# 325-10-88
\[n° 325-326 de juillet-octobre 1988\]
II:325
« L'Église de Jésus-Christ est une, sainte, catholique, apostolique. A chaque époque, cette apostolicité, cette catholicité, cette sainteté, cette unité animent ou désertent plus ou moins la structure de fondation divine sur laquelle repose temporellement sa continuité visible : la succession apostolique et la primauté du siège romain. Cette succession, cette primauté ne sont pas exemptes de défaillances graves ; aujourd'hui universellement catastrophiques. Mais ce qu'elles font mal, ou ce qu'elles ne font pas, personne d'autre ne peut le faire à leur place. » (Jean Madiran, Postface à la réédition de *L'Hérésie du XX^e^ siècle.*)
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Lettre au pape Jean-Paul II
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### A Sa Sainteté le pape Jean-Paul II
*1^er^ août 1988*\
*Saint Pierre aux liens*
Très Saint Père,
Je réitère auprès de votre suprême autorité ma réclamation à votre prédécesseur :
-- *Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe.*
Aux motifs toujours aussi impérieux présentés en 1972 au pape Paul VI, j'ajoute les considérations que voici.
4:325
La plupart des chrétiens, tout au long de leur vie, n'ont au mieux que trois livres de religion : le missel, le catéchisme et la Bible. Ces trois livres ont été ravagés : la Bible par une multitude de variantes et d'interprétations arbitraires, en toute liberté de nuire ; le catéchisme et le missel par l'interdiction qui les frappe. Le peuple chrétien a perdu ses points fixes.
L'interdiction de tous les catéchismes catholiques préexistants a provoqué une suspicion légitime à l'encontre des pensées qui ont inspiré et des personnes qui ont exécuté une proscription aussi insolite, aussi tyrannique, aussi générale.
La messe traditionnelle, celle de votre ordination, vous ne la célébrez jamais, pas même une fois l'an pour la fête de saint Pie V le 5 mai. Comment ne pas en conclure que vous ne l'aimez plus ? que vous ne l'aimiez pas ?
Nous n'avons pas cessé de l'aimer. Nous la réclamons. Personne, pas même le souverain pontife, n'avait le droit de nous en priver. Cette persécution qui s'obstine depuis dix-huit ans restera sans doute dans l'histoire de l'Église comme la plus grande honte du Siège romain.
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Cela fait donc une vingtaine d'années que l'Église, spécialement en France, vit sous le régime de l'interdiction des deux monuments de la tradition catholique qui sont directement à la portée du peuple chrétien : le missel et le catéchisme de nos anciens et de nos pères dans la foi.
A leur place, depuis vingt ans, on nous impose les nouveautés issues de Vatican II comme si elles étaient infaillibles, mais sans jamais oser -- ou pouvoir -- faire de cette obligation un précepte infailliblement énoncé.
Le concile Vatican II n'a défini aucun article de foi qui viendrait s'ajouter ou se substituer à ceux qui ont été antérieurement définis. Et cependant, en maintes occasions, Votre Sainteté elle-même présente les décrets conciliaires comme s'ils avaient été écrits sous l'inspiration de l'Esprit Saint, au même titre ou quasiment que la Sainte Écriture. Nos évêques, par suite, font de l'adhésion inconditionnelle à la totalité de Vatican II un critère de foi catholique aussi nécessaire voire plus opportun que l'adhésion au Credo.
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Devant ces désordres majeurs le pontife romain, qui voyage beaucoup à travers le monde depuis Paul VI, demeure moralement immobile depuis vingt ans, insensible aux demandes, aux supplications, aux clameurs, aux souffrances quand elles ne se manifestent pas du bon côté. Aucune réponse qualifiée n'est faite non plus aux questions et aux objections. Seulement l'argument d'autorité, en omettant les explications et réfutations dont l'Église jusqu'ici l'accompagnait toujours. Face à nos réclamations motivées concernant l'interdiction des catéchismes, la mise hors la loi de la liturgie traditionnelle, le saccage scientiste de l'Écriture, ces vingt années d'immobilisme ont été aussi vingt années de mutisme.
Très Saint Père, *n'est-ce pas trop ?*
Je le demande au Vicaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en toute fidélité à la succession apostolique et à la primauté du Siège romain.
Jean Madiran.
7:325
### Communication au cardinal Ratzinger
11 août 88
Monseigneur le Cardinal,
En 1982 j'ai déposé moi-même au domicile de Votre Éminence une demande d'audience qui n'a reçu aucune espèce de réponse.
J'ai compris que Votre Éminence désirait ne pas prendre en considération mon existence et souhaitait n'avoir aucun rapport avec moi.
J'ai respecté cette indication.
Si aujourd'hui je fais une exception, c'est parce qu'il m'a paru convenable de communiquer à Votre Éminence le texte de la lettre que j'ai adressée la semaine dernière à Sa Sainteté le pape Jean-Paul II. C'est une « lettre ouverte », que je rendrai publique au mois d'octobre.
De Votre Éminence je ne baise que la pourpre sacrée,
*Jean Madiran.*
Pièces jointes :
-- Copie de ma lettre au saint-Père.
-- Copie de ma demande d'audience de 1982.
8:325
### La lettre à Paul VI de 1972
*La lettre au pape Jean-Paul II déclare toujours aussi impérieux les motifs qui avaient* *été présentés en 1972 à Paul VI. Pour cette raison, en voici la reproduction.*
27 octobre 1972
Très Saint Père,
Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe. Nous en sommes de plus en plus privés par une bureaucratie collégiale, despotique et impie qui prétend à tort ou à raison, mais qui prétend sans être démentie s'imposer au nom de Vatican II et de Paul VI.
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Rendez-nous la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de saint Pie V. Vous laissez dire que vous l'auriez interdite. Mais aucun pontife ne pourrait, sans abus de pouvoir, frapper d'interdiction le rite millénaire de l'Église catholique, canonisé par le concile de Trente. L'obéissance à Dieu et à l'Église serait de résister à un tel abus de pouvoir, s'il s'était effectivement produit, et non pas de le subir en silence. Très Saint Père, que ce soit par vous ou sans vous que nous ayons été, chaque jour davantage sous votre pontificat, privés de la messe traditionnelle, il n'importe. L'important est que vous, qui pouvez nous la rendre, nous la rendiez. Nous vous la réclamons.
Rendez-nous le catéchisme romain : celui qui, selon la pratique millénaire de l'Église, canonisée dans le catéchisme du concile de Trente, enseigne les trois connaissances nécessaires au salut (et la doctrine des sacrements sans lesquels ces trois connaissances resteraient ordinairement inefficaces). Les nouveaux catéchismes officiels n'enseignent plus les trois connaissances nécessaires au salut ; prêtres et évêques en viennent, comme on le constate en les interrogeant, à ne même plus savoir quelles sont donc ces trois-là. Très Saint Père, que ce soit par vous ou sans vous que nous ayons été, chaque jour davantage sous votre pontificat, privés de l'enseignement ecclésiastique des trois connaissances nécessaires au salut, il n'importe. L'important est que vous, qui pouvez nous rendre le catéchisme romain, nous le rendiez. Nous vous le réclamons.
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Rendez-nous l'Écriture sainte : maintenant falsifiée par les versions obligatoires que prétendent en imposer le nouveau catéchisme et la nouvelle liturgie. En 1970, j'ai écrit à Votre Sainteté au sujet du blasphème introduit dans l'épître des Rameaux (blasphème « approuvé » par l'épiscopat français et « confirmé » par le Saint-Siège) : il a été maintenu, substantiellement identique, dans nos livres liturgiques, et simplement déclaré facultatif ! Faut-il citer encore, parmi cent autres, l'effronterie libertine qui fait liturgiquement proclamer, en l'attribuant à saint Paul, que pour vivre saintement, il faut prendre femme ? Très Saint Père, c'est sous votre pontificat que les altérations de l'Écriture se sont multipliées au point qu'il n'y a plus en fait, aujourd'hui, pour les livres sacrés, de garantie certaine. Rendez-nous l'Écriture, intacte et authentique. Nous vous la réclamons.
\*\*\*
L'Église militante est présentement comme un pays soumis à une occupation étrangère : on fait mine de tout accepter, mais le cœur n'y est pas, oh non ! C'est le conditionnement psychologique et c'est la contrainte sociologique qui font marcher les gens. Un parti que vous avez bien connu quand il faisait l'innocent et cachait ses desseins, un parti que le succès a révélé cruel et tyrannique, domine diaboliquement l'administration ecclésiastique. Ce parti actuellement dominant est celui de la soumission au monde moderne, de la collaboration avec le communisme, de l'apostasie immanente. Il tient presque tous les postes de commandement et il règne, sur les lâches, par l'intimidation, sur les faibles, par la persécution.
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Très Saint Père, confirmez dans leur foi et dans leur bon droit les prêtres et les laïcs qui, malgré l'occupation étrangère de l'Église par le parti de l'apostasie, gardent fidèlement l'Écriture sainte, le catéchisme romain, la messe catholique.
\*\*\*
Et puis, surtout, laissez venir jusqu'à vous la détresse spirituelle des petits enfants.
Les enfants chrétiens ne sont plus éduqués, mais avilis par les méthodes, les pratiques, les idéologies qui prévalent le plus souvent, désormais, dans la société ecclésiastique.
Les innovations qui s'y imposent en se réclamant à tort ou à raison du dernier concile et du pape actuel, -- et qui consistent, en résumé, à sans cesse retarder et diminuer l'instruction des vérités révélées, à sans cesse avancer et augmenter la révélation de la sexualité et de ses sortilèges, -- font lever dans le monde entier une génération d'apostats et de sauvages, chaque jour mieux préparés à demain s'entretuer aveuglément.
Rendez-leur, Très Saint Père, rendez-leur la messe catholique, le catéchisme romain, la version et l'interprétation traditionnelles de l'Écriture.
Si vous ne les leur rendez pas en ce monde, ils vous les réclameront dans l'éternité.
\*\*\*
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Daigne Votre Sainteté agréer, avec ma très vive réclamation, l'hommage de mon filial attachement à la succession apostolique et à la primauté du Siège romain, et pour votre personne, l'expression de ma profonde compassion.
*Jean Madiran.*
Cette lettre figure en tête du volume : *Réclamation au Saint-Père* (Nouvelles Éditions Latines, 1974), qui est le tome second de *L'Hérésie du XX^e^ siècle.* L'introduction déclare :
« Si donc il le faut, c'est jusqu'aux successeurs de Paul VI que ce livre adressera notre réclamation.
« Il peut le faire, puisqu'elle fut, qu'elle est, qu'elle demeure la réclamation adressée à Paul VI de son vivant ; le témoignage porté contre l'autodestruction au temps même de l'autodestruction, dans l'espérance qu'un autre temps viendra. »
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### La position d' « Itinéraires »
*La* « *position d'ITINÉRAIRES* » *est celle de la lettre à Jean-Paul II, qui réaffirme et si l'on veut* « *actualise* »*, seize ans après -- c'est-à-dire après seize années d'immobilisme et de mutisme du Saint-Siège -- la position manifestée en 1972 par la lettre à Paul VI. Cette position est avant tout et fondamentalement une réclamation instante et motivée. Mais je comprends qu'on puisse souhaiter en outre des explications détaillées. Eh bien voici.*
14:325
« Quand il y a une éclipse\
tout le monde est à l'ombre »\
(Péguy)
ILS AURAIENT DÛ ÊTRE PROTÉGÉS par le pontife romain, ceux qui, comme les prêtres de Mgr Lefebvre, ont maintenu la messe traditionnelle, l'enseignement des trois connaissances nécessaires au salut, les quatre parties obligatoires du catéchisme catholique, la version et l'interprétation authentiques de l'Écriture sainte. Ils auraient dû être protégés par le pontife romain contre l'hostilité active, subversive et méchante du parti ennemi qui occupe l'Église.
Le parti ennemi se reconnaît à ce qu'il est celui :
-- de l'ouverture-soumission au monde ;
-- de la collaboration avec le communisme ;
-- de l'apostasie immanente.
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Il *occupe* ou influence, dans l'Église, la plupart des postes de commandement. Il a *fait interdire* la messe traditionnelle et tous les catéchismes catholiques, y compris celui de Trente, y compris celui de saint Pie X. Il *impose* des versions nouvelles de l'Écriture sainte manipulées, falsifiées, blasphématoires, notamment par la Traduction Œcuménique de la Bible (TOB).
Si le pontife romain croyait n'avoir point la force ou les moyens d'affronter directement ce parti occupant, il aurait pu du moins soutenir ou encourager, fût-ce en sous-main, la Fraternité sacerdotale de Mgr Lefebvre ; il aurait pu prononcer un murmure de remerciement, un chuchotis d'estime pour tout ce qui s'est fait à Écône et à partir d'Écône depuis dix-huit ans, ces jeunes vocations, ces conversions, ces fondations. Mais non : pas un mot. Quelle indifférence. Ou alors quelle détestation. Le rapport du cardinal Gagnon a commis la faute irrémissible de trouver les œuvres de la Fraternité dignes de louange : manifestement pour cette raison, il est tenu secret, il n'est même pas communiqué à Mgr Lefebvre, contrairement au droit naturel, contrairement à la simple justice. Le Saint-Siège évite ainsi de reconnaître à Mgr Lefebvre et à sa Fraternité fût-ce cette « part de vérité » si largement attribuée à Luther et à Marx, à Freud et à Lénine, au talmud et à l'islam, à la franc-maçonnerie et à Gorbatchev.
Depuis dix-huit ans, l'Église subit l'anomalie monumentale des catéchismes interdits, de la messe traditionnelle hors la loi, de l'Écriture sainte mise en pièces, sans que jamais Rome ait pris en considération la réalité de cette situation et le bon droit de ceux qui s'insurgent contre elle.
16:325
Au bout de dix-huit années, l'excommunication est venue clore un débat qui n'a pas eu lieu. L'excommunication de Mgr Lefebvre, de Mgr de Castro-Mayer et des quatre évêques consacrés à Écône le 30 juin 1988 risque d'avoir pour effet, sans doute voulu, d'empêcher précisément de prendre en considération l'anomalie monumentale de la situation où elle est intervenue.
C'est pourquoi, en sens contraire, il faut dans un premier temps faire l'effort de considérer les choses telles qu'elles étaient *avant* la dernière péripétie : c'est-à-dire avant que le pape ait expressément interdit à Mgr Lefebvre les consécrations épiscopales du 30 juin, et que Mgr Lefebvre soit passé outre.
#### I
Ce premier temps de la réflexion s'arrête donc à la situation telle qu'elle était au début du mois de mai.
Fallait-il accepter ou refuser le « protocole » du 5 mai 1988 ?
Mgr Lefebvre l'avait d'abord accepté. Il l'a finalement refusé. Ce protocole n'était donc à ses yeux ni forcément acceptable ni forcément inacceptable. C'était une question d'appréciation.
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L'appréciation qui a conduit au refus se fonde moins sur le texte lui-même que sur les intentions manifestées par les négociateurs du Saint-Siège.
Pour eux, il s'agissait de préparer le retour au bercail de malheureux égarés, -- le bercail étant Vatican II, la messe nouvelle et la catéchèse moderne, -- et les égarés n'ayant rien d'autre que leur égarement. On leur faisait, oui, d'importantes concessions (si importantes que les conciliaires protestaient) : toutefois ces concessions étaient calculées pour servir de ponts et de transitions qui conduiraient les égarés à la conversion. On le voit bien par l'exemple des prêtres et des monastères dits « traditionalistes » qui avaient « régularisé » leur situation avant mai 1988 : plus ou moins vite mais sans exception, la reconnaissance de leur « sensibilité » particulière n'en avait pas moins abouti à leur imposer finalement la messe nouvelle et l'adhésion sans réserve à l'intégralité de Vatican II.
Le Saint-Siège a traité Mgr Lefebvre avec plus de précaution mais en somme de la même façon c'est-à-dire en vue de conduire doucement la Fraternité Saint-Pie X à comprendre et reconnaître que son attachement à la Tradition, tel qu'elle le concevait et le vivait, était coupable, et qu'elle avait besoin d'en être pardonnée.
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Ce que Mgr Lefebvre demandait au contraire, c'est qu'on lui laisse la faculté de *faire l'expérience de la Tradition.* Au milieu de tant d'expériences en tous sens, issues de Vatican II, il réclamait qu'il lui soit toléré, fût-ce à titre simplement expérimental, de s'en tenir à la Tradition catholique d'avant le concile, donc non modifiée ou non complétée par les décrets de Vatican II et par les réformes et doctrines qui s'en réclament.
Le Saint-Siège n'a manifesté clairement aucune intention de permettre, de protéger, d'encourager une expérience de cette sorte.
Le pape en personne tient au contraire Vatican II pour une parole du Saint-Esprit, pour une nouvelle Pentecôte, ce qui revient à lui reconnaître une autorité égale ou supérieure à celle des définitions dogmatiques et voisine ou égale à celle de l'Écriture sainte.
Déjà Paul VI avait osé cette sentence : « *Le deuxième concile du Vatican ne fait pas moins autorité, il est même sous certains aspects plus important encore que celui de Nicée* » (29 juin 1975).
Le pape actuel a fréquemment soutenu, en l'aggravant encore, le même point de vue. Dès sa première encyclique, le 4 mars 1979, il parlait de « ce que l'Esprit a dit à l'Église en notre temps par le récent concile » et aussi de « ce que, dans cette Église, il dit à toutes les Églises », avec ici une référence explicite au septième verset du second chapitre de l'Apocalypse, ce qui est véritablement fantastique : la Révélation ne serait donc plus close à la mort du dernier Apôtre ?
19:325
Par la suite, les formules aussi audacieuses ont abondé, Vatican II présenté comme « le don que le Saint-Esprit a fait à l'Église au grand tournant du millénaire », l'affirmation que « comme aux Apôtres au Cénacle avec Marie, l'Esprit Saint nous a appris ce qu'Il veut dire à l'Église » ; et jusqu'à la lettre du 8 avril 1988 au cardinal Ratzinger ([^1]), où l'on retrouve d'ailleurs la référence incroyable au même verset de l'Apocalypse :
« Nous gardons la conviction profonde que l'Esprit de vérité qui dit à l'Église (cf. Ap. II, 7.11. 17 etc.) a parlé, d'une manière particulièrement solennelle et avec une particulière autorité, par le 2 concile du Vatican. »
Dans le discours aux évêques de France, le 1^er^ juin 1980, on avait entendu :
« Nous croyons que le Christ par l'Esprit Saint était avec les Pères conciliaires, que le concile contient dans son magistère ce que l'Esprit dit à l'Église. » ([^2])
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On découvre là, je le crains, une incompatibilité insurmontable, racine et cause de la densité immobile des autres dissentiments.
Sur cette incompatibilité, les interpellations, explications, argumentations, analyses, réfutations ont été données dans ITINÉRAIRES mois après mois pendant vingt-deux ans : on peut les retrouver à leur place dans le temps, se précisant avec le temps, commentaires du temps qu'il fait et du temps qui passe, et en cela « *chroniques* » accompagnées de « *documents* »*,* selon le sous-titre de la revue.
On y verra notre adhésion à Mgr Lefebvre.
C'est une adhésion motivée, militante, affectueuse ; une adhésion du cœur et de l'esprit à tout ce qu'il a dit, à tout ce qu'il a fait. Plusieurs fois nous l'avions dit avant lui. Mais c'est lui qui pouvait le faire. Il l'a fait.
Cette adhésion, c'est l'histoire même d'ITINÉRAIRES depuis la fondation de la Fraternité sacerdotale en 1969-1970. C'est Écône à ses débuts et c'est la déclaration du 21 novembre 1974 sur la Rome conciliaire et la Rome éternelle. C'est la messe de Lille le 29 août 1976. Ce sont les ordinations chaque année pour la Saint-Pierre et Saint-Paul. Nous avons vécu cela et le reste. Notre adhésion a été constante et elle était publique. Elle est donc bien connue comme étant globale, raisonnée, ardente, ancienne, notoire, proclamée. Et profondément, et filialement reconnaissante. Puisqu'aujourd'hui la plupart de ceux qui parlent et de ceux qui écrivent ne savent rien ou bien oublient tout, il fallait sans doute le redire. C'est fait.
21:325
#### II
Le débat est donc sur l'*autorité* du concile avant d'être sur son *contenu.* Car aussi longtemps qu'à chaque objection sur son *contenu* on pourra opposer son *autorité* soi-disant indiscutable, irréformable, infaillible, le débat sur le *contenu* n'aura évidemment pas lieu.
Ce nécessaire et préalable débat contradictoire sur l'*autorité* du concile, il n'a eu lieu à ma connaissance nulle part, à la seule exception de celui auquel le P. Congar a un moment consenti. Il fut l'unique théologien conciliaire du plus haut niveau et quasiment du plus officiel à s'y prêter. Je lui demeure reconnaissant de l'avoir fait. Je l'avais averti que notre échange demeurerait une référence historique. Qu'on s'y reporte en effet : principalement aux pages 21 à 33 et 63 à 71 du volume où est consignée la controverse ([^3]). On y verra que l'autorité exceptionnelle accordée au concile Vatican II repose sur des critères *non-catholiques :* humanistes, philanthropiques, démocratiques, -- mais le P. Congar n'a pu alléguer aucun critère proprement *catholique* pour confirmer la thèse qui demeure cependant la sienne, celle des évêques, celle du Saint-Siège.
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Depuis vingt ans nous nous heurtons à trois attitudes officielles, et trois seulement, au sujet du concile.
La première dit en substance : *le concile, le concile seul,* comme s'il contenait toute la foi catholique.
La seconde dit : *l'Évangile et Vatican II,* comme si Vatican II était parole d'Évangile, et comme si nous n'avions plus à tenir compte des explications doctrinales et définitions dogmatiques enseignées par l'Église entre l'Évangile et Vatican II.
La troisième, plus rare et plus récente, consent une sorte de correction des deux premières. Elle professe et réclame une adhésion à la tradition définie par « *les vingt et un conciles œcuméniques, de Nicée à Vatican II* ». Ainsi réapparaissent tardivement les conciles dogmatiques tellement oubliés ou maltraités depuis vingt ans. Mais c'est pour assimiler Vatican II à ces conciles dogmatiques et à leurs définitions infaillibles : en cela cette troisième attitude est elle aussi inacceptable.
Quand Mgr Lefebvre déclare, dans sa lettre du 2 juin au souverain pontife, vouloir « attendre des temps plus propices au retour de Rome à la Tradition », on ne peut qu'approuver, ou plutôt que partager la constatation qui est la sienne : ces temps ne paraissent pas encore venus.
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Tant que toute remise en question de Vatican II, même partielle et modérée, sera considérée comme entraînant l'exclusion de la communauté catholique aussi sûrement ou plus sûrement que le rejet d'un article du Credo, eh bien il est évident qu'une telle violence, instrument de l'apostasie immanente, continuera de provoquer une fracture insurmontable.
Je suis du même côté de cette fracture que Mgr Lefebvre : du même côté de cette fracture qui n'a été provoquée ni par lui ni par les traditionnels, mais par les conciliaires. Il serait effronté de ma part, ou au moins impertinent, de décréter que *j'approuve* Mgr Lefebvre, qui n'est aucunement soumis à mon approbation préalable ou subséquente et qui n'en a aucun besoin. Plus exactement donc, *j'adhère* à ce qu'il dit de cette fracture. J'y adhère d'autant mieux que je l'ai dit aussi, parfois en d'autres termes, parfois avant lui, je ne songe ni à m'en prévaloir ni à en tirer vanité, je l'indique comme un signe supplémentaire de la conviction, profonde et spontanée, qui m'avait *d'avance* rangé de son côté, et qui de fait m'a rangé à ses côtés depuis la fondation de la Fraternité Saint-Pie X en 1969-1970 et plus spécialement encore depuis sa déclaration sur les deux Romes du 21 novembre 1974.
Cela, tout cela, qui fait intimement partie de l'histoire et de la pensée d'ITINÉRAIRES, et qui est inscrit dans les numéros successifs d'ITINÉRAIRES, est et demeure la position d'ITINÉRAIRES.
C'en est le premier point.
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#### III
Il faut maintenant écouter les raisons pour lesquelles, le 30 juin 1988, Mgr Lefebvre a procédé à des consécrations épiscopales qui lui avaient été expressément interdites par le pape. Ces raisons concernent toutes la survie de la Fraternité sacerdotale dans son œuvre de formation des prêtres ; elles concernent la suppléance progressive puis la succession de Mgr Lefebvre pour les ordinations sacerdotales. Les positions doctrinales de la Fraternité ni son apostolat ne sont directement en cause ces positions demeuraient, cet apostolat continuait sans les consécrations du 30 juin ; ni cet apostolat ni ces positions ne réclamaient les sacres. Mais Mgr Lefebvre considérait que sa mort éventuellement prochaine compromettrait l'avenir de la Fraternité s'il n'y avait aucun évêque pour prendre le relais. L'activité de la Fraternité n'en serait pas interrompue en elle-même, mais il n'y aurait plus d'ordinations nouvelles.
Un débat s'était ouvert à ce sujet depuis trois ou quatre ans, il était même devenu public, entre les docteurs et publicistes plus ou moins proches de Mgr Lefebvre. Lui-même, semble-t-il, en était agacé, et cela se comprend : qu'avait-il à faire des arguments des uns ou des autres ? Laissez-moi tranquille avec cela, disait-il en substance. Par exemple à Écône, le 27 octobre 1985, en la fête du Christ-Roi :
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« On me dit souvent : *Alors, Monseigneur, vous allez sacrer un évêque ?* Je réponds : *Laissez-moi la paix avec cette histoire d'évêque !* » ([^4])
Il s'agissait là en effet de ses responsabilités personnelles de fondateur de la Fraternité. Lui seul avait en l'occurrence les grâces d'état qui, sans le rendre infaillible, lui donnaient des lumières indispensables sur la décision à prendre. Personne d'autre n'avait ces grâces d'état, -- à l'exception sans doute de ceux à qui Mgr Lefebvre estimait utile de demander un conseil : mais certainement pas ceux qui lui apportaient leur avis, ou le lançaient à la cantonade, sans qu'il leur ait été demandé. Pour ces raisons il m'apparaissait qu'il y aurait eu de ma part indiscrétion, et même témérité (au sens du « jugement téméraire ») à m'en mêler en public ou en privé. Le cas de conscience devant lequel s'est trouvé Mgr Lefebvre est celui-là même que nous connaissons tous plus ou moins dans des circonstances ne comportant pas d'aussi lourdes ou d'aussi vastes conséquences : chaque fois qu'il s'agit de savoir si une parole, une démarche, un acte relèvent ou non de notre responsabilité ; s'il faut ou non en abandonner le soin à la Providence. Il y a des cas où il serait malhonnête, comme dit Péguy, de demander la victoire à Dieu dans la prière, mais sans combattre ;
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et Mgr Lefebvre, en somme, a finalement pensé qu'il serait malhonnête de demander un évêque à Dieu dans la prière sans user lui-même de son pouvoir de consacrer. Il avait d'abord estimé le contraire. Il l'avait dit. Dans sa *Lettre ouverte aux catholiques perplexes,* parue en 1985 -- dont je pense comme Marc Dem quelle est son meilleur livre -- on lisait à la dernière page ces lignes émouvantes, et là-dessus aussi nous étions en profonde communion avec lui :
« ...On écrit qu'après moi mon œuvre disparaîtra, parce qu'il n'y aura pas d'évêques pour me remplacer. Je suis certain du contraire, je n'ai aucune inquiétude. Je peux mourir demain, le Bon Dieu a toutes les solutions. Il se trouvera de par le monde, je le sais, suffisamment d'évêques pour ordonner nos séminaristes. Même s'il se tait aujourd'hui, l'un ou l'autre de ces évêques recevrait du Saint-Esprit le courage de se dresser à son tour. Si mon œuvre est de Dieu, Il saura la garder et la faire servir au bien de l'Église. »
En 1988 Mgr Lefebvre a changé d'avis. Il ne m'apparaît pas que nous ayons forcément l'obligation théologale ou morale soit de le suivre soit de refuser de le suivre dans ce changement. Cela regarde la Fraternité Saint-Pie X et ceux qui en sont membres. Certains d'entre eux n'approuvaient pas, ils le murmuraient assez fort, la position « providentialiste » énoncée par Mgr Lefebvre dans sa *Lettre ouverte* de 1985 : en cela ils ne sont pas les plus qualifiés pour rendre maintenant « obligatoire » d'approuver ostensiblement la nouvelle position, et surtout point pour le rendre obligatoire à ceux qui ne sont pas eux-mêmes membres de la Fraternité.
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Les raisons de Mgr Lefebvre pour les sacres du 30 juin 1988 ne sont pas tirées des nécessités *présentes* de la fidélité à la foi catholique, à la messe catholique, à la morale catholique ; elles sont, tirées de l'estimation qu'il fait des nécessités *futures* de la Fraternité en tant qu'ouvre sacerdotale quantitativement la plus importante (mais non la seule) des œuvres sacerdotales ou religieuses ancrées dans la tradition catholique. Ces nécessités futures, ces nécessités qu'il considère comme inhérentes à la survie de la Fraternité, ne nous laissent certes point indifférents : aurons-nous après-demain encore des prêtres, aurons-nous dès demain davantage de prêtres pour célébrer la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V ? La tâche de la Fraternité sacerdotale est, dit Mgr Lefebvre, de « faire des prêtres », de faire ces prêtres-là. Nous en sommes les bénéficiaires. Nous y avons aidé par nos dons, par notre sympathie exprimée et argumentée, par nos prières. Mais non point par nos conseils et avis, non point par nos approbations ou réprobations, ce n'est pas de notre compétence. Les vocations sacerdotales pourront toujours se préparer au sacerdoce par l'étude et l'oraison : mais qui les ordonnera, ce n'est pas à nous d'en trancher, ce n'est pas à nous d'y pourvoir. Nous ne sommes pas en mesure de sérieusement nous prononcer là-dessus, quelles que soient les dérisoires sommations médiatiques qui nous en sont adressées.
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J'ai naturellement à ce sujet, comme tout le monde, des opinions, des souhaits, des espérances, mais je n'ai pas la responsabilité personnelle d'en décider, ni les grâces d'état qui sont données aux responsabilités réelles et non point aux responsabilités imaginées. Bien sûr chacun peut pontifier sans limite, il ne manque pas à cette heure de volontaires pour s'afficher parlant comme la concierge selon Sacha Guitry : « Si j'étais le gouvernement, voilà ce que je ferais. » Je ne suis pas la concierge selon Sacha Guitry. Je ne m'imagine pas étant le gouvernement de la Fraternité Saint-Pie X ; j'ai seulement celui d'ITINÉRAIRES, et celui de PRÉSENT : « En cela comme en tout le reste, écrivait Dom Besse à l'intention des oblats de saint Benoît, qu'ils évitent de prendre les initiatives qui ne leur appartiennent pas. *Memores sint conditionis suae.* Qu'ils se souviennent de leur condition. »
Tel est le second point de la position d'ITINÉRAIRES.
#### IV
Le *traditionalisme* n'est pas un parti et Mgr Lefebvre n'est pas *le chef des traditionalistes.* Ce n'est pas moi qui le décrète. C'est lui qui le déclare :
29:325
« Il me faut dissiper d'entrée de jeu un malentendu, de manière à n'avoir pas à y revenir : je ne suis pas un chef de mouvement, encore moins le chef d'une Église particulière. Je ne suis pas, comme on ne cesse de l'écrire, *le chef des traditionalistes.* » ([^5])
« Ne vous laissez pas abuser par le terme de *traditionaliste* que l'on essaie de faire prendre en mauvaise part. C'est d'une certaine façon un pléonasme, car je ne vois pas ce que peut être un catholique qui ne serait pas traditionaliste. » ([^6]) :
Qu'il y ait un « traditionalisme » organisé comme un parti d' « extrême droite » -- « l'extrême droite de Dieu » -- dont Mgr Lefebvre serait « le chef », c'est ce que racontent le *Nouvel Observateur,* et les télévisions, et le *Figaro :* ces gros médias libéraux ou socialistes, en tout cas maçonniques, sont arrivés à persuader de cette fable et à faire tomber dans ce piège beaucoup trop d'innocents, tous ceux qui, jusque dans le public et le clergé traditionnels, faute d'esprit critique, demeurent médiatiquement vulnérables et manipulables.
Au vrai, le « traditionalisme » n'existe pas : en ce sens qu'il n'est pas une Église, il n'est pas une armée, il n'est pas une école théologique particulière, il n'est pas un groupement hiérarchisé. Il n'existe pas plus que l' « intégrisme ». La tradition catholique, l'intégrité catholique ne sont pas une tendance parmi d'autres ou une faction contre d'autres.
30:325
Le « traditionalisme » ou l' « intégrisme », mis à part les qualités et défauts des personnes individuelles, ne sont rien d'autre que le catholicisme : le catholicisme intégral, le catholicisme traditionnel. Et pourtant ils se distinguent, ou on les distingue, ils ne sont pas le catholicisme purement et simplement ? Selon une formule que je trouve finement exacte ([^7]), ils sont *le catholicisme quand il entre en effervescence par suite de circonstances défavorables.* Il n'en devient pas autre que lui-même ; mais voilà qu'il « entre en effervescence » parce qu'il est trop défavorisé, contrarié ou combattu. Les catholiques qui n'entrent pas en effervescence demeurent des catholiques, mais des catholiques qui n'aperçoivent pas en quoi les circonstances sont défavorables à la foi catholique ou bien qui en sous-estiment la nocivité. Ils sous-estiment par exemple la perversité des lois laïques, de la philosophie moderne, de la démocratie religieuse : ce sont des circonstances extérieurement « défavorables ». Ils sous-estiment la perversité de « circonstances défavorables » intérieures à l'Église telles que le teilhardisme, la liturgie désacralisée, l'antidogmatisme dans la catéchèse, le scientisme dans l'exégèse. L' « effervescence » traditionaliste est une réaction aux unes ou aux autres de ces circonstances hostiles.
31:325
Une telle réaction a normalement pour chefs le pape et les évêques : quand leur défaillance se prolonge, ou même quand ils vont jusqu'à contrecarrer ou condamner la nécessaire réaction de défense des catholiques, on se trouve en présence d'une anomalie majeure ; et l' « effervescence » qui était légitime peut alors prendre de son côté des formes désordonnées, frénétiques ou désespérées. L'adage : *hors de l'Église, point de salut* (qui demande au demeurant à être bien compris) est interprété, et de la manière la plus littérale, au profit d'un groupe constitué en une sorte de parti ou de chapelle. Il serait contraire à tout ce que Mgr Lefebvre a toujours enseigné d'aller maintenant énoncer ou pratiquer un « hors de la Fraternité, point de salut » ; ou de vouloir imposer une *obéissance à Mgr Lefebvre, chef des traditionalistes,* alors que celui-ci n'a jamais adressé de commandements et réclamé l'obéissance qu'aux membres de sa Fraternité.
Le troisième point de la position d'ITINÉRAIRES, c'est donc de refuser l'institution d'une nouvelle ligne de démarcation, qui diviserait les catholiques entre ceux qui approuvent les sacres du 30 juin et ceux qui ne les approuvent pas, comme si leur approbation ou leur réprobation était un article de foi.
