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(Troisième série -- Été 1994, Numéro 5)
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### Un demi-siècle après
UN demi-siècle après le débarquement anglo-américain en Normandie, est-il possible de poser la question : la France ne pouvait-elle donc en 1944 être libérée que par le terrorisme et l'épouvante ? La « Terreur libératrice, analogue à la Terreur rouge » est un mot de La Varende en 1948, dans son livre *Les côtes de Normandie *; une « épouvantable aggravation de dégâts », la qualification est de Maurras en 1949, dans son livre *Pour un jeune Français.* En 1948, en 1949, le doute, l'interrogation, le soupçon, la critique de la version historique officielle pouvaient s'exprimer sans rencontrer cette massive réprobation, médiatiquement fabriquée, qui aujourd'hui les prive moralement du droit de cité ou même les menace d'être judiciairement hors la loi.
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Le débarquement allié en France, ce furent des villes françaises écrasées sous les bombes, comme Caen, Coutances, Le Havre ; ce furent des milliers et des milliers de morts dans la population civile, dont la mémoire est absente du programme des célébrations et festivités annoncées pour juin 1994. « Ces martyrs français sont des martyrs oubliés. Ce sont même des martyrs cachés. On dirait qu'ils gênent. Pourquoi ? » demande François Brigneau : « Si ce massacre était indispensable à la victoire, il ne fallait pas, depuis cinquante ans, le cacher comme s'il était un détail gênant de la Libération... Si ce massacre avait servi, il fallait le glorifier, en être fier, comme d'une page terrible mais nécessaire du courage français... Dans le cas contraire, si ce massacre avait pu être épargné, s'il avait été possible de vaincre sans considérer les villes françaises comme des villes ennemies et les civils français qui les habitaient comme des soldats allemands, il ne fallait pas avoir peur de parler de crimes de guerre. » (*National-Hebdo* du 21 avril 1994.)
#### Le motif politique du débarquement
Concernant la destruction totale de Caen par les bombes anglo-américaines, La Varende a noté : « Effet militaire nul : vaine dévastation et vain massacre, dont riaient eux-mêmes les Allemands déjà loin, retirés dans la campagne. »
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Caen était quasiment vide de soldats comme toutes les cités normandes : les destructions ont frappé des villes désertées par les troupes ennemies, c'est la population civile qui fut massacrée. Sur l'écrasement de Caen, il faut lire les pages oubliées, 108 à 122, des *Côtes de Normandie.* Et les pages 205 à 212 pour Le Havre en septembre ([^1]). La question qui vient à l'esprit, mais aujourd'hui en rasant les murs comme une question interdite, est pourtant peu évitable :
-- Fallait-il vraiment détruire tant de villes françaises et massacrer tant de civils français ?
En somme, dira-t-on, c'est la question d'une guerre sans crimes de guerre.
Non : pas exactement. Certains crimes de guerre sont atrocement efficaces. D'autres, comme ceux-ci, sont militairement inutiles. La considération d'une telle inutilité conduit à pousser plus loin la question :
-- Fallait-il vraiment porter la guerre en France ?
Maurras répond :
« En 1944, le souverain intérêt concret et commun de la France était certes, à coup sûr, la prompte expulsion des Boches occupants et déprédateurs.
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Mais, immédiatement au-dessous de ce bien primordial, il n'était rien de plus souhaitable pour nos villes, nos champs et nos populations que d'échapper à toute nouvelle averse de projectiles guerriers, qu'ils nous fussent amis, alliés ou ennemis... La libération se fût faite tout aussi bien, et mieux, sans cette épouvantable aggravation de dégâts. Certaines considérations pouvaient militer en faveur du débarquement en Normandie. Mais d'autres pouvaient être examinées et adoptées, même sur le plan stratégique. Les puissances maîtresses de la mer qui avaient fait traverser Atlantique et Méditerranée à leurs armadas auraient pu choisir les points d'abordage qui auraient éloigné de notre terre et de notre ciel les avalanches de fer et de feu qui ont été déversées au nord-ouest, à l'ouest, au nord et à l'est de notre pays. Peut-être bien que, malgré le vœu de M. Churchill, il eût suffi que des personnes parlant français fissent valoir notre objection pour la faire étudier et même exaucer. Il ne s'est rien produit de tel. On a vu le contraire. Des Français sont allés offrir le sol de leur terroir et le sang de leurs frères en hécatombes naturelles et en oblations dues. »
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Maurras rappelle que « les routes classiques » d'invasion de l'Allemagne sont celles « du Pô et du Danube », et il invoque « l'analyse du général Juin » pour affirmer « que les courses dévastatrices conduites sur notre sol n'importèrent ni à sa délivrance ni à l'issue de la guerre et qu'elles remplacèrent fâcheusement une marche rapide, sur les traces de Bonaparte, en direction de Vienne et de Berlin par la Vénétie et par le Trentin ». « Les deux passages par la France ont uniquement assuré, avec d'immenses pertes nouvelles, le retour au pouvoir de ceux qui avaient tout perdu, puis l'arrestation, l'incarcération ou la mort de ceux qui avaient pu sauver quelque chose. »
Dans des pages trop oubliées elles aussi ([^2]), dans ces quelques lignes citées, Maurras a résumé des considérations dont on commençait à détourner les Français en 1945-1949, et combien plus encore aujourd'hui, l'histoire officielle de la Seconde Guerre mondiale étant juchée sur un demi-siècle d'esquives et d'impostures injectées dans le conscient et le subconscient de l'opinion publique
1\. -- Il n'y avait aucune nécessité militaire de débarquer le 6 juin 1944 en Normandie et le 15 août en Provence : les Anglo-Américains auraient pu atteindre Berlin avant les Soviétiques à partir de l'Italie et de Salonique.
2\. -- Il y avait en revanche des raisons spécifiquement françaises d'éviter à la France d'être à nouveau un champ de bataille.
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3\. -- Cet intérêt français ne fut défendu par aucune voix française auprès de Churchill et de Roosevelt. Les voix françaises qui se faisaient entendre à Londres et à Washington réclamaient le débarquement en France. Staline l'exigeait de son côté.
4\. -- La raison décisive du double débarquement en Normandie et en Provence fut politique : rétablir sur la France le pouvoir de l'Oligarchie vomie par les Français pour les avoir conduits au désastre de 1940.
#### De Gaulle et l'Oligarchie
De Gaulle n'avait à l'origine aucune complicité avec l'Oligarchie ; il n'avait aucune responsabilité dans le désastre de 1940. Il se retrouvera toutefois dans le même camp, et même à sa tête, en ayant eu besoin d'abord pour combattre la Révolution nationale du maréchal Pétain, ensuite pour supplanter en Afrique du Nord l'amiral Darlan puis le général Giraud. De même, et d'autre part, il aura besoin de la connivence communiste pour tenter d'échapper à la dépendance où veut le tenir Churchill et pour faire face à l'hostilité active que Roosevelt lui manifestera toujours.
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L'atout essentiel du général de Gaulle fut d'avoir dès 1940 une vue plus nette de la situation militaire mondiale que la plupart des autres. Son intuition initiale, que l'avenir vérifiera, c'est :
-- *L'Allemagne a gagné une bataille, elle n'a pas gagné la guerre.*
Mais, soit par mégarde, soit déjà par intention calculatrice, il exprime cette juste prescience d'une manière foncièrement tendancieuse en disant :
-- *La France a perdu une bataille, elle n'a pas perdu la guerre.*
Dans un tel énoncé la défaite totale de 1940 apparaît comme un incident secondaire et provisoire, à passer par profits et pertes, et non plus comme une terrible leçon condamnant le personnel et l'idéologie de l'Oligarchie dominante, responsable d'avoir conduit la France au plus dramatique désastre militaire de toute son histoire. On tourne alors sans la lire la page des responsabilités qui est aussi celle des grandes résolutions réformatrices et salvatrices. L'Oligarchie, désemparée et dispersée, dresse l'oreille ; une perche qu'elle n'attendait pas lui est tendue ; elle va jouer cette carte.
Chemin faisant, l'Oligarchie renouera peu à peu, avec le parti communiste, son alliance de 1936 ; et ce renouveau de Front populaire, cette fois métissé de thèmes patriotiques, sera présidé par Charles de Gaulle qui le baptisera « unité de la Résistance » ;
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puis Comité français de libération nationale (CFLN) ; puis finalement, le 3 juin 1944, Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Ils ont besoin que la reconquête de l'Europe par les Alliés passe par une invasion de la France : sinon, une capitulation allemande obtenue par le Sud risquerait de laisser la France dans une situation plus ou moins analogue à un précédent redoutable, celui de l'Afrique du Nord en novembre-décembre 1942, où l'amiral Darlan était reconnu par les Américains, où les hommes et les principes de la Révolution nationale étaient maintenus, et où De Gaulle était interdit de séjour ([^3]).
Pour que le débarquement ait lieu en France, on lui promet l'appui d'une guérilla locale.
Cette guérilla, Churchill la désirait dès 1940, quand à Briare, le 11 juin, il demandait au gouvernement français lui annonçant les revers de notre armée ([^4]) :
-- Ne pourriez-vous du moins faire aux Allemands une petite guérilla ?
-- Ce serait détruire la France, avaient répondu le maréchal Pétain et le général Weygand.
Quatre ans plus tard, observe Maurras, « il n'y eut personne pour tenir leur langage : ni résistants, ni dissidents, ni émigrés ».
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Il y eut cependant le général Juin. Sa « stratégie, en accord avec celle de Clark, était de pousser au-delà des Alpes, sur Vienne, afin d'y devancer les Rouges tout en prenant la Wehrmacht à revers » ([^5]). Pour cette raison peut-être, il est relevé de son commandement en juin 1944 et remplacé par de Lattre de Tassigny.
Il y avait eu le maréchal Pétain lui-même :
« Il pense que les Alliés devraient porter leur effort vers Berlin, via Salonique, Budapest et Vienne. Car, disait-il, il était important que les Alliés atteignissent la capitale allemande avant les Soviétiques » ([^6]).
Et, dès 1943, il y avait eu Maurras écrivant dans *L'Action française* publiée à Lyon : « Stratégiquement, il n'y a aucune nécessité à ce que l'offensive anglo-américaine passe par la France. Une invasion de la France ne s'impose pas, et l'économie de forces la déconseille du point de vue militaire. Mais il y a la politique !... La guerre en France ! La guerre en France ! »
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En revanche l'amiral Darlan avait souhaité un débarquement américain simultanément en Afrique du Nord et en Provence ([^7]).
L'intention de Roosevelt était de placer le territoire français, au fur et à mesure de sa libération, sous l'autorité des militaires américains de l'AMGOT (Allied Military Government of Occupied Territories). De Gaulle ne l'a évité que d'extrême justesse en juin 1944. La volonté politique qui a fait choisir le double débarquement en France, Maurras en soupçonne visiblement Churchill, mais il apparaît que le vrai responsable en est Roosevelt, qui par là ne cherchait nullement à installer De Gaulle au pouvoir : il entendait être aimable envers Staline et utile à l'Oligarchie.
#### « Épouvanter à jamais »
L'Oligarchie qui gouverne la France, ce ne sont évidemment pas les mêmes personnages en 1900, en 1924, en 1936, en 1958, en 1994 mais ce sont les mêmes familles politiques. Elles se prolongent quelquefois par hérédité physique, mais le plus souvent par cooptation, qu'Auguste Comte appelait une hérédité sociocratique.
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Et par ces mêmes familles politiques, c'est toujours la même République, celle dont le président Mitterrand a très justement proclamé le 24 avril 1994 qu' « *elle est une philosophie* »*.* Maurras l'avait dit avant lui, et démontré. Une philosophie, au plus haut niveau de sa hiérarchie interne, mais qui s'est assuré les services d'une énorme clientèle, réalisant ainsi une alliance intime de clientélisme et de sectarisme. Cette philosophie, cette oligarchie ayant conduit la France au désastre sans précédent de 1940, leur pouvoir s'était évanoui par leur abdication à Vichy. La Libération et l'Épuration, en 1944-1945, ont restauré leur règne :
« Ce règne est plus fort que jamais, écrivait Maurras en 1949. Si l'on veut donner une explication satisfaisante des plus graves événements de la Libération et de l'Épuration, ceux qui nous ont le plus heurtés, les plus contraires à l'instinct de la France, les plus choquants pour la justice, la bonté ou l'honneur, doivent être définis *un mouvement violent et une action directe avec l'appui de l'étranger pour rendre à l'obédience de l'Oligarchie tous les éléments du pays légal de la France.* L'effondrement de ce pays légal en 1940 avait frappé de stupeur les intéressés. Le ralliement de l'unanimité du pays au maréchal Pétain avait déchaîné une véritable panique. On se croyait si forts, si bien posés ! On croyait l'institution si solide ! Et rien n'avait résisté.
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Et tout avait cédé, y compris les quatre-vingt-dix centièmes du pouvoir parlementaire (Chambre et Sénat), les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des pouvoirs administratifs et judiciaires ! Il fallait une leçon... On l'a donnée, la plus rude qu'on a pu. On a ramassé tout ce que l'on a pu, communistes, terroristes compris, avec les tueurs de profession et les brigands et les larrons de droit commun. » ([^8]) Ce fut en 1943-1944-1945 l'appel aux staliniens et à leurs alliés et complices pour que, selon les principes de leur léninisme, ils introduisent leur guerre civile à l'intérieur de la guerre étrangère, qu'ils pratiquent leur terrorisme sous le couvert de la Résistance nationale et que, par attentats et assassinats, ils écrasent la France du Maréchal ([^9]). On a voulu ainsi, dit Maurras, « *épouvanter à jamais* » tout mouvement national en France qui chercherait à libérer le pays du règne de l'Oligarchie. Et aujourd'hui où les pouvoirs politico-médiatiques organisent la même terreur, mais morale, et la même intimidation, mais judiciaire, il est clair que leur prétexte est trompeur quand ils déclarent le faire pour que « ça » ne recommence jamais plus : le « ça » qu'ils redoutent n'est pas celui qu'ils désignent comme la « collaboration avec le nazisme », celui-ci ayant été anéanti depuis un demi-siècle. Le « ça » qu'ils veulent interdire c'est « travail-famille-patrie ».
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D'ailleurs, dans cette République de l'Oligarchie qui « est une philosophie », sondez son Éducation nationale, analysez sa télévision, l'une et l'autre militent sans trêve contre la patrie, contre la famille, contre le travail, assimilés au racisme, assimilés au nazisme : pour ce faire, leur principale arme idéologique est leur version officielle, et falsifiée, de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale.
#### Suites de l' « épouvante »
Charles Maurras estimait en 1949 que le dessein oligarchique d' « épouvanter à jamais quiconque serait tenté de faire », comme le maréchal Pétain, une révolution nationale en France, était « un défi insolent que l'avenir ne pourra s'abstenir de relever », car « de moins en moins les Français pourront ignorer cette servitude » en laquelle l'Oligarchie prétend les tenir, ils en considéreront « les liens » comme « odieux, ridicules, insupportables » ; et finalement « ce composé de dissidents et d'allogènes devra quitter les postes de commandement et prendre le bon parti, le seul qui soit bon pour lui, s'effacer, plier, obéir ».
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Quarante-cinq ans plus tard, cet avenir n'est pas encore venu. A plusieurs égards, c'est plutôt le contraire qui s'est produit. Après la terreur physique des années 1943-1945, c'est une terreur morale qui est devenue de plus en plus pesante. Les crimes envers la patrie reprochés au maréchal Pétain ont reçu depuis les années quatre-vingt l'écrasant renfort de crimes contre l'humanité réputés beaucoup plus graves encore ; la culpabilité de ces crimes est étendue à tous ceux qui sont suspects de vénérer la personne ou d'adhérer à l'inspiration idéologique du Maréchal. De plus, en ce domaine, la simple accusation s'accompagne en fait d'une présomption automatique de culpabilité, au lieu de la théorique présomption d'innocence ; et la répression judiciaire s'exerce d'après une législation rétro-active, difficilement importée en France, mais elle a fini par s'imposer après une longue résistance des hommes politiques, des législateurs et des magistrats qui hésitaient à violer aussi carrément deux articles ([^10]) de la Déclaration des Droits de 1789 ; cette violation leur a néanmoins paru possible au bout du compte, parce qu'eux-mêmes, en réalité, ne croient pas profondément à ces « droits de l'homme », voire s'en moquent tout à fait.
