# 336-09-89
1:336
### Avertissement
*Les premières pages et le chapitre premier de ce numéro spécial sont entièrement nouveaux, ainsi que les appendices III et V ; le chapitre dernier l'est en grande partie.*
*Pour le reste, ce recueil réunit l'ensemble des études sur la crise de l'Église parues dans ITINÉRAIRES au cours de l'année climatérique qui va de l'été 1988 à l'été 1989.*
\*\*\*
Il fallait ce recueil -- en y ajoutant comme on dit quelques points sur les *i* -- pour retrouver dans sa nette clarté ce que de mauvaises querelles ont artificiellement obscurci.
Voici donc, d'abord, réimprimée telle qu'elle a été et qu'elle demeuré, c'est le chapitre II, la position d'ITINÉRAIRES énoncée dès le premier numéro paru après le 30 juin 1988, précisément sous le titre : « La position d'ITINÉRAIRES ». C'est bien cette position qui a été tenue, expliquée, développée tout au long de l'année scolaire 1988-1989 (chapitres III, IV, V et VI).
2:336
Ceux qui n'en ont connu que les approximations, inexactitudes et invectives fabriquées par Marc Dem et ses émules en marcdémeries pourront constater ainsi à quel point ils ont été trompés au sujet de mes « ralliements » supposés, de mes « hésitations » imaginaires et de mes « variations » présumées, sans parler de mes ambiguïtés ou obscurités prétendues.
A moins de ne pas savoir lire (accident beaucoup plus répandu qu'on ne croit), on le verra en effet dans les pages qui suivent : j'ai été, je demeure en accord militant avec tout l'essentiel de ce que Mgr Lefebvre a dit et fait avant juin 1988, selon l'exposé qu'il en a donné lui-même dans son livre récapitulatif : *Lettre aux catholiques perplexes.* Je n'ai ni varié sur ce point, ni hésité à aucun moment à le dire clairement.
Je n'ai été convaincu par aucun des arguments énoncés en faveur des sacres du 30 juin 1988. Je ne le suis toujours point. Je l'ai déclaré et je le déclare sans hésitation ni variation, sans réticence ni ambiguïté.
Je n'ai cependant formulé aucun reproche, aucune critique, aucune attaque à l'encontre de Mgr Lefebvre, contrairement à ce que veulent faire croire plusieurs de ses partisans ; aucune critique, aucun reproche, aucune attaque à l'encontre des sacres. Sans hésitation ni variation, j'ai dit pourquoi je me suis abstenu principalement par considération filiale pour la personne de Mgr Lefebvre ; subsidiairement parce que se prononcer sur le statut et l'avenir de la Fraternité Saint-Pie X n'est pas dans les responsabilités intellectuelles de la revue ITINÉRAIRES.
3:336
Précisons : ma considération filiale pour la personne de Mgr Lefebvre est ici le respect d'un cas de conscience terrible qui est d'abord le sien et seulement le sien. J'ai sans doute été le seul à envisager publiquement l'affaire sous cet angle, mais je l'ai dit tout de suite, on le retrouvera à sa place dans « La position d'ITINÉRAIRES », aux pages 48 à 52 du chapitre II, je le redis maintenant, un an après, dans le même esprit et dans les mêmes termes. Le cas de conscience devant lequel s'est trouvé Mgr Lefebvre en 1988 est celui-là même que nous connaissons tous plus ou moins (quoique généralement dans des circonstances ne comportant pas d'aussi lourdes ou d'aussi vastes conséquences) : chaque fois qu'il s'agit de discerner si une parole, une démarche, un acte relèvent de notre responsabilité, ou s'il faut en abandonner le soin à la Providence (et à ceux qui éventuellement en sont chargés). Il y a des cas où il serait malhonnête, disait Péguy, de demander la victoire à Dieu dans la prière, mais sans combattre. Mgr Lefebvre a je suppose, finalement pensé qu'il ne serait peut-être pas tout à fait honnête de sa part de demander un évêque à Dieu dans la prière sans user lui-même de son pouvoir de consacrer. Mais ce n'est pas évident. Il avait d'abord estimé le contraire. Il l'avait abondamment dit, notamment dans sa *Lettre aux catholiques perplexes,* parue en 1985. En 1988 il a changé d'avis. En 1985 comme en 1988, il s'est déterminé selon ses responsabilités de fondateur de la Fraternité sacerdotale, il a tranché un cas de conscience qui lui appartient en propre. Cette considération précise, jointe au respect filialement affectueux que j'ai ardemment porté à sa personne depuis les années soixante-dix, a commandé mon attitude : j'ai réservé l'expression de mon jugement sur les sacres de 1988. J'ai énoncé cette attitude et ses raisons dès le début, sans hésitation sur le moment, sans variation par la suite, sans équivoque ni obscurité. Bien entendu, si la situation issue des sacres ne trouvait pas une solution convenable, si au contraire elle s'indurait ou s'envenimait davantage, à la longue une telle réserve risquerait de n'être finalement plus possible pour personne.
4:336
A Mgr Lefebvre, au cours de cette année climatérique, j'ai seulement, en tout respect, soumis une question (lettre du 26 août 1988) et adressé une plainte (lettre du 7 juillet 1989). Je n'ai ni hésité ni varié sur cette plainte ou sur cette question, qui l'une et l'autre sont fort claires. Ma question et ma plainte lui demeurent adressées. L'une et l'autre lettre sont à l'appendice II.
Il serait saugrenu, s'il n'était surtout absurdement cynique, d'aller répandre avec une douleur souvent feinte ou une indignation trop souvent factice, que je me serais « séparé » de Mgr Lefebvre par une « volte-face » inattendue. Je suis toujours en plein accord avec ce que Mgr Lefebvre énonçait dans sa *Lettre aux catholiques perplexes,* édition de 1985, réédition identique de juin 1988. C'est lui et non moi qui s'en est séparé sur un point. Il assurait dans ce livre qu'il ne sacrerait pas d'évêque, il disait pourquoi, il m'avait convaincu, je le suis toujours, c'est lui qui ne l'est plus. Je ne lui reproche pas d'avoir changé ; je ne prétends nullement que changer d'avis soit forcément un signe d'erreur. Je dis seulement que c'est lui qui a changé sur le point qui nous sépare aujourd'hui ; c'est lui qui s'est séparé de ce qui était sa position ; la volte-face qu'on me reproche n'est pas de moi.
Les mauvaises querelles que l'on m'a cherchées depuis un an, je le dis ici une bonne fois, ne sont pas fondées, et même sont indignes. Il me fallait bien désigner ces querelles, montrer leur fausseté, pour détromper le lecteur et lui demander de les écarter elles nous détournent des réflexions utiles, des vrais débats, des travaux nécessaires.
5:336
Les tâches d'une revue comme ITINÉRAIRES sont celles de notre « Déclaration d'identité » reproduite à la fin de ce numéro, c'est l'appendice VI. Et quant aux fomentateurs de fausses querelles, ils peuvent être assurés que nous continuerons à contrecarrer la fracture artificiellement créée en 1988 : cette fracture qui, à propos des sacres, veut séparer les uns des autres des catholiques ayant le même Credo, le même catéchisme, la même messe, les mêmes sacrements.
-- Ils y arriveront quand même, ils y arrivent déjà ?
-- Ils y arriveront autant qu'ils le pourront. Mais, autant que nous le pouvons, nous freinerons, nous limiterons et, si Dieu veut, nous ferons reculer ce délire fratricide.
\*\*\*
Aujourd'hui en France, à Rome, en Europe, on ne peut regarder, ressentir et subir la crise de l'Église sans apercevoir ou entendre du même coup Mgr Lefebvre et sa Fraternité sacerdotale. On ne peut parler du cas de cette Fraternité dans sa plus grande particularité sans parler de la crise de l'Église dans sa plus grande généralité ; et inversement. Traiter de la Fraternité Saint-Pie X à part, comme s'il n'y avait pas la crise de l'Église (ou comme si elle n'était qu'accidentelle, superficielle, limitée), a été un artifice ou un aveuglement, générateur d'injustice. Considérer la crise de l'Église en occultant ou en ignorant la réalité sacerdotale fondée par Mgr Lefebvre, c'est courir à la légère le risque de négliger des grâces, des lumières, des leçons qui nous ont été données.
6:336
On peut le craindre sans prétendre anticiper sur le jugement de Dieu : la crise de l'Église laisse, à ce qu'il paraît, beaucoup de morts spirituelles sur le bord de la route.
C'est bien cette crise de l'Église, la manière de la vivre, d'y respirer et d'y survivre que dans tout ce numéro d'ITINÉRAIRES nous regardons : mais obligatoirement le regard rencontre et traverse la Fraternité Saint-Pie X.
Jean Madiran.
