# 907-12-94 (Troisième série -- Hiver 1994, Numéro 7) 1:907 ### Court précis de la loi naturelle *selon la doctrine chrétienne* *L'objet de ce* « *Précis* » *est de résumer, en substance et souvent littéralement, la doctrine commune sur la loi naturelle. Comme cette doc­trine est énoncée par saint Thomas en plusieurs endroits, avec des compléments ici et des nuances ailleurs, l'ordre d'exposition est forcé­ment personnel, cause d'éventuelles imperfections imputables non à la doctrine, ni au Docteur commun,* 2:907 *mais au simple écolier amené par des circonstances négatives à aborder pour la cinquième fois dans sa vie le rudiment de ce qu'il faut savoir sur une question qui commande directement le bien commun des sociétés mais aussi le salut éternel. Voici donc mon aide mémoire.* 3:907 #### I. -- Sa place La loi naturelle occupe une place indispensa­ble dans l'économie du salut que Dieu offre au genre humain. Trois connaissances sont nécessaires au salut. (Par connaissance, il faut entendre un savoir proportionné aux possibilités de chacun. La connaissance du petit catéchisme suffit au niveau des élèves de l'école primaire ; elle ne suffit pas au niveau du professeur de Faculté. Le niveau des connaissances morales et religieuses néces­saires à chacun est proportionné au niveau de ses connaissances profanes, à sa vocation per­sonnelle et à son état de vie.) 1\. -- La connaissance de ce qu'il faut croire : c'est le *Credo* et l'explication du *Credo.* 2\. -- La connaissance de ce qu'il faut dési­rer : c'est le *Pater* et l'explication du *Pater.* 4:907 3\. -- La connaissance de ce qu'il faut faire c'est la *loi* et l'explication de la *loi.* A quoi correspondent les trois vertus théolo­gales de foi, d'espérance et de charité. La foi concerne ce qu'il faut croire L'espérance concerne ce qu'il faut désirer. La charité concerne ce qu'il faut faire, car ce qu'il faut faire c'est toujours aimer. 5:907 #### II. -- Définition de la loi Nous venons de rencontrer une première définition de la loi : la loi, c'est ce qu'il faut faire. Mais *pourquoi* faut-il le faire ? Au nom de quoi *faut-il ?* Disons alors que la loi est : -- un commandement de la raison, -- en vue du bien commun, -- promulgué par une autorité légitime. C'est ce qui apparaît clairement si l'on consi­dère le principe des lois que le législateur décrète dans la cité. Cette définition vaut aussi pour la loi morale. La loi n'est pas un commandement concernant en particulier un seul individu. Elle a pour but un bien qui est commun à plusieurs ; elle suppose une société. 6:907 La vie en société est d'abord pour l'homme une nécessité physique ; elle est aussi le devoir moral imposé par Dieu de poursuivre sa fin naturelle et sa fin surnaturelle en communauté avec les autres. Et notre destinée surnaturelle nous appelle à la société des élus, ou Église du ciel, dont le bien commun est Dieu lui-même. La loi est ce qu'il faut faire en vue du bien commun, et il faut le faire parce que l'auteur de la loi morale est Dieu, Créateur et Fin dernière. 7:907 #### III. -- Les quatre lois Il existe quatre lois dans l'ordre moral : trois qui ont été promulguées par Dieu, et une qua­trième qui est une fausse loi car elle a été instaurée par le Diable. I. -- Premièrement. La loi naturelle est d'abord cette lumière de la raison placée en nous par Dieu lors de la Création. Par cette lumière naturelle nous savons ce qu'il faut faire (le bien, conforme à la nature qui nous a été donnée) et ce qu'il faut éviter (le mal, contraire à notre nature). II\. -- Le Diable est venu par là-dessus et *superseminavit,* il a semé en l'homme une autre loi, une singerie de loi, contraire à la raison, contraire à notre nature, contraire au bien commun : on l'appelle la *loi de concupiscence* ou loi de péché. 8:907 Dans l'état où l'homme fut créé par Dieu, la chair obéissait à la raison (la « chair » au sens large, c'est-à-dire le corps, les sentiments, les imaginations, les désirs, etc.). Après le premier péché qui livre l'homme au Diable, celui-ci sème en l'homme la loi de concupiscence : la chair n'est plus spontanément soumise à la raison. Et alors, bien que l'homme continue par sa raison à voir et à vouloir le bien, il est incliné au mal par la concupiscence. C'est ce dont témoigne le poète latin : *Video meliora proboque, deteriora sequor.* Saint Paul dit exactement la même chose, il fait la même constatation : « Je ne fais pas le bien que je veux, je fais le mal que je ne veux pas » (Rom., VII, 9). La loi de concupiscence combat la loi natu­relle et détruit l'ordre de la raison. Elle parvient même à obscurcir plus ou moins en nous la lumière de la loi naturelle, de la manière que constate le moraliste : « Si l'on ne vit pas comme l'on pense, on finit par penser comme l'on a vécu. » III\. -- Dieu vient au secours de l'homme ; Il rétablit l'ordre en promulguant successivement : 1\. -- la loi de Moïse, révélée sur le Sinaï ; 2\. -- la loi d'amour, qui est la loi du Christ. Dans la loi de Moïse, il s'agit de la partie *morale,* universelle, intangible. L'autre partie de la loi de Moïse est la partie rituelle, qui par nature était provisoire. 9:907 La loi de Moïse est dite *loi de crainte :* elle fait des esclaves -- des esclaves de la loi -- tandis que la *loi d'amour* du Christ fait des hommes libres. La loi de crainte conduit aux biens temporels ; la loi d'amour conduit aux biens éternels. La loi de crainte est lourde ; la loi d'amour est légère. Mais la loi d'amour ne vient pas abolir la loi de crainte ; elle vient l'accomplir, c'est-à-dire lui apporter la plénitude à laquelle elle était destinée. On voit dès lors où se situe la loi naturelle. Elle était au début, dans l'acte même de la Création : elle fut alors promulguée par Dieu en ce qu'il l'inscrivit dans la structure même de la nature qu'il nous donnait. Toute chose créée a ainsi en elle la loi de sa nature : et cette loi naturelle est d'aimer par-dessus tout son Créa­teur. L'univers entier aime naturellement Dieu par-dessus tout, mais il l'aime à sa manière de minéral ou de végétal, et le faire apercevoir est la plus haute fonction de l'art quand il repré­sente les choses matérielles : il ne s'agit pas de les photographier, sinon le photographe ferait mieux que l'artiste, il serait plus exact ; il ne s'agit pas non plus du chimérique et orgueilleux projet de prétendre faire les choses matérielles plus belles qu'elles ne sont, comme si Dieu avait été un artiste mineur. 10:907 Il s'agit pour l'artiste, mystérieusement, de faire voir qu'un paysage, la courbe d'un fleuve, le dessin d'un arbre rendent à leur manière au Créateur un témoignage qui est un témoignage d'amour. Pour l'homme, doué de raison et de volonté, sa loi naturelle est d'aimer Dieu par-dessus tout avec sa raison et sa volonté, c'est-à-dire librement. Parce qu'il est un être libre, qui a le pouvoir de suivre sa nature ou de ne pas la suivre, la loi naturelle de l'homme n'est pas une loi physique ni biologique, elle est une loi *morale.* Ainsi donc, après le péché, Dieu a promul­gué à nouveau la loi (morale) naturelle de l'homme, cette fois sous forme de loi écrite : le Décalogue. Puis, par l'œuvre de la Rédemption, il a donné un triple parachèvement à la promul­gation du Décalogue 1\. -- Il a promulgué la loi d'amour, à laquelle le Décalogue était ordonné ; 2\. -- Il nous a donné la manière d'accom­plir les préceptes du Décalogue : par amour et non plus par crainte ; 3\. -- Il nous donne par sa grâce la force effective -- qui nous faisait défaut dans l'état de nature déchue par le péché -- d'accomplir réelle­ment, intégralement et toujours les préceptes du Décalogue. 11:907 #### IV. Les trois voies de la connaissance De ce qui précède il ressort que nous avons trois voies pour accéder à la connaissance de la loi naturelle. 1 -- *La première* et la plus sûre, et qui est suffisante en elle-même pour acquérir une base certaine, est de se reporter au Décalogue que l'Église, quand elle n'est pas atteinte de collap­sus, fait enseigner au catéchisme sous le nom de *Commandements de Dieu.* « Décalogue », « commandements de Dieu », « loi naturelle » (de l'homme) sont les trois noms d'une seule et même réalité. Chacun de ces noms a sa raison d'être, car chacun dit quelque chose que les autres ne disent pas : 12:907 *Décalogue :* ce sont les dix prescriptions fondamentales telles qu'elles ont été révélées par Dieu à Moïse et au peuple juif. *Commandements de Dieu :* ce nom rappelle que Dieu est l'auteur de la loi (morale) naturelle et que cette loi est enseignée par l'Église. *Loi naturelle* est un nom qui exprime deux choses : *a*) ce ne sont pas des commandements qui nous seraient *extérieurs,* ils sont inscrits dans notre nature et ils nous dirigent vers le bien qui nous est *connaturel,* le bien auquel aspire notre nature et qui la comble ; *b*) ces commandements sont *naturels,* aussi, en ce qu'ils peuvent être découverts par la raison naturelle en l'absence de toute Révélation divine. Il en résulte que pour celui qui n'est ni juif ni chrétien, il existe deux autres voies pour arriver à connaître la loi naturelle. 2\. -- *Seconde voie :* la lumière de la raison. Tous les préceptes du Décalogue sont accessibles à la raison naturelle. Toutefois cette possibilité théorique de la raison n'est pas toujours, en fait, une possibilité réelle : il y faut un travail philoso­phique, et tout le monde n'est pas Aristote ; il y faut beaucoup de temps, un cheminement intel­lectuel qui comporte des risques d'erreur, car si la raison humaine est capable de connaître, elle n'est pas assurée de ne jamais se tromper. 13:907 3\. -- *Troisième voie :* consulter sa propre nature humaine. Non plus la connaissance par la raison, mais une connaissance dite « connatu­relle », une connaissance comme spontanée et pour ainsi dire instinctive. La loi naturelle est inscrite dans le cœur de l'homme : l'expression est de saint Paul. Que l'homme consulte donc son cœur et l'inclination naturelle de son cœur mais la véritable inclination naturelle. Dans l'état de nature déchue qui est celui de l'humanité depuis le péché d'Adam, sous le joug de la loi de concupiscence qui incline au mal, une telle consultation du cœur risque d'être trompeuse. Ces *deux voies naturelles* vont généralement ensemble, s'éclairant et s'aidant l'une l'autre. Dans ce cas la loi naturelle est appelée la *loi non écrite* (la loi non écrite de l'Antigone de Sopho­cle) par distinction d'avec les lois écrites par le législateur humain. Pour celui qui n'est ni juif ni chrétien, la loi naturelle est en effet une loi qui n'est écrite nulle part sauf dans sa raison et dans son cœur. La pensée grecque avait atteint à une idée très haute de la loi naturelle, et très certaine puisque Antigone donne sa vie pour obéir à une loi exactement conçue comme supérieure aux lois humaines. Si les lois humaines promulguées par la cité contredisent la loi non écrite, il faut désobéir aux lois humaines et obéir à la loi non écrite, fût-ce au prix de la vie. 14:907 A toutes les époques et dans tous les pays, il peut se produire que la loi politique vienne contredire la loi naturelle : celle-ci n'est plus pour nous une « loi non écrite », elle consiste en commandements de Dieu dûment écrits, et notre devoir est encore plus clair, il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. 15:907 #### V. -- Le contenu de la loi naturelle Le contenu de la loi naturelle, ce sont donc les dix commandements du Décalogue, avec cette précision : le Décalogue est à la loi natu­relle ce que le petit catéchisme est à la foi chrétienne. C'est-à-dire : toute la foi chrétienne est dans le petit catéchisme (si c'est un catéchisme vrai), mais ce contenu peut être approfondi en déve­loppements qui n'arriveront jamais à l'épuiser, c'est la tâche des saints docteurs et du magistère de l'Église, et sous leur conduite c'est la tâche de la méditation quotidienne de chacun. 