#### V
La responsabilité propre d'ITINÉRAIRES dans le drame religieux de notre temps concerne sa tâche particulière, laquelle est clairement spécifiée par l'histoire de la revue, et par là-même échappe à toute programmation fantaisiste, occasionnelle ou réductrice.
32:325
La revue ITINÉRAIRES a été fondée en 1956 pour travailler à la « réforme intellectuelle et morale » selon la tradition et l'héritage de Louis Veuillot, de Frédéric Le Play, du cardinal Pie, du Père Emmanuel, de Péguy, de Maurras, des Charlier, de Massis, d'Henri Pourrat.
Comme il est normal pour des catholiques, ce travail intellectuel était alimenté par la doctrine commune et la prière commune de l'Église.
Après la mort de Pie XII en 1958, cette prière et cette doctrine communes ont commencé à être travesties dans l'Église -- ou plus exactement, leur travestissement a commencé à n'être plus contrecarré par le Saint-Siège ; travesties par la croissance de plus en plus agressive d'une apostasie immanente.
A contre-courant de cette apostasie, il nous a fallu, d'abord pour nous-mêmes, maintenir ou restaurer dans leur intégrité la doctrine commune et la prière commune, assumant ainsi des tâches supplémentaires (vicariantes) de plus en plus nécessaires à mesure que s'aggravait la défaillance des institutions religieuses responsables ; nous nous sommes alors appliqués et nous nous appliquons en permanence :
1\. -- à la reconquête du texte authentique et de l'interprétation traditionnelle de l'Écriture sainte ;
33:325
2\. -- à la défense et illustration des trois connaissances nécessaires au salut et des quatre parties obligatoires de tout catéchisme catholique selon la doctrine du catéchisme du concile de Trente, seul catéchisme romain ;
3\. -- au soutien matériel et moral des prêtres qui maintiennent vivante, en la célébrant, la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V.
Mais nous l'avons affirmé et rappelé continuellement, selon les termes de la « Déclaration d'identité » d'ITINÉRAIRES : l'ensemble du peuple chrétien et du clergé catholique ne peuvent guère avoir spontanément le courage ou le discernement de garder l'Écriture sainte, le catéchisme romain et la messe catholique ; ils ne peuvent guère avoir le courage ou le discernement de les maintenir coûte que coûte au centre de l'éducation des enfants. Pour qu'ils aient ce discernement et ce courage, il faut que sans cesse ils y soient incités par l'autorité spirituelle que Dieu a établie pour cela. C'est pourquoi nous adressons aux responsables de la hiérarchie ecclésiastique une réclamation ininterrompue :
-- *Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe !*
Telle fut notre lettre au pape Paul VI en 1972. Telle est en 1988 notre lettre au pape Jean-Paul II :
-- *Rendez-nous l'Écriture sainte, le catéchisme romain et la messe catholique !*
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C'est le quatrième point de la position religieuse d'ITINÉRAIRES, -- à vrai dire le premier selon l'ordre chronologique et le premier aussi selon l'ordre d'importance. Notre tâche, qui était de chronique et de réforme intellectuelles, est devenue aussi, dans l'Église, après 1958, une tâche de réclamation motivée et d'insurrection morale. Réclamation de notre droit surnaturel, insurrection contre les interdictions arbitraires qui ont voulu nous en priver.
Tout en sachant où en est le monde moderne.
Nous vivons une décomposition générale de la société qui est moralement analogue à la décomposition finale de l'Empire romain. L'Église elle-même est entraînée dans cette décomposition. Tous, nous en subissons les effets : nous les subissons moins que ceux qui s'y abandonnent, mais nous les subissons nous aussi. Aucune institution ni personne ne peut y échapper tout à fait. Péguy nous l'avait annoncé : « *Quand il y a une éclipse, tout le monde est à l'ombre* »*.* Il y a une éclipse jusque dans l'Église. Il y a une éclipse de l'Église. Tout se décompose, même l'Église. Nul n'est indemne dans ce désastre général.
Du train dont tout se décompose, tout périra. Sauf l'Église ; et sans doute quelques nations, mais dans quel état : la juive, c'est dans l'Écriture ; la France... ?
\*\*\*
35:325
En conclusion, ou plutôt en résumé, voici donc « la position d'ITINÉRAIRES » dans le paysage religieux de l'année 1988. *Premier point :* une communion profonde, entière, inchangée, proclamée avec tout l'essentiel de ce que Mgr Lefebvre a fait jusqu'au 11 juin dernier. Pour n'avoir point cette communion, il faut à notre avis ne pas discerner quelle est la situation réelle de l'Église, soit par manque d'information matérielle, soit par déficience théologale. *Second point :* la revue n'a pas qualité pour prêcher l'approbation ou la réprobation des sacres du 30 juin. *Troisième point :* le traditionalisme n'est pas un parti, Mgr Lefebvre n'est pas, il l'a assez dit lui-même, le chef des traditionalistes, n'instituons pas des obédiences surérogatoires et des querelles de mitoyenneté. *Quatrième point* (qui est le premier) : notre combat reste le même, plus que jamais pour l'Écriture, le catéchisme et la messe.
Jean Madiran.
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### CHRONOLOGIE
*Vingt ans de combats\
pour la messe traditionnelle*
*Cette chronologie commence en 1969 parce que la fabrication et l'institution par Paul VI d'une nouvelle messe, en 1969, est un commencement : le commencement d'une nouvelle période de la guerre dans l'Église. Mais bien sûr cette nouvelle messe n'est pas un commencement absolu. Elle est elle-même un aboutissement. Il y a eu de longue date le mouvement liturgique anti-traditionnel.*
37:325
*Il y a eu la constitution liturgique de Vatican II et son astuce sournoise* (*elle ordonnait explicitement de conserver le latin, le grégorien, les rites traditionnels, mais c'était une feinte, on l'a bien vu par la suite*)*. Il y a eu les premières modifications de septembre 1964, supprimant le psaume 42 au début de la messe et à la fin le dernier évangile et les prières de Léon XIII à la suite des messes basses ; il y a eu la formule* « *Corpus Christi* » *à laquelle répondre* « *Amen* » *à la communion des fidèles ; et le Notre Père récité ou chanté par l'assistance en vernaculaire. Ces modifications figuraient dans l'* « *Ordo Missae* » *de janvier 1965 ; elles entraient en vigueur à partir du 7 mars 1965, avec le décret du même jour sur le rite de la concélébration et celui de la communion sous les deux espèces. Il y a eu le décret du 4 mai 1967 : le canon à haute voix, la suppression d'un grand nombre de signes de croix et de génuflexions du célébrant, etc., pour exercer prêtres et fidèles à des changements encore limités mais incessants.*
38:325
*Il y a eu l'épisode de la* « *messe normative* »*, ballon d'essai raté au synode épiscopal de 1967. Il y a eu le décret du 23 mai 1968 instituant trois nouveaux canons. Tout cela eut sa fonction et son importance. On était déjà en plein drame. Nous commençons cependant la présente chronologie en cette terrible année climatérique 1969. C'est le moment où -- entre autres violences, au premier rang desquelles il faut compter le nouveau catéchisme en France -- l'institution d'une nouvelle messe va être le moyen de PRÉTENDRE INTERDIRE la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V.*
1969
3 avril
*-- *CONSTITUTION APOSTOLIQUE *Missale romanum* de Paul VI approuvant une nouvelle messe.
A\) Nous disons bien : *approuvant* et non pas *promulguant*. La « *promulgation* » (une « *promulgation* »... mais sans publication !) fut opérée trois jours après, le 6 avril, par un décret de la congrégation des rites.
39:325
Le texte lui-même de la messe ainsi *approuvée* puis « *promulguée* » ne fut *publié* que quelques semaines plus tard par l'imprimerie vaticane, accompagné d'une *Institutio generalis* qui en expliquait les intentions, les principes et les normes.
B\) La bulle *Quo primum* de saint Pie V n'était pas abolie par ces décrets : son abolition éventuelle n'aurait pu être qu'explicite, elle ne peut être implicite. Par cette bulle, saint Pie V avait codifié en 1570 la messe traditionnelle.
Juridiquement, donc, *la nouvelle messe de Paul VI ne peut être considérée que comme une dérogation particulière aux prescriptions non abrogées de la bulle Quo primum*.
C\) La nouvelle messe de Paul VI et son *Institutio generalis* furent plusieurs fois retouchées après l' « approbation » du 3 avril et la soi-disant « promulgation » du 6 avril 1969 ; l'édition « typique », c'est-à-dire officielle, ne parut qu'en mars 1970.
D\) Le titre même de la constitution apostolique *Missale romanum* du 3 avril 1969 disait pourtant bien sa volonté de PROMULGUER : « *Constitutio apostolica qua missale romanum ex decreto concilii œcumenici Vaticani II instauratum* PROMULGATUR*.* » -- Mais lorsque le 26 mars 1970 un « décret » de la congrégation du culte PROMULGUE l'édition officielle du nouveau missel, la première phrase de ce décret indique que la constitution apostolique *Missale romanum* du 3 avril 1969 avait APPROUVÉ les textes du missel en question : approuvé et non promulgué. Le décret figure à la première page de ladite édition officielle ; à la seconde, la constitution apostolique avec son titre inchangé et son « PROMULGATUR » démenti mais maintenu...
19 juin
-- NOTE du conseil permanent de l'épiscopat introduisant en France la *communion dans la main.*
Septembre
-- LETTRE DES CARDINAUX OTTAVIANI ET BACCI présentant à Paul VI un *Bref examen critique de la nouvelle messe* et demandant l'abrogation de cette messe nouvelle.
40:325
Publiés en France par la *Contre Réforme catholique* de l'abbé Georges de Nantes et par la revue ITINÉRAIRES, cette lettre des cardinaux et ce *Bref examen critique* ont fait ensuite l'objet d'un tiré à part d'ITINÉRAIRES, puis d'un *reprint* chez DMM.
24 septembre
-- Premier article de Louis Salleron, dans l'hebdomadaire *Carrefour,* contre la nouvelle messe.
25 septembre
-- Premier article (anonyme) de l'abbé Raymond Dulac contre la messe nouvelle, dans le *Courrier de Rome.*
Octobre
-- Fondation à Fribourg (Suisse) par Mgr Marcel Lefebvre, avec neuf séminaristes, de la FRATERNITÉ SACERDOTALE SAINT-PIE X.
-- Prise de position très détaillée de l'abbé Georges de Nantes, dans la *Contre-Réforme catholique,* contre la nouvelle messe.
20 octobre
-- Circulaire du Saint-Siège sur l'application progressive de la constitution apostolique *Missale romanum.*
Novembre
La revue ITINÉRAIRES publie des « *précisions théologiques* »*,* selon la doctrine commune de l'Église, « *sur quelques questions actuellement controversées* »* :*
41:325
I. -- Le pontife romain, tête de l'Église. -- II. -- Les défaillances éventuelles du pontife romain. -- III. -- Le cas d'un « mauvais pape ». -- IV. -- Le cas d'un « pape hérétique ». -- V. -- Le cas d'un « pape schismatique » (selon Suarez, un pape peut être schismatique en « renversant tous les rites traditionnels »).
1^er^ novembre
-- *Imprimatur* donné au premier *Nouveau missel des dimanches* (annuel) patronné par l'épiscopat français et contenant page 332, à titre de « *rappel de foi indispensable* », l'affirmation qu'à la messe « *il s'agit simplement de faire mémoire de l'unique sacrifice déjà accompli* ».
12 novembre
-- ORDONNANCE DE L'ÉPISCOPAT FRANÇAIS rendant obligatoire à partir du 1^er^ janvier 1970 la célébration de la nouvelle messe et l'utilisation de la traduction française établie par la commission épiscopale.
Cette ordonnance était juridiquement schismatique : en effet l'épiscopat français y prétendait *décider lui-même, en ne se référant qu'à son propre pouvoir,* le changement de rite en France. Il n'invoquait ni la constitution apostolique *Missale romanum,* ni la circulaire romaine du 20 octobre 1969.
Par cette ordonnance, l'épiscopat français *interdisait* en fait, à partir du 1^er^ janvier 1970, le rite traditionnel de la messe et, quel que soit son rite, le latin à la messe.
42:325
Décembre
-- Dans la revue ITINÉRAIRES, éditorial de Jean Madiran contre l'interdiction de la messe traditionnelle : « *Un petit livre rouge.* »
1970
Janvier
-- Déclaration du P. Calmel OP dans ITINÉRAIRES : « Je m'en tiens à la messe traditionnelle, celle qui fut codifiée mais non fabriquée par saint Pie V, au XVI^e^ siècle, conformément à une coutume plusieurs fois séculaire. Je refuse donc l'ORDO MISSAE de Paul VI. »
Février
-- Dans ITINÉRAIRES, l'abbé Raymond Dulac publie contre la nouvelle messe : « *Les raisons d'un refus* »*.*
26 mars
-- Décret de la congrégation romaine du culte divin promulguant l'édition dite « typique » (c'est-à-dire officielle) de la nouvelle messe (en latin). L'épiscopat français, comme on l'a vu, n'avait pas attendu cette promulgation officielle pour en rendre obligatoire une traduction à sa façon.
43:325
22 août
-- Fondation par Dom Gérard du monastère Sainte-Madeleine à Bédoin (ultérieurement transféré au Barroux).
Octobre
-- Ouverture à ECÔNE, par Mgr Marcel Lefebvre, du SÉMINAIRE INTERNATIONAL SAINT-PIE X, où seront instruits et ordonnés de jeunes prêtres pour célébrer la messe traditionnelle.
Décembre
-- Première édition du livre de Louis Salleron sur (et contre) *La nouvelle messe,* un volume de 188 pages aux Nouvelles Éditions Latines.
1971
9 juin
-- DÉCLARATION DU CARDINAL OTTAVIANI (publiée dans l'hebdomadaire *Carrefour* par Louis Salleron qui est allé à Rome interviewer le cardinal) :
« *Le rite traditionnel de la messe selon l'Ordo de saint Pie V n'est pas, que je sache, aboli.* »
44:325
14 juin
-- Notification de la congrégation romaine du culte divin pour la mise en place de la nouvelle messe (notification superfétatoire pour la France, où les évêques ont déjà devancé et dépassé Rome).
Novembre
-- Le cardinal Heenan, à la demande de la *Latin Mass Society,* « association pour le rite tridentin » (adhérente à la Fédération internationale *Una voce*)*,* fait connaître l'autorisation donnée par Paul VI aux Anglais d'utiliser occasionnellement le rite traditionnel de la messe.
1972
10 octobre
-- *Imprimatur* à nouveau décerné au *Nouveau missel des dimanches* (annuel) de l'épiscopat qui, en sa page 383, réitère le « *rappel de foi indispensable* » de la première édition, selon lequel à la messe « *il s'agit simplement de faire mémoire de l'unique sacrifice déjà accompli* ».
27 octobre
-- LETTRE À PAUL VI de Jean Madiran :
« *Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe* (*...*)*. Rendez-nous la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V.*
45:325
*Vous laissez dire que vous l'auriez interdite. Mais aucun pontife ne pourrait, sans abus de pouvoir, frapper d'interdiction le rite millénaire de l'Église catholique, canonisé par le concile de Trente. L'obéissance à Dieu et à l'Église serait de résister à un tel abus de pouvoir, s'il s'était effectivement produit, et non pas de le subir en silence* (*...*)*. Très Saint Père, confirmez dans leur* foi *et leur bon droit les prêtres et les laïcs qui, malgré l'occupation étrangère de l'Église par le parti de l'apostasie, gardent fidèlement l'Écriture sainte, le catéchisme romain, la messe catholique* (*...*)*. Laissez venir jusqu'à vous la détresse spirituelle des petits enfants : rendez-leur, Très Saint Père, rendez-leur la messe catholique, le catéchisme romain, la version et l'interprétation traditionnelles de l'Écriture. Si vous ne les leur rendez pas en ce monde, ils vous les réclameront dans l'éternité...* »
Novembre
-- Première édition de *La messe, état de la question,* par Jean Madiran.
-- Contre la nouvelle messe, Henri Charlier publie dans ITINÉRAIRES : « *La messe ancienne et la nouvelle* »*,* texte qui sera en 1973 édité en opuscule (24 p.) par DMM.
1973
Janvier
-- « Mise au point » de Mgr Adam, évêque de Sion (Suisse), affirmant qu' « il est interdit, sauf indult, de célébrer selon le rite de saint Pie V, qui a été aboli (*sic*) par la constitution *Missale romanum* du 3 avril 1969 ».
46:325
Mgr Adam précise : « La présente déclaration est faite sur renseignement authentique et indication formelle de l'Autorité. »
Juillet
-- Communiqué de l'Assemblée plénière des évêques suisses : « Il n'est plus permis de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V. »
Octobre
-- Au nom de Mgr Badré, évêque de Bayeux et de Lisieux, le doyen d'Orbec publie un communiqué affirmant : « Le souci d'obéissance à l'Église interdit de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V dans quelques circonstances que ce soit. »
1974
14 novembre
-- COMMUNIQUÉ DE L'ÉPISCOPAT FRANÇAIS qui, pour la première fois, cinq ans après coup, déclare *explicitement* interdite la messe traditionnelle (l'ordonnance du 12 novembre 1969 l'avait effectivement interdite, mais *implicitement* et par voie de conséquence, en rendant obligatoire la messe nouvelle en français).
47:325
Au communiqué est jointe l'ORDONNANCE ÉPISCOPALE du 14 novembre 1974, qui « confirme sa décision antérieure », celle du 12 novembre 1969, mais cette fois « en application » de la notification romaine du 14 juin 1971 et non plus de sa propre autorité.
21 novembre
-- Déclaration de Mgr Marcel Lefebvre : « Nous refusons de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s'est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues. »
1975
Mai
-- « Condamnation » (la « condamnation sauvage ») du Séminaire international d'Écône et de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X fondés par Mgr Lefebvre.
29 juin
-- Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre : « Le deuxième concile du Vatican ne fait pas moins autorité, il est même sous certains aspects plus important que celui de Nicée. »
11 octobre
-- Lettre du cardinal Villot, secrétaire d'État, approuvant au nom de Paul VI l'édition française du nouveau missel, et assurant que par sa constitution apostolique *Missale romanum* de 1969, le pape a « prescrit que le nouveau missel doit remplacer l'ancien ».
48:325
Novembre
-- Louis Salleron publie *La nouvelle messe en quoi* (suivie de : *Solesmes et la messe*)*,* un opuscule de 64 pages (édité par ITINÉRAIRES). En *reprint* chez DMM.
1976
24 mai
-- DISCOURS CONSISTORIAL de Paul VI réclamant que la messe traditionnelle ne soit plus jamais célébrée :
« L'adoption du nouvel Ordo Missae n'est certainement pas laissée à la libre décision des prêtres ou des fidèles... Le nouvel Ordo a été promulgué pour prendre la place de l'ancien. »
Juin
-- Cinquième édition, revue et augmentée, de : *La messe, état de la question,* par Jean Madiran (un opuscule de 80 pages).
25 juin
-- Mgr Benelli, de la secrétairerie d'État, écrit au nom de Paul VI à Mgr Lefebvre pour exiger « *la fidélité véritable à l'Église conciliaire* » (sic).
49:325
22 juillet
-- Paul VI frappe Mgr Lefebvre de *suspense a divinis.*
8 septembre
-- A Jean Guitton qui lui demande d'autoriser en France la célébration de la messe traditionnelle, Paul VI répond « sévèrement » : -- « *Cela, jamais !* »
(Cette violente répartie ne sera rendue publique qu'après la mort de Paul VI, dans le livre de Jean Guitton paru en décembre 1979 : Paul VI *secret,* p. 158.)
11 septembre
-- A Castelgandolfo, Mgr Lefebvre est reçu par Paul VI. Il demande au pape de « laisser faire l'expérience de la Tradition », c'est-à-dire notamment de *lever l'interdiction qui prétend frapper la messe traditionnelle.* Le pape répond qu'il réfléchira et consultera la curie.
29 septembre
-- Achevé d'imprimer de la seconde édition (augmentée) du livre de Louis Salleron : *La nouvelle messe,* un volume de 256 pages aux Nouvelles Éditions Latines.
11 octobre
-- Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre exigeant (entre autres) l'abandon total et définitif de la messe traditionnelle.
50:325
1977
27 février
-- Premier dimanche de Carême : Mgr Ducaud-Bourget, l'abbé Louis Coache, l'abbé Vincent Serralda et les fidèles du rite de saint Pie V s'installent dans l'église SAINT-NICOLAS DU CHARDONNET à Paris, ainsi rendue depuis ce jour au culte traditionnel.
1978
16 juin
-- Le cardinal Seper, préfet de la congrégation romaine de la doctrine, intervient de manière pressante auprès de Mgr Lefebvre pour qu'il renonce à ordonner des prêtres fidèles à la messe traditionnelle.
Malgré pressions, menaces et sanctions, Mgr Lefebvre procède aux ordinations, chaque année à Écône, le jour ou aux environs de la fête des saints apôtres Pierre et Paul (29 juin). Ainsi les célébrations habituelles de la messe traditionnelle se multiplient. Le nombre des prieurés de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X et des jeunes prêtres y exerçant leur ministère augmente régulièrement.
1980
19 juin
-- La congrégation romaine du culte (dans une communication qu'elle aurait voulu garder secrète) demande à tous les évêques d'ouvrir une enquête sur la permanence éventuelle d'un attachement à la célébration de la messe en latin et selon le rite traditionnel.
51:325
Jean Madiran révèle l'existence et le contenu de cette enquête dans ITINÉRAIRES, numéro 246 de septembre-octobre 1980, pp. 153 et suiv.
L'enquête sera systématiquement faussée par le fait que les évêques vont *omettre* ou même *refuser* d'entendre justement les personnes et les groupes qui demeurent attachés à la messe traditionnelle.
1981
Novembre
-- Mgr Antonio de Castro-Mayer, évêque de Campos, rend publique sa réponse à l'enquête liturgique en la publiant dans ITINÉRAIRES (numéro 257).
Il y déclare :
1° que conformément à la constitution conciliaire de Vatican II sur la liturgie, n° 54 et n° 36, les prêtres de son diocèse « *maintiennent la coutume de célébrer la sainte messe en latin* »* ;*
2° que conformément au n° 4 de la même constitution conciliaire, qui veut que « tous les rites légitimement reconnus soient conservés et favorisés de toutes les manières », *la messe traditionnelle, dite* « *tridentine* », est « *célébrée d'une manière générale dans les paroisses du diocèse* ».
Décembre
-- Publication à Rome des résultats (faussés) de l'enquête liturgique. Conclusion officielle : il n'existe plus aucun problème concernant la messe traditionnelle, presque complètement disparue et presque complètement oubliée.
52:325
1983
21 novembre
-- « MANIFESTE ÉPISCOPAL ». -- Dans une « lettre ouverte au pape Jean-Paul II », Mgr Marcel Lefebvre et Mgr Antonio de Castro-Mayer contestent (entre autres) la « conception protestante de la messe » qui est celle de la messe nouvelle de Paul VI : « La désacralisation de la messe, sa laïcisation entraînent la laïcisation du sacerdoce, à la manière protestante. La réforme liturgique de style protestant est l'une des plus grandes erreurs de l'Église conciliaire... »
1984
3 octobre
-- Déclarant obtempérer à un désir personnel du pape (« *ipse* summus pontifex »), la congrégation romaine du culte, par une lettre aux présidents des conférences épiscopales, donne aux évêques la faculté de permettre par un « indult », s'ils le veulent, des célébrations de la messe traditionnelle.
53:325
Mais la congrégation pose à l'octroi d'une telle permission cinq conditions absurdes : cinq conditions qui reviennent en somme à ne consentir la messe traditionnelle qu'aux prêtres et aux fidèles qui ne la désirent pas ou ne la souhaitent guère.
Décembre
-- Jean Madiran publie dans ITINÉRAIRES une traduction française, avec annotation critique, de la circulaire romaine du 3 octobre, couramment mais abusivement nommée « indult » (elle n'est pas un indult : elle donne aux évêques la faculté d'autoriser par indult -- c'est-à-dire par un indult qu'ils décrètent eux-mêmes s'ils le veulent -- la célébration de la messe traditionnelle). -- Dans ce même numéro, éditoriaux de Jean Madiran, d'Alexis Curvers et de Dom Gérard sur le combat pour la messe.
1985
Février
-- La revue ITINÉRAIRES dénonce à nouveau l'odieux « *nullam partem* » de la circulaire romaine, dite « indult », du 3 octobre 1984 : « *Nullam partem, c'est l'apartheid !* »*. --* Dans le même numéro : « Lettre sur la messe », par Dom Gérard.
54:325
Mai
-- Numéro spécial d'ITINÉRAIRES : *Comment va la messe,* enquête après la circulaire romaine du 3 octobre 1984.
1986
29 novembre
-- Une banderole apparaît sur le fronton de l'église Saint-Louis de Port-Marly (Yvelines) : « *Les catholiques qui sont dans cette église exigent le maintien du catéchisme et de la messe traditionnelle.* »
1987
6 mars-12 avril
-- La bataille de Saint-Louis de Port-Marly. L'évêque de Versailles fait murer l'église, la préférant désaffectée plutôt que célébrant la messe de saint Pie V. Finalement l'église est reprise et rouverte au culte traditionnel.
7 juin
-- Pour la cinquième fois, l'évêque de Chartres refuse au CENTRE CHARLIER que la messe de clôture de son pèlerinage de chrétienté, le lundi de Pentecôte, soit célébrée dans la cathédrale selon le rite traditionnel.
55:325
Pour la cinquième fois également, le cardinal-archevêque de Paris maintient le même refus à Notre-Dame pour la messe de départ, en la vigile de Pentecôte.
1988
Janvier-juin
-- A l'occasion des négociations entre Mgr Lefebvre et le cardinal Ratzinger, le Saint-Siège se déclare disposé à distribuer des autorisations de célébrer la messe traditionnelle. Toutefois on remarque qu'aucun des représentants et négociateurs du Saint-Siège ne la célèbre jamais lui-même.
Le cardinal-archevêque de Paris attache une grande importance au fait qu'il va célébrer à Notre-Dame, une fois, selon le missel de saint Pie V. De son côté le primat des Gaules n'exclut pas que cela puisse lui arriver un jour à lui aussi.
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### Déclaration de Dom Gérard
*rendue publique dans* «* Présent *» *\
le 18 août 1988*
NOUS AVONS REÇU depuis le 30 juin une quantité de lettres de toutes les couleurs : conseils, menaces, approbations, désapprobations, suppliques, mises en demeure, etc. Comme je ne puis répondre à tout le monde et que notre *Lettre aux amis du Monastère* ne paraîtra que début septembre, j'ai résolu de m'adresser à vous dans les colonnes du journal PRÉSENT, que je remercie de son hospitalité.
Je démens d'abord comme dénuée de tout fondement la rumeur qui a circulé, selon laquelle j'aurais été pressenti pour être sacré évêque.
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POURQUOI AVOIR ACCEPTÉ LE PROTOCOLE QUE MGR LEFEBVRE AVAIT REFUSÉ AUSSITÔT APRÈS L'AVOIR SIGNÉ ?
Ceci est une longue histoire, pour laquelle je demande quelques minutes d'attention : depuis quinze ans nous réclamons d'être relevés de notre suspense et réintégrés dans la Confédération des monastères bénédictins ; mais les conditions s'étant révélées irréalisables (renoncement au rite traditionnel), nous refusâmes, résignés à rester dans l'illégalité plutôt que de manquer à la vérité. Puis, bien longtemps après ces tentatives, le vendredi 17 juin de cette année, un appel téléphonique du Vatican réclama le Père Prieur. Le cardinal Mayer demandait à nous rendre visite ; il arrivera le lundi 20 juin à 18 heures 30 avec Mgr Perl dans le but de nous proposer de la part du Saint-Père le protocole d'accord signé le 5 mai et dénoncé dans la nuit du 5 au 6 mai.
Le lendemain nous avons réuni une dizaine de Pères autour du cardinal afin d'étudier la proposition du pape, ce qui donna lieu matin et soir à deux séances de discussion serrée, où rien ne fut laissé au hasard. L'adaptation du protocole qui nous était présentée établissait la somme de nos requêtes soumises au Saint-Siège depuis 1983. Ce que nous demandions depuis le début (messe de saint Pie V, catéchisme, sacrements, le tout conforme au rite de la Tradition séculaire de l'Église), nous était octroyé, sans contrepartie doctrinale, sans concession, sans reniement. Le Saint-Père nous offrait donc d'être intégrés dans la Confédération bénédictine, tels que nous sommes.
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**Nos raisons :**
Tout bien pesé, après plusieurs réunions du conseil des Pères, j'ai donc accepté cette proposition et expliqué à nos fidèles au cours de la messe du dimanche les raisons qui, dans notre cas, paraissent militer en faveur des accords :
a\) Il est préjudiciable que la Tradition même de l'Église soit reléguée hors de son périmètre officiel visible. Cela est contraire à l'honneur de l'Épouse du Christ. La visibilité de l'Église est un de ses caractères essentiels.
b\) Il est regrettable que les seuls Bénédictins qui soient écartés de la grande famille bénédictine soient ceux qui précisément gardent sa tradition liturgique. N'est-ce pas là un apanage de l'Ordre bénédictin ?
c\) Toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire la foi et les sacrements étant saufs, il est meilleur d'être en accord avec les lois de l'Église plutôt que d'y contrevenir.
Enfin la raison, peut-être déterminante, qui nous a inclinés à recevoir la levée de la *suspense a divinis* de nos prêtres relève d'un point de vue missionnaire : ne faut-il pas que le maximum de fidèles puissent assister à nos messes et à nos fêtes liturgiques sans être entravés par leurs aumôniers ou leur évêque ? Je pense notamment à ces jeunes lycéens, scouts, séminaristes, qui parfois n'ont jamais vu une messe traditionnelle.
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Il semble que nous serions coupables si, par suite de notre refus de saisir l'occasion, des milliers de jeunes étaient pour toujours privés de la messe latine et grégorienne, la messe face à Dieu, où le canon s'entoure de silence, où la Sainte Hostie, centre de l'adoration des fidèles, est reçue à genoux et sur les lèvres.
L'enjeu n'est pas mince, comme on le voit.
**Nos conditions**
Nous avons posé deux conditions :
1\) Que cet événement ne soit pas un discrédit porté sur la personne de Mgr Lefebvre : cela a été dit à plusieurs reprises au cours de notre entretien avec le cardinal Mayer, qui a acquiescé. D'ailleurs, n'est-ce pas grâce à la ténacité de Mgr Lefebvre que ce statut nous est octroyé ?
2\) Que nulle contrepartie doctrinale ou liturgique ne soit exigée de nous et que nul silence ne soit imposé à notre prédication antimoderniste.
**Les réactions**
Beaucoup de nos correspondants, peu informés, se sont montrés méfiants, voire soupçonneux. Nous espérons avoir apaisé leur inquiétude.
Nous regrettons ici ou là certaines réactions amères relevant davantage de l'esprit de parti que du sens de l'Église.
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On met les fidèles en demeure de « choisir leur camp », en faisant fi du respect des âmes, qui est la condition première de tout apostolat. Ce serait une erreur grave de constituer dans l'Église une sorte de grand parti unifié élisant à sa tête un chef faisant manœuvrer ses troupes à son gré. La Tradition s'est placée, par la force des choses, dans une attitude de résistance. Nous restons nous-mêmes, arc-boutés aux impératifs de la foi intégrale et à la tradition immuable de l'Église, mais il ne faudrait pas que notre résistance légitime se transformât en *résistantialisme,* où règne le soupçon et où l'épuration fait loi : la sainte liberté des enfants de Dieu en serait la première victime et avec elle bien d'autres précieuses vertus à commencer par la charité.
***Nos trois souhaits***
Je voudrais pour finir formuler trois souhaits qui me tiennent à cœur :
1\) Qu'on veuille bien ne pas s'empresser de porter des jugements hâtifs sur des situations complexes sans avoir tous les éléments en main : précipitation et malveillance travaillent pour l'Ennemi. Si l'on voulait patienter quelque peu, on aurait tout loisir de juger l'arbre à ses fruits... N'est-ce pas le critère proposé par l'Évangile ?
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2\) Puissions-nous ne pas nous épuiser en querelles intestines, en rivalités de clan ou de juridiction. En sens contraire, que demeurent dans une amitié fraternelle tous ceux qui combattent pour la Tradition : doctrine, prédication, messe, sacrements. Qui pourra nous diviser si nous travaillons tous pour le Christ-Roi ?
3\) Je souhaite enfin que nous tirions profit du passage de l'Évangile où saint Jean s'adressant à Jésus lui dit : « *Maître, nous avons vu quelqu'un expulser les démons en ton nom, et nous voulions l'en empêcher, parce qu'il ne nous accompagne pas. Mais Jésus lui dit : ne l'empêchez pas, car qui n'est pas contre vous est avec vous.* » (Lc 9, 49.)
Dom Gérard OSB,
*Prieur du Monastère\
Sainte-Madeleine du Barroux.*
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## DOCUMENTS
#### Déclaration de Mgr Lefebvre, 19 octobre 1983, rendue publique le 30 juin 1988 à l'occasion de la consécration épiscopale de plusieurs prêtres de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. ([^8])
*La Fraternité sacerdotale Saint-Pie X a distribué le texte de cette déclaration en l'accompagnant de la note suivante :*
« *Cette Déclaration rédigée en 1983 est toujours valable. Elle n'a subi qu'une correction concernant l'accord de Rome pour une consécration épiscopale par lettre du 30 mai 1988. Si les colloques des mois d'avril et de mai n'ont pas abouti, c'est qu'ils ont manifesté la volonté de la Rome moderniste de nous faire accepter l'esprit et les réformes de Vatican II.* »
On lit au chapitre XX de l'Exode que Dieu, après avoir défendu à son peuple d'adorer des dieux étrangers, ajouta ces paroles : « *C'est moi qui suis le Seigneur ton Dieu, le Dieu fort et jaloux, visitant l'iniquité des pères dans les fils jusqu'à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent* »*,* et au chapitre XXXIV on lit : « *N'adore point de Dieu étranger ; un Dieu jaloux, c'est le nom du Seigneur.* »
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Il est juste et salutaire que Dieu soit jaloux de ce qui Lui appartient en propre et de toute éternité, jaloux de son être infini, éternel, tout puissant, jaloux de sa gloire, de sa Vérité, de sa Charité, jaloux d'être le seul Créateur et Rédempteur, et donc la fin de toutes choses, la seule voie du salut et du bonheur de tous les anges et de tous les hommes, jaloux d'être l'alpha et l'oméga.
L'Église catholique fondée par Lui et à laquelle Il a remis tous ses trésors de salut, est elle aussi jalouse des privilèges de son seul Maître et Seigneur et enseigne à tous les hommes qu'ils doivent se tourner vers Elle et être baptisés par Elle, s'ils veulent être sauvés et participer à la Gloire de Dieu dans l'Éternité bienheureuse. L'Église est donc essentiellement missionnaire. Elle est essentiellement une, sainte, catholique, apostolique et romaine.
Elle ne peut admettre qu'il y ait une autre religion vraie en dehors d'elle, elle ne peut admettre qu'on puisse trouver une voie de salut en dehors d'elle puisqu'elle s'identifie avec son Seigneur et Dieu qui a dit « *Je suis la Voie, la Vérité et la Vie* ».
