# 912-06-96 (Troisième série -- Été 1996, Numéro 12) 1:912 *Henri Charlier éclairait sa tâche et la nôtre par sa parabole du pommier : sa fonction est de produire des pommes, les prend qui veut pour en faire ce qu'il peut. Là où nous sommes, à la mesure de nos moyens et selon les circonstances, nous avons à produire des œuvres. Les pommes sont offertes au maître du terrain et aux passants qui les prennent, les mangent, en donnent ou les dédaignent, ce n'est pas l'affaire du pommier.* 3:912 ## ÉDITORIAL ### Quarante ans Je n'ai pas tellement le cœur, ni d'ailleurs l'esprit, à phi­losopher sur cet anniversaire ; pas plus que je ne l'avais pour le 25^e^, on le verra plus loin, chapitre « Décli­natoire », page 58, et pour les mêmes raisons. Pas davan­tage à philosopher sur l'écho très sympathique et très limité que le 40^e^ a suscité dans la presse libre (ne parlons pas de la serve, dont nous n'avons rien à attendre). Mais comment ne pas inscrire ici, de toute notre âme, un hom­mage public de filiale reconnaissance au Seigneur Dieu pour ce don gratuit de quarante années d'existence, de tra­vaux, d'amitiés ; ce don de tant de concours militants, ano­nymes ou simplement discrets, passagers ou durables, ou encore *réguliers,* ceux qui avaient accepté et reçu le titre non pas quantitatif mais qualitatif de « collaborateur régu­lier d'*Itinéraires* », officialisés comme tels, au jour de leur mort, par leur insertion sur la stèle qui fait mémoire de leurs noms : 4:912 Henri POURRAT -- Joseph HOURS -- Georges DUMOULIN -- Antoine LESTRA -- Charles DE KONINCK -- Henri BARBÉ -- Dom G. AUBOURG -- L'abbé V.-A. BERTO -- Henri MASSIS -- Dominique MORIN -- André CHARLIER -- Claude FRANCHET -- Henri RAMBAUD -- R.-Th. CALMEL O.P. -- Henri CHARLIER -- Jean-Marc DUFOUR -- Luce QUENETTE -- Gustave CORÇAO -- Geneviève ARFEL -- Émile DURIN -- Fernand SORLOT -- Joseph THÉROL -- André GUÈS -- B.-M. DE CHIVRÉ O.P. -- Bernard BOUTS -- Michel de SAINT PIERRE -- Louis SALLERON -- Alexis CURVERS -- Jacques PERRET -- Marcel DE CORTE 5:912 Louis Salleron, Henri Pourrat, et De Corte, et Massis, figu­rent désormais sur cette stèle, à l'exception unique de Marcel Clément qui est toujours vivant, toujours plein d'œuvres, toujours éloquent : il nous quitta pour prendre en main *L'Homme nouveau* où il officie depuis plus de trente ans avec beaucoup de talent, de mérites, de sens théorique du bien commun. Lorsqu'il quitta *Itinéraires* il n'imaginait sans doute point que la distance entre nous, peu à peu, se ferait si étendue, et je crois qu'au début il ne souhaitait pas un tel éloignement. Bref je suis le seul survivant d' « *Itinéraires 1956* »*.* \*\*\* Jean Cochet qui, sous le pseudonyme de Jean Michel, dirige le *Présent littéraire* de chaque semaine, a rassemblé autour de lui, le 30 mars, pour le 40^e^ anniversaire, les ana­lyses et témoignages (j'allais dire les oraisons funèbres) d'Yves Daoudal, Nicole Delmas, Anne Brassié, Jean-Claude Absil, Yves Chiron, Olivier Mirande, Robert Le Blanc, Rémi Fontaine ; et Chard. Et puis il y eut Cosme-Damien dans Rivarol du 3 mai. A Radio-Courtoisie, dont le directeur de la rédaction, Jean Ferré, se tient presque aussi loin de moi que le fait Marcel Clément, et tient autant que lui à ce que ce soit bien visible, l'émission littéraire d'Anne Brassié le jeudi matin a consacré son jeudi 11 avril à notre quarantième anniversaire, avec Yves Daoudal, Olivier Mirande, Alain Sanders ([^1]). Tout cela fait un bou­quet de grande valeur, même si quelques aspects essentiels (les vocations religieuses éclairées ou préservées par la revue) ne peuvent évidemment y figurer. 6:912 Dans un ordre d'idées beaucoup plus secondaire, la revue *Itinéraires* est à coup sûr plus mince aujourd'hui qu'elle ne le fut à d'autres époques. L'année 1975, la grande réunion du 15 mars de cette année-là, ont été en quelque sorte celles de l'apogée matérielle. L'évolution des mœurs, l'envahisse­ment de l'audiovisuel, l'accroissement de l'asphyxie éco­nomique (signalée déjà par Péguy avant 1914, cette asphyxie qui est la cause la plus immédiate de la dispari­tion presque complète d'une presse d'opinion financière­ment indépendante), la diminution consécutive du nombre des abonnés nous ont contraint en 1989-1990 à faire de la revue mensuelle une revue provisoirement trimestrielle, en attendant l'apparition éventuelle de circonstances maté­rielles et morales moins défavorables. Cette éventualité ne s'est pas produite. Nous rencontrons personnellement des jeunes gens et des jeunes filles qui découvrent avec curio­sité les quarante années de travaux publiés par *Itinéraires* et qui, le plus souvent, s'y intéressent studieusement. Il leur arrive même de s'y enthousiasmer. Cela n'en fait que quelques-uns : nous ne pouvons aller partout faire nous-même ce que les familles, dans l'ensemble et malgré mes avertissements répétés au long des années, n'ont pas fait. Je dis dans l'ensemble. Chaque cas individuel a sa destinée propre, sa liberté, son mystère. Mais quand il y a une masse dominante d'échecs éducatifs, et tristement uni­formes, un tel résultat ne peut être simplement l'addition d'échecs accidentels, il suggère qu'il y a une cause géné­rale. La plupart des familles de nos lecteurs de 1960, de 1970, de 1975 n'ont pas su ou n'ont pas voulu proposer à leurs enfants la lecture d'*Itinéraires* parce que, tout en approuvant plus ou moins la revue, elles s'étaient laissé persuader de lui trouver une apparence trop « marquée », trop « violente », trop « polémique » ; et trop « prophètes de malheur », anathématisés par Jean XXIII dans son dis­cours d'ouverture du concile, le 11 octobre 1962. 7:912 Si bien que ces jeunes gens n'ont eu que des nourritures intellec­tuelles fades et sans consistance, incapables de les armer contre la double pression conjuguée de l'Éducation natio­nale et de l'univers médiatique. Ils ont dérivé ailleurs. Ils nous manquent aujourd'hui. \*\*\* Devenue, donc, trimestrielle, la revue *Itinéraires* a publié une « seconde série » de 12 numéros, numérotés de I à XII, puis une « troisième série » de 12 numéros égale­ment, numérotés de 1 à 12. Les 12 numéros de la seconde série étaient, sauf le dernier, très gros. Les 12 numéros de la troisième série ont été très minces. Ni l'une ni l'autre for­mule n'a pu, comme nous le faisions il y a vingt et trente ans, atteindre une jeunesse, celle de la génération suivante, qui est maintenant prisonnière d'un univers imaginaire de faux-semblants et de supercheries. Même quand elle a des réflexes instinctifs politiquement sains, elle est réfractaire à l'étude ; spécialement aux trois études qui sont le fonde­ment naturel de la liberté de l'intelligence, d'un esprit critique équilibré, du sens de la justice et de l'honneur, l'étude de : -- la grande littérature ; -- l'histoire nationale ; -- la philosophie chrétienne. \*\*\* Alors que faire ? Continuer quoi ? Pour que chacun de vous puisse y réfléchir et veuille bien le faire, s'il y consent, à partir des données que nous lui proposons, nous avons recueilli à cette intention dans le présent numéro : -- quelques textes anciens d'*Itinéraires,* à relire (ou, pour beaucoup de nos lecteurs actuels, à lire pour la pre­mière fois, ils ne les trouveraient pas ailleurs) : 8:912 celui d'Henri Charlier sur l'esprit et la grandeur de Pourrat ; celui sur « Les Chiens », c'est-à-dire nous-mêmes, ainsi dési­gnés et traités dans l'Église de France déjà en 1965, en 1964, et même avant, il y a plus de trente ans, l'espace d'une génération et davantage ; et celui du 25^e^ anniver­saire, qui rappelle à grands traits, en 1981, comment les choses sont arrivées ; puis-je me permettre, en vous pro­posant cette (re)lecture, d'insister pour que vous y appor­tiez j'ose dire une studieuse attention et le temps qu'il y faudra en cet été 1996 ; -- dans notre rubrique « Documents », le témoignage des sentiments et des idées que la revue *Itinéraires* inspire aujourd'hui à ceux qui ont célébré publiquement son qua­rantième anniversaire. On a souhaité d'autre part que nous attirions l'attention de tous en donnant une portée éditoriale à la substance de notre note de gérance du numéro 10, à l'automne dernier. Eh bien voici. Moi aussi, disais-je, quand je fais le marché, j'achète les pommes de terre au poids et les salades à la pièce, selon leur nombre. Mais ce n'est tout de même pas une raison d'acheter livres et revues d'après leur nombre de pages et de ne prendre que les moins chers au kilo. La revue *Itinéraires* est vendue par abonnements selon son prix de revient. Celui-ci ne dépend pas seulement du nombre de parutions ou du nombre de pages, mais de leur *rapport avec* le nombre d'abonnés. Quand le nombre d'abonnés diminue, il faut bien soit réduire le nombre de parutions et le nombre de pages, soit augmenter le prix de l'abonne­ment ; éventuellement, les deux à la fois. Les gens qui lisent -- et qui *étudient* ce qu'ils lisent -- sont de jour en jour moins nombreux, et eux-mêmes consacrent de moins en moins de temps à la lecture. Le résultat est qu'il y a de moins en moins d'abonnements. Toute la presse imprimée, dans tous les formats et toutes les périodicités, souffre de cette situation ; elle en souffre mortellement ; diverses publications disparaissent tout à fait, et définitivement. 9:912 La quasi-totalité du public -- même le nôtre, malgré nos fré­quentes explications -- n'a aucune idée précise des condi­tions d'existence qui sont faites aux revues, et d'ailleurs aussi aux hebdomadaires et aux quotidiens : conditions très délicates, très fragiles, dans le cadre économique et administratif qui est le leur, réglementé de manière à asphyxier ceux qui ne sont pas d'énormes mastodontes ; lesquels au demeurant sont des trompe-l'œil, ne fonction­nant magnifiquement qu'au *prix* de plusieurs dizaines de millions lourds de déficit annuel, comblé chaque fois par la « recapitalisation » qu'opèrent ceux qui tiennent financièrement la presse, l'édition et l'opinion en servitude. La revue *Itinéraires* est maintenant, je le concède, très mo­deste aux yeux de ceux qui la soupèsent du regard sans la lire. Mais ce qui a continué malgré tout, c'était bien tou­jours la revue *Itinéraires.* Ceux qui la lisent, et qui tous préféreraient certes avoir à la payer moins cher, peuvent constater que même fort mince elle vaut bien son prix*.* Non ? Je vous écoute. Jean Madiran. 10:912 ## TEXTES ### Les Chiens «* Nous nous doutions bien que nos prêtres\ nous haïs­saient... *» (*Édith Delamare, 1964*) DANS l'Église de France, nous sommes des chiens. Des chiens : ce mot n'est pas venu par hasard sous la plume de l'abbé Michonneau et dans les colon­nes de *Témoignage chrétien* ; il était dans l'air depuis plu­sieurs années. Depuis plusieurs années, c'est exactement la question que je posais ; en propres termes : *Sommes-nous donc des chiens ?* La réponse est venue. \*\*\* Ce mot de *chiens* définit une situation permanente dans l'Église de France : notre situation. On l'avait décrite et analysée, cette situation, des dizaines de fois. Il ne man­quait que l'aveu explicite. 11:912 En vertu du « n'avouez jamais » les praticiens du machiavélisme clérical feront peut-être quelque reproche à l'abbé Michonneau. Pas moi. Il n'a rien inventé, rien ajouté, rien forcé par cette qualification ; il a pour lui la vérité. Il a dit tout haut ce que les autres pensent et font sans le dire aussi nettement. Il n'a pas cru provoquer un scandale, et d'ailleurs il n'en a provoqué aucun, en prononçant le mot de la situation. A ma question insistante, explicite et répétée : -- *Sommes-nous donc des chiens ?* il a publiquement et clairement donné la réponse inscrite déjà dans les cœurs, dans les actes, dans les comportements. A cette question, nous donnions nous aussi une réponse, la réponse contraire. *Nous ne sommes pas des chiens,* c'est au fond notre unique revendication, notre unique dissidence dans l'Église de France. Nous refusons en perma­nence d'être traités comme des chiens. Nous le refusons accessoirement et en théorie pour nous-même, nous le refusons violemment pour nos frères. Chacun d'entre nous se moque bien de la manière dont il est personnellement traité par des personnages de tout rang qui personnellement ne sont pas des lumières, c'est le moins que l'on en puisse dire. La question n'est pas personnelle. De personne à personne, l'injure traduit seulement l'infériorité manifeste de nos interlocuteurs, fuyards de toutes les controverses, vaincus de tous les débats, retranchés dans leur fausse puissance temporelle, dans leurs monopoles, dans leurs forteresses, dans leurs tyrannies cléricales et leurs men­songes cléricaux. Sur tous les terrains de la confrontation des idées, ils sont en déroute, ils se dérobent, ils multi­plient les feintes, ils se précipitent dans la confusion et le néant. Ils sont matériellement les plus forts, et de beau­coup, mais c'est tout. Ils ont l'argent, les journaux, les organisations, les émissions religieuses de radio et de télé­vision, et par là l'opinion massivement conditionnée : ils ont tout selon les critères du monde, mais ils sont prison­niers du monde et de ses critères, et au regard de l'esprit ils ne sont rien. Et au regard de l'histoire ils ne sont rien, rien que les puissants de l'heure, qui sont les impuissants, les oubliés, les morts du lendemain. 12:912 Personnellement leurs injures ne nous font ni chaud ni froid. Intellectuellement leurs personnages sont invisibles à l'œil nu. Ils sont les maîtres de la surface sociologique du catholicisme français, par l'argent, par la presse, par les organisations, par les moyens audio-visuels, -- les maîtres-esclaves, l'écume d'un temps, ils ne laisseront rien derrière eux, ni une œuvre, ni une idée juste, ni un langage humain. Pour eux, c'est bien simple, « la pensée » « un effort de pensée cohérent et conséquent », c'est dans *Pax* qu'ils le trouvent, et ils le disent, c'est chez Piasecki, l'agent soviétique avec son réseau policier chargé de noyauter et d'asservir l'Église. C'est là qu'ils aperçoivent et qu'ils désignent des idées, c'est là qu'ils découvrent ce qu'ils appellent une « pensée ». Vous voyez le genre ; l'orientation ; le niveau intellectuel. De personne à personne leur tyrannie cléricale, leurs injus­tices et leurs injures, et leur haine, nous honoreraient plutôt. S'ils nous applaudissaient, nous nous demanderions en quoi donc nous avons flanché, en quoi nous avons faibli, en quoi nous avons trahi. Ils livrent les esprits au marxis­me, ils livrent la presse au règne de l'argent, ils livrent les organisations au noyautage des appareils crypto-commu­nistes, le sachant ou ne le sachant pas. Ils sont juchés sur un immense désastre spirituel, les vocations taries, les sémi­naires intellectuellement à l'abandon, les chrétiens divisés, le peuple déchristianisé et généralement les pauvres, au lieu d'être évangélisés, les pauvres couverts de leur mépris, de leurs crachats, même pas *reconnus*. Ils sont les puis­sants, les maîtres, les administrateurs, les installés de ce désastre spirituel sans précédent peut-être dans l'histoire de l'Église de France. Et pour défendre l'arbitraire et l'abus de leur puissance ils n'ont pas *une* explication, une moti­vation, une analyse, une argumentation, une justification, pas *une* qui puisse résister au feu de la critique, au crible d'un débat contradictoire, à l'épreuve d'une confrontation avec les faits, et ils le savent. Ah ! non, de personne à personne, ce n'est pas leur mépris qui nous chagrine, c'est leur approbation qui nous épouvanterait. 13:912 Mais leurs personnes sont en outre revêtues de pouvoirs spirituels auxquels *nous*, nous croyons. Ils sont prêtres. Leur attitude, non en vertu de la qualité intrinsèque ou de l'importance réelle de leurs personnes, mais en considération des pouvoirs qu'ils ont reçus, est un désordre majeur dans l'Église. Nous sommes témoins. Nous sommes témoins contre ce désordre. A cause du désordre et à cause de l'Église. A cause des pauvres méprisés et des peuples abandonnés. Nous ne revendiquons aucune part des honneurs temporels, des puissances temporelles, des privilèges temporels -- des honneurs, des puissances, des privilèges dans l'Église -- qu'ils ont confisqués. Qu'ils les gardent, peu importe. Qu'ils les distribuent s'ils veulent : pas à nous, nous ne sommes pas candidats. Nous ne menaçons pas leurs trésors. Nous portons témoignage qu'ils, en usent avec injustice. Nous portons le témoignage des victimes de leur arbitraire. Non parce qu'ils nous offensent : étant individuellement ce qu'ils sont, il est normal qu'ils nous offensent, et que nous n'en soyons point offensés. Mais parce qu'ils renversent l'ordre de l'Église, l'ordre de la charité dans l'Église. Que les puissants du jour traitent comme des chiens et traitent de chiens les plus pauvres, c'est dans l'ordre : dans l'ordre du monde, dans l'ordre du péché. Que les puissants dans l'Église traitent comme des chiens et traitent de chiens les plus pauvres dans l'Église, c'est l'ordre de la charité qui est renversé. Nous sommes témoins. Nous marquons le haut et le bas, le nord et le sud. Nous sommes témoins parce qu'il faut qu'un cri s'élève vers le ciel. Nous sommes des buttes-témoins et des pierres d'attente. Jusqu'à ce que Dieu envoie des saints pour rétablir dans l'Église de France l'ordre de la charité. MES AMIS, nous sommes des chiens. Depuis des années. Traités comme tels. Et maintenant dé­signés comme tels. Par les puissants. Par les installés. Par les présidents de groupes, les secrétaires de comités, les animateurs d'organisations, 14:912 les aumôniers des courroies de transmission, par les tyrans psycho-sociologi­ques du cléricalisme moderne, revêtus de l'habit ecclésiasti­que : de l'ancien ; ou du nouveau ; ou de n'importe lequel. Les « nouveaux prêtres » comme dit très bien Michel de Saint Pierre. Mes amis, nous sommes des chiens. Qu'est-ce que ça nous fait ; à nous ; personnellement. Qu'est-ce que ça nous fait, ce mépris des riches, des puissants, des maîtres du cléricalisme, du conformisme, du modernisme. Il y a un Évangile pour les chiens. En Matthieu, XV, 22 et suiv. : « *Or voici qu'une Cananéenne, étant sortie de ce territoire, se mit à lui crier :* « *Ayez pitié de moi, Seigneur, fils de David : ma fille est affreusement tourmentée par le dé­mon.