7:336
## *Quand il y a une éclipse tout le monde est à l'ombre.*
> (*Péguy*)
9:336
### Prologue
*S'il s'agit d'une voiture, d'une montre, d'une calculatrice, d'une fusée, je désire naturellement la plus moderne.*
*Mais si l'on parle de l'esprit et non plus des machines, alors la* modernité *se distingue du christianisme et s'oppose à lui en ce qu'elle rejette toute idée d'une loi morale, naturelle ou surnaturelle, qui serait certaine, objective, obligatoire, universelle, immuable, et qui à ce titre s'imposerait à l'adhésion des consciences.*
*La modernité, dans le domaine spirituel, consiste à imaginer qu'un homme est adulte et libre seulement quand il n'accepte aucune autorité, aucune direction, humaine ou divine, qui lui serait supérieure ; sa propre conscience doit déterminer elle-même ce qui est bien et ce qui est mal.*
10:336
*On peut toutefois demeurer chrétien ; plus ou moins ; nominalement. Le chrétien moderne est celui qui, au lieu de conformer sa conscience au christianisme, reçoit et réforme le christianisme selon sa propre conscience.*
*Ayant ainsi défini la modernité, le moderne, le modernisme au sens non pas technologique mais spirituel, on peut alors pleinement comprendre l'avertissement de Péguy :*
« *Dans le monde moderne tout est moderne, quoi qu'on en ait, et c'est sans doute le plus beau coup du modernisme et du monde moderne que d'avoir en beaucoup de sens, presque en tous les sens, rendu moderne le christianisme même, l'Église et ce qu'il y avait encore de chrétienté. C'est ainsi que, quand il y a une éclipse, tout le monde est à l'ombre.* »
*Quand il y a une éclipse... Péguy l'écrivait au début du siècle. On le voit, l'éclipse ne date pas d'aujourd'hui ; ni du dernier concile.*
*Il faut le savoir : quand il y a une éclipse, tout le monde est à l'ombre.*
11:336
*Même ceux qui ne prennent pas l'ombre pour la lumière.*
*Ils ont raison de n'être pas dupes. Mais ils ne sont pas assurés, dans l'ombre, de bien discerner le chemin.*
13:336
Chapitre premier
### Labor solis
15:336
LA PROPHÉTIE de saint Malachie n'est pas une prophétie reconnue ; elle n'est pas reconnue non plus comme étant de saint Malachie ; et la devise qu'elle assigne au pontificat de Jean-Paul II : *de labore solis* est généralement jugée énigmatique dans ses traductions supposées littérales. Mais *labor solis,* chez Virgile, c'est une éclipse du soleil. Nous vivons bien en un temps d'obscurcissement.
L'éclipse toutefois ne commence pas en 1978 avec l'accession du cardinal Wojtyla au souverain pontificat, encore qu'avec lui s'en soit ouvert un chapitre particulier. L'éclipse du catholicisme ne commence pas non plus avec le concile de 1962-1965, ou avec la mort de Pie XII en 1958 : mais chacune de ces dates marque l'entrée de l'éclipse dans une nouvelle phase.
16:336
Au nombre des causes de l'éclipse il faut compter celles qui sont proprement temporelles, ce sont les deux guerres mondiales du XX^e^ siècle. La première fit disparaître le dernier grand État catholique, l'empire d'Autriche-Hongrie, assassiné très consciemment par les vainqueurs de 1918. La défaite, à l'issue de la seconde, de l'Allemagne hitlérienne et païenne ne fut pas davantage une victoire de la chrétienté : il n'y avait plus d'État catholique parmi les grandes puissances victorieuses qui allaient à Yalta, à Potsdam et par la fondation de l'ONU fixer les traits dominants du monde dans lequel nous vivons. La victoire de 1945 a été une victoire conjointe du protestantisme anglo-saxon et du marxisme-léninisme : tous deux n'avaient et n'ont en commun, dans une communauté qui d'ailleurs n'est pas de tout repos, que l'idéologie anti-dogmatique du judaïsme moderne, tournée essentiellement contre les dogmes chrétiens ; disons : l'idéologie des droits de l'homme et les idéologies qui en dérivent ou qui s'y rattachent.
17:336
Les idéologies et les dynasties dominant le monde issu de la victoire de 1945 sont donc beaucoup plus marquées ou influencées par le judaïsme que par le catholicisme. Assurément, ces idéologies et ces dynasties trouvent l'origine de leur carrière historique, du XVI^e^ au XIX^e^ siècle, dans la Renaissance, la Réforme, la Révolution. L'histoire moderne du monde civilisé est celle d'une progressive sortie puis d'un continuel éloignement de la chrétienté (c'est-à-dire du christianisme réellement vécu et institutionnalisé). Pourtant l'Église, de plus en plus dominée, de plus en plus éclipsée, n'est généralement pas persécutée à proprement parler, comme elle l'a été sous Néron ou comme elle l'est dans les États marxistes-léninistes. Dans le monde de la modernité occidentale, l'Église est devenue suffisamment docile pour qu'une répression physique ne soit plus nécessaire : suffisamment docile à la domination temporelle qu'on lui fait subir, à l'effacement temporel qu'on lui impose. Cette docilité, pour l'essentiel, n'est pas venue d'une défaillance du caractère mais d'une contamination de l'intelligence. L'idéologie et la phraséologie des droits de l'homme avaient pénétré le clergé. Du moment que le Panthéon moderne n'était plus celui des divinités païennes, ayant chacune un nom et, une fonction, rivales du vrai Dieu, mais celui de dieux abstraits et supposés inoffensifs, la Liberté, l'Égalité, la Souveraineté du Peuple, l'Église acceptait d'entrer plus ou moins subrepticement dans ce Panthéon-là.
18:336
Au siècle dernier déjà, la plus grande partie de l'épiscopat français boudait ou rejetait le Syllabus du pape Pie IX, répertoire des idées modernes incompatibles avec l'Évangile.
Quelques évêques déjà isolés, comme le grand cardinal Pie, ne capitulaient pas. Et surtout le Saint-Siège. L'Église était envahie, l'épiscopat de plus en plus gangrené (comme saint Pie X le disait, métaphoriquement mais clairement, dans son dernier discours public de 1914), le donjon romain résistait, toujours libre, toujours fidèle. Il n'était point écouté des autorités civiles et religieuses à travers le monde, mais il n'était pas submergé. Il continuait à énoncer clairement le vrai et le faux, le bien et le mal, le juste et l'injuste ; avec plus ou moins de bonheur ou d'éclat, selon le génie, les vertus, les limites, les faiblesses de chaque pontife. Mais la fonction, même hésitante, même cahotante, même vacillante, était remplie : à Rome, il n'y avait pas d'éclipse.
19:336
C'est à partir de la mort de Pie XII en 1958 que l'éclipse a plongé Rome elle-même dans la pénombre. Jusque là, il pouvait arriver que le Saint-Siège ne s'opposât que trop mollement ou trop tardivement aux erreurs tolérées ou répandues dans l'Église par des épiscopats intellectuellement à la dérive. Mais enfin il s'opposait. A partir de 1958, la voie est libre. Le concile ne va pas inventer, il va officialiser, il va institutionnaliser pratiquement, « pastoralement », des tendances et des croyances issues de la religion nouvelle, la religion des droits de l'homme. Jean XXIII le premier avait dans *Pacem in terris* (1963) fait une référence élogieuse à la Déclaration des droits proclamée par l'ONU en 1948. Jean-Paul II a suivi cet exemple, et au-delà. Et le concile a « déclaré » comme un droit une liberté religieuse conçue dans le même contexte intellectuel. C'était aller très sûrement dans le sens du courant général.
La religion nouvelle des droits de l'homme, à mesure qu'elle était de moins en moins contredite par un christianisme militant, devenait de plus en plus la référence morale indiscutée, commune à toutes les grandeurs d'établissement dans le monde entier. Elle ne supprimait pas les religions et idéologies antérieures, et c'est pourquoi je parle d'un Panthéon moderne, elle réussissait à les imprégner, à coloniser leur langage, à influencer leur comportement.
20:336
La sorte d'unité du monde connu, toujours imparfaite, et trébuchante, mais profondément réelle, que l'Église avait établie au Moyen Age, la religion nouvelle, ardemment animée par le judaïsme contemporain, est en train de l'établir à son tour, à sa manière, aujourd'hui. Le malheur, c'est qu'une religion qui n'est pas vraie est une religion de mort.
\*\*\*
Je connais bien l'objection qui vient ici nous tancer : les droits de l'homme sont d'origine chrétienne, l'Église qui s'en empare ne fait que reprendre ce qui lui appartient, Jean-Paul II a raison.
Certes, Jean-Paul II a raison, certes, l'objection est valable, mais sa portée demeure limitée.
Jean-Paul II a raison quand il observe « *On entend beaucoup parler aujourd'hui des droits de l'homme. Mais on ne parle pas des droits de Dieu.* » « *Droits de l'homme et droits de Dieu sont étroitement liés. Là où Dieu et sa loi ne sont pas respectés, l'homme non plus ne peut faire prévaloir ses droits.* » (3 mai 1978, à Munich.)
21:336
Jean-Paul II reprend ainsi, en effet, ce qui est son bien, ce qui est le bien de l'Église, ce qui est notre bien. Je serais moins réticent si le juste reproche qu'il énonce : *parler beaucoup des droits de l'homme sans parler des droits de Dieu,* ne s'appliquait d'abord à l'Église dans son ensemble et au pape lui-même : depuis plus de vingt ans leur discours officiel, on peut le constater sur pièces, on peut se reporter aux textes, a « beaucoup parlé des droits de l'homme » en omettant souvent de « parler des droits de Dieu » ; et en faisant élogieusement référence aux Déclarations des droits : comme si elles ne déclaraient que de vrais droits.