Elle a donc horreur de toute communion ou union avec les fausses religions, avec les hérésies et les erreurs qui éloignent les âmes de son Dieu, qui est l'unique et seul Dieu. Elle ne connaît que l'unité dans son sein, comme son Dieu. Pour cela elle donne le sang de ses martyrs, la vie de ses missionnaires, de ses prêtres, le sacrifice de ses religieux et religieuses, elle offre le sacrifice quotidien de propitiation.
Or avec Vatican II souffle un esprit adultère dans l'Église, esprit qui admet par la Déclaration de la Liberté religieuse le principe de la liberté de la conscience religieuse pour les actes internes et externes, avec exemption de toute autorité.
C'est le principe de la Déclaration des droits de l'homme, contre les droits de Dieu. Les autorités de l'Église, de l'État, de la famille participent à l'autorité de Dieu et ont donc le devoir de contribuer à la diffusion de la Vérité et à l'application du Décalogue, et de protéger leurs sujets contre l'erreur et l'immoralité.
Cette Déclaration a provoqué la laïcisation des États catholiques, ce qui est une insulte à Dieu et à l'Église, réduisant l'Église au droit commun avec les fausses religions. C'est bien l'esprit adultère tant de fois reproché au peuple d'Israël. (Voir en note n° 1 la Déclaration de Paul VI. O.R. 24 avril 1969.)
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Cet esprit adultère se manifeste aussi dans cet œcuménisme institué par le « Secrétariat pour l'unité des chrétiens ». Cet œcuménisme aberrant nous a valu toutes les réformes liturgiques, bibliques, canoniques, avec la collégialité destructive des autorités personnelles du Souverain Pontificat, de l'Épiscopat, et du Curé.
Cet esprit n'est pas catholique. Il est le fruit du modernisme condamné par saint Pie X. Il ravage toutes les institutions de l'Église et spécialement les séminaires et le clergé, de telle sorte qu'on peut se demander qui est encore intégralement catholique parmi les clercs soumis à l'esprit adultère du Concile !
Rien n'est donc aussi urgent dans l'Église que de former un clergé qui répudie cet esprit adultère et moderniste et sauve la gloire de l'Église et de son divin Fondateur en gardant la foi intégrale et les moyens établis par Notre-Seigneur et par la tradition de l'Église pour garder cette foi et transmettre la vie de la grâce et les fruits de la Rédemption.
Depuis bientôt vingt ans nous nous efforçons avec patience et fermeté de faire comprendre aux autorités romaines cette nécessité du retour à la saine doctrine et à la tradition pour le renouveau de l'Église, le salut des âmes et la gloire de Dieu.
Mais on demeure sourd à nos supplications, bien plus on nous demande de reconnaître le bien-fondé de tout le Concile et des réformes qui ruinent l'Église. On ne veut pas tenir compte de l'expérience que nous faisons, avec la grâce de Dieu, le maintien de la Tradition qui produit de vrais fruits de sainteté et attire de nombreuses vocations.
Pour sauvegarder le sacerdoce catholique, qui continue l'Église catholique et non une Église adultère, il faut des évêques catholiques. Nous nous voyons donc contraints, à cause de l'invasion de l'esprit moderniste dans le clergé actuel, et jusqu'aux plus hauts sommets à l'intérieur de l'Église, d'en arriver à consacrer des évêques, le fait de cette consécration étant admis par le Pape dans la lettre du 30 mai du Cardinal Ratzinger. Ces consécrations épiscopales seront non seulement valides, mais vu les circonstances historiques, vraisemblablement licites. Quoi qu'il en soit de la licéité, il est parfois nécessaire d'abandonner la légalité pour demeurer dans le droit.
Le Pape ne peut que désirer la continuation du sacerdoce catholique. Ce n'est donc nullement dans un esprit de rupture ou de schisme que nous accomplissons ces consécrations épiscopales, mais pour venir au secours de l'Église, qui se trouve sans doute dans la situation la plus douloureuse de son histoire. Si nous nous étions trouvés au temps de saint François d'Assise, le Pape se fût trouvé d'accord avec nous. La Franc-Maçonnerie n'occupait pas le Vatican en ces heureux temps.
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Nous affirmons donc notre attachement et notre soumission au Saint-Siège et au Pape. En accomplissant cet acte nous avons conscience de continuer notre service de l'Église et de la Papauté comme nous nous sommes efforcé de le faire depuis le premier jour de notre sacerdoce.
Le jour où le Vatican sera délivré de cette occupation moderniste et retrouvera le chemin suivi par l'Église jusqu'à Vatican II, nos évêques seront entièrement dans les mains du Souverain Pontife, y compris l'éventualité de ne plus exercer leurs fonctions épiscopales. Enfin nous nous tournons vers la Vierge Marie, elle aussi jalouse des privilèges de son divin Fils, jalouse de sa gloire, de son Règne sur la terre comme au Ciel. Combien de fois elle est intervenue pour la défense, même armée, de la Chrétienté contre les ennemis du Règne de Notre-Seigneur ! Nous la supplions d'intervenir aujourd'hui pour chasser les ennemis de l'intérieur qui tentent de détruire l'Église plus radicalement que les ennemis de l'extérieur. Qu'elle daigne garder dans l'intégrité de la foi, dans l'amour de l'Église, dans la dévotion au successeur de Pierre, tous les membres de la Fraternité Saint-Pie X et tous les prêtres et fidèles qui œuvrent dans les mêmes sentiments, afin qu'elle nous garde et nous préserve tant du schisme que de l'hérésie.
Que saint Michel Archange nous communique son zèle pour la gloire de Dieu et sa force pour combattre les démons.
Que saint Pie X nous fasse part de sa sagesse, de sa science et de sa sainteté pour discerner le vrai du faux et le bien du mal, en ces temps de confusion et mensonge.
*Albano, le 19 octobre 1983*
Marcel Lefebvre.
*Archevêque de l'unique Église de Jésus-Christ, sainte, catholique, apostolique et romaine, par la grâce de Dieu et réfection de Sa Sainteté le Pape Pie XII.*
*Note : Déclaration de Paul VI. Osserv. Rom. du 24 août 1969.*
« Est désormais bien connue de tous la position nouvelle adoptée par l'Église par rapport aux réalités terrestres... Et voici le nouveau principe très important dans la pratique... l'Église accepte de reconnaître le monde comme « auto-suffisant », elle ne cherche pas à en faire un instrument pour ses fins religieuses... »
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Déclaration contraire à la foi catholique, contre laquelle j'ai protesté par lettre à l'ex-Saint-Office. La réponse a été, de la part de la Secrétairerie d'État, c'est-à-dire du Cardinal Villot, d'avoir à quitter Rome immédiatement ; ce à quoi j'ai répondu qu'on envoie un peloton de gardes suisses pour m'y contraindre. Ce fut le silence.
Voilà ce qu'est devenu le Vatican *et ce qu'il est encore* par rapport aux défenseurs de la foi catholique. Tous les Papes dans leurs encycliques ont affirmé le contraire. Non seulement la foi mais la saine philosophie proteste contre cette déclaration qui a laïcisé tous les États catholiques.
#### Lettre de Mgr Marcel Lefebvre aux futurs évêques, 29 août 1987, rendue publique au mois de juin 1988.
*Cette lettre a été communiquée aux journaux au début de la seconde quinzaine de juin sous embargo du 30 juin. Mais plusieurs journaux n'ont pas respecté cet embargo.*
*Adveniat Regnum tuum*
A Messieurs les abbés Williamson, Tissier de Mallerais, Fellay et de Galarreta.
Bien chers amis,
La chaire de Pierre et les postes d'autorité de Rome étant occupés par des antichrists, la destruction du Règne de Notre-Seigneur se poursuit rapidement à l'intérieur même de son Corps mystique ici-bas, spécialement par la corruption de la sainte Messe, expression splendide du triomphe de Notre-Seigneur par la Croix : « *Regnavit a ligno Deus* », et source d'extension de son Règne dans les âmes et dans les sociétés.
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Ainsi apparaît avec évidence la nécessité absolue de la permanence et de la continuation du sacrifice adorable de Notre-Seigneur pour que « son Règne arrive »*.* La corruption de la sainte Messe a amené la corruption du sacerdoce et la décadence universelle de la foi dans la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Dieu a suscité la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X pour le maintien et la perpétuité de son sacrifice glorieux et expiatoire dans l'Église. Il s'est choisi de vrais prêtres instruits et convaincus de ces mystères divins. Dieu m'a fait la grâce de préparer ces lévites et de leur conférer la grâce sacerdotale pour la persévérance du vrai sacrifice, selon la définition du Concile de Trente.
C'est ce qui nous a valu la persécution de la Rome antichrist. Cette Rome, moderniste et libérale, poursuivant son œuvre destructrice du Règne de Notre-Seigneur comme le prouvent Assise et la confirmation des thèses libérales de Vatican II sur la liberté religieuse, je me vois contraint par la Providence divine de transmettre la grâce de l'épiscopat catholique que j'ai reçue, afin que l'Église et le sacerdoce catholique continuent à subsister pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.
C'est pourquoi, convaincu de n'accomplir que la sainte Volonté de Notre-Seigneur, je viens par cette lettre vous demander d'accepter de recevoir la grâce de l'épiscopat catholique, comme je l'ai déjà conférée à d'autres prêtres en d'autres circonstances.
Je vous conférerai cette grâce, confiant que sans tarder le Siège de Pierre sera occupé par un successeur de Pierre parfaitement catholique en les mains duquel vous pourrez déposer la grâce de votre épiscopat pour qu'il la confirme.
Le but principal de cette transmission est de conférer la grâce du sacrement de confirmation aux enfants et aux fidèles qui vous la demandent.
Je vous conjure de demeurer attachés au Siège de Pierre, à l'Église Romaine, Mère et Maîtresse de toutes les Églises, dans la foi catholique intégrale, exprimée dans les symboles de la foi, dans le catéchisme du Concile de Trente, conformément à ce qui vous a été enseigné dans votre séminaire. Demeurez fidèles dans la transmission de cette foi pour que le Règne de Notre-Seigneur arrive.
Enfin, je vous conjure de demeurer attachés à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, de demeurer profondément unis entre vous, soumis à son Supérieur Général, dans la foi catholique de toujours, vous souvenant de cette parole de saint Paul aux Galates (C.I.v. 8 et 9) :
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« *Sed licet nos aut angelus de caeli evangelizet vobis praeterquam quod evangelizavimus vobis, anathema sit. Sicut praedicimus et nunc iterum dico : si quis evangelizaverit praeter id quod accepistis, anathema sit.* »
Bien chers amis, soyez ma consolation dans le Christ Jésus, demeurez forts dans la foi, fidèles au vrai Sacrifice de la Messe, au vrai et saint Sacerdoce de Notre-Seigneur pour le triomphe et la gloire de Jésus au Ciel et sur la terre, pour le salut des âmes, pour le salut de mon âme.
En les Cœurs de Jésus et de Marie, je vous embrasse et vous bénis.
Votre Père dans le Christ Jésus.
*Marcel Lefebvre,*
*en la Fête de saint Augustin. 19 août 1987.*
#### Le protocole du 5 mai 1988 : protocole d'accord établi entre le cardinal Joseph Ratzinger et Mgr Marcel Lefebvre.
#### I. -- Déclaration doctrinale
Moi, Marcel Lefebvre, Archevêque-Évêque émérite de Tulle, ainsi que les membres de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X par moi fondée :
1\. Nous promettons d'être toujours fidèles à l'Église Catholique et au Pontife Romain, son Pasteur Suprême, Vicaire du Christ, Successeur du Bienheureux Pierre dans sa primauté et Chef du Corps des Évêques.
2\. Nous déclarons accepter la doctrine contenue dans le numéro 25 de la Constitution dogmatique *Lumen Gentium* du Concile Vatican II sur le Magistère ecclésiastique et l'adhésion qui lui est due.
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3\. A propos de certains points enseignés par le Concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliables avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d'étude et de communication avec le Siège Apostolique, en évitant toute polémique.
4\. Nous déclarons en outre reconnaître la validité du Sacrifice de la Messe et des Sacrements célébrés avec l'intention de faire ce que fait l'Église et selon les rites indiqués dans les éditions typiques du Missel et des Rituels des Sacrements promulgués par les Papes Paul VI et Jean-Paul II.
5\. Enfin, nous promettons de respecter la discipline commune de l'Église et les lois ecclésiastiques, spécialement celles contenues dans le Code de Droit Canonique promulgué par le Pape Jean-Paul II, restant sauve la discipline spéciale concédée à la Fraternité par une loi particulière.
#### II. -- Questions juridiques
Tenant compte du fait que la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X a été conçue depuis 18 ans comme une société de vie commune, -- et à partir de l'étude des propositions formulées par S.E. Mgr Marcel Lefebvre et des conclusions de la Visite Apostolique effectuée par son Éminence le Cardinal Gagnon, -- la figure canonique la mieux adaptée est celle d'une Société de vie apostolique.
1\. Société de vie apostolique
C'est une solution canoniquement possible, avec l'avantage d'insérer éventuellement dans la Société cléricale de vie apostolique également des laïcs (par exemple des Frères coadjuteurs).
Selon le Code de Droit Canonique promulgué en 1983, canons 731-746, cette Société jouit d'une pleine autonomie, peut former ses membres, peut incardiner les clercs, et assure la vie commune de ses membres.
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Dans les Statuts propres, avec flexibilité et possibilité inventive par rapport aux modèles connus de ces Sociétés de vie apostolique, on prévoit une certaine exemption par rapport aux évêques diocésains (cf. can. 591) pour ce qui concerne le culte public, la « cura animarum » et les autres activités apostoliques, compte tenu des canons 679-683. Quant à la juridiction à l'égard des fidèles qui s'adressent aux prêtres de la Fraternité, elle sera conférée à ceux-ci soit par les Ordinaires des lieux soit par le Siège Apostolique.
2\. Commission romaine
Une commission pour coordonner les rapports avec les divers Dicastères et les évêques diocésains, ainsi que pour résoudre les problèmes éventuels et les contentieux, sera constituée par les soins du Saint-Siège, et pourvue des facultés nécessaires pour traiter les questions indiquées ci-dessus (par exemple l'implantation à la demande des fidèles d'un lieu de culte là où il n'y a pas de maison de la Fraternité, « ad mentem » can. 383 § 2).
Cette commission serait composée d'un Président, d'un Vice-Président, et de cinq membres, dont deux de la Fraternité.
Elle aurait en outre la fonction de vigilance et d'appui pour consolider l'œuvre de réconciliation et régler les questions relatives aux communautés religieuses ayant un lien juridique ou moral avec la Fraternité.
3\. Conditions des personnes liées à la Fraternité
3.1. Les membres de la Société cléricale de vie apostolique (prêtres et frères coadjuteurs laïcs) : ils sont régis par les Statuts de la Société de droit pontifical.
3.2. Les Oblats et les Oblates, avec ou sans vœux privés, et les membres du Tiers-Ordre liés à la Fraternité : ils appartiennent à une Association de fidèles liée à la Fraternité aux termes du canon 303, et collaborent avec elle.
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3.3. Les Sœurs (c'est-à-dire la Congrégation fondée par Mgr Lefebvre) qui font des vœux publics : elles constitueront un véritable Institut de vie consacrée avec sa structure et son autonomie propres, même si on peut prévoir une certaine forme de lien pour l'unité de la spiritualité avec le Supérieur de la Fraternité. Cette Congrégation -- au moins au début -- dépendrait de la commission romaine, au lieu de la Congrégation pour les Religieux.
3.4. Les membres des communautés vivant selon la règle de divers Instituts religieux (Carmélites, Bénédictins, Dominicains, etc.) et qui sont liés moralement à la Fraternité : il convient de leur accorder cas par cas un Statut particulier réglant leurs rapports avec leur Ordre respectif.
3.5. Les prêtres qui, à titre individuel, sont liés moralement à la Fraternité, recevront un Statut personnel tenant compte de leurs aspirations et en même temps des obligations découlant de leur incardination. Les autres cas particuliers du même genre seront examinés et résolus par la commission romaine.
En ce qui concerne les laïcs qui demandent l'assistance pastorale aux communautés de la Fraternité : ils demeurent soumis à la juridiction de l'évêque diocésain, mais -- en raison notamment des rites liturgiques des communautés de la Fraternité -- ils peuvent s'adresser à elles pour l'administration des sacrements (pour les sacrements de baptême, confirmation et mariage, demeurent nécessaires les notifications d'usage à leur propre paroisse ; cf. can. 878, 896, 1122).
Note : Il y a lieu de considérer la complexité particulière :
1\. de la question de la réception par les laïcs des sacrements de baptême, confirmation, mariage, dans les communautés de la Fraternité ;
2\. de la question des communautés pratiquant -- sans leur appartenir -- la règle de tel ou tel Institut religieux.
Il appartiendra à la commission romaine de résoudre ces problèmes.
4\. Ordinations
Pour les ordinations, il faut distinguer deux phases :
4.1. *dans l'immédiat :*
Pour les ordinations prévues à brève échéance, Mgr Lefebvre serait autorisé à les conférer ou, s'il ne le pouvait, un autre évêque accepté par lui.
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4.2. *une fois érigée la Société de vie apostolique :*
*4.2.1.* Autant que possible, et au jugement du Supérieur général, suivre la voie normale : remettre des Lettres dimissoriales à un évêque qui accepte d'ordonner les membres de la Société.
*4.2.2.* En raison de la situation particulière de la Fraternité (cf. *infra*)* :* ordination d'un évêque de la Fraternité qui, entre autres tâches, aurait aussi celle de procéder aux ordinations.
5\. Problème de l'évêque
5.1. Au niveau doctrinal (ecclésiologique), la garantie de stabilité et de maintien de la vie et de l'activité de la Fraternité est assurée par son érection en Société de vie apostolique de droit pontifical et l'approbation des Statuts par le Saint-Père.
5.2. Mais, pour des raisons pratiques et psychologiques, apparaît l'utilité de la consécration d'un évêque membre de la Fraternité. C'est pourquoi, dans le cadre de la solution doctrinale et canonique de la réconciliation, nous suggérons au Saint-Père de nommer un évêque choisi dans la Fraternité, sur présentation de Mgr Lefebvre. En conséquence du principe indiqué ci-dessus (5.1.), cet évêque n'est pas normalement Supérieur général de la Fraternité. Mais il paraît opportun qu'il soit membre de la commission romaine.
6\. Problèmes particuliers\
(à résoudre par décret\
ou déclaration)
-- Levée de la « suspensio a divinis » de Mgr Lefebvre et dispense des irrégularités encourues du fait des ordinations.
-- Prévision d'une « amnistie » et d'un accord pour les maisons et les lieux de culte de la Fraternité érigés -- ou utilisés -- jusqu'à maintenant sans autorisation des évêques.
*Joseph Card Ratzinger.*
*Marcel Lefebvre.*
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#### Exposé de Mgr Lefebvre sur la situation au 30 mai 1988.
*Document rédigé de la main de Mgr Lefebvre et remis aux ecclésiastiques et religieuses réunis par lui au Pointet le 30 mai.*
- Quinze ans d'opposition aux déviations doctrinales du Concile et aux Réformes issues de cet esprit conciliaire, afin de demeurer fidèles à la foi et aux sources de la grâce sanctifiante.
- Pour demeurer dans cette fidélité nous subissons la persécution de Rome et des épiscopats, des Congrégations Religieuses. Réalisant le même combat, nous nous sommes entraidés pour consolider et développer les Œuvres que la Providence a mises dans nos mains et qu'Elle a visiblement bénies.
- La Providence a permis que nous ayons un Évêque, grâce auquel les grâces des ordinations et des confirmations ont pu nous être données, secours indispensable pour notre fidélité.
- Quinze années de vie ecclésiale traditionnelle, quinze années de bénédictions, de vie avec le Sacrifice eucharistique, de prières, de réception de sacrements valides et fructueux. Évêque, prêtres, religieux, religieuses, familles chrétiennes unis dans la foi. La ferveur, la générosité, la pleine croissance spirituelle et matérielle, au milieu d'épreuves, de croix, de mépris, etc.
- L'évêque formait le lien moral et même le lien ecclésial avec la Rome moderniste actuelle. Il faut bien reconnaître que les efforts pour corriger l'esprit et les Réformes du Concile furent vains, ainsi que les demandes d'autoriser officiellement « l'expérience de la Tradition ».
*Cependant le problème* vital pour la fidélité à la Tradition se pose avec la disparition de l'évêque. Rome refusant son concours à la permanence de la Tradition, la nécessité pour le salut des âmes fait loi.
*Le 29 juin 1987* est annoncée la décision de créer quelques évêques pour la succession épiscopale.
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*Le 14 juillet 1987* une ultime demande est faite à Rome, de vive voix et par lettre.
*Le 28 juillet 1987* une ouverture sérieuse se fait jour, Rome semble effrayée par la menace de la consécration des évêques.
La réponse ne rejette pas l'idée d'une succession épiscopale, mais après reconnaissance légale de la Fraternité, la Liturgie, les séminaires traditionnels seront autorisés. On n'y parlait plus de document doctrinal. Ils y reviendront. Un visiteur apostolique est envisagé. *Que devons-nous faire ?*
*-- *La visite par le Cardinal Gagnon est décidée et se réalise du 11 novembre au 9 décembre.
-- Rapport remis le 5 janvier au Pape.
-- Le 18 mars, proposition d'une Commission.
-- Réunion de la Commission d'experts les 13, 14, 15 avril. Signature d'un projet le 15 avril.
-- Réunion de la Commission entre le Cardinal, Mgr Lefebvre et les experts, les 3 et 4 mai. Signature du Protocole, le 5 mai, saint Pie V.
-- Procédure pour l'application. Question de *la date de la consécration ?* remise « sine die ». Lettre de Monseigneur au Pape du 5 mai 1988.
Commencent les difficultés d'application :
-- Lettre du 6 mai au Cardinal. Menace de procéder aux consécrations le 30 juin.
-- Réponse du Cardinal le 6 mai.
-- Projet de lettre pour le Pape avec demande de pardon, la lettre du 5 mai étant trop administrative. (Apportée par l'abbé du Chalard.)
-- L'abbé du Chalard confirme au Cardinal l'intention de consacrer le 30 juin. Le Cardinal demande que je vienne à Rome.
-- Lettre au Pape et lettre au Cardinal au sujet de la date et du nombre des évêques et des membres de la Commission Romaine, du 20 mai et du 24 mai.
-- Rencontre avec le Cardinal et les Secrétaires le 24 mai. Remise des lettres. Le Cardinal fait alors allusion au 15 août pour la consécration, mais ne répond pas aux autres problèmes. Les Secrétaires, eux, font allusion aux autres problèmes en disant qu'on peut examiner les demandes !...
-- Le Cardinal me remet un autre projet de lettre au Pape.
-- Le 28 mai, le Pape confirme la date du 15 août.
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L'ambiance de ces contacts et des colloques, les réflexions des uns et des autres au cours des conversations, nous manifeste clairement que le désir du Saint-Siège est de nous rapprocher du Concile et de ses Réformes, de nous remettre aussi dans le sein de l'Église Conciliaire et des Congrégations religieuses :
-- Le Bureau de Rome sera provisoire (note spéciale).
-- L'Évêque est inutile, mais accordé de mauvais gré. Délais !
-- L'Église Catholique est l'Église du Concile Vatican II.
-- L'acceptation des nouveautés conciliaires. Saint-Nicolas !
-- Retourner les Congrégations religieuses à leurs Ordres respectifs, avec un statut spécial !
-- On nous remet une note doctrinale à la signature. -- On nous redemande le pardon de nos fautes.
Notre réintégration semble être un atout politique, diplomatique, pour faire équilibre aux excès des autres.
C'est alors que se pose le problème moral suivant et pour lequel je n'ai pas cru pouvoir agir sans avoir votre avis, puisque vous êtes concernés d'une manière directe. (Rappel de M. l'abbé Schmidberger des USA.)
Il faut prendre conscience qu'une nouvelle situation apparaîtra après la mise en application de l'accord.
Disons les avantages :
-- normalisation canonique de nos Œuvres. Reprise des *relations avec Rome* de chacune de nos Œuvres.
-- en gardant une certaine indépendance, pour la sauvegarde de la Tradition,
-- par la Liturgie,
-- par la formation des membres et des fidèles ;
-- et relations avec les évêques, et le monde conciliaire. Suppression des appréhensions et réticences !... dans une certaine mesure.
-- et relations facilitées avec certaines administrations civiles.
-- contacts missionnaires plus faciles pour convertir à la Tradition, prêtres et fidèles !...
-- afflux de vocations et de fidèles dans nos Œuvres. -- Évêque consacré avec l'agréaient du Saint-Siège.
Disons les inconvénients :
-- dépendance mesurée mais certaine de la Rome moderniste et conciliaire, à travers la Commission Romaine dirigée par le Cardinal Ratzinger -- dont les principes sont ceux qui nous ont éloignés de la Rome moderne.
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-- dissociation normale de notre unité morale créée autour de ma personne, qui disparaît, en partie au profit du Cardinal Ratzinger, et en partie au profit des différents supérieurs généraux et générales qui auront affaire directement avec Rome, mais pourront continuer à s'adresser à l'Évêque consacré pour la Tradition. Risque de moins d'unité et de moindre force.
-- Relations avec les Congrégations et Ordres -- avec statut spécial, mais malgré tout avec une dépendance morale, que Rome souhaite voir transformée le plus tôt possible en dépendance canonique. Danger de contamination.
-- Relations avec les Évêques et un clergé et des fidèles conciliaires, malgré l'exemption très étendue, les barrières canoniques disparaissant, il y aura nécessairement des contacts de courtoisie et peut-être des offres de coopération, pour les unions scolaires -- union des supérieurs -- réunions sacerdotales -- cérémonies régionales, etc. Tout ce monde est d'esprit conciliaire -- œcuméniste -- charismatique.
-- Un seul Évêque. Moins de protection, plus de danger.
Nous étions jusqu'à présent protégés naturellement, la sélection s'assurait d'elle-même par la nécessité d'une rupture avec le monde conciliaire. Désormais, il va falloir faire des dépistages continuels, se prémunir sans cesse des milieux romains, des milieux diocésains.
C'est pourquoi nous voulions trois ou quatre Évêques et la majorité dans le Conseil Romain. Mais ils font la sourde oreille. Ils n'ont accepté qu'un évêque, sous la menace continuelle, et avancé la date. Ils estiment inconcevable qu'on les traite comme un milieu contaminé, après tout ce qu'ils nous accordent.
Le problème moral se pose donc pour nous.
- Faut-il prendre les risques de contacts avec ces milieux modernistes, avec l'espoir de convertir quelques âmes et avec l'espoir de se prémunir avec la grâce de Dieu et la vertu de prudence, et ainsi demeurer légalement unis à Rome par la lettre, car nous le sommes par la réalité et l'esprit ?
- ou faut-il, avant tout, préserver la famille Traditionnelle pour maintenir sa cohésion et sa vigueur dans la foi et dans la grâce, considérant que le lien purement formel avec la Rome moderniste ne peut pas être mis en balance avec la protection de cette famille, qui représente ce qui demeure de la véritable Église catholique ?
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- Qu'est-ce que Dieu et la Trinité Sainte et la Vierge de Fatima demandent de nous comme réponse à cette question ?
Il est clair que quatre évêques nous fortifieront mieux qu'un seul.
La décision doit être prise dans les 48 heures.
Réfléchissez. Priez. Veuillez me donner votre avis, même par écrit si vous le voulez, et il me faudra, avec le secours de l'Esprit Saint et de la Vierge Marie Reine, prendre une décision.
*Note : Mgr de Castro-Mayer a promis de venir pour le 30 juin, pour les consécrations épiscopales ; avec trois prêtres de son diocèse.*
#### Lettre du cardinal Ratzinger à Mgr Lefebvre, 30 mai 1988.
Excellence,
Après avoir été reçu en Audience par le Saint-Père vendredi 27 mai, comme je vous l'avais indiqué lors de notre colloque du 24, je suis en mesure de répondre à la lettre que vous m'avez remise ce même jour à propos des problèmes de la majorité des membres de la Fraternité dans la Commission romaine et de la consécration des évêques.
Concernant le premier point, le Saint-Père juge qu'il convient de s'en tenir aux principes fixés dans le point II/2 du Protocole que vous avez accepté. Cette Commission est un organisme du Saint-Siège au service de la Fraternité et des diverses instances avec lesquelles il faudra traiter pour établir et consolider l'œuvre de réconciliation. De plus, ce n'est pas elle, mais le Saint-Siège qui, en dernière instance, prendra les décisions : la question d'une majorité ne se pose donc pas ; les intérêts de la Fraternité sont garantis par sa représentation au sein de la Commission, et les craintes que vous avez exprimées par rapport aux autres membres n'ont pas lieu de persister, dès lors que le choix de ces membres sera effectué par le Saint-Père lui-même.
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Pour ce qui regarde le second point, le Saint-Père confirme ce que je vous ai déjà indiqué de sa part, à savoir qu'il est disposé à nommer un évêque membre de la Fraternité (au sens du point II/5.2 du Protocole), et à faire accélérer le processus habituel de nomination, de manière à ce que la consécration puisse avoir lieu pour la clôture de l'Année Mariale le 15 août prochain.
Ceci requiert d'un point de vue pratique que vous présentiez sans tarder à Sa Sainteté un nombre plus élevé de dossiers de candidature, pour lui permettre de choisir librement un candidat qui corresponde au profil envisagé dans les accords et en même temps aux critères généraux d'aptitude que l'Église retient pour la nomination des évêques.
Vous savez enfin que le Saint-Père attend de vous une lettre contenant pour l'essentiel les points dont nous nous sommes entretenus plus particulièrement lors de notre colloque du 24 mai. Mais, comme vous avez récemment encore annoncé votre intention d'ordonner trois évêques le 30 juin prochain avec ou sans l'accord de Rome, il est nécessaire que dans cette lettre (cf. 4^e^ § du projet), vous disiez clairement que vous y renoncez et que vous vous en remettez en pleine obéissance à la décision du Saint-Père.
Avec cette ultime démarche, accomplie dans les plus brefs délais possible, le processus de réconciliation arriverait à son terme, et l'annonce pourrait en être publiquement donnée.
Excellence, au moment de conclure, je ne puis que vous redire, comme mardi dernier, et avec plus de gravité encore s'il est possible : lorsque l'on considère le contenu positif de l'accord auquel la bienveillance du Pape Jean-Paul II a permis que l'on parvienne, il n'y a pas de proportion entre les dernières difficultés que vous avez exprimées et le dommage que constituerait maintenant un échec, une rupture de votre part avec le Siège Apostolique et pour ces seuls motifs. Il vous faut faire confiance au Saint-Siège, dont la bonté et la compréhension récemment manifestées à votre égard et à l'égard de la Fraternité constituent aussi la meilleure garantie pour l'avenir. Vous devez enfin -- et nous devons tous -- faire confiance au Seigneur, qui a permis que la voie de la réconciliation soit ouverte comme elle l'est aujourd'hui, et que le but paraisse désormais si proche.
Veuillez agréer, Excellence, l'expression de mes sentiments fraternels et respectueusement dévoués dans le Seigneur.
Joseph Card. Ratzinger.
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#### Lettre de Mgr Lefebvre à Jean-Paul II, 2 juin 1988, rendue publique le 15 juin.
Très Saint Père,
Les colloques et entretiens avec le Cardinal Ratzinger et ses collaborateurs, bien qu'ils aient eu lieu dans une atmosphère de courtoisie et de charité, nous ont convaincus que le moment d'une collaboration franche et efficace n'était pas encore arrivé.
En effet, si tout chrétien est autorisé à demander aux autorités compétentes de l'Église qu'on lui garde la foi de son baptême, que dire des prêtres, des religieux et religieuses ?
C'est pour garder intacte la foi de notre baptême que nous avons dû nous opposer à l'esprit de Vatican II et aux réformes qu'il a inspirées.
Le faux œcuménisme, qui est à l'origine de toutes les innovations du Concile, dans la liturgie, dans les relations nouvelles de l'Église et du monde, dans la conception de l'Église elle-même, conduit l'Église à sa ruine et les catholiques à l'apostasie.
Radicalement opposés à cette destruction de notre foi, et résolus à demeurer dans la doctrine et la discipline traditionnelles de l'Église, spécialement en ce qui concerne la formation sacerdotale et la vie religieuse, nous éprouvons la nécessité absolue d'avoir des autorités ecclésiastiques qui épousent nos préoccupations et nous aident à nous prémunir contre l'esprit de Vatican II et l'esprit d'Assise.
C'est pourquoi nous demandons plusieurs évêques, choisis dans la Tradition, et la majorité des membres dans la Commission Romaine, afin de nous protéger de toute compromission.
Étant donné le refus de considérer nos requêtes, et étant évident que le but de cette réconciliation n'est pas du tout le même pour le Saint-Siège que pour nous, nous croyons préférable d'attendre des temps plus propices au retour de Rome à la Tradition.
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C'est pourquoi nous nous donnerons nous-même les moyens de poursuivre l'Œuvre que la Providence nous a confiée, assuré par la lettre de Son Éminence le Cardinal Ratzinger datée du 30 mai, que la consécration épiscopale n'est pas contraire à la volonté du Saint-Siège, puisqu'elle est accordée pour le 15 août.
Nous continuerons de prier pour que la Rome moderne, infestée de modernisme, redevienne la Rome catholique et retrouve sa Tradition bimillénaire. Alors le problème de la réconciliation n'aura plus de raison d'être et l'Église retrouvera une nouvelle jeunesse.
Daignez agréer, Très Saint Père, l'expression de mes sentiments très respectueux et filialement dévoués en Jésus et Marie.
Mgr Marcel Lefebvre.
#### Lett**r**e de Jean-Paul II à Mgr Lefebvre, 9 juin 1988.
C'est avec une vive et profonde affliction que j'ai pris connaissance de votre lettre datée du 2 juin.
Guidé uniquement par le souci de l'unité de l'Église dans la fidélité à la Vérité révélée -- devoir impérieux imposé au Successeur de l'Apôtre Pierre -- j'avais disposé l'an passé une Visite apostolique de la Fraternité Saint-Pie X et de ses œuvres, qui a été effectuée par le Cardinal Édouard Gagnon. Des colloques ont suivi, d'abord avec des experts de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, puis entre vous-même et le Cardinal Joseph Ratzinger. Au cours de ces entretiens, des solutions avaient été élaborées, acceptées et signées par vous le 5 mai 1988 ; elles permettaient à la Fraternité Saint-Pie X d'exister et d'œuvrer dans l'Église en pleine communion avec le Souverain Pontife, gardien de l'unité dans la Vérité. Pour sa part, le Siège Apostolique ne poursuivait qu'un seul but dans ces conversations avec vous : favoriser et sauvegarder cette unité dans l'obéissance à la Révélation divine, traduite et interprétée par le Magistère de l'Église notamment dans les vingt et un Conciles œcuméniques, de Nicée à Vatican II.