* » *Jésus ne lui répondit rien. Alors les disciples s'approchèrent et lui firent cette prière :* « *Renvoyez-la, car elle nous poursuit de ses cris.* » *Il répondit :* « *Je ne suis envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël.* » *La femme vint se prosterner à ses pieds, di­sant :* « *Seigneur, venez à mon secours.* » *Il lui répondit :* « *Ce n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens.* » *Elle répondit :* « *Oui, Seigneur, mais les petits chiens mangent les miettes tombées de la table de leurs maîtres.* » *Alors Jésus lui répondit :* « *Ô femme, ta foi est grande ! qu'il te soit fait selon tes désirs.* » *Et sa fille se trouva guérie à l'heure même.* » Peut-être nos maîtres temporels dans l'Église de France pensent-ils pratiquer l'imitation de Jésus-Christ en nous traitant de « chiens ». Il faut croire que c'est leur idée. Dans la Bible de Jérusalem on nous explique que c'était le mot traditionnel des juifs pour les païens. Voilà bien le ressourcement biblique. La Bible de Jérusalem expose (en commentaire) : « Jésus doit s'employer au salut des Juifs, « enfants » de Dieu et des promesses, avant de s'occuper des païens qui n'étaient, aux yeux des Juifs, que des *chiens*. » 15:912 Ils sont comme de nouveaux Juifs ; le nouveau peuple élu ; les nouveaux docteurs de la loi ; les nouveaux pharisiens. Et nous sommes les nouveaux païens. Nous ne sommes ni de leur Action catholique, ni de leur presse catholique**,** ni de leur pastorale moderne ni de leur liturgie en français, ni de leur théologie teilhardienne, ni de rien de ce qu'ils fabriquent. Mais justement, nous ne demandons rien de cet ordre. Nous ne demandons pas d'être promus docteurs en teilhardisme ni même acolytes de la liturgie nouvelle ; ni secrétaires d'Action catholique ; ni informa­teurs religieux patentés ; ni journalistes catholiques. Cette Église de France où nous sommes traités comme des chiens, nous ne lui demandons que les miettes qui tombent sous la table. Rien que les paroles et les sacrements du salut. Qui ne sont assurément pas ce dont les « nouveaux prêtres » parlent le plus. Mais ils n'y peuvent rien et nous n'y pouvons rien. C'est par eux aussi, et là où ils sont les seuls, c'est par eux seuls que passent et passeront les paroles et les sacrements du salut. Quelquefois, comme des miettes tombées sous la table. Nous ne demandons que ces miettes pour nous, elles sont tout. JE ME SOUVIENS... je me souviens de l'abbé Kermandec. Il ne s'appelait pas Kermandec. Je lui invente ce nom. Ils vont dire, les imbéciles ([^2]), que je fais moi aussi du roman, de la caricature et de la généralisation. Ils se trompent. Je l'aimais bien. Je l'aimais beaucoup. Nous avions de grandes conversations. Il était érudit en toute sorte de sciences ecclésiastiques et profanes, surtout historiques ; il était cultivé ; il était savant. Un jour de lassitude, quelque mauvais démon lui souffla de murmurer, de bougonner : -- J'en ai assez d'être traité ici comme une simple machine à distribuer les sacrements. Parce que j'appréciais son amitié, et qu'il le savait, je pris la liberté de protester que « la machine à distribuer les sacrements », c'était le meilleur de lui-même et plus que lui-même. 16:912 Et que tout le reste, sa science, sa culture, sa sagacité, son expérience humaine, n'étaient rien auprès. N'importe qui peut être savant ou intelligent. Bien sûr, cela devient rare ; de plus en plus rare ; en fait ; et notamment parmi les prêtres qui font de grandes carrières ecclé­siastiques ; mais au moins en théorie, ce n'est pas l'intelli­gence humaine, ce n'est pas la science humaine qui sont hors d'atteinte, hors de portée. L'unique, c'est le prêtre, appelé, ordonné, consacré dans l'Église. Celui qui peut ce que personne ne peut : distribuer les sacrements du salut. J'osais faire affectueusement honte à mon vieil ami de son instant de murmure et d'aveuglement. Il ne me traita pas de chien, il m'embrassa, il ne m'en parla plus. Je vois bien ce qui en lui souffrait, ce qui était crucifié, et j'avais retour­né le fer dans la trop humaine blessure. Il était méconnu, mésestimé, négligé, on ne venait plus à lui que comme à une « machine à distribuer les sacrements ». Il atteignait au dernier stade de l'effacement personnel devant la fonc­tion divine. Il ne pouvait plus rien donner, que ce qui n'était pas à lui. On n'attendait plus rien de lui, que le Christ. Voici presque dix ans maintenant, les circonstances m'ont amené à tenir aux publicistes religieux du Cerf un langage analogue. Et depuis lors ils enseignent comme vérité historique que je les ai insultés. Il se peut bien après tout que je les aie insultés selon la chair et le sang : je les ai considérés comme des prêtres ; pas comme des « nou­veaux prêtres » ; comme des prêtres de toujours. Comme des prêtres pour l'éternité. *Sacerdotes in aeternum*. Quelle injure. Quelle insulte. Je leur ai dit ceci. Exactement ceci. Il n'y a pas à s'y tromper, je le leur ai dit par écrit. Il suffit de recopier. Exactement : -- *Mes Révérends Pères, vous êtes extraordinairement savants en toute sorte de choses utiles et inutiles, et je m*'*incline bien bas devant votre science, mais elle ne m*'*inté­resse pas, elle n*'*intéresse pas le destin des hommes. De toute votre science il n'est qu'un chapitre qui nous concerne et dont nous ne pouvons pas nous passer, mais où donc l'avez-vous enfoui ?* 17:912 *Apprenez-nous à prier, apprenez-nous, sans cesse à prier, nous l'oublions dès que nom l'avons appris, mais il est incroyable que ce soit aussi bien en votre compagnie ou à votre suite ; en vous lisant ou en vous écoutant, qu'il nous arrive de l'oublier. Vos sermons, vos discours, vos articles sont très érudits, très émouvants, très amusants, vous avez toutes les qualités et toutes les ressources de la rhétorique et de l'art dramatique, toutes les connaissances des sciences humaines et rien de ce qui est humain ne vous est étranger, mais nous n'avons que faire de tout cela, et c'est précisément autre chose qu'une parole humaine que nous attendons de vous. Apprenez-nous à prier, de tous vos secrets c'est le seul qui nom importe, apprenez-nous à prier, et le reste nous sera donné par surcroît, à nous, à vous et aux autres.* *Il est écrit :* «* Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et lui seul tu serviras. *» *Et à cette réponse le Démon se retira. Cela n'a jamais signifié non plus que, par souci de Dieu seul, l'homme devient absent à toutes choses, ne craignez rien : mais qu'en toutes choses il apporte la présence de Dieu.* Ou il n'apporte rien. Ce discours, ils ne me l'ont jamais pardonné. Et c'est alors qu'ils ont commencé à me traiter comme un chien. COMME UN CHIEN : ils ont tout fait. Dans leurs jour­naux, leurs périodiques, leurs magazines. Et avec eux tous ceux qui les suivent de confiance, ou par principe, ou par solidarité cléricale. Dans leur Parole et Mission, qui avait quatre directeurs, et qui en a quatre encore aujourd'hui, mais ce ne sont plus intégralement les mêmes. Quatre directeurs responsables, religieux, prêtres, que j'ai requis et sommés de rectifier leurs calomnies ; d'insérer en même lieu et place ma rectification. Cela va de soi. C'est le droit strict, l'honnêteté courante, la déon­tologie la plus ordinaire de la presse imprimée. Ils n'ont jamais voulu. J'aurais pu les traîner devant les tribunaux mais je ne demandais pas justice pour moi-même. 18:912 Je portais simplement témoignage de la manière dont ces prêtres, ces religieux, traitent un simple chrétien du rang ; je portais témoignage à l'intention des réformateurs d'Or­dres, des réformateurs à venir, et qui ne sont pas encore venus, qui rétabliront la simple honnêteté dans les mœurs du journalisme religieux. Non pas pour moi, je m'en moque bien. Mais pour tous les chrétiens du rang. Et pour l'ordre de la justice et de la charité dans l'Église. Le « dossier » comme ils aiment à dire, le dossier sur les calomnies de *Parole et Mission* est là, à l'intention non pas des « nou­veaux prêtres », mais des *nouveaux saints* qu'il faudra bien que Dieu envoie pour apprendre aux religieux à respecter la morale élémentaire dans l'usage qu'ils font de leurs jour­naux. A moins que leurs journaux, Dieu ne préfère fina­lement les leur retirer tous. Ce fut une grande chose dans les chrétientés du passé d'apprendre aux chrétiens en général, et aux religieux en particulier, à user de la force avec justice, à user de l'argent avec pureté. Il y fallut des saints. De saints apôtres ; de saints évêques ; de saints réformateurs. Qui eurent beau­coup de mal à se faire entendre. Ce sera une grande chose d'apprendre maintenant aux religieux à user de la presse avec vérité. Ce sera une même grande chose ; mais plus difficile encore. Il y avait dans la force et l'usage de la force une tentation permanente contre la justice (et elle y est toujours, mais la force a changé d'apparences et de modalités). Il y avait, il y a toujours dans l'argent et l'usage de l'argent une tentation particulière contre la pureté du cœur. Mais dans la presse et l'usage de la presse, il y a une tentation particulière et permanente contre la vérité. La justice, ce n'est jamais commode, ça ne va jamais tout seul, mais cela devient presque humainement impossible quand on dispose de la force. La pureté de cœur, et en même temps la justice, cela devient comme humainement impossible quand on dispose de l'argent, qui est en même temps une puissance, la grande puissance, dans le monde moderne, qui est le monde capitaliste (ou socialiste : c'est le même). Mais la presse, qui est à la fois l'argent et la force, sous une modalité nouvelle, inédite, moderne, la presse ne laisse aucune place à la vérité, aucune chance, aucun recours. 19:912 La presse la plus libérale est la plus into­lérante à la vérité. Elle la déguise toujours. Elle la traduit. Elle l'arrange. Elle la met en scène. Elle la met en pages. Elle l'illustre. Elle l'encadre. Elle la résume. Elle l'abrège. Elle la refait. Elle la refond. Elle la transcrit. Elle la récrit. Elle la fait mentir : c'est dans la nature et dans la techni­que même de la presse contemporaine ; dans la nature et dans la technique non encore baptisées de la presse d'aujourd'hui. Il y faudra des saints. Et il sera, peut-être dommage dans l'histoire de la presse catholique au XX^e^ siècle que les religieux y aient tellement précédé les saints de tant de longueurs, de tant d'années. Quand viendront les saints, ils pourront s'informer de l'état des mœurs. Ils auront le dossier des calomnies de *Parole et Mission.* Et d'autres analogues. Et de leurs correspondants de Montréal, ceux qui publient *Communauté chrétienne* : ils ont pré­senté les positions de la revue *Itinéraires* en reproduisant une lettre de lecteur parue dans *Itinéraires,* une lettre de lecteur que nous citions pour la critiquer, et nous la criti­quions. Ils ont présenté comme notre position celle-là même que nous citions pour dire que ce n'était pas la nôtre, et pourquoi. Pure inadvertance, bien sûr, simple faux pas. Il faut toujours retenir l'hypothèse la plus favorable. Mais je leur ai écrit. Ils n'ont pas bougé : ni répondu ni rectifié. Ce sont de rudes lascars eux aussi. Et d'autres. J'ai per­sonnellement sur le dos dix années de persécutions ecclé­siastiques. Je n'en demande pas justice, mais les faits, les textes, les dates sont là, parce qu'un jour viendra un saint réformateur qui commencera par savoir lire par regarder les faits, par comparer les textes. Un saint réformateur du journalisme religieux. Par où commencerait-il sinon par là ? Par où commencerait-il, j'entends : dans l'ordre rédaction­nel. Car il y a aussi, ou d'abord, l'ordre administratif, le capitalisme de presse, l'énorme tumeur du capitalisme clé­rical de presse, la dernière survivance peut-être du capita­lisme libéral à l'état pur. Mais dans l'ordre rédactionnel il commencerait par là. Un fait est un fait. Un texte est un texte : à sa place, à sa date. Il faudra bien un jour leur apprendre le respect des faits, le respect des textes, le respect des personnes, le respect des pensées : de leur *être.* 20:912 On peut crier contre un fait, on peut démolir un texte, on peut secouer une personne, on peut réfuter une pensée : mais à condition de les prendre tels qu'ils sont, dans leur *être* exact. Il faudra bien que quelqu'un le leur apprenne enfin ; et il y faudra un saint assurément ; ou plusieurs. A moins que Dieu ne préfère finalement leur retirer toutes leurs usines à journaux et à magazines illustrés. COMME DES CHIENS. Voilà comme ils nous traitent. C'est une brève histoire, c'est une longue histoire, jour après jour, année après année : je témoigne sur dix ans. Presque. Il y aura dix ans en mars 1965. En mars 1955, il y avait le P. Boisselot, qui n'est plus là aujourd'hui ; et d'autres qui sont encore là ; dans la presse ; la même. Ils n'arrêtent pas depuis dix ans de nous affubler d'étiquettes. « Catholiques de droite. » En mars 1955, l'un des leurs ([^3]) me déclarait, à la première (et unique) rencontre, et avant que j'aie quasiment pu ouvrir la bouche : -- *Vous autres catholiques de droite, je vous déteste depuis cinquante ans.* Depuis 1905 donc. Avant l'Encyclique *Pascendi* et avant la *Lettre sur le Sillon.* Avant la fondation de *L*'*Action française* quotidienne. Cela leur vient de loin. Et cela ne les lâche pas. Ils sont bien tenus, bien possédés. J'y ai souvent pensé depuis. Je n'avais pas cinquante ans à l'époque. Ni non plus aujourd'hui. C'est un âge que Dieu ne me donnera peut-être point d'atteindre. Selon la chronologie. Mais selon les mesures de la haine, il y a dix ans que j'ai cinquante ans, c'est certain : « *Je vous déteste depuis cinquante ans*. » Et aujourd'hui cela en fait dix de plus ; cela en fait soixante. Ils me détestent depuis soixante ans. Ils vont peut-être mourir dans cet état. Ceux d'entre eux qui sont morts entre temps sont peut-être morts dans cet état-là. 21:912 Et l'abbé Michonneau qui nous traite de chiens, il faudrait peut-être lui demander depuis combien de temps nous sommes des chiens. Sait-on jamais. Il répondrait peut-être : « Depuis soixante ans. » Cela ferait une belle *convergence*, comme on dit en langage teilhardien. Cela ferait une coïncidence géométrique, une concordance numé­rique, une vérification véritablement scientifique. Parfai­tement moderne. Depuis soixante ans : qu'avez-vous à dire à cela ? Mais leur meilleure étiquette est celle d'*intégriste*. C'est fou ce que les intégristes sont devenus nombreux, terribles, atroces, depuis soixante ans environ, justement depuis soixante ans. (Depuis en somme qu'il y a, selon saint Pie X, une société secrète moderniste installée à l'intérieur même de l'Église.) C'est inouï comme on devient facilement inté­griste, et comme il est difficile d'en guérir. C'est curieux, le ton sur lequel le mot *intégriste* se prononce. Dans l'Évangile il est un mot, hébreu peut-être, qu'apparemment les traducteurs ne savent pas trop bien transposer en français moderne. Cela s'écrit : *Raca*. Plus personne aujourd'hui ne dit : *Raca*. On le traduit quelquefois par « sot ». Mais plus personne ne dit : « sot ». « Sot » est anodin, presque gentil, peu expressif. *Dire sot* à quelqu'un, d'abord ça ne se dit guère, ensuite ça ne va pas bien loin ; ce n'est pas bien méchant ce n'est pas (ce n'est plus) un mot de méchanceté. Mais *dire raca*, ça ne veut rien dire ; c'est de l'hébreu. En français moderne, en français d'aujourd'hui, comment tra­duire par un vocable correspondant ce vocable chargé tout ensemble de haine, de mépris, de méchanceté, ce vocable de détestation et d'exclusion, de disqualification et d'assas­sinat moral ? Je demande respectueusement à la commis­sion compétente (j'ignore si elle existe, mais il doit bien y en avoir une, il y a toujours maintenant une commission compétente, nous sommes parfaitement organisés) si pour bien rendre en français moderne, adapté, vivant, ce passage de l'Évangile, il ne serait pas opportun de traduire le mot *raca* par le mot *intégriste*. Ou par le mot : *chien*. Non que l'on soit relégué en infâme compagnie par l'accusation d' « intégrisme ». Il faut être juste. Ils en font tant que cela devient un honneur. La compagnie est flat­teuse, elle est illustre, et de plus en plus. 22:912 Les morts et les vivants en compagnie desquels on nous relègue ne sont pas du menu fretin. C'est toute « l'Église constantinienne » comme ils disent. L'Église constantinienne dont le P. Congar a décrété la dissolution en l'an de grâce 1964. Ou peut-être en l'an de grâce 1962. Constantin est mort en 337. Seize siècles de la vie de l'Église, seize siècles de communion des saints. Le plus affreux de ces seize siècles est d'ailleurs le dernier, si nous comprenons bien, le XIX^e^ siècle après Jésus-Christ, le siècle de Pie IX et du P. Emmanuel, le siècle du curé d'Ars et du cardinal Pie. Ce sont des intégristes aux yeux des nouveaux apôtres aux yeux des « nouveaux prêtres » qui nous assurent « *Nous ne sommes plus au temps du curé d*'*Ars.