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Selon la pratique ordinaire de la République maçonnique et de sa « philosophie », les *droits de l'homme* sont une rhétorique que l'on utilise *contre* ses adversaires, mais sans se croire tenus par un *devoir* de soi-même les respecter. C'est d'ailleurs pourquoi les marxistes-léninistes sont les plus sonores rhétoriciens des droits de l'homme ; la Constitution Staline de 1936 fut réputée « la plus démocratique du monde » pour le nombre et la nature des droits de l'homme qu'elle proclamait à l'encontre de la religion et du capitalisme, sans en faire bénéficier les citoyens soviétiques. Si le léninisme, sous sa forme stalinienne ou sous sa forme trotskiste, est aujourd'hui la vulgate dominante dans la presse, à la télévision et dans les structures dirigeantes de l'Éducation nationale, c'est en raison des grandes commodités répressives que ses formules fournissent au règne de l'Oligarchie.
Ainsi, les « précautions » prises par l'Oligarchie pour assurer son règne, cela aussi Maurras l'avait annoncé, sont « serrées comme des chaînes » ([^11]). Il n'avait pas vu le réseau serré des chaînes de télévision ; il savait ce que peuvent être, en République maçonnique, les chaînes de la servitude. Elles immobilisent la France, pour l'empêcher de réagir à sa disparition programmée, sa disparition en tant que nation dans le Nouvel Ordre Mondial.
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Maurras avait discerné le cheminement de cette entreprise meurtrière ; il avait prévu à quel terme elle tend ; il avait prédit qu'elle ne l'emporterait pas. Au moment où elle est au point de tout détruire sur son passage, c'est au conseil maurrassien qu'on pensera d'abord à se confier, car c'est à une telle menace qu'il répondait :
« Je ne cesserai de répéter que les Français ont deux devoirs naturels : compter sur le Patriotisme de leur pays, et se fier à son Intelligence ; ils seront sauvés par l'un et par l'autre, celle-ci étant pénétrée de plus en plus par celui-là. »
Mais aujourd'hui, de l'école à la télévision, du stade au cinéma, du dessin à la musique, de la catéchèse à la pastorale, les nouvelles générations de jeunes Français grandissent dans l'ambiance d'une contre-éducation qui subvertit l'intelligence, qui tourne en dérision l'amour de la patrie ?
Écoutons encore, écoutons la suite du conseil maurrassien :
« Il sera beaucoup plus difficile à ces deux grandes choses françaises de se détruire que de durer ou de revivre. Leur disparition simultanée leur coûterait plus d'efforts que la plus âpre des persévérances dans l'être et que les plus pénibles maïeutiques du renouveau. » ([^12])
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#### Le marxisme-léninisme comme « force de progrès »
Quelques esprits hardis, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, tentèrent de faire admettre par les dirigeants de la démocratie internationale que le communisme était aussi totalitaire et aussi inhumain que le nazisme. Ils furent à peu près tolérés, ils ne furent pas écoutés. Même aux périodes les plus tendues de la « guerre froide » entre Américains et Soviétiques, il ne fut jamais envisagé de traiter le communisme avec autant de rigueur que l'avait été le nazisme, ni de mettre l'URSS au ban de la communauté internationale comme on l'avait fait pour l'Allemagne hitlérienne. En 1956, au moment de l'écrasement de la Hongrie par les chars soviétiques, Pie XII suggéra en vain que l'URSS soit au moins suspendue d'occuper son siège au Conseil de sécurité de l'ONU. Le Kremlin et la Maison-Blanche s'employaient alors, prioritairement, à s'entendre pour stopper l'offensive franco-britannique sur le canal de Suez.
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Cette expédition « nationale » et « impériale » de Paris et de Londres était tenue par l'Oligarchie internationale pour plus détestable que le communisme lui-même, et contre elle le communisme était un allié possible, voire nécessaire, comme il l'avait été contre le nazisme.
Si les dirigeants du monde démocratique refusaient d'admettre que l'on puisse considérer le communisme comme aussi affreux que le nazisme, à plus forte raison ils ne voulaient entendre la grande voix de Soljénitsyne venue au dernier tiers du XX^e^ siècle leur annoncer, leur expliquer, leur prouver que le communisme est en réalité encore plus dangereux et bien pire que le nazisme. Là-dessus, même le saint-siège n'entendit point Soljénitsyne.
Pourtant l'Oligarchie n'approuve pas les crimes du communisme ? -- Elle les déplore, elle les tolère, elle les pardonne. Implicitement, elle n'a pas nié que ce sont des crimes contre l'humanité, puisqu'elle encourageait explicitement, au sein du marxisme-léninisme, l'apparition d'un « socialisme (enfin) à visage humain ». Pour l'Oligarchie, le communisme est un ami souvent décevant, et même navrant, mais jamais un ennemi, ou alors seulement par malentendu ; un allié difficile, mais indispensable pour en finir avec l'ancien monde, ou au moins le soumettre totalement. L'ancien monde païen ; l'ancien monde chrétien.
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L'ancien monde païen qui a reconnu la divinité de Jésus-Christ, et qui ainsi est devenu l'ancien monde chrétien ; et qui maintenant, par apostasie, devient un (nouveau) ancien monde païen.
Le progrès selon l'Oligarchie, le progrès qui déclasse et disqualifie l'ancien monde, et la promotion des droits de l'homme qui marche du même pas que le progrès, consistent ensemble, promotion et progrès, à libérer l'individu de tous ses liens temporels, ceux du travail, ceux de la famille, ceux de la patrie. L'Oligarchie a besoin du communisme pour détruire la société qu'il appelle patriarcale, agraire, artisanale (entendez le travail à dimension humaine, et l'ordre social fondé sur les cellules familiales et sur les métiers) ; l'Oligarchie a besoin du communisme pour sa lutte mondiale « contre le racisme et la xénophobie » (entendez en réalité contre la piété nationale, et contre un ordre international fondé sur la famille des nations et la société des États) ; l'Oligarchie a besoin du communisme pour détruire ou au moins soumettre la religion chrétienne qui est à ses yeux la plus abominable erreur historique de l'humanité. Comparés à l'abomination fondamentale du christianisme, les crimes du communisme ne sont que des excès, regrettables, excusables, brochant sur la bonne intention et la juste orientation du combat léniniste dans son ensemble. D'ailleurs le parti communiste demeure en permanence inscrit par l'Oligarchie au nombre des « forces de progrès ».
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Ces choses-là, il y a dans l'Église comme un instinct surnaturel qui les sait, ou plutôt qui les sent plus ou moins inconsciemment. Mais la politique actuelle de l'Église les ignore tout à fait, elle agit dans le même sens que l'Oligarchie dont la politique pourtant est de détruire l'Église (ou au moins de la soumettre) en lui retirant les bases naturelles de son évangélisation, les réalités naturelles à évangéliser : le travail, la famille, la patrie.
Puisque l'Église tient à évangéliser, l'Oligarchie la confine dans l'évangélisation acrobatique de l'idéologie des droits de l'homme. La politique de l'Oligarchie sait parfaitement ce que la politique de l'Église a oublié : dans l'histoire du christianisme, on a vu évangéliser des personnes, des familles, des nations, on n'a jamais vu évangéliser des idéologies.
La politique actuelle de l'Église nous assure au plus haut niveau que « malheureusement, on assiste aujourd'hui (en avril 1994) à de nouvelles manifestations d'anti-sémitisme, de xénophobie, de haine raciale, les mêmes graines qui sont à l'origine des inexprimables crimes du passé ».
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Les « inexprimables crimes du passé », incomparables par leur étendue, leur durée, le nombre de leurs innocentes victimes, sont ceux du marxisme-léninisme. A leur origine, il n'y eut les graines ni de l'anti-sémitisme, ni de la xénophobie, ni de la haine raciale tels qu'on les parle aujourd'hui.
Les erreurs politiques de cette taille sont suicidaires. Le saint-siège en a fait plusieurs fois dans l'histoire. Elles entraînent, physiquement ou métaphoriquement, le sac de Rome. L'Église n'en meurt pas ; ni forcément les hommes d'Église. C'est le peuple chrétien et le peuple païen qui, métaphoriquement ou physiquement, sont livrés aux marchands d'esclaves.
Jean Madiran.
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### Police ! Vos pensées !
Ce texte est celui d'un « numéro spécial hors série » paru au mois de mai et mis en vente isolément, avec le sous-titre « Petit aide-mémoire sur le commissariat de police de la pensée ». Étant « hors série », il n'a pas été envoyé à nos abonnés, qui trouveront ici sa teneur intégrale.
LA commission gouvernementale dite « des droits de l'homme » fonctionne principalement comme un commissariat central de police : de police de la pensée. Les commissaires qui composent la commission sont chargés d'une lutte civile : la « lutte contre le racisme et la xénophobie » des Français. Une guerre civile froide : idéologique, policière et judiciaire.
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Cette institution de guerre civile a été fondée et recrutée par le pouvoir socialiste en 1984.
La majorité dite de droite et le gouvernement Balladur n'ont rien changé à ce recrutement, ils ont pris la suite et ils ont à leur tour vénéré cette institution socialiste.
Car il suffit de leur assurer qu'il s'agit d'être « pour les droits de l'homme » et « contre le racisme » pour qu'ils n'examinent pas, sous l'étiquette, le réel contenu : ils se prosternent ; ils approuvent ; ils marchent.
#### La « xénophobie » en supplément
LA loi socialo-communiste Gayssot-Rocard de 1990 a ordonné en son article 2 que cette commission publie chaque année au mois de mars un « rapport sur la lutte contre le racisme ». Dès la première année, en mars 1991, la commission ne s'est pas contentée d'assimiler le nationalisme français à un racisme. A la lutte « contre le racisme », elle ajoutait : « *et la xénophobie* ».
Une lutte -- policière et judiciaire -- contre la xénophobie !
Pourtant la xénophobie n'est ni un principe doctrinal, ni un programme politique, ni un acte déterminé. Elle est un sentiment ; sinon louable, du moins explicable, surtout dans certaines circonstances ;
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en tout cas relevant éventuellement de la pédagogie, de l'éducation ; et non point de la loi pénale, de la police, des tribunaux : pas plus que d'autres sentiments pourtant peu recommandables, tels que l'envie, la jalousie ou la concupiscence. La lutte contre la « xénophobie » fournit aux commissaires de la pensée un prétexte extensible à toutes sortes d'attitudes et de sentiments plus ou moins indéfinissables, qui échappent au domaine de la preuve comme à celui de la constatation matérielle. Ainsi peut se déployer un arbitraire répressif sans limite. La majorité dite de droite et le gouvernement Balladur n'ont mis aucun terme à un aussi énorme abus de pouvoir : ils craindraient d'être montrés du doigt et dénoncés par le tout-pourri médiatique qui pourrait les accuser d'être des *racistes* ou de *prendre la défense du racisme.* Avec une telle intimidation on paralyse tous ceux qui, mentalement, n'ont pas de colonne vertébrale.
#### Une réelle continuité
LE premier rapport officiel de guerre civile, en mars 1991, contenait de multiples erreurs matérielles et délations calomnieuses que j'ai publiquement relevées dans *Présent* et dans une brochure d'*Itinéraires* toujours disponible.
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Trois ans plus tard, la commission n'a toujours rectifié ni ses délations calomnieuses ni ses erreurs matérielles. Le pouvoir socialiste avait placé en quelque sorte ces commissaires de la pensée au-dessus du droit commun, au-dessus de l'honnêteté, au-dessus de l'honneur, avec le privilège de calomnier impunément. La majorité dite de droite et le gouvernement Balladur n'ont rien changé à ce privilège ni en rien limité cette entreprise de guerre psychologique et judiciaire.
A la première page de la brochure citée, je souhaitais en 1991 que l'on « commence enfin à comprendre que le mécanisme du soi-disant antiracisme est bien au centre le plus décisif de la politique française ». Voilà trois années qu'on peut le vérifier chaque jour davantage. J'attribuais la responsabilité de ce « totalitarisme rampant » et de cette « ubuesque machine » au « pouvoir socialiste ». Il est vrai que cette machine de guerre a été installée par les gouvernements socialistes et leur majorité socialo-communiste. Mais aujourd'hui la majorité dite de droite et le gouvernement Balladur n'ont nullement rectifié le fonctionnement de cette institution.
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#### Un produit d'importation
PAR la police de la pensée, la classe politico-médiatique manifeste sa vassalité à l'égard du Nouvel Ordre Mondial, maçonnique et cosmopolite, anti-national, anti-familial, anti-chrétien. L'imposture anti-raciste est importée, elle nous est imposée de l'extérieur. La première loi française anti-raciste, la loi Pleven de 1972, était une première capitulation, mais venue après une résistance de cinq années : elle était le résultat de l'adhésion traînante, de l'adhésion tardive de la République française à la Convention internationale sur l'élimination de toute forme de discrimination raciale adoptée par les Nations Unies en 1966. Déjà la loi Pleven frappait d'interdit la préférence nationale en l'assimilant à une discrimination raciale. La suzeraineté étrangère continue de s'exercer sur la France. Le renforcement de la police de la pensée auquel procèdent le gouvernement Balladur et sa majorité dite de droite obéit à une pression accrue, et plus explicite, du Nouvel Ordre Mondial : l'ONU a elle aussi -- elle d'abord -- une commission des droits qui au début de mars 1994, à Genève, a voté une résolution ordonnant un rapport sur « *les formes contemporaines de racisme, toutes les formes de discrimination contre les Noirs, les Arabes et les Musulmans, la xénophobie, la négrophobie, l'anti-sémitisme* »*.*
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Notez la rédaction : les Juifs, les Arabes, les Noirs ne sont suspects d'aucun racisme, ils ne peuvent qu'en être les victimes ! Le racisme anti-blanc, la francophobie, l'anti-christianisme ne sont pas condamnables.
Au même moment, à Strasbourg, le Conseil de l'Europe « donne le coup d'envoi d'un programme d'action de trois ans contre le racisme ». Ce programme est organisé « avec le concours de l'American Jewish Committee » : cette Amérique-là vient nous donner des leçons de police de la pensée. Ainsi se prépare « le lancement officiel, en décembre 1994, de la campagne contre la montée du racisme en Europe, décidée en octobre 1993 à Vienne par le sommet des 32 chefs d'État et de gouvernement des pays du Conseil de l'Europe ». Le 21 mars, le premier ministre Balladur annonce que la « lutte contre le racisme » devient désormais une « priorité du gouvernement » qui va y engager « la mobilisation de la société tout entière ».
#### Les Français ont en secret des pensées interdites !
CE 21 mars 1994 était en effet le jour où les commissaires de police de la pensée publiaient leur cinquième rapport annuel de guerre civile : « rapport sur la lutte contre le racisme et la xénophobie » en 1993.
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Ils ont découvert, au milieu de trois à quatre millions de crimes et de délits commis durant l'année, 35 « actions racistes ».
Trente-cinq : en moyenne, même pas une demi-action raciste par département pendant un an.
Mais alors ?
Alors, il y a ce fait inquiétant : les Français pensent mal.
Puisqu'on ne peut démontrer statistiquement que les Français *agissent* mal en matière de « racisme », on va explorer leurs pensées cachées, et une inquisition appropriée va découvrir la noirceur coupable de leur âme. Ainsi sera justifiée la « priorité » officiellement donnée à la « lutte contre le racisme ».
Pour mesurer le racisme clandestin des Français, les commissaires de la pensée ont eu recours, comme les années précédentes, à la supercherie pseudo-scientifique d'un « sondage d'opinion » sur un échantillon dit « représentatif » de mille personnes. Ces sortes de sondages constituent la grande superstition moderne, plus charlatanesque et trompeuse que celles attribuées au prétendu obscurantisme du Moyen Age. A partir de leur échantillon, les commissaires découvrent qu'en secret 65 % des Français estiment qu'il y a trop d'arabes en France ; et 58 % trop de musulmans.