16:907 De semblable façon, il n'y a rien dans la loi naturelle qui ne se ramène à l'un des dix com­mandements du Décalogue. C'est la tâche, notamment, des philosophes, des législateurs et des juristes, d'étudier jusque dans le détail tout ce qui est conforme à la raison et à la nature de l'homme. \*\*\* Les dix commandements furent inscrits sur les deux tables de la loi. Sur la première, les trois commandements qui concernent nos devoirs *naturels* envers Dieu ; sur la seconde, les sept autres, qui concernent nos devoirs *naturels* envers le prochain. Premier commandement : « Je suis le Sei­gneur ton Dieu, tu n'auras pas d'autre Dieu », que nous apprenons au catéchisme dans la for­mule mnémotechnique Un seul Dieu tu adoreras Et aimeras parfaitement. Second commandement : « Tu ne jureras pas en vain le nom de ton Dieu. » Troisième commandement : « Tu cesseras le travail pour rendre à Dieu un culte visible. » (Ce n'est pas tout à fait la formule habituelle, mais nous y viendrons.) Ces commandements appartiennent à la loi naturelle. Le premier exprime ce que nous devons à Dieu dans notre cœur. Le second énonce le respect que nous devons à Dieu dans nos paroles. Le troisième, que nous devons à Dieu de lui consacrer un certain temps et cer­tains gestes extérieurs. 17:907 Telle est la *dette naturelle* que nous avons envers Dieu. Ces trois premiers commandements sont inscrits dans notre nature, ils sont inscrits dans notre cœur, ils sont accessibles à la droite raison avant toute révélation surnaturelle ; les mettre entre parenthèses serait amputer grave­ment la loi naturelle. Précision sur le 3^e^ commandement : la raison naturelle est capable de nous éclairer sur notre devoir d'accomplir certains gestes extérieurs en l'honneur de Dieu. Mais la nature ne détermine point en quoi ce culte visible doit consister. Fixer par quels rites précis doit se manifester le culte visible rendu à Dieu appartient aux pres­criptions positives de l'autorité religieuse. Il était normal que, dans la loi de Moïse, la prescription rituelle soit énoncée en même temps : *Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat.* Il est pareillement normal que dans la for­mule catholique des commandements de Dieu, la prescription rituelle soit, de la même façon, énoncée en même temps : Les dimanches tu garderas En servant Dieu dévotement. 18:907 Mais pour celui qui n'est ni juif ni chrétien, ni le dimanche ni le sabbat n'ont une signification impérative. Le sabbat, le dimanche appartiennent à l'ordre du rite d'une religion révélée et font mémoire du repos de Dieu au septième « jour » de la Création. (Ils préfigurent en outre le « repos éternel » dans la vision de Dieu face à face.) Si, à l'intention de celui qui n'est ni chrétien ni juif, on fait abstraction du sabbat et du dimanche, le 3^e^ commandement ne disparaît pas pour autant. Au niveau de la seule loi naturelle -- c'est-à-dire d'une pure morale naturelle, sépa­rée de tout ce qui est rite positivement fixé d'une religion révélée -- le 3^e^ commandement n'en énonce pas moins l'obligation de rendre à Dieu un culte visible en *cessant le travail* pour *consa­crer un certain temps* aux choses divines. Il est dans la nature de l'homme de consacrer un certain temps à toutes les choses qui lui sont nécessaires : la nourriture, le sommeil, etc. ; et donc de consacrer un certain temps de sa vie à Dieu. C'est un commandement moral, naturel, universellement impératif. Mais celui qui n'est ni juif ni chrétien ne peut trouver ni dans la nature ni dans la raison aucune précision sur les temps et les formes que doit prendre ce culte visible. \*\*\* 19:907 Le premier commandement de la seconde table, ou 4^e^ commandement, est celui qui ordonne : *Honore ton père et ta mère afin d'avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu.* Ce 4^e^ commandement énonce le fondement moral de la vie en société. Il est, si l'on peut ainsi parler, la base du « contrat social » ; sans lui, une société n'a pas de « constitution ». Il est le seul qui dans le Décalogue comporte la pro­messe explicite d'une récompense ; et d'une récompense temporelle. (Cependant tous les commandements du Décalogue conduisent à l'obtention des biens temporels conformes à la nature humaine.) « Vivre longuement » s'entend de plusieurs manières, mais toutes temporelles. Ce peut être vivre longuement soi-même jusqu'à un âge avancé, ou bien vivre longuement par sa descen­dance, ou encore vivre longuement par le souve­nir que l'on aura laissé : toutes ces significations sont légitimes, et d'autres encore, car une vie est « longue », dit saint Thomas, quand elle a été « bien remplie » : cela se mesure davantage à sa qualité qu'à la quantité matérielle du temps écoulé. Tandis que les trois premiers commande­ments énonçaient notre dette naturelle à l'égard de Dieu, le 4^e^ commandement énonce notre dette à l'égard de ceux qui sont les médiateurs naturels de Dieu auprès de nous pour nous donner ce que Dieu nous donne par eux : la vie physique et la vie morale. 20:907 Nous devons naturellement un culte à Dieu, de qui nous vient tout bien, et l'être lui-même. Nous devons naturellement un culte à nos parents qui sont les instruments libres, les média­teurs naturels par lesquels Dieu nous donne l'être et l'éducation : ce n'est point *le même* culte qu'à Dieu, bien sûr, mais c'est aussi un culte, proportionné à son objet. Et ce 4^e^ commandement nous ordonne de rendre un culte à tous ceux à qui nous sommes redevables de quelque chose en matière de vie et d'éducation : les parents de nos parents, les ancêtres, les anciens, les bienfaiteurs, les maîtres, les grands hommes et les humbles serviteurs de notre patrie, de notre civilisation, de l'humanité. En passant de la première à la seconde table de la loi, nous sommes passés du culte de Dieu au culte de l'homme. Le « culte de l'homme » a toujours existé. Ce fut le culte des morts, rendu par la piété filiale à ceux qui nous ont transmis la loi naturelle, la foi chrétienne et les humbles honneurs des maisons paternelles : seule fondation solide de tout édifice habitable en commun. Non pas l'hérésie moderne du culte impie que l'homme anonyme exige pour lui-même et pour lui Seul. Le culte naturel de l'homme est un culte rendu à plus grand que soi. 21:907 En venant en ce monde, l'homme est consti­tué radicalement débiteur. Ce que nous avons et ce que nous sommes, nous l'avons *reçu.* Il y a aussi ce que nous en faisons, et cela compte, c'est même de cela qu'il nous sera demandé compte. Mais ce que nous en faisons est comme rien en comparaison de ce que nous avons gratuitement reçu. Même le plus extraordinaire génie ne doit à lui-même ni son existence, ni son génie, ni la langue qu'il parle, ni la table de multiplication : il ne pourra jamais *rendre tout ce qu'il doit* au Dieu Créateur et à ces médiateurs naturels de Dieu que sont les parents, les ancêtres, les anciens, les héros et les saints. Tous les commandements du Décalogue ont pour objet la justice, qui consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû ; mais les quatre premiers com­mandements concernent cette justice forcément imparfaite et infirme par laquelle nous n'arrivons pis à rendre *tout* ce qui est dû : la religion naturelle est cette justice imparfaite que nous rendons à Dieu, la piété filiale est cette justice parfaite que nous rendons à nos parents, à cotre patrie, à notre civilisation. Notre vie en ce monde, notre vie familiale, professionnelle, poli­tique, est fondée principalement sur cette *situa­tion d'insolvabilité radicale* qui doit être pleine­ment reconnue si l'on veut être à sa place dans la réalité, et qui inspire en quelque sorte un analogue naturel de la vertu d'humilité surnatu­relle. 22:907 Oublier, méconnaître ou nier cette situa­tion, c'est construire sur le sable d'un homme irréel une société chimérique, et se condamner à coup sûr à n'avoir point longue vie sur la terre que nous a donnée le Seigneur Dieu. \*\*\* Tes père et mère « *honoreras* », cela peut, à un regard trop rapide, paraître simplement pro­tocolaire, même s'il s'agit d'un protocole sacré. « Honorer », « rendre un culte », manifester « une certaine expression de l'amour », bien sûr, cela est dû, cela est bon, mais semble dépourvu d'impact direct sur la marche du monde et l'organisation des sociétés. La piété n'apparaît pas d'abord essentielle à la vie nationale et à la civilisation, et se présente comme leur fruit plu­tôt que comme une condition de leur survie. Ne pas reconnaître ce que l'on a reçu, ou n'en concevoir aucune gratitude, n'est certes point très noble, mais n'empêche pas le don d'avoir eu lieu. L'homme civilisé peut n'être pas un homme pieux, il aura certainement tort de ne pas l'être, il n'en sera pas moins un homme civilisé ? 23:907 Telle est l'erreur. Car l'homme impie peut sans doute être lui-même un homme civilisé, il est un homme qui interrompt la transmission du patrimoine national et religieux, il est un homme qui interrompt la civilisation. Indifférent ou négligent à l'égard de ce qu'il a reçu, ingrat à l'endroit de ceux qui le lui ont donné, il sera en cela impropre à le transmettre à son tour. Influent *par son être* plus que par ses discours, il répandra autour de lui et transmettra la même indifférence, la même négligence, la même ingra­titude. Il respirera et inspirera un climat de méconnaissance du patrimoine de la civilisation transmis par la vie nationale. L'homme impie aura toutes chances de n'être civilisé qu'en apparence. Il pourra conserver tout un extérieur, une langue exquise, des mœurs policées au dehors, une habitude de bienveillance dans les gestes et les paroles, le respect littéral et mécanique des règles reçues. Il sera un pha­risien de la vie nationale ; un pharisien de la civilisation. \*\*\* Tous les commandements du Décalogue ont pour objet la justice naturelle, fondement indis­pensable de la vie en ce monde ; et ils ont pour but les deux préceptes de la charité, l'amour de Dieu et l'amour du prochain. La grâce surnaturelle ne supprime pas la nature : elle la guérit et la surélève ; la charité n'abolit pas la loi mais l'accomplit. 24:907 C'est pourquoi il est dit dans l'Écriture que l'amour du prochain est le test négatif de l'amour de Dieu : celui qui prétend aimer Dieu qu'il ne voit pas et qui n'aime pas son frère qu'il voit, celui-là est un menteur. Pareillement, la justice naturelle est le test négatif de la charité surnaturelle. Là où la justice naturelle n'est pas respectée, là où la loi naturelle n'est pas obser­vée, il n'y a pas charité véritable. 25:907 #### VI. -- Peut-on sans la grâce observer la loi naturelle ? Nous avons dit que l'on peut, en dehors de la foi, mais non sans difficultés et risques d'er­reur, connaître la loi naturelle. Que sert à l'homme de connaître naturelle­ment la loi, s'il n'a pas naturellement la force de l'observer ? Cela lui sert de toute façon à désirer, à attendre, à rechercher un secours et un salut qui ne peuvent venir de lui-même. Naturellement, dans l'état de nature déchue, l'homme reconnaît le bien mais fait le mal. Ne peut-il donc, sans la grâce divine, accomplir aucun bien ? Aucun bien surnaturel assurément, car le bien surnaturel est au-delà des forces de la nature. Mais aucun bien naturel ? La doctrine chrétienne ne le prétend nullement. 26:907 L'homme sans la grâce peut accomplir les pres­criptions de la loi naturelle, mais sous deux réserves graves : 1\. -- S'il accomplit les préceptes de la loi, l'homme sans la grâce les accomplit quant à la substance des actes commandés, mais non quant à la manière dont ils doivent être accomplis. Il les accomplit par un esprit de justice qui est un esprit de crainte : la crainte de compromettre les biens naturels auxquels conduit la loi naturelle. Cet esprit de crainte n'est pas immoral ; il est limité. Il n'accomplit point les préceptes par amour de Dieu. 2\. -- Sans la grâce l'homme peut observer quelques-uns des préceptes, tantôt ceux-ci et tan­tôt ceux-là, il ne peut les observer tous. Il n'est pas incapable de bien, mais dans l'état de nature déchue il n'est plus capable de *tout* le bien qui est inscrit dans sa nature. Il peut construire des maisons, planter des vignes, rendre justice à son voisin, honorer ses parents, vivre en société. Mais les sociétés qui n'ont que la loi naturelle (sans la loi du Christ) n'arrivent pas à l'observer suffisamment. L'homme *sans* la grâce, mais *avec* le péché et *sous* la loi de concupiscence est comme un malade : un malade peut faire des mouvements, il n'est pas mort, mais il ne peut faire ni *tous* les mouvements que fait un homme en bonne santé ni *comme* les fait un homme en bonne santé. 