* » Pourquoi nous le répètent-ils tant. Pourquoi s'en vantent-ils. Nous ne sommes plus au temps du curé d'Ars, nous le voyons bien et nous en tombons d'accord, nous ne sommes plus au temps du curé d'Ars, hélas, cela se voit, cela ne se voit que trop. Si nous étions au temps du curé d'Ars, ça se saurait. Nous ne sommes plus au temps du curé d'Ars, ça se voit, ça se sait. Nous ne trou­vons pas qu'il y ait de quoi se vanter ; ni que ça soit un progrès. Mais nous sommes des « intégristes ». En compa­gnie de saint Pie X et du cardinal Merry del Val ; en com­pagnie de Pie XII ; en compagnie du cardinal Ottaviani, du cardinal Browne, du cardinal Ruffini, du cardinal Siri, du cardinal Larraona, de Mgr Carli, de Mgr Staffa, de Mgr Lefebvre. En compagnie de Jean XXIII pour moitié, puisque Jean XXIII n'était, paraît-il, qu' « à moitié » intégriste. A moitié en compagnie de Jean XXIII, c'est déjà quelque chose (et en compagnie sans doute de son Encyclique sur le curé d'Ars : mais « nous ne sommes plus au temps » appa­remment, de l'Encyclique de Jean XXIII sur le curé d'Ars). En compagnie du Souverain Pontife actuellement régnant : mais là, selon les jours. Il faut lire *Témoignage chrétien* pour savoir lesquels. Il y a de mauvais jours, où Paul VI reçoit semonces et remontrances de la presse catholique, et où on le menace de remplacer sa mitre par un bonnet d'intégriste. 23:912 Il y a les mauvais jours qui ont terminé la 3^e^ ses­sion du Concile, où Paul VI a semé le « trouble » et le « malaise », et la « confusion » dans notre presse catho­lique, en proclamant Marie *Mater Ecclesiæ*, en retouchant lui-même les schémas, en imposant comme obligatoire, et comme devant être imprimée dans les actes conciliaires, la « Note explicative » du chapitre III du schéma *de Eccle­sia,* la Note qui commence par ces mots : « *Collegium non intelligitur sensu stricto juridico...* » le « collège » des évêques n'est pas un collège au sens strict, au sens juri­dique... Paul VI a de ces mauvais jours. Ces jours-là, nous sommes donc relégués en compagnie de Paul VI lui aussi. Il y a sans doute un « mystère Montini », comme disait le P. Rouquette du « mystère Roncalli » (nous dirions plutôt, pour notre part qu'il y a un mystère du Pape, au centre du mystère de l'Église) : c'est-à-dire qu'il doit avoir au moins un côté d'intégriste. Un côté contaminé. L'intégrisme, ça s'attrape, c'est terriblement contagieux, et c'est sans doute pourquoi il faut veiller à maintenir les intégristes en qua­rantaine. Paul VI et Jean XXIII ont tout de même le privi­lège que pour eux la quarantaine est à éclipses. On ne leur a pas encore fixé leur place définitive, comme à Pie IX, à Pie X et à Pie XII ; on leur laisse une chance de s'en tirer, une chance de s'en sortir, les jours où ils sont intégristes ils ne sont tout de même intégristes qu' « à moitié ». On ne veut pas nous les annexer tout à fait ; ou pas tout de suite. Mais nous, pouvons attendre, et même longtemps, en la compagnie illustre et sainte où l'on nous a mis. En soi, ontologiquement, réellement, c'est un honneur bien excessif, mais décisif, de nous ranger en l'illustre et sainte compagnie de Pie IX et du P. Emmanuel, du curé d'Ars et du cardinal Pie, de saint Pie X et de Pie XII. Mais devant l'opinion de masse, conditionnée au conformateur, c'est un assassinat moral. A supposer que nous méritions ou que nous acceptions d'être ainsi assassinés, nous n'accep­tons pas l'assassinat d'illustres et saintes mémoires, ni l'assassinat de nos frères, ni l'assassinat de ceux qui sont aujourd'hui nos Pères et nos guides en la foi. L'étiquette d' « intégriste » dans la réalité comme devant l'esprit, est une grotesque mascarade qui, pour nous discréditer, ima­gine de nous ranger en la compagnie la plus flatteuse, la plus illustre, la plus sainte. 24:912 Mais devant l'opinion de masse, cette étiquette est sans réplique et sans rémission. C'est une excommunication. Un Magistère parallèle, clandestinement organisé, prononce des excommunications de fait par l'im­putation d'intégrisme : et ce décret d'excommunication est exécuté par la presse, par les mouvements, par les sociétés de pensée, par les sociétés secrètes, par les sectes, imbri­quées avec les réseaux policiers de « Pax », qui ont colo­nisé une si grande part de la surface sociologique du catho­licisme en France. Désigné comme tel, l' « intégriste » est perdu. Il ne peut plus attendre ni une parole humaine ni un verre d'eau. Contre lui, tout est permis, louable et saint. La persécution, la calomnie, le mensonge sont couverts par une excuse universellement absolutoire, dès lors qu'ils sont dirigés contre un « intégriste ». Depuis dix ans j'en fais l'expérience personnelle. Et comme j'ai l'honneur d'être détesté *depuis soixante ans,* je ne me suis pas interdit d'explorer un peu ces soixante an­nées de vie antérieure et détestée ; de rechercher les antécédents ; de rassembler les documents. C'est ainsi que j'ai été amené à composer ce volume : *L*'*intégrisme, histoire d*'*une histoire*, avec, comme je fais d'habitude, les faits, les textes, les dates. Mes amis, complices, commensaux, compagnons intégristes*,* c'est pour vous que j'ai fait ce livre, c'est à vous qu'il s'adresse ; pour votre information et votre consolation. Puisque nous sommes « intégristes », autant savoir une bonne fois ce que c'est, et nous reconnaître les uns les autres pour ce que nous sommes ; autant nous aper­cevoir, nous rejoindre, nous retrouver dans cette aversion et dans cette indignité et dans cette excommunication. Autant bien voir et bien discerner une bonne fois, autant bien comprendre enfin que le monde dont nous sommes exclus par cette excommunication, c'est le monde clos du men­songe, le monde clos clérical et le monde clos profane du mensonge. Autant en apporter la preuve ; les preuves ; toutes les preuves. Autant savoir et dire une bonne fois, et le dire à ceux qui ne le savent pas bien encore, que le monde dont on nous a chassés nous n'allons pas implorer d'y être admis par indulgence, par faveur, par complaisance, par compromis : puisque c'est le monde clos du mensonge. 25:912 Nous avons proclamé depuis des années, et rappelé dans ce livre sur *L*'*intégrisme*, le simple axiome : -- *Réels ou supposés, les intégristes ne sont pas des bêtes, les intégristes ne sont pas des* CHIENS, *les intégristes sont des êtres humaine, sujets de droits, que rien ne condamne à être calomniés à perpétuité par des hommes d*'*Église.* Nous avons posé aussi et répété notre question : *-- Est-il moral, est-il normal, est-il permis d'assassiner les assassins, de torturer les tortionnaires, et d'employer des* «* procédés intégristes *» *contre des intégristes* (*supposée ou réels*) *?* Chaque fois que nous avons tenu ce langage, ce fut la débandade. Oui, la débandade. La débandade des accusa­teurs, des calomniateurs, des persécuteurs religieux. Ils ont chaque fois littéralement disparu sans un mot. Mais sans un mot de rectification non plus. Ils avaient déposé leurs saletés sur la table, d'un air triomphant. Et puis ils ont pris leurs jambes à leur cou. Mais sans remporter leurs saletés. En 1960, ils ont fait le coup du « dossier » sur le « na­tional-catholicisme », principalement dans les *Informations catholiques internationales.* C'était important, et grave, et terrifiant, ce « national-catholicisme » qu'ils avaient décou­vert. A peine sommes-nous arrivé qu'ils ont déserté le ter­rain ; sans un mot ; mais sans un mot de rectification non plus. Il n'en ont plus parlé. Si terrifiant, si grave, si im­portant qu'ait été le prétendu « national-catholicisme », et si urgent et nécessaire qu'il ait été -- disaient-ils l'ins­tant d'avant -- de vider cet horrible abcès, ils se sont en­fuis, ils ont abandonné la tâche assumée, ils se sont déro­bés à toute confrontation contradictoire. Simplement, ils n'avaient rien retiré. Comme le terroriste qui dépose sa bombe dans un cinéma ou dans une école, et qui est hors d'atteinte quand elle explose, et qui s'occupe surtout à n'avoir jamais à en rendre compte. Leur « dossier » de déla­tions et de calomnies demeurait, il continuait à circuler, il s'installait définitivement dans leurs bibliographies et dans leurs bibliothèques : mais eux, ils refusaient d'en répondre. 26:912 Non moins définitivement ils parlaient d'autre, chose. Et ils laissaient à d'autres le soin de perpétrer, aussi furtivement, le prochain mauvais coup. Au début de l'année 1962, ce fut le coup du P. de Soras. Il venait à nous en théologien, bardé de références théolo­giques, de considérants théologiques, de répondants théoriques, pour un fameux débat théologique qui devait nous écraser. Et d'avance nous étions réputés écrasés ; et le P. Villain dans *La Croix* le proclamait. Il a suffi pourtant de paraître. Ou plutôt de rester sur place. Qu'avons-nous dit au P. de Soras ? Au fond, et en deux cents pages, nous lui avons dit un seul mot, nous lui avons dit : *Chiche !* Nous lui avons dit d'amener tous ses compères théologiens et d'apporter tous ses arguments théologiques ; et que, bien que simples écoliers en la matière, nous étions disposés à l'argumentation théologique : à une telle argumenta­tion, nous n'avons rien à perdre, nous pouvons tout au plus y gagner de nous instruire. Car la théologie, lui disions-nous, ne consiste pas à prononcer des oracles, mais à les démontrer théologiquement, et à réfuter théologiquement les objections qu'on y oppose. Nous avions à peine dit cela que le P. de Soras disparaissait sans un mot lui aussi ; mais sans un mot de rectification lui non plus. Le débat capital qu'il faisait mine d'introduire était instantanément devenu un débat sans importance. Pour mieux être sûr de déserter le terrain de la discussion, le P. de Soras partait pour un autre continent. Mais il ne retirait pas son livre, déjà et définitivement installé dans les bibliographies et les bibliothèques. En attendant qu'un autre vienne à son tour, et s'en aille, aussi furtivement, faire un autre mauvais coup. Ce qui ne tarda point. Quelques mois plus tard, avril 1962, c'était *Parole et Mission,* avec ses quatre directeurs. Ses quatre directeurs d'alors. Nouvelle chanson : « *L*'*inté­grisme, obstacle à la mission* ». Mais même refrain, mêmes contre-vérités, mêmes calomnies. Explicitement, une réédi­tion des calomnies de 1960 sur le « national-catholicisme », avec citations et références du « dossier » des *Informations catholiques internationales.* Cette fois, signé par d'autres. 27:912 Les calomniateurs de 1960 n'en parlaient plus. Les publicistes du Cerf prenaient le relais ; je veux dire le relais des signatures, car c'était même tonneau, même tabac, comme en le sait. Si l'intégrisme est *l*'*obstacle à la mission*, ce n'est pas une petite affaire occasionnelle et négligeable. Les spécialistes de la « mission » ayant enfin découvert l' « obsta­cle » en raison duquel ils ne convertissent personne (« nous ne sommes plus au temps du curé d'Ars » eh oui) n'allaient pas lâcher le morceau avant d'avoir déblayé l'obstacle. Mais non. Il suffit de répondre pour les voir à leur tour disparaître sans un mot ; mais sans un mot de rectification non plus. Ils renoncent à défendre contradictoirement leurs accusations ; mais ils ne les retirent pas pour autant. Le numéro de *Parole et Mission* vient lui aussi s'installer d'em­blée et définitivement dans les bibliographies et les biblio­thèques, augmentant d'autant le poids (de papier) des documents calomniateurs et allongeant d'autant la liste des réfé­rences (en trompe-l'œil) de la calomnie. J'en passe. J'en passe. Mais je ne veux point passer sur le cas du P. Thomas Suavet. Il est de 1962 lui aussi. Il vint à son tour -- et dans quelles conditions, je l'ai dit dans le livre sur *L*'*intégrisme* -- pourfendre ledit intégrisme et calomnier les personnes. Je lui démontrai noir sur blanc qu'en la matière il venait de s'adjuger le record de la den­sité d'erreurs historiques au centimètre carré de papier im­primé. Que croyez-vous que fit le P. Suavet ? Il ne dit rien. Lui non plus. Mais si les religieux qui prétendent nous prendre à partie et nous mettre en accusation détalent comme des lièvres dès que nous ouvrons la bouche ou prenons la plume, ce n'est pas que nous soyons des hercules de la controverse ou des terreurs de l'argumentation. C'est en raison premièrement de leur système, secondement de la faiblesse de ce système. Premièrement, leur système, qui consiste à se faire furtifs et insaisissables. Ils publient une fois un énorme « dos­sier » d'énormes calomnies. Puis ils disparaissent. Ils lais­sent passer les protestations, qu'ils ignorent, les demandes de rectification, qu'ils rejettent, ils laissent passer l'émotion et les remous, ils s'occupent d'autre chose, ils sont pris ail­leurs ; 28:912 ils vont même jusqu'à dire noblement, face aux polé­miques qu'ils ont provoquées, qu'ils ne veulent pas de polémiques. Mais ils travaillent pour les bibliographies et les bibliothèques. Ils accumulent « dossier » sur « dossier ». Cela fait nombre. N'ayant pas accusé réception des réponses, ni fait droit aux demandes de rectification, deux ans plus tard ils font mine de croire, et ils font croire, qu'à l'époque leur « dossier » n'avait donné lieu ni à rectification ni à réponse. Leurs calomnies sont historiquement enregistrées. Elles appartiennent à l' « état de la question » tel qu'ils le fabriquent. Prenez la « bibliographie » de *Parole et Mission,* en avril 1962 : on vous cite tous les libelles et tous les « dos­siers » anti-intégristes des années précédentes, comme si personne n'avait protesté, rectifié, réfuté. C'est bien le monde clos du mensonge. Secondement : il y a un inconvénient dans leur système. C'est celui que j'ai dit. Leur système éclate devant une ques­tion et un axiome. C'est à l'axiome, c'est à la question qu'ils n'aiment pas se frotter. Si noirs que soient les intégristes, et en les supposant même aussi noirs qu'on les voit dans le portrait qu'ils en font, les méthodes et les procédés de leur portrait tombent sous le coup de la question, nous répétons : *-- Est-il moral, est-il normal, est-il permis d*'*assassi­ner les assassins, de torturer les tortionnaires, et d*'*employer des* « *procédés intégristes* » *contre des intégristes* (*supposés ou réels*) ? Leur système est à la merci de cette question. Les « pro­cédés » pervers qu'ils reprochent aux intégristes sont CEUX LA MÊMES qu'ils emploient dans leurs reproches aux inté­gristes. Cela peut inquiéter leurs propres lecteurs. C'est la que fragilité permanente de leur système. Il n'a de prise que sur le public (le public ignorant ou le public savant) le plus dépourvu d'esprit critique et de réflexion. Et il a suffi cha­que fois de poser cette question à haute voix pour les mettre en déroute. A la question posée succède l'axiome affirmé : 29:912 -- *Réels ou supposés, les intégristes ne sont pas des bêtes, les intégristes ne sont pas des* CHIENS, *les intégristes sont des êtres humaine, sujets de droits, que rien ne condamne à être calomniés à perpétuité par des hommes d*'*Église.* Chaque jour, ils traitaient en acte comme des chiens les intégristes (supposés ou réels). Mais ils ne pouvaient pas dire : -- *Oui, nous les traitons comme des chiens*. Ils ne pouvaient pas dire : -- *Il faut les traiter comme des chiens*. Ils ne pouvaient pas dire : -- *Ce sont des chiens*. Ils avaient peur de l'aveu. Ils reculaient chaque fois devant l'affirma­tion de notre axiome et l'énoncé de notre question. Les temps n'étaient pas encore venus. Ils remarquaient bien pourtant que les temps approchaient : car notre question et notre axiome ne gênaient finalement qu'eux-mêmes. Déjà leurs Supérieurs ne manifestaient plus aucune émotion devant leurs débordements. Déjà dans l'Église de France, si cela ne pouvait *se dire*, cela pouvait *se passer* sans aucun inconvénient, au contraire, pour les ecclésiastiques qui trai­taient de simples chrétiens comme des chiens. Il n'y avait aucun scandale, aucune protestation, en dehors des « chiens » eux-mêmes. Il n'y avait depuis longtemps au­cune mesure efficace, et même le plus souvent aucune me­sure d'aucune sorte, contre ce désordre ; aucune mesure pour rétablir l'ordre de la charité dans l'Église. Traiter une certaine catégorie de chrétiens comme des chiens était bel et bien passé dans les mœurs ecclésiastiques. Et nous en savons quelque chose, et nous en sommes témoins, puisque les chiens, c'est nous. Par exception unique la grâce nous fut faite un instant d'un archevêque-évêque de Tulle : mais on ne lui a quasiment pas laissé le temps de toucher terre dans son diocèse. A part cette exception, nous savons bien que jamais aucune autorité dans l'Église de France n'a pris notre défense quand nous étions traités publiquement comme des chiens, ni même ne s'est seulement penchée sur notre visage pour y essuyer les crachats dont nous cou­vraient tous ces religieux. Oui, nous en sommes les témoins. 30:912 Qu'on ne nous dise pas qu'on nous laissait le soin de nous défendre nous-même et qu'on voulait ainsi nous mar­quer flatteusement que l'on nous en estimait très capable. Car précisément c'est un désordre, car précisément ce n'est pas l'ordre de la charité, de se défendre, soi-même. Et laisser systématiquement « les chiens » dans l'Église se défendre eux-mêmes, c'est laisser s'installer le désordre dans l'Église. Au demeurant on sait très bien que nous ne nous défen­dons pas nous-même, d'abord et précisément pour ne pas contribuer à l'installation et à l'induration de ce désordre. Nous ne nous sommes pas défendu nous-même. Nous som­mes entré dans ces batailles pour défendre les autres, nos amis, nos frères, et même des frères inconnus, et point nous-même. Nous n'avons ordinairement allégué les calom­nies contre notre propre personne que dans la mesure où c'était nécessaire pour avoir légalement voix au chapitre et droit de rectification : qu'on ne nous a d'ailleurs nulle­ment reconnus pour autant. Mais nous défendions les autres ; et fort peu, et presque jamais nous-même. Et on le sait bien. Et alléguer qu'on nous estimait suffisamment capable de nous défendre nous-même, c'est répondre dou­blement à côté de la question. A côté de la question parce que ce n'est pas nous-même que nous défendons. A côté de la question parce qu'il s'agit du désordre établi dans l'Église de France. ON AVAIT DONC REMARQUÉ, et depuis des années, que l'on pouvait impunément dans l'Église de France traiter des chrétiens comme des chiens. Exacte­ment comme des chiens. Précisément ceux qui disaient en propres termes : -- *Réels ou supposés, les intégristes ne sont pas des chiens.