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Dans la lettre que vous m'avez adressée, vous semblez rejeter tout l'acquis des précédents colloques, puisque vous y manifestez clairement votre intention de « vous donner vous-même des moyens de poursuivre votre Œuvre », notamment en procédant sous peu et sans mandat apostolique à une ou plusieurs ordinations épiscopales, ceci en contradiction flagrante non seulement avec les prescriptions du Droit Canonique, mais aussi avec le protocole signé le 5 mai et les indications relatives à ce problème contenues dans la lettre que le Cardinal Ratzinger vous a écrite à ma demande le 30 mai.
D'un cœur paternel, mais avec toute la gravité que requièrent les circonstances présentes, je vous exhorte, Vénérable Frère, à renoncer à votre projet qui, s'il est réalisé, ne pourra apparaître que comme un acte schismatique dont les conséquences théologiques et canoniques inévitables vous sont connues. Je vous invite ardemment au retour, dans l'humilité, à la pleine obéissance au Vicaire du Christ.
Non seulement je vous invite à cela, mais je vous le demande, par les plaies du Christ notre Rédempteur, au nom du Christ qui, la veille de sa Passion, a prié pour ses disciples, « afin que tous soient un » (Jn. 17, 20).
A cette demande et à cette invitation, je joins ma prière quotidienne à Marie, Mère du Christ.
Cher Frère, ne permettez pas que l'Année dédiée d'une manière toute particulière à la Mère de Dieu apporte une nouvelle blessure à son Cœur de Mère.
Du Vatican, le 9 juin 1988.
Johannes Paulus PP II.
#### La position du journal « Présent », article paru dans le numéro du 15 juin 1988.
Nous voici donc arrivés à la veille d'un événement éclatant, mais non point inattendu, qui aura des conséquences profondes entre Mgr Lefebvre et le Saint-Siège, la solution est cette fois réellement imminente, la bonne solution ou la mauvaise, dans l'accord qui va se conclure ou dans la crise majeure qui risque de s'ouvrir.
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Au milieu d'une tempête médiatique de révélations indues, de fausses nouvelles, de provocations diverses, déchaînées depuis des mois, nous avons observé la discrétion entière qu'il était naturel et honnête de garder.
Le moment est venu pour nous de parler.
I. -- Mais d'abord,\
qui sommes-nous ?
En commençant je veux rappeler *d'où* nous parlons ici.
PRÉSENT n'est ni « l'organe du Front national », ni « le journal de Mgr Lefebvre », ni « une feuille intégriste », ni « raciste », ni « fasciste ». Ces qualifications et étiquettes, les seules que nous donnent *Le Monde* et les télévisions, sont toutes fausses. Et les télévisions comme *Le Monde* s'abstiennent toujours de mentionner ce que nous disons de nous-mêmes, et que voici.
Premièrement, cela devrait aller sans dire, nous ne sommes *le journal de personne d'autre.* PRÉSENT ne dépend, moralement et matériellement, que de sa direction, de ses convictions, de ses lecteurs. Il ne dépend même pas, à la différence de la quasi-totalité de ses confrères, de la publicité commerciale et des intérêts financiers qu'elle sert.
Mais cela ne constitue encore qu'une définition négative.
Notre définition positive, notre qualification exacte, notre juste étiquette et notre drapeau, énoncés en termes techniques, c'est que PRÉSENT est un journal formellement catholique et matériellement politique.
Cela veut dire que notre inspiration est catholique ; et que, sous cette inspiration, la matière traitée dans nos colonnes et le combat que nous y menons sont politiques.
Comme le font la plupart des quotidiens politiques, nous donnons cependant aussi -- subsidiairement -- des informations et des commentaires religieux ; nous avons une page hebdomadaire qui répond à la première de nos trois devises : Dieu *premier servi.* Mais bien entendu pour nous c'est Dieu premier servi *en politique,* c'est la politique qui, pour notre journal, est le devoir d'état quotidien.
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II\. -- Un jugement politique
En conséquence, nous avons sous un rapport (politique) et nous n'avons pas sous un autre rapport (religieux) à prendre position.
Nous n'avons pas ici, dans ce journal politique, à prononcer un jugement sur la situation religieuse de Mgr Lefebvre dans l'Église catholique.
En revanche nous avons à prendre position, et je le fais aujourd'hui, en qualité de directeur politique du journal, sur les implications et conséquences politiques de l'enseignement et de l'action de Mgr Lefebvre par rapport au bien commun temporel de la nation française en péril, de l'Europe rêvée en pointillé, de la chrétienté espérée dans la prière.
III\. -- L'hypothèse schismatique
Toutefois une observation en quelque sorte préalable s'impose à l'esprit. C'est une observation plus générale que la seule politique ; elle concerne l'hypothèse la plus dramatique, dont on nous menace en permanence depuis des mois : celle où Mgr Lefebvre et la Fraternité sacerdotale qu'il a fondée seraient officiellement déclarés schismatiques.
Dans cette hypothèse on se souviendra que Paul VI était passionnément enclin à excommunier Mgr Lefebvre : nous en avons le témoignage de Jean Guitton, aussi précis que catégorique, dans ses deux livres. Il rapporte aussi pourquoi Paul VI ne le fit point. Guitton lui avait fait remarquer qu'il devrait alors ouvrir les bras à Mgr Lefebvre comme son œcuménisme le faisait aux autres excommuniés. Pour ne point avoir à lui ouvrir œcuméniquement les bras, Paul VI s'abstint de l'excommunier. Il s'était heurté à cette contradiction interne qui ruine l'œcuménisme conciliaire. Cette contradiction deviendrait trop manifeste si Mgr Lefebvre, une fois déclaré schismatique, n'était pas reçu au Vatican avec autant d'honneur et de sollicitude que les autres schismatiques ; si les cathédrales de France ne lui étaient pas soudainement ouvertes comme elles le sont à des protestants, à des francs-maçons ;
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et s'il n'était pas invité aux glossolalies charismatiques d'Assise et autres lieux avec autant de considération fraternelle que les sorciers animistes, les pontifes vaudous, les brahmanes gyrovagues, les muftis turco-arabes et les grands rabbins.
IV\. -- Le scandale politique
Nous parlons politique. La politique ostensiblement gauchie des hommes d'Église depuis plus de vingt ans a été une cause directe de scandale pour toute la partie du peuple chrétien, instruite ou non, qui avait du moins conservé bon sens et juste esprit critique.
Beaucoup de fidèles se sont retirés des églises sur la pointe des pieds, sans rien dire, et ont cessé toute pratique religieuse (50 % environ, la moitié des pratiquants d'il y a trente ans) parce qu'ils n'avaient plus confiance en des prêtres amis affichés des socialo-communistes et prêcheurs excités d'activités peu évangéliques. J'en ai connu -- tout le monde en connaît -- qui sur la rumeur qu'allait passer dans leur région un évêque extraordinaire, un évêque comme on n'en fait plus en Occident, *un évêque ouvertement anticommuniste,* sont allés le voir et l'entendre, par curiosité sympathique, et en sont sortis (re)convertis, plus fervents et plus pratiquants qu'ils ne l'avaient jamais été.
Ainsi, pour ceux que révolte tout un clergé s'affichant comme plus ou moins complice du socialo-communisme, Mgr Lefebvre *lève l'obstacle politique à la confiance dans le catholicisme.* C'est là un point qui concerne la religion ; mais qui concerne aussi la politique.
S'il existe en France un autre évêque qui soit d'un anticommunisme aussi chrétiennement militant, qu'il se fasse ou qu'on nous le fasse connaître ; s'il existe un autre évêque qui enseigne comme le proclame Soljénitsyne et comme l'explique l'encyclique *Divini Redemptoris* que le communisme est intrinsèquement pervers, qu'il est bien pire et beaucoup plus dangereux que tout le reste, bien pire et beaucoup plus dangereux, en particulier, que le nazisme lui-même et que le racisme, alors qu'on nous le dise. Depuis vingt ans et davantage, parmi les évêques nous n'avons vu que Mgr Lefebvre pour parler et pour agir de cette manière : celle d'un *defensor civitatis,* d'un défenseur du bien commun politique de la patrie. Nous lui en sommes ardemment reconnaissants, et d'autant plus qu'il est le seul.
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Nous admirons la fermeté de son caractère, la pertinence de son jugement, la sûreté de sa doctrine. Nous vénérons sa personne : en toute conviction comme en toute liberté, inconditionnels de Dieu seul. Nous lui portons depuis longtemps une affection filiale que nous n'avons jamais cachée et que nous n'avons aucune raison de cacher davantage dans l'avenir.
V. -- La politique du concile
Journal politique, PRÉSENT fait au concile Vatican II un reproche politique. Ce concile a déclaré vouloir porter une vive attention aux *grands problèmes de notre temps,* bon, très bien, cela le regarde, c'est son affaire. Mais ce faisant, il a trouvé le moyen de passer complètement sous silence le plus énorme, le plus redoutable, le plus pressant de tous les problèmes contemporains : la marche incessante, et par les pires moyens, du communisme soviétique à une hégémonie politico-religieuse étendue au monde entier. Cette spectaculaire omission nous concerne, elle est notre affaire, nous avons droit à la parole là-dessus, nous en demandons compte à ceux qui l'ont machinée et à ceux qui la continuent. Le communisme est présent partout, dans toutes les nations, dans tous les conflits, mais il est absent des enseignements conciliaires. Cette absence a été la grande honte du concile, Mgr Lefebvre a été le seul évêque français qui l'ait dit, nous sommes d'accord avec lui.
L'abstention conciliaire a encouragé le désarmement intellectuel, moral et politique des catholiques en face du communisme. Nous protestons contre ce désarmement unilatéral. Nous désapprouvons la politique vaticane à l'égard de Moscou. Oui, nous sommes pleinement d'accord avec Mgr Lefebvre qui condamne cette politique.
VI\. -- L'ouverture à gauche
Jean XXIII et le concile ont inauguré une « pastorale » qui sans doute n'était pas uniquement politique, mais qui comportait et qui comporte une politique : la pastorale d' « ouverture au monde » a entraîné partout une politique d'ouverture à gauche ; jamais d'ouverture à droite.
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Et cette ouverture à gauche a souvent été, dans le monde entier, une ouverture au communisme ; en France, elle est allée jusqu'à faire entrer, dans les directions nationales de mouvements d'Action catholique, des communistes déclarés (pour ne point parler des sous-marins). Nous contestons cette politique. Nous la réprouvons. Nous la combattons. Nous avons le droit de le faire. Le faisant, nous sommes d'accord avec Mgr Lefebvre. Nous voudrions bien être d'accord aussi avec d'autres évêques français : nous n'en connaissons pas qui veuillent ou qui osent s'opposer à cette politique suicidaire ; à cette forme politique de l'autodestruction.
VII\. -- L'entente politique
Dans l'ordre politique il existe, il a toujours existé un véritable œcuménisme : véritable parce que fondé sur la vérité naturelle.
La pratique séculaire de l'Église, devenue surtout depuis Léon XIII explicite « doctrine sociale », recommande l'entente et la coopération politiques avec tous ceux, fussent-ils incroyants, qui reconnaissent le Décalogue et ses implications comme fondement du droit naturel et s'efforcent d'y conformer leurs pensées et leurs actes.
La politique de saint Pie X dans sa lettre sur le Sillon, la politique de Pie XI dans son encyclique sur le communisme et dans ses autres encycliques sociales, la politique de Pie XII dans ses vingt années d'enseignement quasi quotidien, voilà ce à quoi l'ouverture à gauche de l'Église conciliaire a tantôt sournoisement et tantôt ostensiblement, tourné le dos. Au contraire nous y restons fidèles : nous sommes politiquement d'accord avec Mgr Lefebvre -- et d'avance avec tout autre évêque qui professerait, expliquerait, pratiquerait la même morale politique chrétienne et catholique.
Dans la pire hypothèse, celle où Mgr Lefebvre serait officiellement déclaré « schismatique », cela n'entamerait en rien notre entente cordiale et notre collaboration politique avec lui, et nous en aurions bien le droit, au moins autant qu'avec les protestants, les juifs, les incroyants qui admettent les vérités naturelles de la doctrine sociale de l'Église. Une telle entente, une telle collaboration politiques ne doivent rien, elles, aux laxismes de l'œcuménisme conciliaire : elles sont enseignées par la pratique et la doctrine catholiques de toujours en matière de service du bien commun temporel de la cité politique. Nous continuerons donc.
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VIII\. -- Deux ou trois mots\
plus personnels
Amis lecteurs, ce que je vous écris aujourd'hui, je ne le répéterai pas (ou le moins possible), me contentant de m'appliquer à le mettre en pratique dans le commentaire quotidien de la chose politique qui est la fonction de notre journal.
Ce journal en effet n'est pas une revue savante de philosophie, pas même de philosophie politique ; il ne peut supporter trop fréquemment de longs discours théoriques, pourtant nécessaires parfois : mais alors une bonne fois pour toutes, ou du moins, pour longtemps.
Si donc demain, après l'événement désormais imminent, vous voulez savoir ce que nous pensons et quelle est la position de PRÉSENT, eh bien venez relire cette page qui aujourd'hui vous aura peut-être paru prématurée : demain vous apercevrez, je suppose, en quoi et pourquoi elle est *ad rem*.
(Aux quelques lecteurs que le latin indispose parce qu'ils ne l'entendent pas, je ferai remarquer que sauf erreur ou négligence je n'emploie ici sans les traduire que les expressions latines qui figurent dans les pages roses du Petit Larousse.)
Sur les questions proprement religieuses soulevées par la situation actuelle ou future de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X dans l'Église catholique, la revue ITINÉRAIRES prendra position dès son prochain numéro qui paraîtra, comme annoncé dans le SUPPLÉMENT-VOLTIGEUR du 15 mai, au mois d'octobre. (Pour le recevoir il est nécessaire mais il suffit de s'abonner avant le 15 août : 595 francs pour un an, 4 rue Garancière à Paris VI^e^.)
Dans l'accord qui peut se conclure ou la crise qui risque d'éclater entre Mgr Lefebvre et le Saint-Siège, il se trouve que nous n'avons -- et en particulier que « je » n'ai -- aucune part de responsabilité. Contrairement à ce que l'on raconte ou imagine ici ou là, je ne suis pas au nombre de ceux à qui Mgr Lefebvre a ouvert le dossier et demandé un avis. Je ne suis pas davantage au nombre de ceux qui sont allés lui donner un avis qu'il ne leur demandait point. Ma responsabilité est ici, au journal. Elle est d'autre part à ITINÉRAIRES. Je n'ai aucune autre responsabilité publique. Aux deux qui sont les miennes, Dieu aidant je crois ne me dérober nullement.
*11 juin 1988*
Jean Madiran.
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#### Le monitum du cardinal Gantin, 17 juin 1988.
*Prot N. 514/74*
*SACRA CONGREGATIO PRO EPISCOPIS*
*Exc.mo ac Rev.mo Domino*
*D.no MARCELLO LEFEBVRE*
*Archiepiscopo-Episcopo emerito Tutelensi*
*Quoniam die XV huius mensis Iunii declaravisti te velle quattuor presbyteros ad episcopatum ordinare non impetrato prius Pontificis Maximi mandato de quo agit canon 1013 Codicis Iuris Canonici, ego ipse ad te publicam hanc canonicam admonitionem defero, confirmans nempe si rem superius memoratam perfeceris te ipsum necnon episcopos a te ordinatos ipso facto incursuros esse in excommunicationem latae sententiae ipsi Apostolicae Sedi reservatam secundum canonem 1382. Te propterea Christi Iesu nomine obsecro atque obtestor, ut de eo ipso deliberes quod es suscepturus contra disciplinae sacrae leges et de gravissimis omnino effectibus qui inde procedent in ipsam Ecclesiae Catholicae communionem, cujus tu ipse episcopus es.*
*Datum Romae, ex Aedibus Congregationis pro Episcopis, die 17 mensis iunii anno 1988.*
*De mandato Summi Pontificis*
*Bernardinus Card. Gantin.*
*Praefectus Congregatfonis*
A l'excellentissime et révérendissime Seigneur\
Mgr Marcel Lefebvre\
archevêque-évêque émérite de Tulle
Comme le 15 juin dernier vous avez déclaré votre intention de sacrer évêques quatre prêtres sans en avoir d'abord demandé mandat au souverain pontife, selon le Canon 1013 du code de droit canon, je vous adresse cette admonition canonique publique, confirmant que si vous mettez à exécution ce qui est mentionné ci-dessus, vous-même et les évêques que vous avez ordonnés encourront *ipso facto* l'excommunication *latae sententiae* (automatique) réservée au Siège apostolique selon le Canon 1382.
89:325
C'est pourquoi je vous supplie et vous conjure, au nom de Jésus-Christ, de réfléchir mûrement à ce que vous êtes sur le point de faire contre les lois de la discipline sacrée, et aux effets extrêmement graves qui en résulteraient pour la communion de l'Église catholique, dont vous êtes vous-même un évêque.
Donné à Rome, au siège de la Congrégation pour les évêques, le 17 juin 1988.
*Par mandat du Souverain Pontife,*
*Bernardin Card. Gamin,*
*préfet de la Congrégation.*
#### Communiqué de Mgr Lefebvre sur « l'arrêt des colloques », 19 juin 1988.
On comprend, en effet, difficilement cet arrêt si on ne replace pas les colloques dans leur contexte historique.
Bien que nous n'ayons jamais voulu rompre avec la Rome Conciliaire, même après que la première visite de Rome le 11 novembre 1974 ait été suivie par des mesures sectaires et nulles -- la fermeture de l'œuvre le 6 mai 1975 et la « suspense » en juillet 76 -- ces relations ne pouvaient avoir lieu que dans un climat de méfiance.
Louis Veuillot dit qu'il n'y a pas plus sectaire qu'un libéral ; en effet, compromis avec l'erreur et la Révolution, il se sent condamné par ceux qui demeurent dans la Vérité et c'est ainsi que, s'il possède le pouvoir, il les persécute avec acharnement. C'est notre cas et celui de tous ceux qui se sont opposés aux textes libéraux et aux Réformes libérales du Concile.
Ils veulent absolument que nous ayons un complexe de culpabilité vis-à-vis d'eux, alors que ce sont eux qui sont coupables de duplicité.
C'est donc dans un climat toujours tendu, quoique poli, que les relations avaient lieu avec le Cardinal Seper et le Cardinal Ratzinger entre l'année 76 et l'année 87, mais aussi avec un certain espoir que, l'autodémolition de l'Église s'accélérant, on finisse par nous regarder avec bienveillance.
90:325
Jusque là, pour Rome, le but des relations était de nous faire accepter le Concile et les Réformes et de nous faire reconnaître notre erreur. La logique des événements devait m'amener à demander un successeur sinon deux ou trois pour assurer les ordinations et confirmations. Devant le refus persistant de Rome, le 29 juin 1987 j'annonçais ma décision de consacrer des Évêques.
Le 28 juillet, le Cardinal Ratzinger ouvrait de nouveaux horizons qui pouvaient légitimement faire penser qu'enfin Rome nous regardait d'un œil plus favorable. Il n'est plus question de document doctrinal à signer, plus question de demande de pardon, mais un visiteur était enfin annoncé, la société pourrait être reconnue, la Liturgie serait celle d'avant le Concile, les séminaristes demeureraient dans le même esprit !...
Nous avons accepté alors d'entrer dans ce nouveau dialogue, mais à la condition que notre identité soit bien protégée contre les influences libérales par des Évêques pris dans la Tradition, et par une majorité de membres dans la Commission Romaine pour la Tradition. Or, après la visite du cardinal Gagnon, dont nous ne savons toujours rien, les déceptions se sont accumulées.
Les colloques qui ont suivi en avril et mai nous ont bien déçus. On nous remet un texte doctrinal, on y ajoute le nouveau Droit Canon, Rome se réserve 5 membres sur 7 dans la Commission Romaine, dont le Président (qui sera le Cardinal Ratzinger) et le Vice-Président.
La question de l'Évêque est solutionnée avec peine : on insistait pour nous montrer que nous n'en avions pas besoin.
Le Cardinal nous fait savoir qu'il faudrait laisser alors célébrer une Messe nouvelle à S. Nicolas du Chardonnet. Il insiste sur l'unique Église, celle de Vatican II.
Malgré ces déceptions, je signe le Protocole le 5 mai. Mais déjà la date de la consécration épiscopale fait problème. Puis un projet de demande de pardon au Pape m'est mis dans les mains.
Je me vois obligé d'écrire une lettre menaçant de faire les consécrations épiscopales pour arriver à avoir la date du 15 août pour la consécration épiscopale.
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Le climat n'est plus du tout à la collaboration fraternelle et à une pure et simple reconnaissance de la Fraternité. Pour Rome le but des colloques est la réconciliation, comme le dit le Cardinal Gagnon, dans un entretien accordé au journal italien *L'Avvenire,* c'est-à-dire le retour de la brebis égarée dans la bergerie. C'est ce que j'exprime dans la lettre au Pape du 2 juin : « Le but des colloques n'est pas le même pour vous que pour nous. »
Et quand nous pensons à l'histoire des relations de Rome avec les Traditionalistes de 1965 à nos jours, nous sommes obligés de constater que c'est une persécution sans répit et cruelle pour nous obliger à la soumission au Concile. -- Le dernier exemple en date est celui du Séminaire « Mater Ecclesiae » des transfuges d'Écône, qui en moins de 2 ans ont été mis au pas de la Révolution conciliaire, contrairement à toutes les promesses !
La Rome actuelle conciliaire et moderniste ne pourra jamais tolérer l'existence d'un vigoureux rameau de l'Église catholique qui la condamne par sa vitalité.
Il faudra donc encore attendre quelques années sans doute pour que Rome retrouve sa Tradition bimillénaire. Pour nous, nous continuons à faire la preuve, avec la grâce de Dieu, que cette Tradition est la seule source de sanctification et de salut pour les âmes, et la seule possibilité de renouveau pour l'Église.
Écône, le 19 juin 1988
Marcel Lefebvre.
#### Communiqué intitulé « Fidélité et résistance », 22 juin 1988.
Paris, le 22 juin 1988
Invinciblement attachés à la tradition de l'Église, et en particulier à la messe de saint Pie V, nous déclarons ne pouvoir suivre Mgr Lefebvre dans sa rupture avec le Siège Apostolique. Nous n'oublions certes pas la terrible crise de l'Église et les vingt ans « d'autodémolition » qui ont conduit à ce drame.
92:325
Nous gardons une grande reconnaissance à Mgr Lefebvre de tout ce qu'il a fait jusqu'ici pour le bien de l'Église. Mais nous ne saurions l'approuver lorsqu'il déclare : « La chaire de Pierre et les postes d'autorité de Rome sont occupés par des antichrists. » Si cela était vrai, c'est l'Église qui nous aurait trompés, et le Christ lui-même, lorsqu'il dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. »
Qu'on ne compte pas sur nous cependant pour accabler ceux qui se laisseraient tenter par la voie désespérée de la séparation. Mais nous sommes bien conscients d'exprimer la juste position des catholiques traditionnels :
1\. -- en rappelant notre FIDÉLITÉ au vicaire du Christ ;
2. -- en renouvelant notre détermination de RÉSISTANCE à tout ce qui tend à démolir la foi catholique.
C'est pourquoi nous supplions le Saint-Père de concrétiser pour tous les catholiques les espoirs qu'avait fait naître l'accord de réconciliation du 5 mai.
Ce communiqué a été signé par l'abbé Philippe Tournyol du Clos, le Père Bruno « desservant de Port-Marly », Max Champoiseau, Yves Daoudal « La Pensée catholique », M. Daniel Tarasconi « Nouvel élan marial », Paul-Louis Michaux « Éditions DMM, CICES ».
Rendu public dans *le Figaro*, ce communiqué portait la signature de Bernard Antony : mais celui-ci la retira, l'une des conditions qu'il avait posées n'ayant pas été respectée.
La reproduction de ce communiqué dans PRÉSENT du 28 juin fut accompagnée de la note suivante :
La signature d'Yves Daoudal, donnée à ce communiqué en qualité de rédacteur en chef de *La Pensée catholique,* n'engage en rien le journal PRÉSENT. On sait qu'Yves Daoudal avait été désigné par l'abbé Jean-Luc Lefèvre pour entrer après sa mort à la direction de *La Pensée catholique ;* en conséquence il quitta alors la revue ITINÉRAIRES. Membre du conseil éditorial de PRÉSENT, il poursuit sa très brillante collaboration politique à notre journal avec une parfaite loyauté, notamment dans la ligne fixée ici le 15 juin. -- J.M.
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#### Décret d'excommunication de la congrégation romaine pour les évêques, 1^er^ juillet 1988.
Mgr Marcel Lefebvre, archevêque-évêque émérite de Tulle, ayant -- malgré l'avertissement formel du 17 juin dernier et les interventions répétées lui demandant de renoncer à son intention -- accompli un acte de nature schismatique en procédant à la consécration épiscopale de quatre évêques, sans mandat pontifical et contre la volonté du Souverain Pontife, il encourt la peine prévue par le canon 1364 par. 1 et par le canon 1382 du Code de Droit canonique.
Je déclare à tous que les effets juridiques en sont les suivants : d'une part Mgr Marcel Lefebvre, d'autre part Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galarreta ont encouru *ipso facto* l'excommunication *latae sententiae* réservée au Siège apostolique.
Je déclare en outre que Mgr Antonio de Castro-Mayer, évêque émérite de Campos, ayant participé directement à la célébration liturgique comme consécrateur, et ayant publiquement adhéré à l'acte schismatique, a encouru l'excommunication *latae sententiae* prévue par le canon 1364 par. 1.
Nous avertissons les prêtres et les fidèles de ne pas adhérer au schisme de Mgr Lefebvre, car ils encourraient *ipso facto* la peine très grave de l'excommunication.
De la congrégation pour les Évêques, 1^er^ juillet 1988.
*Bernardin Cardinal Gantin.*
*Préfet.*
#### Motu proprio « Ecclesia Dei » de Jean-Paul II, 2 juillet 1988.
1\. C'est avec beaucoup de tristesse que l'Église a pris acte de l'ordination épiscopale illégitime conférée le 30 juin dernier par Mgr Marcel Lefebvre qui a rendu vains tous les efforts que le Saint-Siège a déployés ces dernières années pour assurer la pleine communion avec l'Église de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X fondée par le même Mgr Lefebvre.
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Tous ces efforts, spécialement ceux de ces derniers mois particulièrement intenses, n'ont servi à rien alors que le Siège Apostolique a fait preuve de compréhension jusqu'à la limite du possible. ([^9])
2\. Cette tristesse est particulièrement ressentie par le successeur de Pierre à qui revient en premier la garde de l'unité de l'Église même si le nombre de personnes concernées directement par ces événements est relativement réduit. ([^10]) Car chaque personne est aimée de Dieu pour elle-même et a été rachetée par le sang du Christ versé sur la croix pour le salut de tous.
Les circonstances particulières, objectives et subjectives, qui entourent l'acte schismatique accompli par Mgr Lefebvre offrent à tous une occasion de réflexion profonde et d'engagement de fidélité renouvelée au Christ et à son Église.
3\. En lui-même cet acte a été une *désobéissance* au Souverain Pontife romain en une matière très grave et d'importance capitale pour l'unité de l'Église puisqu'il s'agit de l'ordination d'évêques par laquelle se réalise sacramentellement la succession apostolique. C'est pourquoi une telle désobéissance qui constitue en elle-même un refus pratique de la primauté de l'évêque de Rome constitue un acte *schismatique* ([^11])*.* En accomplissant un tel acte malgré la monition formelle qui lui a été envoyée par le cardinal préfet de la Congrégation des Évêques le 17 juin dernier, Mgr Lefebvre encourt avec les prêtres Bernard Fellay, Bernard Tissier de Mallerais, Richard Williamson et Alfonso de Galarreta, la peine très grave de l'excommunication prévue par la discipline ecclésiastique ([^12]).
4\. A la *racine* de cet acte schismatique, on trouve une notion incomplète et contradictoire de la Tradition. Incomplète parce qu'elle ne tient pas suffisamment compte du caractère *vivant* de la Tradition « qui, comme l'a enseigné clairement le Concile Vatican II, tire son origine des Apôtres, se poursuit dans l'Église sous l'assistance de l'Esprit Saint : en effet, la perception des choses aussi bien que des paroles transmises s'accroît, soit par la contemplation et l'étude des croyants qui les méditent en leur cœur, soit par l'intelligence intérieure qu'ils éprouvent des choses spirituelles, soit par la prédication de ceux qui, avec la succession épiscopale, reçurent un charisme certain de vérité ». ([^13])
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Mais est surtout contradictoire une notion de la Tradition qui s'oppose au Magistère universel de l'Église dont est détenteur l'évêque de Rome et le Corps des Évêques. On ne peut rester fidèle à la Tradition tout en rompant le lien ecclésial avec celui à qui le Christ lui-même, en la personne de l'Apôtre Pierre, a confié le ministère de l'unité dans son Église. ([^14])
5\. Devant une telle situation, j'ai le devoir d'attirer l'attention de tous les fidèles catholiques sur quelques points que cette triste circonstance met en lumière.
a\) Le résultat auquel a abouti le mouvement promu par Mgr Lefebvre peut et doit être une occasion pour tous les fidèles catholiques de réfléchir sincèrement sur leur propre fidélité à la Tradition de l'Église, authentiquement interprétée par le Magistère ecclésiastique, ordinaire et extraordinaire, spécialement dans les Conciles œcuméniques, depuis Nicée jusqu'à Vatican II. De cette réflexion, tous doivent retirer une conviction renouvelée et effective de la nécessité d'approfondir encore leur fidélité à cette Tradition en refusant toutes les interprétations erronées et les applications arbitraires et abusives en matière doctrinale, liturgique et disciplinaire.
Il revient par-dessus tout aux Évêques, à cause de leur mission pastorale propre, d'exercer une vigilance clairvoyante pleine de charité et de fermeté afin qu'une telle fidélité soit partout sauvegardée. ([^15])
Cependant les pasteurs et les fidèles doivent aussi avoir une conscience nouvelle non seulement de la légitimité mais aussi de la richesse que représente pour l'Église la diversité des charismes et des traditions de spiritualité et d'apostolat, qui constitue la beauté de l'unité dans la variété : telle est la « symphonie » que, sous l'action de l'Esprit Saint, l'Église terrestre fait monter vers le ciel.
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b\) Je voudrais en outre attirer l'attention des théologiens et des autres experts en science ecclésiastique afin qu'ils se sentent interpellés eux aussi par les circonstances présentes. En effet, l'amplitude et la profondeur des enseignements du Concile de Vatican II requièrent un engagement renouvelé pour un approfondissement qui permettra de mettre en lumière la continuité du Concile avec la Tradition, spécialement sur des points de doctrine qui, peut-être à cause même de leur nouveauté, n'ont pas encore été bien compris dans certains secteurs de l'Église.
c\) Dans les circonstances présentes, je désire avant tout lancer un appel à la fois solennel et ému, paternel et fraternel à tous ceux qui jusqu'à présent ont été de diverses manières liés au mouvement issu de Mgr Lefebvre, pour qu'ils réalisent le grave devoir qui est le leur de rester unis au vicaire du Christ dans l'unité de l'Église catholique et de ne pas continuer à soutenir de quelque façon que ce soit ce mouvement. Nul ne doit ignorer que l'adhésion formelle au schisme constitue une grave offense à Dieu et comporte l'excommunication prévue par le droit de l'Église. ([^16])
A tous ces fidèles catholiques qui se sentent attachés à des formes liturgiques et disciplinaires antécédentes dans la tradition latine, je désire aussi manifester ma volonté -- à laquelle je demande que s'associent les évêques et tous ceux qui ont un ministère pastoral dans l'Église -- de leur faciliter la communion ecclésiale grâce à des mesures nécessaires pour garantir le respect de leurs justes aspirations.
6\. Compte tenu de l'importance et de la complexité des problèmes évoqués dans ce document, en vertu de mon Autorité Apostolique, j'établis ce qui suit :
a\) Une *Commission* est instituée ayant pour mission de collaborer avec les Évêques, les Dicastères de la Curie Romaine et les milieux intéressés dans le but de faciliter la pleine communion ecclésiale des prêtres, des séminaristes, des communautés religieuses et des individus, religieux ou religieuses, ayant eu jusqu'à présent des liens avec la Fraternité fondée par Mgr Lefebvre et qui désireraient rester unis au successeur de Pierre dans l'Église Catholique en conservant leur tradition spirituelle et liturgique, à la lumière du protocole signé le 5 mai par le Card. Ratzinger et Mgr Lefebvre.
b\) Cette commission est composée d'un Cardinal Président et d'autres membres de la Curie Romaine dont le nombre sera fixé selon les circonstances.
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c\) On devra partout respecter le désir spirituel de tous ceux qui se sentent liés à la tradition liturgique latine en faisant une application large et généreuse des directives données en leur temps par le Siège Apostolique pour l'usage du Missel Romain selon l'édition typique de 1962. ([^17])
7\. Alors que l'on approche de la fin de cette année tout particulièrement consacrée à la Très Sainte Vierge, je désire exhorter chacun à s'unir à la prière incessante que le Vicaire du Christ, par l'intercession de la Mère de l'Église, adresse au Père avec les paroles mêmes du Fils : « *Ut omnes unum sint !* »
Donné à Rome, près de Saint Pierre, le 2 juillet 1988, dixième année de mon Pontificat.
#### Lettre ouverte au cardinal Gantin des supérieurs de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, 6 juillet 1988.
Séminaire International
Saint-Pie X
Écône -- Suisse
Éminence,
Réunis autour de leur Supérieur Général, les Supérieurs des districts, séminaires et maisons autonomes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X pensent bon de vous exprimer respectueusement les réflexions suivantes.
Vous avez cru devoir, par votre lettre du 1^er^ juillet passé, faire savoir à S.E. Mgr Marcel Lefebvre, à S.E. Mgr Antonio de Castro-Mayer et aux quatre évêques qu'ils ont consacrés le 30 juin dernier à Écône, leur excommunication *latae sententiae.* Veuillez vous-même juger de la valeur d'une telle déclaration venant d'une autorité qui, dans son exercice, rompt avec celle de tous ses prédécesseurs jusqu'au pape Pie XII, dans le culte, l'enseignement et le gouvernement de l'Église.
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Pour nous, nous sommes en pleine communion avec tous les papes et tous les évêques qui ont précédé le concile Vatican II, célébrant exactement la messe qu'ils ont codifiée et célébrée, enseignant le catéchisme qu'ils ont composé, nous dressant contre les erreurs qu'ils ont maintes fois condamnées dans leurs encycliques et leurs lettres pastorales. Veuillez donc juger de quel côté se trouve la rupture. Nous sommes extrêmement peinés de l'aveuglement d'esprit et de l'endurcissement de cœur des Autorités romaines.
En revanche, nous n'avons jamais voulu appartenir à ce système qui se qualifie lui-même d'Église conciliaire, et se définit par le *Novus ordo missae,* l'œcuménisme indifférentiste et la laïcisation de toute la société. Oui, nous n'avons aucune part, *nullam partem habemus,* avec le panthéon des religions d'Assise ; notre propre excommunication par un décret de Votre Éminence ou d'un autre dicastère n'en serait que la preuve irréfutable. Nous ne demandons pas mieux que d'être déclarés *ex communione* de l'esprit adultère qui souffle dans l'Église depuis vingt-cinq ans, exclus de la communion impie avec les infidèles. Nous croyons au seul Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec le Père et le Saint-Esprit, et nous serons toujours fidèles à son unique épouse, l'Église une, sainte, catholique, apostolique et romaine.