27:907 En particulier, l'homme sans la grâce demeure généralement incapable d'aimer Dieu par-dessus tout : de l'aimer de cet amour qui pourtant est commandé par sa nature. Et ainsi c'est le fondement même de la loi naturelle qui risque de disparaître plus ou moins de son intelligence et de son cœur. La raison peut découvrir et reconnaître Dieu par exemple comme « Premier Moteur immobile », et conce­voir que ce Premier Moteur est la chose la plus importante et la plus digne d'être aimée ; pour­tant ce Premier Moteur restera bien abstrait et bien froid en comparaison de toutes les choses puissamment colorées et suggestives que nous présente la vie quotidienne sous le règne de la loi de concupiscence. C'est pourquoi la grâce de Dieu ne vient pas seulement élever l'homme à un ordre supérieur à l'ordre de la nature ; elle vient guérir cette nature blessée. Double fonction de la grâce divine : elle restaure la nature (*gratia sanans*) et elle l'élève à l'ordre surnaturel (*gratia elevans*). 28:907 #### VII. -- Réponse à deux objections *Objection 1*. -- Le Décalogue, assurément, est très important, mais il est beaucoup trop général, il ne résout pas les problèmes particu­liers qui se posent chaque jour. *Réponse. --* Ce n'est certainement pas la loi qui résout les problèmes quotidiens. C'est nous-mêmes qui avons à les résoudre un à un. D'où trois considérations : I. -- Frédéric Le Play, économiste et mora­liste du XIX^e^ siècle, auteur de ces ouvrages de référence qui s'intitulent : *La Réforme sociale en France, Les Ouvriers européens, La Constitution essentielle de l'humanité,* passa une grande partie de sa vie à visiter à pied la plupart des pays européens, afin d'étudier concrètement les pro­blèmes économiques et sociaux de son temps. 29:907 Il aboutit à cette conclusion expérimentale que la condition absolument indispensable d'une pros­périté économique réelle et durable est le respect du Décalogue ; et que la cause principale des crises économiques et sociales est que le Décalogue n'est pas respecté. Il existe donc un rapport direct, un rapport vital entre la loi dans sa généralité et les situations concrètes dans leur particularité ; il faut apprendre à l'apercevoir. II\. -- Le Décalogue est une règle objective, c'est-à-dire qui ne dépend pas de la volonté humaine (individuelle ou collective). C'est une loi reçue avec notre nature même, et non pas inven­tée et promulguée par l'homme. C'est le contraire de la Déclaration des droits de 1789 qui affirme : « La loi est l'expression de la volonté générale. » Cette Déclaration prétend affirmer des droits imprescriptibles : mais fondés sur rien d'autre que la volonté générale, qui pourra donc les modifier ou les abolir. C'est le péché d'Adam mis au pluriel : l'homme qui prétend se donner à lui-même sa loi. L'homme n'a pas à se donner sa loi morale, il la reçoit du Créateur, il la trouve dans sa nature créée, il lui appartient seulement de la reconnaître et de l'appliquer : les lois humaines de la cité ont pour fonction de traduire et préciser les généralités de la loi naturelle dans les diverses conditions parti­culières de temps et de lieu. 30:907 III\. -- L'application de la loi naturelle n'est pas automatique. La loi est générale par défini­tion, les situations dans lesquelles on se trouve réellement engagé sont particulières par défini­tion. Soit l'exemple classique du dépôt : que l'on doit évidemment restituer. Un ami confie à ma garde un très beau fusil de collection. Quand il vient me le redemander, j'ai de bonnes raisons de penser qu'il veut s'en servir pour tuer son banquier, son inspecteur des impôts ou son assu­reur. Je différerai la restitution. Le commande­ment n'est pas aboli par la situation particulière, comme tend à le prétendre une « morale de situation » qui en vient à supprimer principes généraux et lois universelles. Les situations parti­culières n'ont aucunement le pouvoir de suppri­mer les commandements : mais elles posent la question de savoir d'abord quel est le comman­dement qui s'applique en priorité dans le cas précis. Ici, c'est celui de ne pas tuer ; de n'être pas complice d'un crime. Ce 5^e^ commandement : « tu ne tueras pas », n'est lui-même nullement supprimé par cette situation terriblement particulière qu'est l'état de guerre. A la guerre, à moins d'être des sau­vages, on ne tue pas n'importe qui n'importe quand, précisément parce que le commandement demeure. 31:907 Entre la loi générale -- toujours géné­rale -- et le cas particulier -- toujours particu­lier -- il faut l'intermédiaire de ce bon sens moral que l'on nomme la vertu de prudence, non pour se soustraire à la loi, mais pour discerner lequel des principes de la loi il est juste d'appliquer dans une situation donnée. La pru­dence est une « vertu » parce qu'il s'agit ici d'une disposition permanente du jugement, qui se développe par l'exercice. La loi morale ne s'adresse pas à des robots qui l'appliqueraient mécaniquement ; elle s'adresse à des êtres libres et responsables qui l'appliquent en conscience et selon son esprit de justice. Il y faut non seulement la connaissance exacte de la loi, mais encore la connaissance exacte des situations auxquelles on l'applique. Cette connaissance exacte des situations ne se trouve ordinairement pas dans les livres, sauf pour des génies spéculatifs extraordinaires et pour des saints ayant des charismes également extraordinaires. En général c'est seulement l'ex­périence qui permet de connaître véritablement les situations concrètes. Pour se conduire avec justice, il faut à la fois la connaissance de la loi naturelle et la connaissance des situations. 32:907 Si l'on n'a pas l'expérience des situations dans les­quelles on se trouve (or il est inévitable de commencer par là), il convient de demander conseil à ceux qui ont cette expérience. Le conseil des gens expérimentés n'a pas seulement ni d'abord une valeur utilitaire, technique, effi­cace : il a une valeur morale, il est une nécessité morale. Pour en revenir à l'exemple de l'application du 5^e^ commandement à l'état de guerre, il importe de consulter un homme de guerre qui soit un bon citoyen et un chrétien instruit. La guerre pose en effet, tout à la fois, un problème politique, un problème moral, un problème mili­taire. Sans une expérience réelle de tous ces aspects, on risquerait de tomber plus ou moins soit dans les théories sauvages de la guerre d'extermination, soit dans les théories illusoires dites de l'objection de conscience, qui les unes et les autres sont contraires à la morale naturelle. A un niveau beaucoup moins tragique, à chaque pas de notre vie quotidienne, nous avons pareil­lement à appliquer la loi naturelle non point en aveugles, mais en esprit et en vérité, dans le domaine de notre compétence et de notre responsabilité. \*\*\* *Objection 2*. -- La loi naturelle est une question bien obscure, bien controversée : existe-t-il une loi naturelle ? La philosophie moderne est incertaine sur ce point. 33:907 Elle n'arrive plus à discerner et admettre une loi naturelle, et sou­vent elle en rejette radicalement jusqu'à la notion elle-même ([^1]). C'est en effet un grave problème pour les philosophes modernes. Mais si, par malheur, nous étions devenus incapables de savoir par la raison ce qu'est la loi naturelle, nous ne serions pas pour autant inca­pables de le savoir par la foi. C'est même préci­sément pour cela que la loi naturelle a fait l'objet d'une Révélation divine : pour nous secourir dans les défaillances de la raison. Nous pouvons savoir par la raison naturelle que Dieu existe. Mais si la décadence moderne de la pensée fait que notre philosophie n'est plus capable de connaître avec certitude l'existence de Dieu, du moins la foi affirme, avec la certitude qui est la sienne, l'existence de Dieu et la loi de Dieu. Quand la raison défaille la foi vient, par une action subsidiaire, prendre le relais de celles des connaissances naturelles qui sont nécessaires au salut surnaturel. 34:907 Les doutes du philosophe moderne, nous aurons à les prendre en considération seulement pour lui-même et pour, s'il l'accepte, lui porter philosophiquement secours. Mais ces doutes, nous ne pouvons les prendre en considération pour nous-mêmes et nous n'avons pas le droit d'en être ébranlés, nous qui avons reçu le don de la foi et du même coup celui de la connaissance de la loi de Dieu. Quelles que soient notre sympathie et notre intention secourable à l'égard du philosophe moderne, nous ne pouvons nous aveugler à son sujet et nous dissimuler l'état de profonde déchéance de la raison naturelle dont il est le témoin. Chesterton affirmait sans ambages et sans inexactitude : « *Le plus dangereux de tous les criminels, aujourd'hui, c'est le philo­sophe moderne, affranchi de toutes les lois.* » Affranchi de la loi naturelle et de la loi surnatu­relle, n'étant plus ni grec, ni juif, ni chrétien, le philosophe moderne n'est pas un maître qui aurait des leçons à nous donner (sauf, éventuelle­ment, par accident, sur des points secondaires ou anecdotiques) : il est en cela, au contraire, le plus dangereux de tous les criminels, le plus lamentable de tous les ignorants, le plus malheu­reux parmi les malheureux. 35:907 Il lui manque l'essentiel de la philosophie. Il est retourné à la barbarie, qui se définit par l'absence de loi ; la barbarie intellectuelle et morale se définit par l'ignorance ou la mécon­naissance de la loi naturelle. Sans doute, il n'a jamais suffi de connaître le bien pour le faire. Mais enfreindre une loi reconnue comme devant être obéie n'est pas la même chose que prétendre qu'il n'existe aucune loi universelle devant être observée. Même les barbares de l'antiquité n'avaient pas nié la loi naturelle dans toute sa généralité. L'homme sans la loi naturelle devient, dit saint Thomas, *pessimum omnium anima­lium,* le plus méchant et le pire des animaux. Chesterton est dans la droite ligne de la pensée de saint Thomas quand il dénonce le philosophe moderne, qui s'est affranchi de la loi naturelle, comme étant sous ce rapport le plus dangereux des criminels. La culpabilité personnelle de ce *pessimum omnium animalium,* nous n'en savons rien, Dieu seul la connaît et seul il en est juge. Mais objectivement c'est un malfaiteur public. Si la lumière de la raison vient à vous manquer sur la loi naturelle, alors ne vous trou­blez pas, alors ne craignez point : demandez à Dieu la lumière de la foi. Dieu ne refuse pas indéfiniment la lumière de la foi à celui qui la lui demande. Jean Madiran. 36:907 ### Quand l'Église défendait l'identité catholique et française par Jean Dumont Conférence prononcée le 18 octo­bre 1994, à Paris, aux «* Mardis du Centre Charlier *». Plusieurs déclarations récentes d'hommes d'Église importants nous amènent à poser cette question, incongrue en apparence : l'Église s'est-elle résolue à moins défendre l'identité catholique qu'elle ne l'a fait dans le passé ? La réponse semble bien être qu'effectivement cette défense de l'identité catholique se voit remise en question. Car l'identité catholique n'apparaît plus, dans ces déclarations, affirmée en elle-même et pour elle-même, mais subordonnée au relationnel d'autres absolus, d'autres normes, idéologiques, d'autres vocations, religieuses. 37:907 De telle manière que l'identité catholique n'aurait plus qu'une vague existence extrinsèque, se défroissant plus, à l'égard de ces autres absolus, normes et vocations, qu'en termes de parallélisme, conformité, réconciliation, voire fusion. La conclusion du rabbin Cohen Ainsi le cardinal Etchegaray, haut dignitaire de la Curie romaine, a déclaré, dans un colloque réunissant à Istanbul, février 1994, chrétiens, juifs et musulmans : « Pour être croyant à l'âge du pluralisme religieux, il faut apprendre à penser l'absolu, dont un croyant se réclame légitimement, comme un absolu relationnel, et non comme un absolu d'exclusion ou d'inclusion. » Le sens non euphémique du mot inclusion étant celui de conversion, la conversion des non-catholiques au catholicisme, le ralliement à l'identité catholique, se trouvaient donc disqualifiés. Plus encore l'absolu, même relationnel, perdait toute valeur normative, cette valeur normative étant transfé­rée expressément du religieux à l'idéologie la plus banale et la plus imprécise. Car le cardinal Etchegaray ajouta : « Le respect plénier de l'autre se fonde, non sur le droit de la vraie religion, mais sur les droits de la personne humaine ([^2]). » Et le cardinal Decourtray, récemment disparu, a lui aussi chanté cet « absolu relationnel et non d'exclusion ou d'inclu­sion », à l'égard particulièrement des juifs. Et nié lui aussi, à leur égard, le « droit de la vraie religion », comme si ce droit était tout à fait disparu de son esprit. 