Parlons alors des vrais droits ? J'y viens. Auparavant je voudrais mentionner, je voudrais saluer une autre pastorale, une autre pédagogie, qui ne parle pas des droits que l'on a mais qui insiste toujours au contraire sur les droits *que l'on n'a pas :*
-- « Tu ne tueras point ; tu ne mentiras point ; tu ne voleras pas ; tu ne commettras pas d'adultère... »
22:336
C'est la pédagogie du Décalogue ; c'est la pédagogie de Dieu. C'est aussi la pédagogie traditionnelle des familles : « Tu n'as pas le droit de... » On ne me convaincra point qu'il n'est pas téméraire, et impie, de l'oublier ou de la sous-estimer.
\*\*\*
Sous la réserve qui précède, l'Église pouvait cependant, par condescendance pour les mentalités, militer elle aussi pour les droits de l'homme, les vrais, plutôt que de se borner à condamner les faux ou à mettre en garde contre l'hypertrophie revendicative provoquée par une prédication unilatérale des droits qui omet les devoirs.
Mais si l'on voulait militer utilement pour les « droits » de l'homme, il fallait écouter Pie XII :
« La loi naturelle ! voilà le fondement sur lequel repose la doctrine sociale de l'Église. C'est précisément sa conception chrétienne du monde qui a inspiré et soutenu l'Église dans l'édification de cette doctrine sur un tel fondement. Qu'elle combatte pour conquérir ou défendre sa propre liberté, c'est encore pour la vraie liberté, pour les droits primordiaux de l'homme qu'elle le fait. A ses yeux, ces droits essentiels sont tellement inviolables que, contre eux, aucune raison d'État, aucun prétexte de bien commun ne saurait prévaloir.
23:336
Ils sont protégés par une barrière infranchissable. En deçà, le bien commun peut légiférer à sa guise. Au-delà, non, il ne peut toucher à ces droits, car ils sont ce qu'il y a de plus précieux dans le bien commun. » (Allocution en français du 25 septembre 1949.)
Une lecture trop superficielle fera sans doute dire à plus d'un :
-- Vous voyez bien ! Pie XII lui aussi, Pie XII déjà était pleinement engagé dans une pastorale et une pédagogie militant pour les droits de l'homme définis comme inviolables et proclamés ce qu'il y a de plus précieux...
Une lecture plus attentive, une meilleure connaissance de l'enseignement de Pie XII protesteront à juste titre que les droits de l'homme dont il parle ne sont point ceux des Déclarations de 1789 ou de 1948, auxquels il ne fait jamais référence.
Dans le contexte général de l'enseignement de Pie XII comme dans le passage cité, et comme d'ailleurs dans toute la tradition de la philosophie naturelle, le droit est fondé sur la loi qui est fondée sur le bien commun.
24:336
Ainsi les droits de l'homme ne résultent pas d'un décret souverain de la conscience collective, fût-elle démocratique. Les droits naturels sont fondés sur la loi naturelle qui est le Décalogue, accessible non sans peine ni risque d'erreur à la raison humaine, mais d'autre part révélé par Dieu sur le Sinaï et enseigné par l'Église de Jésus-Christ qui est venu non point l'abolir mais l'accomplir.
Autrement dit, pour la philosophie chrétienne les droits sont dans la dépendance et en vue du bien commun, qui est lui-même constitué par une hiérarchie de biens subordonnés au souverain bien.
A force de ne plus entendre parler ni du « bien commun » ni du « souverain bien », on trouvera peut-être étrange que je nomme ici le *souverain bien commun :* qui est assurément Dieu lui-même ; qui finalise toute la hiérarchie des biens communs dont chacun, à son niveau et dans sa sphère, détermine sa loi et ses droits : le bien commun du genre humain ; le bien commun national ; le bien commun d'une famille, d'une cité, d'une province, d'un métier chacun est divin, à sa place et dans son ordre, selon une participation plus ou moins grande, plus ou moins directe au souverain bien.
25:336
Le bien commun naturel du genre humain est le Décalogue, qui avant même d'être révélé par le Créateur fut inscrit par Lui dans le cœur de sa créature ; mais qui, obscurci par les passions, les ignorances et toutes les autres conséquences du péché originel, n'est pas facilement ni complètement reconnu par la conscience individuelle : il lui faut être transmis et enseigné de génération en génération, et défendu contre les interprétations et applications aberrantes. Il *s'incarne* d'ailleurs dans tout un réseau de traditions et coutumes nationales, provinciales, familiales, corporatives, qui lui donnent une saveur concrète, une couleur, une tendresse sensible et comme un visage, mais qui elles-mêmes lui sont d'une fidélité vacillante, voire évanescente, et ont plus ou moins souvent besoin d'être rectifiées, d'une main pieuse toutefois.
Pie XII peut, dans ce contexte doctrinal, dans cette perspective d'ensemble, enseigner que les droits de l'homme sont ce qu'il y a de plus précieux dans le bien commun, car le bien commun naturel du genre humain est précisément la loi naturelle ou Décalogue, fondement, mesure et fin des droits ; c'est-à-dire en définitive Dieu lui-même, le Dieu de la raison naturelle, qui ne fait qu'un avec sa volonté à la fois créatrice et législatrice se révélant par ses Dix Commandements.
26:336
Le souverain bien commun est donc, dans l'ordre naturel, le Dieu du Décalogue ; dans l'ordre surnaturel, la Sainte Trinité qui se révèle à nous dans le Christ-Roi.
Pascal, s'il a vraiment écrit : le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob *et non pas* le Dieu des philosophes, a tort dans la mesure où il suggérerait l'impression ou semblerait donner le conseil d'une disqualification de celui-ci au profit de celui-là. Il n'y en a qu'un. L'ordre naturel et l'ordre surnaturel ne sont pas adéquatement distincts l'un de l'autre. L'ordre surnaturel *est* l'ordre naturel restauré, accompli et surélevé par la grâce.
C'est pourquoi il n'y a ni opposition ni alternative entre la doctrine sociale de l'Église fondée sur la loi naturelle et la doctrine sociale de l'Église fondée sur le Christ-Roi.
Pie XII peut parfaitement dire, comme il l'a souvent dit : « *La loi naturelle est le fondement de la doctrine sociale catholique.* » Elle est « *le* » fondement. Point c'est tout. Point à la ligne.
Mais non pas point final.
La doctrine sociale du Christ-Roi ne vient pas abolir, elle vient accomplir la doctrine sociale de la loi naturelle.
27:336
Je tiens là depuis trois ou quatre pages un propos qui risque d'être incompréhensible pour les générations actuelles de prêtres et de fidèles, et plus encore pour les générations actuelles d'infidèles, d'apostats et de défroqués. Mais c'est le langage de la tradition philosophique et religieuse de l'humanité.
Ce fut le langage du Saint-Siège depuis l'origine jusqu'à la mort de Pie XII. L'Église de la seconde moitié du XX^e^ siècle s'est détournée de sa propre tradition philosophique et théologique, elle n'a pas écouté Pie XII, elle n'a pas compris son enseignement, elle n'a pas reçu la lumière des vrais droits de l'homme, ordonnés au souverain bien.
\*\*\*
Parmi les droits de l'homme, il est médiatiquement facile de se faire le champion de la liberté religieuse. On ne rencontrera point d'opposants qui ne se désignent eux-mêmes, par leur opposition, comme des partisans du despotisme religieux. L'adversaire de la liberté est forcément un sectateur du despotisme.
28:336
Il y a là un puissant obstacle psychologique que les critiques de la déclaration conciliaire *Dignitatis humanae* ne semblent pas avoir réussi à renverser ou à contourner.
Le principe traditionnel de la liberté religieuse s'énonçait : *que nul ne soit contraint, que nul ne soit empêché.* Mais il ne s'entendait pas : que nul ne soit contraint, que nul ne soit empêché *en matière religieuse.* Il s'entendait : que nul ne soit contraint, que nul ne soit empêché de *professer et pratiquer la religion catholique.*
Et d'autre part, il s'entendait de l'homme adulte.
Depuis que « les hommes *naissent* et demeurent libres et égaux en droits », l'enfance n'existe plus. De fait, elle n'existe plus dans la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, et c'est cela qui dès le premier jour m'a fasciné dans cette déclaration. Je ne crois pas avoir eu l'occasion d'en parler, le débat à son propos s'est déroulé sans moi, il a été, il est philosophique, théologique, quasiment dogmatique, et il est sans doute normal qu'il le soit, après tout. Mais pour ma part je voudrais, à cette déclaration pastorale et pédagogique, faire une objection pédagogique et pastorale, provoquée par la fascination qu'elle n'a pas cessé d'exercer sur moi.