* Il s'agissait bien de « chiens ». On pouvait y aller. Maintenant on peut aussi, on peut en outre, on peut sup­plémentairement *le dire.* Le « chiens » lancé par l'abbé Michonneau prend sa place, sa valeur, sa portée dans le contexte historique : dans cette évolution. Considéré isolé­ment, son acte est peu de chose. Une injure de plus ! Une injure, ecclésiastique de plus... La denrée est trop répandue sur le marché pour y être d'un grand prix. 31:912 Mais considé­rée à sa place dans l'évolution des mœurs, elle marque une date décisive : le passage de l'implicite à l'explicite. Nous étions déjà des chiens, mais nous l'étions implicitement ; traités comme tels. Désormais, nous le sommes explicite­ment. Par définition en forme. Et sans provoquer ni émo­tion, ni scandale, en dehors du cercle pestiféré des chiens. Seulement le passage de l'implicite à l'explicite n'est pas simple évolution. Il est mutation aussi. On vient de changer de registre. De changer d'étage. Il s'est passé quelque chose au niveau des âmes. Et voilà qu'une simple chrétienne, ni théologienne ni canoniste, voilà qu'une bonne chrétienne ordinaire, que rien ne destinait à ces batailles, pas plus que vous, cher Alexis Curvers, pas plus que vous, cher Jean Ousset, pas plus que moi, nous y avons tous été traînés contre notre gré par l'événement, par les circonstances, par l'impossibilité de se taire, nous avions bien autre chose à faire, pensions-nous, voilà qu'une simple chrétienne, historienne de son métier, la délicate et pieuse historienne de saint Martin, a laissé parler son cœur, et c'est le cri du cœur qui a retenti : -- *Nous nous doutions bien que nos prêtres nous haïs­saient. Nous en avons ici la preuve, nous* « *les chiens* » *ainsi désignés dans* TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN *par l*'*abbé Michon­neau.* Écoutez-le, écoutez-le en face, entendez-le en face, le cri d'Édith Delamare : *-- Nous nous doutions bien que nos prêtres nous haïs­saient...* Écoutez-le, entendez-le aujourd'hui. Car vous l'entendrez encore et vous aurez encore à l'écouter. Un cri semblable traverse les siècles et traverse le temps, et vous le retrou­verez dans l'éternité. Écoutez-le, entendez-le dans le temps, ô prêtres qui haïssez les chiens. 32:912 Écoutez-le mot à mot. *Nous nous doutions bien...* Car ce « chiens » explicite de maintenant, car cette injure n'est pas isolée, elle n'est pas première, elle n'est pas accidentelle : elle est venue après tant et tant de choses, après les prêtres-ouvriers attisant la haine de classe, après les prêtres fellagha portant les valises des tueurs du F.L.N., après les aumôniers du scoutisme faisant lire Sartre, Gide et Teilhard comme des « valeurs sûres », après les religieux demandant l'amnistie pour les uns et la refusant pour les autres... Pas tous, pas tous les prêtres, pas tous les aumô­niers, pas tous les religieux, il s'en faut, pas tous mais les « nouveaux » les seuls qui aient accès à « l'opinion pu­blique ». Et les fameux sermons à la radio ; et les émissions religieuses. Et tant et tant de choses que nous avons dites, et tant et tant de choses que nous n'avons pas dites, il y en a trop, mais toutes à coup sûr sont allées s'inscrire dans un Livre qui ne se périmera point... Et l'affaire « Pax », et la révélation de l'implantation profonde des réseaux policiers de la haine, et la manifestation évidente du « tabou » qui les couvre. *Nous nous doutions bien...* Nous nous doutions, mais nous doutions, et nous voulions douter. Nous ne voulions pas y croire tout à fait. Et quand nous ne pouvions pas nous empêcher d'y croire, nous ne voulions pas que cela fût dit. *Et maintenant nous avons la preuve*. La preuve qu'ils nous haïssent. Nous avions des preuves, quantité de preuves, mais des preuves implicites. Nous avons mainte­nant la preuve explicite. Oui, des chiens. Oui, la haine. La haine des prêtres. La haine de nos prêtres. Oh ! pas de nos saints prêtres ; pas de nos bons prêtres ; eux-mêmes englo­bés parmi « les chiens », eux-mêmes prêtres-chiens. La haine de nos « nouveaux prêtres ». Même leurs coups de poing, je dis leurs coups de poing, je parle physiquement, c'était à Liesse, et même leurs délations, on pouvait douter, on voulait douter. Nous nous doutions bien. Mais nous dou­tions. On peut douter de toutes les preuves. On peut dou­ter jusqu'au libre aveu. *Et maintenant nous avons l'aveu*. Et nous avons vu comment l'aveu a été accueilli. Sans scan­dale ; sans protestation ; sans émotion ; comme tout natu­rel ; comme allant de soi ; comme exprimant parfaitement la situation. 33:912 Dans un siècle, dans dix siècles, tant que le monde dure­ra, les historiens de l'Église viendront à l'année 1964 butter sur le cri d'Édith Delamare qui portera témoignage : *-- Nous nous doutions bien que nos prêtres nous haïs­saient...* Tous les historiens de l'Église. Tous les livres d'histoire de l'Église. Et le grand Livre de récapitulation du seul His­torien de l'Église. Ce cri, rien ne l'effacera jamais. Rien ne pourra faire désormais qu'il n'ait été poussé le 5 novembre 1964. Ô cham­pions, ô amateurs d'*irréversible*, en voilà. Vous êtes servis. NE VENEZ PAS ME DIRE maintenant qu'il ne faut pas « généraliser ». C'est vous qui généralisez la haine. C'est vous qui généralisez la situation de chiens où nous sommes. C'est vous qui généralisez les bri­mades, l'intimidation, la délation, la terreur par lesquelles le peuple chrétien est réduit au silence, par lesquelles les prêtres-chiens sont réduits au silence. Ce n'est pas Michel de Saint Pierre qui a « généralisé » les « nouveaux prê­tres », ce sont vos journaux, vos livres, vos organisations, votre pastorisation qui en généralisent et multiplient la floraison. Est-ce que Péguy « généralisait », par hasard ? Alors il fallait le lui dire. A lui d'abord, dont vous faites des numé­ros spéciaux, des commémorations, des commémoraisons, des concélébrations, maintenant qu'il est mort et qu'il ne peut plus rien contre vous. C'est Péguy le premier qui a écrit *les nouveaux prêtres*. Avant Michel de Saint Pierre. Il les appelait *les nouveaux curés*. Vous savez bien. Protes­tez donc d'abord contre Péguy. Avant d'aller condamner Michel de Saint Pierre, allez donc d'abord condamner Péguy, et tout sera clair. Ne prenez pas la tangente. Vous nous haïssez *depuis soixante ans* parce que cela dure depuis soixante ans, et c'est Péguy que vous haïssiez il y a soixante ans. Quand il était vivant. Quand il écrivait ses « nouveaux prêtres ». Ce sont les mêmes : depuis soixante ans. Soixante ans de détestation. 34:912 Soixante ans de haine. Allez donc condamner Péguy d'abord, ou bien fichez la paix à Michel de Saint Pierre. Écoutez un peu ce que disait Péguy : « *Que les curés ne croient à rien, ne croient plus à rien, c'est la formule courante aujour­d'hui, la formule généralement adoptée* (*...*)*. Et on ne sait combien sont réellement moder­nistes. Peut-être les cinq septièmes et peut-être plus. Ils disent : c'est le malheur des temps. C'est une formule. C'est même une formule commode* (*...*)*. Commode pour masquer la paresse, pour dérober aux autres, à tout le monde, peut-être surtout pour se dérober à soi-même leurs effroyables responsabilités* (*...*)*. Il n'y a point de malheur des temps. Il y a le malheur des clercs. Tous les temps appartien­nent à Dieu. Tous les clercs malheureusement ne lui appartiennent pas. On est épouvanté des énormes responsabilités qu'ils auront à soute­nir ; et ils sont peut-être les seuls qui auront à porter, qui soient engagés dans les responsa­bilités extrêmes. Voilà ce qu'ils ne veulent pas voir. Ils ne veulent pas faire leur mea culpa. Ils en ont tant fait faire, professionnellement. Ils ne veulent pas avouer, s'avouer leur faute, faire leur acte de contrition* (*...*)*. Tout le dépé­rissement du tronc, le dessèchement de la cité spirituelle* (*...*) *ne vient aucunement des laïcs. Il vient uniquement des clercs.* » « *Ils veulent faire faire des progrès au christianisme. Qu'ils se méfient, qu'ils se mé­fient. Ils veulent faire faire au christianisme des progrès qui pourraient leur coûter, qui leur coûteraient cher. Le christianisme n'est nullement, il n'est aucunement une religion de progrès ; ni* (*peut-être encore moins, si possi­ble*) *du progrès. C'est la religion du salut.* » 35:912 « *Dans le monde moderne tout est moderne, quoi qu'on en ait, et c'est sans doute le plus beau coup du modernisme et du monde mo­derne que d'avoir en beaucoup de sens, pres­que en tous les sens, rendu moderne le chris­tianisme même, l'Église et ce qu'il y avait encore de chrétienté. C'est ainsi que quand il y a une éclipse, tout le monde est à l'ombre.* » On peut vous en recopier des pages et des pages. Mais vous vous récriez. Vous voulez la référence. Pour une fois, je ne vais pas vous la donner. Vous n'avez qu'à chercher. Les œuvres en prose de Péguy font 1.388 pages dans l'édi­tion de la Pléiade, des pages bien tassées. Mais attendez : 1.388 pages le premier tome. Il y a aussi le second, 1.496 pages de texte. Ce qui vous fait 2.884 pages. De quoi lire. De quoi lire Péguy : ça ne peut pas vous faire de mal. Péguy n'écrivait pas cela contre tous les curés, contre tous les prêtres, ni contre le pape, qui était alors Pie X. Péguy appelait Pie X « *un curé de paroisse* », il l'appelait un curé « *pour paroisse et paroissiens* » (cherchez la réfé­rence, cherchez), ce qui était vrai, et ce qui était ce que Péguy dans son langage pût dire de plus parfait d'un prêtre, et d'un pape. On n'a tout de même pas eu le grotesque d'aller raconter que Péguy avait eu l'intention perfide de généraliser, de caricaturer, d'attaquer le clergé en tant que tel, et qu'il faudrait prendre la défense des prêtres contre Péguy. Ou qu'il dénigrait l'épiscopat. Ou qu'il faisait cam­pagne contre la Hiérarchie. Est-ce qu'il s'agit de cela. Et je ne recopie pas ce que la Sainte Vierge a dit du clergé à La Salette. Ce n'est point du curé d'Ars qu'elle par­lait ni du P. Emmanuel ; ni du Pape. Cela va de soi. Mais aujourd'hui on trouverait bien moyen de laisser entendre qu'elle généralisait, qu'elle caricaturait, qu'elle attaquait les prêtres, ou qu'elle faisait campagne contre l'épiscopat. 36:912 Qu'on nous laisse enfin tranquilles avec ces formules toutes faites. Toutes faites exprès pour empêcher de penser, interdire de s'exprimer, et passer tout le monde au conformateur. JE SAIS BIEN qu'on nous accuse de généraliser chaque fois que nous alléguons un fait. (Les faits, on n'en veut plus ; c'est plus commode.) Quand on allègue un fait, les bons apôtres anti-chiens répondent automati­quement : C'est un fait isolé. Alors on en allègue dix. Les bons apôtres répondent en ce cas : Si vous allez chercher tout ça, c'est par parti pris systématique, c'est que vous faites de la polémique ; et dix faits ne prouvent rien, c'est unilatéral. Si l'on en allègue cinquante, ils ricanent, c'est trop long, il y en a trop, personne n'aura la patience de lire tout ça. Les faits, il y en a des centaines et des centaines : les faits qui manifestent concrètement la situation permanente de « chiens » qui est imposée dans le catholicisme français à des catégories entières de chrétiens arbitrairement déli­mitées, arbitrairement désignées, arbitrairement exclues de la communauté. On peut retrouver non pas tous ces faits, mais un échantillonnage assez parlant, dans les 89 numé­ros successifs d'*Itinéraires* parus à ce jour ; bien que ce ne soit pas l'objectif principal d'*Itinéraires*, ni même son principal objectif secondaire, de recueillir les pièces de cet épouvantable musée des horreurs. Mais il est tout de même nécessaire de montrer que nous ne parlons pas en l'air, et d'enregistrer les faits que l'on cache, les faits que l'on ou­blie, les faits que l'on maquille ; les faits, aussi, ou peut-être surtout, les moins cachés, les plus visibles, les plus monstrueux, mais auxquels on habitue les consciences, pour qu'elles les trouvent normaux, et elles finissent par les trouver normaux quand personne ne proteste à haute voix. Il est tout de même indispensable de les enregistrer dans une certaine mesure, de manifester et de prouver que nous ne rêvons pas, que nous n'inventons pas, de faire toucher du doigt ce qui se passe et ce qui se fait. 37:912 Quand le Pape Paul VI a nommé le professeur Luigi Gedda au nombre des experts laïcs du Concile, *Témoignage chrétien* a crié RACA : *pas lui !* Le professeur Gedda est l'ancien président de l'Action catholique italienne, et l'ancien fondateur, à l'instigation de Pie XII, des Comités civiques de catholiques italiens. *Témoignage chrétien* entend L'EXCLURE DU MONDE CATHOLIQUE, l'exclure explicitement et en propres termes du PLURALISME DANS LE MONDE CATHOLIQUE. L'exclu­re en raison des « orientations qu'il représente ». Nous avons cité le texte dans notre précédent numéro. Tout le monde sait très bien, et tout le premier l'organe officiel anti-chiens *Témoignage chrétien* sait très bien que si Gedda « représente des orientations », ce sont les orientations de Pie XII. On ne s'étonnera pas que *Témoignage chrétien* critique ces orientations, critique Gedda, critique le choix de Paul VI. On sait de reste que *Témoignage chrétien* a farouchement combattu Pie XII quand Pie XII était le Pape. On sait par son propre rédacteur en chef d'alors qu'à ce moment tous les articles étaient écrits dans *une perspective de résistance à Rome*. Cet aveu triomphant, nous l'avons cité et commenté plusieurs fois dans *Itinérai­res*. L'important n'est pas que *Témoignage chrétien* repré­sente pour sa part de telles « orientations ». On le sait bien. L'important est que l'organe officiel anti-chiens se sente en mesure de prononcer une aussi catégorique exclu­sive ; de demander l'exclusion du « monde catholique », rien de moins, l'exclusion du « pluralisme dans le monde catholique », l'excommunication de Gedda parce qu'il « re­présente les orientations » de Pie XII. *Témoignage chré­tien* n'est pas en situation de l'obtenir en Italie ou de l'im­poser au saint-siège : mais *Témoignage chrétien* est en position de faire croire et de faire admettre au « monde catholique » français qu'un homme comme Gedda et que ses « orientations » doivent être bannis de ce « monde catholique ». *Témoignage chrétien* a ce droit, ce pouvoir, cette puissance. Pour *Témoignage chrétien* en effet, toutes les branches de l'Action catholique française ont fait ce qu'elles n'ont jamais fait pour aucun autre journal. 38:912 Des dirigeants de toutes les branches de l'Action catholique française ont apporté, à *Témoignage chrétien*, lors de son millième numéro, en septembre 1963, leur caution publi­que et leur publique recommandation. On n'avait jamais vu cela et on ne l'a pas revu. On ne l'a vu ni pour *La France catholique*, ni pour *L*'*Homme nouveau*, ni même pour les *Informations catholiques internationales* : pour aucun autre. Et c'est chaque semaine ou presque que *Té­moignage chrétien*, par un biais ou par un autre, excom­munie JUSQU'À GEDDA, excommunie jusqu'aux ORIENTA­TIONS DE PIE XII : les exclut DU MONDE CATHOLIQUE, au nom du « pluralisme » parce que l'on est « pour » le pluralisme, mais pour ce pluralisme-là qui «* a des limi­tes *» et quelles limites. Un pluralisme qui n'exclut pas les réseaux de « PAX » ni le dialogue avec les chefs de l'appa­reil policier du communisme, mais qui exclut Gedda et d'une manière générale tous les « chiens ». José de Broucker, de son côté, José de Broucker, qui s'est tant remué et tant dépensé pour faire sympathique­ment connaître Piasecki en France, Piasecki et son visage « songeur, mais calme et serein », Piasecki et « sa voix grave et lente, coupée de respirations profondes et de sou­rires rares mais précis », Piasecki et son « effort de pensée cohérent et conséquent », -- José de Broucker, dis-je, assu­re dans les églises que nous autres chiens, concernant le Christ et l'Église, sommes gens qui se donnent des appa­rences mais ne s'y intéressent pas. Oui, la situation de chiens est une situation permanen­te dans l'Église de France, et ceux qui d'aventure vou­draient contester la réalité de cette situation trouveront, s'ils ne savent vraiment pas, s'ils ont vraiment besoin de s'instruire, des tonnes de textes semblables et « conver­gents », une encyclopédie, vingt encyclopédies. Faut-il les réunir ? Une quinzaine d'étudiants qui voudraient bien y travailler pendant une année arriveraient à en rassembler un bon morceau, non exhaustif, extrait seulement de la presse catholique depuis dix ans. 39:912 TOUT DE MÊME, tout de même, faites attention, me dit-on. L'épiscopat français dit qu'on le met en cause, et qu'on l'attaque, et qu'on fait campagne contre lui. Qu'avez-vous à dire, me dit-on, qu'avez-vous à dire là-dessus ? Je n'ai rien à en dire. Je ne sais pas si l'épiscopat le dit. Peut-être qu'on l'attaque. Ce n'est pas nous qui l'atta­quons. Ce n'est pas moi. Et ce n'est pas la question. Est-ce que je sais ce que l'on va raconter à l'épiscopat. Je dis que la situation est épouvantable. Si l'épiscopat traduit : « Puis­que nous, évêques, nous sommes responsables de la situa­tion, dire que la situation est épouvantable c'est attaquer les évêques » alors je n'y peux rien et alors on ne peut plus rien dire. Je dis que la presse catholique la plus habi­tuellement, la plus unilatéralement recommandée dans les « Semaines religieuses » c'est un fait, de *La Croix* aux *In­formations catholiques internationales* en passant par *Té­moignage chrétien*, nous traite comme des chiens, c'est en­core un fait, et un fait que j'explique et que je prouve, textes en mains. Si l'épiscopat traduit : « Puisque nous, évêques, sommes responsables de la presse catholique, et spécialement des recommandations qu'en font nos Semai­nes religieuses, critiquer la presse catholique c'est atta­quer les évêques », alors je n'y peux rien et alors on ne peut plus rien dire. Qu'on nous le dise seulement une bonne fois, qu'on ne peut plus rien dire, qu'on ne doit plus rien dire, en France, à l'heure du « pluralisme », du « dia­logue » et de la « liberté ». Il se trouve en tous cas que je n'attaque pas les évê­ques. Et il se trouve que je ne les attaque pas pour la seule et unique raison qu'ils sont nos évêques. Je sais bien qu'on va me donner à entendre que c'est la (plus) mauvaise raison. Il faudrait dire autre chose, voyons, il faudrait dire bien d'autres choses, comme vous le montrent les choses qui se disent et qui paraissent le mieux agréées. Il faudrait dire que nos évêques sont hommes d'avenir et de progrès, de science et de modernité, et qu'on les respecte pour cela. Il est vrai que je ne les respecte pas pour cela ; que ça m'est impossible : parce que la modernité, la science, le progrès, l'avenir, au sens où on les parle dans les jour­naux, même catholiques, me laissent complètement froid. 