38:907 En affirmant, dans une interview donnée à *La Croix* trois mois auparavant, et se référant à Vatican II comme novation décisive : « La théolo­gie la plus récente, sur la base des documents conciliaires, garde la vocation d'Israël ». Toute la théologie un peu moins récente -- 2000 ans de christianisme -- passait ainsi aux oubliettes. A la question : « Qu'est-ce que le judaïsme, aujourd'hui, peut recevoir du christianisme ? », il répondait « J'avoue que je ne pense jamais à ce que je peux apporter à mes amis juifs. » Puis, à la question : « Peut-on être chrétien sans espérer qu'un juif devienne chrétien ? », il répondait aussi : seulement « si c'est l'espérance que nous serons tous réconciliés au dernier jour ([^3]) ». La conversion d'un juif au christianisme, son adhésion au Christ, n'avait donc plus d'existence possible, de justification, que dans la fusion parousique telle que la rêvait cet autre prince de l'Église. Le chrétien n'y ayant pas plus de part, dans le Christ glorieux, que le judaïque, l'Église du Christ que la Synagogue rejetant le Christ. Le bon marché de ce qu'il faut bien appeler ces redditions apparaît à l'évidence si l'on rappelle ce que fut la doctrine sans cesse répétée du Christ lui-même et de toute l'Église apostolique. C'est si vrai qu'un rabbin, Jeffrey Cohen, au moment où parlaient ainsi les cardinaux Etchegaray et Decourtray, exigeait, le 28 janvier 1994, dans le *Jewish Chronicle,* que les hommes d'Église nouvelle vague, cessant pareils flirts, en viennent au fait admettant clairement ceci « Les références antijuives du Nouveau Testament ne sont pas inspirées -- ni jamais ne le furent -- par l'Esprit Saint. » Et l'*Avvenire,* quotidien de la conférence épiscopale italienne, constatait au même moment (numéro du 19 février 1994) « Vatican II a été un retournement ou un autodafé volon­taire » ([^4]) des positions de toujours de l'Église catholique concernant le judaïsme. 39:907 Car ce qu'on lit du Christ et de toute l'Église apostolique est l'affirmation radicale de l'identité chré­tienne, catholique, face précisément au judaïsme, tout aussi radicalement rejeté. « Plus à Jérusalem » Nos auditeurs connaissent assez les Évangiles pour que nous n'ayons pas à insister à cet égard, quant au Christ. Rappelons donc seulement deux textes des Évangiles. Dans *Matthieu,* 18, 34-39, le Christ lance aux juifs : « Voici que je vous enverrai des prophètes, des sages et des savants ; vous tuerez et crucifierez les uns, vous flagellerez les autres dans nos synagogues. Mais en vérité je vous le dis, toutes ces choses retomberont sur cette génération. » Le Christ promet donc le judaïsme tout à fait religieux, celui des synagogues, au châtiment proche, non à l'amoureuse Parousie du dernier jour. Et dans *Jean* 4, 21-23, le Christ lance à la Samaritaine, dont le judaïsme est particulariste : « L'heure approche où ce ne sera plus sur cette montagne (de Samarie, le Garizim), ni à Jérusalem, qu'on adorera le Père, mais en esprit et en vérité. » Après la Passion et la Résurrection, à Jérusalem comme en Samarie, chez tous les juifs, on cessera d'adorer le vrai Dieu. Pas plus que dans le texte précédent n'est annon­cée pour les juifs la réconciliation du dernier jour, comme le voudrait le cardinal Decourtray, mais toujours le châtiment d'une rupture plus proche encore et plus fondamentale : l'adoration du Père leur sera enlevée. Elle sera désormais ailleurs, « en esprit et en vérité ». Voudrait-on nous faire la leçon pour ces évidentes consta­tations ? Alors il faudrait faire la leçon à l'Apôtre Pierre, lorsqu'il lance au Sanhédrin, instance religieuse suprême des juifs, qui prétendait le juger : « La pierre que vous avez rejetée est devenue la pierre d'angle. Il n'y a de salut qu'en Jésus. » 40:907 Faire la leçon aussi à l'Apôtre Jean qui, avec Pierre, au même moment, lance au même Sanhédrin : « Nous ne pouvons taire ces choses que nous avons vues et entendues (*Actes* 4, 30). » Car le Sanhédrin, loin de se préparer à sa réconciliation de la Parousie, dans le Christ, rêve éveillé du cardinal Decourtray, exige que « ces choses », celles du Christ, soient définitivement tues. Dès lors, dans son *Évangile,* Jean donnera au mot « juif » le sens d'ennemi du Christ. Et Jean comme Pierre le confirment : la rupture fondamen­tale, annoncée par le Christ, est consommée. Il faudrait encore faire la leçon au premier martyr chré­tien, saint Étienne, qui rappelle que cette infidélité est au cœur même du judaïsme, depuis toujours. Lorsqu'il lance aux juifs se préparant à le lapider à mort : « Hommes à la nuque raide, \[...\] vous résistez toujours au Saint-Esprit. Tels furent vos pères, tels vous êtes. Quel est celui des Prophètes que vos ancêtres n'aient pas persécuté ? Ceux qui annonçaient la venue du Messie, ils les ont tués, comme vous-mêmes avez trahi et tué maintenant le Messie lui-même. Et la Loi qui vous a été donnée par les anges, vous ne l'avez pas obser­vée. » Ou bien il faudrait encore faire la leçon à l'Apôtre Jacques, premier évêque de Jérusalem et successeur d'Étienne dans le martyre, précipité qu'il est -- en symbole bien clair -- du haut du pinacle du Temple de Jérusalem, sur l'ordre du grand-prêtre Anne, de la même famille que celui qui avait fait crucifier Jésus. Car l'Apôtre Jacques s'adresse à ses bourreaux juifs dans des termes tout semblables à ceux employés par Étienne, que nous venons de citer. « Rejetez le vieux levain » Ou bien encore il faudrait faire la leçon à l'Apôtre Paul ne cessant, toujours dans le Nouveau Testament, de mettre en garde les chrétiens contre le péril de l'obédience judaïque qui imprègne l'esprit du cardinal Decourtray. 41:907 Durement et longuement dans *Galates* 2, 1-21. Et dans sa première *Épître aux Thessaloniciens,* plus brièvement mais non moins durement. Où il lance, à propos des juifs : « Ils ont mis à mort le Seigneur Jésus et les Prophètes, ils nous ont persécutés, ils ne plaisent pas à Dieu et sont des ennemis pour tous les hommes. » (2,15-16) Et si, dans son *Épître aux Romains,* Paul annonce le pardon pour la race élue, ce sera après ce qu'il appelle la « conversion » de cette race, conversion dépourvue de tout sens pour le cardinal Decourtray. Ce n'est pas la Loi judaïque qui justifie, ne cesse de souligner l'Apôtre, mais la foi au Christ. Oui, comme le réclame à bon droit le rabbin Cohen, il faudrait à nos cardinaux, pour aller au bout de leur pseudo-vérité, « admettre que les références antijuives du Nouveau Testament ne sont pas inspirées -- ni jamais ne le furent -- par l'Esprit Saint ». Et tout autant disqualifier la voix unanime des Pères de l'Église qui succédèrent tout de suite aux Apôtres. La voix de saint Ignace d'Antioche, évêque de la première nouvelle Jérusalem, consacré par l'Apôtre Pierre ou l'Apôtre Paul, qui constate, bien moins de cent ans après l'Ascension du Christ « Suivre encore aujourd'hui les principes du judaïsme, c'est avouer qu'on n'a pas reçu la grâce. » Que dire alors de nos suiveurs judaïques d'aujourd'hui, 1900 ans plus tard ! Saint Ignace d'Antioche qui lance aussi cet appel sans ambiguïté à la boulange chrétienne : « Rejetez le mauvais levain, le vieux, l'aigre levain ! » L'autre Testament Il faudrait disqualifier encore la voix de tous ces témoins irrécusables autant que fondamentaux de l'Église primitive qui, du II^e^ au IV^e^ siècle, ne cessent de dire la même chose. L'auteur de l'*Épître de Barnabé* qui écrit des juifs : « Ils ont perdu le Testament reçu autrefois de Moïse. » 42:907 Et, afin qu'il n'y ait pas plus d'ambiguïté dans la liturgie que dans la boulange, leur fait dire par Dieu lui-même : « Je ne supporte pas vos néoménies (liturgies du premier jour du mois), et vos sabbats. » Ou encore l'auteur de l'*Épître à Diognète* qui dénonce lui aussi ce qu'il appelle les « superstitions judaïques ». Ou saint Justin, le plus important des premiers Pères apologistes, qui relève que les juifs de la dernière révolte antiromaine, celle de Bar-Cocheba, s'en prirent encore aux chrétiens de Palestine. Et comment ? Leur « faisant subir le dernier supplice, s'ils refusaient de renier et d'insulter le Christ ». Justin dont le *Dialogue avec Typhon* met en cause durement, de nouveau, les rabbis juifs responsables de cet aveuglement et de cette haine. Justin qui, dans toute son œuvre, accueille au contraire « les principes justes que les philosophes grecs et romains ont découverts et exprimés ». Car, dit-il, « c'est grâce à la participation du Verbe qu'ils les ont atteints ». Ainsi, par une réconciliation n'attendant pas le dernier jour, avec le Testament que Dieu donna aux philosophes, selon la formule d'un autre Père de l'Église, Clément d'Alexandrie, se complète déjà notre véritable identité catholique, s'éloignant par là encore du judaïsme. Car le christianisme originel ne cesse, en même temps, de développer son incessante polémique antijudaïque, note le spécialiste Guy Schroeder ([^5]). Une polémique, dit-il, « com­mencée (on l'a vu) dès les écrits de saint Paul, poursuivie par la *Controverse de Jason et Papiscus* attribuée à Ariston de Pella, et par tous les ouvrages qui probablement s'en inspi­rent : la *Première Apologie* et le *Dialogue avec Typhon* de Justin, la *Démonstration de la prédication évangélique* d'Iré­née, le *Contre les juifs* de Tertullien, etc. ». Au début du IV^e^ siècle, l'évêque Eusèbe de Césarée (de Palestine), témoin le plus complet et le plus érudit du christianisme post-apostolique, conclut cette polémique dans sa considérable *Préparation évangélique.* 43:907 Il y déclare qu'il s'est donné pour objectif, sur les terres mêmes qui avaient entendu l'enseigne­ment du Christ, d' « exposer la raison qui nous fait repousser la manière de vivre des juifs, tout en respectant leurs Écritures \[...\]. Le christianisme n'est ni l'hellénisme, ni le judaïsme (I, 5,12) ». Mais Eusèbe écrit aussi de Platon : « Cet admirable philosophe \[...\] qui a atteint les propylées de la Vérité. » Annonçant ainsi le « Platon, pour disposer au Christ » de notre Pascal. Et la conviction des adversaires jésuites du même Pascal, nos grands éducateurs d'alors, pour qui « la fleur de l'Antiquité classique appartient au peuple de Dieu », comme le note leur historien, le père de Dainville. « Lectures » fort édifiantes Déjà, nous catholiques, au IV^e^ siècle, étions parvenus dans notre vraie, riche, ouverte demeure d'esprit, de cœur et d'âme, récapitulant dans ce panchristianisme originel, inverse de celui qui nous est proposé aujourd'hui, toutes les avancées spirituelles de l'humanité lorsqu'elles disposaient effectivement au Christ. Non plus dans l'étroite et toujours antichristique demeure rabbinique où voulait nous resserrer, à rebours, le cardinal Decourtray. Qui, d'ailleurs, le faisait selon l'excessive et fort sélective référence judaïque des « lectures bibliques », innovation de la liturgie conciliaire, qui fourvoient le catholicisme d'aujour­d'hui en ignorant superbement le « négatif » (Guy Schroeder) de ce qu'Eusèbe de Césarée appelait, chez les juifs qu'il connaissait bien, les « symboles et les ombres de gens dont l'âme est en proie à la passion et à la maladie ». Jugement dur, mais que venait confirmer la violence, contre le Christ, les chrétiens et tous les non juifs, du *Talmud* post-biblique juif qui naissait alors. Et fourvoiement d'autant plus étonnant que l'enseigne­ment sexuel et familial, le plus précieux, fréquent et particu­lier du discours moral de l'Église, « ne vient pas de la souche judaïque », muette ou fort laxiste en la matière. 44:907 Il vient, en un contraire, par la récapitulation originelle, de l'exigeante « morale stoïcienne », comme l'ont souligné le calviniste Pierre Chaunu et bien d'autres. Morale stoïcienne gréco-romaine, notamment sexuelle, de Zénon, Cléanthe, Chry­sippe, Sénèque et Épictète, qui a marqué de manière prédo­minante la pensée des Pères de l'Église des premiers siècles, avant même que ne le fasse la vision divine de Platon. Cette morale de « notre Sénèque », notamment, comme ne cesse­ront de le dire ensuite les cisterciens. Or ne nous sont offertes aujourd'hui ni « lectures stoïciennes » ni ces « lectures bibli­ques » qui montreraient le polygamisme sexuel débridé, incluant servantes et esclaves, des patriarches juifs. Ces der­nières lectures qui seraient fort édifiantes, *a contrario.