Être donc associés publiquement à la sanction qui frappe les six évêques catholiques, défenseurs de la foi dans son intégrité et son intégralité, serait pour nous une marque d'honneur et un signe d'orthodoxie devant les fidèles. Ceux-ci ont, en effet, un droit strict à savoir que les prêtres auxquels ils s'adressent ne sont pas de la communion d'une contrefaçon d'Église, évolutive, pentecôtiste et syncrétiste. Unis à ces fidèles, nous faisons nôtres les paroles du Prophète : (I Rg 7,3) « *Praeparate corda vestra Domino et servite Illi Soli : et liberabit vos de manibus inimicorum vestrorum. Convertimini ad Eum in toto corde vestro, et auferte deos alienos de media vestri. Attachez fermement votre cœur au Seigneur et servez-le lui seul : et il vous délivrera des mains de vos ennemis. C'est de tout votre cœur que vous devez revenir à Dieu ; ôtez du milieu de vous les dieux étrangers.* »
Confiants dans la protection de Celle qui a terrassé toutes les hérésies dans le monde entier, nous vous prions d'agréer, Éminence, l'assurance de notre dévouement à Celui qui est l'unique voie de salut.
Écône, le 6 juillet 1988.
99:325
Franz Schmidberger Supérieur Général, Paul Aulagnier Assistant du Supérieur général et Supérieur du district de France, Franz Josef Maessen Supérieur du district d'Allemagne, Edward Black Supérieur du district de Grande-Bretagne, Anthony Esposito Supérieur du district d'Italie, François Laisney Supérieur du district des États-Unis, Jacques Emily Supérieur du district du Canada, Jean-Michel Faure Supérieur du district du Mexique, Gerard Hogan Supérieur du district d'Australie et Nouvelle-Zélande, Alain Lorans Directeur du séminaire d'Écône (Suisse), Jean-Paul André Directeur du séminaire de Flavigny (France), Paul Natterer Directeur du séminaire de Zaitzkofen (Allemagne), Andrés Morello Directeur du séminaire de La Reja (Argentine), William Welsh Directeur du séminaire de la Sainte-Croix (Australie), Michel Simoulin Recteur de l'Institut Universitaire Saint-Pie X de Paris, Patrice Laroche Sous-Directeur du séminaire d'Écône, Philippe François Supérieur de la maison autonome de Belgique et Luxembourg, Roland de Merode Supérieur de la maison autonome des Pays-Bas, Georg Pfluger Supérieur de la maison autonome d'Autriche, Guillaume Devillers Supérieur de la maison autonome d'Espagne, Philippe Pazat Supérieur de la maison autonome du Portugal, Daniel Couture Supérieur de la maison autonome d'Irlande, Patrick Groche Supérieur de la maison autonome du Gabon, Frank Peek Supérieur de la maison autonome d'Afrique australe.
#### Déclarations de Mgr Tissier de Mallerais en réponse aux questions de Michèle Reboul, dans le « Figaro » du 16 août 1988.
-- *Mgr Lustiger et vous avez commémoré les 350 ans du vœu de Louis XIII et présidé, chacun, deux processions qui semblent concurrentes, ou du moins parallèles. Cela ne vous gêne-t-il pas ?*
100:325
*-- *Pourvu que ces deux voies parallèles mènent au même Seigneur, c'est l'essentiel ! Elles ne sont en rien concurrentes : Paris est assez grand pour supporter plusieurs processions, et je me réjouis que l'archevêque de Paris en fasse une. Mais ce n'est ni à Mgr Lustiger ni à moi de renouveler ce vœu de Louis XIII, mais à M. Mitterrand, président de la République. Car c'est le chef de l'État, royal ou républicain, qui, recevant son pouvoir de Jésus-Christ, doit reconnaître l'autorité du Christ-Roi par la médiation de Marie, reine du monde et reine de France.
-- *Que pensez-vous de la mise en garde de Mgr Lustiger, du 8 juillet, contre les prêtres qui ont participé à votre cérémonie ?*
*-- *C'est un abus de pouvoir, car il ne pourrait les excommunier que si j'étais schismatique, ce qui n'est pas le cas. En effet, je ne m'attribue pas de juridiction sur un troupeau particulier ou un territoire, mais ne fais que répondre, cas par cas, aux besoins des fidèles qui s'adressent à moi.
-- *Mais n'attribuez-vous aucune importance à l'excommunication de Mgr Lefebvre par Jean-Paul II ?*
*-- *Elle est nulle et non avenue car Mgr Lefebvre, en nous sacrant, se trouvait dans le cas de nécessité pour le bien des âmes, prévu par le Droit canon (code de 1917 : can. 2.205,2 et 3 ; code de 1983 : can. 1.323,4° et 1.324,1,5°). Comme il l'a dit, s'il n'avait pas fait ces sacres, il aurait collaboré à l'autodémolition de l'Église. On ne peut excommunier la partie la plus saine de l'Église, celle qui garde l'intégralité de la foi et qui lutte contre l'apostasie régnante.
-- *Mais en étant sacré sans l'accord du Vatican, ne craignez-vous pas de rompre l'unité de l'Église ?*
*-- *L'unité de l'Église réside dans sa fidélité à la foi, en l'unique Vérité du Christ. Or l'Église actuelle, par une conception erronée de l'unité de l'Église, tend à devenir une fédération des religions et donc à perdre l'unité catholique. Puisque le Saint-Père se dit en communion, même imparfaite, avec les protestants, les juifs, les musulmans, les bouddhistes, les fétichistes, etc., en nous excommuniant, il nous exclut de cette fausse communion.
101:325
-- *Avez-vous ressenti beaucoup de défections depuis les sacres du 30 juin ?*
*-- *Dans le monde entier, il n'y a eu que onze prêtres et vingt séminaristes qui nous ont quittés. Quant aux fidèles, les très rares défections ont été largement compensées par une étonnante augmentation de gens venus pour la première fois dans nos prieurés, tout heureux de découvrir ou de retrouver la vraie foi et la vraie messe à la place du culte profane actuel, contraire à l'adoration et à la foi.
-- *Que pensez-vous des évêques qui autorisent, à la demande de Jean-Paul II, le rite dit de saint Pie V, dans certaines églises ?*
*-- *Ils nous ont accusés de faire de la messe un drapeau et, eux, en font un moyen pour récupérer les fidèles qui nous ont suivis. Cependant je me réjouis de l'augmentation des anciennes messes, pourvu que les prédications donnent la doctrine traditionnelle. Il n'en reste pas moins que les prêtres, capables de dire aussi bien le nouveau que l'ancien rituel, montrent, par là même, qu'ils ne saisissent pas la désacralisation, et donc la nocivité, de la nouvelle messe. Si Mgr Lefebvre a voulu des évêques attachés à la Tradition, c'est précisément pour qu'ils puissent perpétuer le sacerdoce catholique, et donc la messe intégralement catholique. Et je suis sûr qu'en raison de cette fidélité au Saint Sacrifice et à la vraie foi, nous deviendrons, de plus en plus, un signe de ralliement pour tous les cœurs et les âmes authentiquement catholiques.
#### La position du Centre Charlier, déclaration de Bernard Antony, 24 août 1988.
*Au cours d'une interview publiée dans PRÉSENT du 24 août, Bernard Antony a notamment répondu aux questions sur la position religieuse du Centre Charlier. Voici les extraits de cette interview concernant cette question.*
102:325
-- *Votre CENTRE CHARLIER a pris en juin une position remarquée sur les querelles religieuses de cet été.*
*-- *Non point : c'est à titre strictement personnel et sans esprit de querelle que j'ai exprimé ma conviction. Elle était d'ailleurs connue depuis longtemps et n'a pu constituer une surprise pour personne. Ni dans son expression ni dans sa substance elle ne comporte aucune agressivité à l'égard de ceux qui ont résolu dans un sens différent ce dramatique cas de conscience posé le 30 juin aux catholiques. Ce n'est pas une « position du CENTRE CHARLIER » : celui-ci, indépendant de toutes les institutions confessionnelles, s'inspire de la doctrine commune de l'Église sans prétendre trancher les questions théologiques et canoniques librement discutées. Dans le chaos intellectuel et liturgique actuel, le CENTRE CHARLIER depuis sa fondation s'en est tenu, s'en tient et s'en tiendra pour ses solennités religieuses au rite sûr de la messe que Jean Madiran a désignée sans équivoque possible par sa formule : « la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V ».
*-- Vous voulez dire que, vous exprimant à titre personnel, vous n'engagiez ni le CENTRE CHARLIER, ni CHRÉTIENTÉ SOLIDARITÉ ni le* « *pèlerinage de Chrétienté* »* ?*
*-- *Exactement. D'ailleurs CHRÉTIENTÉ-SOLIDARITÉ, mouvement de combat politique issu du CENTRE CHARLIER, regroupe sous l'inspiration de la doctrine sociale catholique, non seulement des catholiques pratiquants, mais aussi toutes les catégories de chrétiens, d'agnostiques et d'incroyants qui nous rejoignent pour mettre en œuvre la résistance sur tous les fronts à l'entreprise de domination mondiale du communisme : nous pratiquons ainsi le véritable œcuménisme politique, celui de l'encyclique *Divini Redemptoris* contre le communisme.
-- *Mais n'est-ce pas aussi la perspective de votre* « *pèlerinage de Chrétienté* »*, chaque année à la Pentecôte ?*
-- Bien sûr, notre perspective de *chrétienté* -- qui malheureusement est notre originalité -- anime toutes nos actions. Ce pèlerinage de la Pentecôte est en effet une création du CENTRE CHARLIER qui en assure chaque année la direction et l'organisation. Cette année le thème en était : « Fatima espérance du monde. » A la prochaine Pentecôte, en 1989, ce sera naturellement un pèlerinage de *réparation* pour la révolution de 1789 qui a été l'apostasie officielle de la nation française : cette apostasie en effet n'est toujours point abjurée ni réparée.
103:325
Au cours de la réunion que nous avons tenue le 20 août -- justement pour la Saint-Bernard ! -- en présence de Dom Gérard et de Jean Madiran qui sont à mes yeux les parrains du CENTRE CHARLIER, nous avons estimé que notre meilleure contribution spirituelle au bi-centenaire, dans l'esprit d'Henri Charlier et d'André Charlier, serait précisément celle-là. Et puis le CENTRE CHARLIER, ne l'oubliez pas, va organiser au printemps, comme chaque année, des JOURNÉES NATIONALES D'AMITIÉ FRANÇAISE : nous en reparlerons car, croyez-moi, elles auront cette année une grande dimension.
104:325
## CHRONIQUES
105:325
### Pages de journal
par Jean Madiran
**Lundi 13 juin**
J'apprends avec consternation ce qui s'est passé le samedi 11 juin au séminaire de Flavigny. Un drame commence : un autre, pas celui de la rupture entre Rome et Écône auquel nous pensons tous.
Cet autre drame est l'inattendu, l'imprévisible (bien que longuement désiré par plusieurs, je sais), il pouvait, il devait être évité. Et le voici, dévastateur.
C'est donc décidé, c'est officiel : désormais la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X condamne le pèlerinage de Chartres.
Elle condamne le Centre Charlier et Chrétienté-Solidarité.
106:325
Le pèlerinage de Chartres et ses organisateurs sont déclarés *vitandi,* comme des excommuniés majeurs : des « contaminés » dont il faut éviter le contact pour écarter la contagion.
Jusqu'ici Mgr Lefebvre avait toujours su défendre souverainement Bernard Antony contre le zèle amer de ses détracteurs, tels et tels prêtres de la Fraternité qui auraient aimé le disqualifier publiquement. Cette protection, toutes proportions gardées, c'était celle de saint Pie X empêchant la condamnation des premiers livres de Maurras en les déclarant *damnabiles sed non damnandos.* De même Bernard Antony était sans doute *damnabiles* pour quelques expressions maladroites ou excessives ([^18]). Mais il est surtout *non damnandus* pour l'ensemble de son action.
J'imagine la tête de Jean Nouyrigat, à moins qu'on nous l'ait changé lui aussi, quand il apprendra que le pèlerinage de Chartres est mis en quarantaine.
J'imagine le cœur déchiré de l'abbé Pozzetto d'entendre rejeter le Centre Charlier comme « n'ayant pas notre théologie ». Il n'a donc pas la théologie catholique ? Ou alors de quelle théologie parle-t-on ? de quelle école particulière ?
Cette conférence du 11 juin à Flavigny, on peut compter sur un grand zèle à en répandre les cassettes dans les prochains jours.
Que cela ait été possible, que cela ait eu lieu marque sans doute un nouveau cours, une nouvelle orientation ; un début.
107:325
Si l'on en est à condamner les « contaminés » que rassemblent et que dirigent (ou que sont eux-mêmes ?) Bernard Antony et l'abbé Pozzetto, on en viendra vite à condamner aussi les sœurs de Pontcallec et celles de Brignoles ; et l'abbé Lecarreux ; et Le Barroux, pourquoi pas ? Hors de chez nous point de salut...
**Vendredi 17 juin**
Coup d'arrêt au pape : le communiqué des présidents des trois conférences épiscopales (France, Allemagne fédérale, Suisse) au sujet de Mgr Lefebvre :
« Le Saint-Père a tout tenté... Il a manifesté une extraordinaire miséricorde. Il est allé *jusqu'au bout des concessions possibles.* »
Sont-ils donc juges du point jusqu'où le pape peut aller ? Ont-ils la charge de notifier -- et publiquement -- au souverain pontife qu'il a atteint une limite à ne pas franchir ?
La seule raison d'un tel éclat, c'est de manifester au pape qu'il est déjà allé trop loin.
**Samedi 18 juin**
Partout, le mot d' « irréparable » si Mgr Lefebvre consacre. Jusque dans le communiqué des trois conférences épiscopales : « Nous prions pour qu'il ne commette pas l'irréparable. » Leur œcuménisme qui professe (le nôtre aussi d'ailleurs) que tout schisme est *réparable* serait-il donc un mensonge ?
108:325
**Dimanche 19 juin**
Ceux qui me pressaient d'entreprendre avec XXX (etc.) une démarche commune auprès de Mgr Lefebvre pour le dissuader (« au nom des laïcs ») de consacrer des évêques sans mandat pontifical, voici leur théologie et leur droit canon retournés d'un coup, semble-t-il, et par quoi ? Simplement par les anecdotes de l'abbé YYY montrant qu'on ne peut avoir confiance dans les fonctionnaires et négociateurs actuels du Vatican. Mais on le savait. Les méfiances sont légitimes, fondées, justifiées. C'est malgré elles, mais sans les sous-estimer, que l'on pouvait accepter le « protocole du 5 mai », comme Mgr Lefebvre le fit d'abord. C'est à cause d'elles que l'on peut le refuser, comme Mgr Lefebvre le fit ensuite. Affaire d'appréciation pratique et non article de foi. Mais l'acceptation ou le rejet du protocole est une chose, les consécrations annoncées pour le 30 juin en sont une autre. Les méfiances ne suffisent pas à justifier les consécrations. Il n'existe pas un lien nécessaire entre le rejet du protocole, qui n'entraîne pas l'excommunication, et les consécrations qui assument le risque de la provoquer.
**Lundi 20 juin**
Vu Bernard samedi à Beaucaire. Il n'est pas encore exactement au courant du 11 juin de Flavigny. Il a d'autres préoccupations, les tourbillons politiques et spirituels qu'il pressent. Ayant ruminé tout ce qu'il m'a dit, je lui écris :
109:325
*Mon cher Bernard,*
*Le* « *Centre Charlier* » *n'est justement pas un* « *Centre Lefebvre* »* : donc ce qui concerne Mgr Lefebvre ne doit pas entraîner la disparition du Centre Charlier.*
*En inventant le Centre Charlier, vous avez assumé la tradition Charlier. Ne l'abandonnez pas ; du moins pas avant d'avoir fait la preuve que plus personne ne vous y suit. Je crois que c'est la preuve contraire qui peut être faite si vous le voulez.*
*Que l'abbé Pozzetto ne veuille plus ou ne puisse plus être l'aumônier du Centre Charlier, ce serait bien sûr une grande perte. Mais je ne vois pas pourquoi, surtout dans les circonstances ecclésiastiques actuelles, le Centre Charlier ne serait pas capable de se passer d'aumônier. Ni sa vocation ni ses activités ne l'obligent à en avoir un. André Charlier en avait deux* (*un catholique et un protestant*)* ; Henri Charlier n'en avait aucun. L'œuvre de réforme intellectuelle et morale doit être catholique d'esprit et de doctrine, mais de soi elle n'est ni cléricale ni confessionnelle.*
*L'université d'été du Centre Charlier est la seule de son espèce ; la seule, dans notre camp, de ce niveau intellectuel. Elle a montré sa fécondité : les Journées d'Amitié française, le quotidien PRÉSENT, Chrétienté-Solidarité* (*et même l'Atelier de la Sainte-Espérance et le pèlerinage à Chartres ?*) *en sont sortis. Autant il est plausible que vous ne puissiez pas continuer désormais le pèlerinage, autant en revanche il est indiqué de maintenir le Centre Charlier, son université -- et tout ce qui peut encore en naître.*
*Et si vous êtes irréparablement pris de court pour cet été, vous pouvez au moins annoncer dès maintenant et préparer une université d'automne, ou d'hiver, ou à la rigueur de l'an prochain ; et en faire une réussite éclatante en qualité. Pensez-y.*
*Bien vôtre.*
110:325
**Mardi 21 juin**
La foi nous oblige à refuser ce qui la contredit. Elle ne nous oblige pas à approuver les consécrations annoncées pour le 30 juin. Il n'est pas de foi de professer, comme plusieurs le proposent, sinon en théorie, du moins déjà en pratique : Hors de la Fraternité pas de salut. Il n'est pas non plus de foi, d'ailleurs, de professer le contraire.
**Mercredi 22 juin**
Est-ce mieux, est-ce moins bien de me trouver en ce moment à 874 kilomètres de Paris ?
J'écris à Pierre Durand :
« ...Ils sont presque tous en train de faire à qui mieux mieux les importants ; ils se hâtent de communiquer au monde entier, qui s'en f..., leurs états d'âme ; ils publient des déclarations qui sont pour le moins prématurées, dans le meilleur des cas inutiles, et trop souvent déjà exploitées par nos adversaires.
« ...Je compte sur vous pour veiller à ce qu'en tout cas PRÉSENT ne sorte pas de la ligne fixée le 15 juin... »
111:325
**Vendredi 24 juin**
Du côté de Dom Gérard, une éclaircie dans les ténèbres. A partir des propositions éventuellement non désintéressées qu'est venu lui faire le cardinal Mayer, une possibilité de régularisation et de reconnaissance bien méritées.
**Mercredi 29 juin**
On nous a produit des démonstrations selon lesquelles, dans des cas extraordinaires, on peut consacrer des évêques *sans* mandat pontifical.
Mais ce n'est pas la simple *absence* de mandat qui est en question.
Je ne vois pas où l'on aurait démontré qu'il n'est pas interdit de consacrer des évêques *contre* la volonté formelle du pape expressément notifiée. Ou du moins, je ne vois pas comment une telle démonstration pourrait ne pas postuler ou impliquer nécessairement un sédévacantisme.
**Jeudi 30 juin**
Je n'avais jamais vu le porte-parole officiel du pape : le fonctionnaire ecclésiastique qui est « le directeur de la salle de presse du Vatican ».
112:325
Je viens de le voir, à la télévision, annoncer l'excommunication de Mgr Lefebvre. Son allure et sa tenue, son regard langoureux, son complet veston, sa cravate et son visage auront (peut-être ?) frappé le monde entier. C'est un danseur mondain, c'est un chanteur de charme, un *crooner.* Voilà un signe sensible qui devrait être efficace.
**Vendredi 1^er^ juillet**
La fonction d'ITINÉRAIRES dans cette crise sera sans doute d'empêcher, -- d'essayer d'empêcher, -- de contribuer à empêcher, -- que tout le problème religieux soit ramené à l'unique question de savoir si Mgr Lefebvre a eu raison ou a eu tort le 30 juin : éviter que passionnément l'on en fasse la seule question décisive et la nouvelle ligne de fracture.
La question décisive demeure celle de la messe, du catéchisme, de la version et de l'interprétation traditionnelles de l'Écriture. La ligne de fracture passe toujours par le refus de l'interdiction arbitraire de la messe, le refus de la suppression des catéchismes, le refus de la non-résistance au communisme, etc., bref, le refus de l'apostasie immanente.
Si l'on pense que Mgr Lefebvre a eu tort le 30 juin, cela ne doit pas entraîner la méfiance et le soupçon à l'égard de la messe et du catéchisme traditionnels : il ne le faut pas ; la conséquence ne suit pas.
Si l'on pense que Mgr Lefebvre a eu raison, cela ne doit pas provoquer la méfiance et le soupçon à l'égard des prêtres qui maintiennent le catéchisme et la messe sans approuver le 30 juin : il ne le faut pas non plus, la conséquence ne suit pas davantage.
113:325
**Samedi 2 juillet**
Lustiger annonce (*Figaro* d'hier) qu'il célébrera dimanche à Notre-Dame une messe traditionnelle :
« J'ai voulu que ce soit un acte significatif qui, d'avance, assure les catholiques de bonne foi qu'ils seront respectés dans leurs différences légitimes... »
Le mot merveilleux est : *d'avance, --* quand on est tellement en retard.
Cet « acte significatif » est justement celui qui a manqué, à Notre-Dame de Paris comme à Saint-Pierre de Rome et partout ailleurs, depuis 1970. Si la messe traditionnelle était une différence légitime, pourquoi cette légitimité a-t-elle été interdite et traquée ?
Frossard assure que le pape a été « patient, doux, conciliant à l'extrême » et il demande : « Que pouvait-il faire de plus ? »
Que pouvait-il faire de plus ? Le minimum.
Commencer par le commencement.
Lever l'interdiction qui empêche que la messe traditionnelle soit célébrée partout de plein droit et sans conditions.
Et lever l'interdiction qui frappe tous les catéchismes catholiques préexistants.
Mais peut-être Jean-Paul II et André Frossard ne sont-ils pas encore au courant d'une situation qui dure en France (et souvent ailleurs) depuis dix-huit ans pour la messe, vingt ans pour le catéchisme.
114:325
**Dimanche 3 juillet**
Le P. François Reveilhac, dans le *Figaro-Magazine* Gardez-vous de suivre Mgr Lefebvre et « regroupez-vous », lance-t-il à la cantonade, « *autour de certains évêques défenseurs authentiques des valeurs de tradition* »*.* Mais quels sont ces « certains évêques » dont on ne nous donne jamais le nom et dont on n'arrive jamais à savoir où donc ils pourraient bien exister ? Ce flou rêveur confine à la tromperie et dissimule que le plus dramatique de la crise concerne précisément la succession apostolique. L'archevêque de Paris célèbre la messe traditionnelle en moyenne une fois tous les deux ou trois ans. Le primat des Gaules la célébrera peut-être une fois, « dans quelque temps » dit-il. L'évêque de Rome ne la célèbre *jamais.*
**Lundi 4 juillet**
Étienne Borne dans *La Croix* du 2 juillet :
« A l'Institut d'études politiques de l'Action française, n'avait-il pas été jadis question de créer une « chaire du Syllabus » pour faire pièce à une papauté devenue libérale et en train de transiger avec la société moderne ? »
La chaire du Syllabus ne fut pas seulement un projet dont il était question. Elle a effectivement existé à l'Institut d'Action française : elle a existé sous le pontificat de saint Pie X, sous lequel la papauté n'était ni « devenue libérale » ni « en train de transiger avec la société moderne ». Cette chaire du Syllabus était en parfait accord avec l'enseignement et le gouvernement du pape.
115:325
Même pour des esprits instruits et cultivés comme Étienne Borne, Vatican II a en quelque sorte annulé tout ce qui n'était pas libéral, Pie X et Pie XII n'ont pas existé, la papauté au XX^e^ siècle a sans cesse été « en train de transiger avec la société moderne ». La mémoire et l'histoire ont été censurées.
**Mardi 5 juillet**
Le cardinal Lustiger reproche à Mgr Lefebvre (*La Croix* du 2) « une manière de chercher à se situer en position de force pour faire triompher son point de vue *en s'emparant des leviers de commande* et en imposant ses idées ».
Les traditionalistes s'emparant, par un coup de force, des leviers de commande dans l'Église ! Le cardinal a fait un cauchemar ?
**Mercredi 6 juillet**
Le *motu proprio* de Jean-Paul II étend l'excommunication à « tous ceux qui continueront à soutenir de quelque manière que ce soit le mouvement » de Mgr Lefebvre.
Et un peu partout le même concert : le pape tend la main aux traditionalistes !
116:325
Pour une fois, le titre avant-hier de *Libération* (plus objectif parce que sans doute plus indifférent) est le plus juste : « *Le pape envoie sa lettre de rupture.* »
\*\*\*
Ministre des affaires étrangères de Mitterrand, le ministre d'État Roland Dumas est allé à Rome exprimer « l'appui total » de notre gouvernement maçonnico-socialiste aux « principes d'adaptation au monde moderne assoiffé de justice et de paix » affirmés par Jean-Paul II.
**Jeudi 7 juillet**
Le *motu proprio* comporte la promesse de « garantir le respect de leurs justes aspirations » à tous les fidèles attachés à la liturgie de tradition latine. Pourquoi leurs *justes* aspirations ont-elles été méconnues et persécutées pendant dix-huit ans ? Comment croire que les mêmes persécuteurs vont devenir des bienfaiteurs ?
Idem pour le cardinal Lustiger prêchant dimanche à Notre-Dame (*Figaro* du 4) : « Sur certains points secondaires Mgr Lefebvre n'avait pas forcément tort. Ses positions étaient acceptables. Pas sur l'essentiel. » -- Quand donc le cardinal avait-il reconnu des *positions acceptables,* fussent-elles *secondaires,* chez Mgr Lefebvre ?
Il semble bien d'ailleurs qu'implicitement (peut-être inconsciemment) *l'essentiel pour* le cardinal Lustiger soit Vatican II, le *secondaire* le catéchisme et la messe.
117:325
**Vendredi 8 juillet**
Curieux article anonyme, dans *National-Hebdo* d'hier, à propos des « catholiques traditionnels qui, comme Bernard Antony, n'ont pas voulu rompre avec Rome » :
« Ces catholiques traditionalistes vont se regrouper dans les semaines qui viennent. Ils auront à Rome l'appui de Mgr Gagnon, du cardinal Oddi, du cardinal Ratzinger et de Mgr Perl.
« Ici, il faut se souvenir que lorsque Mgr Gagnon vint à Paris, il y a quelques mois, beaucoup pensaient qu'il irait assister à la messe à Saint-Nicolas du Chardonnet. Il n'en fut rien. Mgr Gagnon préféra se rendre au Centre Charlier, dont l'animateur est Bernard Antony.
« A l'époque, cette visite passa à peu près inaperçue. Sans doute indiquait-elle déjà un choix, une préférence et des désaccords, connus seulement de quelques initiés, entre les dirigeants laïcs de Chrétienté-Solidarité et les clercs fidèles à Monseigneur Lefebvre. Dans les semaines qui viennent, il est possible qu'un rapprochement s'effectue entre *Chrétienté-Solidarité* et notre ami Pierre Debray, fondateur des *Silencieux de l'Église*. On assisterait alors, avec le soutien des éléments traditionalistes à Rome, à la création, en France, d'une tendance qui, tout en affirmant sa fidélité au pape, engagerait le combat contre les progressistes, particulièrement bien organisés dans l'Église de France. »
Pierre Debray et Bernard Antony ne seront peut-être pas très satisfaits qu'on annonce au public de *National-Hebdo* qu'ils vont enfin, un jour prochain, *engager le combat* contre les progressistes. -- Il est bien temps, penseront les lecteurs qui n'auraient pas d'autre source d'information.
118:325
La dialectisation clercs-laïcs n'est pas plus heureuse, ni plus exacte. Ni le soupçon gratuitement jeté, mais éventuellement lourd de conséquences, sur ce que furent à Paris certains entretiens avec le cardinal Gagnon. Ce ne sont pourtant pas ceux qu'il eut au Centre Charlier qui devraient être mis en cause : spécialement quand on se demande où donc le cardinal avait bien pu trouver de quoi fonder l'assurance avec laquelle il avait rapporté à Rome le pronostic farfelu selon lequel seulement 20 % des fidèles de Mgr Lefebvre le suivraient en cas d'excommunication. Cette intoxication a eu sa part de responsabilité dans l'aggravation du cours des événements.
**Lundi 11 juillet**
Elle est donc massivement diffusée partout, avec le zèle joyeusement amer que je redoutais, cette malheureuse cassette de la conférence du 11 juin aux séminaristes de Flavigny. Je l'écoute dans la consternation. J'y entends bien, j'y entends littéralement ce qui m'avait été rapporté de sources distinctes et qui se recoupaient, je ne pouvais douter ; mais de l'entendre de mes oreilles, mon accablement redouble. Ou les mots ne veulent rien dire, ou les prêtres de Mgr Lefebvre et les fidèles qui les suivent sont impérieusement invités à suspecter le pèlerinage de Chartres, à se méfier du Centre Charlier, à éviter finalement tout ce qui n'est pas organisé, encadré, dirigé par la Fraternité Saint-Pie X elle-même.
Et c'est pourquoi sans doute on entend de plus en plus se répandre ce blasphème :
« *Qui n'est pas avec nous est contre nous.* »
Parole de Notre-Seigneur, que Notre-Seigneur applique à lui-même, et *seulement à lui-même,* nullement à ses apôtres et disciples :
119:325
« Qui n'est pas avec *moi* est contre *moi.* » (Mt XII, 30 et Lc XI, 23.)
Aux apôtres il dit en sens inverse (Mc IX, 40) :
« Qui n'est pas contre *vous* est avec *vous*. »
Ou dans la version moderne, qui revient au même :
« Qui n'est pas contre *nous* est avec *nous.* » ([^19])
Et Luc (IX,49) : « Qui n'est pas contre vous est avec vous. »
Plutôt que de s'attribuer indûment le verset de Matthieu et celui de Luc qui concernent Jésus, il conviendrait de se référer à celui de Marc ou à celui de Luc qui concerne les disciples...
**Mardi 19 juillet**
Il ne faut pas donner aux gens des aliments de médiocre qualité : on les empoisonne ou, au mieux, on les débilite. Pierre Debray, si plein pourtant d'intentions louables durant cette crise, nous offre avec gourmandise et admiration la lettre anonyme d'un « religieux romain » dont les « fonctions officielles » qu'il a occupées imposent de taire le nom. Que de mystère inutile : s'il ne les occupe plus, rien ne l'empêche de signer. Mais qu'importe. Le grave est que sa lettre est d'une grande inexactitude dans l'information et d'une grande faiblesse doctrinale.
120:325
On ne devrait pas mettre en circulation des exposés aussi tristement insuffisants.
Exemple n° 1 :
« Le Saint-Père fut longtemps trompé par des rapports qui limitaient l'influence de Mgr Lefebvre à quelques « vieillards de chrétienté ». Selon vos évêques tout allait pour le mieux... »
Comment ! Et les vocations qui affluaient à Écône quand elles se tarissaient ailleurs ? Pendant dix-huit ans on aurait fait croire à deux papes successifs que c'étaient des vieillards ? Quelle histoire !
Et puis, qu'est-ce que l'influence, qu'est-ce que l'âge, qu'est-ce que le nombre ont à voir avec la vérité ou l'erreur des observations, objections et critiques présentées au Saint-Siège par Mgr Lefebvre ? Quelle image du gouvernement de l'Église : la vérité mise aux voix...
Exemple n° 2 :
« Il a fallu la tournée d'inspection du cardinal Gagnon pour éclairer Jean-Paul II (...). Le Saint-Père enfin éclairé accorda beaucoup à Mgr Lefebvre. »
« *Enfin éclairé* »* !* Jusqu'au rapport du cardinal Gagnon, c'est-à-dire jusqu'à fin 1987-début 1988, Jean-Paul II n'était pas « éclairé » sur la question ? Il ne lisait donc jamais ITINÉRAIRES, ni rien ?
Exemple n° 3 :
« Les traditionalistes ont donné l'impression d'avoir des œillères, de ne voir que ce qui continuait d'aller mal, sans jamais tenir compte des efforts du Saint-Père pour renouer les fils de la tradition. »
Tenir compte des (vains) efforts, de la bonne volonté et des circonstances atténuantes, c'est l'affaire du jugement de Dieu.
121:325
Nous, nous ne jugeons pas. Nous réclamons que l'on nous rende la messe et le catéchisme, frappés par des interdictions arbitraires dont nous constatons qu'elles ne sont toujours pas abolies.
Le « religieux romain » qui a « occupé des fonctions officielles » s'embrouille ensuite dans la liberté religieuse. Il s'écrie. « *Comment l'Église réclamerait-elle une liberté qu'elle refuserait aux autres ?* » Beau principe libéral, qui vous interdit de réclamer la liberté à partir du moment où vous refusez aux monstres la liberté de nuire. Ensuite le même anonyme essaie de nous faire avaler la liberté religieuse en nous disant qu'elle se ramène à ce que l'Église reconnaisse que les cultes rendus aux faux dieux doivent être *tolérés* par l'État. Mais justement : le débat porte précisément sur la transformation de cette *tolérance* traditionnelle en un *droit.* Le religieux fonctionnaire n'en sait apparemment rien.
Goûtons encore ce morceau de choix :
« Tout concile apporte du nouveau. Il fut un temps où l'union dans le Christ de deux natures apparaissait à certains, attachés à une théologie archaïque, comme une nouveauté qu'ils refusaient. Eux aussi se sont séparés de l'Église car ils craignaient un risque de confusion qui n'était pas totalement illusoire. L'Église a continué de réfléchir et peu à peu les choses se sont clarifiées. Il en ira de même pour la liberté religieuse. »
Quel record de confusions aberrantes !
Les deux natures de Notre-Seigneur n'ont aucunement apparu comme une *nouveauté,* un jour dans l'histoire de l'Église, à l'encontre d'une *théologie archaïque.* C'est tout le contraire, c'est l'inverse. Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme est une vérité connue et professée par l'Église depuis le début du christianisme, puis niée par l'apparition de nouveautés théologiques. D'autre part, à la différence des deux natures du Christ, la liberté religieuse, même après Vatican II, n'est pas un article de foi.
122:325
On mesure ainsi le degré d'intelligence et de science d'un « religieux romain » ayant occupé au Vat' des « fonctions officielles ».
Pas étonnant alors, ce qui se passe à Rome...
**Jeudi 21 juillet**
*La France catholique* publie des articles souvent très appréciés (par moi aussi) d'Olivier Clément, qui est en outre membre du « comité de rédaction ». Il est d'ailleurs présenté pour ce qu'il est : un « théologien orthodoxe », c'est-à-dire de l'Église schismatique d'Orient. Bon. Il est excommunié, bien sûr. Mais pourquoi *La France catholique* ne publie-t-elle aucun article d'un théologien... d'Écône, pourquoi n'a-t-elle point dans son « comité de rédaction » un tel théologien, qui n'est pas plus « schismatique » et « excommunié » qu'Olivier Clément ?