29:336
Ma fascination horrifiée tient à cette disparition de l'enfance et de l'éducation des enfants. C'était pourtant le souci permanent, le souci primordial de l'Église à toutes les époques et à travers la diversité de ses pastorales et de ses pédagogies selon les temps et les lieux. La déclaration conciliaire traite des conditions dans lesquelles on recherche la vérité religieuse. Elle en traite comme si la plupart des hommes étaient des convertis, étaient des baptisés de l'âge adulte : ce qui est un cas très respectable et même très merveilleux, mais enfin très exceptionnel. Forcément : la plupart des baptisés de l'âge adulte fondent une famille chrétienne où les enfants seront baptisés à leur naissance. L'immense majorité des chrétiens le sont devenus sans l'avoir demandé ni recherché. Ils le sont restés d'abord parce qu'ils ont bénéficié d'une éducation non pas indifférente ni permissive, mais contraignante. On devient chrétien et on est conduit à la pratique des vertus chrétiennes d'abord par la contrainte familiale. C'est la voie normale. Dans aucun domaine d'ailleurs on ne naît libre : on le devient par un apprentissage d'abord contraignant.
30:336
Enseignez au contraire la « liberté religieuse » aux enfants, *ni contrainte ni empêchement,* et vous les entendrez bientôt :
-- Papa, maman, aujourd'hui dimanche je n'irai pas à la messe avec vous. Un camarade de classe m'a invité à la mosquée. Ne m'empêchez pas. Ne me contraignez pas.
L'obligation de la messe est une obligation morale et non pas physique, c'est entendu. Pour devenir une obligation morale librement considérée et consentie, il lui a bien fallu commencer par être une obligation physique. Ce n'est pas un abus. C'est l'ordre naturel.
Un des fils Salleron, adolescent déjà, cherchait à esquiver l'obligation dominicale :
-- Es-tu allé à la messe ? lui demandait son père.
Il n'était pas allé.
-- Ta conscience c'est ton affaire. Mais moi je te dis : tant que tu n'y seras pas allé, tu n'auras rien à manger.
C'est ainsi, c'est d'abord comme cela que ce Dominique devint le religieux que nous avons connu, épanoui dans une admirable liberté chrétienne, exemplaire en piété, en doctrine, en ferveur, en surnaturelle amitié.
31:336
La déclaration conciliaire sur la liberté religieuse semble avoir été rédigée -- et depuis lors favorablement commentée -- par des bureaucrates intellectuels s'inspirant de la religion des droits de l'homme. Ces droits laïques, on l'a dit, ne peuvent concerner qu'un homme qui serait né enfant trouvé et mourrait célibataire. Je dirais plus précisément qu'ils ne peuvent concerner que cet homme irréel qui serait né *adulte trouvé,* libre sans l'apprentissage de la liberté, instruit sans les contraintes de l'éducation.
Quand il y a une éclipse dans la maternité de l'Église à l'égard des enfants, il n'y a plus de catéchisme, il y a la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse. L'éclipse s'aggrave.
Les familles chrétiennes ne sont pas obligées pour autant de jeter au feu les catéchismes catholiques ni d'afficher à l'intérieur du foyer une déclaration de liberté proclamant : -- Ici ni empêchement ni contrainte.
33:336
Chapitre II
La position d' « Itinéraires »
\[Voir It. 325, pp. 13-35\]
63:336
Chapitre III
Pages de journal
\[Voir It. 325, pp. 105-136\]
107:336
Chapitre IV
Duo dubia
\[Voir It. 330, pp. 20-31\]
125:336
Chapitre V
La formation des prêtres
\[Voir It. 332, pp. 3-12\]
139:336
Chapitre VI
Réponses
\[Voir It. 332, pp. 13-22\]
\[Voir aussi « Sur le seuil » It. 335, pp. 1-4\]
155:336
Chapitre VII
### Sur le seuil Été 89
157:336
LA Fraternité sacerdotale fondée par Mgr Lefebvre n'en est plus à la déclaration du 21 novembre 1974 sur les deux Romes. Elle en est arrivée au seuil d'autre chose, qui n'y était ni énoncé ni impliqué, ou qui alors y était bien caché. Mgr Lefebvre a déclaré à Marc Dem, qui le rapporte dans *Le Choc* de juin 1989
« *Jean Madiran qui, cette fois, n'a pas été capable de faire le bon choix, dit qu'il veut rester dans l'Église visible. Mais nous sommes l'Église visible !* »
Puis, dans le bulletin de l'association Credo, que préside le même Marc Dem, Mgr Lefebvre a réitéré, en la développant, cette nouvelle profession de foi :
158:336
« *Jean Madiran nous critique et dit que nous ne faisons pas partie de l'Église visible. Mais au contraire, c'est nous qui sommes l'Église, un rameau de l'Église, puissant, et aujourd'hui nous manifestons la visibilité de l'Église. Qu'est-ce que la visibilité de l'Église : l'unité, la catholicité, l'apostolicité, la sainteté* (*..*)*. Où les trouve-t-on chez eux ? C'est nous qui avons les caractères de l'Église visible, ce sont les autres qui n'en font plus partie.* »
Je veux en effet, Dieu aidant, rester dans l'Église visible. Je n'ai point dit qu'Écône n'en faisait pas partie. J'ai au contraire explicitement réclamé qu'Écône n'en soit pas exclu. Je souhaite, je demande que Mgr Lefebvre et sa Fraternité Saint-Pie X soient visiblement reconnus (ou s'il y a lieu visiblement ramenés) *dans* l'Église visible.
Mais être *dans* l'Église visible est une chose, *être* l'Église visible en est une autre. Autrement dit, il y a une grande différence entre « faire partie de » l'Église visible et « être » soi-même l'Église visible. Dire
*C'est nous qui sommes l'Église visible* est une expression inquiétante qui aurait besoin d'être expliquée et interprétée. Mais quand à l'affirmation on ajoute aussitôt la négation complémentaire : -- *Ce sont les autres qui n'en font plus partie,* l'explication n'est plus nécessaire, l'interprétation est donnée.
159:336
Il y a « nous », il y a « les autres », et rien d'autre, aucune situation intermédiaire ; il y a « nous » qui « sommes » l'Église visible, et « les autres » qui « n'en font plus partie ».
Les paroles ont pu dépasser l'intention. Mais elles ont été reçues dans le public telles qu'elles sont, avec tout ce qu'elles impliquent. Et la portée de ce qu'elles impliquent est bien au-delà d'une simple discussion canonico-théologique sur les sacres du 30 juin 1988.
Si « nous » sommes l'Église visible et si « les autres » n'en font plus partie, cela implique qu'Écône soit l'Église visible et que Rome ne le soit plus.
Si Écône et non Rome était désormais l'Église visible, Écône seul et non plus Rome aurait désormais le pouvoir de prononcer des définitions et des condamnations infaillibles.
Et cette Église visible, cette seule et unique Église visible, aurait évidemment le devoir de ne pas rester sans pape, mais de s'en donner un.
Je ne vois pas comment on pourrait nier que les choses n'aient atteint, ici et maintenant, un seuil redoutable.
Quand il y a une éclipse...
Été 1989.
161:336
Appendice I
### Trois lettres au souverain pontife
Ces trois lettres successives -- 1970, 1972, 1988 -- expriment toute notre réclamation fondamentale. Les deux premières ont fait l'objet, de la part de leur destinataire, d'un accusé de réception.
#### Lettre à Paul VI
TRÈS SAINT PÈRE,
Par un acte en date du 16 décembre 1969, la Congrégation romaine du culte divin, au nom du Saint-Siège et de Votre Sainteté, a « confirmé » le nouveau Lectionnaire français, contenant entre autres la nouvelle version française de l'épître aux Philippiens, II, 6, imposée comme désormais obligatoire, et obligatoirement proclamée à la messe du dimanche des Rameaux.
162:336
Cette nouvelle version est une falsification qui saute aux yeux ; blasphématoire et sacrilège ; effaçant la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et la niant explicitement.
La divinité du Sauveur, dans la version liturgiquement obligatoire de l'Écriture, peut-on en dire :
-- *De minimis non curat praetor ?*
Nous sommes en présence d'un acte d'autorité manifestement criminel.
Ce n'est pas le premier. Depuis bientôt deux ans, la France vit sous le régime de la falsification de l'Écriture sainte, imposée à tous les catéchistes et à tous les catéchismes.
La plainte et la réclamation incessante des fidèles ont été ignorées du Saint-Siège et n'ont pas eu accès au cœur du Saint-Père.
Le système de la falsification, toujours impuni, toujours imposé, par un nouveau progrès s'introduit maintenant dans la « liturgie de la parole ». Il revient donc aux simples fidèles, selon une tradition catholique solidement attestée, de faire physiquement obstacle dans les églises à la proclamation du blasphème et du sacrilège ;
Il leur revient aussi de prendre acte du fait qu'une seule falsification de l'Écriture, niant la divinité de Notre-Seigneur, suffît à frapper d'une suspicion légitime et nécessaire l'ouvrage entier du Lectionnaire français, et tous les détenteurs de l'autorité ecclésiastique qui l'ont garanti, confirmé et imposé.
Librement prosterné devant le trône de Pierre, j'exprime à Votre Sainteté mon filial attachement à la Primauté du Pontife romain irréformablement définie par la sainte Église.
163:336
#### Lettre à Paul VI
*27 octobre 1972*
Très Saint Père,
Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe.
Nous en sommes de plus en plus privés par une bureaucratie collégiale, despotique et impie qui prétend à tort ou à raison, mais qui prétend sans être démentie s'imposer au nom de Vatican II et de Paul VI.