* En manifestant de nouveau clairement, pour les chrétiens, leur identité catholique authentique, en effet particulière. Cette identité catholique laissée aujourd'hui en déshérence et offerte ainsi, en une inculture fondamentale, à toute dérive et à toute usurpation. De telle manière -- pour prendre seulement cet exemple immédiat -- que personne ne sache plus, dans le peuple catholique, qu'en allant à Rome, auprès du pape, célébrer la fidélité sexuelle et la famille, on va rendre hom­mage en fait, contre la filiation de la Synagogue judaïque, au legs précieux du Portique stoïcien récapitulé dans le Christ catholique. En une ignorance qui est méconnaissance de l'œuvre du Saint-Esprit envoyé par le Christ, œuvre dépas­sant donc de beaucoup le canton judaïque. Leur nouvelle Bastille Cependant, les raisons profondes qui meuvent les précur­seurs d'un nouveau catholicisme ne sont pas que fallacieuse­ment religieuses. Elles sont aussi idéologiques, voire politi­ques, dans le courant de la déferlante mondialiste, relativiste, démocratiste, 45:907 qui trouve son exutoire dans la mise en accusa­tion des traditions ecclésiales et nationales. Sont visées ici, en fait, les nations et leur histoire, pour dissoudre, enfin, leurs identités. Nos cardinaux de tout à l'heure se sont aussi illustrés dans ce combat. Le cardinal Etchegaray publia en 1988 un document de sa *Commission Justice et Paix,* intitulé « L'Église devant le racisme ». Où il s'en prenait violemment, comme ayant été prétendument racistes, à la conquête et à l'évangélisation de l'Amérique par les Rois Catholiques d'Es­pagne. Ce qui lui valut la protestation de l'archevêque de Séville, Mgr Amigo, à qui il dut adresser une lettre publique d'excuses, d'ailleurs imparfaites. Le cardinal Decourtray, lui, aida puissamment les loups médiatiques à hurler, comme l'on sait, dans l'affaire Touvier. N'hésitant pas à leur fournir, par les archives ecclésiastiques elles-mêmes, tous les moyens de dénoncer, cette fois, le prétendu racisme français, dans ce qu'avaient jugé bon de faire, en conscience, ses prédécesseurs sur le siège de Lyon et d'autres religieux, laïcs catholiques et nationaux. Le cardinal Poupard, venant en renfort de ses deux confrères, en homme de Curie comme Etchegaray, réussit de son côté un semblable chef-d'œuvre ([^6]). Par apolo­gie du démocratisme et dénonciation de l'ancienne France, approuver les Vendéens royalistes et catholiques, victimes du génocide révolutionnaire, comme ayant été, selon lui, de « vrais héritiers de 1789 » ! En citant le jacobin Grégoire, traité par lui comme évêque, alors qu'il ne s'agissait que d'un intrus condamné par Rome et d'un fabricant ostentatoire et apologiste des piques utilisées dans toutes les répressions, notamment celles des catholiques fidèles à l'Église. En citant aussi, il est vrai, un discours de Jean-Paul II devant le Parlement européen, en 1988, où le pontife avait fait cette déclaration surprenante : 46:907 le « retour à l'ordre ancien fondé sur la foi religieuse » n'est « pas compatible avec le message chrétien et le génie de l'Europe ». Qu'on croyait pourtant personnifiés l'un et l'autre par trois grands Européens, saint Benoît, saint Bernard et saint Louis, tout à fait représentatifs de l' « ordre ancien ». Cet antiracisme en quelque sorte obsessionnel, cette apo­logie outrée de 1789, cette mise en cause répétée des identités européennes et de leurs traditions, conduisaient tout droit, dans l'Église, à l'apologie de l'immigration se déversant aujourd'hui du Sud sur le Nord. En une sorte de nouvelle idéologie implicite de prise de la Bastille, cette bastille consti­tuée aujourd'hui par les nations d'Europe, dans ce qui leur reste d'ordre ancien. Une idéologie, bien sûr, ni sage ni juste. La meilleure preuve en est que, dans le cas où, par miracle, l'immigration s'inverserait dans le monde, le Nord se déver­sant cette fois sur le Sud, nous n'entendrions que des cris d'indignation. Car si les Français de Mantes-la-Jolie ont, suivant cette apologie d'Église, le devoir de se faire submer­ger, on ne saurait toucher aux Indiens d'Amazonie, envers lesquels la conscience universelle a défini un seul devoir : la préservation totale, refusée, avec hauteur, aux Gaulois des Yvelines. Ce procédé barbare S'établissait dès lors, dans l'Église, une spécifique *Pasto­rale des Migrants,* en omettant toute spécifique *Pastorale des Non-Migrants,* qu'on appelait autrefois manants, ceux qui restent chez eux, désormais bizarrement semble-t-il. Et n'ap­paraissait aucune considération effective du coût de l'immi­gration aux dépens de l'identité des pays dits « d'accueil », surtout chez les plus pauvres et les moins défendus de leurs citoyens. 47:907 Nous connaissons de ces pauvres et moins défendus absolument attrapés par l'immigration dans ce qu'on appelle les « cités à problèmes » affreusement dégradées, et en proie à tous les tumultes et à toutes les violences. Sans que ces pauvres puissent fuir, s'installer ailleurs, leurs modestes logements dans ces cités étant devenus absolument invendables et inlouables. Ils restent là par force, ruinés et abandonnés aux-dits « problèmes ». Faits prisonniers sans recours dans leur propre pays, en la pire, la plus imméritée des prisons. Et bien sûr, selon l'exclusive *Pastorale des Migrants,* la nouvelle charité chrétienne ne visite pas ces prisonniers-là. Elle ne paraît les connaître que pour leur faire la leçon, encore comme prétendus racistes et totalitaires. Ce qui s'est vu dans l'apologie unilatérale de l'immigration, faite en 1993, contre les lois Pasqua visant quelque peu à en contrôler les excès, par Mgr Joatton, ancien auxiliaire du cardinal Decourtray et responsable épiscopal des migrations (il n'y a pas, non plus, remarquons-le, de responsable épiscopal de ceux qui les subissent). Campagne immigrationniste qui continue, dans un aveuglement et un manque de charité française incroyables, par les déclarations de maints évêques dans le même sens, préparant de nouvelles déclarations de la *Commission épiscopale pour les migrations,* si bien nommée. Déclarations qui chanteront de nouveau, au nom de l'aide aux pauvres, ce procédé barbare de l'immigration systématique qui consiste à submerger et appauvrir les pauvres -- non les riches -- en les recouvrant d'une masse d'autres pauvres importés, eux-mêmes déracinés. Comme si l'Église actuelle, par attache idéologique invincible d'antinationalisme, était incapable d'imposer en remplacement des procédés moins pervers d'aide aux pauvres extérieurs, n'appauvrissant et ne déracinant personne. Là encore, la tradition de l'Église était différente, bien sûr. S'accordant pleinement avec l' « ordre ancien » aujourd'hui déclaré incompatible avec le « message chrétien ». Les titres mêmes de Roi Très Chrétien et de Roi Catholique étaient des titres d'Église donnés par les papes, et les sacres royaux confirmaient explicitement comme pratiquement cet accord profond. 48:907 S'accordant aussi avec la défense des identités natio­nales, en particulier de l'identité de la France dite alors fille aînée de l'Église. Ce qui impliquait que d'autres nations étaient les filles cadettes également aimées alors. Notamment par la défense, de toutes, contre les migrants abusifs. Ainsi dans l'Espagne de la reconquête sur l'Islam, comme en France. Avant Decourtray : Irénée et Agobard Ce fut patent, de ce dernier point de vue, dans le diocèse même du cardinal Decourtray, et très anciennement. Autant qu'assez comiquement, à son égard de judaïsant, comme on va le voir. Car non seulement ledit cardinal eut, pour prédé­cesseur sur le siège de Lyon, un très savant et capital saint, dénonciateur, nous l'avons dit, dans ce qui fut le premier des catéchismes immédiatement post-apostoliques, de l'infidélité judaïque que notre cardinal refuse de voir. Ce fut le Père de l'Église saint Irénée, au II^e^ siècle. Mais encore Mgr Decour­tray eut pour autre prédécesseur sur le même siège, dans le siècle qui marqua le début de l'identité française, le IX^e^, un vigoureux défenseur de cette identité naissante contre les abus des migrants, et qui plus est des migrants juifs. Cet archevê­que de Lyon compte lui aussi au nombre des saints. Ce fut saint Agobard, qui vécut de 760 à 840. Même le démocrate-chrétien préconciliaire Daniel-Rops, dans son *Histoire de l'Église du Christ,* célèbre le brillant de son enthousiasme communicatif, qui refit de Lyon « un centre intellectuel extrê­mement rayonnant » au sein de la chrétienne Renaissance carolingienne. Rops nous le dit aussi « bagarreur », mauvaise note sous une plume démocrate-chrétienne. Mais voilà : c'est pour cela qu'Agobard nous est cher car, s'il « bagarra », ce fut notamment pour défendre ses ouailles et leur identité, que mettaient en coupe réglée des juifs dominants. 49:907 L'assez récent biographe d'Agobard, Mgr Bressolles ([^7]), ancien recteur de l'Institut catholique de Paris, nous le précise en effet : les juifs sont « alors en pleine faveur au Palais (de l'empereur Louis le Pieux ou le Débonnaire), et tout-puissants à Lyon ». Agobard, « première incarnation du génie littéraire français », ajoute Mgr Bressolles, n'hésite pas à se jeter au secours des chrétiens et nationaux, que ces juifs oppriment, avec le brillant qui le caractérise. Il nous a laissé cinq lettres et discours contre l'oppression juive et le prosély­tisme judaïque qui, quoique écrits en latin, notre langue de l'époque, sont un des premiers joyaux de l'histoire littéraire de la France. Et il agit, bien sûr, dans le même sens. Écoutez-le raconter un historien de Lyon, André Steyert, dans son style un peu ampoulé des années 1890, mais en chroniqueur fort bien informé. Nous y retrouverons, dans l'insuccès final d'Agobard, la fréquente affection des pouvoirs pour les juifs, qui s'y montra même indéfectible. Ce qui rappelle que tout n'est pas Shoah dans l'Histoire, loin de là. Et qu'y existe aussi ce qui favorisait la prépondérance juive, aux dépens des non juifs. De même qu'il en fut, nous l'avons montré ailleurs, dans l'Espagne d'avant Isabelle la Catholique. C'est tout simplement faire preuve d'ignorance d'écrire, comme le fait encore Mgr Elchinger dans *L'Homme nouveau* du 2 octobre 1994, que « tout au long des siècles la chrétienté a commis des crimes envers les juifs ». Contre les abus des migrants Les juifs du IX^e^ siècle lyonnais, raconte Steyert, « achetant à beaux deniers comptants les faveurs des fonctionnaires et des gens de cour, s'étaient fait accorder des privilèges excep­tionnels. 50:907 Pour leur être agréable, le marché public, qui se tenait le samedi, fut transféré à un autre jour de la semaine. Les dispositions du Code burgonde, qui frappaient d'une pénalité spéciale les violences qu'ils pouvaient commettre contre les chrétiens, furent abrogées. Ils furent exemptés expressément de tous péages, taxes foraines, droits de résidence, etc. On leur avait accordé, comme aux nationaux, le bénéfice des lois personnelles. On alla plus loin : pour les cas de procès avec les chrétiens, il fut constitué des tribunaux mixtes composés de trois juifs et de trois chrétiens. Mais, abusant bientôt du crédit exceptionnel dont ils jouissaient, ils en vinrent à se permettre de véritables excès. S'autorisant de la Bible, qui parle des mœurs primitives des patriarches avec leurs femmes et leurs servantes, ils séduisaient les jeunes filles chrétiennes qui étaient à leur service. (...) « Les lois elles-mêmes n'existaient pas pour ces protégés des grands et des gens de cour. Ainsi il était de règle que les esclaves païens qui se convertissaient devenaient libres ; il leur suffisait d'apprendre le latin, langue officielle dans nos contrées, de s'instruire des dogmes du christianisme et de se faire baptiser ; ils étaient dès lors complètement affranchis, moyennant une indemnité, légalement fixée, que l'Église payait à leurs maîtres. Les juifs refusèrent de se soumettre à cette loi et il fut dès lors interdit de baptiser leurs esclaves sans leur autorisation. Les juifs avaient (en effet) pour patron et protecteur officiel (*magister Judeorum*) un grand seigneur nommé Éverard et, dans l'impératrice elle-même, une sorte d'Esther, une protectrice dévouée. Ils se riaient de toutes les plaintes. « Devant de si monstrueuses injustices, Agobard, après avoir vainement adressé une pétition à l'empereur, soumit (ces injustices) au synode, tenu à Lyon en 829, où les évêques de la province formulèrent leurs doléances, écho de leurs malheureux diocésains. Cette déclaration solennelle d'une assemblée dont les actes avaient force légale ne fut pas davantage écoutée ; une démarche personnelle que le saint et infatigable prélat fit auprès de l'empereur échoua égale­ment ». ([^8]) 51:907 Ainsi la défense des chrétiens et nationaux, face aux pouvoirs voués aux migrants juifs, était exercée par l'Église, en la personne de l'archevêque, et en corps par le synode provincial. D'autant qu'au Concile de Meaux de 845 les archevêques Amolon et Hincmar renouvelèrent cette défense, pour toute la France. Mais, malgré ces efforts de l'Église, les Juifs purent continuer à refuser l'émancipation chrétienne de leurs esclaves, et à fournir d'esclaves les émirs musulmans. Qu'on ne dise pas ici qu'Agobard et Steyert, Amolon et Hincmar, exagèrent. Nous connaissons personnellement quel­que que peu l'histoire d'Espagne, on le sait, cette histoire que l'archevêché de Madrid nous a chargé récemment d'enseigner à l'université de Madrid-Alcala, publiant même nos cours. Or, s'il est un fait avéré, par les chroniques musulmanes d'Espagne qui s'en félicitent, telle l'*Achbar Majmua* du XI^e^ siècle, c'est que les juifs de France fournissaient systématique­ment les émirs puis califes de Cordoue en esclaves souvent chrétiens de la Centre-Europe, dits à Cordoue *slavons.