A cette question, la réponse qui m'intéresserait n'est pas tellement celle de la direction de *La France catholique* (que Luc Baresta semble avoir quittée ?), mais bien celle d'Olivier Clément lui-même.
**Vendredi 22 juillet**
L'annonce et le tract de la procession du 15 août organisée par Saint-Nicolas du Chardonnet :
« Sous la présidence de S. Exc. Mgr Tissier de Mallerais. »
Jean Nouyrigat le dit pareillement dans *National-Hebdo :*
123:325
« Pour donner à l'événement le lustre qui convient, il ne fallait pas moins d'un évêque pour présider la cérémonie : Mgr Tissier de Mallerais, nouvel évêque. »
On dira : le glissement commence, ces évêques ne sont plus seulement et strictement, comme on l'avait dit, pour ordonner les prêtres.
Je ne vois pas bien quoi répondre de sérieux.
**Samedi 23 juillet**
*-- *L'Église c'est nous.
-- Malheureux : l'Église c'est Jésus-Christ (répandu et communiqué).
**Mardi 26 juillet**
Ce n'est peut-être pas très correct, en tout cas pas très plaisant, d'avoir justement choisi les termes de « Fraternité Saint-Pierre » pour faire pièce à la Fraternité Saint-Pie X. Il n'était pas indispensable de s'intituler « Fraternité », ni de contrer saint Pie X par saint Pierre. Un décalque tellement littéral confine à la contrefaçon.
*La Croix,* ce mardi, proteste que la « fidélité à Rome de cette nouvelle Fraternité ne suffira pas à la légitimer, si elle n'y joint pas :
1° une « totale coordination avec les évêques »,
124:325
2° et une soumission inconditionnelle à « l'esprit de Vatican II ».
Il ne fait aucun doute que *La Croix* exprime le sentiment du noyau dirigeant de l'épiscopat ; elle ne prendrait pas sur elle de lancer aussi péremptoirement une monition qui pourchasse jusqu'à la simple *ressemblance* avec Écône :
« *Il serait très hasardeux pour l'Église de prendre à nouveau le risque de favoriser la mise en place d'un groupe qui ressemblerait à ce que fut la Fraternité d'Écône avant le schisme et qui se dirait cependant fidèle à Rome.* »
Il faudra donc excommunier sur-le-champ tout ce qui *ressemblera* non pas même au « schisme », mais bien à *Écône avant le schisme.*
Je réponds dans PRÉSENT qu'on aura beau pourchasser les ressemblances, on n'arrivera pas à empêcher que les catholiques de France en grand nombre *ressembleront* toujours à Mgr Lefebvre davantage qu'à Mgr Gaillot. Aucune excommunication ne parviendra à inverser cette ressemblance.
Mais *La Croix* et le noyau dirigeant de l'épiscopat ont fameusement raison d'être inquiets. La « ressemblance » est contagieuse. Le cardinal Lustiger s'est mis à *ressembler* à Saint-Nicolas du Chardonnet. Je l'en félicite. Il imite la procession du vœu national de Louis XIII, le 15 août, qui a été glorieusement ressuscitée par le clergé et les fidèles de Saint-Nicolas, par l'abbé Laguérie, par Jean Nouyrigat et tutti quanti.
C'est encore à Saint-Nicolas du Chardonnet qu'a été ressuscitée la solennité religieuse de la fête nationale de Jeanne d'Arc, subrepticement supprimée par l'épiscopat en 1970. Nous ne cesserons de *ressembler à* ceux qui l'ont restaurée et maintenue plutôt qu'aux iconoclastes, bachibouzouks, ectoplasmes et autres sapajous épiscopaux qui avaient cru pouvoir l'interdire.
125:325
**Vendredi 29 juillet**
Correspondant du *Figaro* au Vatican, le Père Joseph Vandrisse, dit par contraction le Père Jocrisse, nous raconte aujourd'hui que selon le cardinal Ratzinger les problèmes posés par Mgr Lefebvre ne peuvent être ignorés et que l'Église doit faire un examen de conscience.
Il est dommage que le cardinal Ratzinger n'ait pas dit cela plus tôt ; il est dommage qu'il ne le dise pas à Rome et en Europe. C'est au Chili de Pinochet qu'il réserve ces bonnes confidences, et surtout celle-ci :
« Le concile n'a défini aucun dogme, il a voulu s'exprimer à un niveau plus modeste, à vrai dire comme un concile pastoral. »
Pourtant ce n'est point ce qu'a dit Paul VI, ni ce que dit Jean-Paul II. Ni ce que disait Ratzinger lui-même, quand il accordait à Vatican II la même autorité qu'au concile de Trente et qu'au premier concile du Vatican ([^20]).
Il faudrait tout de même arriver à savoir.
**Samedi 30 juillet**
La lettre des cardinaux Ratzinger et Mayer à Dom Gérard notifie des « mesures qui prendront effet dès réception » pour le monastère Sainte-Madeleine du Barroux et pour sa fondation Santa-Cruz de Nova Friburgo au Brésil : toutes les censures levées, l'usage reconnu, privé et public, des livres liturgiques en vigueur en 1962 pour les membres des deux communautés et pour ceux qui fréquentent leurs maisons ; etc.
126:325
C'est Mgr Lefebvre qui a rendu possible cette éclaircie. Cependant elle n'est encore qu'une concession *aux personnes.* C'est à *la messe* elle-même qu'il faut reconnaître sa célébration sans condition, pour son bon droit et pour son honneur : la réclamation doit évidemment se poursuivre jusque là.
**Dimanche 31 juillet**
L'attitude (nouvelle) du Saint-Siège à l'égard du judaïsme et de l'islam -- et de toutes les religions -- doit être comparée non pas seulement ni surtout à son attitude antérieure à l'égard des mêmes. Elle doit être comparée à son attitude *présente* à l'égard de la messe et du catéchisme traditionnels. On nous dit que les temps changent et donc les attitudes aussi. Cela peut être vrai dans une certaine mesure. La tolérance n'est plus ce qu'elle était. Elle cherche à s'élargir en un droit à la liberté. Admettons ; au moins par hypothèse de raisonnement. Mais alors, dans ce cas, pourquoi la persécution, bientôt vingt années de persécution, contre la messe et contre le catéchisme ? Et pourquoi l'excommunication ?
**Lundi 1^er^ août**
Ma lettre à Jean-Paul II est partie aujourd'hui. Par quel canal sûr et mystérieux ? Par celui que j'ai toujours utilisé : simplement la poste, par lettre recommandée avec accusé de réception.
127:325
**Jeudi 4 août**
Déclarations du cardinal Oddi à *Valeurs actuelles :* il ne jette pas la pierre, ni l'anathème, à Mgr Lefebvre ; il se déclare « persuadé que la rupture ne durera pas longtemps ». Bon. Là-dessus il s'en va raconter que la messe traditionnelle a été victime d'une « interdiction pratique dans les diocèses », mais qu'elle n'a jamais fait l'objet d'une « prohibition explicite » de la part du Saint-Siège. C'est se moquer. Les textes de Paul VI sont là, poussant au crime, ordonnant le forfait. Entre autres, son discours consistorial du 24 mai 1976 : « L'adoption du nouvel Ordo Missae n'est certainement pas laissée à la libre décision des prêtres ou des fidèles... Le nouvel Ordo a été promulgué pour prendre la place de l'ancien. » Sa lettre du 11 octobre de la même année à Mgr Lefebvre exigeait l'abandon total et définitif de la messe traditionnelle. D'ailleurs, sans cela, pourquoi donc le cardinal Oddi lui-même l'aurait-il abandonnée ? Depuis dix-huit ans il donne l'exemple déplorable de ne plus jamais la célébrer en public.
**Dimanche 7 août**
Grand messe à CCC. Belle cérémonie, assistance fervente, le propre chanté en entier, malgré les vacances qui souvent déciment les chorales. Le jeune prêtre, dans un sermon par ailleurs édifiant, attaque nommément Jean XXIII et Jean-Paul II.
128:325
Jusqu'ici, dans les messes traditionnelles, on critiquait la substance de certains actes pontificaux sans mettre en cause la personne du souverain pontife. Il suffit, quand c'est nécessaire, de le faire dans les écrits, que chacun est libre de lire ou d'ignorer ; et non pas dans les sermons, imposés à tous, de la messe dominicale.
Je vois bien quelle est la pente, et combien elle est naturelle. Mais cette pente-là risque d'être dévastatrice.
**Mardi 9 août**
D'une lettre de JC : « Des quatre évêques consacrés le 30 juin, deux sont très jeunes et peuvent vivre encore cinquante ans. Ils connaîtront plusieurs papes. L'union devrait se faire avec le pape qui amorcera un redressement. Ce n'est pas pour demain, et cela n'est pas sûr : il y a un risque de schisme. »
**Vendredi 12 août**
Par souci de bon voisinage, je fais publier en août et septembre dans PRÉSENT une série d'interviews de personnalités des hebdomadaires ou mensuels considérés comme plus ou moins proches de nous : « voisins voisines, cousins cousines ». Rien ne nous y oblige, c'est de notre part purement gracieux. Plusieurs d'entre eux, dans les déclarations qu'ils nous font, se comportent comme en pays conquis, multipliant avec un sans-gêne et une absence de tact extraordinaires les propos dont ils savent qu'ils nous contrarient : ils mettent par exemple une insistante lourdeur à parler de FB.
129:325
Naturellement je ne censure rien, je laisse passer. Ils ont l'air convaincus qu'ils ont une sorte de droit à s'exprimer dans nos colonnes et à s'y montrer désagréables pour nous qui les y accueillons. Mais c'est ma faute : il faut être plus attentif à la qualité des personnes que l'on invite chez soi.
**Samedi 13 août**
Penaud et fâché d'avoir été qualifié quelque part d' « écrivain du XIX^e^ siècle », Julien Green proteste qu'il est tout à fait du XX^e^* :* « J'ai été l'écho de mon temps, de ses effrois, de ses inquiétudes, de ses tumultes » ([^21]). C'est la bonne formule pour un « succès » universel dans le commerce littéraire : au fil du courant dominant, ou supposé tel. Un écho complaisant ; consentant ; complice. Green n'est pas seulement cela ? Mais il l'est, il veut l'être. Il sait être attentif à ne pas contrarier les portiers de la renommée. Lorsque Hugo s'imagine « au centre de tout comme un écho sonore », c'est tout de même au centre de la création et de l'histoire qu'il se voit, au centre de tous les temps. Mais être l'écho *de son temps !* Quel est donc ce personnage supposé dont on se fait le porte-parole, le disciple, le serviteur ? N'est-il pas, ce « temps », l'œuvre de volontés (et de défaillances) humaines ?
**Mardi 16 août**
Dom Gérard d'accord pour que je publie sa « Déclaration » avec la « Notification » des cardinaux Ratzinger et Mayer. Ce sera dans PRÉSENT de jeudi.
130:325
**Jeudi 18 août**
*-- *Pourquoi continuer à réclamer au souverain pontife : *Rendez-nous la messe,* puisqu'il en distribue largement l'autorisation ?
-- Parce que l'autorisation, même si elle est largement distribuée (ce qui n'est pas démontré), -- est en soi limitative. Elle peut être refusée. Il faut la demander. Obtenue, elle ne vaut que pour ceux qui l'obtiennent. Il est scandaleux et tyrannique que la messe demeure soumise au régime de l'autorisation.
**Vendredi 19 août**
Je fais observer à Dom Gérard une erreur de plume dans sa déclaration :
« Nous avons mis *à la signature de cet accord deux conditions...* »
C'est une manière de parler ; mais inexacte : aucun « accord » n'a été « signé ».
Les cardinaux Ratzinger et Mayer, au nom du pape, ont fait une *offre ;* cette offre a été discutée, puis *acceptée* sous deux conditions.
Dom Gérard modifie en conséquence le texte déjà paru dans PRÉSENT. Sa version définitive et officielle sera donc :
« Nous avons posé deux conditions :
1\) Que cet événement ne soit pas un discrédit porté sur la personne de Mgr Lefebvre, etc.
131:325
« 2) Que nulle contrepartie doctrinale ou liturgique ne soit exigée de nous et que nul silence ne soit imposé à notre prédication anti-moderniste. »
Cette version définitive et officielle paraîtra dans ITINÉRAIRES d'octobre.
**Samedi 20 août**
Aujourd'hui la Saint-Bernard, fête de dévotion à Marie et de croisade.
Plusieurs sont réunis autour de Bernard Antony, pour lui faire (sa) fête. J'y apprends à mieux connaître MV, que Dom Gérard m'avait chaleureusement recommandé.
Intelligence et loyauté de WSJ.
**Lundi 22 août**
En face de l'apostasie immanente, voici donc que se développe un sédévacantisme immanent.
**Mardi 23 août**
Rentré à Paris, je trouve la lettre que Mgr Lefebvre m'a écrite d'Écône le 19 août.
**Mercredi 24 août**
Nous sommes *les parrains,* mais ce n'est pas une maffia : les parrains et non les patrons. « Dom Gérard et Jean Madiran, déclare Bernard Antony, sont à mes yeux les parrains du Centre Charlier. »
132:325
Oui, « les parrains », c'est bien dit. Bernard a fondé et baptisé le Centre Charlier de sa propre initiative. Il nous a demandé en quelque sorte l'autorisation morale d'user du nom. Il nous demande seulement la garantie -- pour lui-même, et pour les autres -- que le Centre demeure bien dans la ligne Charlier ; disons plutôt dans l'esprit des Charlier. Nous sommes sur ce point ses témoins de moralité. Il n'y en a plus guère d'autres qui puissent l'être : Dom Gérard, Albert, moi-même. L'héritage des Charlier : la réforme intellectuelle, la chrétienté française (de Joinville à Péguy), la spiritualité bénédictine ; et cet itinéraire de conversion qu'ils ont défriché : *du monde moderne à la foi chrétienne,* leur père était franc-maçon et ne les avait pas fait baptiser. L'épiscopat du XX^e^ siècle va en sens inverse, le sens de la déconversion : *de la foi chrétienne au monde moderne.* Délire suicidaire de nous prêcher : « Il faut être de son temps, il faut s'ouvrir au monde. » Nous ne pouvons faire autrement que d'être de notre temps, on est toujours forcément de son temps, et on l'est toujours trop ; toujours insuffisamment ouvert à l'éternel. Il ne s'agit pas d'ouvrir les chrétiens au monde, il s'agit d'ouvrir le monde à Dieu. L'ouverture de l'Église au monde moderne, c'est le chemin de l'apostasie. L'ouverture du monde moderne à l'Église qui est Jésus-Christ, c'est la voie de la conversion.
Dans cet « esprit Charlier », Bernard dirige le Centre Charlier comme il l'entend. C'est son affaire. C'est son « charisme ». Personne que je connaisse ne pourrait le faire à sa place. Albert Gérard fait un atelier : l'Atelier de la Sainte-Espérance. Je fais ITINÉRAIRES et PRÉSENT. Dom Gérard fait un monastère ou, peut-être, bien davantage une nouvelle branche de la famille bénédictine. Bernard fait le Centre Charlier : avec des impatiences et des foucades bourrues ? Sans lui, il n'y aurait pas eu de Centre Charlier ; sans lui, il n'y aurait plus de Centre Charlier.
133:325
**Jeudi 25 août**
Message de Dom Gérard griffonné sur une carte postale qu'il avait sous la main. C'est une carte de la chapelle de Bédoin ! La légende imprimée : « Sainte-Madeleine, Bédoin, Vaucluse ». Dom Gérard y apostille : « Berceau de notre monastère. C'est terrible de grandir ! » Oui une partie de notre cœur est restée à Bédoin.
FB aussi était venu avec moi à Bédoin, en octobre 1981. Fernand Sorlot (de Bédoin !) était mort au mois d'août.
**Vendredi 26 août**
Dernier vendredi du mois. Je réponds à la lettre de Mgr Lefebvre.
**Samedi 27 août :**
« Le retour à la foi divine », écrit l'abbé de Nantes, « ne pourra se faire qu'en excommuniant les hérésiarques », etc., et ici il ajoute ces lignes émouvantes :
« ...et sans doute en m'imposant une lourde pénitence pour mes excès de parole et de plume contre le Vicaire de Jésus-Christ, même prévaricateur, et le cardinal-archevêque de Paris renégat ».
134:325
Il connaît ses excès de plume, mais il préfère avoir à les expier demain qu'à les dominer et retrancher aujourd'hui. Sans doute en sous-estime-t-il la funeste portée : ils déforment ce qu'il dit, défigurent ses attitudes. Sans ces « excès », on serait beaucoup plus souvent d'accord avec lui ; et il n'éteindrait pas, à peine née, toujours renaissante, la sympathie que suscitent d'autres aspects de son personnage et de sa pensée, son labeur, sa foi...
**Mardi 30 août**
Quoique blessé au genou, Dom Gérard avance son départ pour Nova Friburgo. Sans être certain de pouvoir seulement accéder au monastère qu'il y a fondé, et qui ne peut invoquer aucune indépendance à son égard, sauf révolutionnaire.
Que l'affreux brigandage de JF soit téléguidé de haut n'est pas une circonstance atténuante.
**Vendredi 9 septembre**
Le petit Miguel fait paraître son cocorico (enfin, celui qu'il a signé...) dans *Monde et Vie,* avec le titre usurpé de « prieur » d'une communauté qui n'avait cependant aucune autonomie et où il n'a jamais été que *prieur délégué,* d'ailleurs destitué.
Le même numéro de *Monde et Vie* attaque -- sans la publier -- la déclaration de Dom Gérard parue dans PRÉSENT le 18 août et en cite notamment, pour la contester, la phrase suivante :
135:325
« *Nous proposons un pacte d'alliance avec tous ceux qui combattent pour la tradition.* »
Or cette phrase n'a jamais paru dans PRÉSENT, ni le 18 août ni à aucune autre date.
Il s'agit donc soit d'un faux soit au moins d'une fausse référence. Je l'avais signalé (en vain) à l'auteur qui souhaitait me faire publier ce faux précisément dans PRÉSENT ! Faut-il le signaler maintenant à la direction de *Monde et Vie ?* Mais dans l'éditorial du même numéro, je lis entre autres :
« *Déjà on parle d'un éclatement du Barroux et l'on dit qu'une propriété pouvant accueillir une quarantaine de moines serait mise à la disposition de ceux qui souhaiteraient s'y rendre.* »
Une telle manière de lancer éditorialement dans le public des « *on parle* » et des « *on dit* » aussi irresponsables (et aussi vicieux), voilà qui n'incite guère à la conversation.
**Lundi 12 septembre**
Propos (de table ?) du cardinal Lustiger recueilli dans *Sud-Ouest* par Michel Divet, concernant le film blasphématoire *La dernière tentation du Christ :*
« L'attaquer \[le Christ\] ou se servir de lui, c'est aussi grave que si je m'amusais à fantasmer sur le président de la République ! »
Aussi grave, bien sûr. Ce cardinal a tout compris...
**Vendredi 16 septembre**
A l'aéroport de Roissy : Dom Gérard de retour après deux semaines au Brésil. Il ramène avec lui le cher P. Joseph. L'affreux JF n'a pas agi sans préméditation ni fourberie.
136:325
Dallas a eu « l'affreux JR ». Rio a désormais « l'affreux JF ». *Unicuique suum.*
**Lundi 19 septembre**
Cette guerre civile qui depuis trois mois se développe et s'amplifie entre catholiques ayant le même Credo, la même messe, le même catéchisme, c'est soi-disant au nom de Mgr Lefebvre qu'elle a été déclenchée. Mgr Lefebvre peut l'arrêter. Il le peut, je le crois, encore aujourd'hui, et malgré tout le mal, parfois atroce, qui a été fait déjà. C'est le premier point de la lettre que je lui ai écrite le 26 août.
Tout cet été, plusieurs ont parlé, ont écrit, ont agi -- et avec quelles violences ! -- comme s'ils appliquaient à Mgr Lefebvre et à eux-mêmes le mot de Notre-Seigneur :
-- *Qui n'est pas avec moi est contre moi.*
Puissent-ils entendre le mot qu'Il a destiné à ses apôtres et à ses disciples :
-- *Qui n'est pas contre vous est avec vous.*
Jean Madiran.
137:325
### Contre l'obéissance passive
par Georges Laffly
EN UN TEL MOMENT, on se dit qu'il faut laisser parler plus sage et plus savant que soi ; puis on reconnaît que cette prudence est fallacieuse. Puisqu'il faut choisir, j'essayerai d'expliquer les raisons de mon choix personnel.
Déjà ce mot paraît faux. Les « schismatiques » qui suivent Mgr Lefebvre ne pensent pas avoir quitté la communion catholique. Ils se sentent rejetés par Rome. Ils ont profondément le sentiment qu'une manœuvre a réussi à les exclure, et ils en trouvent la preuve dans la satisfaction diffuse des milieux officiels. Un véritable soulagement, en tout cas, une jubilation quelquefois.
138:325
Nous sommes loin de savoir ce qui s'est passé exactement entre l'accord de mai et le sacre des quatre évêques, à Écône, le 30 juin. Mais on sait qu'il y avait inquiétude, et même fureur, dans toute une partie de la hiérarchie et des milieux influents du catholicisme. A *Témoignage chrétien,* par exemple, ils étaient furieux. Et le lendemain du sacre, si trois journaux parisiens au moins titraient de la même façon : *Mgr Lefebvre excommunié,* ce n'est pas pour rien. Il semblait qu'un but était atteint. On pouvait commenter enfin, voilà toujours une bonne chose de faite.
\*\*\*
Il est facile de reprocher à Mgr Lefebvre de n'avoir pas eu un peu plus de patience, et de n'avoir pas fait plus confiance à la Providence. C'est au Christ de sauver son Église, et nul évêque n'a le droit de s'écarter de Rome, même si c'est, selon ce qu'il estime, pour mieux servir Rome, voilà ce qu'on lui oppose.
Je n'ai pas à répondre à un tel reproche à la place de Mgr Lefebvre, mais j'ai à répondre aux fidèles qui tiennent ces propos. Ils sont sans doute très raisonnables, mais égoïstes. Ils ont choisi le confort. Ils n'ont qu'à suivre le pasteur, le bon pasteur (j'ai entendu, le 3 juillet, le cardinal-archevêque de Paris se traiter lui-même de bon pasteur, et accuser Mgr Lefebvre d'en être un mauvais). Ils n'ont qu'à obéir, c'est tout ce qu'on leur demande.
\*\*\*
On ne va pas jusqu'à tuer le veau gras pour ces catholiques de *sensibilité traditionaliste,* comme on dit. Mais enfin on ne leur demande pas, pas encore, une auto-critique. On a même à Paris la condescendance de leur offrir deux messes de saint Pie V.
139:325
Chaque dimanche, il y a deux églises où ils pourront entendre cette messe qu'ils aiment. N'est-ce pas là une grande preuve de charité ? Sérieusement, ils se moquent de nous. Quelle drôle d'idée ils se font d'une pratique chrétienne. La messe le dimanche à 11 h. Même pas une messe tous les jours. Et puis, toute la vie de la paroisse en dehors des messes, les vêpres, l'adoration du Saint-Sacrement, ou le baptême d'un enfant, le trouvera-t-on ? Et le catéchisme ? On reste stupéfait que quelques-uns puissent se satisfaire de ces miettes. Ils sont rares, d'ailleurs.
S'il y avait une volonté réelle de paix, il faudrait donner aux traditionalistes -- comme ils disent -- des paroisses où ils seraient les maîtres, après avoir reconnu celles qu'ils possèdent déjà. Mais c'est bien ce qui est impossible. Sinon, on l'aurait accordé à Mgr Lefebvre. On ne peut pas laisser faire « l'expérience de la tradition » quand on s'est engagé dans la rupture avec cette tradition : elle devient la seule voie illégitime.
Il n'est pas difficile de voir que les maigres concessions accordées pour diviser les traditionalistes vont se rétrécir très vite. Les fidèles, et les prêtres, seront aiguillés vers la pratique officielle, conciliaire, insensiblement ou brutalement. Ils se verront imposer une adhésion aux nouveautés -- ils se mettront à tutoyer Dieu, puis ils diront ce *Notre Père* où Dieu est censé nous soumettre à la tentation etc. -- jusqu'à ce qu'ils capitulent et se fondent dans l'ensemble.
\*\*\*
Il paraît qu'il n'est pas raisonnable d'être trop méfiant. Mais lorsque pendant des années vous avez été trompés ; soumis à un double langage, vous avez quelque excuse, je pense. On entend dire maintenant que le concile de Vatican II se place dans la suite, dans la tradition (si, si, ils y tiennent) de l'ensemble des conciles œcuméniques.
140:325
Voilà une position toute nouvelle. Elle changera sans doute puisqu'elle a déjà été différente : pendant des années, nous avons entendu au contraire que Vatican II, « plus important que Nicée », opérait une rupture bénéfique et totale avec seize siècles d'erreur triomphaliste. Avec lui, l'Évangile allait commencer à régner, ce qu'on n'avait pas vu évidemment dans les siècles obscurs de saint Benoît, de saint Bernard, de saint François ou, tout proche de nous, du saint curé d'Ars.
Depuis vingt ans au moins, on peut lire sous les plumes les plus officielles des négations de toute la doctrine chrétienne, du péché originel à la résurrection. Les blasphèmes les plus variés sont présentés par des théologiens qui non seulement ne sont pas condamnés, mais au contraire recommandés. Il n'est pas exagéré de dire qu'aujourd'hui la foi catholique n'est pas fixée, que son contenu est extrêmement variable d'un évêque à l'autre, d'une paroisse à l'autre. La preuve : il n'existe pas de catéchisme commun à l'ensemble de la catholicité.
Obéir, c'est alors obéir à quoi, à qui ? Il est inutile de nous impressionner en réaffirmant sur un ton de tonnerre que l'Église est une, alors qu'il n'y a pas une foi, une messe, un catéchisme, mais plusieurs, et que rien n'indique que cette dérive diminue. Pour ma part, je crois que c'est cette multiplicité, cette division de fait, qui expliquent les incessants voyages du pape, toujours occupé à recoudre ce qui se déchire, et à rappeler les vérités élémentaires à ceux qui veulent les oublier. Il est vrai que lui-même se lance dans des initiatives pour le moins bizarres, comme la réunion d'Assise, mais à l'entendre, on se réjouit le plus souvent : la foi catholique parle par cette bouche. Cependant Jean-Paul II est mal écouté, et n'est pas obéi. A Rome même, on ne tient pas compte de ses demandes, pourtant modestes (les quatre chants en latin, pour la messe, personne ne s'y astreint, ni au port de la soutane).
141:325
La volonté d'œcuménisme semble aussi l'emporter de loin sur la fidélité au Christ. Nous lui devons l'adoration. Nous en sommes, à escamoter son nom, ou à amoindrir sa personne, pour nous rapprocher des Musulmans ou des juifs. Nous nous séparons de la Vérité pour pouvoir dialoguer avec des croyants qui eux ne cèdent rien. C'est le christianisme qui se dilue, pour rejoindre les autres. Ce n'est pas là une exagération. Une librairie de Saint-Sulpice montre une sorte de tableau généalogique intitulé : les Fils d'Abraham. A partir de la souche, tous les rameaux sont maintenus à égalité, formant une sorte de haie. L'avènement de Jésus-Christ n'y est pas mis plus en valeur que la naissance de Mahomet ou « l'holocauste ». Qu'on n'avance pas que c'est une présentation « scientifique », cela n'a aucun sens ici. Mais un chrétien qui considère ce tableau sans s'étonner, qu'est-ce pour lui que le christianisme ?
On nous trompe sur la foi, sur ce qu'il faut croire. Et on trouve le public mal renseigné, ou peu curieux, avec tout autant d'audace. Par exemple, quand on réduit l'opposition des traditionalistes (le mot actuellement en vigueur pour désigner les fidèles qui n'acceptent pas une religion à contenu variable) à celle de la messe en latin ou en français.
Ou encore, quand un chroniqueur religieux (Jean Bourdarias) et, ce qui est plus grave, le cardinal-archevêque de Paris, celui-ci s'adressant aux lecteurs du *Journal du dimanche,* décrivent Mgr Lefebvre comme s'opposant pêle-mêle au « *modernisme, au libéralisme, au marxisme, au sionisme, à la franc-maçonnerie, que sais-je encore...* »
Il y a une triste habileté dans ce mélange, où les termes idéologiques proprement politiques (communisme, socialisme, maçonnerie) sont mêlés à des termes qui entre autres ont un sens religieux précis. *Modernisme,* c'est le refus, l'évacuation de tout surnaturel, c'est la lecture rationaliste de la Bible. Presque aucun lecteur ne prendra le terme dans ce sens, pensant tout simplement que Mgr Lefebvre est hostile au monde moderne, peut-être à l'informatique ou à la fusée Ariane.
142:325
Le comble de la tricherie est dans le mot *sionisme,* qui suggère l'adversaire d'Israël, comme le sont l'OLP ou le parti communiste, alors que l'évêque parle du *sillonisme,* de la doctrine de Marc Sangnier. Comment fera-t-on croire qu'un tel passage d'un mot à l'autre est l'innocent produit d'une distraction ? Les médias traduisent en confus, et spécialement en confus politique, sachant que c'est le langage où leurs lecteurs, ou auditeurs, croient le mieux s'y retrouver. C'est en tout cas le langage qui éveille leurs passions. Ce n'est pas d'hier d'ailleurs que pour rendre une population hostile à une cause, on applique à cette cause une étiquette politiquement suspecte. Port-Royal accusé de « *fronder* » et de soutenir un esprit républicain.
Inutile de continuer pour montrer qu'il n'y a pas d'honnêteté dans ce débat. Cent fois, la discussion a été demandée, et par les esprits les plus divers, de Jean Madiran à l'abbé de Nantes. Elle a toujours été refusée. L'autorité veut être obéie, quoi qu'elle fasse, où qu'elle entraîne. Devant ce manque de loyauté, il me semble bien explicable que Mgr Lefebvre ait jugé au dernier moment qu'on l'avait mené en bateau, et qu'il se soit décidé à sacrer quatre évêques. Voilà quatre hommes dont on peut dire que l'élévation est un sacrifice, et qui invitent au respect. Je n'ai rencontré aucun d'entre eux, et il y a peu de chances que cela arrive, mais de loin, je les admire et les salue.
\*\*\*
Bien sûr que la situation est épouvantable. Chaque génération doit conserver le dépôt de la foi et l'enrichir de son apport propre, grâce aux dons qu'elle a reçus particulièrement. Il est certain que dans un temps où ce trésor de la foi est attaqué, tout l'effort se consume à le protéger, d'un côté, et à le corrompre de l'autre. Gaspillage des grâces. Transmettrons-nous seulement ce que nous avons eu ? Et le peuple des fidèles ébranlé, diminué, quand retrouvera-t-il sa cohésion, sa confiance et sa masse ?
143:325
« Un seul évêque ne peut avoir raison contre 2000. » Nous entendons cela sans sursauter, habitués à la veulerie des arguments. D'abord, bien sûr qu'un seul peut avoir raison contre tous les autres, et que l'erreur est souvent du côté du nombre, au moins pendant une brève période de temps. Mais si même nous cédions à ce chantage démocratique ou publicitaire (achetez ma lessive puisque tout le monde le fait), il nous resterait donc le choix entre les 2000 et leur Église variable, incertaine, qui semble parfois prête à se dissoudre dans une sorte de « syndicat mondial des spiritualistes » ou de « rassemblement de tous les croyants » (la raison sociale importe peu) et une Église dite schismatique, qui reste fidèle à travers la durée, et garde l'enseignement de vingt siècles. Sauf en ce point que pendant vingt siècles, il a été assuré qu'il n'y a pas de salut hors de Rome, et que ces Romains entre les Romains sont aujourd'hui condamnés à Rome, que ces papistes zélés sont rejetés par le pape.
\*\*\*
On peut tourner et retourner cela, on n'en sort pas. Sûrement, je n'irai pas rejoindre les 2000, qui comprennent l'épiscopat français dont il faut se défier avec une attention sans défaillance. Mircea Eliade rapporte dans son journal qu'Aldous Huxley, assistant à une conférence à San Francisco, se signait à chaque fois qu'était prononcé le nom de Freud. Il y a des noms d'évêques qui entraînent le même signe d'exorcisme.
Dans cette tristesse, je me console un peu (mal) en me rappelant ce que Péguy disait à Lotte :
« Ce qu'il y a d'embêtant, c'est qu'il faut se méfier des curés... Comme ils ont l'administration des sacrements, ils laissent croire qu'il n'y a que les sacrements. Ils oublient de dire qu'il y a la prière, et que la prière est au moins la moitié. Les sacrements, la prière, ça fait deux. Ils tiennent les uns, mais nous disposons toujours de l'autre. » (Daniel Halévy : *Péguy*, éd. Grasset, p. 240.)
144:325
Il est vrai que la situation est différente. Si Péguy était contraint de rester hors de l'Église, il pouvait s'appuyer sur elle. Il en avait reçu un enseignement sûr, et cet enseignement se poursuivait. Les enfants ne risquaient pas d'être empoisonnés d'extravagances. Ce n'est plus notre cas.
Qui nous donnera une messe et une foi qui ne rompent pas avec la messe et la foi de Pascal -- ou de saint Augustin ? Je ne vois guère que Mgr Lefebvre, les évêques qu'il a sacrés et les prêtres qu'il a ordonnés. Je resterai avec eux, essayant avec mes très faibles moyens de garder l'amitié et l'union, pourquoi pas, avec ceux qui ont choisi l'autre voie. Il y aura ceux qui veulent rester fidèles sans se séparer de Rome, et ceux qui le veulent en subissant une séparation qu'ils pensent momentanée. Des deux côtés, il y a une dérive, un durcissement possibles, et il faudra veiller jusqu'au bout, jusqu'à la réunion, jusqu'à ce que Rome se réveille dans Rome.
Georges Laffly.
I. Un seul peut avoir raison contre 2000. Mais un seul ne peut pas gouverner contre 2000, même dans un gouvernement tyrannique. Il faut toujours un accord, un acquiescement. Cela est encore plus vrai de la papauté, gouvernement de l'esprit, et explique que Jean-Paul II, s'il a rectifié assez largement la dérive conciliaire, n'a pas ramené l'Église dans la voie droite. La foi de ce pape est grande pourtant. On ne lui reprocherait qu'une pente à l'idéalisme. Il croit un peu au syndicat des religions.
145:325
II\. Péguy est un exemple d'un phénomène nouveau : des laïcs, des écrivains amènent à l'Église des âmes que les prêtres ne savaient pas saisir. Bloy, Claudel, André et Henri Charlier, Bernanos aussi en sont des exemples, pour ne citer que des morts. On voit bien qu'il ne s'agit pas de sainteté. Ni Claudel ni Bernanos, pour ne nommer qu'eux, ne paraissent de bons candidats à la canonisation. Mais ils font découvrir le Christ. Certains de ces hommes, comme Péguy, peuvent être en grave difficulté avec l'Église. N'empêche.
Au total, je ne dis pas que c'est là un fait heureux ou même confortable. Mais, Dieu merci, ils existent.