Rendez-nous la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le Missel romain de saint Pie V. Vous laissez dire que vous l'auriez interdite. Mais aucun pontife ne pourrait, sans abus de pouvoir, frapper d'interdiction le rite millénaire de l'Église catholique, canonisé par le concile de Trente. L'obéissance à Dieu et à l'Église serait de résister à un tel abus de pouvoir, s'il s'était effectivement produit, et non pas de le subir en silence. Très Saint Père, que ce soit par vous ou sans vous que nous ayons été, chaque jour davantage sous votre pontificat, privés de la messe traditionnelle, il n'importe. L'important est que vous, qui pouvez nous la rendre, nous la rendiez. Nous vous la réclamons.
164:336
Rendez-nous le catéchisme romain : celui qui, selon la pratique millénaire de l'Église, canonisée dans le catéchisme du concile de Trente, enseigne les trois connaissances nécessaires au salut (et la doctrine des sacrements sans lesquels ces trois connaissances resteraient ordinairement inefficaces). Les nouveaux catéchismes officiels n'enseignent plus les trois connaissances nécessaires au salut ; prêtres et évêques en viennent, comme on le constate en les interrogeant, à ne même plus savoir quelles sont donc ces trois-là. Très Saint Père, que ce soit par vous ou sans vous que nous ayons été, chaque jour davantage sous votre pontificat, privés de l'enseignement ecclésiastique des trois connaissances nécessaires au salut, il n'importe. L'important est que vous, qui pouvez nous rendre le catéchisme romain, nous le rendiez. Nous vous le réclamons.
Rendez-nous l'Écriture sainte : maintenant falsifiée par les versions obligatoires que prétendent en imposer le nouveau catéchisme et la nouvelle liturgie. En 1970, j'ai écrit à Votre Sainteté au sujet du blasphème introduit dans l'épître des Rameaux (blasphème « approuvé » par l'épiscopat français et « confirmé » par le Saint-Siège) : il a été maintenu, substantiellement identique, dans nos livres liturgiques, et simplement déclaré facultatif ! Faut-il citer encore, parmi cent autres, l'effronterie libertine qui fait liturgiquement proclamer, en l'attribuant à saint Paul, que pour vivre saintement, il faut prendre femme ? Très Saint Père, c'est sous votre pontificat que les altérations de l'Écriture se sont multipliées au point qu'il n'y a plus en fait, aujourd'hui, pour les livres sacrés, de garantie certaine. Rendez-nous l'Écriture, intacte et authentique. Nous vous la réclamons.
165:336
L'Église militante est présentement comme un pays soumis à une occupation étrangère : on fait mine de tout accepter, mais le cœur n'y est pas, oh non ! C'est le conditionnement psychologique et c'est la contrainte sociologique qui font marcher les gens. Un parti que vous avez bien connu quand il faisait l'innocent et cachait ses desseins, un parti que le succès a révélé cruel et tyrannique, domine diaboliquement l'administration ecclésiastique. Ce parti actuellement dominant est celui de la soumission au monde moderne, de la collaboration avec le communisme, de l'apostasie immanente. Il tient presque tous les postes de commandement et il règne, sur les lâches, par l'intimidation, sur les faibles, par la persécution.
Très Saint Père, confirmez dans leur foi et dans leur bon droit les prêtres et les laïcs qui, malgré l'occupation étrangère de l'Église par le parti de l'apostasie, gardent fidèlement l'Écriture sainte, le catéchisme romain, la messe catholique.
Et puis, surtout, laissez venir jusqu'à vous la détresse spirituelle des petits enfants.
Les enfants chrétiens ne sont plus éduqués, mais avilis par les méthodes, les pratiques, les idéologies qui prévalent le plus souvent, désormais, dans la société ecclésiastique.
166:336
Les innovations qui s'y imposent en se réclamant à tort ou à raison du dernier concile et du pape actuel, -- et qui consistent, en résumé, à sans cesse retarder et diminuer l'instruction des vérités révélées, à sans cesse avancer et augmenter la révélation de la sexualité et de ses sortilèges, -- font lever dans le monde entier une génération d'apostats et de sauvages, chaque jour mieux préparés à demain s'entretuer aveuglément.
Rendez-leur, Très Saint Père, rendez-leur la messe catholique, le catéchisme romain, la version et l'interprétation traditionnelles de l'Écriture.
Si vous ne les leur rendez pas en ce monde, ils vous les réclameront dans l'éternité.
Daigne Votre Sainteté agréer, avec ma très vive réclamation, l'hommage de mon filial attachement à la succession apostolique et à la primauté du Siège romain, et pour votre personne, l'expression de ma profonde compassion.
#### Lettre à Jean-Paul II
*1^er^ août 1988*
Très Saint Père,
Je réitère auprès de votre suprême autorité ma réclamation à votre prédécesseur :
167:336
-- *Rendez-nous l'Écriture, le catéchisme et la messe.*
Aux motifs toujours aussi impérieux présentés en 1972 au pape Paul VI, j'ajoute les considérations que voici.
La plupart des chrétiens, tout au long de leur vie, n'ont au mieux que trois livres de religion : le missel, le catéchisme et la Bible. Ces trois livres ont été ravagés : la Bible par une multitude de variantes et d'interprétations arbitraires, en toute liberté de nuire ; le catéchisme et le missel par l'interdiction qui les frappe. Le peuple chrétien a perdu ses points fixes.
L'interdiction de tous les catéchismes catholiques préexistants a provoqué une suspicion légitime à l'encontre des pensées qui ont inspiré et des personnes qui ont exécuté une proscription aussi insolite, aussi tyrannique, aussi générale.
La messe traditionnelle, celle de votre ordination, vous ne la célébrez jamais, pas même une fois l'an pour la fête de saint Pie V le 5 mai. Comment ne pas en conclure que vous ne l'aimez plus ? que vous ne l'aimiez pas ?
Nous n'avons pas cessé de l'aimer. Nous la réclamons. Personne, pas même le souverain pontife, n'avait le droit de nous en priver. Cette persécution qui s'obstine depuis dix-huit ans restera sans doute dans l'histoire de l'Église comme la plus grande honte du Siège romain.
Cela fait donc une vingtaine d'années que l'Église, spécialement en France, vit sous le régime de l'interdiction des deux monuments de la tradition catholique qui sont directement à la portée du peuple chrétien : le missel et le catéchisme de nos anciens et de nos pères dans la foi.
168:336
A leur place, depuis vingt ans, on nous impose les nouveautés issues de Vatican II comme si elles étaient infaillibles, mais sans jamais oser -- ou pouvoir -- faire de cette obligation un précepte infailliblement énoncé.
Le concile Vatican II n'a défini aucun article de foi qui viendrait s'ajouter ou se substituer à ceux qui ont été antérieurement définis. Et cependant, en maintes occasions, Votre Sainteté elle-même présente les décrets conciliaires comme s'ils avaient été écrits sous l'inspiration de l'Esprit Saint, au même titre ou quasiment que la Sainte Écriture. Nos évêques, par suite, font de l'adhésion inconditionnelle à la totalité de Vatican II un critère de foi catholique aussi nécessaire voire plus opportun que l'adhésion au Credo.
Devant ces désordres majeurs le pontife romain, qui voyage beaucoup à travers le monde depuis Paul VI, demeure moralement immobile depuis vingt ans, insensible aux demandes, aux supplications, aux clameurs, aux souffrances quand elles ne se manifestent pas du bon côté. Aucune réponse qualifiée n'est faite non plus aux questions et aux objections. Seulement l'argument d'autorité, en omettant les explications et réfutations dont l'Église jusqu'ici l'accompagnait toujours. Face à nos réclamations motivées concernant l'interdiction des catéchismes, la mise hors la loi de la liturgie traditionnelle, le saccage scientiste de l'Écriture, ces vingt années d'immobilisme ont été aussi vingt années de mutisme.
169:336
Très Saint Père, *n'est-ce pas trop ?*
Je le demande au Vicaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en toute fidélité à la succession apostolique et à la primauté du Siège romain.
171:336
Appendice II
### Deux lettres à Mgr Marcel Lefebvre
#### Lettre du 26 août 88
Monseigneur,
Assurément, aujourd'hui comme hier, votre Déclaration du 21 novembre 1974 sur les deux Romes est la charte de l'Église militante.
Quand nous l'avons défendue hier contre les incompréhensions, nous n'avons cependant point, ni vous ni moi, rejeté avec mépris, colère ou anathème ceux qui hésitaient à en approuver tous les termes. Aujourd'hui au contraire se déchaîne une violence verbale sans limite et se développent des démarches sans honnêteté pour réputer et traiter comme traîtres, vendus, lâches et suppôts de Satan ceux qui hésitent à réclamer ostensiblement, à l'imitation des 24 supérieurs de la Fraternité, « la marque d'honneur » de l'excommunication.
172:336
Une sorte de guerre civile inexpiable s'installe ainsi entre fidèles du même Credo, de la même messe, du même catéchisme. Je me demande si le moment n'est pas venu pour qu'une parole publique de Votre Excellence vienne apaiser les esprits et rappeler au respect de la mesure qui convient dans les controverses portant, entre fidèles de la même foi, sur des questions librement discutées.