40:912 Je vois dans les évêques la plénitude du sacerdoce, rien d'autre ; je vois en eux ceux qui d'institution divine distribuent les paroles et les sacrements du salut, et président à cette distribution, et gouvernent cette distribution. C'est le sacré qu'en eux je respecte, et sans doute est-ce la (plus) mauvaise raison en ces temps de désacralisation uni­verselle et de chrétienté profane. Je ne suis certes pas aveugle et je vois ce que tout le monde peut voir. Je vois bien que nos évêques, quand le progressisme était mis en cause, ont énoncé la recomman­dation et l'injonction en soi inattaquable qu' « *il ne faut pas voir des progressistes partout* », et qu'à partir de là certains habiles et certains puissants ont fait en sorte qu'on ne voit plus de progressistes nulle part. Et j'ai bien vu qu'au plus fort des plus violentes campagnes contre l'in­tégrisme, aucun de nos évêques ne s'est levé pour recom­mander et enjoindre symétriquement de « *ne pas voir des intégristes partout* ». Cela aurait un peu soulagé ceux qui étaient en butte à la calomnie systématique : ce soulage­ment n'est pas venu. J'aperçois bien un certain nombre de choses semblables. Nos évêques avaient leurs raisons sans doute, leurs raisons pastorales, prudentielles, morales, juri­diques, sociales, politiques. Nous n'avons pas eu à connaître ces raisons. Nous n'avons pas à en juger. C'est une grande tranquillité pour nous. Grâce au ciel nous n'avons la charge ni de les approuver, ni de les désapprouver, ni de les conseiller ; ils ne nous demandent même pas de les informer ; nous ne sommes pas au nombre des laïcs dont ils désirent connaître le sentiment. C'est une grande res­ponsabilité de moins sur nos épaules. C'est une grande li­berté : oserions-nous parler selon notre cœur, si nous ris­quions d'influencer les évêques dans leurs décisions, dans leur jugement, dans leur gouvernement ? Nous tournerions tellement notre langue dans notre bouche avant de parler, notre plume dans l'encrier avant d'écrire, que peut-être, à moins d'une particulière grâce d'état, nous n'arriverions pas à articuler un seul mot. Risquer d'influencer les évêques, c'est tellement grave. C'est une telle responsabilité. Il se trouve que nous ne l'avons pas. Pas même le risque. Voilà du moins un grand soulagement, à défaut d'autres. 41:912 Nous voyons bien que leurs motifs prudentiels nous dé­passent et que nous ne pouvons les comprendre -- et de fait nous n'y comprenons rien. Alors nous n'allons certes pas juger. La seule manière de ne pas se tromper avec les évêques, c'est de prier pour eux. Nous le faisons. Obliga­toirement et constitutionnellement en quelque sorte, à la messe, à chaque messe. Au Canon de la messe, qui est en latin, c'est dommage, mais là nous sommes très forts, nous sommes suréminemment forts, exceptionnellement forts : le latin ne nous est pas un obstacle. Dans nos missels, figurez-vous, ah nous avons des missels étonnants, nous autres chiens, nous avons des missels spéciaux, nous avons sans doute des missels pour chiens : dans nos missels, sur la page d'en face merveille, il y a la traduction. Le latin ne nous est donc pas un obstacle (à nous les chiens) et nous prions pour nos évêques. Obligatoirement, au Canon de la messe. Et même en dehors de la messe. C'est de tou­tes façons par eux que passent et passeront les paroles et les sacrements du salut. Accidentellement et secondairement, par leur science ou malgré l'état de leur science, que nous ne connaissons pas, par leur charité et par leur justice, ou malgré leurs manquements à la justice et à la charité, que nous n'avons aucun moyen d'apprécier ; mais essentiellement, mais principalement, par leur institution divine, par leur fonction sacrée, par leurs pouvoirs spiri­tuels. Si d'aventure, à leurs yeux aussi, nous étions des chiens, si vraiment c'était par leur permission tacite que l'on nous traite comme des chiens, nous n'élèverions pas la voix contre eux, et de ce qu'ils ont la charge de nous donner, nous nous satisferions des miettes sous la table, pourvu que nous y trouvions encore quelque chose des pa­roles et des sacrements du salut. DANS LA PAROISSE de France où l'on vénère Notre-Dame de la Sainte-Espérance et où, selon la prière approuvée par Pie IX, on prononce l'invo­cation : -- *Notre-Dame de la Sainte-Espérance, convertissez-nous.* 42:912 Il arriva un jour, dit-on, qu'un évêque en visite, changeât, peut-être par inadvertance, la formule ; il fit prier en ces termes : -- *Notre-Dame de la Sainte-Espérance, convertissez les pécheurs.* Je suppose qu'il y eut quelqu'un, avec toutes les mar­ques extérieures de respect, pour expliquer ensuite à l'évê­que que ce n'était ni la lettre ni l'esprit. Tel n'est pas notre rôle auprès des évêques, ni notre fonction, ni notre audace. Notre place est au fond de l'église, à côté de ce paysan (ce paysan de paroisse et de chrétienté) qui à la sortie dit à son voisin : -- *Miracle* : *nous avons un évêque qui n*'*est point pé­cheur.* Avec notre voisin, avec tous nos voisins, au fond « l'église, et en même temps que le prêtre, même s'il nous déteste, et en même temps que l'évêque, s'il se trouve là, nous disons : *Nobis quoque peccatoribus,* et nous rendons grâces à Dieu d'être venu en ce monde pour sauver les pécheurs. LES MIETTES SOUS LA TABLE, pourvu qu'elles soient miettes authentiques des paroles et des sacrements du salut. Nous ne demandons pas autre chose dans l'Église. Nous n'ambitionnons, je le disais tout à l'heure, aucune place et aucun rôle dans la presse catholique, dans l'Action catholique, dans les honneurs, les privilèges et les trésors du catholicisme sociologiquement installé. Nous n'ambitionnons pas d'y entrer et il faut nous croire, et l'on peut nous croire : si c'était par vertu et détachement on pourrait se méfier de nous, le détachement et la vertu sont fragiles. Mais ce n'est point par vertu ni par détachement. C'est tout simplement à cause du prix d'entrée. Il est trop cher pour nous. Nous sommes incapables de le payer. D'ail­leurs on ne nous accepterait probablement plus, même si nous proposions maintenant de payer le prix. Ou même l'on nous ferait l'honneur de penser que ce prix-là, nous ne pourrons jamais le payer vraiment. 43:912 Et il est vrai que nous ne pouvons pas le payer. Il nous faudrait renier et jeter aux orties le meilleur de ce que nous aimons en ce monde. SAINT PIE X, PIE XII, déjà : déjà la page tournée sur lui, et si fermement, et si décisivement que dans *Té­moignage chrétien* on croit avoir licence, et de fait on l'a, d'insulter Paul VI quand Paul VI défend la mémoire de Pie XII. Car c'est bien littéralement insulter Paul VI que d'écrire que s'il défend la mémoire de Pie XII, c'est pour des motifs bas et intéressés, c'est bien insulter Paul VI que d'écrire : « *Évidemment Paul VI, en célébrant Pie XII, souhaite que ne soit pas jugée négativement sa propre col­laboration durant 17 ans avec Pie XII* » (12 mars 1964). Pour payer le prix d'entrée, il faudrait jeter aux orties LE GRÉGORIEN, que tout indigne et béotien que nous soyons, et doué d'une prodigieuse faculté de chanter faux, nous entendons et nous vivons comme le chant de la liberté de l'âme. Et la doctrine et la personne de SAINT THOMAS, dont un Cardinal, canadien paraît-il, a pu dire au Concile qu'il ne fallait pas qu'avec lui on soit l'homme d'un seul livre et l'Église d'un seul docteur, -- comme si la situation précise et actuelle de l'Église et des séminaires, et de l'Action catholique, et de la presse catholique, à l'égard de saint Thomas, était le risque prochain de devenir l'Église de ce seul docteur et de faire des catholiques les hommes de son seul livre (lequel d'ailleurs ? il en a fait une cinquantaine, et même davantage, selon les bibliographies les plus à jour). Il faudrait renier et jeter aux orties ces mémoires, ces pensées, ces saints ; et notre JURIDISME ROMAIN ; et no­tre CIVILISATION GRÉCO-LATINE ; et notre PIÉTÉ NATIONALE. C'est beaucoup trop cher. Nous ne tournons pas la page. Nous ne quitterons ces mémoires, ces pensées, ces saints qu'au jour de la mort, et avec l'espérance de les retrouver eux-mêmes, transfigurés, dans le ciel. Et d'ici-là, malgré tous avertissements contraires, nous ne renoncerons pas aux « excès » et aux « abus » de DÉVOTION MARIALE que l'on nous déconseille si violemment. Pauvres abus. Pauvres excès. Il n'y a pas trop de journées où nous disions tout le chapelet, les cinq mystères du jour. On trouve que nous en faisons trop. 44:912 Nous persistons à croire qu'hélas nous n'en faisons pas assez ; que nous sommes bien pauvrement fidèles au Rosaire ; que nous aimerions qu'on nous excitât et nous aidât à l'être davantage plutôt qu'à l'être moins ; et à porter des fleurs aux statues de la Sainte Vierge, des fleurs et des cierges, offrandes de l'heure qui passe, offran­des dans l'éternité. Bien pauvrement, mais de tout notre cœur, nous répondons plutôt à l'appel du Souverain Pon­tife qui, dans son discours de clôture de la 3^e^ session, ne demande pas qu'on en fasse moins, mais qu'on en fasse plus, « *que le peuple chrétien s*'*adresse à la Sainte Vierge avec plus de confiance et de ferveur* ». Nous n'allons pas payer le prix de renoncer à nos « abus », à nos « excès », à nos « débordements » de PIÉTÉ MARIALE. Nous sommes trop pauvres décidément. Nous n'avons d'autre richesse que d'aimer ce que l'on nous a appris à aimer, comme on nous a appris à aimer. Cet humble trésor de piété et de fidélité, nous avons à le transmettre aussi à ceux qui nous le de­mandent, à ceux qui eux aussi veulent y mettre leur cœur. Nous ne pouvons pas en disposer, fût-ce dans la bonne in­tention de payer notre entrée au sein du nouveau style et des nouvelles formules du catholicisme installé. Nous ne pouvons même pas hurler comme vous, hurler en chœur contre les VIEILLES DÉVOTES et les VIEILLES BI­GOTES qui encombrent nos églises ; paraît-il ; qui empê­chent l'homme adulte d'y entrer et de s'y sentir chez lui. Nous respectons ces vieilles femmes et nous les aimons. Notre tradition chrétienne à nous n'est pas de jeter l'in­sulte aux veuves. Aux grand-mères. Qui ont survécu à la mort du grand-père, au départ des enfants, qui sont res­tées là. Et qui vont à l'église prier comme elles peuvent pour la rédemption du monde, pour le salut du monde, pour le salut du monde moderne. Et qui incessamment et mystérieusement l'obtiennent. Clandestinement en somme. La nouvelle clandestinité. Dans le geste par lequel elles vont mettre un cierge à l'autel de la Sainte Vierge, *Mater Ecclesiae,* nous voyons le geste de la foi : de la foi qu'ont demandée pour eux-mêmes, sans jamais être assurés de l'obtenir aussi entière et aussi confiante, tant de docteurs, tant d'évêques, tant de saints. Elles sont vieilles, elles sont veuves, elles sont usées, elles font chaque jour le chemin de l'église, chaque jour de l'hiver aussi, dans la pluie sur les chemins. 45:912 Et pendant le mois du Rosaire, si vous allez à l'église un jour de la semaine, à l'heure annoncée du cha­pelet, combien de paroisses où vous trouvez, avec le prêtre -- ou sans le prêtre -- quatre ou cinq vieilles femmes. Elles sont la garde d'honneur de la Sainte Vierge, qui en son temps fut aussi une vieille femme, quand elle habitait chez saint Jean. Et elles prient pour nous, même si elles ne le savent pas, mais qui oserait assurer qu'elles ne le savent pas ? Et il faudrait maintenant les insulter ? comme on fait dans vos journaux ? *Nous ne pouvons pas payer ce prix-là.* Même les civilisations antiques avaient le respect des vieillards, que vous n'avez plus, parce que sans doute la caractéristique la plus essentielle du monde moderne est l'impiété. Et maintenant ce ne sont plus seulement les vieillards de la piété naturelle : ce sont en outre ceux qui prient pendant que nous ne prions pas. Votre pastorale nouvelle a toujours besoin de cracher sur quelqu'un, d'in­sulter quelqu'un, de maudire quelqu'un, et quelqu'un de la famille : les vieilles femmes, les bigotes, les dévotes, et les excès de dévotion ; les chrétiens de bourgade et les chrétiens simplistes ; les chrétientés rurales et les chrétiens petit-bourgeois ; les chrétiens traditionnels et les paroisses de chrétienté ; les familles chrétiennes et les écoles chré­tiennes ; les mœurs chrétiennes, les habitudes chrétiennes, les traditions chrétiennes ; et le culte des saints et saint Louis ; et Jeanne d'Arc. Nous n'en sommes pas nous ne sommes pas de cet apostolat qui se fait d'abord et osten­siblement *contre* quelqu'un de la famille, nous ne mar­chons pas dans l'apostolat qui a ainsi pour premier souci de manifester au monde que, soi-même on n'est pas un chrétien comme les autres, un chrétien comme les chré­tiens du passé, un chrétien comme les chrétiens de tou­jours, un chrétien comme les intégristes, comme les chiens, comme les dévots, comme saint Pie X, comme l'Église cons­tantinienne. Nous sommes des chrétiens comme les autres, avec les autres, et de préférence avec les plus méprisés, les plus injuriés, avec très précisément ceux qui sont couverts de crachats par les méthodes nouvelles de l'apostolat mo­derne. 46:912 Et puis nous avons vu les yeux. Dans les yeux usés des vieilles femmes venues à grand ahan jusqu'à l'église pour prier la Sainte Vierge, nous avons vu une lumière très douce, une lumière du ciel. Et nous avons bien remar­qué une flamme dans les yeux du militant adulte, du tech­nicien nickelé de l'apostolat anti-chiens et de la pastorale moderne ; nous avons vu la flamme d'une haine. MAIS NOUS SAVONS AUSSI d'où vient la haine. Nous savons quel langage la suscite, quelle techni­que la ranime, quelles méthodes de « communication sociale » l'entretiennent parmi les chrétiens. Nous connaissons et reconnaissons ces méthodes, cette technique, ce langage, ayant passé beaucoup d'années à les étudier à la source : ce sont les méthodes, et c'est la tech­nique, et c'est le langage du communisme. Quand *Témoi­gnage chrétien*, 19 novembre 1964, page 3 et page 4, dési­gne comme « ultra-confessionnels » les syndicalistes chré­tiens et leurs amis de *L*'*Homme nouveau,* j'affirme que c'est la technique d'assassinat moral du communisme. C'est la même technique que *Trybuna Ludu,* organe officiel du Parti communiste polonais, 10 novembre 1964, prenant à propos de l'affaire « Pax » en France la défense de « la presse catholique progressiste française » -- et prenant aussi, je le note pour mémoire, la défense d' « un certain nombre d'évêques et de cardinaux français » -- contre les « *ultra néofascistes* » Wyszynski et Ottaviani. Si le cardi­nal Ottaviani, si le cardinal Wyszynski étaient « fascis­tes », ils seraient tout simplement « fascistes » vu leur âge, et non point « néo ». Et ils ne seraient pas « ultra ». Car s'ils étaient les *ultras,* du fascisme, ou du néo-fascisme, qui donc serait fasciste purement et simplement, fasciste sans être ultra-fasciste ? La technique communiste est celle du RENFORCEMENT VERBAL INDÉFINI DE L'ÉTIQUETTE IN­FAMANTE ; et notamment du renforcement par la note « ul­tra ». La propagande communiste attaque les ultra-réac­tionnaires, les ultra-nationalistes, les ultra-colonialistes, comme *Témoignage chrétien* attaque les ultra-confession­nels. 47:912 Dans la plupart des cas, l'étiquette elle-même est un mensonge. Mais le mensonge doublé et renforcé par la qualification *ultra,* c'est la marque de fabrique. Les syn­dicalistes chrétiens et *L*'*Homme nouveau* sont peut-être des « confessionnels » : ça se discute, ça dépend comme on l'entend. Les noter d'emblée comme *ultra-confessionnels*, c'est la technique d'excitation révolutionnaire mise en œuvre par les communistes et par leurs émules. « Ultra-confessionnels » : cela suggère qu'on pourrait sans doute être « confessionnels », si ridicule, si dépassé que cela soit, mais enfin on pourrait l'admettre, le tolérer, on pourrait fermer les yeux ; « confessionnels » passe encore. Seule­ment vous êtes d'emblée *ultra-confessionnels,* d'emblée hors du tolérable et de l'admissible, d'emblée exclus de la bonne société conformiste du monde installé. C'est une au­tre manière de vous ranger parmi les chiens. L' « ultra-confessionnel » Jacques Tessier avait préci­sément mis en lumière le noyautage de la C.F.T.C. qui de­vait aboutir à son « évolution » (*France catholique* du 30 octobre 1964, page 6) : « *Le groupe le plus résolu à détruire le syn­dicalisme chrétien est formé, pour l'essentiel, de militants de mouvements d'Action catholi­que spécialisée dont le comportement, depuis une quinzaine d'années, a été trop identique, de Lille à Perpignan et de Brest à Mulhouse, pour permettre de douter de l'existence de chefs d'orchestre invisibles. Parmi ces mili­tants d'Action catholique, une fraction peu nombreuse, mais très* « *dynamique* » *comme on dit, appartient à une formation politique résolument pro-marxiste : le P.S.U., dont elle a appliqué les consignes de noyautage de l'ap­pareil interne de la C.F.T.C.* » Les « chefs d'orchestre invisibles » dont parle Jacques Tessier, ce sont justement les « nouveaux prêtres » qui orientent leurs militants vers le marxisme et vers le communisme. 