:  -- (1). Voici un bel exemple de *précaution* dans le chambardement liturgique « post­conciliaire » : « Il ne faut certes pas moderniser indûment des textes inspirés (dans la traduction pour la liturgie en français)... est-il nécessaire cependant de *respecter tous les détails rédactionnels, quand ceux-ci présentent des inconvénients pastoraux* et ne contribuent pas à une intelligence plus profonde du texte ?... Gardons toutes les trompettes de la Bible quand elles font partie d'un ensemble qui les explique mais *reléguons sans regret au magasin clos accessoires celles qui, pour le public de nos enterrements, ne servent qu'à présenter la parole de Dieu dans un langage archaïque et obscur*. » (Père ROGUET, *op. cit.*, dans *Vie Spirituelle*, de décembre 1967, pages 594 et 595.) [^55]:  -- (1). A ce sujet voici la position du Père Congar : « Et dans leur volonté « d'être avec en vue de Jésus-Christ », (beaucoup de clercs) ressentent un malaise devant certaines formes au moins de l' « à part » de l'Église : le costume qui ne met pas à part seulement, mais qui isole et rend étrange ; le logement, un certain style de vie ; le vocabulaire ou plutôt -- cela englobe plus de choses ! -- le langage, qui est d'un autre monde que celui des hommes. Est-ce nécessaire ? La toi implique-t-elle cela ? Certains iraient même jus­qu'à mettre en question la convenance d'avoir des églises comme édifices particuliers. Ils ne mettent pas en cause seulement le caractère monumental et prestigieux *que nous accepterions de critiquer avec eux*, mais l'existence d'un local « à part », du moins en dehors de son utilisation fonctionnelle le dimanche. Ici, nous ne serions plus d'accord. Nous pensons que la question posée atteint un certain fond des choses : le caractère « à part » de l'Église, même comme affirmation dogmatique, et le rôle de la visibilité de l'Église comme signe du Royaume qui n'est pas de ce monde. « On a déjà compris que la question des prêtres-ouvriers telle qu'elle s'est posée de fait, rentrait dans les perspectives que nous venons d'évoquer... Est-ce qu'on n'a pas mêlé certaines formes historiques, contingentes et relatives avec l'essentiel ? C'est une question qui s'éclairera un jour. » (Père CONGAR, *op. cit.*, Esprit, février 1965, article intitulé : *L'Église et* Monde, pp. 351-352.) [^56]:  -- (2). Souvenons-nous des paraboles du grain de sénevé, du levain, de la semence et relisons, dans le discours après la Cène, les passages sur l'action du Saint-Esprit. [^57]: **\*** -- original : *mises*. [^58]:  -- (1). *L'Église du Verbe Incarné*, t. II, pp. 904 à 910. [^59]:  -- (1). Article écrit en 1975 (note de l'éditeur, 1987). [^60]:  -- (1). Nous parlons des simples prêtres réguliers et séculiers ; le cas des évêques et des cardinaux, surtout en France et à Rome, est certes beaucoup plus complexe et beaucoup plus troublant. [^61]:  -- (1). Cette version qui fut lancée à la fin du règne de Pie XII, n'est plus aujourd'hui défendue par personne, pas même par la Compagnie de Jésus. -- Pour saisir l'im­prudence de cette *refonte* du Psautier, avec abolition du latin biblique, on peut lire dans le *Diction de Théol. Cathol*. l'article *Versions de la Bible*. Mais qui donc, voici bientôt trente ans, avait intérêt à conseiller à un grand pape une « réforme » déjà aussi étrangère à la tradition ? [^62]:  -- (1). Dans le même sens et la même conception. (Saint Vincent de Lérins, *Commoni­torium*. Cité au 1^er^ Conc. du Vatican, Constitution *de Fide Catholica*, fin du chap. IV.) [^63]:  -- (1). Athalie, Acte III, sc. 7. [^64]:  -- (1). Sur ce double aspect du mystère unique de l'Église nous nous permettons de renvoyer le bienveillant lecteur au chapitre VII du tome I des *Mystères du Royaume de la Grâce*, pages 122-127. [^65]:  -- (1). Écrit en 1973 (Note de l'éditeur, 1987). [^66]:  -- (1). Voir dans notre livre sur les *Mystères du Royaume de la Grâce,* tome I, le chapitre VII. [^67]:  -- (1). Écrit en 1973 (note de l'éditeur, 1987). [^68]:  -- (1). Nous nous permettons de renvoyer aux chapitres sur Jésus Souverain Juge dans notre livre sur *Les Grandeurs de Jésus-Christ*. [^69]:  -- (1). L'ouvrage classique sur cette question est *L'Apocalypse* du père ALLO, o.p., (Gabalda, Paris (épuisé). -- Il existe une édition abrégée (même éditeur). [^70]:  -- (1). Sur ce sujet précis (permanence de la messe), voir MALVLNDA O.P., *Dissertation sur l'Antéchrist*, n° 22, qui fait suite à la IIa Thes., dans la *Bible de Vence*, t. 16 (Paris, 1773). La Bible dite de Vence reprend et complète la Bible de Dom Calmet. [^71]:  -- (2). Bénédiction du cierge pascal dans la veillée de Pâques. [^72]:  -- (1). Noter cet ad 2 dans IIa IIae, qu. 174, art. 1 : « Dieu est plus porté à écarter les fléaux dont il nous menace qu'à retirer les bienfaits qu'il nous promet. » [^73]:  -- (2). Écrit en 1973 (note de l'éditeur, 1987). On peut voir dans *Itinéraires*, nos arti­cles : *Ce Principe très simple* (décembre 1972) ou *L'Église dispensatrice des sacre­ments* (mars 1973). [^74]:  -- (1). Voir sur ce sujet IIa-IIae, au traité des états (comme on l'appelle) la question 177. -- La fin de la IIa-IIae contient en réalité *trois* traités majeurs ; celui des *états* de perfection, qui termine tout, vient après le traité des *charismes* (grâces *gra­tis datae*) et des formes de vie (active ou contemplative). [^75]:  -- (1). Relire : Rom. 12 ; Ia Cor, 12 ; Eph. 4 ; Ia Thes. 5, 16-22. [^76]:  -- (1). Voir Les grandeurs de Jésus-Christ, chap. IV, Jésus-Roi. [^77]:  -- (1). Brunschvicg, n° 675 ; Lagrange, o.p. *Revue Biblique*, octobre 1906, « Pascal et les prophéties messianiques », p. 550. [^78]:  -- (1). Philipp. 1, 17. [^79]:  -- (2). *Ut populus christianus et numero et merito augeatur* (diverses oraisons du Missel). [^80]:  -- (1). Dans le recueil d'encycliques de Marmy : *La communauté humaine selon l'esprit chrétien,* n° 974 (éditions Saint Paul. Fribourg). [^81]:  -- (1). La juridiction de l'Église sur la cité n'est qu'un des aspects de la royauté du Christ sur la cité. Le lecteur désireux d'approfondir la nature propre de la juridic­tion de l'Église sur la cité pourra étudier l'ouvrage classique de Mgr Journet qui porte justement ce titre (Desclée de B. 1931) surtout pp. 113 et 114 et 123 à 136. Voir aussi du même, *l'Église du Verbe Incarné*, tome II sur le royaume du Christ, pp. 154 à 171 (DDB, Paris). [^82]:  -- (1). Parabole du grain de sénevé, du levain, et Discours après la Cène. Jo. 16, 12 [^83]:  -- (1). *Sur nos routes d'exil, les Béatitudes*, p. 153. [^84]:  -- (1). Sur cette question voir par exemple les ouvrages de O. Leroy sur Jeanne d'Arc (Alsatia) ou l'excellent petit livre de Régine Pernoud *Jeanne d'Arc* (Seuil, Paris). [^85]:  -- (1). Sur les empiètements des clercs et leurs abus il est roboratif de relire un ancien texte de Maritain, toujours d'actualité au bout de trente ans : « Nous rendons hommage aux intentions généreuses de l'auteur... Mais nous sommes obligés de le remarquer : les religieux bienheureusement séparés des orages du monde par leurs trois vœux ont mieux à faire que de *platoniser sur Éros*. La vie moins protégée des laïcs qui combattent dans cette vallée de larmes leur *assure du moins de certains sujets une plus sûre expérience*. » (*Les Degrés du Savoir*, p. 560, en note.) [^86]:  -- (1). Nous avons parlé souvent de la victoire infaillible et incessante de l'Église de Jésus-Christ et montré que, en vertu de cette victoire, toujours serait préservé au moins un minimum d'ordre temporel chrétien. Le royaume spirituel du chrétien, c'est-à-dire l'Église, maintiendra toujours une part, serait-elle réduite, de civilisation chrétienne. En nous plaçant au point de vue des hommes nous pourrions ainsi caractériser la royauté du Christ : soumission jaillissante et spontanée, grâce aux vertus théolo­gales au sein de l'Église, de notre âme et de notre activité à la lumière et l'action sanctifiante du Fils de Dieu notre Sauveur. C'est lui-même qui nous communique la vie théologale dans et par son Église, et cette vie théologale, par sa nature même, fait sentir son influence sur toute notre activité, quelle soit relative aux choses de Dieu ou aux choses de César. [^87]:  -- (1). Exactement : « Je voudrais que les tourments (qui seront le partage des chré­tiens au temps de l'Antéchrist) me soient réservés... » Lettre à Sœur Marie du Sacré-Cœur dans les *Manuscrits autobiographiques*. [^88]: **\*** -- Voir It. 206, p. 2, « Dix-sept années ».