Ceux qui, comme moi, adhèrent à votre Déclaration du 21 novembre 1974 en toutes ses parties, se demandent si par inadvertance ou passion n'en aurait pas été implicitement retranchée la directive qui affirmait :
« ...*Sans aucune rébellion, aucune amertume, aucun ressentiment, nous poursuivons notre œuvre déformation sacerdotale...* »
Sous le triple rapport du ressentiment, de l'amertume, de la rébellion, je crains de voir apparaître un effrayant changement d'attitude.
Mais bien sûr la question qui commande les autres est la suivante :
-- Est-il désormais établi que l'on ne peut faire son salut dans l'Église visible : la société des fidèles sous l'autorité du pape ? Faut-il obligatoirement en sortir pour ne pas perdre son âme ?
Ces questions, je ne sais s'il vous paraîtrait convenable que je vous les pose. Mais je crois devoir ne pas vous laisser ignorer que je me les pose avec un vif sentiment d'urgence.
Daigne Votre Excellence agréer l'hommage de ma toujours filiale affection,
173:336
*Post hoc* et non pas, je l'espère, *propter hoc,* le numéro de novembre-décembre de la revue *Fideliter* énonçait l'affirmation péremptoire que Dom Gérard se serait doctrinalement « perdu », lançait l'appel meurtrier à « se séparer de Dom Gérard pour garder la Foi » ; il contenait en outre l'annonce funambulesque que les trente moniales et les soixante moines du Barroux seraient tous « complètement désemparés » ; l'approbation explicite du brigandage de Nova Friburgo ; et l'invitation aux membres du Centre Charlier et de Chrétienté-Solidarité à « ne pas suivre leurs dirigeants ».
#### Lettre du 7 juillet 1989
Monseigneur,
Dans vos déclarations me concernant, rapportées par des publications de Marc Dem (« Choc », « Credo »), on lit :
Madiran dit : « Vous n'êtes pas pour l'infaillibilité. »
Il nous critique et dit que nous ne faisons pas partie de l'Église visible.
Jean Madiran nous accuse aussi d'ironiser avec l'infaillibilité.
Ces propos que vous m'attribuez, vous n'avez pas pu les lire ou les entendre vous-même, car je ne les ai ni dits ni écrits. Et je ne vous accuse ni de cela ni d'autre chose : je ne vous ai accusé de rien.
174:336
Il faut donc qu'on vous ait fait de faux rapports. Ou que vos déclarations aient été mal rapportées.
Il se trouve d'autre part, certes, qu'aucun argument produit en faveur de vos sacres du 30 juin 1988 n'a emporté ma conviction. Mais je ne les ai pour autant ni critiqués ni mis en accusation ; j'ai explicitement réservé mon jugement. Cette réserve ne justifie pas que depuis un an vous me fassiez ou me laissiez attaquer par vos partisans d'une manière qui n'est digne ni de vous, ni de moi, ni de ce qui est en cause.
Daigne Votre Excellence agréer l'expression de mes souvenirs filialement respectueux.
175:336
Appendice III
### L'enracinement de nos fidélités
Le bulletin *Credo,* organe de l'association du même nom que préside Marc Dem, avait au printemps 1989 posé à Mgr Lefebvre la question :
-- *N'avez-vous pas été surpris par la position de Jean Madiran qui vous avait toujours soutenu depuis des années ?*
Réponse de Mgr Lefebvre :
-- *Oui, c'est vrai. Et pourtant je lui ai bien écrit. Je lui ai demandé de faire un bon choix comme il l'avait toujours fait. Cette fois-ci, il s'est attaché au Barroux et à Bernard Antony.*
Concernant l'affirmation publique ainsi formulée, selon laquelle « cette fois-ci », c'est-à-dire en 1988-1989, je me serais « attaché au Barroux et à Bernard Antony », il me faut tout de même rappeler à l'intention du lecteur qui d'aventure l'ignorerait :
-- que je connais Dom Gérard et que je lui suis affectueusement « attaché » depuis plus de quarante ans ;
-- que Maslacq, les Charlier, et même la revue ITINÉRAIRES (fondée en 1956) sont fort antérieurs à Écône ;
176:336
-- qu'il y eut aussi, qu'il y a Le Mesnil-Saint-Loup, le Père Emmanuel, et d'abord saint Benoît, sa règle, son Ordre et ses monastères, que nous avons connus, Dom Gérard et moi, par les Charlier ;
-- et je précise, puisqu'on m'y provoque et qu'il le faut : quels que soient mon « attachement » et mon amitié pour Dom Gérard, ce n'est pas pour sa personne que je milite. A la différence de ce que plusieurs sont en train de faire imprudemment avec Mgr Lefebvre, s'appliquant à fabriquer un lefebvrisme et à développer un mouvement des lefebvristes, je ne cherche pas à constituer un gérardisme, une doctrine gérardiste, un mouvement gérardien. Mon univers intellectuel ne prend pas en Dom Gérard sa source et sa fin, à la différence de ceux qui voudraient nous imposer de les trouver chez Mgr Lefebvre sans trop savoir apparemment ce qu'ils disent là et ce qu'ils font. Nous militons l'un et l'autre, Dom Gérard éminemment, moi comme je peux, pour répandre non pas un esprit qui serait gérardien, mais un esprit qui est bénédictin ; en disciples de saint Benoît, fondateur et patron de l'Europe chrétienne. Et si les Charlier se trouvent nommés et invoqués à ce propos, c'est parce que leur itinéraire du monde moderne à la foi chrétienne a été un itinéraire bénédictin ; comme le fut en son temps l'itinéraire de l'ordre païen en ruines à l'ordre chrétien en gestation ; et ce sont les Charlier qui nous lancèrent l'un et l'autre, Dom Gérard et moi, dans cette voie. Je ne puis le dire qu'avec accablement, en raison de mes insuffisances, mais je n'ai pas le droit de le taire : cette voie n'est pas moins que celle de l'imitation de Jésus-Christ ; l'imitation de Jésus-Christ selon la règle, la leçon, l'esprit et les secours de notre père saint Benoît.
177:336
Toujours à l'intention du lecteur qui d'aventure l'ignorerait, je rappelle en outre :
-- que Bernard Antony est lui aussi « attaché » à l'amitié de Dom Gérard depuis bien avant Écône ;
-- qu'en fondant un Centre « Charlier », Bernard Antony faisait clairement un choix auquel il est resté fidèle ;
-- que ces fidélités fondamentales qui sont les nôtres ne devraient être une surprise pour personne, elles ont toujours (notamment dans ITINÉRAIRES depuis trente-trois ans) été désignées comme telles et appelées par leur nom.
179:336
Appendice IV
### Deux lettres à Marc Dem
*La première de ces deux lettres est adressée à Marc Dem en sa qualité de président de l'association* « *Credo* »* ; la seconde en sa qualité de directeur du bulletin* « *Iota unum* »*.*
#### Lettre du 12 mai 1989
Monsieur le Président,
Vous assurez ne donner « aucun caractère péjoratif » à la qualification de « rallié » que vous m'attribuez.
Reste pourtant son caractère trompeur.
Où avez-vous vu un ralliement de ma part, à qui, à quoi ?
Vous prétendez en outre « attendre » que je vous « rejoigne dans le combat anti-moderniste ». Je ne vois pas quand j'aurais quitté ce combat.
180:336
Et, chronologiquement, c'est vous qui avez eu à m'y rejoindre, et non l'inverse.
Ainsi, votre vocabulaire « n'ayant aucun caractère péjoratif » a un caractère manifestement calomnieux.
Tout en déclarant doucereusement que je ne serai « jamais pour vous un adversaire, encore moins un ennemi », votre calomnie n'en culmine pas moins dans l'audace de m'incriminer d' « excès de confiance dans l'Église conciliaire », alors que je ne cesse de prôner à son égard, explicitement et arguments à l'appui, la méfiance et la suspicion légitime.
Recevez donc, monsieur le Président, ma catégorique protestation contre la sournoiserie de vos procédés.
#### Lettre du 16 août 1989
Monsieur le Directeur,
Votre IOTA UNUM numéro 19 du 12 août m'accuse d'avoir, dans le VOLTIGEUR du 15 juillet, omis de reproduire, dans une citation de Mgr Lefebvre, les mots :
« *Mais au contraire, c'est nous qui sommes l'Église, un rameau de l'Église.* »
181:336
Or ces mots ont bien été cités dans le VOLTIGEUR du 15 juillet, page 4. Je vous en adresse ci-joint un exemplaire, où je les ai soulignés en rouge, pour suppléer à votre inattention. Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, la précision avec laquelle je proteste une fois de plus contre vos procédés.
183:336
Appendice V
### Le signe de la secte
A LA SUITE de la déclaration de Dom Gérard dans PRÉSENT du 18 août 1988, l'abbé Schmidberger, supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X, me demanda de faire paraître un texte de lui qui en mentionnait et contestait sept passages.
Le septième, cité lui aussi comme ayant été publié par PRÉSENT, faisait dire à Dom Gérard :
« *Nous proposons un pacte d'alliance à tous ceux qui combattent pour la tradition...* »
Or cette phrase ne figurait pas du tout dans le texte paru. La réplique de l'abbé Schmidberger contenait donc ce qu'objectivement on pouvait appeler un faux : tout au moins une fausse citation ; ou une fausse référence.
Je fis part aussitôt de cette difficulté à l'abbé lui-même : lui seul, l'auteur, pouvait la résoudre, soit en modifiant ou supprimant cette partie de son texte, soit de toute autre manière.