G. L.
146:325
### Je ne puis me résoudre...
par Guy Rouvrais
L'ÉVANGILE selon saint Jean nous raconte l'histoire du premier « schisme ». Il portait -- déjà -- sur l'Eucharistie. Ce fut juste après le discours sur le Pain de Vie : « Plusieurs de ses disciples, après l'avoir entendu, dirent : Cette parole est dure ! Qui peut l'écouter ? (...) Dès ce moment, plusieurs de ses disciples se retirèrent, et ils n'allèrent plus avec lui. Jésus dit donc aux Douze : et vous, ne voulez-vous pas aussi vous en aller ? Simon Pierre lui répondit : Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle. » (Saint Jean, ch. 6, v. 60 à 68.)
Un peu plus loin, dans le même évangile (chapitre 9), nous est donné le récit de l'aveugle-né guéri par Notre-Seigneur. Les Pharisiens interrogent le bénéficiaire du miracle en espérant qu'il dénoncera Jésus comme un pécheur et un blasphémateur.
147:325
La réponse, toute surnaturelle, tombe des lèvres de l'ancien aveugle : « S'il est un pécheur, je ne sais ; je sais une chose, c'est que j'étais aveugle et que maintenant je vois » (v. 25).
A travers ces textes d'évangile nous voici introduits au cœur de la nouvelle « affaire Lefebvre » telle que la vivent les fidèles traditionalistes.
Il y a dans ce drame, un aspect dogmatique, théologique, canonique. Les théologiens, de profession (ou d'occasion) en débattent savamment. Y a-t-il schisme ou non ? L'excommunication est-elle valide ? Ces questions, et les réponses qu'on y apporte, ne sont pas sans importance, bien sûr. Mais ce n'est pas ainsi, d'abord, que les catholiques du rang qui fréquentent les paroisses ou les centres traditionnels, se les posent.
Leur réponse, c'est celle de l'aveugle-né. « Je ne sais pas si Mgr Lefebvre est schismatique, mais ce que je sais, c'est que, grâce à lui, je suis retourné à l'Église catholique dont l'orientation me désespérait » ; « Je ne sais pas si Mgr Lefebvre est excommunié mais je sais que, grâce à lui, j'ai retrouvé la communion avec Notre-Seigneur que j'avais oublié, nié, négligé. »
Et aux catholiques traditionalistes que l'on aura convaincus, intellectuellement, canoniquement, théologiquement, que Mgr Lefebvre a eu tort de rompre avec Rome, il faudra encore répondre à leurs interrogations : « Que faire maintenant ? A qui irions-nous ? Vais-je devoir retourner à ma paroisse conciliaire et subir ce que j'ai fui ? Vais-je devoir accepter de mettre ma foi en péril, et celle de mes enfants, en fréquentant des prêtres dont je ne suis pas sûr qu'ils aient la foi ? »
\*\*\*
Ce qui, a priori, choque une conscience catholique, c'est la prétention d'avoir raison contre le pape, contre Rome et d'être, en dernière analyse, le seul dépositaire de la vérité chrétienne. C'est la démarche habituelle de tous les schismatiques et de tous les hérésiarques.
148:325
C'est un air connu.
D'une certaine façon, tous les schismes sont traditionalistes. Pour deux raisons : la première, c'est que les modernistes ne font pas schisme. Ils restent dans l'Église, formellement, pour la miner de l'intérieur. La seconde, c'est que tous les schismatiques prétendent restaurer une vérité ancienne, traditionnelle, niée par l'Église d'aujourd'hui. Luther assurait que son seul objectif était le retour à la foi pure de l'Église primitive que seize siècles de « papisme » avaient obscurcie. Les « orthodoxes », en 1054, affirmaient qu'ils entendaient tenir la foi catholique telle qu'elle fut au cours des cinq premiers siècles. Plus près de nous les Vieux Catholiques, en 1870, expliquaient qu'ils refusaient et l'infaillibilité pontificale et la primauté de juridiction du pontife romain qui, selon eux, n'appartenaient pas au dépôt traditionnel de la vérité révélée.
Mais surgit une question : se pourrait-il qu'une fois, une fois seulement, cela fût vrai ? Autrement dit, se pourrait-il que Rome rompît avec la foi catholique et qu'elle fût elle-même schismatique et hérétique ? Ainsi, il ne serait pas possible de voir dans l'attitude de Mgr Lefebvre le simple décalque d'autres schismes. La question doit être posée. Elle l'est, de façon théorique, dans les manuels de dogmatique et dans les traités sur l'Église.
Un théologien contemporain -- traditionnel sans être traditionaliste -- l'a formulée en termes précis. Laissons-lui la parole.
149:325
« L'Église de Rome elle-même pourrait-elle tomber avec son chef, et le charisme de « présider à la charité » passer à une autre Église ? On peut hésiter à le croire et supposer qu'ou bien son chef étant personnellement défaillant, le presbyterium de cette Église (en fait le Sacré Collège) se maintiendrait dans la foi et lui donnerait un successeur fidèle, -- ou bien que cette Église dans son ensemble, ou son seul presbyterium, venant à faillir, le successeur légitime de Pierre déciderait de transférer son siège dans un autre lieu. Mais cela même ne paraît pas pouvoir être affirmé dogmatiquement. Tout ce qu'on peut dire est que, si une telle carence venait à se produire, il subsisterait quelques églises fidèles, dont les évêques auraient sans doute à prendre acte de la déchéance de ce qui avait été jusque là le « Siège apostolique » et, en reconnaissant à l'un d'entre eux la fonction de Pierre lui reconnaîtraient du même coup le pouvoir, comme Pierre l'avait fait le premier, de transférer ce siège là où il le jugerait bon.
« *A la limite, il se pourrait même que l'Église, un jour, ne subsistât qu'en un seul évêque fidèle, entouré de quelques croyants.* \[C'est nous qui soulignons.\] Alors de facto, cet évêque deviendrait le successeur de Pierre et c'est à lui qu'il reviendrait de reconstituer le collège épiscopal. Tout ceci pourtant n'est qu'hypothèses. » ([^22])
On voit l'extrême prudence du Père Bouyer. Mais ce qu'on peut dire, c'est qu'il n'est pas, en soi, irrespectueux, frondeur ou blasphématoire d'envisager la défaillance du pontife romain ni d'admettre que la foi catholique authentique subsiste en un seul évêque fidèle.
Reste, bien entendu, le problème de fait : ce pape défaillant est-ce Jean-Paul II -- ou ses prédécesseurs immédiats -- et cet évêque-là, Mgr Lefebvre ? C'est le fond du débat entre Rome et Écône. Ce qui, aux yeux de Mgr Lefebvre, fonde la légitimité de ses ordinations épiscopales, c'est « l'état de nécessité ». La nécessité, ce serait de pallier la défaillance du pape et de l'Église actuels. C'est dire si la question théologique est totalement indissociable de la question canonique.
Qui a tort, qui a raison ? Pour en juger, les fidèles sont renvoyés à leur subjectivité, ou à s'en remettre à leur théologien d'élection, dont le jugement ne peut être, dans le meilleur des cas, que celui d'un docteur privé dont l'autorité ne vaut que ce que valent ses arguments.
150:325
Rome est normalement juge de la foi catholique. C'est au pontife romain, via ses dicastères, qu'il appartient de trancher. Mais, dans une telle affaire, il est juge et partie. Ce n'est pas pour cela, seulement, que Rome n'éclaire pas les fidèles. C'est d'abord parce que le pape a renoncé à user de son pouvoir de juridiction immédiat sur chacun des fidèles.
Depuis le concile, il n'est plus possible au catholique de la base de faire appel au souverain pontife pour juger, doctrinalement, d'un différend avec son évêque ou tel ou tel prêtre. La réponse est toujours la même : « Nous avons transmis votre lettre à votre évêque, voyez avec lui. » C'est ainsi que, depuis des décennies déjà, les paroissiens ordinaires ont été conduits à se fier à leur propre jugement pour savoir ce qui est hérétique ou ne l'est pas, ce qui est scandaleux ou bénin, inadmissible ou tolérable.
Comment s'étonner alors que devant ce collapsus de l'autorité, des autorités de substitution se soient constituées auxquelles les fidèles orphelins sont bien obligés de se référer ?
Aujourd'hui, Rome se réveille ! On nous dit que Mgr Lefebvre est schismatique et excommunié et qu'il ne faut point frayer avec lui. Dans leur grande majorité, les amis de Mgr Lefebvre n'en tiennent pas compte. Ils sont désormais habitués à juger par eux-mêmes. Rome, depuis longtemps, n'a plus d'avis quand on la sollicite, eh bien aujourd'hui on se passe, habituellement, « normalement », sereinement, de son avis. A qui la faute ?
Le pape n'est plus écouté parce que lorsqu'il était écouté il n'avait rien à dire.
Ajoutons à cela que brandir une arme juridique, l'excommunication, après avoir dénoncé le juridisme ne prépare pas à l'exercice de la vertu d'obéissance. On nous avait dit que l'ancien Ordo était canoniquement interdit.
151:325
Ce n'était pas vrai. On nous dit que Mgr Lefebvre est canoniquement excommunié, et si c'était faux également ? Et si l'on nous le faisait, encore une fois, à l'influence ? Je ne dis pas que l'excommunication de Mgr Lefebvre n'est pas valide, je dis seulement que les fidèles que l'on a trompés une fois peuvent être fondés à se demander s'ils ne le sont pas une seconde.
\*\*\*
Cela étant dit, et étant écrit, je ne puis cependant me résoudre à suivre Mgr Lefebvre dans la voie qu'il a choisie. La raison tient en une phrase par lui écrite -- et répétée en plusieurs occasions -- que l'on trouve, entre autres, dans sa lettre du 29 août 1987 aux quatre évêques qu'il allait ordonner. Cette phrase, la voici : « La chaire de Pierre et les postes d'autorité étant occupés par des antichrists... ».
Je bute sur le terme « antichrist ». Il n'est pas possible que la chaire de Pierre soit occupée par un antichrist. Si cela était vrai, il faudrait en conclure que « les portes de l'enfer » ont prévalu contre l'Église fondée par Jésus-Christ. Cela est impossible.
Ce qu'exprime Mgr Lefebvre, par ces mots, ce n'est pas la thèse du pape hérétique, qu'évoquait plus haut le Père Bouyer et dont on peut légitimement débattre. Il y a *une différence de nature* entre affirmer que le pape est hérétique et dire qu'il est l'antichrist, c'est-à-dire, selon l'Écriture, l'incarnation ou la manifestation de Satan. Ce n'est pas une thèse théologique, c'est un jugement d'une extrême gravité qui implique, répétons-le, qu'à la place du Vicaire du Christ nous avons celui du Diable.
152:325
Sous une autre plume que celle de l'éminent évêque, nous aurions conclu à l'hyperbole. Mais Mgr Lefebvre est un grand théologien, il sait ce que les mots veulent dire et leur portée. Je ne puis le suivre là-dessus sauf à renier ce qui est au cœur de ma foi catholique.
Guy Rouvrais.
153:325
### Nous détourner de ces prêtres ?
par Alain Sanders
« COMMENT ? Vous avez recommandé cette école ? Mais vous savez bien qu'elle dépend de la Fraternité... » Si je le sais ? Mon Dieu, je le sais par cœur. Je le sais avec le cœur. Et je la recommande et j'en dis tout le bien que j'en pense et je ne dis que le bien que j'en pensais déjà avant que ne surviennent les dramatiques événements que nous savons...
Et je dois dire que je suis choqué et troublé quand des gens qui, hier encore, n'avaient pas assez d'éloges en bouche pour l'œuvre de la Fraternité, affectent de rejeter désormais ses prêtres dans une sorte de ghetto où il n'est pas question d'aller même leur faire visite. Cette attitude, qui est celle, parfois, de ceux qui par leurs mines, leurs déclarations, leurs démonstrations et leurs gesticulations s'affirmaient volontiers comme les « fers de lance » de la Fraternité et se faisaient volontiers donneurs de leçons, ne me semble guère charitable.
154:325
Et, puisque nous en sommes à dire quelques rudes vérités, je dois avouer qu'elle me semble très éloignée du véritable esprit chrétien.
Qui nous demandera, qui nous demanderait de nous détourner de ces prêtres ? Qui osera, qui oserait nous dire qu'ils sont soudainement devenus infréquentables ? Voire suspects ? En quoi ces prêtres que nous aimons, que nous avons côtoyés, avec lesquels nous avons partagé le pain et le vin à la table des hommes et à celle de Dieu, avec lesquels nous avons ri, chanté, plaisanté mais prié, seraient-ils tout à coup moins dignes de confiance et d'amour ?
Il y a des chrétiens pour qui tout est simple. Qui marchent au sifflet. Qui marchent au (droit) canon. Qui se coulent sans hésiter dans le moule de l'Église visible et ne s'inquiètent jamais, ou pas trop, de savoir qui ils suivent, à condition que celui qu'ils suivent ait le titre d'évêque, par exemple. Nous en connaissons beaucoup de ceux-là qui savent que tel ou tel « monseigneur » est communiste, cryptocommuniste, franc-maçon ou proche de l'être, et qui n'en continuent pas moins à lui donner du « monseigneur » et à plier genou devant lui.
Je ne suis pas de ceux-là. Pour croire, j'ai besoin d'aimer. Je dois avoir confiance. Or, il se trouve que j'aime profondément les prêtres de la Fraternité et que je leur fais confiance. Il y eut un temps où, écœuré par les différents contacts que j'avais pu avoir avec les curés modernistes -- à l'occasion de mon mariage, lorsque l'on me refusa d'ondoyer ma fille dans le Vietnam des années de guerre, lors de l'enterrement de parents ou d'amis qui m'étaient chers, par exemple -- je me tins loin de ces lieux de culte où se pratiquait un culte qui m'était devenu étranger.
155:325
A l'église Sainte-Anne de Salé (Maroc) ou à la cathédrale Saint-Pierre de Rabat, ou dans la petite chapelle de Ksar es-Souk, aux louveteaux quand nous faisions notre promesse devant le mausolée de Lyautey, aux scouts marins établis au pied de la casbah des Oudayas, nous savions qui étaient nos curés et nos aumôniers. Et nous les aimions. Et quand l'abbé Tréhaut, tout empêtré de sa soutane, venait disputer une partie de foot avec nous au soir des jeudis de patronage, il dribblait avec une fougue et une force, un talent et une vigueur qui ne nous faisaient que mieux écouter encore quand il parlait de Dieu.
On dira : « Bah ! c'est du sentiment tout ça. » C'est vrai. C'est du sentiment, du souvenir, de la nostalgie, l'odeur sucrée de la sacristie où étaient cachés les biscuits qui nous récompensaient quand nous avions servi dignement la messe, de grandes bouffées de tendresse et d'amour pour notre communauté chrétienne en terre musulmane. C'est du sentiment mais je n'ai jamais eu la religion rigide de certains chrétiens dont les pratiques s'apparentent plus à du catharisme qu'à du catholicisme.
J'étais donc orphelin de prêtres. Et d'églises. Jusqu'au jour où, grâce aux prêtres traditionalistes, je suis revenu dans ma religion. Je m'y suis retrouvé en famille, retrouvant d'instinct les gestes, les mots, les rites, les chants, les prières dont on prétendait me priver. Bourrus, souriants, sévères ou plus légers, ceux-là étaient ceux avec qui je me sentais bien, ceux-là avec qui je continue de me bien sentir.
J'ai l'air, comme ça, de vous raconter des choses très personnelles. C'est le cas. Et il me vient comme des picotements dans la gorge et les yeux à la seule idée que l'on pourrait faire du chagrin à ces prêtres qui sont venus nous consoler dans notre désarroi et, souvent, notre solitude.
Pour tout dire, depuis qu'on leur fait du mal, qu'on les anathématise, qu'on les montre du doigt avec une hargne qui ne fut jamais développée même à l'égard des pires ennemis de l'Église catholique, j'ai tendance à me rapprocher d'eux plus encore. Comme pour leur dire, en quelque sorte :
156:325
« Je vous ai trouvés quand je pensais que tout était bazardé, je voudrais simplement vous dire que je pense à vous, que je suis à vos côtés, que je ne hurlerai jamais avec les loups. »
Allons plus loin. Avant le dramatique événement, je prêtais parfois une oreille complaisante à qui, au détour d'une conversation, émettait quelques critiques sur tel ou tel prêtre de la Fraternité. Celui-là était réputé un peu trop raide à la toile. Cet autre un peu dur à la comprenette. Ce troisième acariâtre et mal aimable. Je ne le ferai plus. Ce qui, dans les conditions d'avant l'événement, pouvait passer pour de mondaines discussions -- là où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie -- deviendrait, dans les conditions d'après, une sorte de trahison. Et je ne me sens aucun goût pour la trahison et les traîtres.
Pas plus que je ne me sens de goût pour les malins et les intelligents, les chevaliers du « vous voyez bien » et du « on vous l'avait bien dit ». Il y a chez ces malins et ces intelligents, quelque chose qui me déplaît ; quelque chose que je ressens comme un coup de poignard porté au cœur du formidable esprit de reconquête que nous étions en train de rebâtir. Et il me suffirait de voir avec quelle délectation nos ennemis considèrent le malheur qui nous frappe pour me persuader plus encore de ne pas déserter.
J'étais l'autre samedi à Saint-Nicolas. Je m'étais assis dans un coin pour essayer d'analyser le sentiment de plénitude qui s'empare de moi à chaque fois que j'entre dans cette église. Je ne saurais, bien sûr, en expliciter tous les secrets. Mais je sais qu'elle est faite de mille choses : ces panneaux d'affichage où l'on retrouve la vie, toute la vie d'une paroisse et non des espèces de tracts syndicalo-tiers-mondistes comme c'est le cas ailleurs ; ces chapelles toutes illuminées de cierges et adornées de gros bouquets de fleurs ; ces confessionnaux où sont des prêtres et où viennent, en confiance, les pécheurs que nous sommes ; la bonne odeur de cire des boiseries ; les bedeaux qui s'affairent et passent en courant ; ces hommes et ces femmes qui s'agenouillent un instant, cassant le rythme de leurs vies citadines ; tout un petit peuple chrétien rassemblé là non pour demander l'élargissement de Mandela, la canonisation d'Harlem Désir ou la victoire des Sandinistes, mais pour prier.
157:325
Et je sais aussi confusément -- n'étant ni un mystique ni un théologien je dis toutes ces choses en vrac -- que nos ennemis n'aiment pas ce petit peuple chrétien parce qu'il prie Dieu en lui demandant de protéger nos métiers, nos familles, notre patrie. Et l'on n'aime pas ces prêtres que nous aimons parce qu'ils sont restés fidèles à la Sainte Tradition reçue des apôtres et qu'ils ne prétendent à rien d'autre que de transmettre ce qu'ils ont reçu. *Tradidi quod accepi,* disait saint Paul.
J'entends déjà s'élever les protestations : « Oh, mais là vous faites de la politique ! » Bien sûr. Je ne fais même que ça. Mais je n'en fais pas plus -- et encore en fais-je pour mon pays -- que le CCFD, Mgr Kuehn, ami des druides et des sectes protestantes, Mgr Gaillot, compagnon de route des communistes, ou Mgr Decourtray, opposé à Jean-Paul II dans l'affaire du carmel d'Auschwitz... Je n'en fais pas plus que Roland Dumas, ministre d'un gouvernement où l'on ne peut faire un pas sans se heurter à un franc-maçon, courant à Rome pour assurer le Vatican de l'appui sans réserve des socialo-communistes dans « l'affaire Lefebvre »...
Qui prétendrait que les ennemis de ces prêtres que nous aimons ne sont pas nos ennemis ? Et qui aurait le front d'aller dire à ces prêtres que nous allons les laisser seuls face à l'Infâme alors que nous n'avons, bien souvent, revertébré notre opposition à l'Infâme que grâce à ces confesseurs ?
Ce que j'exprime là -- confusément, encore une fois -- je ne crois pas être le seul à le ressentir. Beaucoup de mes amis, éloignés pour cent et une raisons de l'Église, n'y sont revenus que parce qu'ils avaient eu -- de visu -- l'exemple des prêtres traditionalistes et qu'ils ont retrouvé grâce à eux des raisons d'espérer et de croire.
158:325
Croit-on qu'en les privant de ces prêtres, ils iront vers les lieux de culte transformés en hangars pentecôtistes, vers les gratteurs de guitare, les quêteurs pro-vietcongs, les prêcheurs des droits de l'homme sans Dieu ?
Ces quelques lignes ne sont qu'un témoignage. Mais l'expression, aussi, d'une rage qui se veut apaisée. Elles ne sont, en aucune façon, une prise de position, une déclaration d'intention, la prétention de prétendre expliquer. Elles sont encore un acte de foi. L'expression d'une fidélité. Et, au moment même où j'écris, une grande bouffée d'amitié et de reconnaissance à l'égard de ceux qui pourraient se croire abandonnés.
J'ai envie de leur dire : « Allez, on se serre les coudes, on fait bloc, on est ensemble dans la tourmente en attendant des jours meilleurs. » Parce que j'ai envie d'être aux côtés de ceux dont le oui est oui, dont le non est non, et qui se tiennent solides au poste. Je ne suis pas assez intelligent pour composer avec les princes qui, hier encore, nous insultaient et veulent, aujourd'hui, nous réduire à merci.
Alain Sanders.
159:325
### Éviter l'alternative
par Rémi Fontaine
LE SCHISME (apparent) ou l'apostasie (immanente). L'hérésie sans schisme ou le schisme sans hérésie ! L'alternative sommaire devant laquelle certains voudraient nous acculer, après la rupture entre Mgr Lefebvre et le Vatican, est-elle inévitable ? Poser ainsi le problème, c'est présenter ce qu'on appelle en philosophie une aporie ([^23]).
160:325
L'aporie est un terme platonicien qui désigne l' « embarras » du philosophe devant un dilemme qui paraît exclure la possibilité d'une solution. C'est plus précisément chez Aristote « la mise en présence de deux opinions contraires et également raisonnées en réponse à une même question ».
La question est ici bien sûr celle de la crise majeure que connaît l'Église depuis plusieurs années. Et l'aporie pourrait très schématiquement se formaliser dans le double raisonnement suivant :
1 -- On relève une certaine incompatibilité entre le discours des papes après Vatican II et la tradition de l'Église.
2 -- Or, déclarent les uns, là où est le pape : là est l'Église !
3 -- Donc, nous préférons avoir raison avec ce concile et « ses » papes contre les précédents.
2 -- Or, rétorquent les autres, là où est la tradition : là est l'Église !
3 -- Donc, nous préférons avoir raison avec 20 conciles et 260 papes contre le seul Vatican II et les quelques papes dans son sillage.
Selon que l'on privilégie l'une ou l'autre des deux *mineures,* eu égard à la *majeure* commune de l'enchaînement « aporique », on obtient deux conclusions opposées. Toutes deux faisant appel à l'argument d'autorité qui, on le sait, est la première des raisons en théologie. Dans le cas d'actualité qui nous intéresse, on se sauverait ainsi soit de l'hérésie par le schisme apparent (« Lefebvristes »), soit du schisme par l'apostasie apparente (« papolàtres »). Alternative évidemment insupportable pour quiconque se veut classiquement d'Église.
On ne peut nier cependant la vérité de chacune des propositions que chaque parti admet sous la prémisse originelle. Là où est le pape : là est l'Église ; mais d'autre part, là où est l'Église : là est la tradition ! Si les mineures sont toutes les deux vraies, il faut donc s'en prendre à la majeure commune :
161:325
-- Y a-t-il vraiment rupture entre Vatican II et la tradition, entre les papes post-conciliaires et tous les autres ?
A première vue, oui. En partie du moins. La crise en témoigne. Notre propos n'est pas ici de recenser les cas nombreux d'incompatibilité, les textes et les actes inconciliables entre eux. Contentons-nous seulement de rappeler qu'on s'accorde de part et d'autre à reconnaître -- soit pour l'assumer soit pour la refuser -- une étrange discontinuité entre la « pastorale » nouvelle issue de Vatican II et la doctrine commune et traditionnelle de l'Église. Ne citons qu'une part -- « échantillon représentatif » -- autour d'un seul point (la liberté religieuse)
-- *R.P. Congar :* « L'Église a fait, pacifiquement, sa Révolution d'octobre. » Et : « On ne peut nier qu'un tel texte (la déclaration *Dignitatis Humanae*) ne dise matériellement autre chose que le Syllabus de 1864 et même à peu près le contraire des propositions 15, 77, et 79 de ce document. » (*La crise dans l'Église et Mgr Lefebvre*)*.*
*-- Abbé René Laurentin :* « Bref, avec ses limites et en dépit de ses imperfections, la déclaration (sur la liberté religieuse) marque une étape ; elle assure à la fois la rupture de certaines amarres avec un passé révolu et l'insertion réaliste de l'Église et de son témoignage à la seule place possible dans le monde d'aujourd'hui. » (*Bilan du Concile*)*.*
*-- Mgr Etchegaray :* « Après l'État chrétien dont la déclaration conciliaire sonne le glas, après l'État athée qui en est l'exacte et intolérable antithèse, l'État laïque neutre, passif et inengagé, a été un certain progrès... » (Intervention devant la commission pour l'éducation de l'Assemblée nationale).
-- *Le cardinal Ratzinger :* « Si l'on cherche un diagnostic global du texte (*Gaudium et Spes*) on pourrait dire qu'il est (en liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions dans le monde) une sorte de Contre-Syllabus (...) dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l'Église avec le monde tel qu'il est devenu depuis *1789...* » (*Les principes de la théologie catholique,* dernier chapitre : « L'Église et le monde »).
162:325
La question est maintenant de savoir si cette rupture forcément suspecte et très grave pour l'identité et l'autorité de l'Église est grave à ce point qu'elle puisse mettre en cause l'assistance du Saint-Esprit au Vicaire du Christ. Assistance même négative qui est de maintenir sa défaillance possible dans une marge très précise. De sorte qu'il lui soit impossible d'imposer une hérésie formelle ([^24]). De sorte aussi que cette défectibilité et ses effets dans l'Église ne puissent empêcher celle-ci de « conserver, jusqu'à la fin du monde inclusivement, assez de hiérarchie personnelle authentique pour que se maintiennent les sept sacrements, en particulier les sacrements de l'autel et de l'ordre ; ensuite pour que soit prêchée et enseignée la doctrine du Salut, unique et invariable » (P. Calmel). Le Saint-Esprit pourrait-il laisser le pape être l'instrument principal d'une transformation substantielle -- contre nature -- de l'Église visible ?
La décision de Mgr Lefebvre de sacrer quatre évêques de sa Fraternité (non seulement sans mandat de Jean-Paul II mais contre la volonté expresse de celui-ci) et certaines de ses paroles ([^25]) sembleraient accréditer cette hypothèse terrible. Sans pour autant aboutir à sa logique extrême qui est le *sédévacantisme* (un pape hérétique n'est plus pape et le Siège est vacant). Qu'on nous permette cependant d'écarter cette cruelle supposition en nous appuyant sur un long extrait de la *Brève apologie pour l'Église de toujours* du P. Calmel (pp. 70 et suivantes)
163:325
« Ainsi donc, même si quelque pape venait à prendre des allures de faux-messie ce ne pourrait être que par intermittence, sans continuité, avec toutes sortes d'hésitations et de repentirs. Il n'entrerait dans son deuxième personnage, celui de tentateur de l'Église et d'instrument du démon, ni tout entier, ni franchement. Il ne proclamerait jamais par exemple comme un point assuré du magistère ordinaire, comme une interprétation authentique de vingt siècles de catholicisme, encore moins comme une définition *ex cathedra,* que la *montée de l'humanité* et sa réussite terrestre est maintenant la forme nouvelle de notre religion. Seulement il mélangerait à s'y méprendre deux messages qui s'opposent dans leur essence même : d'une part le message de domination prométhéenne du monde, conformément aux Trois Tentations et sans tenir compte *pratiquement* de la souveraineté de Dieu ni du péché de l'homme, et d'autre part le message de la foi chrétienne qui annonce la Rédemption par la seule croix du Seigneur Jésus. Par l'effet de cette intrication contre nature le scandale serait près d'atteindre sans doute ses limites ultimes ; il serait porté à un point de séduction extraordinairement dangereux. Il ne serait pas assez fort, malgré tout, pour perdre les élus, ni abolir l'Église. D'abord parce que la promesse de Jésus à Pierre ne passera pas. « *J'ai prié, Pierre, pour que ta foi ne défaille point. Et toi, quand tu seras converti, affermis tes frères.* » (Luc 22, 32.) -- Par ailleurs nous tenons comme un principe certain et universel que l'ordre du bien et celui du mal ne s'opposent pas à égalité et ne sont pas symétriques. Ce qui signifie notamment que le fauteur du scandale ne sera jamais qu'une créature, alors que le défenseur contre le scandale est le Seigneur tout-puissant. Les insinuations, propagandes, pressions et persécutions du monde, quelque soutien qu'elles reçoivent de la part des hommes d'Église, n'ont rien de comparable à la grâce du Seigneur, soit comme force qui pénètre la liberté, soit comme douceur qui l'attire au -- parfait amour. La grâce est d'un autre ordre que tout le créé, infiniment plus forte. -- Enfin l'intercession maternelle et royale de la Vierge Marie défendra toujours victorieusement l'Église contre les embûches des faux messianismes. Même si un pape en arrivait à prêter un concours plus ou moins éloigné à ceux qui se sont juré d'obtenir la transformation humanitaire de la religion de Jésus-Christ, cette vertigineuse complicité du successeur de Pierre serait neutralisée d'avance, rendue inefficace par la supplication de la Vierge corédemptrice... »
164:325
Autrement dit, et selon le cas-limite d'un pape (voire d'une « dynastie ») aux allures de faux-messie(s), la rupture entre le(s) pape(s) d'hier ne pourrait jamais se consommer pleinement de par les promesses de Notre-Seigneur à Pierre et aussi à l'Église :
« Voici que je suis avec vous chaque jour jusqu'à la fin du monde » (Matt. 28, 20). « Chaque fois donc que vous mangerez ce pain et boirez ce calice vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'Il revienne » (Ia Cor., 11,26). « Si ces jours n'étaient pas abrégés nulle âme ne serait sauvée, mais ces jours seront abrégés, à cause des élus » (Matt. 24, 22)...
« La ligne de partage (entre l'Église catholique et l'Église conciliaire), écrit l'abbé Sulmont dans son bulletin paroissial, on pourrait l'imaginer entre Pie XII et ses successeurs mais en réalité elle a divisé le cœur même de Paul VI et divise encore les pensées de Jean-Paul II. L'un et l'autre sont partagés au plus profond d'eux-mêmes, entre leur mission d'assurer la continuité de l'Église catholique et la tentation de céder aux séductions du monde en bricolant progressivement une nouvelle Église : l'Église conciliaire... »
On peut évincer l'aporie du début, sortir de cette impasse théorique, en distinguant deux aspects :
-- La personne du pape actuel, dont on peut refuser les idées et désapprouver les faits si on les considère comme modernistes : on garde et on défend la tradition... sans Rome s'il le faut mais sans rompre la communion ecclésiale. Comme on peut vivre le mariage exceptionnellement sans le conjoint et sans porter atteinte au lien conjugal dans une séparation licite des corps.
165:325
-- L'autorité du pape actuel, successeur légitime de Pierre « en qui se poursuit le mystère du Dieu fait chair habitant en nous » (Dom Guéranger) et auquel on doit soumission quelles que soient ses faiblesses (limitées) du moment. « On peut parfois aller sans Rome, disait Mgr Duchesne, mais jamais contre Rome. » Le divorce n'est pas admissible. La trahison des clercs n'abolit pas la cléricature : la succession apostolique et la primauté du Siège romain. « Église d'abord ! » comme disait l'abbé Dulac.
Le culte qu'on doit au souverain pontife, précise même Dom Guéranger -- qui savait pourtant manifester son opposition au Saint-Père -- ce culte réel donc, « allant au Christ en Son Vicaire (...) ne saurait s'accommoder de la distinction subtile entre le Siège de Pierre et celui qui l'occupe » (*L'Année liturgique* au 29 juin). « Je ne sais pas toute la religion, répondait à son persécuteur un jeune Chinois il y a quelque trente ans, mais je sais qu'il faut plutôt mourir que se séparer du pape. »
Si exigu soit-il, on doit penser qu'il existera toujours nécessairement un espace de tradition entre le schisme et l'hérésie, une aire de continuité *in medio Ecclesiae,* que ne pourront anéantir les fumées de Satan et l'autodestruction elle-même de l'Église. Le penser en contrevenant cependant aux lois fondamentales de l'Église ou en les débordant, c'est évidemment le point de litige après les sacres du 30 juin dernier. Certains objecteront que c'est devancer sinon forcer un peu la Providence. Au contraire de ce que préconisait lui-même Mgr Lefebvre à la conclusion de sa *Lettre ouverte aux Catholiques perplexes* (4 juillet 1984) :
« On écrit aussi qu'après moi mon œuvre disparaîtra, parce qu'il n'y aura pas d'évêques pour me remplacer. Je suis certain du contraire, je n'ai aucune inquiétude. Je peux mourir demain, le Bon Dieu a toutes les solutions. Il se trouvera de par le monde, je le sais, suffisamment d'évêques pour ordonner nos séminaristes. Même s'il se tait aujourd'hui, l'un ou l'autre de ces évêques recevrait du Saint-Esprit le courage de se dresser à son tour. Si mon œuvre est de Dieu, Il saura la garder et la faire servir au bien de l'Église. Notre-Seigneur nous l'a promis : les Portes de l'Enfer ne prévaudront pas contre elle. »
166:325
Le Bon Dieu, tout-puissant, connaît les besoins des fidèles (Matt 6, 32-34) et n'a pas besoin d'eux -- et encore moins de leurs désobéissances ! La grâce de Dieu ne passe pas généralement dans la désobéissance. Même lorsque la Sainte Vierge apparaît comme à Lourdes ou à Fatima... rien ne se fait sans l'obéissance à l'Église visible, légitime, par la médiation de sa hiérarchie. Ne faut-il pas, au pire, espérer contre toute espérance, selon la sagesse chrétienne. Le serviteur n'est pas au-dessus du maître, ni l'Épouse plus grande que l'Époux...
Certes, « l'Église nous fait mal » (P. Calmel) ! Nous sommes submergés par l'humiliation, la souffrance et l'injustice. Mais si le mal peut légitimement scandaliser, ajoutent les réticents aux sacres, il ne doit -- chrétiennement parlant -- engendrer la « révolte » qu'à de très rares exceptions ([^26]). Le chrétien peut assumer le mal à cause du mystère du Christ, du mystère de la Croix et, à plus forte raison dans l'Église, à cause du mystère de l'Église. Fort dans la foi, il peut lui résister, affronter avec mérite le mystère d'iniquité. Ce n'est jamais pour rien que Dieu permet la souffrance. Il faut savoir assurément souffrir pour l'Église mais quelques fois, et sans doute plus durement encore, c'est par l'Église elle-même.
En outre, la « révolte » qui succède à un scandale souvent bien compréhensible risque d'entraîner un désordre encore plus grand que celui contre lequel on se scandalisait.
« Il ne faudrait pas, observe Dom Gérard, que notre résistance légitime se transformât en résistantialisme » (PRÉSENT du 18 août).