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C'est sur elle-même qu'ainsi la police de la pensée publie le renseignement le plus décisif. Et elle confirme. Elle insiste. Page 53 : le « *sentiment qu'il y a trop d'étrangers en France* » est considéré comme délictueux ; « *la question du nombre d'immigrés* » est en elle-même une question condamnable. La lutte officielle « contre le racisme et la xénophobie » entend arriver à ce que « la question du nombre des immigrés » ne soit plus posée, et à ce que disparaisse à tout jamais « le sentiment qu'il y a trop d'étrangers en France ». Sentiment interdit, question interdite, quel que soit ce nombre, quelles qu'en soient les conséquences.
Il y a ainsi toute une série d'*opinions interdites.* Page 54 : « estimer que les immigrés ne sont pas désireux de s'intégrer », comme l'estiment (paraît-il) 56 % des Français ; ou penser, comme 74 % des Français, que « les immigrés veulent conserver les modes de vie de leur pays d'origine ». Le rapport nous avertit que « ces deux opinions » condamnables sont tout particulièrement partagées par « les sympathisants de droite et du Front national ». Tandis que le rapport lui-même est visiblement rédigé par des sympathisants du socialo-communisme. Ces commissaires des droits de l'homme n'ont rien à dire sur les entreprises criminelles du marxisme-léninisme. Malgré eux, il y a encore en France des magistrats dont la sentence déclare qu' « *il n'appartient pas au tribunal de trancher un débat d'idées relatif à la question de l'immigration* ».
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Mais le but avoué par l'officielle « lutte contre le racisme et la xénophobie » est justement de faire trancher le débat par voie de justice, ou plus exactement, de faire interdire le débat, sous peine d'amende et de prison. Le modèle dont s'inspire toute l'action judiciaire et policière des commissaires de la pensée est l'article 9 de la loi Gayssot-Rocard, qui interdit de contester l'existence des « crimes contre l'humanité ». Semblablement devrait être interdite toute opinion contestataire sur l'immigration. La tendance dominante est à l'interdiction de contester le dogmatisme moral du Nouvel Ordre Mondial. Une jurisprudence commencé à poindre en ce sens, sous l'influence de la commission, de ses rapports, de son idéologie.
A terme, si on laisse faire, c'est l'idée nationale qui sera mise hors la loi. Déjà, elle est suspecte.
Jean Madiran.
Bibliographie
-- La brochure d'*Itinéraires* mentionnée page 13 est intitulée *Le rapport officiel sur la* « *lutte contre le racisme* »*.* (II s'agit de la contestation du premier rapport annuel, publié en 1991.)
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Sur le même sujet, on consultera :
-- *Les dernières découvertes scientifiques de l'anti-racisme.* (Réponse à Pierre-André Taguieff par Jean Madiran.)
-- *La loi Rocard du 13 juillet 1990* (seconde édition).
-- *Le soi-disant anti-racisme,* troisième édition par Georges-Paul Wagner, Jules Monnerot et Jean Madiran.
-- *La francophobie,* par Éric Delcroix.
La plupart des libraires, quand on leur demande ces ouvrages, répondent frauduleusement : « épuisé » ou « inconnu ». Ne vous laissez pas berner. Tous ces ouvrages sont en vente à DIFRALIVRE, BP 13, 78580 Maule ; tél. : (1) 30 90 72 89.
Les rapports officiels sur « la lutte contre le racisme et la xénophobie » publiés chaque année le 21 mars depuis 1991 sont édités par la Documentation française, 29-31 quai Voltaire à Paris VII^e^. La commission de police de la pensée, dite « commission nationale consultative des droits de l'homme », est sise 35 rue Saint-Dominique à Paris VII^e^.
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### Le parti de Sodome
(*Genèse, chapitre XIX*)
par Hervé de Saint-Méen
« *Cependant deux Anges sont arrivés à Sodome vers le soir, et Lot est assis à la porte de la ville. Les ayant vus, il se lève et vient au-devant d'eux, incliné jusqu'à terre.* » (1)
Ce soir-là, miraculeusement, l'unité fut faite grâce aux étranges lucarnes, où le petit peuple prêchait.
Nous avons tous connu des homosexuels, lesquels à l'instar de Montherlant, de Marcel Proust ou de Jouhandeau, faisaient mystère (mysterium = secret) de leur vice, le cachant sous des voiles opaques et des déguisements intraduisibles. Refusant de s'en faire les apôtres ou les apologètes, regrettant tout vacarme, tout prosélytisme trop évident.
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Aujourd'hui tout est changé. En face du petit reste s'étale la victoire du parti unique, du programme unique ; de l'éducation unique, ce qu'on est bien obligé d'appeler le *Parti de Sodome.*
Des femmes, des stars universellement adulées sont tenues de venir témoigner pour la promotion du Parti Unique de Sodome, lequel, de la Droite-sic à la Gauche-sac transcende toutes les différences.
\*\*\*
On croirait lire le Saint Livre, la Bible, en ces temps où la Terre encore mouillée du Déluge voyait s'imprimer dans l'argile détrempée les pieds des Prophètes.
« *Et il dit : je vous conjure, seigneurs, venez dans la maison de votre serviteur, et demeurez-y ; lavez-y vos pieds, et dès le matin, vous continuerez votre route. Ils répondirent : point du tout ; mais c'est sur la place que nous demeurerons.* » (2)
Il fallait voir l'air narquois (« Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd », semblait-il dire) de Gérard Leclerc sur la 2, lorsque aux « quatre vérités », le ministre « de droite » Douste-Blazy est venu cautionner l'étrange entreprise du soir -- sur l'injonction de qui ? -- en terminant ainsi un éloge embarrassé « le préservatif ou la fidélité à un seul partenaire ». Il n'a pas osé dire le mariage...
Il a dit la fidélité, sans doute pour se concilier les bonnes grâces de ces Cauchons de votants que sont les ouailles de tous les hommes de l'Amen. D'ailleurs il faut bien noter qu'à ces festivités les hommes d'église ou de temple, qu'ils fussent évêques, muftis, pasteurs ou rabbins, imams ou lamas, n'avaient point été conviés. Par un reste de pudeur ? Pour marquer qu'ils n'étaient que quantité négligeable ? Ou pour ne pas les embarrasser ?
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«* Mais il les força par ses instances de venir chez lui ; et lorsqu'ils furent entrés dans sa maison, il leur prépara un repas, et il fit cuire des azymes ; et ils mangèrent. *» (*3*)
Quant à la fidélité, c'te blague, qui garantira l'épouse fidèle que son époux ne sort pas des bras d'une hétaïre ou d'un éphèbe contaminé, et inversement ? On s'expliquera peut-être ainsi le recul évident de l'institution du mariage dans notre époque de renversement de toutes les valeurs.
Comment tabler l'avenir d'une famille sur une telle dramatique incertitude ! Alors, chacun pour soi dans l'égoïsme généralisé, et vienne le Déluge. Pendant les hypocrites campagnes de solidarité.
Car point ne suffit la fidélité de l'une ou de l'autre. Il y faut aussi les deux et les pratiques. J'en demande pardon, car le sujet est scabreux au-delà de toute expression, mais enfin il faut bien dire les choses ; en s'exprimant en paraboles, on peut gommer ce qu'il y a de choquant. Il a bien été enjoint à la femme de Loth de ne point se retourner. Sous peine d'être changée en statue de sel -- le sel c'est la mort --.
Que celui qui a des oreilles entende.
\*\*\*
L'invraisemblable campagne pour le Sidaction montre l'intérêt que les Pouvoirs Publics apportent à soigner en priorité une catégorie bien déterminée de malades jugés a priori plus intéressants que les autres.
« *Mais avant qu'ils allassent se coucher, les hommes de la ville environnèrent la maison, depuis l'enfant jusqu'au vieillard tout le peuple ensemble* »*.* (4)
Il est juste de souligner ainsi que l'a fait Jean Madiran que le seul homme d'église venu là se fit huer pour avoir dit pour une fois la vérité. Je cite PRÉSENT du samedi 9 avril :
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« L'Agence France-Presse (AFP) rapporte avec une visible satisfaction que l'abbé Pierre, au cours de l'émission télévisée-caporalisée de jeudi soir, *a suscité de copieuses huées pour avoir prôné la fidélité et dénigré les préservatifs.* « Dénigré » est une jolie trouvaille de vocabulaire. En attendant sans doute de dire « blasphémé ». Le préservatif est devenu un mythe, objet d'un culte. Que son pouvoir soit principalement imaginaire n'en fait pas une divinité moins féroce que celles du Panthéon romain. Il faut brûler l'encens sur son autel, ou subir médiatiquement la peine de mort. »
\*\*\*
Il fallait voir l'expression résolue et féroce de l'actrice Carole Bouquet exigeant que dans les écoles, dès l'âge de treize ans, les petits garçons et les petites filles soient éduqués à l'usage du préservatif comme à se laver les dents ; ça ne s'invente pas ! A treize ans n'ont-ils rien d'autre à faire ou à penser qu'à cette monstrueuse et continuelle orgie de copulations !
« *Et ils appelèrent Loth et lui dirent : Où sont les hommes qui sont entrés chez toi cette nuit ? amène-les ici afin que nous les connaissions !* » (5)
Une triste petite dinde, patronnée par tous les médias, proclame qu'on espère par cette triste exhibition faire reculer pour la jeune génération LA PROGRESSION de l'épidémie.
NON PAS L'ENRAYER MAIS EN FAIRE RECULER LA PROGRESSION...
Quel aveu... C'est énorme !
Tout cela par un unique moyen : la promotion du caoutchouc japonais.
\*\*\*
« Brunot Mégret le souligne dans un communiqué : cette réunion contre l'exclusion commençait par des exclusions, notamment celle de Jean-Péron Garvanoff... Il n'était donc pas question de donner la parole à ceux qui « doivent leurs souffrances à de sombres calculs politico-économiques » sur lesquels la lumière n'est pas faite. » (PRÉSENT 9 avril.)
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Il est pour le moins curieux que les grandes compagnies qui fabriquent l'illusoire protection ne protestent pas contre le manque à gagner que constitue la distribution gratuite de leur produit.
Lorsque la question est posée aux responsables des marques, ils répondent évasivement que cela ne les gêne pas. Serait-ce que leur chiffre d'affaires dépend lui aussi de nos impôts, comme l'aide aux immigrés, et l'ajustement des prestations sociales de toutes sortes ?
Serait-ce qu'il y ait entre le gouvernement et le parapluie japonais une osmose du même type que celle que dénonça, à juste titre, en son temps Claude Autant-Lara au sujet de Disneyland ? On pose la question !
« *Loth sortit derrière eux, et la porte fermée derrière lui, dit* (6) *: Ne faites pas, je vous en prie mes frères, ne faites pas ce mal.* (7) *J'ai deux filles qui n'ont pas encore connu d'homme ; je vous les amènerai, et vous ferez d'elles ce qui vous plaira, pourvu qu'à ces hommes vous ne fassiez aucun mal : car ils sont venus à l'ombre de mon toit.* » (8)
Il faudra bien qu'un jour des ministres s'expliquent. Comment est financée cette distribution. Au profit de qui ?
*Un mal qui répand la terreur,*
*Mal que le ciel en sa fureur,*
*Inventa pour punir les crimes de la terre,*
*La peste* (*puisqu'il faut l'appeler par son nom*)*,*
*Capable de remplir en un jour l'Achéron,*
*Faisait aux animaux la guerre.*
Le bon La Fontaine est enfoncé, complètement par terre, d'un bout à l'autre de la rue Soufflot.
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> *Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.*
>
> *On n'en voyait point d'occupés à chercher*
>
> *le secours d'une mourante vie.*
>
> .......................................
>
> *Les tourterelles se fuyaient*
>
> *Plus d'amour, partant plus de joie.*
Il ne s'agit plus aujourd'hui de savoir si oui ou non on va guérir, si oui ou non on va mourir, il s'agit de savoir si on va continuer sans rien changer, en freinant la PROGRESSION du mal. Car il n'est nulle part et nullement question d'abstention.
« *Mais ils répondirent : retire-toi d'ici. Et de nouveau : tu es venu ici, comme étranger, lui dirent-ils ; est-ce pour t'ériger en juge ? C'est donc toi-même que nous maltraiterons plus qu'eux. Et faisant à Loth la plus grande violence, ils étaient près d'enfoncer la porte.* » (10)
L'instruction jadis si vantée par nos vaticinateurs progressistes comme le préalable à toute libération de l'humanité de ses grotesques superstitions ne devait-elle pas la faire parvenir à ce degré éminent de savoir, de sagesse, de bonheur terrestre absolu, d'égalité totale dans une perpétuelle félicité. Il n'était que de cultiver le savoir.
« Ouvrir une école, c'est fermer une prison », disait le bon Hugo du haut de sa barbe blanche.
Aujourd'hui des proviseurs de lycée se vantent -- comme d'un exploit bénéfique -- de faire la promotion du couvercle caoutchouc à de jeunes adolescents de 13 à 18 ans -- souvent 20, car ils ne sont guère en avance les membres des futures élites -- pour préserver leur avenir menacé.
Voilà à quoi aboutit -- comme la fée Télé -- l'instruction obligatoire tant vantée. Voilà bientôt l'unique sujet de ces études souvent si vainement prolongées. N'ont-ils donc rien d'autre à faire, à penser, ces adolescents, qu'à forniquer du matin au soir, enfin ?
QUI DIRA LE CALCUL PROFOND DE CEUX QUI LES LIVRENT JUSQU'AU CŒUR DE LEURS ÉTUDES A L'OBSESSION DU SEXE ?
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Et tous les criminels responsables qui se pavanent sur les écrans veillent à les maintenir par ces campagnes matraquées comme un « tube » dans cet étouffant ghetto de la pensée, cette nouvelle inquisition : pensez-y souvent, pensez-y toujours...
\*\*\*
Certes, il y a bien parfois des raisons d'avoir honte d'appartenir à l'espèce humaine. Le spectacle hideux de tous ces présentateurs et vedettes de Télé, gorgés de tous les biens de la terre, se vautrant à plat-ventre devant l'idole de caoutchouc, marqués du signe de la bête -- sans qu'aucun d'entre eux ne manifeste la moindre objection, tous d'un même cœur, d'un même élan, dans les mêmes termes, ni n'élève la moindre réserve -- devant cette abjection totale du Roi et Seigneur hévéa.
(Je suis injuste : Yves Mourousi, si l'on en croit Télé-7 Jours du 2 avril, lance une timide critique : « Cette opération m'inspire quelque crainte (il est vrai qu'il n'a pas été invité). Ne risque-t-elle pas de se transformer en émission de variétés ou en reality-show ? J'espère qu'on n'y verra pas des images terribles de malades en phase terminale. Dans ce cas au lieu de donner l'espoir, on risque de donner la trouille. » On voit qu'il ne touche pas au fond. Et même qu'il est carrément « à côté de la plaque ». Si justement on avait pu « donner la trouille » aux adeptes du retournement et de la seringue...)
« *Mais voilà que les hommes avancèrent la main, firent rentrer Loth auprès d'eux et fermèrent la porte.* (10)
« *Et ceux qui étaient dehors, ils les frappèrent d'aveuglement depuis le plus petit jusqu'au plus grand, en sorte qu'ils ne pouvaient retrouver la porte.* » (11)
Jadis ce mal, on ne l'avouait pas hautement. On ne s'en faisait pas gloire. On ne se faisait pas gloire de le transmettre. On savait comment il s'attrapait. On le sait toujours. Ce qui a changé, c'est le regard porté là-dessus, ou plutôt là-dessous.
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Aujourd'hui la canonisation posthume de Cyril Collard par d'avisés commerçants établit ce paradoxe que pour éviter l'exclusion -- sauf celle du mouvement national -- il faille faire l'éloge apitoyé de ceux qui sont ainsi tombés au champ d'honneur de la maladie et de la contamination active et volontaire. Par un autre étrange paradoxe, on invite la population à « sortir couvert », tout en établissant les vertus héroïques et l'apologétique de ceux qui se sont fait gloire d'avoir contaminé les autres à leur insu...