48:912 Au triple plan psychologique, idéologique et sociologique, le noyautage « marxiste » des organisations catholiques est tellement avancé que parfois il atteint déjà le point de non-retour : on vient de le voir pour la C.F.T.C. ; on a même vu, pendant le Congrès, lorsqu'un orateur de la « minorité » chrétienne se réclamait du Christ à la tribune, les majoritaires entonner *par dérision* des cantiques à la Sainte Vierge. La résistance à ce noyautage, ce sont précisément « les chiens » dénoncés comme tels par *Témoignage chrétien.* Tout ce que nous avons à dire à ce sujet, et tout ce que nous avons déjà dit, et sur l'affaire « Pax » était peut-être susceptible de provoquer dans l'Église de France un sur­saut de dernière heure, juste avant que le noyautage « marxiste » ait atteint le point de non-retour ailleurs en­core qu'à la C.F.T.C. : il était urgent de couper, de tran­cher, d'excommunier cette fois visiblement et tangible­ment ceux qui ont démasqué le noyautage « marxiste », il était urgent de recouvrir leur voix d'une manière ou d'une autre, au moins provisoirement, pour gagner encore un peu de temps. Une fois qu'est atteint le point de non-retour du noyautage, et là où il est atteint, notre résistance n'a plus d'importance *sociologique* : il faut nous endormir ou nous disqualifier jusqu'au moment où ce point de non-retour est atteint, jusqu'au moment où une organisation chrétienne est suffisamment *noyautée dans son appareil* pour pouvoir dans son Congrès *fabriquer une majorité de plus des deux tiers.* Le noyautage ayant alors colonisé les centres vitaux, les chrétiens conscients ne sont plus désormais qu'une mi­norité étrangère au sein même de *leur* organisation chré­tienne. L'exemple de la C.F.T.C. est hautement instructif, si l'on veut s'instruire ; révélateur du travail qui se fait dans les organisations catholiques. -- Que la C.F.T.C., de­venue C.F.D.T., ne soit plus chrétienne, cela ne fait rien, nous dit-on, à la seule condition que les militants syndi­caux reçoivent désormais hors des syndicats une « forma­tion chrétienne » : qu'ils la reçoivent dans et par l'Action catholique. C'est se moquer du monde, ou ne rien comprendre à rien : puisque précisément ce sont des militants formés dans et par l'Action catholique, étroitement enca­drés d'aumôniers « nouveaux prêtres », 49:912 qui sont allés au P.S.U. marxiste (lui-même noyauté par les communistes), puisque ce sont eux qui ont noyauté l'appareil de la C.F.T.C., qui ont tourné en dérision et rejeté la « morale sociale chrétienne ». Courroies de transmission et vases com­municants fonctionnent à merveille. Pas encore partout. Il faut chasser « les chiens » qui résistent encore. PUISQUE L'OCCASION qui a permis de nous ranger, explicitement désormais, parmi les chiens, est le livre de Michel de Saint Pierre, il convient peut-être de dire en terminant en quoi ce livre nous paraît bon, utile et opportun. Laissons les mille et une considérations secondaires pour ne retenir que la considération essentiel­le. A sa manière, qui est celle du roman, le livre de Michel de Saint Pierre a fait toucher du doigt un problème capi­tal, que pour notre part nous formulons en ces termes : *les* « *nouveaux prêtres* » *pour répondre à l*'*attente d*'*un monde qui n*'*attend rien d*'*eux, ne répondent plus du tout à l*'*attente des chrétiens* ; *ni non plus à l*'*attente de ceux des incroyants qui attendent réellement quelque chose du prêtre.* Mais ici, il faut distinguer. Les « nouveaux prêtres », systématiquement, répondent à une certaine attente du monde, ils répondent à l'attente de certains incroyants, de certains athées, à l'attente des chefs communistes : à l'attente de ceux qui, sans aucun dessein d'entrer jamais eux-mêmes dans l'Église (ou dans le dessein de n'y entrer jamais qu'à la manière des réseaux de « Pax »), espèrent que l'Église peut devenir l'auxiliaire extérieur de leur « construction du socialisme ». Ils atten­dent d'ailleurs simultanément de l'Église qu'en souscri­vant et collaborant à la « construction du socialisme », elle souscrive et collabore aussi à sa propre disparition ulté­rieure, progressive, sans douleur, sous anesthésie générale. Ils attendent de l'Église qu'elle ne convertisse plus person­ne. Et les nouveaux prêtres ont une pastorale nouvelle qui à cette attente répond en effet : 50:912 « Nous ne cherchons plus à convertir ». La disparition de l'Église est ainsi virtuelle­ment acquise. Là où les hommes d'Église eux-mêmes ac­ceptent que leur dessein et leur fonction ne soient plus de conversion, l'Église a disparu ; pour autant qu'il était en eux. L'Église une, sainte, catholique, apostolique ne peut disparaître, elle ne peut cesser de convertir, elle ne cesse pas, elle continue : mais sans eux, mais contre eux, en­core qu'à travers eux aussi et par eux, quoi qu'ils en aient. Contre leur propre volonté personnelle de ne plus chercher à convertir mais de seulement collaborer à la « construc­tion du monde » passent quand même, et même parfois à travers eux, les paroles et les sacrements du salut. Mys­térieusement. La conversion se fait toujours, mais elle se fait de plus en plus clandestine, de plus en plus persé­cutée à l'intérieur même du catholicisme français. Le temps revient des catacombes, mais ce ne sont plus des catacombes visibles, le temps est venu des catacombes mystiques. Les chiens, ce sont les croyants, ce sont les incroyants qui attendent du prêtre le sens de la vie, le sens de la mort et les moyens surnaturels d'y répondre. Le sens de la mort qui est immuable comme la mort elle-même, qui est rebelle à tout progrès, à toute évolution, à toute accélération, qui est d'un autre ordre. Qui cerne partout la vie, qui la me­sure, qui l'éclaire. L'illustrissime Mgr Helder Camara de­mande maintenant qu'il y ait un Concile tous les dix ans, parce que dix ans c'est « *juste l*'*équivalent d*'*un siècle d*'*au­trefois, étant donné l*'*accélération de l*'*histoire* ». L'illus­trissime Monseigneur montre par là qu'il n'a aucun sens du temps de l'homme, défini par la mort. Il ne s'est pas aperçu que « l'accélération » ne change rien au fait qu'un siècle, autrefois ou aujourd'hui, un siècle de cent ans de­meure une quantité et une qualité de temps plus longue et plus dense qu'une vie humaine. Aujourd'hui ou demain comme hier, l'homme qui naît à la première année d'un siècle de cent ans n'en verra pas la dernière, à moins jus­tement de vivre centenaire : d'être cette exception-là. Tandis que l'homme qui naît à la première année du nouveau siècle accéléré de dix ans, lorsque la dernière sera venue dix ans après, où en sera-t-il ? 51:912 Il ne sera pas encore prêtre, il n'aura peut-être même pas encore découvert qu'il en a la vocation ; il ne sera pas encore évêque ; ni même jour­naliste. Le temps de l'homme n'a pas été accéléré ; ni le temps de l'âme humaine. A l'intérieur du nouveau siècle de dix ans, et malgré toutes les « accélérations », on n'au­ra pas plus demain qu'hier le temps de former, fût-ce en formation accélérée, un docteur en théologie, un maître des novices, un militant d'action catholique, un homme adulte. Et les Ordres religieux où l'on fait (presque) dix ans d'étu­des ecclésiastiques continueront à en faire (presque) dix ans, ça ne sera pas du tout un siècle d'études ; à moins que l'on décide de ne plus rien étudier du tout, en raison de « l'accélération ». L'âme humaine ne croît pas plus vite. L'esprit humain ne fonctionne pas plus vite aujourd'hui qu'hier, on peut même penser, à bien considérer les propos qui nous sont tenus, qu'il fonctionne beaucoup plus lentement. Et la mort a toujours le même visage. Les chiens sont les croyants -- et les incroyants -- qui attendent que l'Église leur parle de la mort. Tant qu'on ne l'aura pas supprimée. Tant que la « construction du monde » ne nous aura pas rendus terrestrement immortels. Les machines volantes et les progrès de la science sont bien intéressants, mais la mort est la seule énigme dont seule l'Église ait la clef. Les musiques du monde, accélérées elles aussi, peuvent bien nous détourner de penser à la mort ; et même de rien penser du tout. Ce n'est pas un progrès. La sagesse ancienne déjà professait que « philo­sopher c'est apprendre à mourir » mais elle ne tenait pas ses promesses, elle ne pouvait pas les tenir ; elle avait du moins ce désir, cette orientation juste, cette recherche, cette attente. Seule l'Église peut nous apprendre à mourir. Et même à mourir chaque jour : c'est cela, la vie. C'est le sens de la mort qui donne le sens de la vie. C'est la mort la grande affaire. Et nous fêtons les saints au jour anniversaire de leur mort. Et au quatrième des mystères glorieux nous demandons la grâce de la bonne mort. C'est la mort qui importe. C'est le sens de la mort du Christ Notre-Seigneur qui nous importe. C'est la mort qui ouvre les portes de la vie. Des prêtres, nous attendons qu'ils soient auprès de nous les intendants et les dispen­sateurs des mystères de Dieu. 52:912 Nous sommes des chiens. Les chiens de l'Église, les chiens dans l'Église de France, ce sont les chrétiens (et les incroyants, et les demi-croyants, et les frères séparés, et les baptisés, et les non-baptisés) des fidélités de catacombes. Des catacombes nou­velles. Des catacombes mystiques. Nous ne sommes pas physiquement clandestins ni cachés. Nous ne sommes pas retirés du monde moderne. Nous usons des moteurs et des machines. Nous en connaissons un bout ; davantage proba­blement, et normalement, que nos docteurs. Et probable­ment davantage que l'illustrissime Mgr Helder Camara. Nous connaissons notre monde et nous l'aimons. Et même nous l'aimons trop. Et d'aventure nous y avons mille atta­chements dérisoires ou coupables, autant et davantage qu'un Dominicain des Éditions du Cerf ou qu'un Jésuite de la rédaction des *Études.* Nous savons piloter les machi­nes et ça nous intéresse : nous les pilotons aussi bien que les moines gyrovagues et sans doute beaucoup mieux. Et nous portons au cœur les mélancolies, les nostalgies, les passions, les blessures du « doux royaume de la terre » comme disait Bernanos. Nous sommes en plein dans l'im­pureté de ce monde. Nous ne sommes pas des anges. (Nous sommes même des chiens.) Nous avons sur nous et en nous le poids misérable de nos dissipations, de nos divertissements, de nos péchés. Mais quand c'est le prêtre qui vient nous tirer vers le bas au lieu de nous faire regarder vers le ciel, alors nous ne marchons pas. C'est notre dissidence. Les chiens ce sont les croyants et les incroyants qui viennent frapper à la vieille porte de notre jeune Mère l'Église. La porte s'ouvre pour le *dialogue,* l'éternel dia­logue : -- *Qu*'*attendez-vous de l'Église ?* *-- La foi.* *-- Qu'attendez-vous de l'Église ?* *-- Les paroles de la vie éternelle.* *-- Qu'attendez-vous de l'Église ?* *-- Les sacrements du salut.* 53:912 Telle est « l'attente du monde ». Notre attente. L'attente des chiens. Mais « le monde » a deux sens. Il y a le monde que le Christ est venu sauver. Il y a le monde pour lequel le Christ n'a pas prié. Il y a le monde des pécheurs (et des saints). Il y a le monde du péché (et de Satan). Et il y a le nouveau dialogue : *-- Qu'attendez-vous de l'Église ?* *-- Qu'elle collabore à la construction du socialisme.* *-- Qu'attendez-vous de l'Église ?* *-- Qu'elle nous aide à construire la Tour de Babel.* *-- Qu'attendez-vous de l'Église ?* *-- Qu*'*elle condamne les intégristes, les traditionalistes, les constantiniens, les* *papistes, les latinistes, les thomistes, les contemplatifs, les confessionnels, les syndicalistes chré­tiens, les dévots de la Vierge, les bigots du chapelet, les paroissiens, les pratiquants, les fidèles, les chiens.* QU'ELLE DÉBLAIE TOUS CEUX-LA : NOUS NOUS CHARGEONS DU RESTE. L'autre attente du monde, la seconde attente, celle-ci, est que l'Église renonce et que Rome ne soit plus dans Rome. On veut bien y mettre les formes. Et des formes progressives. Et même on veut bien ne pas trop demander. Simplement, pour commencer : qu'une partie des fidèles de l'Église, et des prêtres de l'Église, et des incroyants devant la porte de l'Église, soient traités comme des chiens. Soient appelés chiens. *Raca.* Pour que l'ordre de la charité soit renversé dans l'Église. ALORS ? Peut-être cela regarde-t-il un peu « l'Église enseignante », une telle situation. Non pas les hommes d'Église en tant qu'hommes, les nou­veaux hommes d'Église, nous n'avons que faire de leurs opinions personnelles, mais l'Église enseignante en tant que telle. 54:912 Nous ne fléchissons pas le genou devant les hommes d'Église en tant qu'hommes, nous avons assez à faire à pardonner dans le secret du cœur le mal que trop d'entre eux font à nous-mêmes et surtout à nos frères. Nous flé­chissons le genou devant l'Église enseignante en tant que telle, devant notre vieille Mère l'Église, notre jeune Mère l'Église, et nous tirons doucement le bas de son manteau. Qu'elle daigne entendre ceux de ses fidèles, et même ceux de ses prêtres, à qui des hommes d'Église disent *raca,* à qui ils disent *chiens.* Qu'elle daigne jeter un regard sur la grande pitié de l'Église de France, où ces choses se passent ostensiblement ; triomphalement. Qu'elle daigne bénir silencieusement la croix de ses enfants ravalés au rang des chiens. Qu'elle daigne accepter que nos frères incroyants, ceux qui attendent de l'Église non pas la construction du socialisme, mais le sens de la mort et les paroles de la vie éternelle, puissent venir avec nous recueillir sous la table les miettes de la Cananéenne. Doux Jésus, qui êtes un avec l'Église, daignez dans votre miséricorde vous souvenir des plus méprisés parmi les chrétiens de France. Daignez leur donner encore et toujours les grâces de la foi, de l'espé­rance et, de la charité par lesquelles tant de nos frères qui n'en peuvent plus pourront encore et toujours Vous voir dans l'Église, selon la parole d'un homme de chez nous, d'un homme d'Église, d'un homme de l'Église de France « Jésus-Christ est un avec l'Église, portant ses péchés l'Église est une avec Jésus-Christ, portant sa croix. » *Mater Ecclesiae, ora pro nobis.* Jean MADIRAN. 55:912 ### Vingt-cinq ans *Comment les choses sont arrivées* I. -- Arithmétique Avec ce numéro la revue termine sa vingt-cinquième année d'existence. Un quart de siècle. La durée d'une génération. Cha­cune de ces années, dix numéros bien réguliers. *Deo gratias. Tous* ceux qui se terminent par un « 5 » sont de juillet-août, par un « 6 » de septembre-octobre, par un « 7 » de novembre et ainsi de suite. Tous ceux qui se terminent par le chiffre « 1 », comme le numéro 1, sont du mois de mars, et comme le numéro 1 sont le premier pas d'une nouvelle année. Dans un mois, notre numéro 251 sera le premier pas dans la première année de notre second quart de siècle. II\. -- Chronologie L'année 1980 a vu la fondation du CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER. C'est une nouvelle génération qui monte en ligne. Le fondateur du CENTRE HENRI ET ANDRÉ CHARLIER a exactement l'âge que nous avions nous-même quand nous fondions ITINÉRAIRES. 56:912 La distance est de vingt-quatre ans. En vingt-quatre ans une génération s'ajoute à une autre ou succède à une autre, la remplace ou la prolonge, l'épaule ou la contredit. Vingt-quatre ans avant la fondation d'ITINÉRAIRES (1956) c'était la fondation d'*Esprit* (1932). Vingt-quatre ans avant la fondation d'Esprit, c'était la fondation de *L'Action française* quotidienne (1908). Ainsi changent, alternent ou se confirment, de génération en génération, la couleur du temps, les mots de passe, les initiatives, les tendances et orientations, l'accent donné aux préoccupations éternelles. III\. -- Mémorial *Tuis fidelibus, Domine, vita mutatur, non tollitur.* L'inspiration, la participation, l'affection de nos maîtres, de nos amis, de nos collaborateurs défunts n'ont pas été abolies mais transmuées. Ils nous assistent et nous aident toujours. Nous redisons leurs noms avec piété : Henri POURRAT, Joseph HOURS, Georges DUMOULIN, Antoine LESTRA, Charles DE KONINCK, Henri BARBÉ, Dom G. AUBOURG, L'Abbé V. A. BERTO, Henri MASSIS, Dominique MORIN, André CHARLIER, Claude FRANCHET, Henri RAMBAUD, R. Th. CALMEL, o.p., Henri CHARLIER, Jean-Marc DUFOUR, Luce QUENETTE, Gustave CORÇAO. 57:912 Ils avaient accepté et reçu le titre de « collaborateurs réguliers d'ITINÉRAIRES », -- titre qualitatif et non quantitatif, -- ils l'ont été publiquement : c'est un mémorial public et nominatif que nous leur élevons. En cet anniversaire, nous mentionnons mentale­ment, aussi, ceux et celle qui ne sont pas nommés publiquement mais qui ne sont pas anonymes dans notre souvenir. Leur affection, leur assistance, devenues invisibles, demeurent présentes et efficaces, nous le croyons fermement. IV\. -- Remerciement Vingt-cinq ans accomplis : grâce, d'autre part, à nos lecteurs. La revue s'efforce d'être au service de ses lecteurs sous le rapport de leur bien commun intellectuel et moral. Encore faut-il que ses lecteurs désirent et acceptent ce service ; qu'ils soient en nombre suffisant ; qu'ils apportent le concours de leur attention studieuse, et autant qu'ils le peuvent celui qui consiste à payer de bon cœur la revue ITINÉRAIRES à son prix. Le prix de sa fabrication et le prix de son indépendance. Temporellement, c'est par ses lecteurs que la revue a existé. Nous pensons leur avoir été utiles. Mais eux, simultanément, nous ont donné les moyens de travailler, de publier, de poursuivre le combat. Qu'ils en soient plus particulièrement remerciés au mo­ment où nous franchissons le quart de siècle. Et puis, nous pouvons tous ensemble exprimer notre recon­naissance au secrétariat administratif d'ITINÉRAIRES, assuré avec un dévouement sans défaillance par Marguerite-Marie David et Thérèse Lecoq. Sans elles non plus, rien n'eût été possible. 