* Par l'organisation systématique de capture qu'ils avaient montée et dont la tête était en France, à Verdun, capitale du partage carolingien, avec relais à Lyon puis Arles, vers le Sud. Du reste, au moment même où Steyert écrivait son *Histoire de Lyon,* l'historien juif Théodore Reinach, le confirmait dans *La Grande Encyclopédie *: sous l'empire carolingien, les juifs étaient « enrichis par le commerce d'esclaves ». 52:907 Cette « préférence nationale » La protection que l'Église s'efforça ainsi d'assurer à l'iden­tité et à l'intégrité françaises, dès l'aurore de notre nation, ne va pas cesser de s'affirmer tout au long de l'histoire de l'ancienne France. L'Église fit vraiment corps, alors, avec notre être national. Selon, comme au temps de saint Ago­bard, une Pastorale des Non-Migrants qui lui manque si cruellement aujourd'hui. Devant maintenant conclure, nous n'en citerons qu'un autre exemple, très parlant, pris au moment où se termine cette histoire de l'ancienne France, au XVIII^e^ siècle. Ouvrons un des Dictionnaires des cas de conscience, religieusement normatifs alors. Celui, célèbre, souvent réédité, du père Pontas, sous-pénitencier de l'Église de Paris, ouvrage approuvé par les docteurs en théologie de la Sorbonne, comme conforme aux « sources pures de l'Écriture et de la Tradition ». Ici dans une de ses rééditions, trois gros volumes in-folio de 1741. Nous y voyons consacrée, à charge de la conscience de tous, et très profondément, au cœur de la vie sociale, cette « préférence nationale » réclamée par Jean-Marie Le Pen et abominée par notre épiscopat. Du moins par ceux de nos évêques qui se mettent le plus volontiers en avant, les autres restant bien silencieux. On trouve en effet dans ce *Dictionnaire des cas de conscience* la consécration normative, chrétienne, de deux fondamentales protections de la société française, le retrait féodal et le retrait lignager, garantissant aux pouvoirs comme au peuple lui-même ladite « préférence nationale ». Le retrait féodal, ou droit de retenue, permettait au seigneur titulaire d'un fief dominant de retenir pour lui un fief mouvant de lui, vendu par un de ses vassaux, en en payant, bien sûr, le prix. 53:907 L'acheteur était de droit évincé, par exemple lorsqu'il s'agis­sait d'un acheteur étranger, et la naturalité du fief ainsi perpétuée. Le *retrait lignager,* concernant, lui, les propriétés non féodales, permettait à tout membre de la famille d'un vendeur de retirer de même, pour lui, la propriété mise en vente, en en payant aussi le prix. L'acheteur était de même évincé, notamment lorsqu'il s'agissait d'un étranger, et la naturalité de toute propriété roturière pareillement perpétuée. La famille, justement honorée ces temps-ci par Jean-Paul II, le lignage, disposaient donc sur tout le territoire, à tous les niveaux, d'un droit de suite préférentiel, d'une effective préfé­rence nationale. Disposition encore renforcée par l'interdic­tion faite à un étranger d'être l'héritier d'un Français. Cette préférence nationale allait si loin que les biens en France de tout étranger immigré, dit *aubain* ([^9])*,* qui y mourait, revenaient par succession légale, en un droit inalié­nable, au roi, ou au seigneur haut justicier du lieu de la mort. L*e Dictionnaire des cas de conscience* ratifie aussi, chrétienne­ment, cette autre institution protectrice de la naturalité fran­çaise. Une institution qui portait un nom : elle s'appelait l'*aubaine,* mot que notre langue courante a conservé, signifi­cativement, pour désigner toute bonne affaire. Pourtant, sous la pression mondialiste, le sens national en a été inversé. *L'aubaine,* la bonne affaire, n'est plus aujourd'hui pour la nation française. Mais, cette fois, aux frais et risques de celle-ci*,* elle est pour tous les étrangers immigrés qui se présentent, admis presque tout de suite et automatiquement à la pleine naturalité, et couverts sans délai de lucratives, voire préféren­tielles, prestations et allocations (50 % de plus par tête de bénéficiaire que pour les Français, quant aux prestations familiales, constate l'INSEE). 54:907 Une « grave interrogation » N'est-ce pas justement fait pour rabattre les prétentions de cette nation française où Mgr Delaporte, archevêque de Cambrai, ne voit plus aujourd'hui, en propre terme, qu'une « tribu » comme les autres. Et même, si l'on comprend bien cet autre archevêque acharné contre notre identité, qu'une tribu moins digne d'un effectif tribalisme que les autres. Et astreinte, en conséquence, à payer, de la bourse et de la vie des plus faibles des siens, l'effectif tribalisme, importé, des autres. Comme au temps de saint Agobard, ce temps que l'on dit barbare. Mais cette fois sous incitation d'hommes d'Église. D'une Église qui n'a même plus l'idée de défendre les chré­tiens et nationaux, comme le fit Agobard, tout occupée qu'elle est à promouvoir l'entreprise allogène et, par comble, le plus souvent infidèle. Ainsi la défense, par l'Église, de l'identité française, natio­nale, paraît aujourd'hui aussi radicalement abandonnée que sa défense de l'identité catholique. Nous l'entendons bien : on avance, en faveur de ces deux abandons, toutes sortes de justifications évangéliques, de l'obligation d'accueillir l'étran­ger, à celle de s'ouvrir à l'autre, à celle de s'unir entre chrétiens, voire à celle de respecter la primitive élection divine, en Abraham. Mais, si l'on écarte ce rideau de bonnes intentions affichées, on fait une constatation bien différente. Les deux abandons -- ne serait-ce que par manque de prudence, cette « première des vertus cardinales et vertu évangélique par excellence » ([^10]) -- en définitive promeuvent un anti-évangélisme. Une régression et une démission multi­formes. Un « partage », comme l'on dit trop, conduisant de proche en proche à aliéner l'inaliénable. 55:907 Car, dans l'un et l'autre abandon, et cumulativement, la dérive mondialiste, exagérément œcuménique, et immigra­tionniste, fomente, installe le relativisme. Le président de la Conférence épiscopale française, Mgr Duval, l'a constaté lui-même, un peu tard, dans *Paris-Normandie* du 4 juillet 1994 « L'arrivée des musulmans, écrit-il là, pose une grave interrogation : *Qui détient la vérité ?* Les catholiques, les musul­mans, ou les autres ? » Au reste la dérive mondialiste tend à contredire en cela, à chaque instant, l'Évangile. Elle recouvre, étouffe la fidélité aux « héritages » maintenant dédaignés des peuples catholi­ques, en déshérite les héritiers, donne en modèle l'activisme superficiel de Marthe, ôte en fait la meilleure part réputée désormais intolérante, antifraternelle, et raciste, change le vin en eau, enfouit ou dilapide le « talent » reçu, importe et cultive l'ivraie, sème par préférence sur la pierraille, met en jachère la bonne terre, enlève leur salaire à ceux qui ont supporté le poids du jour, prescrit au Samaritain un choix idéologique de son secours, tue le veau gras au profit de qui ne revient pas chez le Père, oblige à entrer dans de douteuses noces, se moque de l'attente responsable des vierges sages, donne de l'huile aux vierges folles, égare les brebis, quand elle ne fait pas entrer par principe le loup dans la bergerie, garantit le scandale aux enfants, promet le Royaume sans conversion, justifie le publicain non repentant, exige un seul troupeau pour le faire répondre à la voix, non du seul vrai Pasteur, mais d'une infinité de faux pasteurs demi-fidèles comme infidèles qu'elle appelle et caresse, tendant à leur livrer « toutes les nations ». Au point que la brebis perdue, prédilection du Christ, tend à être aujourd'hui la brebis fidèle, catholique. Mgr Duval ne constatait, au fond, rien d'autre : la brebis ne sait plus *qui détient la vérité.* 56:907 L' « orbi » et l' « urbi » Le beau combat de Jean-Paul II pour la fidélité, en bien d'autres aspects, notamment au cœur de l'Église, s'en trouve lui-même mis en danger. L'ouverture externe galopante ne peut que saper les bases mêmes de la rigueur interne. On l'a vu ici, déjà, du vivant de Jean-Paul II ; que sera-ce après ? On peut craindre que l'*orbi*, l'adressé au monde, ne dispose finalement de l'*urbi*, l'adressé à la cité sainte. En une forme ultime, romaine, d'immigration dévastatrice. Comme laïcs catholiques et comme Français nous avons, pour nous en inquiéter, une raison de plus que les cardinaux du Consistoire romain, réuni par Jean-Paul II en juin 1994, pour projeter sur le jubilé de l'an 2000 la dérive analysée ici. On ne nous en voudra donc pas d'avoir, ainsi que ces cardinaux, même si c'est plus qu'eux, manifesté ici ce que les observateurs ont relevé chez eux, selon les formules employées par Joseph Vandrisse dans *Le Figaro *: quelques « petits mouvements divers », et jusqu'à quelque « gouaille ». Jean Dumont. Post-Scriptum. -- Il est heureusement des évêques pour garder la tête froide, et calmer ainsi nos inquiétudes. Des évêques indemnes des dérives tumultueuses de la pastorale des « partages » en tout genre. Le 11 juillet 1994, Mgr Defois, archevêque de Sens, l'affirmait tranquillement : contre, disait-il, « les idées libérales de notre société », « l'ave­nir de notre Église se joue dans la contemplation ». Telle était pour lui, ajoutait-il, la vision de l'après l'an 2000 : « le chemin du siècle à venir », selon sa formule. 57:907 Il remerciait donc les bénédictins de Saint-Benoît-sur-Loire « de nous guider sur ce chemin », après qu'il eut cité Guillaume de Saint-Thierry nous montrant l'exemple de la libération de nos aveuglements « dans le miroir de la vision divine ». C'était là une parfaite référence, « pour trancher sur la toile de fond des incertitudes et des demi-teintes » d'aujourd'hui, comme l'écrivait aussi Mgr Defois ([^11]). Car Guillaume de Saint-Thierry, grand mystique du XII^e^ siècle français, récemment redécouvert, fut en outre l'inspirateur, l'ami intime et le biographe de son compatriote et contemporain saint Bernard de Clairvaux, ce dernier des Pères de l'Église fortement soupçonnable, selon la formule en vogue actuellement, d' « aspects obscurs » dans sa vie. N'avait-il pas lancé la deuxième Croisade contre l'Islam et chanté, avec une superbe passion, la chevalerie religieuse et française du Temple, « chevalerie de Dieu », disait-il, qui s'illustra contre le même Islam ? Mgr Defois montrait qu'il ne s'arrêtait pas, à cet égard, aux disqualifications à la mode. Qu'il ne croyait pas plus à l'efficacité de la dérive pastorale actuelle, « l'avenir de notre Église » se jouant en dehors d'elle dans la contemplation, en fait contre ses « idées libérales », « incertitudes », « demi-teintes ». Et il montrait que seule comptait pour l'Église l'adéquation à Dieu qu'il savait trouver, pour l'avenir même, dans la fidélité catholique et française de ce XII^e^ siècle, notre haute époque de l' « ordre ancien » aujourd'hui dédaigné. De telle manière que le véritable jubilé de l'an 2000 fût celui de cette adoration effectivement catholique projetée, sans dérive, sur le III^e^ millénaire. Dans la seule efficacité assurée : celle des pleines teintes et des certitudes. Dans aussi la récapitulation des avancées spirituelles des grandes philosophies antiques, cette récapitula­tion, cet authentique panchristianisme, des Pères de l'Église antijudaïques, de Pascal et des grands jésuites. 