Je cite :
« Dans l'hystérie collective qui entoure le culte de Collard on en viendrait presque à bénir le sida. Car paradoxalement, pas de sida, pas de Cyril, pas d'héritage pour ses enfants spirituels, pas d'avenir, pas de révélation, pas de sens à leur vie... En revanche, à ce jour, l'idéologie dominante qui les manipule, les journaux comme *Elle, Le Nouvel Observateur, Match, Télérama, L'Événement du jeudi* et les autres, comme le *Figaro-Madame,* sous la plume de Jean-Claude Brialy, la télévision, Canal Plus en tête, la « culture Lang », relayée par la « culture Toubon », qui ont fait de Collard un demi-dieu dont ils perpétuent le culte -- de tous les stades de sa déchéance jusqu'au risque volontaire de transmettre le virus mortel -- ils savent tous très bien à quoi s'en tenir. Ils savent très bien ce qu'ils font. Cyril Collard est mort et nous ne pouvons que prier pour lui. Mais l'idéal pour la jeunesse qu'ils continuent de magnifier en son nom, en fait d'éphèbe gracile de génie dans sa tête et dans son cœur, est un gros dégueulasse doublé d'un criminel. » (Caroline Parmentier, PRÉSENT 2 mars 94.)
\*\*\*
Que ce dérèglement de tous les sens et cet éclatement de la morale, subvertie jusque dans ses fondements mêmes, n'amène pas le public -- résigné et passif -- à un gigantesque haut-le-cœur, montre bien le niveau auquel nous sommes descendus. Personne ne dit rien, ni n'ose rien dire, sous le regard des speakers qui sondent les reins et les cœurs, et les seigneurs qui nous gouvernent, caméra en main et l'œil sur le prompteur, auraient vite fait de ramener à la raison -- et en prison -- le malheureux contestataire qui oserait braver leur omnipotente dogmatique.
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Je cite encore :
« Canal Plus diffuse six fois *Les Nuits Fauves,* l'unique film de Cyril Collard... Pour être bien sûr que tout le monde (enfants compris) puisse voir le chef-d'œuvre, l'hymne à la vie et à l'amour, l'emblème de la jeunesse des années 90... Il y a pire que Cyril Collard (Dieu ait son âme) : il y a ceux qui se servent aujourd'hui de Cyril Collard pour accélérer le pourrissement de la société à laquelle ils veulent imposer, par les médias qu'ils contrôlent, leur totale domination. Ceux-là, nous ne les lâcherons pas. » (Yves Daoudal, PRÉSENT du 2 mars 94.)
« *Alors ils dirent à Loth : As-tu quelqu'un des tiens, un gendre, ou des fils ? ou des filles ? Tous ceux qui sont à toi, fais-les sortir de cette ville* (12)* ; car nous détruirons ce lieu, parce que leur clameur s'est élevée de plus en plus devant le Seigneur qui nous a envoyés pour les perdre* (13)*. Loth étant donc sorti dit à ses gendres, ceux qui devaient épouser ses filles : Levez-vous, sortez de ce lieu ; parce que le Seigneur va détruire cette ville. Et il leur sembla parler comme en se jouant.* » (14)
L'impunité étrange -- et silencieuse -- des responsables ministériels de la contamination des hémophiles polytransfusés laisse à penser que peut-être cette criminelle contamination n'a pas été tout à fait le hasard, ni le fait de négligences coupables certes, mais explicables. « La liste des non-invités -- écrit Georges-Paul Wagner dans PRÉSENT du 9 avril -- avait été établie avec soin. Bruno Mégret le souligne dans un communiqué : cette réunion contre l'exclusion commençait par des exclusions, notamment celle de Jean-Péron Garvanoff qui, avec son association des Polytransfusés, fut à l'origine du combat pour la vérité dans l'affaire des hémophiles contaminés. Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire ni à entendre. »
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Une volontaire contamination, volontairement programmée pour apitoyer la partie la plus sensible de la population sur le sort de ces malheureux sidaïques malgré eux. Et, partant, sur le sort des autres... Comment supposer une chose pareille ?...
Georges-Paul Wagner continue dans cet article déjà cité mais qu'intentionnellement je n'avais pas entièrement développé :
« Le crime contre la santé publique, qui a consisté à autoriser, voire à recommander, sous signature ministérielle, la libre circulation de lots de sang qu'on savait contaminé, n'a pas encore obtenu proclamation, réparation, sanction de la part d'une justice officielle, plus attentive à réécrire l'histoire passée qu'à rechercher la responsabilité de ministres toujours présents aux carrefours de la politique politicienne. »
Comprenez bien. La maladie a été volontairement propagée par les homosexuels et les toxicomanes que rien ni personne n'oblige à se livrer à leurs vices. Le public est peu disposé à payer pour soigner cette catégorie de désaxés. Grâce à la contamination ministérielle, on peut maintenant venir au secours de TOUS les contaminés du sida sans qu'on puisse objecter : après tout, c'est bien leur faute...
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« Dès 21 heures, jeudi, le ton était donné : « Vous êtes tous des séropositifs en puissance. Tous concernés, tous menacés. Le sida, c'est vous, c'est moi, c'est nous. » *Le sida concerne en priorité la France profonde,* a même précisé Line Renaud. Et pour que la réalité des faits ne vienne pas contredire leurs propos, les animateurs, Frédéric Mitterrand et Christophe Dechavanne, avaient interdit aux sidéens et aux séropositifs présents sur le plateau de révéler l'origine de leur contamination... Au point que l'on aurait pu croire que le sida s'attrapait en respirant l'air du temps. » (Caroline Parmentier, PRÉSENT, 9 avril.)
« La vérité sur la transmission du sida se trouve ainsi pervertie par le postulat que « tout le monde est concerné » (sans parler de l'imposture criminelle de la propagande pour le préservatif).
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« Tout le monde serait concerné si l'homosexualité, le vagabondage sexuel et les injections d'héroïne étaient les modes de vie normaux d'une société saine et responsable. Même si c'est ce qu'on croit à la télévision, ce n'est pas vrai. » (Yves Daoudal, PRÉSENT, 8 avril 94.)
\*\*\*
Jadis on cachait ces choses comme honteuses et dégradantes. Maintenant des stars, Madeleine Robinson, les larmes aux yeux, viennent exhiber la mort de leur enfant, de leur petit enfant, devant les caméras, comme une chose touchante ou glorieuse. Demain ils seront morts au champ d'honneur et figureront sur des monuments de commémoration.
Et on décorera leur cercueil...
« *Mais lorsqu'il fut matin, les Anges le pressaient, disant : Lève-toi, prends ta femme, et les deux filles que tu as, afin que tu ne périsses, toi aussi, dans le châtiment de la ville* (15)*. Mais lui hésitant, ils prirent sa main et la main de sa femme et de ses deux filles, parce que le Seigneur lui faisait grâce* (16)*. Et ils l'emmenèrent, le mirent hors de la ville ; et là ils lui parlèrent, disant : Sauve ton âme ; ne regarde point derrière toi, et ne t'arrête dans aucune contrée alentour ; mais sauve-toi sur la montagne, de peur que tu ne périsses toi aussi avec les autres.* » (17)
C'est ainsi que n'ayant rien fait, à l'époque, pour juguler l'épidémie, quand elle était naissante et minuscule, on se lamente maintenant, en réclamant de l'argent, toujours plus d'argent, sur l'extension déréglée et incontrôlable du fléau.
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Pour obtenir la réhabilitation indispensable -- et improbable malgré tout -- de ce vice que le bon peuple continue dans son bon sens à tenir pour honteux et répugnant, pour inciter à regarder d'un œil moins hostile les sommes considérables nécessaires POUR FREINER LA PROGRESSION des conséquences du vice (plutôt que pour tenter d'enrayer le cancer, la tuberculose, la myopathie ou l'autisme), tout se passe comme si l'on voulait déplacer l'émotion, qui tardait à venir pour les adeptes de Sodome et de Pravaz, sur les polytransfusés et les enfants à naître de femmes enceintes contaminées. Là ce sont bien des victimes innocentes... comme on dit lorsqu'un attentat frappe des passants innocents, coupables de passer là par hasard.
« *Et Loth leur répondit : Je vous en prie, Seigneur* (18)*. Puisque votre serviteur a trouvé grâce devant vous et que vous avez signalé la miséricorde que vous m'avez faite, pour sauver ma vie, non, je ne puis être sauvé sur la montagne ; il est à craindre que le mal ne m'atteigne, et que je meure* (19)*. Cette ville ici près, où je puis m'enfuir, est petite et j'y serai sauvé ; n'est-elle pas de peu d'étendue ? et mon âme n'y vivra-t-elle pas ?* (20) *Et il lui répondit : Voici que même en cela, j'accueille ta prière de ne pas détruire la ville pour laquelle tu m'as parlé* (21)*. Hâte-toi, et tu y seras sauvé ; car je ne pourrai rien faire jusqu'à ce que tu y sois entré. C'est pourquoi cette ville fut appelée Tsohar.* (22) *Et le soleil se leva sur la terre et Loth entra dans Tsohar.* » (24)
Pendant ce temps, « le jour de gloire de l'imposture criminelle » (Caroline Parmentier), M. Balladur est en Chine...
24\. *Igitur Dominus pluit super Sodomam et Gomorrham sulfur et ignem a domino de coelo.*
Le gouvernement communiste chinois arrête un opposant, francophile de surcroît, M. Xou Wen Li, le jour même où M. Balladur visite la Cité Interdite.
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25\. *Et subvertit civitates has et omnem circa regionem, universos habitatores urbium et cuncta terra virentia.*
Vous ne voyez pas le rapport ? Que M. Balladur pense à la femme de Loth.
26\. *Respiciensque uxor ejus post se versa est in statuum salis.*
Hervé de Saint-Méen.
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### Le cinquième carnet de guerre d'André Charlier
par Albert Gérard
Le second numéro de «* Racines *» publie le cinquième fascicule des carnets de guerre d'André Charlier, présenté par Albert Gérard.
Voici cette présentation.
LES notes qu'on va lire constituent le cinquième et dernier fascicule des « Carnets de guerre » d'André Charlier. ([^13])
Il les commença au jour de sa mobilisation en décembre 1914, à l'âge de 18 ans, lorsqu'il venait de se convertir et de recevoir le baptême des mains de Dom Besse, au Monastère des Bénédictines de la rue Monsieur.
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Ces carnets d'inégale longueur couvrent toutes les années de la Grande Guerre, à l'exception du cinquième qu'André écrivit en majeure partie à son retour de captivité. Il eut en effet une conduite héroïque sur le front, il y fut deux fois blessé et soigné en Allemagne en tant que prisonnier.
Sa dernière blessure fut si grave qu'il faillit en mourir et qu'elle nécessita une longue convalescence à son retour en France. C'est alors que résidant dans la maison de ses grands-parents maternels à Cheny, dans l'Yonne, il écrivit ce cinquième carnet. Bien qu'il n'eût alors que 22 ans, André Charlier s'y dévoile déjà tel que nous le connaîtrons. Il arrive que la jeunesse de l'homme prélude à sa vie d'adulte plus encore en puissance qu'en prémices. On y décèle parfois les germes de ses années ultérieures. Cela est particulièrement vrai des pages dont nous entreprenons la publication. Elles ont beau s'être parées d'une exquise discrétion -- « cette fleur de haute montagne », comme il l'aimait à nommer, « qui ne se cueille pas dans les vallées » -- elles révèlent à grands traits ce que seront les lignes de force d'une existence toute vouée aux aspirations de sa jeunesse.
La lumière entrevue, la lumière reçue ne s'obscurcira pas. Au contraire elle deviendra éclatante, laissant seulement dans l'ombre des jours ce qui ne méritait pas de briller, ou ne le devait point par dessein de la Providence.
En quoi nous éclaire-t-elle encore aujourd'hui ? S'il fallait résumer d'un mot ces pages ferventes, écrites sans une rature, je dirais l'attente. La ferveur de l'attente de cet absolu pour lequel nous sommes faits : André Charlier l'éprouvait comme une interrogation douloureuse en communion avec la beauté de l'univers.
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Meurtri dans son âme dès sa jeunesse -- il perdit sa mère à six ans et son enfance fut triste et solitaire -- André peut paraître parfois replié sur lui-même, mais ce n'est que blessure d'une incertitude, et fruit d'une grande humilité qui le faisait douter de lui-même. « Puis-je croire que je vaille la peine qu'on pense à moi si peu que ce soit ? » En fait, loin de cultiver son ego, son âme s'ouvrait pleinement à la Création, choses et gens, dont elle éprouvait ensemble les beautés ineffables et la désespérance inextinguible, et la médiocrité des âmes affaissées. Ce monde dont nous ne saurions nous dissocier, il le ressent avec une sensibilité extrême dans sa triple interrogation : son étrange beauté, sa douloureuse relativité, et sa mortelle précarité.
« Beautés du monde, beautés éphémères, vous enchantez mon âme et la désespérez. »
Ce cri augustinien -- à l'écriture admirablement balancée -- retentira toute sa vie, mais sans doute avec plus de force encore par l'acuité que lui procure la jeunesse.
Il jouit de l'harmonie des choses, je dirais presque avec exacerbation, mais point à la romantique, car il la perçoit d'essence divine et non sentimentale. Déjà, jeune homme, André pense que la vie n'a d'autre utilité que d'en percer le mystère, et d'en dévoiler la signification. Aussi ne doit-on pas se laisser abuser par une apparente misanthropie, ou ce qui pourrait être pris pour un panthéisme diffus. L'amour de la solitude, l'amour de la nuit -- cette heure bénie de Dieu -- la prédilection des clairs de lune, l'amour de l'intimité solitaire des lointains où bondissent les collines, plus qu'il ne les écrit, il les chante comme témoins d'une réalité supérieure, avec une poésie aussi pure que le cours d'une eau limpide.
Qu'on ne s'attende donc pas à la relation de faits, où se complaisent tant de mémorialistes. Ce journal est celui d'une âme, le cri d'une âme meurtrie comme l'est toute âme humaine au seuil de l'insaisissable absolu. A l'aurore de son existence, la sienne frémit dans ces lignes, gémit, chante et pleure comme un oiseau blessé.
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Faut-il même regretter la plaintive expectation de l'adolescent déraciné, arraché à l'affection des siens par la guerre, encore debout sur le pas de la vie, comme étourdi par ses possibles ? Bien que cela contraste avec l'homme des grandes certitudes que fut André Charlier, nous avons maintenu les pauvres confidences, comme prix de la liberté de l'homme, de sa noblesse. N'est-ce pas rendre plus solennels les engagements qui suivent dans la désappropriation de soi ?
Ô notre maître, qui avez su exhaler votre âme en un chant si pur, demeurez sur le rempart de notre nuit, afin qu'au jour du combat nous puissions redire comme vous il y a plus de soixante ans
« Aucune ferveur ne se dépense en vain. »
Albert Gérard.
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### Lettres à Jean Devyver 1959-1987
par Robert Poulet
*Jean Devyver, c'est la fidélité incarnée : il est à Bruxelles le président des Amis de Robert Brasillach depuis leur fondation. Il a bien voulu nous autoriser à publier les lettres qu'il a reçues de Robert Poulet pendant près de trente ans.*
*C'est un document pour l'histoire intellectuelle de la Belgique -- et pas seulement de la Belgique, puisque Brasillach, Pasternak, Céline, Morand... lisaient attentivement Poulet.*
*C'est aussi un document sur le personnage étonnant qu'était Robert Poulet, -- fameux* « *âne rouge* »*, disait Jean Madiran qui ne partageait ses opinions ni sur l'automobile, ni sur les vins français, ni sur beaucoup d'autres points.*
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*Rappelons que, né à Liège le 4 septembre 1893, héros de la Grande Guerre, journaliste à Bruxelles jusqu'en janvier 1943, Robert Poulet démissionna quand il ne fut plus libre de défendre une position qu'il pensait être -- non sans arguments -- celle de Léopold III. Condamné à mort en 1945, il fut gracié après trois ans d'attente, libéré après six ans de prison. Il poursuivit alors en France sa carrière de romancier, de critique littéraire, et de journaliste, notamment à Rivarol et à Présent. Il est mort à Marly-le-Roi le 6 octobre 1989.*
A. M.
De Saint-Germain-en-Laye (7, rue des Bûcherons), le 30 mai 1959 :
Cher Monsieur,
Je suis très sensible aux sentiments que vous témoignez, à moi et à mon œuvre. Elle est encore loin de ce que je voudrais qu'elle fût. Mais il est vrai que le *Livre de quelques-uns* contient deux ou trois idées qui n'avaient jamais été exprimées. Ce qui veut dire qu'elles sont sans doute prématurées ou, comme on m'a si souvent dit, inopportunes. Du moins quelques personnes sont-elles préparées à les recevoir. Ce que vous m'écrivez me donne à penser que vous pourriez être de ces quelques personnes.