L'abbé Schmidberger ne me fit aucune réponse, m'immobilisant ainsi dans l'expectative et l'incertitude.
184:336
Mais je commençai immédiatement à recevoir des lettres de lecteurs me reprochant d'avoir refusé de publier la réplique de l'abbé Schmidberger à Dom Gérard.
Il me faut bien le constater : c'était l'abbé Schmidberger lui-même, ou son entourage immédiat, qui seuls pouvaient répandre un tel bruit.
J'écrivis à nouveau à l'abbé, m'inquiétant de savoir s'il avait reçu ma première communication. Cette fois il me répondit. C'était le 17 septembre, un mois après. Il avait bien reçu mes lettres. Il me disait tranquillement :
« *Je regrette que vous n'ayez pas fait paraître nos remarques au sujet de la déclaration du R.P. Dom Gérard, en expliquant que le texte que nous annotions ne correspondait pas tout à fait au texte paru dans le journal PRÉSENT. De fait nous avons rédigé nos remarques à partir du texte original du Révérend Père, dont le dernier passage a été assez heureusement modifié dans votre journal* ([^1])*. Il aurait été facile de s'arranger pour satisfaire en bonne et due forme aux exigences de ce qui est juste.* »
Il aurait été facile de s'arranger... ! Mais l'abbé Schmidberger n'avait rien fait pour cela. Et je ne pouvais rien faire sans son accord.
185:336
Il s'est comporté là comme si, bien plus que de voir sa réplique publiée dans PRÉSENT, il préférait trouver une possibilité de me mettre en accusation.
Ne répondant rien à ma première démarche auprès de lui, pendant un mois il allait activement répandre -- notamment par le réseau des prieurés et des messes du dimanche -- son texte... accompagné de l'accusation portée contre mon refus supposé.
Le 15 septembre, Mgr Tissier de Mallerais cautionnait de sa jeune autorité épiscopale cette accusation, il écrivait dans la circulaire no 50 de la Fraternité :
« *Le journal PRÉSENT du 18 août a publié une déclaration de Dom Gérard à laquelle nous avons répondu par des remarques que M. Madiran a refusé de publier.* »
Par lettre du 6 octobre 1988, j'instruisis Mgr Tissier de Mallerais de son erreur.
Il me répondit fort civilement, le 10 octobre, qu'il ferait un « rectificatif ».
J'ignore s'il l'a fait.
En tout cas, je reçois encore aujourd'hui, un an après, des lettres me disant que je suis une canaille, et que ma canaillerie est bien prouvée, puisque j'ai « refusé » de publier la réplique de l'abbé Schmidberger à Dom Gérard. Il faut croire que le « rectificatif » épiscopal est resté plus confidentiel que l'accusation.
186:336
Bien que cet épisode soit en lui-même assez mince, je le retiens pour ce qu'il a de significatif. Il comporte une double leçon.
La première est que, par la persistance ou le renouvellement de l'accusation dans une partie du public se trouve finalement vérifié le grave avertissement de Charles Maurras : « *Une erreur et un mensonge qu'on ne prend point la peine de démasquer acquièrent peu à peu l'autorité du vrai.* » J'avais bien répondu à deux ou trois lettres indignées. Publiquement, je n'avais rien démenti. C'est ainsi que de braves gens croiront dur comme fer jusqu'à leur mort que l'abbé Schmidberger et Mgr Tissier de Mallerais ont dit la vérité en m'accusant de leur avoir opposé un refus.
La seconde leçon est que l'attitude de l'abbé Schmidberger était annonciatrice et déjà parfaitement représentative de ce qu'allait être le comportement de la Fraternité : rechercher des prétextes d'accusations majeures contre ses plus proches amis dès qu'ils ne manifestaient plus une docilité complète, plutôt que d'examiner comment « il aurait été facile de s'arranger ».
Et c'est ainsi que l'on a vu des partisans de Mgr Lefebvre, tout au long de cette année climatérique, attaquer plus méchamment leurs amis que leurs adversaires, plus violemment leurs frères que leurs cousins.
\*\*\*
Cela ne fut pourtant point le premier mouvement de l'abbé Aulagnier, supérieur pour la France de la Fraternité Saint-Pie X.
187:336
Il aurait pu ne pas être pleinement satisfait du long article par lequel, dans PRÉSENT du 15 juin 1988, je définissais quelle serait la position du journal dans la crise qui, avec les sacres annoncés pour le 30 juin, allait probablement s'ouvrir. Je rappelais que PRÉSENT est un journal formellement catholique et matériellement politique, et que sa fonction est essentiellement « le commentaire quotidien de la chose politique » : il ne prendrait donc point position « sur les questions proprement religieuses soulevées par la situation actuelle ou future de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X dans l'Église catholique ». En ce qui me concerne personnellement, pour le dire d'une manière rapide et sommaire, je traite de politique dans PRÉSENT et de religion dans ITINÉRAIRES : bien entendu la distinction n'est pas séparation, mais pour l'essentiel c'est bien ainsi que s'opère la division du travail.
L'abbé Aulagnier aurait pu se plaindre, demander davantage que l'accord simplement *politique* manifesté à Mgr Lefebvre par cet article du 15 juin.
Tout au contraire, il m'écrivit le jour même sa « reconnaissance pour cet article », « vraiment merci », me disait-il, avec toutes sortes de compliments, et il ajoutait : « Me donnez-vous l'autorisation de publier votre article dans un dossier que nous préparons sur cette affaire ? » L'autorisation lui fut donnée, bien sûr. Mais, que je sache, il n'en a point usé. C'est une autre tendance, de combat plutôt que d'amitié, qui a très vite prévalu dans les organes dirigeants de la Fraternité.
188:336
Et puisque PRÉSENT, tout en restant amical, restait indépendant, et aujourd'hui et demain pas plus qu'hier ne consentant une soumission inconditionnelle à qui que ce soit, alors il fallait disqualifier PRÉSENT, boycotter PRÉSENT, abattre PRÉSENT : qui n'est pas à 100 % avec nous doit être dénoncé comme un ennemi.
-- Mais, dira-t-on, cette indépendance de PRÉSENT n'était pourtant point un *fait nouveau.* Elle avait été proclamée en toutes circonstances et même claironnée sans provoquer jusqu'alors d'aigreurs ni de représailles. La vivacité catégorique de l'article-programme du 12 juillet 1985, par exemple, tonnant et tonitruant que PRÉSENT n'est l'organe ni de Mgr Lefebvre ni de Jean-Marie Le Pen, ni du pape ni du cardinal, et qu'il n'est « le journal de personne », de personne d'autre que de lui-même, avait été bien accueillie ; admise ; acceptée. Alors ?
-- Alors, le *fait nouveau* est venu de la Fraternité. Jusqu'en juin 1988 (jusqu'au 11 juin), elle n'examinait point si ses amis, voisins et cousins l'approuvaient sur *tous* les points. Ou au moins elle n'en disait rien (exception faite d'une encyclique préparée dans le district de France contre Bernard Antony, mais que Mgr Lefebvre avait heureusement stoppée). A partir de juin 1988, il a fallu approuver les sacres et militer explicitement en leur faveur pour n'être pas répudié comme un traître.
189:336
On pouvait bien, dès lors, continuer à professer toutes les idées, toutes les réclamations et tous les refus exprimés par Mgr Lefebvre dans sa *Lettre aux catholiques perplexes* de 1985, on n'en était pas moins accusé de ralliement à l'Église conciliaire, au libéralisme, au modernisme, au progressisme, à l'apostasie ! Ainsi apparaissait le signe d'une évolution typiquement sectaire. Simple constatation pratique de psychologie sociale ; mais constatation très solide au niveau qui est le sien. Je dois dire que cette constatation, qui a été non pas démentie mais confirmée tout au long de l'année climatérique, a fait sur moi une profonde impression. Je n'avais jamais vu cela auparavant chez les prêtres de la Fraternité. Plus exactement, je ne l'avais vu que chez quelques-uns des dissidents sédevacantistes qui s'étaient mis, dès leur dissidence, à attaquer leurs anciens confrères et amis (et nous-même) plus violemment, plus constamment, avec plus d'acharnement qu'ils n'attaquaient l'adversaire. Ce signe esquissé de la secte, je le vois depuis un an maintenant dans ce « mouvement » qui s'est imprudemment constitué en tant que tel comme un mouvement « lefebvriste ». Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cette évolution sectaire est, je le crains, le premier fruit constatable, le premier fruit spécifique des sacres du 30 juin 1988.
\*\*\*
Tous les prieurés n'ont pas (pas encore ?) été entraînés dans une telle évolution. On m'en signale et j'en connais où les militants du Centre Charlier, les fidèles du Barroux, les amis déclarés d'ITINÉRAIRES ne sont pas considérés comme des pécheurs publics.
190:336
Mais il y en a beaucoup trop d'autres qui abusent de leur situation jusque dans leurs sermons à la messe dominicale ; qui profitent du fait qu'en diverses régions les fidèles n'ont d'autre lieu de culte traditionnel ni d'autre catéchisme pour leurs enfants que celui des prieurés de la Fraternité : les pressions s'y exercent, les calomnies y circulant avec une constance qu'au bout d'une année on ne peut plus supposer accidentelle.