58:907 Celle et celui encore, ici, de ce qu'on a appelé « l'humanisme » antique de l'ordre cistercien, si chrétien, de saint Bernard. Car Guillaume de Saint-Thierry, notamment, qui parlait comme ses frères de « notre Sénèque » le stoïcien, se nourrissait aussi, chez son autre maître, le Père grec du IV^e^ siècle, Grégoire de Nysse, de la plus complète et plus heureuse fusion de la vision divine de Platon et du christianisme. Avancée chrétienne platonicienne, « condition d'une authentique renaissance », qui « porte à réaffirmer le primat de la contemplation sur l'action », vient de rappeler en ces termes, de son côté, selon le remarquable analyste catholique italien Augusto Del Noce, une de nos revues de jeune pensée catholique ([^12]). La perle rare de la lucide, profonde, aussi jeune que traditionnelle et tranchante prise de position de Mgr Defois lui mérite ainsi, à tous points de vue, notre admiration et notre reconnaissance. J. D. 59:907 ### LA FAMILLE *Ses racines, sa structure, son destin* *Conférence prononcée à Lourdes le 8 octobre 1994 dans le cadre du pèlerinage du* «* Nouvel Élan marial *»*.* Qu'est-ce que la famille ? Poètes, philosophes, penseurs, hommes d'Église, tous en ont parlé. Si un moine bénédictin a lui aussi volontiers accepté d'ap­porter sa pierre, c'est parce qu'il appartient lui-même à une communauté monastique, qui est une grande famille, une famille fondée par saint Benoît, héritier de la *gens* antique et du *paterfamilias* romain au VI^e^ siècle. 60:907 Comme nos maîtres nous l'ont enseigné jadis, je tâcherai de partir du mot lui-même, de le soupeser, de lui demander son secret. Quelle est son histoire ? Son origine ? Remarquons que le mot famille vient de *famulus* (serviteur), *famulari* (servir). La famille est soumise à la grande loi de l'échange : honore tes père et mère (qui t'ont donné la vie) afin que toi-même à ton tour tu puisses vivre et donner la vie : comment donner ce que l'on n'a pas reçu ? Tel est l'admirable échange, telle est la loi divine. La famille et son enracinement La famille n'est pas née d'une idée humaine, elle est une institution naturelle, divinement constituée, inscrite dans la pensée de Dieu, qui s'identifie avec l'essence même de l'homme, non seulement parce que l'homme est le fruit d'une alliance parentale, qui implique communauté, mais parce que cet homme ne peut se développer et s'achever que dans et par la famille. Toutes les affreuses prétentions modernes au sujet des lois génétiques viennent soit d'une igno­rance de la loi naturelle, soit d'une révolte de l'homme contre la loi naturelle. Qu'est-ce que la loi naturelle ? Elle est la struc­ture même de l'être telle qu'elle a été conçue par le Créateur, jusqu'à la fin des temps. L'enveloppe fami­liale est si nécessaire à l'homme que les enfants-loups découverts à la fin du siècle dernier n'ont pas pu survivre. Recueillis et allaités par une louve, ces enfants ont été trouvés incapables de se dresser verticalement et de parler. Ils sont morts très tôt. 61:907 Il y a là une illustration de la définition de l'homme par Aristote : l'homme, animal social. « Le petit poussin, disait Charles Maurras, brise sa coquille et se met à courir. Peu de choses lui manquent pour s'écrier : « Je suis libre. » ... Mais le petit homme ? Au petit homme, il manque tout. Mais un cercle de rapides actions prévenantes s'est dessiné autour de lui. Le petit homme presque inerte, qui périrait s'il affrontait la nature brute, est reçu dans l'enceinte d'une autre nature empressée, clémente et humaine ; il ne vit que parce qu'il est citoyen. » Or la première enveloppe protectrice, avant même la cité, c'est la famille. N'importe quel socio­logue vous dira que 80 % des jeunes délinquants que la police appréhende et jette en prison sont nés de familles désunies, monoparentales ou de parents divorcés. Ce sont les enfants-loups de la société moderne : sauf miracle, ils sont incivilisables. De même que la société n'est pas le résultat d'un « contrat social », mais une réalité inscrite dans la nature des choses, de même la famille n'est pas issue d'un « contrat familial »..., elle est l'enracinement humain d'un projet éternel de Dieu sur l'humanité. C'est ce qui faisait dire au maître de Martigues que l'enfant en naissant trouve dans la société (et la famille) infiniment plus qu'il n'apporte. Le grand péché moderne (divorce, couples homosexuels, contrôle des naissances et manipulations génétiques) est une action suicidaire, non pas seulement parce qu'elle affaiblit le taux des naissances, mais parce qu'elle se heurte à la pensée divine. Elle brise le plan de Dieu, ou plutôt elle se brise elle-même à la Toute-Puissance divine et porte en elle sa déchéance et son propre châtiment. 62:907 L'inverse se vérifie également, vous l'avez sans doute remarqué : quand un jeune homme dévoyé se marie et qu'il fonde un foyer, il est fréquent qu'il se redresse. Même moralement. Que s'est-il passé ? Tout simplement, il s'est remis en règle avec la grande, l'immuable loi divine. Il s'est réconcilié avec lui-même, avec la société, avec la grande loi de la création. Une famille heureuse, fût-elle musulmane ou bouddhiste, est un hymne à la louange de la loi naturelle. L'enracinement de la famille, c'est aussi un enracinement dans la bonne terre nourricière, battue par les vents et la pluie, la portion de terre qui s'appelle le village, la province, la nation ; car si la famille est une cellule essentielle de la société, elle n'est pas une société complète. Elle doit s'achever dans la petite et la grande patrie qui lui donneront sa religion, sa langue, son métier, sa culture, et ce faisceau de coutumes et de traditions dans lequel l'homme est en mesure de puiser un supplément d'être. Et si nous aimons ces choses si humbles et si temporelles, c'est parce qu'elles véhiculent à leur manière les plus hautes réalités de l'esprit. C'est pourquoi le rôle des grands-parents est si nécessaire : ils offrent une continuité, une mémoire. Il est rassurant d'avoir un passé. Les êtres déracinés, ignorant leur passé, ne peuvent extrapoler l'avenir. C'est une des causes de l'angoisse moderne. La structure interne de la famille Disons-le tout de suite, c'est l'autorité paternelle qui est le fondement et la clé de voûte de la structure familiale. 63:907 Nous nous scandalisons parce que sous l'Empire romain le *paterfamilias* avait droit de vie et de mort sur ses enfants, et comme un prêtre il offrait aux dieux le sacrifice de la famille. Mais cette puissance du père, quoi qu'il en soit de ses modalités et du changement des mœurs, et quoi qu'il en soit des excès de l'autorité parentale, cette puissance est nécessaire, elle est bonne, elle découle de la loi naturelle ; c'est l'absence du père qui est dramatique. C'est la structure même de la Sainte Famille. Permettez-moi une anecdote. Un religieux, artiste-peintre, me montrait un jour une de ses œuvres. C'était une commande de peinture murale pour une paroisse ouvrière. L'auteur avait représenté le groupe de la Sainte Famille de Nazareth où figuraient le Christ apprenti charpentier, saint Joseph et la Mère de Dieu. La composition d'en­semble figurait dans une sorte de triangle, la pointe dirigée vers en haut. Au sommet figurait... qui ? L'Homme-Dieu Jésus ?... Non. Il y avait saint Joseph, chef de la Sainte Famille. Tel est l'ordre voulu de Dieu. C'est à saint Joseph que l'ange apparaît en songe : « Ne crains pas de prendre Marie pour épouse... » Ensuite, plus tard : « Prends l'enfant et sa mère, et va en Égypte. » On touche là du doigt la différence essentielle entre les grandeurs de hiérarchie et les grandeurs de sainteté : Jésus et Marie sont plus élevés en sainteté que Joseph, mais c'est au charpentier Joseph qu'ils obéissent. Vous me demanderez peut-être comment cette autorité peut s'exercer aujourd'hui où l'on parle tellement du droit individuel ? Je citerai le témoi­gnage d'un Père Abbé allemand qui a gouverné sagement son monastère pendant des années dans l'esprit de la règle de saint Benoît. 64:907 On lui avait demandé quelle était la place des droits de l'homme dans un monastère bénédictin. Il répondit : « La Sainte Règle décrit avec tant de justesse et d'exacti­tude la somme des devoirs que chacun doit accom­plir dans l'ensemble du monastère, depuis le Père Abbé jusqu'au dernier des frères, que tous sont en mesure de jouir alors paisiblement de leurs droits. » Nous avons évoqué la Sainte Règle. C'est là, avec l'autorité paternelle, le second pilier de l'ordre familial. Toute communauté implique un ordre de hiérarchie et de dépendance établi par une règle. Dans la ligne de la loi naturelle (rappelons que la loi naturelle, c'est la loi divine inscrite dans les cœurs et stipulée au dehors par le Décalogue), il y a place dans la famille pour les règles internes de la prière, de la politesse, du respect, de la bienséance, de l'obéissance aux parents, aux coutumes, au devoir d'état. Le mot règle ne semble guère apprécié aujourd'hui. Mais écoutons Gustave Thibon : « Tu méprises les règles, les traditions et les dogmes. Tu ne veux imposer aucun cadre doctrinal à ton enfant, à ton disciple. Fort bien. Tu leur verses à boire un vin précieux, tu oublies seulement de les munir d'une coupe. Qu'est-ce que le vin sans la coupe ? Il ruisselle en vain sur le sol, et voilà, à terre il produit la pire boue. » (*L'Échelle de Jacob*) Prenons, par exemple, les règles du respect. On a tendance à ne voir, dans l'obligation du respect dû à autrui, qu'une convention sociale. On nous dit que le respect est contraire à l'amour, ou du moins qu'il gêne, qu'il entrave l'amour. Mais « respect » vient de *respicere* regarder. Si je ne regarde pas mon prochain, si je ne le considère pas, si je ne lui reconnais pas une place, un statut, c'est alors qu'il va devenir pour moi comme un objet. N'est-ce pas là le contraire même de l'amour ? 65:907 Permettez-moi un souvenir personnel. Au cours de la fondation de notre monastère du Brésil sur les hauts plateaux du Parana, un jour, nous avons vu venir à nous la femme d'un *cabocle,* excédée, au bord de la folie. Sans doute un grand malheur lui était-il arrivé ! Pourquoi s'était-elle enfuie de sa pauvre maison ? Réponse : « *Meu marido me faltou de respeito* »*,* « Mon mari m'a manqué de respect. » Nous avons tous besoin d'être respectés. Manquer de respect, c'est dire à l'autre : « Vous n'existez pas. » Le manque de respect tue l'amour. Au Brésil on baise les mains des parents et des prêtres, parce qu'ils représentent Dieu. C'est une très belle marque de respect nuancée d'affection. Reprenons ces trois éléments qui structurent la famille de l'intérieur : l'autorité paternelle, le sens de la règle, le respect mutuel. Ces trois éléments en appellent un quatrième, situé au zénith des vertus domestiques, c'est la piété filiale. Elle apporte au respect envers l'autorité une touche de douceur affectueuse. De ce sommet tout redescend en grâces sur les membres de la famille. La piété filiale n'est pas une vertu ecclésiastique, c'est une vertu de civili­sation. Une vertu antique, temporelle, civique et religieuse, grecque et romaine, par laquelle, nous dit Aristote, l'homme rend un culte aux dieux, aux parents et à la patrie. La piété filiale ressortit à la loi naturelle. Elle est l'amour du fils reconnaissant, qui doit tout à son père, consolidant ainsi le pacte d'union entre celui qui donne la vie et celui qui la reçoit, avant de la prolonger à son tour dans ses propres enfants. 