Le passé dont vous me parlez ne m'est pas odieux. Sans lui, il y a bien des choses que je n'aurais pas connues -- notamment la profonde lâcheté de l'homme moderne, et le prix du bonheur. (...)
Des Sables d'Olonne, le 28 juin 1959 :
Cher Monsieur,
Votre gentille lettre me rejoint ici, où j'achève des vacances bien nécessaires, et toutefois laborieuses.
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Tout ce que vous me dites de vous, des vôtres, de votre façon de sentir et de vivre, me prouve que vous êtes de ceux pour lesquels j'ai écrit ce livre, qui fut le livre du tout petit nombre.
Votre mérite est d'autant plus grand que la conclusion par moi proposée répugne naturellement à l'optimisme de la jeunesse.
*Anne Lindberg,* c'était un des plus grands livres de ce siècle ; mal compris, lui aussi.
Je suis heureux d'apprendre que vous vous entendez, au sujet des idées et des sentiments qui me sont chers, avec d'autres esprits libres. Permettez-moi ce conseil : que jamais ces conversations n'aient un caractère politique. Nous sommes tous au-delà de la politique ; dans l'apocalyptique. Quand on me demande un avis, sur un problème d'actualité, touchant aux relations internationales, je me contente de répondre : « Il faut prier. » (...)
De Marly-le Roi, le 5 novembre 1959 :
Cher Monsieur,
Pierre Favre a raison de croire que le *Livre de quelques-uns* n'apporte aucun moyen de sauver la civilisation en péril. Et ce, pour la bonne raison que ce livre a surtout pour fin de dire qu'un tel salut n'est plus possible, et qu'on ne peut plus sauver que le for intérieur, tout au plus dans le cadre d'une petite « société secrète ».
Je suis flatté et surpris de l'avis exprimé par Pasternak ([^14]) à mon sujet. Que mon livre soit seulement parvenu jusqu'à lui, c'est étonnant. A vrai dire, je ne me croyais pas du tout en communion de pensée avec un écrivain qui semble encore -- à lire son œuvre -- aux trois quarts leurré par l'humanitarisme égalitaire et matérialiste. Enfin, admettons qu'il ne dise pas toujours le fond de sa pensée... nous en reparlerons. (...)
52:905
De Ronce-les-Bains, le 8 juin 1963 :
Cher Monsieur,
Votre aimable lettre me rejoint ici. Des amis qui écoutent parfois la radio belge m'avaient dit qu'en effet cette radio gouvernementale avait critiqué mon livre ([^15]) dans tous les sens du mot critiquer. Ce n'en est pas moins la première fois, à ma connaissance, que mon nom est cité sur les ondes de Radio-Bruxelles, depuis l'époque où il fut adorné de toute sorte d'épithètes injurieuses. Cela commence, par une désapprobation polie. Je n'en demande pas plus.
« Adieu au fascisme » n'a paru que dans une revue défunte, intitulée *la Parisienne.* A l'époque, aucun éditeur n'a osé publier cette brochure, qui, maintenant, est dépassée. Je l'annonce encore parce que ce titre exprime bien mes opinions et mon état d'esprit actuels. Le fascisme fut une chose très avouable, sous sa forme occidentale ; mais il ne correspond plus aux conditions nées de la deuxième guerre mondiale. Qu'est-ce qui leur correspond, alors ? Ma foi, je n'en sais rien. Je n'ai plus de solution. Sauf celle que j'ai exprimée dans le *Livre de quelques-uns,* et qui n'a de valeur qu'individuelle.
Cordialement à vous, et encore merci.
De Marly-le Roi, le 22 mars 1967 :
(...) Berger-Levrault me dit que *Contre* (et pour) *l'auto* paraîtra en avril. Le « pour » a été fait par Georges Portal, critique dramatique des *Écrits de Paris.* Je prépare en ce moment un long roman, *les Sources de la vie,* qui paraîtra encore cette année, je l'espère, et je viens de commencer un pamphlet littéraire : les *Vaches maigres*. (...)
53:905
Le 3 janvier 1968 :
Cher Jean Devyver,
Merci pour vos aimables vœux, que je vous réciproque sincèrement. Merci aussi pour l'article et pour les informations. Je suppose que la « Voix internationale de la Résistance » est un organe plus ou moins communiste. Ce qui signifie qu'en cas d'occupation russe, ces messieurs ne résisteraient pas.
Je serai très heureux de vous rencontrer lors de votre prochain passage à Paris. En général je n'y vais plus que le mercredi après-midi, pour porter mon article *Rivarol* et suivre la confection des *Écrits de Paris*. (...)
Le 20 janvier 1968 :
Cher Jean Devyver,
Merci pour vos deux envois, aussi instructifs l'un que l'autre. Pol Vandromme a presque compris *les Sources de la vie,* qui, sous des dehors faciles, contient des idées assez malaisées à dégager. Et Charles d'Ydewalle a exprimé des sentiments que je lui connais depuis trente-cinq ans. Être un écrivain raté, c'est pénible. Notez que, sur son propre terrain, le *reporteur* n'est pas négligeable. Il me trouve médiocre. J'estime qu'il a un certain talent. Mais peut-être que nous nous trompons tous les deux ([^16])...
Le 14 mai 1968 :
(...) L'hebdomadaire *Spécial* (dont il y a paraît-il, beaucoup à dire) m'a consacré une longue interview où mes explications ont été reproduites de manière honnête (numéro du 1^er^ mai).
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D'autre part je continue à publier dans *Europe-Magazine* des articles de « philosophie politique » qui, souvent, pourraient vous intéresser.
En France on se fait une idée fort superficielle des événements belges qu'on interprète inexactement. (...) Je n'ai pas voulu qu'on pût croire que je souscrivais, dans *Rivarol,* à l'idée que la Belgique court à sa dissolution.
Le 13 novembre 1968 :
Cher ami,
C'est fort gentil à vous, de m'avoir envoyé ce vieil article de Franz Hellens. Ce dernier est à présent mon voisin, ou quasi, et nous échangeons des visites amicales. En 1945, il a signé la pétition d'écrivains et d'artistes qui demandaient qu'on me fit grâce de la vie, mais en 1950 il a refusé de réclamer ma libération. Tout cela est loin. On n'aurait pas cru, alors, que je recommencerais à publier en Belgique des articles *politiques.* Tout vient à point à qui sait attendre. « Il suffit de durer » (parole de Talleyrand, que me rappelait récemment Paul Morand). Encore faut-il d'abord survivre, répondront les membres du « Cercle belge des amis de Robert Brasillach ».
Je sais que mon *Journal d'un condamné à mort* se vend très cher aux bibliophiles. On en a même tiré, je crois, des éditions clandestines. J'en ai sauvé un ou deux exemplaires, « avec les fautes ». Je voudrais republier ce texte, corrigé.
Merci encore. Et croyez-moi votre cordialement dévoué.
Le 23 novembre 1968 :
Mon cher ami,
Je vous renvoie la lettre que vous m'avez communiquée, et qui m'a intéressé vivement. M. Wanthion n'a pas tort de juger sévèrement les « Œuvres (in)complètes » de Céline, qui ont été établies en dépit du bon sens, par des gens partiaux et incompétents.
55:905
De même, je dois faire toutes mes réserves sur *Rigodon,* qui paraîtra prochainement, après un incroyable tripatouillage, dont on m'a soigneusement écarté. Je vous dirai pourquoi.
Il m'est agréable de penser que la jeune génération littéraire ne m'ignore pas.
Je crois inutile de pressentir Franz Hellens, qui refuserait certainement. Cependant je puis, quant à moi, m'inscrire à votre cercle, maintenant que le cas Brasillach a quelque peu changé d'aspect en France. Il y a dix ans, c'était autre chose, l'aspect politique dominait. Et je ne voulais pas, hôte de la France, paraître prêter les mains à ce qu'on pouvait considérer comme une entreprise politique, suspecte (à tort, bien entendu) d'amorcer cette « internationale fasciste » dont rêvent certains illuminés.
Il serait aujourd'hui anormal que ne figurât pas parmi les « amis de Robert Brasillach » un des hommes qui furent en effet ses amis, pendant onze ans.
Croyez-moi votre dévoué, R.P.
Le 29 novembre 1968
Mon cher ami, il n'y a aucune raison pour que, m'inscrivant à votre Cercle belge de A.R.B., je n'en paie pas la cotisation. Je vous l'enverrai dès que les postes françaises accepteront de nouveau les mandats internationaux. (...)
Le 22 janvier 1969 :
Cher Jean Devyver,
Comme vous avez dû le voir, j'ai été l'objet, dans le *Bulletin national,* d'une attaque ridicule et stupide que j'aurais négligée s'il n'y était question de mes relations avec Léopold III. Sur ce point j'ai envoyé un « droit de réponse ». Ayez l'obligeance de me dire s'il a paru, et, éventuellement, de m'envoyer le numéro.
56:905
Je m'adresse à vous parce que je vois votre nom parmi les « donateurs » de cette publication. Ainsi d'ailleurs que le général Van Overstraeten (collaborateur de *Cassandre* en 1941), que Max Terlinden, et, parmi les conférenciers, que Léo Moulin et Jo Gérard. Mais peut-être l'un de vous a-t-il déjà réagi. (...)
Le 2 février 1969 :
Voulez-vous, s'il vous plaît, me tenir au courant de l'affaire *Bulletin national.* L'avantage de cette affaire, c'est qu'elle rompt, fût-ce désagréablement, la conspiration du silence, à laquelle tous mes ex-confrères demeuraient fidèles depuis ma rentrée (*Europe-Magazine,* octobre 1967) dans la vie politique belge.
Le 19 février 1969, le Bulletin national ayant obstinément refusé le « droit de réponse » de Robert Poulet :
(...) Je ne me donnerai pas le ridicule d'engager une lutte judiciaire avec ce nain de la presse et de la politique. Je savais que ces gens étaient têtus et bornés ; je les croyais du moins honnêtes. Il n'en est rien. Tant pis pour eux. Si je leur avais fait l'honneur de leur écrire, c'est parce que j'avais vu dans leur entourage les noms de Léo Moulin, de Jo Gérard, d'Alexis Curvers et le vôtre. Je ne les y vois plus, et j'en suis satisfait, car la place d'hommes intelligents qui défendent l'unité belge n'est pas auprès de personnages qui ne comprennent pas qu'une telle lutte doit commencer par une réconciliation entre tous les défenseurs de cette unité, quelle qu'ait été, de bonne foi, leur attitude dans le passé.
(...) Ludo Patris était un garçon droit et courageux. Je salue sa mémoire.
Paul Werrie a l'air disposé à rejoindre notre « cercle belge »... bien qu'on lui ait retiré la nationalité belge, pour avoir, en 1940-1942, parlé de théâtre et de sport. C'est aussi bête que le *Bulletin national.* Cordialement à vous, R.P.
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Le 29 juin 1971 :
(...) Il est vrai que Paul Werrie, Georges Portal et Claude Elsen ne peuvent se rendre en Belgique, étant rangés parmi les « contumaces ». Je n'appartiens pas à cette catégorie, ayant « payé ma dette (?) à la société », et même ayant recouvré tous mes droits civils et pensions, par jugement du tribunal de Bruxelles. C'est pourquoi je suis allé trois fois dans ce beau pays, mais toujours fugitivement, car je manque de temps, même à l'époque des vacances.
Me voici cependant rentré de Haute-Savoie, où je suis allé travailler, en face du Mont-Blanc. (...)
Le 27 décembre 1971 :
Merci pour l'envoi d'une coupure de la *Libre Belgique*. (Jamais le Père Pirard ne parlait de mes livres. Cette fois je lui ai envoyé *Contre* avec cette dédicace : « au P. P., qui voudrait bien, mais qui n'ose pas ». Cette flèche a dû le piquer. Opération réussie.) (...)
Le 15 janvier 1972 :
Cher Jean Devyver,
Le « Pour l'Auto » de la *Dernière Heure* nous la baille belle ! Le tabac est encore plus dangereux que la voiture ? Alors qu'est-ce qui empêche les gens de maudire à la fois la voiture et le tabac ?... Le Boeing pollue l'atmosphère autant que cinq mille Mercédès ?... Oui, mais à dix mille mètres d'altitude ! La Mercédès, je l'ai sous le nez. Tout cela n'est pas sérieux. -- Comme toute notre civilisation, qui prend des airs techniques et scientifiques, et qui n'est qu'un vaste enfantillage. Embêtant et dangereux, comme la plupart des jeux d'enfants.
58:905
Moi non plus, je n'ai pas de voiture. Taxi quand je suis pressé ou chargé. Pas de télévision. Pas de journaux quotidiens. Mais mon ascétisme s'arrête là. Nous sommes tous plus ou moins contaminés. Aucun d'entre nous n'aurait le courage de « tenir » sur une île déserte.
Au surplus l'auto n'a rien d'odieux. C'est l'autophilie, l'autolâtrie, le vice de l'auto, qui est une chose ridicule et épouvantable.
Si encore -- comme vous le dites -- on pouvait être en sûreté sur les trottoirs !
Cordialement à vous. R.P.
P.S. Avez-vous lu « *Sire, vous ne pouvez plus vous taire* »*,* brochure « Éditions nationales », 37, rue Reynier, Liège ? A répandre, pour contrebattre les mensonges (par omission) de l'*An Quarante.*
Le 24 octobre 1973 :
J'ai encore un seul exemplaire de la brochure sur l'*Affaire R. P.*, (...) ce petit ouvrage de ma femme (...).
Le 4 novembre 1973 :
Si vous en distribuez autour de vous, ayez l'obligeance d'en retirer la première page : « Cette brochure... etc. » Signée G.P. \[Germaine Poulet\]. Il s'y trouve une faute d'impression. Et cet avertissement n'est plus nécessaire.
Le 19 mars 1975 :
Cher Jean Devyver, (...) Vous répondez à l'idée d'un ami qui pourrait plus tard aider ma femme dans les soins que réclamerait mon œuvre, tant publiée qu'inédite. (Car nous avons perdu notre fille il y a quelques années.) Je sais bien que dans mes écrits journalistiques il y a un énorme déchet. C'est pourquoi je désire, dès à présent, former un recueil avec mes « exit » de *Pan,* qui ont été conçus à cette fin. (...)
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J'achève la préparation de mes mémoires (*Ce n'est pas une vie*) et l'on annonce la réédition du *Prélude à l'Apocalypse.*
Le 11 octobre 1975 :
(...) Grâce au ciel, ma santé est bonne, ce qui me permet de travailler environ le double de ce que je m'imposais vers quarante ans. L' « âge de la retraite » est une blague. Dites-vous cela, vous qui êtes encore dans l'âge mûr : il faut se ménager une vieillesse vigoureuse et laborieuse, car c'est seulement alors qu'on dispose de toute sa personne. Avant, tout est incomplet.
Le 21 décembre 1975 :
Cher ami, pour les articles (éventuels) des journaux bruxellois, Ivan du Monceau m'enverra prochainement les photocopies. Vous êtes bien gentil d'y avoir pensé !
Le tirage des *Billets de sortie* fut très réduit. Aussi l'éditeur n'a-t-il pu me donner qu'une demi-douzaine de volumes, dont j'ai été dépouillé au cours de mes trois heures de présence à Bruxelles. Peut-être l'éditeur français sera-t-il plus large, mais je n'ose l'espérer. (...)
Le 22 janvier 1977 :
(...) Avant mes ennuis de santé, j'avais reçu je ne sais quelle équipe de télévision, qui m'a fait parler de mes relations avec l'entourage royal. Je ne sais ce que cette pellicule deviendra ; les expériences précédentes se sont ensevelies dans un profond silence.