58:912 V. -- Déclinatoire Il nous est arrivé, en de précédents anniversaires, d'esquisser un bilan du travail accompli ; de rappeler nos principes, nos méthodes, nos intentions déclarées ; de souligner la densité, le contenu, la portée des milliers et des milliers de pages publiées ici par des dizaines d'auteurs. Nous pensons qu'au bout de vingt-cinq années d'existence publique, nous en avons maintenant assez fait pour pouvoir nous en dispenser. Aux autres désormais de s'y employer s'ils le veulent. L'œuvre intellectuelle et morale d'ITINÉ­RAIRES est assez connue de quiconque désire la connaître ; notre régularité, notre continuité et peut-être, grâce à Dieu, nos services rendus à la communauté témoignent suffisamment. Nous ne faisons aucun obstacle à ce que soit convenablement fêté, à un moment ou à un autre de cette année 1981, notre vingt-cinquième anniver­saire : mais au bout de vingt-cinq ans, c'est à nos voisins de le faire ; et s'il en est, à nos élèves, à nos disciples, à nos émules ; voire à nos imitateurs et contre-facteurs. Il est fort possible que personne parmi eux ne s'y intéresse, qu'aucun d'entre eux n'estime utile ou opportun de célébrer, d'analyser, de soupeser la contri­bution apportée à l'esprit public par ITINÉRAIRES pendant ces vingt-cinq années. Eh bien alors ce sera tant pis. Tant pis pour nous, tant pis pour eux ? VI\. -- Argument Laissant donc entièrement à d'autres le soin de dire, s'ils le veulent, ce que nous avons fait en vingt-cinq années, pour notre part nous nous contenterons de marquer cet anniversaire en nous arrêtant à considérer ce qui s'est passé pendant ce quart de siècle. VII\. -- Considérations Quand, avec son étiquette intégriste, on se présentait à Rome aux environs de l'année 1956, on recevait dans la plupart des bureaux de la curie un accueil prudent certes, mais bienveillant et même (à mi-voix) chaleureux. 59:912 La République française qua­trième du nom s'était débarrassée du général de Gaulle et le tenait désormais à l'écart du pouvoir ; elle s'était débarrassée aussi du plus funeste héritage du général de Gaulle : la participation com­muniste au gouvernement de la France, l'installation insensée de communistes à quelques-uns des plus hauts postes de l'État. L'al­liance avec le communisme avait en 1942-1945 procuré au général de Gaulle le moyen -- et lui aurait imposé l'obligation s'il avait voulu s'y dérober -- d'un écrasement politique complet de la France du Maréchal, laquelle n'était ni germanophile ni pro-nazie (ce sont les circonstances seules qui l'étaient) : la France du maréchal était essentiellement « travail-famille-patrie », elle était pour une « révolution nationale » consistant surtout en un « re­dressement d'abord intellectuel et moral ». Cette France-là était pour le parti communiste le principal ennemi à écraser, et cet écrasement opéré ensemble est le résultat le plus éclatant de la collaboration gaullo-communiste ; il est resté le meilleur souvenir commun des anciens combattants communistes et gaullistes, et ce souvenir leur rendit facile de se retrouver à nouveau ensemble pour combattre l'OAS, liquider l'Algérie française et anéantir politiquement le peuple français d'Algérie. Mais en 1956 la IV^e^ République, dont les mérites furent fort rares, avait pourtant celui de maintenir le parti communiste et le parti gaulliste à l'écart du gouvernement. Attentifs aux évolutions de la politique et aux tendances changeantes des pouvoirs tempo­rels, les hauts et moins hauts fonctionnaires de la curie romaine renouaient alors volontiers avec les catholiques français d'esprit traditionnel qui avaient survécu aux massacres, aux proscriptions, aux confiscations de l'épuration gaullo-communiste. Sans doute communistes et gaullistes, quoique séparés, tenaient encore la presse, la radio, l'école et l'armée. Cependant leur étreinte s'était desserrée ; les fonctionnaires du Vatican, prolongeant la courbe, estimaient qu'elle se desserrerait de plus en plus. 60:912 La hiérarchie ecclésiastique suivrait le mouvement du monde, comme elle le suit (presque) toujours, et ne tarderait pas à rouvrir ostensiblement les bras aux catholiques « travail-famille-patrie » auxquels elle avait tourné le dos : -- Vous allez voir, nous disait-on dans les dicastères romains. Elles vont s'atténuer, elles vont bientôt disparaître, les conséquen­ces de la dernière guerre mondiale et de la funeste alliance avec le communisme. *La Croix* elle-même a dû subir cette situation draconienne, mais ce n'aura été qu'une servitude passagère. La presse catholique française va se dégager de ses liens hérités de la « Résistance ». L'épiscopat lui aussi, lentement, reprend son souffle... On croit souvent aujourd'hui que l'emprise communiste sur les organisations et publications catholiques de France est une consé­quence de l'évolution conciliaire, de l'ouverture à gauche de Jean XXIII, du laxisme doctrinal favorisé par Paul VI. Non point ; c'est une conséquence de la seconde guerre mondiale et de la faute historique des démocraties occidentales, dénoncée par Soljénitsyne comme une erreur absolue et comme un crime inexpiable : l'al­liance avec l'URSS, la collaboration avec le communisme, entraî­nant dans le monde entier une promotion morale de la propagande et de l'appareil communistes. Aux dernières années du pontificat de Pie XII, les observateurs, les diplomates, les administrateurs du Vatican s'imaginaient que la page était en train de tourner sur cette faute historique. A la secrétairerie d'État le langage était, comme il convient à ce qu'était déjà devenue cette officine, beau­coup plus cynique : -- *Voyez comme Fabrègues s'en est tiré. Il était pétainiste. Il a bien réussi à se dédouaner. Faites donc comme lui.* Nous n'avions nullement le goût ni l'intention de faire comme Fabrègues. Nous ne pouvions cependant prévoir en 1956-1958 que tout ce qu'avait fait Fabrègues pour « se dédouaner » ne lui servirait finalement de rien, et qu'à la fin des fins il serait vidé de la *France catholique* et lui aussi désigné et marginalisé comme un intolérable extrémiste de droite et un irrécupérable intégriste tellement l'épiscopat et la presse catholique, au lieu de se dégager, s'enfonceraient davantage et toujours davantage dans l'ouverture à gauche et la connivence avec le communisme. 61:912 Le retour au pouvoir du général de Gaulle donna un moment naissance aux espoirs illusoires de 1958-1959. Il apparut assez vite que ce second règne venait rétablir et aggraver ce que le premier avait eu de pire, l'ostracisme contre la France du Maréchal et contre la tradition « travail-famille-patrie ». Le général de Gaulle opéra sans doute un renforcement nécessaire (mais aveugle et fragile) du pouvoir exécutif au-dessus des assemblées et des partis. Il en fit un usage surtout atroce, pour la seconde fois, complétant par l'écrasement du peuple français d'Algérie ce qu'il avait déjà fait par l'écrasement de la France du Maréchal. Par l'un et l'autre écrasement, il a politiquement anéanti ce que l'âme française avait de plus ancien et de plus jeune, ce qu'elle conser­vait de plus traditionnel et de plus dynamique. Le déboisement civique français, le déracinement intellectuel français, l'actuel désert moral français sont l'œuvre des deux règnes du général de Gaulle. Après quoi il ne restait plus que ce qu'il nommait lui-même la *chienlit,* il pouvait en effet la nommer exactement, il était le mieux placé pour cela, l'ayant lui-même suscitée et installée par l'élimination de tout ce qui aurait pu la contenir et la résorber. Ces histoires peuvent paraître anciennes. Elles sont ordinaire­ment oubliées ou méconnues, radicalement déformées par les fables que véhiculent l'école, l'université, la presse, les radios, la TV. Pourtant elles pèsent sur nous, elles commandent encore notre présent et notre avenir. Pie XII avait prophétiquement raison quand en 1939, à la veille de la seconde guerre mondiale, il lançait son dramatique avertissement : « *Sans la guerre, tout peut être sauvé ; avec la guerre, tout peut être perdu.* » Cette guerre mal engagée, mal conduite, mal terminée -- mal engagée et mal conduite par tous les belligérants sans exception, tous sans exception absurdes et criminels, mal terminée par l'aveuglement des vainqueurs occi­dentaux et la perfidie des vainqueurs communistes -- cette guerre mauvaise hypothèque aujourd'hui encore le destin de l'humanité. 62:912 Même l'Église y a perdu ce qui lui restait de défenses intérieures (déjà minées par les maçonneries et le modernisme), Pie XII quasiment seul demeurant ferme et fixe dans la raison naturelle et la lumière surnaturelle. Mais Pie XII mort, les hommes d'Église, même ceux qui avaient fait leurs études ecclésiastiques à Rome sous son pontificat, s'affranchirent de son exemple, de ses enseigne­ments, de son souvenir. \*\*\* La mort de Pie XII en effet a marqué le début d'une période tragiquement mystérieuse dans l'histoire de l'Église. Au début rien ne semblait avoir changé ; rien de grave. Chez les fonctionnaires romains, des concierges aux cardinaux, ce n'était qu'une voix : -- Avec une autre manière, ce sont toujours la doctrine, la pensée, le gouvernement de Pie XII qui continuent. C'était au contraire l'identité même du catholicisme qui allait commencer à s'effacer. Les idées nouvelles n'étaient pas nouvelles elles sont toutes inscrites dans le Syllabus de 1864, catalogue dressé par Pie IX des erreurs modernes. Leur installation dans l'Église et jusque dans la hiérarchie apostolique n'était pas nouvelle non plus : *in sinu gremioque Ecclesiae,* avait dit saint Pie X. La nou­veauté radicale était que, pour la première fois, le saint-siège n'y résistait plus. En quelques années, il ne resterait presque plus rien de la prière commune, de la doctrine commune de l'Église : il n'en resterait presque plus rien dans les communautés catholiques dociles aux directives des publications et organisations les plus soutenues par l'épiscopat. Ces mots eux-mêmes, « doctrine com­mune », « prière commune », qui disaient tout naguère, ne disaient plus rien aux nouvelles générations de prêtres, aux religieux et religieuses recyclées, à la jeunesse des aumôneries de lycée et des mouvements d'action catholique. D'un bout à l'autre de l'Église universelle, pour la première fois depuis toujours, on cessait plus ou moins vite, mais finalement on cessait à peu près partout d'en­seigner les trois connaissances nécessaires au salut. 63:912 Prêtres, caté­chistes et enfants des catéchismes communient maintenant dans une même ignorance, dans un même analphabétisme religieux, ils ne savent plus qu'il y en a trois ni en quoi elles consistent, ni qu'elles sont nécessaires au salut éternel dont au demeurant on ne parle plus. Subsistent ici ou là, et grandissent, quelques îlots, quelques buttes-témoins, quelques survivances : quelques grains de sénevé qui croissent au rythme presque imperceptible des germi­nations. Mais le grand arbre est comme mort. Voilà le changement le plus important, le plus extraordinaire de ces vingt-cinq années. Nous l'avons dit en novembre dernier. Redisons-le : -- Il y a seulement vingt-cinq ans, on pouvait entrer au hasard dans n'importe quel édifice affichant les signes extérieurs d'une église catholique, il fallait sans doute passer à côté d'une table de presse garnie d'imprimés intellectuellement dégoûtants, mais une fois franchie cette zone liminaire, on trouvait à coup sûr une messe visiblement valide, un prêtre disposé à vous entendre honnê­tement en confession et à vous administrer le sacrement de péni­tence selon les lois et critères de la religion catholique. Les excep­tions étaient des accidents qui faisaient scandale, signalés de très loin à la méfiance et à la réprobation des fidèles. Aujourd'hui c'est la chienlit à l'église comme dans la rue, au catéchisme comme à l'école, dans la liturgie comme dans les téléfilms et variétés des trois chaînes. On ne peut plus entrer les yeux fermés dans un bâtiment ou une institution catholique pour y demander un prêtre ; on ne peut plus aller de confiance à la messe d'une paroisse que l'on ne connaît pas. Même en présence du pape Jean-Paul II, lors de son voyage en France, la chienlit liturgique, avec ses refrains et ses pantomimes de music-hall, s'est étalée en spectacle, sûre de n'être ni interrompue ni réfrénée. Si bien que, nous l'avons déjà remarqué, à la question : -- *Où est présentement l'Église ?* la réponse ne va plus de soi ; elle n'est pas devenue impossible, mais elle n'est plus immédiatement évidente. Elle est objet de supputations indécises, de contestations interminables. A la question : 64:912 -- *Qu'est-ce qui est catholique, qu'est-ce qui ne l'est pas ?* la réponse aujourd'hui est sociologiquement inaudible, psycholo­giquement incertaine, hiérarchiquement inexistante. Selon *La Croix* des 4 et 5 janvier, voici le message de l'évêque Matagrin : «* La démocratie reste à inventer. *» Indigente en elle-même dans n'im­porte quelle bouche ou sous n'importe quelle plume, cette sentence devient-elle religieuse par la vertu d'un transit épiscopal ? On n'en­seigne plus les trois connaissances nécessaires au salut dans le diocèse de l'évêque Matagrin, on y a enseigné au contraire, comme « rappel de foi », qu'à la messe « il s'agit simplement de faire mémoire », et l'ordinaire du lieu proclame cette bonne nouvelle la démocratie reste à inventer. Subsidiairement, le même docteur, selon la même source, prononce un double refus articulé en une inacceptable symétrie : «* Non très ferme au capitalisme qui aboutit à l'impérialisme de l'argent, non très ferme au communisme destruc­teur des libertés. *» L'évêque Matagrin, même après les analyses (entre autres) du P. Fessard, n'aperçoit pas que l'opposé du com­munisme n'est pas le capitalisme ; ou, plus exactement, que le capitalisme n'est l'opposé du communisme que dans la propagande communiste, c'est-à-dire dans le mensonge communiste. La symétrie matagrine véhicule ce mensonge ([^4]). 65:912 Toute la pastorale nouvelle de la hiérarchie ecclésiastique se veut ouverture au monde, pré­sente aux réalités terrestres, attention aux signes des temps : mais elle consiste en fait à tenir pour vrais des signes, des réalités, un monde qui sont imaginaires, mis en scène par la terminologie et le cinéma communistes, mensonges préfabriqués du communisme garantis et propagés désormais par tout le discours de l'évolution conciliaire. Que la plupart des évêques soient davantage victimes que complices d'une telle confusion, c'était l'avis d'Henri Charlier ; mais cela n'arrange rien. L'épiscopat français est à cet égard exemplaire. Depuis vingt ans il nous a enseigné que les concepts de nature et de personne ne peuvent plus être aujourd'hui ce qu'ils étaient au V^e^ siècle ou dans saint Thomas ; que le monde ayant changé, le message du salut doit changer semblablement lui aussi ; que ce fut une déplo­rable survivance du paganisme d'aller demander à Dieu dans la prière ce que le paysan moderne demande à l'engrais ; qu'une nouvelle théologie, nommée théologie des réalités terrestres, doit remplacer l'ancienne, en prenant désormais pour principes les considérations pastorales de la constitution conciliaire *Gaudium et spes*. Quand on a ainsi tout saccagé intellectuellement, tout déboisé, tout nivelé, bien sûr alors il ne demeure rien de « crédible », -- sauf le communisme. \*\*\* Comme en 1956, le journal *La Croix* est en France l'unique quotidien catholique de dimension nationale. Comme en 1956, ce journal a pour mission d'imposer son *monopole* tout en se récla­mant du *pluralisme.* Le « pluralisme », ainsi que l'indique son nom, n'est pas la PLURALITÉ. 66:912 La pluralité est une réalité, qui existe ou n'existe pas ; le pluralisme est une idéologie ; et de surcroît, cette idéologie a pour effet habituel de limiter la pluralité beaucoup plus que de l'assurer. (De la même façon que le libéralisme, Maur­ras l'a démontré, est destructeur des libertés réelles.) Je ne connais aucun « pluralisme » depuis 1945, politique ou religieux, qui ait admis en sa pluralité les hommes et les idées de « travail-famille-patrie ». La direction de *La Croix* et le noyau dirigeant de l'épiscopat rejettent l'éventualité d'*un* parti catholique, disant qu'il y a des catholiques dans tous les partis et qu'il est bon qu'il en soit ainsi ; mais ils tiennent simultanément à ce qu'il y ait un quotidien catho­lique et un seul. Ce quotidien fait objectivement écho aux som­maires les plus remarquables de la revue *Esprit* et aux campagnes les plus importantes de l'hebdomadaire *Témoignage chrétien,* c'est de l'information. En vingt-cinq ans il n'a pas une seule fois fait objectivement écho, non, PAS UNE SEULE FOIS EN VINGT-CINQ ANNÉES, à un sommaire, une campagne ou un article de la revue ITINÉRAIRES. Comme quoi il est extrêmement utile de posséder le monopole catholique de l'information quotidienne. Si ce monopole de fait et son usage partisan n'ont pas changé depuis 1956, ce n'est point qu'il n'y ait eu d'autre part à *La Croix* une modification spectaculaire. La religion y a été mise à l'écart. Elle ne l'était point il y a vingt-cinq ans. Aujourd'hui, dans ce quotidien qui a ordinairement une douzaine de pages chaque jour, c'est le plus souvent en page 7 ou 8, ou bien 9, qu'il faut labo­rieusement aller chercher les informations religieuses, entre la page des sports et celle des spectacles. Leur place n'est ni fixe, ni hono­rable, ni aisément visible ; et rarement annoncée en première page. Pourtant c'est la seule raison de lire *La Croix.* Il n'existe en effet aucun motif technique ou idéologique de prendre *La Croix* plutôt que *Le Monde* ou *Le Figaro ;* ce sont les mêmes informations politiques et sociales, les mêmes poncifs à la mode dans la classe intellectuelle dominante, les mêmes conformismes historiques, cul­turels, démocratiques. La seule chose qui véritablement distingue *La Croix,* ce sont ses informations religieuses plus détaillées, plus fréquentes, plus rapides. 67:912 Les lecteurs qui veulent davantage de renseignements et commentaires sportifs que dans *Le Figaro* ou *Le Monde* prennent *L'Équipe ;* ceux qui veulent davantage de renseignements et commentaires religieux prennent *La Croix.