Le bulletin paroissial de Saint-Nicolas du Chardonnet dirigé par l'abbé Philippe Laguérie *Le Chardonnet,* s'y est tristement distingué. Quasiment chacun de ses numéros, tout au long de l'année qui va de l'été 1988 à l'été 1989, contient des attaques contre les coupables du crime de ne pas militer en faveur des sacres. «* Nul ne peut nier à présent qu'ils étaient nécessaires *» ; « *ceux qui n'en virent pas l'à propos a priori* » doivent « *en comprendre la grâce a posteriori* »*.* La nécessité, l'à propos et la grâce des sacres du 30 juin 1988 sont ainsi devenus plus qu'une opinion, plus qu'une thèse : un article de foi, ou d'évidence, qu'en tout cas « *nul ne peut nier* »*.* C'est sans doute ce qui, dans l'esprit de l'abbé Laguérie, autorise les quolibets misérables et les injures grossières qu'il imprime à l'adresse de Dom Gérard, désigné par le sobriquet de « Dom Caviar seigneur du Bourrax » et traité de Judas, pas moins, ayant « trahi » pour « trente deniers ». Quand des prêtres se situent à un tel niveau de bassesse et donnent un tel ton à leurs controverses supposées théologiques ou canoniques, on imagine sans peine jusqu'où peuvent descendre dans l'ordure certains de leurs fidèles, reproduisant et amplifiant l'exemple qui leur est donné par leurs pasteurs.
191:336
Si le *Chardonnet* a été le plus constant dans le genre, il est loin d'avoir été le seul. Tandis qu'il accusait Dom Gérard et Bernard Antony de constituer « la cinquième colonne », d'autres publications de la Fraternité désignaient Le Barroux comme un « monastère de trahison » dont le supérieur est un « déserteur » qui « suit le flot de la Révolution et de l'impiété » ; formulaient le vœu explicite, en septembre 1988, « que sortent au plus vite les moines fidèles qui ne sont plus tenus par l'obéissance, puisque le père prieur a lâchement trahi ». L'inspiration, il est vrai, venait hiérarchiquement de haut. La récente autorité épiscopale de Mgr Tissier de Mallerais s'était employée à certifier dès le mois d'août 1988 que Le Barroux était un monastère « déshonoré », coupable de « trahison ». Selon l'organe lefebvriste *Controverses,* publié en Suisse, le même évêque condamne Dom Gérard pour le crime de « *passage à l'ennemi* »*.*
Plus reposant, plus affable, l'abbé du Chalard est bien connu pour ne point se laisser entraîner à de telles frénésies ; on ne lui connaît pas cette sorte d'invectives forcenées. Courtois et bienveillant, agréable en ses propos habituellement mesurés, il n'en est pas moins venu en septembre 1988 à publier dans son *Si si no no* que Mgr Lefebvre a été « *l'unique voix autorisée qui se soit fait entendre à l'heure de l'autodémolition généralisée de l'Église* »*.*
192:336
Une exagération aussi énorme, quand elle se transforme en propagande, fournit un puissant aliment à la passion sectaire.
\*\*\*
Après ces invectives et calomnies dont je viens de donner quelques exemples (et qui continuent), on demandera peut-être
-- Face à un tel débordement, quelle place faire au pardon des injures ?
Je réponds :
-- Toute la place qui lui est due. Mais qu'on veuille bien éviter d'en parler à tort et à travers.
Il ne nous appartient pas de pardonner les injures faites à d'autres qu'à nous-mêmes.
Il serait d'autre part bien insolent d'aller distribuer des pardons à des gens qui n'en demandent point.
Ce qui dépend de nous, c'est de ne pas chercher à tirer nous-mêmes vengeance des injures personnellement reçues. Je ne vois pas que personne l'ait tenté, ni au Barroux, ni au Centre Charlier, ni à PRÉSENT, ni à ITINÉRAIRES. Seulement il faut bien ajouter que l'excès dans la réaction sectaire n'est pas simplement verbal. Consigne a été donnée, et même imprimée : -- *Plus un sou aux organisations et publications qui n'approuvent pas les sacres.* Non pas spécifiquement à celles qui attaqueraient les sacres. Mais plus un sou à celles qui ne se prononcent pas, plus un sou à celles qui réservent leur jugement ; plus un sou à celles qui, fût-ce en continuant d'adhérer à tout ce que Mgr Lefebvre énonce dans sa *Lettre aux catholiques perplexes,* ne s'alignent pas inconditionnellement sur l'évolution actuelle de la Fraternité Saint-Pie X.
193:336
Si cette consigne de boycott avait été suivie par l'ensemble du public, la construction de l'église abbatiale du Barroux n'aurait pu être terminée, l'Atelier de la Sainte-Espérance serait tombé dans le dénuement, le quotidien PRÉSENT aurait cessé d'exister. Du moins cette consigne a été suffisamment suivie pour que finalement, aujourd'hui, la revue ITINÉRAIRES soit menacée dans son existence. Beau travail, réjouissez-vous, beau travail de destruction contre ceux qui justement sont vos plus proches voisins ; et les plus fraternels, quoique sans réciprocité. De cette fureur aveugle les dirigeants de la Fraternité Saint-Pie X ne sont pas encore réveillés.
\*\*\*
Il est vrai que leur évolution sectaire est l'effet d'une logique interne. Ils sont pris dans une sorte d'engrenage.
On l'aperçoit si l'on se reporte à la revendication fondamentale. Au milieu de toutes les expériences autodestructrices tolérées ou encouragées par l'autorité ecclésiastique, la revendication était simple :
-- *Laissez-nous faire notre expérience à nous. Laissez-nous faire l'expérience de la tradition.*
En 1988, les dirigeants de la Fraternité ont estimé qu'il n'était décidément plus *possible* de « faire l'expérience de la tradition » sans se placer en marge de la hiérarchie actuelle de l'Église rupture accomplie, rupture manifestée par des sacres épiscopaux effectués en passant outre à l'interdiction expressément notifiée par le souverain pontife.
194:336
L'impossibilité de rester, sans cela, fidèle à la tradition catholique est le cas de nécessité qui a été invoqué.
Cet argument est la base indispensable de toute justification des sacres. L'argumentation en leur faveur a son architecture propre, qui repose indispensablement sur la nécessité. Or voici un monastère, voici des prêtres qui poursuivent l' « expérience de la tradition » sans rompre avec la hiérarchie ecclésiastique : la nécessité alléguée, l'impossibilité invoquée n'existent donc pas ? En ce cas, les sacres se trouvent privés de leur seule justification possible, de leur seule justification existante, celle qu'énonçaient leurs auteurs. Aux yeux de ces auteurs eux-mêmes, les sacres apparaîtraient alors comme une démarche téméraire.
C'est pourquoi les dirigeants de la Fraternité Saint-Pie X ont immédiatement contesté la possibilité pour Le Barroux ou pour la Fraternité Saint-Pierre de demeurer fidèles à la tradition ; c'est pourquoi ils ont prophétisé ou pronostiqué leur capitulation prochaine entre les mains des progressistes ; et c'est pourquoi, sans attendre que leur prophétie ou leur pronostic soit réalisé, ils ont assuré que la capitulation était déjà accomplie. S'il en était autrement, ils ne pourraient plus se croire justifiés.
195:336
C'est une chose de se reconnaître soumis à une hiérarchie ecclésiastique d'institution divine, et de la contester ou de lui désobéir strictement dans chaque cas particulier où elle abuse de son pouvoir par un commandement illicite ou illégitime. Et c'est une autre chose, une tout autre chose, bien différente, de s'en séparer, de se placer hors sa loi, de la déclarer entièrement disqualifiée ; déchue en somme, destituée.
Dans la première de ces deux situations, on peut rejeter toute obéissance qui serait indue, on peut avoir des conflits avec l'autorité, on peut lui refuser ce qu'elle exige à tort, c'est au demeurant la situation conflictuelle mais non séparée qui était celle de la Fraternité Saint-Pie X jusqu'en 1988. Pour être justifiée de s'être placée en dehors, la Fraternité a indispensablement besoin qu'il soit réputé tout à fait impossible de rester dedans ceux qui restent néanmoins doivent être considérés comme des imposteurs, des traîtres, des « judas ».
Il sera bien difficile maintenant à la Fraternité de se dégager d'un tel engrenage.
C'est pourtant ce que j'espère encore ; c'est ce que de tout cœur je n'ai pas cessé de lui souhaiter. Sous le signe de la croix.
197:336
Appendice VI
Déclaration d'identité de la revue « Itinéraires »
\[Voir It. 300.\]
============== fin du numéro 336.
[^1]: -- (1). Je ne sais ce que l'abbé Schmidberger entendait exactement par « texte original ». J'avais publié dans PRÉSENT du 18 août 1988 le texte que Dom Gérard voulait publier. Cette publication fut sur le moment la seule publication : c'est donc bien elle qui constituait le texte authentique. Par la suite il y eut une version définitive, et définitivement officielle, celle qui -- toujours par la volonté de Dom Gérard -- a été publiée dans ITINÉRAIRES d'octobre 1988. (Voir ci-dessus les « Pages de journal » du chapitre III, à la date du « vendredi 19 août ».) Aucune autre « version », s'il en existe, n'est officielle.