Une confidence : j'ai entrepris d'écrire un nouveau pamphlet, intitulé *J'accuse la bourgeoisie*.
Le 3 août 1977 :
(...) Non seulement je ne bois plus une goutte de vin depuis trente-cinq ans, mais je m'abstiens en outre de café, de thé, de chocolat, etc. De tabac aussi, bien sûr. Ajoutez à cela la culture physique, matin et soir, la marche quotidienne, le travail (indispensable).
60:905
Il est vrai que Léon Daudet défendait le vin et en buvait beaucoup. Ceux qui l'ont connu savent que physiquement il n'inspirait guère l'idée de suivre son conseil et son exemple. Il a « tenu » jusqu'à l'âge de 74 ans, mais dans quel état ! A partir de 1935, il eut le cerveau affaibli, le souffle court, et il mourut gâteux. Évidemment, il y a des exceptions. Il y a aussi des gens qui mangent du verre ou qui ne dorment pas la nuit. Dans l'ensemble, le vin, le vin français, est un fléau. (Mais il est permis de se demander si, privés de ce poison, les Français seraient encore ce qu'ils sont. En 1940-44, ils se portaient admirablement, les hôpitaux étaient vides. Mais les gens étaient tristes, comme des désintoxiqués.) Pour les autres !...
En fait, la race est laide et chétive, sauvée seulement par la vivacité d'esprit.
(...) Soyez donc constant dans votre abstention *totale.* Soyons des hommes de peu de foie et de beaucoup de foi. Cordialement à vous. R.P.
Le 22 décembre 1977 :
J'ai reçu avant-hier une équipe de la télévision belge, qui fait une émission sur la « Collaboration ». Ces jeunes gens tombaient des nues en m'écoutant. C'est comme si on leur parlait des horreurs commises à l'issue de la guerre de Cent ans. (...)
Le 29 janvier 1981 :
Cher Jean Devyver,
L'article de *Rivarol* qui vous a frappé a touché beaucoup de monde, même parmi la jeunesse. Mais j'avoue que j'ai peu de goût à jouer ce rôle de Cassandre, en vue d'un avenir que, de toute façon, je ne verrai pas.
61:905
J'aimerais mieux passer gaiement -- en écrivant des choses qui m'amusent -- le temps qui me reste. La jeunesse n'est que faiblement responsable de l'état où elle se trouve. Tout cela s'est décidé vers 1945-1950, quand les théories américaines (Dewey) de la « permissivité » ont achevé de déglinguer les adolescents mal élevés de la guerre. Ce sont les enfants de cette génération-là, et donc la suivante, que nous avons sous les yeux.
Quant à l'état du monde, il résulte des deux guerres civiles européennes. Inutile de vous répéter ce que j'ai déjà tant ressassé et que vous savez aussi bien que moi.
Le bonheur, je le crains, est une chose du passé. Il y eut, depuis, un siècle d'agitation et d'illusion, avec l'efflorescence intellectuelle et artistique qui accompagne la course aux catastrophes. Puis un siècle de folie, qui s'achève par les derniers mirages d'une prospérité matérielle en train de s'évanouir. Mais les gens ne s'en doutent pas encore.
La Belgique ?... Vu du dehors, ça a l'air d'une dispute de bébés. Qui ne savent pas combien la maison est fragile.
J'espère que vous avez reçu la *Conjecture.* C'est un conte voltairien. Nos amis de Bruxelles, qui attendaient autre chose que ce jeu de l'esprit (avec un fond sérieux), paraissent n'y rien comprendre.
Croyez-moi votre cordialement dévoué. R.P.
Le 3 avril 1981 :
(...) Les « Portraits » (trente seulement, et d'écrivains seulement) se préparent. Et aussi l'*Adieu au fascisme.* Comme vous voyez, j'en suis à la liquidation. Merci encore et toutes mes amitiés. R.P.
P.S. Les politiciens belges me semblent complètement fous.
Le 3 janvier 1982 :
(...) *Septante* et *nonante* sont des mots excellents. Mais il conviendrait, en toute logique, d'y ajouter *octante.*
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Je me sers couramment, en tout cas, des dérivés *la septantaine* et *la nonantaine,* qui n'ont pas d'équivalents. En général, plus la langue se rapproche de ses origines, plus elle mérite honneur et respect.
(...) J'ai mis un peu d'ordre dans ma correspondance reçue, et j'ai recensé quarante lettres de Céline, cinquante de Morand, cent cinquante de Chardonne, autant de Paulhan, etc.
(...) Merci pour le texte de la lettre Brasillach-Drieu. Elle éclaire certains démêlés auxquels, indirectement, j'ai assisté.
Le 15 décembre 1982 :
Cher Jean Devyver,
Je vous suis très reconnaissant des soins que vous donnez à mon petit livre ([^17]). Grâce à vous et à deux ou trois autres, il ne sera pas inconnu en Belgique. Où, me dit-on, l'on commence à s'étonner de me voir exclu des « anthologies » et « alphabets », pour des raisons qu'on n'est plus très sûr de savoir indéfiniment bonnes. Un éditeur belge, fâché de la façon dont j'ai portraituré son ami Frans Hellens, m'écrit que je n'ai plus *un seul ami* dans mon pays natal. Vous êtes la preuve du contraire, et cela me fait grand plaisir, ne fût-ce que pour avoir un exemple à citer quand mes amis français -- qui sont, eux, très nombreux et fidèles -- se moquent de cet « ostracisme » (comme disait M. Beulemans).
(...) Chose bizarre, Lausanne est devenu pour moi un centre d'amitié exceptionnel, avec ces Cahiers \[Robert Brasillach\], les éditions de l'Age d'Homme, Jean Anouilh, et plusieurs autres personnes, qui ne se connaissent pas entre elles. Il y a de ces magnétismes, qui s'exercent dans des lieux privilégiés. Bruxelles reste l'un d'eux, malgré tout. Encore merci, chez Jean Devyver. Je vous réciproque, pour vous et pour les vôtres, vos affectueux souhaits. Croyez-moi toujours votre chaleureusement dévoué Robert Poulet.
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Le 10 avril 1983 :
Cher ami,
Ma femme et moi nous souvenons très bien de ce séjour à Bruxelles de Robert Brasillach \[pendant l'Occupation\]. Il a déjeuné chez nous, 201, avenue Louise, avant la conférence. Je n'y ai pas assisté, ayant à faire au journal, et peu friand de ces manifestations collectives (car c'était surtout ce que les organisateurs attendaient de la séance). Ensuite le conférencier a été retenu par ces messieurs, et je ne l'ai plus vu qu'à son départ pour Paris. Les photos qui ont été prises à cette occasion ont dû paraître dans le *Nouveau Journal,* dans le *Soir* et, je suppose, dans le *Pays réel* (s'il existait encore).
(...) Je vous signale que j'ai décidé de mettre fin à ma collaboration au *Spectacle du monde.* Ce travail, que je faisais depuis quinze ans, me fatiguait (...).
Le 15 mai 1983 :
(...) Votre correspondant se demande ce que j'allais faire dans la « galère de la collaboration ». Rappelez-lui que je n'ai jamais pris à mon compte ce dernier mot, sauf pour en reporter *l'éventualité conditionnelle après* la fin de la guerre. Mais ce sont de vieilles disputes, qui ne doivent pas dire grand-chose aux hommes d'aujourd'hui, trompés pendant quarante ans.
P.S. Le mot « fraternels adversaires » \[prononcé par Robert Brasillach\] était d'un saint. Je suis loin d'être un saint ! Avec les auteurs d'assassinats politiques (je ne parle que de ceux-là), je n'ai *rien* de commun, ni par conséquent de fraternel. Étant entendu que, parmi ces criminels, je range les juges de l'Épuration. « Je pardonne à mes assassins » fut le testament de José Streel. Je ne suis pas sûr que, bien que catholique, j'aurais pardonné aux miens.
64:905
Le 27 mai 1983 :
Cher ami,
Je vous remercie pour les informations concernant l'ouvrage annoncé de Jo Gérard. Le seul point intéressant, c'est la formule d'après laquelle le comte Capelle « reçut des personnalités favorables à la collaboration ». Cela tendrait à dire que le secrétaire du roi prenait ces initiatives de son propre chef et sans en informer son maître (auquel, nous le savons, il adressait chaque fois un compte rendu, dont il n'a jamais voulu publier le texte : on n'en a eu que quelques « analyses » de Jacques Pirenne). Quant au reste des sujets traités, cela me paraît de l'eau bénite de cour.
(...) Je n'ai pas fait de livre sur Borms. Seulement quelques pages dans *Ce n'est pas une vie.* Et, bien sûr, des articles dans la *Nation belge* à l'époque où le chef flamand fut élu à Anvers. J'ai connu le vieil homme en prison, et nous nous y sommes liés d'amitié. Je lui ai succédé dans sa cellule après l'exécution, et je possède la petite croix devant laquelle il a prié au cours de sa dernière nuit.
Le 30 juillet 1983 :
(...) On m'envoie de divers côtés une page du *Pourquoi Pas* (n° du 22 juin, p. 140). C'est un article d'Alain Germoz où, à propos de l'émission « *Nieuwe Orde* »*,* ce journaliste parle du « cas R.P. », en disant que ce cas « s'est enfoncé comme une épine dans l'âme des purs ». Surtout du côté flamand, depuis l'émission. Il annonce que la R.T.B.F. va reprendre, pour le côté francophone, la série de Maurice De Wilde \[sur la Collaboration et l'Épuration en Belgique\].
Le 14 décembre 1983 :
Cher ami,
Une suite heureuse de circonstances a fait que le « cas R.P. » est revenu sur le tapis en Belgique, suscitant de nouvelles polémiques, et des articles dans le *Pourquoi Pas,* dans *Pan,* dans *De Standaard, 't Pallieterke ;* peut-être d'autres publications.
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L'affaire est reprise maintenant par des historiens de profession, qui ont étudié sérieusement les textes et sont arrivés à des conclusions auxquelles s'opposent -- mais sans pertinence : combat d'arrière-garde -- quelques « résistants » du genre épurateur.
(...) Je suis poussé aussi -- je vous l'avoue -- par ce que j'appellerai la « hâte des vieillards », qui n'ont plus beaucoup de temps pour régler leurs affaires, surtout celles qui tiennent à l'honneur personnel et qui traînent depuis un tiers de siècle. (...)
Le 20 janvier 1984 :
(...) Un bon nombre de nos compatriotes m'ont exprimé l'émotion que leur a causée l'article de Jacques Willequet, auquel il faut joindre celui d'Arthur de Bruyne et celui d'Alain Dantoing dans des journaux flamands. Le mouvement s'arrêterait là que, pour mon compte, je m'estimerais satisfait. J'aurai vu le témoignage *public* de la vérité, quarante ans après. Il semble aussi que l'émission De Wilde soit sur le point de repasser à la télévision de langue française. La réparation n'ira pas vite, ni sans obstacle, mais elle s'accomplira tôt ou tard. Je mourrai apaisé.
Le 4 avril 1984 :
(...) Il y a des réserves à faire sur le livre de Maurice De Wilde ([^18]), qui étudie surtout le début et la fin de l'Occupation. On a attendu trop longtemps pour entreprendre ce genre d'émission, où l'on aurait dû entendre notamment la voix de Romsée et celle de Capelle. En ce qui me concerne, il était entendu que je devais de nouveau être interrogé par un certain De Vos, de la R.T.B.F. Ce devait être *fin mars.*
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Plus de nouvelles !... Mes amis du *Centre d'étude de la seconde guerre mondiale* ont entendu dire qu'on a reporté à *fin septembre* cette audition R.P. Peut-être -- ajoute-t-on -- dans l'espoir que j'aurai disparu auparavant... Telle est la situation. Entre nous, je vous dirai que je vais faire imprimer une brochure contenant les explications et justifications que j'ai préparées et les documents qui les appuient, documents que les journaux francophones de Belgique ont refusé de publier.
Le 20 juin 1984 :
Cher Jean Devyver,
Une fois de plus, je sors de l'abîme et remonte tout doucement la pente. J'ai repris mes occupations (*Rivarol, Écrits de Paris, Présent,* et la mise en lieu sûr de mes inédits). Ma correspondance a souffert de cet écart. Je vous dois depuis longtemps une réponse. Notamment sur le jésuite Poulet, au sujet duquel vous m'interrogez. Il s'agit en réalité d'un P. Poullet. Mais, en fait, les deux orthographes se confondent. Elles se succèdent, pour les mêmes personnages, dans les archives de la province du Charolais. En Belgique, où deux branches de la famille ont abouti, au début du XIX^e^ siècle, l'une a choisi les deux l, l'autre l'l unique. En tout cas le jésuite en question m'est personnellement inconnu. J'ai maintenant de bons rapports avec Saint-Servais, dont je suis l'ancien élève doyen (rhétorique en 1909). Le collège insère même mes souvenirs dans son bulletin, mais sous la discrète signature R.P. On m'avait dit que les Pères avaient effacé mon nom sur la plaque portant les noms des anciens qui se sont distingués en 14-18. Il paraît que ce n'est pas vrai. Cependant on n'ignore pas là-bas que je réprouve l'évolution gauchisante de la Société de Jésus. Société qui s'engage dans un vœu spécial d'obéissance à l'égard du pape.
Pour l'émission De W., on m'écrit que la R.T.B.F fera appel à moi pour commenter -- avec trois ou quatre historiens, J. Willequet, J. Stengers, W. Ugeux et une Flamande -- la séance qui me concerne et qui sera projetée en septembre. Si je tiens jusque là...
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Mon seul frère encore vivant est Georges P., éminent professeur et critique, membre honoris causa de toutes les universités du monde, et, depuis peu, membre de l'Académie des Sciences morales et politiques (à Paris, bien entendu). Il a pris sa retraite à Nice. Il est venu nous voir récemment. Nous nous écrivons assez souvent.
Le 5 juillet 1984 :
(...) De René Hardy je ne sais que penser. Qui ment ? Qui dit la vérité dans cette sombre histoire ? Elle prouve surtout que quand on entre dans la « guerre des civils », ou guerre subversive, où l'on doit faire fi de toutes les traditions dont se compose la civilisation, et se fabriquer un honneur personnel compatible avec toutes les tromperies et toutes les impostures, on s'expose à ne plus savoir soi-même ce qui est bien, ce qui est mal.
Le terrorisme appelle la torture, qui appelle la trahison. J'ai fait en 14-18 une guerre *propre,* où j'étais exposé à la mort (mes trois prédécesseurs dans mon emploi ont été tués, et j'ai échappé par miracle). Mais je n'ai jamais été exposé à trahir, car en ce temps-là aucun soldat ne songeait à torturer un soldat. Au capitaine allemand qui, commandant le centre de renseignement de Bruges, m'a interrogé après ma capture, j'ai répondu : « Vous êtes officier. Vous savez qu'un officier ne parle pas. » Il s'est levé, m'a salué, et m'a renvoyé à l'infirmerie où l'on soignait mes blessures. Trois semaines après, je m'évadais, en uniforme, de la forteresse de Rastadt. Ça, c'était la guerre. Les gens qui ont inventé la guerre des civils, vingt ans plus tard, sont des barbares. Je les mets tous dans le même sac. Toutes mes amitiés. R.P.
Le 11 octobre 1984 :
(...) Merci de votre lettre. Nous en avons reçu une vingtaine, et autant d'appels téléphoniques. On m'annonce une cassette.
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Tout cela, satisfaisant, dans l'ensemble. Votre compte rendu était l'un des plus complets. On peut toujours compter sur un ami comme vous. Vu avec plaisir (coupure de journal) votre figure. Ma gratitude et ma vive sympathie sauront maintenant sur quelle image se fixer.
La *Libre Belgique* et *le Soir* qu'on m'a envoyés m'attaquent avec des gants. Pensez à ce qu'ils auraient écrit si on m'avait, comme ils le demandaient, fusillé !
(...) En hâte (je dois beaucoup de réponses, et j'ai pas mal d'articles en retard. Dire qu'il y a des gens qui prennent leur retraite à cinquante-cinq ans !) A vous de tout cœur. R.P.