167:325
Le « *non possumus* » doit être de toute façon considéré avec une très grande circonspection ([^27]). Surtout lorsqu'il fait, semble-t-il, le jeu des ennemis de l'Église, de Rome et d'Écône à la fois. « L'Église, écrit Bossuet, semble quelques fois être donnée en proie à l'erreur qui menace de la couvrir toute ; cependant sa sainteté demeure entière ; sa foi éclate toujours avec autant de force, que même ses ennemis sentent bien, par une céleste vigueur, qu'ils ne peuvent point l'abattre ; mais par là, elle-même sent bien qu'il n'y a que Dieu qui la soutienne. » (Lettre à une demoiselle de Metz sur le mystère de l'Unité de l'Église : semaine de la Pentecôte, juin 1659.)
Assurément encore, Mgr Lefebvre a des raisons d'agir comme il a fait. Mais a-t-il raison ? Ses défenseurs utilisent aisément l'argument *ad hominem* (consistant à demander l'application à son profit d'un principe dont on récuse par ailleurs le bien-fondé)
-- Eh quoi ! Rome, qui ne discerne même plus l'hérésie ou l'apostasie galopante des évêques, qui permet l'ordination (secrète) d'un Max Thurian et absout les vrais schismatiques, Rome qui ne parle même plus de schisme pour l'Église chinoise patriotique.
168:325
Rome voudrait maintenant excommunier cet évêque fidèle ([^28]) qui n'a commis aucune hérésie et n'a fait que conférer l'épiscopat sans institution apostolique mais au nom d'une nécessité vitale autrement plus authentique que celle invoquée par cette Église chinoise. N'y aurait-il plus d'œcuménisme (interne) chez les amis de l'œcuménisme (externe) ? Allons, pas d'excommunication chez les ennemis de l'anathème !
On saisit pourtant les limites de l'argument *ad hominem* et ses dangers chez ceux qui le brandissent sans réserve ni précaution. Il implique en effet qu'on mette un pied chez l'adversaire. Or, disait saint Pie X, « ne mettons pas le pied dans le camp adverse, parce que nous donnerions ainsi à l'ennemi une preuve de notre faiblesse que l'ennemi essaierait d'interpréter comme un signe et une marque de complicité ». On risque aussi de se laisser prendre à son propre jeu. A force de réclamer à bénéficier de la libéralité libérale, du pluralisme dogmatique, du droit à la différence, voire à la désobéissance, on finit par cautionner subrepticement et malgré soi les principes libéraux en donnant le mauvais exemple. Pourquoi entre autres condamner des consécrations épiscopales comme celles commises hier par Mgr Ngo-Dinh-Thuc, sans l'autorisation du Saint-Siège, et accréditant notamment le sédévacantisme ?
Or, il va de soi que les « traditionalistes » sont contre ces désobéissances et ces dissidences-là. Que diraient-ils, par exemple, si un évêque charismatique, trouvant le Renouveau « en manque »... d'appui romain, faisait de telles consécrations pour développer sa mouvance menacée ?
169:325
Mais pourquoi des moyens mauvais pour les uns seraient bons pour les autres : quand la fin pourrait-elle justifier les moyens et quel est le critère de la nécessité vitale ?
Enfin, contre cet argument *ad hominem,* les catholiques libéraux ont eux aussi un argument de même nature à opposer aux catholiques traditionnels :
-- Eh quoi ! Vous exigeriez de bénéficier de nos principes et de notre tolérance alors que votre doctrine en est la négation. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ! Pas d'œcuménisme pour les ennemis de l'œcuménisme ! Hors du pluralisme point de salut !
A quoi le catholique traditionnel pourrait répondre comme Louis Veuillot lorsqu'il répliquait à Jules Ferry sur la question de l'école ([^29]) :
« Je n'ai pas demandé la liberté aux libéraux parce que c'est leur principe : je l'ai demandée et je la demande parce que c'est mon droit, je ne le tiens pas d'eux, mais de mon baptême, qui m'a fait digne et capable de la liberté. En renonçant à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, c'est par là, et non autrement, que je suis devenu libre. »
Reste la « liberté » qu'a prise Mgr Lefebvre en son âme et conscience, avec ou sans les grâces d'état qui sont les siennes, de sacrer quatre évêques de sa Fraternité sans mandat pontifical pour la survie de la tradition et de l'Église. Reste aussi le choix devant lequel il place les catholiques fidèles après son « excommunication » par la Rome actuelle. D'aucuns ont déjà refusé le faux dilemme dans lequel ils se voyaient déjà enfermés :
170:325
« -- Soit rester attaché à la tradition de l'Église et ne plus respecter la primauté du pontife romain (comme si celle-ci ne constituait pas une partie intégrante de la tradition).
-- Soit respecter la primauté de ce pontife et abandonner, sur des points essentiels, la tradition de l'Église. »
On doit le refuser en principe pour les raisons que nous avons dites plus haut. D'autres redoutent de leur côté les conséquences possibles d'une décision qui ne présuppose pas nécessairement ce dilemme. Conséquences déjà décrites en filigrane, dès 1971, par le P. Calmel :
« Songeons-nous alors à mettre sur pied une immense et mondiale ligue ou association de prêtres et de chrétiens fidèles qui, devenus des « interlocuteurs valables » pour la hiérarchie officielle, l'obligeront à reprendre en main les rênes et à rétablir l'ordre ? Dessein grandiose, dessein émouvant, dessein chimérique. Car enfin ce groupe qui se voudra d'Église mais ne sera ni diocèse, ni archidiocèse, ni paroisse ni ordre religieux, qui n'entrera dans aucun des secteurs sur lesquels et pour lesquels s'exerce l'autorité dans la sainte Église, ce groupe sera artificiel : *arte factum.* Étranger aux groupes réels, établis et reconnus. Comme pour tout groupement le problème du chef et de l'autorité se posera pour ce groupe ; et même avec d'autant plus d'acuité que le groupe sera plus énorme. Nous ne tarderions pas à aboutir à ceci : un groupe qui, étant une association, ne peut éluder la question de l'autorité ; un groupe qui, étant artificiel (par là-même en dehors des associations selon la nature et selon la Révélation et la grâce), rendra insoluble la question de l'autorité. Des groupes rivaux ne tarderont pas à s'élever. La guerre en deviendra inévitable. Il n'existera entre les groupes rivaux aucun moyen canonique de mettre fin à cette guerre ni même de la conduire. » (*Brève apologie pour l'Église de toujours,* p. 49)
171:325
Dans notre misère présente, l'alternative peut cependant se poser pratiquement -- c'est-à-dire localement -- entre l'apostasie immanente mais flagrante d'une paroisse ordinaire de l'Église « conciliaire » et le schisme apparent d'une paroisse « artificielle » de la Fraternité Saint-Pie X. Hélas ! Que faire alors ? L'Église de toujours ne peut évidemment laisser ses enfants dans la situation de l'âne de Buridan...
L'argument de la suppléance doit jouer ici pour la survie surnaturelle comme il joue pour le droit naturel. Même dans la pire des hypothèses qui serait celle du schisme effectif de Mgr Lefebvre, c'est le nouveau code de droit canon qui nous le donne :
« Chaque fois que la nécessité l'exige ou qu'une vraie utilité spirituelle s'en fait sentir, et à condition d'éviter tout danger d'erreur ou d'indifférentisme, il est permis aux fidèles qui se trouvent dans l'impossibilité physique ou morale d'avoir recours à un ministre catholique, de recevoir les sacrements de pénitence, d'Eucharistie et d'onction des malades de ministres non catholiques, dans l'Église desquels ces sacrements sont valides. » (Can. 844 § 2).
Dans cette jungle actuelle où se débat l'Église, à chacun dans son fortin intérieur et si possible communautaire de trouver la force de sa survie : « Confesser la foi dans l'Église en face du modernisme, être heureux d'avoir à souffrir pour rendre un beau témoignage à l'Église trahie de toute part, c'est veiller avec elle dans son agonie ou veiller avec Jésus *au* Jardin des oliviers. Dans la mesure où nous serons des veilleurs fidèles, inaccessibles à la crainte mondaine et au découragement, nous saurons d'expérience que la Sainte Église est un mystère de force surnaturelle et de paix divine : *Urbs Jérusalem beata dicta pacis visio* (Ville de Jérusalem bienheureuse dénommée vision de paix) » (P. Calmel).
Sentinelles réparties au rempart visible de l'Église à qui s'adresse à nouveau l'antique appel : « *Custos, quid de nocte ?* » Gardien, qu'en est-il de la nuit ? (Isaïe, XXI, 17).
Rémi Fontaine.
172:325
### L'ordination sauvage du Pasteur Max Thurian
par Guy Rouvrais
D'ABORD les faits. *La Croix* du 11 mai et *Le Monde* du 12 mai 1988 publiaient en termes identiques l'information suivante : « La communauté œcuménique de Taizé annonce dans un communiqué l'ordination du Frère protestant Max Thurian. Elle précise à cette occasion la position de la communauté vis-à-vis du sacerdoce catholique : *Depuis 1972, c'est-à-dire depuis seize ans, la communauté de Taizé compte parmi ses membres des prêtres catholiques. Être prêtre ne modifie pas leur appartenance à la communauté. Voici un peu plus d'un an, l'un des membres de la communauté, Frère Max, a été ordonné par l'ancien archevêque de Naples, le cardinal Ursi.* » Suivait une brève biographie de Max Thurian.
173:325
Cette annonce sobre, discrète, avare d'explications, n'a suscité aucun commentaire ni des organes de presse catholique ni de l'épiscopat français, ni de Rome. Nul ne s'est interrogé sur la révélation tardive -- plus d'un an après -- d'un tel événement qui à tout le moins aurait dû marquer une date dans l'histoire du « dialogue œcuménique ». Qu'une figure de proue de l'œcuménisme militant rejoigne l'Église catholique aurait dû, comme on dit désormais, « interpeller » protestants et catholiques. Il n'en fut rien. La raison en est que le pasteur Max Thurian ne s'est nullement converti au catholicisme dans les formes canoniques. Il n'a fait ni abjuration, ni rétractation, ni profession de foi catholique entre les mains de l'ancien archevêque de Naples, cardinal de la sainte Église.
Cette révélation dissimulée à l'opinion, c'est le quotidien *Présent* qui l'a faite (dans le numéro 1578 du jeudi 19 mai). Plus curieux ou plus libre que nos confrères, nous posâmes téléphoniquement la question à la communauté de Taizé le 16 mai « Max Thurian a-t-il abjuré la religion protestante et a-t-il fait une profession de foi catholique ? »
Un Frère de la communauté, qui s'est présenté comme le secrétaire de Max Thurian, nous a avoué, après maintes, quoique aimables, circonlocutions verbales qu'il n'en a rien été : « Non, bien sûr, il n'en fut rien. »
Dans l'article où nous relations ces faits, nous posâmes donc quelques questions, parmi lesquelles :
-- Peut-on, désormais, être à la fois pasteur protestant et prêtre catholique ?
-- Cette ordination a-t-elle été faite avec l'assentiment de Rome ?
-- A-t-on, au moins, demandé à Max Thurian d'accepter tous les décrets du concile... de Trente ?
-- Est-ce que le principe de l'abjuration est abandonné si l'on vient du protestantisme ? Pour devenir catholique suffit-il, désormais, d'accepter le concile Vatican II et la nouvelle messe ?
174:325
Ces questions, destinées à la hiérarchie de l'Église catholique, n'ont pas reçu de réponses à ce jour.
\*\*\*
Il y eut néanmoins une réponse de l'intéressé, Max Thurian. Ce fut dans le journal de Fribourg *La Liberté* ([^30])*.* Elle ne nous était pas personnellement destinée ! Max Thurian entendait répondre à « certains amis ».
Nous en donnerons les principaux extraits suivis de nos commentaires.
« *J'ai désiré,* écrit-il, *que ma décision demeure discrète pour que personne ne souffre du bruit qu'on aurait pu en faire et parce qu'elle s'inscrit dans une démarche spirituelle, selon l'Évangile : pour toi, quand tu pries, retire-toi, et prie ton père dans le secret.* »
Pour ce qui est du « bruit » fait autour de son ordination, Max Thurian a été exaucé au-delà de toute espérance il n'y en eut aucun.
Il y a dans ce propos, la confusion de deux plans. Il est vrai que demander le sacerdoce, et le recevoir, est d'abord une démarche spirituelle. Mais c'est aussi un acte canonique, juridique, et à ce titre public, sauf circonstances exceptionnelles, dans le cas de persécutions, par exemple. La situation de Max Thurian ne relève pas de cette exception.
La discrétion, pour ne pas dire de la clandestinité de cette ordination, s'explique parce qu'il existe une circonstance scandaleuse : il a été ordonné prêtre dans l'Église catholique sans avoir professé publiquement la foi de l'Église catholique. Le « bruit » redouté l'était pour ce motif. Car, autrement, il n'y eût eu que le bruit joyeux qui accompagne le retour de la brebis perdue dans l'unique Bergerie.
175:325
« *En demandant librement l'ordination à l'archevêque de Naples il était bien clair que je ne quittais personne, que je ne reniais rien de ce que j'avais reçu de chrétien auparavant : ce ne pouvait être qu'un accomplissement de mon baptême, de mon ministère et de ma profession de* foi *religieuse, dans la reconnaissance et la fidélité à la Communauté de Taizé.* »
D'ordinaire, c'est l'évêque qui pose au candidat au sacerdoce ses conditions pour recevoir ce sacrement. Dans le cas de Max Thurian, il semble que ce fut l'inverse : il a fait savoir, clairement, au cardinal Ursi qu'il entendait recevoir la prêtrise quoiqu'il ne quittât rien ni personne. Était-ce à prendre ou à laisser ? Le cardinal a pris.
Là encore, le pasteur Thurian nous dissimule la moitié de la réalité. Il est vrai qu'un protestant qui devient catholique ne renie rien de ce qu'il a reçu d'authentiquement chrétien auparavant. Il le peut d'autant moins que ce qu'il y a d'authentiquement chrétien dans les religions dissidentes c'est ce qui reste du catholicisme ! Le concile Vatican II, dans le décret sur l'œcuménisme, énumère ce qui reste de chrétien dans le protestantisme non libéral : « la parole de Dieu écrite, la vie de la grâce, la foi, l'espérance et la charité, d'autres dons intérieurs du Saint-Esprit et d'autres éléments visibles ». Mais il ajoute aussitôt : « Tout cela provenant du Christ et conduisant à lui, *appartient de droit à l'Église catholique.* »
En ce sens, devenir catholique constitue, il est vrai, un accomplissement. Seulement, en confessant qu'il a reçu du protestantisme des éléments chrétiens, Max Thurian reconnaît, implicitement, qu'il a reçu également des doctrines qui, elles, ne l'étaient pas. Avec ces doctrines-là il doit y avoir *rupture ;* et c'est précisément l'objet de l'abjuration que de la formuler explicitement. Et c'est à ces rétractations que Thurian s'est soustrait... et on l'a laissé s'y soustraire.
Cette rupture concerne la doctrine mais aussi les personnes. Il ne s'agit pas, bien entendu, de la rupture des relations personnelles avec ses anciens coreligionnaires mais de rompre la communion -- qui n'existe plus -- avec l'Église réformée ou luthérienne à laquelle on appartenait.
176:325
Ce petit « martyre » que j'ai connu lorsque, devenant catholique, j'ai dû quitter mon pasteur et mon Église luthérienne, aura donc été épargné au pasteur Thurian. Je ne sais si je dois m'en réjouir pour lui car il y a des grâces de soumission et d'obéissance douloureuses dont il n'aura pas bénéficié.
« *Depuis très longtemps je me sentais profondément catholique et ceux qui me connaissent le savaient bien. J'ai éprouvé un besoin irrésistible de mettre ma vie de ministre du Christ en accord avec ma pensée souvent exprimée dans le dialogue œcuménique. Cela ne comporte aucun jugement à l'égard de personne.* »
Nous voici au cœur de ce qui, probablement, justifie aux yeux de l'Église d'aujourd'hui l'ordination sauvage de Max Thurian. Elle peut se résumer ainsi : lui demander une abjuration et une profession de foi catholique ? Mais il y a belle lurette déjà qu'il n'est plus protestant mais catholique de cœur ! En somme, il n'avait pas à abjurer mais à régulariser, comme on le dit des couples qui convolent en justes noces après un long concubinage.
Se « sentir » catholique, c'est bien. Le devenir, c'est mieux. Et l'on ne se sent vraiment catholique que lorsqu'on a rejoint l'Église dans les formes requises par elle. Se « sentir » catholique n'est qu'une première étape, nécessaire mais pas suffisante. Sauf impossibilité matérielle, ou ignorance invincible, pour être catholique, il faut *juridiquement* appartenir à l'Église catholique. Cela suppose une démarche extérieure et juridique. Il faut être absous, au for externe, des peines canoniques qui frappent les hérétiques et les schismatiques. Il s'agit de faire une profession de foi publique.
Ce qui est vrai de n'importe quel converti l'est davantage de celui qui aspire au sacerdoce. Le prêtre doit enseigner au nom de l'Église, sous la direction de l'évêque, il convient que les fidèles qui s'adresseront à lui soient sûrs qu'il professe la foi de l'Église. Quelle foi professe donc Max Thurian à la fois pasteur de l'Église réformée genevoise et prêtre catholique ?
177:325
Pour ce qui est du cas de Max Thurian nous noterons que ses négations de la foi catholique furent publiques et que la rétractation de ses erreurs doit l'être également. Il ne suffit pas de dire « ceux qui me connaissent » sont au courant depuis longtemps de ce que je crois. Nous allons y revenir.
Nous ajouterons une remarque d'actualité. Une actualité dont ce numéro d'ITINÉRAIRES est plein. Comment peut-on opposer à Mgr Lefebvre les exigences du droit canonique pour condamner ses ordinations épiscopales au moment même où un hérétique avéré est ordonné prêtre, en violation des règles canoniques qui prévoient qu'un protestant doit faire une profession de foi catholique explicite pour être reçu dans l'Église ? Pourquoi déclarer superfétatoire la démarche juridique pour Max Thurian et l'exiger de Mgr Lefebvre ? On a jugé que le pasteur Thurian était catholique de cœur et que cela suffisait bien ? Alors pourquoi excommunier Mgr Lefebvre dont on doit, au moins, admettre qu'il est lui aussi catholique de cœur ?
\*\*\*
La profession de foi catholique que le cardinal n'a pas exigée de lui, le Frère Max a condescendu à la formuler lui-même, dans le texte que nous commentons. Il y évoque les deux domaines où protestantisme et catholicisme divergent gravement : le pape et la Vierge Marie. En lisant ce qui suit, on sera davantage attentif à ce qui n'est pas dit qu'à ce qui est dit :
« *Jean-Paul II m'a révélé une image forte du pape qui veille sur l'Église en proclamant partout la parole de Dieu avec courage, confiance, autorité.*
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*Sa personnalité et son ministère m'ont convaincu de la nécessité que l'évêque de Rome, successeur de Pierre, porte la charge de guide et d'arbitre dans la collégialité des évêques et cherche, dans l'obéissance au Seigneur, les voies de l'unité entre les Églises particulières et les perspectives nouvelles pour l'évangélisation du monde. Son pastorat universel est nécessaire à la reconstitution de l'unité visible entre tous les chrétiens.*
« *L'encyclique de Jean-Paul II* « *Redemptoris Mater* » *m'a confirmé dans la certitude que la Vierge Marie, Mère de Dieu, a joué un rôle décisif dans l'histoire du salut et continue, par son intercession maternelle, à soutenir dans leur combat spirituel tous les disciples du Christ qui constituent l'Église dont elle est la figure et le modèle. La piété mariale nous conduit à l'écoute de la Parole de Dieu, à l'amour du Christ et au renouveau de l'Esprit dans l'Église, Mère des fidèles.* »
Il résulte de l'analyse de cette « confession de foi » -- c'est le titre de l'article de Max Thurian dans *La Liberté --* qu'il ne professe pas la foi de l'Église catholique. Ce qu'il dit n'est pas faux, c'est incomplet. Mais incomplet sur les points niés par les protestants. Max Thurian, finalement, reconnaît au souverain pontife une primauté d'honneur, il ne veut voir en lui qu'un « guide et arbitre » dans la « collégialité des évêques ». Cela, les orthodoxes, les anglicans et certains protestants sont prêts à l'accepter depuis longtemps. Ce qu'ils refusent, ce sont les dogmes promulgués à Vatican I : la primauté de *juridiction* et l'infaillibilité. Constatons que Max Thurian ne confesse pas ces dogmes. Ce en quoi il est en pleine continuité avec ses écrits antérieurs.
Lors de la définition du dogme de l'Assomption, en 1950, le pasteur Thurian écrivait dans la revue de Taizé, *Verbum Caro* ([^31]) : « Le dogme de l'infaillibilité rie posait jusqu'à présent qu'une question théorique, puisque le pape n'avait point usé de son pouvoir. La récente promulgation révèle de façon magistrale et significative jusqu'où son pouvoir peut conduire l'Église romaine : jusqu'à l'affirmation d'une doctrine sans fondement historique. »
179:325
Pas plus aujourd'hui qu'hier Max Thurian n'accepte l'infaillibilité pontificale. Seulement, aujourd'hui il est prêtre de l'Église catholique ! De même, il reconnaît un rôle décisif de Marie dans l'histoire du salut -- ce que les anglicans, les orthodoxes et certains luthériens admettent -- mais il ne confesse point son Immaculée Conception et son Assomption.
Pourquoi Max Thurian n'a-t-il point abjuré ? Parce que, en conscience, il ne le pouvait pas : il ne croit pas ce que croit l'Église, il continue de penser ce qu'il a toujours pensé, en tant que protestant, sur le pape et sur la Sainte Vierge.
\*\*\*
Dans le scandale que constitue l'ordination sauvage de Max Thurian, celui-ci n'est pas le plus coupable. Il ne pouvait pas être plus catholique que le cardinal de l'Église catholique qui l'a ordonné. C'est ce que me fit valoir, dans la conversation téléphonique que j'eus avec lui, le secrétaire du Frère Max :
« Écoutez, il a été ordonné par un cardinal de l'Église catholique, il a dû penser que c'était bien comme ça. »
Eh oui, que répliquer à cela ? Le cardinal a estimé que Max Thurian avait donné des preuves suffisantes de sa foi catholique. Lesquelles ?
Max Thurian ne nous est pas inconnu. Il s'est signalé à notre attention il y a près de vingt ans, en 1969. A l'époque, il jugea que le nouvel Ordo Missae « est un exemple de ce souci dynamique, de véritable catholicité : un des fruits en sera peut-être que des communautés non catholiques pourront célébrer la Sainte Cène avec les mêmes prières que l'Église catholique. Théologiquement, c'est possible » ([^32]). C'était tellement possible qu'aujourd'hui, c'est fait : à Taizé, la Sainte Cène est célébrée selon le nouvel Ordo Missae.
180:325
Récapitulons. Ce pasteur n'accepte la messe catholique qu'au moment où son authenticité catholique est contestée, non sans fortes raisons. Il ne se rallie ni à la primauté du pontife romain, ni à son infaillibilité mais à un homme, Jean-Paul II, au motif qu'il lui a révélé « une image forte du pape ». C'est le seul pape auquel il est fait allusion. Le seul concile dont, dans le même texte, se réclame Max Thurian, c'est Vatican II. Il se refuse, nous l'avons vu, à confesser la foi de Vatican I.
Aujourd'hui pour être considéré comme catholique par la hiérarchie, suffit-il d'accepter la nouvelle messe, le concile Vatican II et le pape actuel, ou ses immédiats prédécesseurs ? Cela serait homogène à l'affirmation de Paul VI dans sa lettre à Mgr Lefebvre selon laquelle le concile Vatican II ne ferait « pas moins autorité » et serait même, « sous certains aspects plus important encore que celui de Nicée ».
L'ordination sauvage de Max Thurian n'est pas une anecdote, c'est un symptôme de la décomposition du catholicisme. Il n'est pas étonnant qu'elle n'ait pas fait de bruit. Du côté des progressistes, il y a longtemps que l'on ne tient plus pour pertinentes les distinctions entre catholiques et protestants, clercs et laïcs. Du côté des fidèles plus traditionnels on se dit qu'après tout, il y a des prêtres qui en croient encore moins que ce pasteur dont on ne peut douter, sur la foi de ses écrits, qu'il croit au Père, au Fils et au Saint-Esprit, comme à la divinité du Christ et à sa résurrection corporelle.
Voilà pourquoi l'annonce de cette ordination n'a suscité ni clameurs ni émotion. Elle constitue pourtant un scandale.
181:325
Un scandale et une injustice. Une injustice pour les protestants qui n'ont pas pu bénéficier du privilège thurianesque. Une injustice pour Max Thurian que l'on a privé d'une grâce en l'arrêtant en chemin sur la voie qui conduit au catholicisme authentique. Il est devenu « catholique » au rabais. Il s'est introduit dans la bergerie par la petite porte, au petit matin et comme par effraction : « pas vu, pas pris ».
Moi, je me souviens de ce 27 décembre 1967, en la fête de saint Jean l'Évangéliste, apôtre de l'amour dans la vérité, lorsque, agenouillé, je posai la main sur le Saint-Évangile en professant la foi catholique, abjurant les erreurs protestantes. Lorsque ce fut fini, le Père Abbé qui m'avait reçu dans l'Église me releva et, sans un mot, me serra sur son cœur, bientôt rejoint par mes deux témoins et là, dans le silence, moi le jeune converti, le rude Père Abbé, et les deux vieux moines, nous pleurâmes. Le Père recevait le prodigue qui errait depuis quatre siècles. Il y avait à ce moment-là, en ce lieu-là, quelque chose de la joie des anges qui se réjouissent dans les lieux célestes pour un seul pécheur qui se repent. Oui, nous pleurâmes. De joie.
Je plains Max Thurian de n'avoir point connu cette joie-là. Et je plains le cardinal de la sainte Église catholique, apostolique et romaine de la lui avoir volée.
Guy Rouvrais.
============== fin du numéro 325-326.
[^1]: -- (1). Texte intégral de cette lettre dans ITINÉRAIRES, numéro 324 de juin 1988, pp. 128 et suiv.
[^2]: -- (2). Cette étrange croyance, je l'avais relevée dès le numéro 245 d'ITINÉRAIRES (juillet-août 1980), p. 15, avec ce commentaire : « On avait déjà lu une affirmation semblable une première fois dans l'encyclique *Redemptor hominis* et une seconde fois dans la lettre sur l'eucharistie. Si l'on croit vraiment que les textes conciliaires nous rapportent ce que l'Esprit dit à l'Église, il fallait que les Pères du concile attestent cette origine et annoncent cette foi certaine : par la note d'infaillibilité. Ils nous ont donné au contraire des déclarations atypiques par leur forme, leur contenu, leur indiscernable degré d'autorité. Il ne va pas de soi que l'on puisse aujourd'hui conférer après coup une sorte d'infaillibilité à des actes conciliaires qui ne voulaient en comporter aucune. »
[^3]: -- (3). *Le concile en question*, « correspondance Congar-Madiran sur Vatican II et la crise de l'Église », un volume aux Éditions DMM, 1985.
[^4]: -- (4). Cité dans ITINÉRAIRES, numéro 301 de mars 1986, p. 114.
[^5]: -- (5). Mgr Lefebvre : *Lettre ouverte aux catholiques perplexes*, Albin Michel, 1985, p. 15.
[^6]: -- (6). Même ouvrage, p. 215.
[^7]: -- (7). Cf. Émile Poulat dans *Le Monde* du 8 avril 1980, cité et commenté dans ITINÉRAIRES, numéro 245 de juillet-août 1980, pp. 10 et suiv.
[^8]: **\*** -- original : Déclaration de Mgr Lefebvre à l'occasion de la consécration épiscopale de plusieurs prêtres de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, 19 octobre 1983, rendue publique le 30 juin 1988.
[^9]: -- (1). Cf. Note Informative du 16 juin 1988. (Publiée dans l'*Osservatore Romano* en langue française du 21 juin.)
[^10]: -- (2). Cf. Conc. Vatican I, Const. *Pastor Aetemus*, ch. 3 ; DS 3000.
[^11]: -- (3). Cf. CIC, can. 751.
[^12]: -- (4). Cf. CIC, can. 1382.
[^13]: -- (5). Conc. Vatican II, Const. *Dei Verbum*, n° 8 ; cf. Conc. Vatican I, Const. *Dei Filius*, ch. 4 ; DS 3020.
[^14]: -- (6). Cf. Mat. 18, 16 ; Luc 10, 16 ; Conc. Vatican I, Const. *Pastor Aetemus*, ch. 3, DS 3000.
[^15]: -- (7). Cf. CIC, can. 386 ; Paul VI, Es. Ap*. Quinque iam anni*, 8-XIII970 ; *Doc. cath*. n° 1578 (1971) pp. 5 sv.
[^16]: -- (8). Cf. CIC, can. 1364.
[^17]: -- (9). Cf. Congrégation pour le Culte divin. Ep. *Quattuor abhinc annos*, 3-X-84 ; *Doc. cath*. n° 1885 (1984) p. 1124.
[^18]: -- (1). Dans le volume : *Romain Marie sans concession*, « entretiens avec Yves Daoudal », DMM 1985. -- Bien sûr ce volume aurait pu gagner à être relu avant d'être imprimé. Cependant il aurait mérité aussi d'être lu en tenant compte de son « genre littéraire », qui n'est pas celui d'une encyclique ou d'un catéchisme. Les prédicateurs ecclésiastiques savent bien que l'on permet à leur style « exhortatoire », dans leurs sermons, des approximations et amphibologies que l'on ne tolérerait pas dans un traité de théologie : les laïcs eux aussi ont droit à cette bienveillante et juste distinction.
[^19]: -- (2). « *Qui enim non est adversum vos, pro vobis est* » : c'est la Vulgate de saint Jérôme. Vatican II a demandé une nouvelle Vulgate, qui a été commandée par Paul VI et promulguée par Jean-Paul II en 1979 : *Nova vulgata bibliorum sacrorurn editio*. Pour le passage cité de Marc, cette nouvelle version adopte la correction du texte grec proposée par Lagrange, *Évangile selon saint Marc*, 7^e^ édition, Gabalda 1942, p. 248. Cette correction, qui ne paraissait pas s'imposer, donne dans la nouvelle Vulgate : « *Qui enim non est adversus nos, pro nobis est.* » « Qui n'est pas contre nous est avec nous. » Cela laisse intact le sens de notre propos.
[^20]: -- (3). Voir son ouvrage : *Entretien sur la foi*, édition française Fayard 1985, page 29, citée et commentée dans mon livre : *Le Concile en question*, p. 166.
[^21]: -- (4). *L'arc-en-ciel*, Seuil 1988, p. 310.
[^22]: -- (1). Louis Bouyer : *L'Église de Dieu*, pages 609, 610 (Cerf).
[^23]: -- (1). On connaît par exemple la fameuse aporie qui opposa Parménide et Héraclite sur le problème philosophique du devenir. Deux raisonnements contraires reposant sur une majeure commune : « *Il y a incompatibilité entre le principe de non-contradiction et le devenir.* » L'un (Parménide), assurant par sa raison qu'il ne peut y avoir de contradiction dans l'être (« L'être est et il est impensable qu'il ne soit pas »), conclut que rien ne devient et que tout demeure : nos sens nous trompent. L'autre (Héraclite), constatant par ses sens le devenir dans la réalité (« Tout s'écoule (...) Nous sommes et ne sommes pas »), conclut que tout devient et rien ne demeure : notre intelligence nous trompe. Aristote sortira de cette double impasse par sa théorie de l'hylémorphisme et son induction de l'acte de la puissance...
[^24]: -- (2). Paul VI, par exemple, en excluant d'emblée tout anathème, n'a pas voulu que Vatican II soit formellement dogmatique mais seulement et curieusement « pastoral ». Son concept de la liberté religieuse et celui de l'œcuménisme, pommes de discorde entre les catholiques, ne sont donc pas des articles de foi nécessaires à la communion catholique que nous professons dans le Credo.
[^25]: -- (3). Cf. la lettre de Mgr Lefebvre aux futurs évêques du 29 août 1987 « La chaire de Pierre et les postes d'autorité de Rome étant occupés par des antichrists... »
[^26]: -- (4). « Mon pays m'a fait mal » (Brasillach).
[^27]: -- (5). « Au sujet du non possumus de l'Action Française, Charles Maurras, dans *le Bienheureux Pie X sauveur de la France*, a exprimé le regret qu'on ait cru devoir émettre alors « ce non douloureux ». « Ne pouvions-nous pas, écrivit-il en 1952, éviter le conflit formel avec les autorités spirituelles et ainsi nous couvrir de toute apparence d'insubordination ? » « *C'est ce qu'il aurait fallu faire, à n'importe quel prix,* ajoutait Maurras. *La grande erreur fut là, qui décida de toutes les autres.* La prise à partie de Rome, avec ce « non » dit en face, est ce qui compromit et faussa notre position... Une polémique empoisonnée, empoisonneuse, devait s'ensuivre, et pourtant ce que nous étions accusés de déchirer, ce que nous semblions déchirer nous déchirait nous-mêmes. Le chagrin aiguisé, la colère qu'il enflammait ne servait qu'à nous suggérer en fin de compte des torts réels ou à commettre des injustices véritables dont il est impossible de disconvenir. La querelle en s'envenimant, envenimait nos maux... Le spectacle emportait notre rage ; celle-ci multipliait nos erreurs sans les excuser. Non pas même les expliquer. » (Cité par Henri Massis dans *Maurras et notre temps*, p. 125
[^28]: -- (6). « On ne peut lui reprocher aucune hérésie, ni même aucune faute précise contre le Droit Canon, sauf cette consécration d'évêques décidée pour de graves raisons de foi (...) On tolérait chez les progressistes la négation de la résurrection corporelle du Christ, de son Ascension ou du dogme du péché originel ou des commandements de Dieu, etc. mais on déclarerait anathèmes des prêtres et des évêques qui professent une foi exemplaire et veulent continuer l'Église et sauver les âmes comme l'ont fait tous les saints depuis 19 siècles ! » (Chronique de Judas Maccabée dans *Introïbo* de juillet-août-septembre 1988.) -- « L'excommunication est donc uniquement destinée... à Mgr Lefebvre. Une loi qui n'est faite que pour un seul homme et qui est destinée à satisfaire une vengeance personnelle est nulle de plein droit. Les lois sont au service de la justice et ne doivent pas servir à entériner l'injustice. » (Abbé Sulmont dans son supplément au *Bulletin de Domqueur*, juillet 1988.)
[^29]: -- (7). Jules Ferry parodiait alors en ces termes l'attitude des catholiques : « Quand les libéraux sont au pouvoir, nous leur demandons la liberté parce que c'est leur principe ; mais, quand nous sommes au pouvoir, nous la leur refusons, parce que c'est le nôtre. »
[^30]: -- (1). Dans son numéro du mercredi 22 juin, page 7.
[^31]: -- (2). Max Thurian : « Le dogme de l'Assomption », *Verbum Caro* vol. V. n° 17-20 p. 11.
[^32]: -- (3). Sur cette question, et la controverse qui a suivi, on se reportera au tome II des *Éditoriaux et* *chroniques* de Jean Madiran, pages 248 à 251. \[It. 143, p. 182\]