66:907 Au-delà de toute querelle, de toute opposition, elle est le ciment de la vie familiale. Même la discipline en vigueur dans les ordres reli­gieux ne la détruit pas. Quelquefois, elle lui rend hommage et s'incline : par exemple, l'Église permet­tant à une religieuse de quitter son couvent pour se mettre au service de sa mère malade. Qu'il me soit permis maintenant de souligner trois vertus communautaires qui doivent fleurir dans nos foyers. D'abord la charité. La famille forme une *communauté* (cum-unitas) : unir avec. L'union et la paix sont des fruits de la charité. Cette charité communautaire repose sur une trilogie à laquelle on reviendra sans cesse : se dévouer, se supporter, se pardonner. Deuxièmement, la patience. C'est la vertu des maîtres et des éducateurs. Il y a un *ars educandi *: l'art d'éduquer. Voyez comment est formé ce mot éduquer : *e-ducere,* faire sortir. *Educere gladium* signifiait : tirer l'épée du fourreau. Il s'agit de tirer d'un enfant les virtualités qui s'y cachent intelligence, volonté et sens religieux. Cela demande beaucoup d'amour et de patience. Saint François de Sales disait : « Pour travailler à la sanctification des âmes, il faut une tasse de science, un baril de prudence, un océan de patience. » Savoir écouter, tâcher de comprendre, deviner les peines, les blo­cages, la raison d'une agressivité. En communauté, il faut être intransigeant sur les principes, et maternel quant aux applications. Et madame Schwetchine, à l'encontre de ceux qui veulent à tout prix, fût-ce au prix d'une injustice, briser la pensée de leur interlo­cuteur, disait : « C'est en entrant dans la pensée des autres qu'on la réconcilie avec la sienne. » Enfin, la famille doit être protégée par les remparts d'une attentive vigilance afin d'en interdire l'entrée aux fumées de Satan, et ouverte à la germination des valeurs humaines. 67:907 On a très peur aujourd'hui de constituer des ghettos. Il ne faut pas, nous dit-on, que la famille enferme les enfants dans un monde clos. Sans doute, mais un nid d'hirondelles com­porte bien une petite clôture pour prévenir les chutes hors du nid ; tandis qu'il reste ouvert en direction du ciel pour protéger et favoriser la crois­sance des ailes. La meilleure famille sera celle qui protège l'oisillon fragile de l'enfance, sans omettre de lui apprendre à déployer ses ailes. En résumé nous dirons qu'il existe une religion et une morale de la famille. Une famille, même la plus modeste, la plus tiède au plan religieux, fût-elle non baptisée, est sans le savoir un signe sacré de l'alliance de Dieu avec les hommes. En revanche si les époux sont baptisés et si leur mariage est sacramentel, alors cette union franchit un seuil, elle devient un *signe efficace* de la charité surnaturelle. Or un signe est efficace lorsqu'il réalise ce qu'il signifie. Ceci nous amène à parler du dépassement de la famille. La famille et son destin surnaturel Qui dit dépassement dit sainteté. Sous l'influence de la grâce, la famille devient non seulement une institution sacrée, mais une école de sanctification. Sa vocation est une vocation à la prière. Elle est faite pour la prière, comme l'Église dont elle est l'image. Elle est une Église en réduction, une portion d'Église destinée à refléter l'amour du Christ, à le chanter, à le propager. 68:907 C'est pourquoi la prière en famille est de toute nécessité, non seulement pour que la famille et ses membres soient protégés contre les chutes et contre les effondrements si fréquents aujourd'hui, mais par vocation et par essence. Comme l'Église qui est « société de la louange divine » (dom Guéranger), la famille, elle aussi, doit tendre à la sainteté et à la louange de Dieu : « Quoi que vous fassiez, soit que vous mangiez, soit que vous buviez, faites tout pour la gloire de Dieu »... « Époux, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Église », (saint Paul), c'est-à-dire d'un amour de charité surnaturelle qui provoque les enfants à l'admiration et à l'action de grâces. C'est dans cette perspective que le père présidera la prière du soir comme représentant du Christ. C'est dans cette perspective vraiment chrétienne que les vocations pourront fleurir, devinées bien souvent par la mère de famille. Ne dit-on pas que la vocation des enfants passe par le cœur de leur mère ? Familles chrétiennes, restez vigilantes ! Le natu­ralisme vous guette. Je ne parle pas des turpitudes d'un matérialisme abject que vous repoussez... mais, avouez-le, la tentation de cette petite communauté familiale, si douce, si attachante, que vous consti­tuez, ne serait-elle pas de trop sacrifier au bonheur ? N'y a-t-il pas une peur lancinante du sacrifice, une peur de la pauvreté, une tentation de déserter la voie royale de la Croix ? Eh, me direz-vous, peut-on faire grief à des parents de chercher le bonheur de leurs enfants ? C'est si bon le bonheur ! Quoi de plus délicieux qu'une maison où la mère souriante est entourée de ses enfants heureux et en bonne santé, telle que l'ont chantée les poètes ? 69:907 *Et le bonheur entourait cette maison tranquille* *Comme une eau bleue entoure exactement une île...* (Francis Jammes, *Les Géorgiques chrétiennes*) Oui nous aimons l'évocation du bonheur, mais dès que l'on a posé un pied dans le surnaturel, on rencontre le sacrifice. Il y a grande différence entre le religieux et le surnaturel. La frontière, c'est le sacrifice. L'ordre religieux appartient à la nature, il comporte les actes partant de l'homme pour honorer Dieu : toute prière est un acte religieux. Mais l'ordre surnaturel, c'est la vie même de Dieu qui descend dans les âmes. C'est l'invitation à imiter Jésus-Christ, à vivre de sa vie, à porter la croix. Quand saint Louis change sa couronne de roi par la couronne d'épines, quand le monarque, heureux époux de Marguerite de Provence, à laquelle il donne treize enfants, décide de partir à la croisade, répondant à un appel secret qui a retenti dans son âme, alors on se trouve devant un ordre qui nous dépasse, on entre dans une joie austère qui est tissée de souffrance, la joie de ceux qui prennent au sérieux la voie royale de la croix. Je vais vous raconter une histoire. Je la tiens de celui qui en fut le témoin et le bénéficiaire. Nous sommes en 1946. Un étudiant chinois faisant ses études en France va travailler l'été dans une ferme près de Soissons pour se faire quelques sous et manger à sa faim. La fermière lui raconte la débâcle six ans auparavant : notre armée en déroute recule devant l'envahisseur ; harassés, des soldats français se présentent au village. 70:907 La fermière les reçoit, les fait manger et leur offre le gîte pour la nuit. Le lendemain matin, ils sont partis en volant les objets les plus précieux de la maison. Le jeune Chinois ironique : « On n'a pas idée aussi de laisser venir chez soi des inconnus ! » La fermière : « Je les ai reçus comme si c'était le Christ en personne. » Aujourd'hui, ce Chinois est devenu prêtre et sinolo­gue éminent : il s'appelle le Père François Houang, converti par une famille où on vivait selon l'Évangile. Il faut accepter de tourner le dos à l'égoïsme et à la cupidité du monde, au prestige de l'argent, au feu des passions. Il faut renoncer aux étourdissements et aux plaisirs du monde, à son faux optimisme, à son avidité pour les jouissances terrestres. Les familles doivent aimer la pauvreté alors que le monde dit enrichissez-vous. Elles doivent aimer le sacrifice alors que le monde ne pense qu'à la jouissance. Elles doivent aimer l'effort alors que le monde cherche la facilité. Elles doivent chercher le recueillement de la prière alors que le monde leur propose l'évasion. Bref, être dans le monde sans être du monde. C'est le chemin montant que nous ont tracé les chrétientés de jadis, mais elles ont fait l'Europe. Et c'est parce que ces vrais chrétiens travaillaient dans l'espérance dû Ciel qu'ils ont réussi à faire de la terre un lieu qui soit à peu près habitable, où par la douceur des mœurs chrétiennes se devinent comme en transpa­rence les joies de l'éternité. Vous me direz : mais comment faire ? Est-ce possible dans ce monde en folie, livré à tous les poisons, à tous les mensonges qui frappent nos yeux et nos oreilles ? Est-il possible d'imiter les saints ? Je répondrai par une adresse aux communautés chrétiennes que j'emprunte à un saint religieux qui fut notre grand ami, le Père Roger Thomas Calmel, et ce sera notre conclusion : 71:907 « Sous l'égide de la Vierge qui écrase le dragon, les chrétiens qui prient véritablement et qui s'aiment dans le Christ se donneront la main, comme des frères, par-dessus les flots déchaînés d'un monde qui a renié Dieu et qui est en train de détruire l'homme. Unis par la prière et l'amitié, aussi contrecarrés soient-ils par la pression générale, ils arriveront à maintenir ou à reconstituer une sorte de milieu temporel vraiment civilisé, suffisant pour permettre aux âmes de bonne volonté de ne pas aller à la dérive et se perdre sans retour mais de rester fermes et vivantes, de poursuivre leur chant intérieur, de célébrer sans cesse l'amour et la beauté de Dieu à travers les épreuves de l'exil. » **†** F. Gérard O.S.B. abbé de Sainte-Madeleine. 72:907 ## DOCUMENTS ### Fatima oublié ? ... occulté. D'un échange de correspondance entre Jean Vieux et le P. Werenfried van Straaten publié par la *Contre-Réforme catholique* d'octobre 1994, retenons ces trois questions de Jean Vieux, qui ont une portée générale, indépendamment des circonstances où elles ont été posées 1\. Où et quand Paul VI ou Jean-Paul II ont-ils accompli la Consécration solennelle de la Russie -- elle-même ! -- avec le concours, dans le même temps, de tous les évêques du monde ? 2\. Où et quand ont-ils demandé au peuple catholique et propagé dans le monde la Commu­nion réparatrice des cinq premiers samedis du mois ? 3\. Où, quand et comment ont-ils répété, tel quel, le Message de la Vierge : « *Si l'on écoute mes demandes...* » A Fatima ? à Rome ? à l'ONU ? 73:907 Le même numéro 306 de la *Contre-Réforme catholi­que* publie notamment cette remarque de Jean Vieux : L'éclatement du bloc soviétique n'est pas la chute du communisme. Avez-vous remarqué que la Vierge ne parle pas de la puissante armée domina­trice, mais elle dit que « la Russie répandra ses *erreurs* », c'est-à-dire sa perversion intellectuelle, morale, spirituelle, sociale, politique. Or, ces erreurs communistes continuent leur œuvre en Russie et dans le monde. Sur le même sujet, on se reportera aux pages 1 à 47 d'*Itinéraires,* numéro 305 de juillet-août 1986. 74:907 AVIS PRATIQUES ============== fin du numéro 907. [^1]:  -- (1). On appelle philosophie *moderne* non point l'ensemble de la philosophie *contemporaine :* mais cette partie de la philosophie contemporaine qui est *en rupture* à la fois avec la tradition philosophique et avec l'expérience commune de l'humanité. Elle est l'idéologie sociologiquement dominante dans cet univers occidental de la seconde moitié du XX^e^ siècle que Pie XII réprouvait radicalement ; il en disait : « C'est tout un monde qu'il faut refaire depuis les fondations. » [^2]:  -- (1). *Documentation catholique,* 20 mars 1994. [^3]:  -- (2). *La Croix,* 29 décembre 1993. -- Le texte de cette interview du cardinal Decourtray a été intégralement reproduit et commenté ligne à ligne par Jean Madiran, sous le titre : « Jésus facultatif », dans *Itinéraires,* numéro 4 de la 3° série, p. 31-37. [^4]:  -- (3). Sous la signature d'Attilio Agnoletto. [^5]:  -- (4). Introduction au livre VII de la *Préparation évangélique* d'Eusèbe de Césarée, Paris 1975, p. 70. [^6]:  -- (5). Conférence du 14 février 1994, prononcée en terre vendéenne, à La Roche-sur-Yon. [^7]:  -- (6). *Saint Agobard, évêque de Lyon, sa doctrine et son action politique,* Paris 1949. Et article Agobard du *Dictionnaire des Lettres françaises* du cardinal Grente, tome Moyen Age, Paris 1964, p. 35. [^8]:  -- (7). André Steyert, *Nouvelle histoire de Lyon,* tome II, Lyon 1897, pp. 120 à 122. La protection extrême des juifs par les Carolingiens aurait tenu essentiellement au fait que ceux-ci s'inspiraient volontiers de l'Ancien Testament (sacre, lois, messianité du peuple franc), prétend aujourd'hui, bien naïvement, Pierre Riché dans la très libérale *Histoire du Christia­nisme* chez Desclée (tome 4, Paris 1993). Qu'il en ait pu être, partiellement, ainsi ne ferait que confirmer, au regard de ce qu'a constaté saint Agobard, la perversité, pour les chrétiens et le christianisme, de la complaisance au judaïsme. [^9]:  -- (8). « Aubains sont estrangers qui sont venus s'habituer en ce royaume » (Loysel, *Institutes coutumières,* 1607, règl. 67). [^10]:  -- (9). *Dictionnaire de la foi chrétienne* des dominicains, Paris 1968, p. 626. [^11]:  -- (10). *Renaissance de Fleury,* n° 171, Saint-Benoît-sur-Loire, septembre 1994, pp. 41 à 44. [^12]:  -- (11). *Catholica* (article de Danilo Castellano), n° 43, Igny (Essonne), avril 1994, p. 30.