Le 30 décembre 1986 :
(...) Le livre de Jacques Willequet ([^19]) est un monument et un événement. En fait, ce travail d'un spécialiste éminent, dont la carrière fut partiellement officielle, aboutit, en toute objectivité, à l'effondrement des conformismes passionnels de 1944-50 et la suite. Il a fallu quarante ans pour que l'intelligentsia belge parcoure le terrain que la France, par exemple, a franchi depuis longtemps. Mais enfin c'est fait, ou ce va l'être. Je ne sais pas comment les journalistes belges vont réagir à cette leçon, dont il résulte que leur mise à l'index des maudits de la politique fut un acte de lâcheté et de stupidité. Peut-être va-t-on étendre à J. W. la conspiration du silence, ou va-t-on faire semblant de ne pas le comprendre. En ce qui me concerne c'est pourtant très clair. C'est ce que déclarent les jeunes gens qui m'écrivent de divers côtés. Ils disent : « On nous a trompés. » Je considère, quant à moi, que le livre de Willequet m'apporte la « réparation morale » que j'attends depuis tant d'années et qui m'était due selon Victor Larock. La Providence a permis que je vive assez longtemps pour recevoir cette satisfaction. Je n'en désire pas davantage, et me tourne vers l'éternité. A votre génération de se replier, tout au moins, sur le plan littéraire et de préparer les voies de la postérité. Il me semble que certains aspects de mon œuvre sont totalement inconnus en Belgique, notamment mon œuvre de moraliste. Ce n'est plus mon affaire.
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Je lis toujours avec plaisir les notes critiques que vous donnez à divers journaux et que vous voulez bien m'envoyer. J'y reconnais deux caractères : le bon goût et le bon sens. Dommage que vous n'ayez pu suivre dans cette spécialité une vraie carrière.
Bonne année à vous et à tous les vôtres. En vous remerciant encore du soutien que vous avez bien voulu me donner, l'un des tout premiers en Belgique. Ma femme se joint à moi pour vous remercier et pour vous envoyer nos vœux les plus amicaux.
Robert Poulet et Germaine Poulet.
Le 14 avril 1987 :
(...) Il manque en France l'équivalent d'un Maurras, pour élaborer une tactique et une doctrine à l'intention de la « vraie droite ». Mais la gauche a enlevé l'Université, la presse, la justice, et même les salons. Derrière ce chaos, l'invasion maghrébine. Je ne vois pas comment on s'en sortira.
Paul Kenès est un convaincu et un zélé ! Un autre genre que Gilsoul, mais j'ai de l'attachement pour ces Belges qui, comme vous, m'ont défendu dès le début. Maintenant tout change ; il paraît que la nouvelle génération de Louvain, de Bruxelles, de Liège et de Gand s'est précipitée sur le livre de J. W., malgré la mauvaise humeur des journaux. L'auteur s'attendait à un tollé parmi ses confrères. Il n'y en a pas eu et il ne récolte que des félicitations. Il suffisait d'avoir du courage. Alors la vérité passe. Il ne reste, m'écrit-on, que quelques « responsables », furieux de comprendre que partout les gens se disent, après avoir lu J. W. : « Mais alors ?... Fallait-il traiter de la sorte tous ces gens-là ? »
Toutes nos amitiés, à vous et à tous les vôtres. R.P.
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## DOCUMENTS
### Les réponses de Jean Madiran à l'enquête d'Éric Vatré
*sur la situation du catholicisme aujourd'hui*
Éric Vatré a mené une « enquête sur la tradition catholique aujourd'hui » auprès d'une trentaine d'auteurs, allant de Dom Gérard au P. Congar, d'André Frossard à Pierre Boutang, d'Émile Poulat à Jean-Marie Paupert (etc.), ce qui fait un volume de 370 pages paru en mars 1994 aux Éditions Trédaniel.
Voici les réponses de Jean Madiran.
*Du point de vue religieux, avez-vous été influencé de façon décisive dans votre adolescence par le milieu familial ?*
*Quels furent vos principaux maîtres spirituels, clercs ou laïcs ?*
*Pourriez-vous nous rappeler les principales étapes de vos activités de philosophe et de chroniqueur religieux ?*
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J'ai regroupé vos trois premières questions. Je vous demande la faculté de procéder encore ainsi par la suite chaque fois que vos questions, ou du moins les réponses que je puis y faire me paraissent devoir se recouper.
Pour répondre à vos premières questions, il n'existe sur moi, à ma connaissance, que deux biographies intellectuelles, la courte et la longue, et je ne désire rien y ajouter pour le moment.
La courte n'a que quelques lignes, elle a paru dans *L'Homme nouveau* en 1967, et elle vous répond que je me « *reconnais plus ou moins disciple de Boèce, saint Thomas, Bossuet, Péguy, Chesterton, Maurras, Charlier* »*.* Il faudrait nommer aussi Prosper d'Aquitaine, saint Benoît, Le Play et Veuillot ; et il faut dire, bien sûr, non pas « Charlier » mais « les Charlier » : Henri et André.
La biographie longue est le livre de Danièle Masson intitulé : « *Jean Madiran* »*,* il fait environ trois cents pages aux Éditions Difralivre (1989).
*Avez-vous été amené à réviser de quelque manière votre position vis-à-vis du concile dans ces dernières années*
C'est au cours de l'année 1966 (je dis bien : *soixante-six*)*,* éclairé par la condamnation épiscopale d'*Itinéraires,* que j'ai révisé ma position à l'égard du concile.
J'avais dit jusqu'en juin 1966 :
« Nous recevons les décisions du concile en conformité avec les décisions des conciles antérieurs. L'interprétation juste est fixée précisément dans et par la conformité avec les précédents conciles et avec l'ensemble de l'enseignement du magistère. »
C'est pour cette position de principe (et avant que nous ayons eu le temps d'en faire l'application à un cas particulier) que l'épiscopat français a condamné *Itinéraires* comme s'opposant ainsi au concile et au « renouveau entrepris ».
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J'en ai conclu que, sinon toujours dans le texte, du moins dans l'intention du législateur conciliaire, il s'agissait donc, par le concile, d'opérer une rupture impie avec ce qui avait été l'être historique de l'Église. Dit ainsi en résumé, cela peut paraître un peu sommaire ; pour les précisions, documents et nuances, je renvoie à mon livre : *Réclamation au Saint-Père* (Nouvelles Éditions Latines 1974), spécialement le chapitre II. Et aussi au volume : *Le concile en question* (Éditions DMM 1985), qui est le recueil de la « correspondance Congar-Madiran » sur ce sujet.
*Quel regard portez-vous aujourd'hui sur l'œuvre de Mgr Lefebvre ?*
Le même aujourd'hui qu'avant-hier. Je pense qu'il a eu très largement raison, sinon infailliblement sur chaque détail, du moins sur l'essentiel des idées qu'expose sa *Lettre aux catholiques perplexes,* édition de mars 1985, réédition identique de juin 1988 ; notamment la page 216 et dernière.
*La référence habituelle de Jean-Paul II à la question des* « *Droits de l'homme* » *vous semble-t-elle compatible avec le point de vue traditionaliste ?*
*Quelle est votre position vis-à-vis de la déclaration* « Dignitatis Humanae » *et la question de la liberté religieuse ?*
J'ai traité ces questions « au fond » dans plusieurs ouvrages, notamment *Les droits de l'homme* (*DHSD*) (Éditions de Présent 1988). Mais j'en suis venu à douter fortement qu'à l'heure qu'il est la question « de fond » importe véritablement aux pasteurs actuels de l'Église.
Tout se passe, en cette seconde moitié du XX^e^ siècle, comme si la hiérarchie ecclésiastique tenait surtout à employer les termes de « droits de l'homme » et de « liberté religieuse » à la manière de slogans, sans s'arrêter à aucun débat doctrinal à leur sujet. Il est bien évident que l'Église ne peut admettre ces termes au sens de 1789 ou de l'ONU : il existe même des textes (rares et brefs, mais nets) où Jean-Paul II le dit. Le plus souvent, dans leur emploi, ce n'est pas une mise au point doctrinale mais un impact médiatique qui est recherché, pour donner l'impression que l'Église est merveilleusement « ouverte » sur son temps, sur les hommes, sur l'avenir, etc.
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Cela relève en somme de la propagande, et pas au meilleur niveau. Je crains fort que le discours théologique ou philosophique ne demeure sans prise sur une telle attitude de la hiérarchie. Cette attitude lui passera quand elle aura retrouvé, peut-être à travers les pires malheurs, la primauté naturellement et surnaturellement nécessaire de la contemplation sur l'action, du dogme sur la pastorale, du ciel sur le monde.
*N'avez-vous pas le sentiment que les traditionalistes qui n'ont jamais rompu le lien d'obéissance à Rome ou ceux qui, après un temps d'insoumission, sont rentrés dans l'obéissance ne sont guère, au mieux, que* « *tolérés* » *par le clergé français et regardés comme une minorité somme toute négligeable ?*
Replaçons les choses dans leur contexte et leur perspective. Bien avant Vatican II, l'épiscopat français a fait une « option pastorale » qui coïncide avec une option politique : se démarquer ostensiblement de tout ce qui est réputé « à droite » ou « de droite », pour arriver à établir des rapports de dialogue, d'entente, de coopération avec les forces, lobbies et pouvoirs « de gauche ». Avec plus ou moins d'élégance ou de bassesse selon les saisons et les auteurs, *La Croix* est un journal carrément « de gauche » : au moins aussi ardemment qu'elle était « de droite » avant 1926. Peu importe à cet égard que l'on soit catalogué « traditionaliste » plutôt qu' « intégriste », « conservateur » plutôt que « réactionnaire », nationaliste « extrême » plutôt que « modéré », « obéissant » ou « insoumis » : l'antipathie épiscopale est intense pour tout cela en bloc. Ce n'est pas une question de doctrine. C'est une question de tactiques, de connivences et de préjugés. Plus ou moins consciemment, l'épiscopat français croit à une constante évolution à gauche. Il regarde toute « droite » politique ou religieuse comme négligeable non point parce qu'il l'imagine minoritaire, mais parce qu'il la tient pour une survivance destinée à disparaître tôt ou tard.
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Et tant qu'elle n'a pas disparu, il la tient pour un obstacle et une gêne dans sa politique d'amitié avec « la gauche » : elle fait suspecter son « ouverture à gauche » (appelée « ouverture au monde ») de n'être ni sincère ni définitive.
L'effondrement du communisme à Moscou serait bien de nature à ébranler une croyance aussi absurde que celle en la pérennité de l'évolution à gauche. Mais les croyances sont *dans la volonté.* Et le refus moderne de la vérité n'est un aveuglement de l'intelligence que par voie de conséquence ; le plus souvent il est essentiellement une réitération du *non serviam* initial.
*Dans les années 1960-1970, la revue que vous avez fondée, ITINÉRAIRES, dénonçait les* « *dérapages* » *conciliaires. Aujourd'hui semble-t-il l'analyse critique y est moins vive. Serait-ce que le regard que vous portez sur l'Église n'est plus le même ?*
Ôtez les guillemets autour de *dérapages,* ce n'est pas une citation, nous n'avons pas habituellement employé ce mot pour qualifier des erreurs qui, d'ailleurs, n'ont pas été inventées par l'évolution conciliaire. Le concile n'a quasiment rien innové. Il a servi à officialiser des hommes, des groupes, des courants d'idées fortement soutenus depuis longtemps dans l'épiscopat, mais que Rome refusait et combattait jusqu'en 1958.
Mon analyse n'est pas « moins vive » que dans *L'Hérésie du XX^e^ siècle :* j'ai réédité ce volume vingt ans après sans y rien changer. Tous mes autres livres sont également à la disposition du public : ils expriment ce que je pense *aujourd'hui ;* ils recueillent *pour aujourd'hui,* inchangées, mes « analyses des années 1960-1970 ». Quand je change d'avis je le dis ; je dis en quoi et pourquoi. Ma pensée sur Maurras a varié, je l'ai dit tout au long des trente-six années d'*Itinéraires,* et j'en ferai un livre ([^20]). Sur la question juive aussi, mon regard a changé, j'ai dit comment aux pages 57 à 71 de mon livre sur *Brasillach,* et cette année dans un opuscule intitulé *L'adieu à Israël.*
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Mais vous avez parlé du *regard que je porte sur l'Église*. Avec la grâce de Dieu, c'est je l'espère un regard de piété filiale et d'amour.
C'est un regard d'attentive fidélité à l'institution divine, qui repose indestructiblement sur la succession apostolique et sur la primauté du siège romain. Quand les détenteurs de cette succession ou de cette primauté ne suscitent pas mon admiration, alors j'incline volontairement ma colère instinctive devant une compassion raisonnée.
*Le fait de vous trouver en situation de* « *minoritaire* » *voire de* « *marginal* » *au sein de l'Église vous semble-t-il propice, néanmoins, à susciter un renouveau de la tradition ?*
La manière dont vous qualifiez la situation où vous me voyez n'a aucun sens pour moi.
La préoccupation en quelque sorte stratégique qu'elle implique m'est, grâce à Dieu, entièrement étrangère. Dans l'ordre surnaturel, qui est celui de la réalité ecclésiale, les notions de « minoritaire » ou de « marginal » n'ont aucune portée. Elles en ont quelque peu, mais beaucoup moins qu'on ne croit, dans l'ordre naturel.
Henri Charlier éclairait sa tâche et la nôtre par sa parabole du pommier : sa fonction est de produire des pommes, les prend qui veut pour en faire ce qu'il peut. Là où nous sommes, à la mesure de nos moyens et selon les circonstances, nous avons à produire des œuvres. Les pommes sont offertes au maître du terrain et aux passants qui les prennent, les mangent, en donnent ou les dédaignent, ce n'est pas l'affaire du pommier. Nos travaux -- spécialement ceux sur lesquels vous m'interrogez, ceux de critique intellectuelle et de doctrine religieuse -- sont aux pieds de la succession apostolique et de la primauté du pontife romain. A cette succession, à cette primauté nous dédions et adressons nos œuvres dans l'esprit de la parabole du pommier.
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*La messe de saint Pie V présente assurément de nombreuses garanties théologiques. N'avez-vous pas toutefois été sensible à l'effort de réhabilitation d'éléments liturgiques les plus vénérables -- notamment ceux de la* « *tradition de saint Hippolyte* » *-- qui entrent dans la messe de Paul VI ?*
Alors là, pas du tout sensible. C'était de la frime, du faux-semblant, de la poudre aux yeux, du charlatanisme pour ignorants (ou pour « demi-savants ») : un « archéologisme » dont Pie XII avait amplement démontré l'absurde néant.
La « messe de Paul VI », quant à elle, est dans les livres, et guère ailleurs. Ce qui, sous ce nom, a une existence réelle depuis vingt ans, c'est la licence de célébrer n'importe comment pourvu que ce ne soit pas la liturgie traditionnelle.
La messe dite de saint Pie V ne présente pas seulement de nombreuses garanties théologiques : c'est bien le moins ! et ce n'est qu'un aspect de sa réalité surnaturelle. Tout a été dit et redit, depuis vingt ans, sur la liturgie latine : en vain jusqu'ici. Voyez le volume sur *Le chant grégorien* d'Henri et André Charlier ; l'ouvrage fondamental de Louis Salleron : *La nouvelle messe* ; les études, ouvrages, opuscules du P. Calmel, de l'abbé Berto, de l'abbé de Nantes, de l'abbé Dulac, du P. Joseph de Sainte-Marie, de Dom Gérard et de dix autres, sans oublier le témoignage et l'avis d'Étienne Gilson. Je n'y reviens pas. De cette messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V (ou encore selon le rite dominicain), je vous dirai moi-même une seule chose : que les évêques qui avaient été ordonnés prêtres pour la célébrer, et qui n'ont célébré qu'elle pendant tout le concile et encore après, oui, que ces évêques-là aient pu l'abandonner d'un seul coup, sans retour, sans regret, et comme s'ils ne l'avaient jamais aimée, en somme comme si on les en débarrassait, cela est un mystère. Je crains que ce soit un mystère d'iniquité.
*Lorsque Jean Paul II évoque* « *le caractère vivant de la tradition* »*, quel est votre sentiment ?*
Mon sentiment ? Il est que cela vaut mieux que si par hasard il « évoquait le caractère mort de la tradition ».
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*Pensez-vous que la gravité de la crise soit telle au sein de l'Église qu'elle puisse être sans remède ?*
Selon Chesterton, l'Église au cours de son histoire a déjà connu successivement cinq morts de la foi. C'est le dernier chapitre de *L'Homme éternel*, seconde partie : *Cet homme qu'on appelle le Christ*. Je recommande la traduction française d'Antoine Barrois : « La Chrétienté a subi un certain nombre de bouleversements qui, chacun, ont vu la mort du christianisme. Mort plusieurs fois, le christianisme est chaque fois ressuscité ; car son Dieu sait comment l'on sort du tombeau. »
Dans mes réponses je vous ai plusieurs fois renvoyé à des livres, notamment aux miens : parce que je me suis heurté à l'inconvénient principal des enquêtes comme la vôtre (dont je ne nie pourtant point l'intérêt) : on est amené à faire des réponses sommaires, péremptoires, là où il faudrait des dizaines ou des centaines de pages. Quand j'écris tout un livre, c'est bien parce que je suis incapable de résumer ce que j'y expose : sinon je me contenterais du résumé. Disons que c'est mon infirmité personnelle. Une fois néanmoins, ou plutôt deux, je crois être à peu près parvenu à résumer l'essentiel de ce que je voudrais répondre à l'ensemble des questions que vous soulevez : ce fut dans ma lettre à Paul VI (la seconde), et seize ans plus tard dans ma lettre à Jean-Paul II, qui ont été publiées en leur temps et qui en outre sont recueillies en appendice de mon livre : *Quand il y a une éclipse* (Difralivre 1990). Le plus grave est l'occultation ou la perte des repères objectifs, universels, immuables. Permettez-moi de conclure par un alinéa de ma lettre à Jean-Paul II :
« La plupart des chrétiens, tout au long de leur vie, n'ont au mieux que trois livres de religion : le missel, le catéchisme et la Bible. Ces trois livres ont été ravagés : la Bible par une multitude de variantes et d'interprétations arbitraires, en toute liberté de nuire ; le catéchisme et le missel par l'interdiction qui les frappe. Le peuple chrétien a perdu ses points fixes. »
Et le clergé les a perdus au moins autant.
\[Fin de la reproduction intégrale des réponses de Jean Madiran à l'enquête d'Éric Vatré sur la tradition catholique aujourd'hui.\]
78:905
### Homélie de Dom Gérard
*au jubilé sacerdotal de l'abbé Porta*
*Dimanche 20 mars 1994*
Chers frères et amis de Notre-Dame des Armées,
Monsieur l'abbé Joseph Porta, qui célèbre aujourd'hui ses noces d'or sacerdotales est né en Algérie d'une famille foncièrement chrétienne, je dirais même miraculeusement chrétienne, car sa maman, une juive de Corfou, a été abandonnée par son mari. Toute seule, elle a élevé héroïquement ses onze enfants dans une authentique foi chrétienne, qu'elle ne partageait pas encore, avant d'avoir le bonheur, en 1963, d'être elle-même baptisée par son propre fils, son benjamin, le petit Joseph, alors prêtre depuis une vingtaine d'années. Cette famille a donné à l'Église quatre enfants, toujours vivants : un Père lazariste, deux religieuses du Bon Pasteur d'Angers et votre cher chapelain, ici présent, qui dessert vaillamment la chapelle de Notre-Dame des Armées depuis 1977.
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Ordonné prêtre le dimanche 19 mars 1944 par Mgr Thiénard, il partit sous les drapeaux quelques jours plus tard, comme aumônier militaire, pour faire son devoir de bon Français dans l'armée d'Afrique. La guerre terminée, il déboucle son ceinturon et reprend sa soutane pour vaquer aux tâches du ministère dans son diocèse de Constantine. Rien apparemment n'aurait dû contrarier cette existence tranquille. Puis survint le drame de la guerre d'Algérie.
Ce que nos frères pieds-noirs ont souffert dans leur âme et dans leur corps est difficilement imaginable.
Le jeune abbé Joseph Porta se dépense alors sans compter sur la frontière algéro-tunisienne où il dessert les postes militaires et les villages isolés et menacés par la rébellion. Les fellaghas n'ont pas eu de peine à remarquer ce jeune prêtre qui, depuis treize dimanches de suite, visite ses paroisses alentour. C'est au cours d'un trajet, où il se dévoue comme le Bon Samaritain, qu'il tombe dans une embuscade : une rafale de mitrailleuse crépite, Joseph Porta tombe sur le côté ; il a reçu huit balles et dix-sept éclats de grenade dans la jambe gauche ; il baigne dans une mare de sang, victime d'un dévouement sans limite, où chrétiens et musulmans ressentaient les ondes pacificatrices de sa charité sacerdotale.
Des esprits peu expérimentés se demanderont quel intérêt pouvait représenter aux yeux des fellaghas un homme de paix, sans armes, aimé des chrétiens et des musulmans, symbole de réconciliation des peuples par-delà les frontières. Mais nous le savons, nous, depuis longtemps : ce que précisément la Révolution veut détruire, *c'est l'attrayant visage du bien,* le respect des hiérarchies naturelles, et le consentement à la Paternité de Dieu. En somme, la paix, tranquillité de l'ordre !
Voilà pourquoi la Révolution voulait abattre le fraternel, le paisible abbé Porta. Mais la Providence veillait ! *Vita mutatur, non tollitur* dirions-nous pour reprendre une formule liturgique. Pour l'abbé Porta, la vie sera changée, non supprimée : le voilà rapatrié sur Nice et c'est l'accueil réservé à notre clergé d'Algérie, hélas ! dans l'indifférence générale d'une opinion intoxiquée par le régime en place, avec dans le cœur de nos chers prêtres pieds-noirs un rêve brisé, les images d'une terre qu'on ne reverra plus, l'humiliation d'avoir été trompé, de se sentir incompris, rejeté, indésirable !
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Un lourd poids d'amertume pèse dès lors dans le cœur de ces excellents prêtres. Mais le cœur de Joseph Porta n'est pas à la tristesse. En débarquant sur le sol de France, il a emporté avec lui la gaieté de l'Afrique du Nord, l'amitié, le sens humain et cet instinct inné de la communication qui a tissé entre les Français et les Arabes des liens inoubliables. Ajoutons le goût du faste : les soieries, les fleurs, les ornements et les antependium. Ajoutons encore le goût de l'effort et le courage des recommencements ancrés dans l'âme de nos colons ; ajoutons surtout cette confiance en Dieu qui est un des charmes de l'Orient. Parce que, chaque matin, là-bas, au-dessus des oliviers, derrière les djebels, on sait que la Providence lèvera plus tôt que le soleil !
Vous saisissez alors pourquoi, au bout de cinquante ans de sacerdoce ponctués d'épreuves de toutes sortes : souffrances physiques, ingratitudes, tristesse de l'exil, vous saisirez pourquoi une joie d'enfant rayonne malgré tout à travers le regard du vieux prêtre, irradiant le bonheur de vivre au service de Dieu. Et vous saisirez du même coup le secret d'une joie sacerdotale qui a entraîné dans son sillage plus de cent vocations sacerdotales et religieuses de jeunes gens et de jeunes filles.
Faut-il rappeler en outre, cher Monsieur le Chanoine, que lors de votre arrivée, au temps des abbés Lefèvre, Bailliencourt, du Père de Chivré, il n'y avait qu'une seule messe le dimanche. Or, il y en a cinq aujourd'hui dans une chapelle pleine à craquer et, sans l'aide du cher Père Morandi, vous seriez déjà mort ! Cela nous permet de penser qu'après avoir bâti en Algérie deux églises, restauré trois presbytères dans le bled et réparé un clocher bombardé pendant la guerre, l'œuvre de Notre-Dame des Armées est pour ainsi dire votre bâton de maréchal !
Et maintenant, permettez-moi de soulever un coin du voile derrière lequel se cache une exquise charité que je dirais extra sacramentelle, une bonté d'âme où le cœur des pauvres gens trouve tant de réconfort. Je veux parler de vos visites aux Halles, deux fois par semaine, quand vous vous placez derrière le comptoir avec la marchande de fromage pour guider le choix des clients :
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« Madame, goûtez donc ce bleu de Bresse, vous m'en direz des nouvelles !... Ah ! au fait, votre petit a-t-il fait la communion ? Va-t-il au catéchisme ? »... Et le mercredi suivant, il n'est pas rare qu'on voie au catéchisme de l'abbé Porta une petite tête d'enfant noir ou de Maghrébin qui fait son apparition !
Montons un peu plus haut...
Nous célébrons un jubilé sacerdotal.
Qu'est-ce qui fait la valeur de ces cinquante ans de sacerdoce ? N'est-ce pas la messe silencieuse de chaque matin, et la grand-messe dominicale, où se résume toute l'histoire du salut ? Car qu'est-ce que la messe, chers amis ? N'est-elle pas l'enveloppe rituelle du sacrifice de la Croix ? N'est-elle pas le renouvellement non sanglant du sacrifice sanglant et l'extension -- dans l'espace et dans le temps -- de l'Acte unique de notre rédemption ? En outre, une seule messe procure à Dieu une gloire quasi infinie. C'est la foi qui nous le dit : cinq cent mille anges qui rendent gloire à Dieu, éternellement dans le ciel, le font moins bien que cette petite hostie qu'un pauvre prêtre élève entre ses mains. Pourquoi ? Parce que cette petite hostie est Dieu même. En sorte que la grandeur du prêtre tire son origine non pas de son talent ou de son savoir personnel, mais essentiellement du pouvoir qu'il a reçu de célébrer le saint sacrifice de la messe. Le prêtre est l'homme du Sacrifice, de la prédication et du pardon des péchés. Le curé d'Ars disait qu'il doit être *un lion en chaire, un ange à l'autel, un agneau au confessionnal.* Un ange à l'autel... mais un ange puissant qui repousse Satan et les autres démons en enfer. On n'imagine pas à quel point la messe terrifie le diable et le fait reculer. Écoutons-le avouer sa défaite lorsqu'un poète comme Jacques Debout lui donne la parole :
« *L'éternel sacrifice* (*...*) *malgré mes efforts*
*M'arrache tous les jours des vivants et des morts.*
*La messe, débordant le prêtre et le missel,*
*Est un événement toujours universel,*
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*Et quand, à quelque obstacle, impuissant, je me butte,*
C'est que dans une église, une grange, une hutte,
Un homme infirme et pauvre a tenu dans sa main
La formidable Hostie et le terrible Vin ! »
Aimons nos prêtres, aimons cette fontaine qui coule de leurs lèvres et de leurs mains chaque matin !
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
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### Jean Ousset
Article de Jean Madiran dans *Présent* du 22 avril 1994
Jean Ousset est mort à l'âge de soixante-dix-neuf ans, dans la nuit de mardi à mercredi ([^21]) qui fut aussi celle du verdict de Versailles condamnant la France du Maréchal pour crime contre l'humanité. Mystérieuse coïncidence. Coïncidence double : Jacques Trémolet de Villers est le principal héritier spirituel de Jean Ousset.
Dès Vichy, à « Jeune Légion », Jean Ousset était engagé dans la recherche de l'identité religieuse et nationale de la France. Ses premiers travaux étaient fréquemment recommandés par *L'Action française* quotidienne, et Charles Maurras, au congrès des étudiants d'A.F. de Lyon, le désignait comme l'un des deux plus sûrs continuateurs de son œuvre intellectuelle et morale.
Il le fut en effet, mais bien sûr d'une manière vivante, c'est-à-dire inattendue. Après la libération du territoire, il fonde l'entreprise civique qui deviendra bientôt célèbre sous le nom de Cité catholique puis d'Office international (etc.), bref « la rue Copernic », et ensuite « la rue des Renaudes » qui continue toujours à la même adresse et qui maintenant s'appelle ICTUS.
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Par sa revue *Verbe,* par son « cours des cadres », par ses ouvrages et par ses « congrès », Jean Ousset a été pour les générations catholiques d'après-guerre à la fois un instituteur, un maître à penser, un guide spirituel : au milieu des ténèbres et des contradictions, il fut le gardien de ses frères en Jésus-Christ. Son livre fondamental, réédité en 1986 par DMM, est le fameux *Pour qu'Il règne* que Mgr Marcel Lefebvre avait préfacé en 1956 et qui demeure un ouvrage de référence, de réflexion et d'action. Propagateur d'une « action capillaire » toujours à l'ordre du jour, inventeur d'un « sociabilisme » discuté, il a été aussi le théoricien d'un « pouvoir temporel du laïcat chrétien » à restaurer, et la restauration de ce pouvoir-là constitue peut-être la meilleure part de l'espérance qu'il nous lègue.
Pour ma génération, pour la génération précédente, pour la suivante, il a fait profondément partie de notre vie militante, -- et de notre vie intérieure. Je fus souvent à ses côtés, surtout aux années 1960-1970. Mais que dire ? Le chagrin des siens ; et ce grand vide qui soudain s'est fait... Je salue la haute noblesse de toute sa vie.
\[*Fin de la reproduction intégrale de l'article de Jean Madiran paru dans* Présent *du 22 avril 1994.*\]
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AVIS PRATIQUES
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============== fin du numéro 905.
[^1]: -- (1). La Varende : *Les côtes de Normandie,* chez Defontaine, éditeur à Rouen, 1948.
[^2]: -- (2). Maurras : *Pour un jeune Français,* Amiot-Dumont 1949, p. 186 et *suiv.*
[^3]: -- (3). Cf. François-Georges Dreyfus : *Histoire de Vichy,* Perrin 1990, p. 664, 668, 682.
[^4]: -- (4). Paul Reynaud : *Souvenirs,* t. II, p. 300.
[^5]: -- (5). Jacques le Groignec : *Pétain,* Nouvelles Éditions Latines 1991, p. 233.
[^6]: -- (6). *Op. cit.,* p. 264.
[^7]: -- (7). François-Georges Dreyfus, *op. cit.*, p. 672-675.
[^8]: -- (8). Maurras, *op. cit.*, p. 215-216.
[^9]: -- (9). Sur cette action criminelle des staliniens sous couvert de la Résistance nationale, cf. *Itinéraires* de sept. 1993 (numéro 2 de la 3^e^ série), p. 10-13.
[^10]: -- (10). L'article 8, en ce qu'il décrète que « nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit » ; l'article 9, en ce qu'il assure que « tout homme (est) présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ».
[^11]: -- (11). Maurras, *op. cit.,* p. 223.
[^12]: -- (12). *Ibid.*
[^13]: -- Le « cahier semestriel » intitulé *Racines* est édité par l'Atelier de la Sainte-Espérance, sous la direction d'Albert Gérard, assisté de Gérard Prieur et de Céline Magrini. Cette publication a pour but de faire connaître la pensée d'Henri et d'André Charlier.
On s'abonne à l'Atelier de la Sainte-Espérance, rue de la Pératour, 84330 Le Barroux. Abonnement pour l'année 1994 260 F. Il est possible de se procurer, à la même adresse, les numéros déjà parus au prix de 150 F l'exemplaire. \[figure en encadré, page 46, dans l'original -- 2005\]
[^14]: -- (1). Jean Devyver lui avait fait lire le *Livre de quelques-uns* de Robert Poulet (Plon, 1957).
[^15]: -- (2). *Contre la Jeunesse* (Denoël, avril 1963).
[^16]: -- (3). Sur la suite de leurs relations, voir dans *Itinéraires* de décembre 1993 : « Trois *samizdat* de Robert Poulet ».
[^17]: -- (4). *Le Caléidoscope,* éd. L'Age d'Homme, 1982.
[^18]: -- (5). *L'Ordre nouveau,* éd. Duculot, Gembloux (Belgique), mars 1984.
[^19]: -- (6). *La Belgique sous la Botte, Résistances et Collaborations,* Éd. Universitaires, Paris, 1986.
[^20]: -- (1). Les réponses à cette enquête ont été faites par Jean Madiran en mai 1992. Le livre en question, intitulé *Maurras,* a effectivement paru le mois d'octobre suivant aux Nouvelles Éditions Latines.
[^21]: -- (1). De mardi 19 à mercredi 20 avril 1994.