* Mais dans *La Croix* de 1981, à la différence de celle de 1956, ils s'ac­coutument à considérer que les faits religieux ont une importance de cinquième ou dixième catégorie, relégués dans la mise en pages à une place si lointaine et si obscure qu'il faut vraiment les chercher pour arriver à les découvrir. Non, nous ne sommes plus en 1956 ; vingt-cinq ans ont passé. \*\*\* En 1956 nous espérions la publication du troisième secret de Fatima. Nous l'attendions pour 1960. Vingt ans après 1960, la publication n'a toujours pas eu lieu. Nous avons seulement vu Paul VI aller à Fatima, nous avons vu comment, le 13 mai 1967, il s'est dérobé à l'entretien particulier que sœur Lucie lui demandait. Trois maisons d'édition et trois docteurs ecclésiastiques se sont réunis pour fabriquer un livre fort répandu depuis deux ans ([^5]). Deux photographies y montrent « le pape Paul VI et sœur Lucie devant la foule », et « Sa Sainteté le pape Paul VI et sœur Lucie le 13 mai 1967 » : cela sans plus ressemble pas mal, est-ce que je me trompe, à un mensonge par omission. D'autre part il nous y est dit que la « troisième partie du secret n'a jamais été publiée » (p. 115) ou qu'elle est « non encore révélée » (p. 164), sans aucune allusion à la date de 1960, comme s'il n'en avait jamais été ques­tion ([^6]). 68:912 Cette omission elle aussi ressemble assez à un mensonge du même nom. Ainsi, à tous les niveaux, on traite le public catho­lique comme si l'on était sûr d'avoir enfin réussi à ce qu'il n'ait plus désormais ni mémoire, ni discernement. \*\*\* Ce qui en 1974 fit la fortune électorale du président Giscard, c'est que beaucoup pensèrent par lui sortir de la domination du mythe gaullo-communiste qui avait recommencé avec l'avènement de la V^e^ République en 1958. On se souvient que Giscard fut élu au second tour contre Mitterrand, mais on oublie que d'abord, au premier, il avait été promu contre Chaban, -- contre l'État gaulliste. Si vous me demandez avec un scepticisme appuyé où donc j'aper­çois en France la domination d'un mythe gaullo-communiste, je vous répondrai que la plupart des Français ne peuvent pas l'aper­cevoir précisément parce qu'ils le subissent dans leur mémoire his­torique faussée et dans leur conscience nationale déformée, -- même s'ils croient avoir l'esprit fort libre à l'égard du général de Gaulle comme à l'égard du parti communiste. Et je répondrai secondement par un exemple. Dans une publication de parachu­tistes, qui bien évidemment ne porte dans son cœur ni le liquidateur de l'Algérie française ni l'ennemi communiste, je lisais récemment des propos patriotiques fort honorables, mais qui se concluaient en la résolution d'éviter par-dessus tout à la France la *honte d'un nouveau Munich.* Or si les accords de Munich en 1938 furent peu brillants, ils n'étaient cependant pas un déshonneur ni la plus grande catastrophe française de ces années-là. Seul le parti communiste, d'ordre de Moscou, se prononça contre eux. C'est à partir de 1945, ou au plus tôt de 1941, qu'une mythologie gaullo-communiste réussit à s'imposer aux autres familles politiques et à leur faire admettre « Munich » et « munichois » comme des termes automatiquement péjoratifs. Pour rétablir les justes perspec­tives il suffirait de se rappeler qu'en 1940 la France connut le plus grand désastre de son histoire, par sa faute, pour être entrée en 1939 dans une guerre qu'elle n'avait préparée ni militairement, ni moralement, ni politiquement. 69:912 Si l'histoire des années 1936-1940 peut servir à quelque chose, c'est à se souvenir qu'une majorité de gauche, communistes inclus, élue sur le programme « pain-paix-liberté », nous conduisit à la guerre, à l'invasion, à la défaite, à l'occupation étrangère. La plus grande défaite de notre histoire, si proche de nous, comment elle advint et comment éviter de recommencer, cela devrait être le discours le plus fréquent, le plus pressant, le plus insistant que l'on tire du souvenir de ces années, à l'école et au lycée, dans les journaux et à la radio, à la télévision et au cinéma : on ne nous y parle ni du vrai 1939 ni du vrai 1940, mais d'un faux 1938, d'un Munich caricaturé et falsifié qui devient le principal événement et la plus grande calamité de ces années-là. On nous en parle comme d'une honteuse capitu­lation -- et même pas pour nous détourner d'être « munichois » en face de l'hégémonie communiste. Ainsi, dans le peu qui reste de mémoire historique au peuple français, l'influence convergente, voire conjuguée, du gaullisme et du communisme a déformé à la fois les faits eux-mêmes et les critères selon lesquels les juger. On dit que le président Giscard n'a pas pu en affranchir l'État, les media et l'opinion autant qu'il l'aurait voulu. Mais rien ne l'obligeait aux paroles et aux gestes symboliques qui faussent l'esprit public et pourrissent l'âme d'un peuple. Non seulement il est allé à Moscou comme le général de Gaulle, mais, ce que le général de Gaulle lui-même n'avait point fait, il y a fleuri et vénéré la tombe de Lénine. Rien ni personne ne l'obligeait à proclamer que Mao-Tsé-Tung a été « un phare de la pensée mondiale ». Si le président Giscard a déplacé quelque peu le joug idéologique de la mythologie gaullo-communiste, ce fut en définitive pour y di­minuer la part du gaullisme et y augmenter celle du communisme. Parallèlement à la fortune électorale du président Giscard, on vit grandir la fortune journalistique du président Hersant. Il opérait une brillante percée dans le monde clos de la presse « issue » (issue de la spoliation et de l'écrasement politique de la France du Maréchal). 70:912 Cela semblait annoncer l'entrée en ligne d'un groupe de grands et gros journaux qui culbuteraient les thèmes intellectuels et l'histoire maquillée imposés par le gaullo-communisme. Mais ce que l'on ne savait pas, ce que sa période de chance avait dissimulé, c'est qu'en réalité le président Hersant a le mauvais œil. A partir du moment où le jeu devenait sérieux, il joua Chirac, Giscard, Pauwels : toujours le mauvais cheval. Passablement doué pour l'argent et pour l'intrigue, pour la gestion et même accessoirement pour l'écriture, il se révèle un personnage sans principes, sans doctrine, sans idées, sans racines dans la tradition nationale et religieuse de la France. Il est au demeurant vraisemblable que les pragmatiques du type Giscard-Hersant ont fini par apercevoir à leur niveau quelques symptômes et conséquences d'un certain changement capital qui s'est produit dans ce quart de siècle. En 1956, il y avait le danger grandissant d'un communisme qui aspirait à l'hégémonie mondiale. Il y a aujourd'hui la présence asphyxiante d'un communisme qui exerce cette hégémonie. Comprenez-vous ? On est passé d'une hégémonie menaçante à une hégémonie effective. C'est pourquoi... \*\*\* Ce sont les esprits surtout qui sont captifs ; les esprits et les cœurs. Captifs, comme l'annonçait Péguy, d'un despotisme temporel colonisant jusqu'à l'espace spirituel, un despotisme infectant par son mensonge universel jusqu'à la respiration des âmes. C'est contre cet empoisonnement intellectuel, c'est contre cette captivité spiri­tuelle que nous luttons pied à pied, mot à mot, cœur à cœur. Il me semble que la plus grande erreur que nous ayons eu à combattre pendant ces vingt-cinq années a consisté en une sous-estimation permanente des forces et courants contraires qui nous dominent ; une sous-estimation de l'étendue, de la profondeur d'une décomposition générale. 71:912 Une vue plus exacte aurait suscité des ré­solutions plus vives, une mobilisation plus ardente, une action plus vigoureuse, un recours plus insistant aux ressources de l'ingé­niosité temporelle et de la vie surnaturelle. Eh bien ! par la croix de Jésus, par le cœur de Jésus, par la miséricorde de Jésus, tâchons d'entamer notre second quart de siècle avec toute l'intrépidité nécessaire. Jean Madiran. 72:912 ### L'esprit d'Henri Pourrat *par Henri Charlier en 1959* LE PLUS GRAND ÉCRIVAIN de langue française qui restait encore vient d'être rappelé à Dieu. Henri Pourrat est mort en la nuit du 16 au 17 juillet, dans sa maison d'Ambert. Il était peu soucieux de gloire mondaine et n'allait jamais à Paris ; aussi parlait-on peu de lui et de son œuvre et jamais aucun reflet de cette gloire équivoque faite de réclame ou de scandale qui alimente généralement la presse n'a terni la pureté de sa vie. \*\*\* On peut souffrir de cette place secondaire faite dans l'opinion à nos plus grands hommes ; on ne saurait s'en étonner : un professeur de la Sorbonne pouvait faire une histoire de la littérature française jusqu'en 1930 sans parler de Maurras, de Claudel, ni de Péguy (mort en 1914). 73:912 Une maison d'édition catholique éditait l'an passé un livre qui, dit-elle, suffirait à l'étranger qui voudrait connaître l'essentiel de notre littérature. Giraudoux, Gide, Mauriac y ont leur place. Il ne semble pas d'après le compte rendu que le théâtre de Claudel, sa poésie, celle de Péguy aient attiré l'attention de l'auteur, ni bien entendu Henri Pourrat. Cette conjonction de la Sorbonne et de l'opinion catholique pour cacher au public nos vrais grands hommes est une des tristes conséquences d'un monopole d'État sur l'enseignement. Car si la jeunesse au moins était informée par ses maîtres de nos vraies grandeurs, la presse elle-même, sélection des esprits non créateurs, ne pourrait faire écran entre notre élite et le public. Nous assistons à une véritable décadence intellectuelle de la France à qui ne sert de rien d'avoir eu les meilleurs penseurs et les meilleurs artistes du siècle qui vient de s'écouler. Il y a certainement en France beaucoup plus de lecteurs vivants de Françoise Sagan, que de Mistral, de Péguy ou de Pourrat. Et il en va de même pour les arts : dès 1900, les meilleurs ouvrages de Cézanne, de Gauguin, de Van Gogh étaient dans les musées étrangers, non dans les nôtres qui n'ont eu que les restes (ou des dons). La renommée d'Henri Pourrat est universelle alors que cet article apprendra peut-être, hélas, même à quelques-uns de nos lecteurs qu'il a écrit des œuvres qui dureront autant que la langue française. Au Canada on nous disait : « Ah si vous pouviez obtenir qu'Henri Pourrat vînt au Canada... » « Si l'Académie française pouvait le déléguer à un de nos congrès ! ... » « Pour nous qui aimons la France son « Anne-Marie » de *Gaspard des Montagnes* est le type de la jeune fille et de la femme française. » 74:912 Nous étions obligé de répondre que Pourrat fuyait les congrès et que jamais l'Académie française ne déléguerait quelqu'un qui ne sortît de son sein, qui ne l'avait pas sollicité, un homme inconnu des salons de Paris et qui n'aurait jamais le courage de faire quarante visites. Mais, dit Vialatte dans les *Visages de l'Auvergne :* « On trouve son image dans les manuels irlandais, dans les librairies tchèques, dans les tirages de luxe des techniciens allemands, de papier pur chiffon. Mais il mérite une place plus haute encore dans les annales de la nature, du cœur et de la poésie... » Et puisque la renommée universelle nous a fait avancer le nom de *Gaspard des Montagnes* disons tout de suite que cette œuvre restera, comme la Chanson de Roland, la vie de saint Louis, Gargantua, Mireille et les danses de Rameau. Et elle est tellement originale dans notre littérature qu'on ne peut la mettre à son plan qu'en la plaçant à côté d'ouvrages qui ne lui ressemblent pas. *Gaspard des Montagnes* n'est pas un roman bien qu'on y suive de bout en bout l'histoire des deux héros ; c'est un assemblage des contes d'hiver à la veillée, des souvenirs paysans d'anciens crimes, des drôleries de village arrivées jadis ou inventées, réunis avec un art très complet, très savant, très subtil autour d'une idée de grandeur, sur quelques jeunes gens d'une même génération, hardis, bien vivants, *et honnêtes.* Le personnage qui donne au livre son titre, Gaspard des Montagnes, est un de ces héros populaires vif dans la pensée, hardi dans l'action comme l'a été Ulysse pour les Grecs, 75:912 comme l'ont été les héros de nos Chansons de Gestes, Roland ou Guillaume d'Orange, seigneurs parfois de trois villages et qui grâce à quelques poètes emplissent l'Histoire. Les bûcherons de l'Argonne chantent toujours sur une admirable et antique mélodie : *Ô Regnaud réveille, réveille* *Ô Regnaud, réveille-toi...* C'est le Regnaud du temps de Charlemagne. Et lorsqu'on leur demande si la chanson est ancienne ils disent : « Je crois bien, nos grands-pères la savaient. » Car l'histoire, pour le peuple, c'est cela : ce que racontent les grands-parents ; au-delà, malgré l'école primaire, règne une nuit indéterminée avec ces quelques lueurs indécises qui sont les souvenirs des pères. La composition de *Gaspard des Montagnes* est une réussite unique et c'est pourquoi nous la comparons aux danses de Rameau. Car celui-ci a fait arriver un grand art dans ces danses, notre tradition musicale populaire. Toutes ces bourrées, ces branles, ces tambourins, ces musettes qui depuis le fond des âges ont traduit, non sans mélancolie très souvent, les aspirations populaires à la joie, au bonheur, à l'amour sont devenues chez Rameau comme un regret du Paradis perdu et une aspiration à l'amour universel, avec toutes les délicatesses mentales du grand art. Cependant le principal personnage de *Gaspard* c'est *Anne-Marie.* Comme Chimène elle est une héroïne de l'amour et de la vertu. Mais les nécessités d'art de la tragédie en font une crise rapide. Les vertus chrétiennes qui sont au fond de l'honneur de Chimène sont supposées, sous-entendues, comme allant de soi. Dans le développement de la contée, Anne-Marie a le temps de montrer la piété d'Antigone et la simplicité de Benoîte, la bergère du Laus. Comme Péguy à la veille de sa mort elle trouve le temps d'orner de fleurs les statues de la Sainte Vierge et de faire ainsi des bouquets pour l'éternité. Elle fait la lessive comme Sœur Thérèse au Carmel, et comme Nausicaa ; elle va faner ses prés. Dieu merci, c'est une simple paysanne de France, une maîtresse de domaine, comme il y en a encore, faisant son devoir d'état avec la croix sur le cœur. 76:912 Henri Pourrat a eu l'adresse de placer l'histoire d'Anne-Marie assez loin dans le temps pour que les détails matériels ne gênent point la poésie. Comme le dit Racine dans la préface de *Bazajet *: « Le respect qu'on a pour les héros augmente à mesure qu'ils s'éloignent de nous. » Le temps qui a passé les dépouille de l'accidentel et dégage les souvenirs spirituels. Le vieil outil au manche poli par la main du père et du grand-père (nous nous servons nous-même des pierres à affûter et des outils de notre arrière-grand-père) parle de cent ans d'un labeur obscur et obstiné dans l'honneur des tâches bien faites. La vieille cheminée rassemble pour nous les ancêtres qui s'y chauffaient, le grand-père enfant qui tirait les pommes de terre de sous la cendre. Et ainsi des événements. Ils paraissent pour la nation et les familles comme des aurores, des midis, ou des soirs. L'histoire de Gaspard des Montagnes se passe sous le premier Empire. Pourrat a montré ce qu'il appelle les *grandes mœurs ;* ce sont les mœurs d'une société chrétienne ; elles sont oubliées, elles sont à réapprendre, elles n'ont jamais été parfaitement appliquées que par les saints ; Anne-Marie s'y essaie au milieu d'épreuves tragiques dans le train des devoirs journaliers. Ce n'est ni Chimène, ni Antigone, ni Nausicaa, c'est Anne-Marie Grange une femme de notre temps, pour notre temps, mais unique comme elles, significative comme elles, que la belle âme d'Henri Pourrat propose à l'imagination de notre jeunesse comme le modèle de ce qu'on peut et ce qu'on doit pour ramener l'Amitié dans le monde. Enfin Anne-Marie Grange est « *l'idéal de la jeune fille et de la femme française* » pour les étrangers qui nous aiment. Le charme poétique de *Gaspard des Montagnes* ne tient pas qu'à la beauté et la vérité des caractères ; il tient à un grand amour de la création et de la beauté du monde qu'Henri Pourrat exprime avec une sûreté dans le rythme musical qui l'apparente à Chateaubriand et à Virgile. \*\*\* 77:912 Cette œuvre maîtresse d'Henri Pourrat n'enlève rien à l'intérêt des autres, qui sont très diverses. *La cité perdue* est un essai provoqué par les controverses au sujet du véritable emplacement de Gergovie, c'est aussi une promenade en Auvergne. *L'épopée de Guillaume Douarre* est une biographie d'un évêque mariste à qui la France doit d'avoir pu civiliser la Nouvelle-Calédonie à la suite d'un apostolat héroïque semé de martyrs. C'est la réparation d'une injustice, car au centenaire de l'entrée de la Nouvelle-Calédonie dans la Communauté française, il n'a pas été question de Mgr Douarre. Le dernier ouvrage d'Henri Pourrat est une *Histoire des gens dans les montagnes du Centre.* C'est l'histoire vue par les gens qui l'ont subie et qui l'ont faite, dans l'air du temps. « Au pas-par-pas des bœufs, les araires de bois gris piaulent comme des pipeaux. Chantant puis criant après les bêtes et reprenant le chant, ils labourent du lac rouge de Saint-Hilaire à la Montagne de Bar. Les pèlerins retournant de Terre Sainte revoient cela, la contrée tout entière en son arroi de printemps. » En tous ces ouvrages si divers Henri Pourrat garde les mêmes qualités poétiques du style et le sens profond du besoin d'amour de l'homme. \*\*\* Mais nous ne faisons ici qu'un *Memento* et non une étude littéraire. Un grand écrivain vient de retourner à Dieu après avoir dans toute son œuvre chanté la création et appelé les hommes à l'amitié. Il ne faut pas croire qu'il sera facilement remplacé ; qu'on aura sûrement tout de suite d'autres grands écrivains. Il y a des trous dans l'histoire littéraire des peuples. Dieu peut combler ce trou quand il voudra. Mais il peut aussi se lasser de donner des grands hommes à une nation qui les néglige, les laisse inutilisés ou les fait mourir en prison. 78:912 Le gouvernement suédois a jadis commandé à Selma Lagerlöf un écrit destiné aux écoles pour apprendre aux enfants l'histoire, la géographie, les beautés et les grandeurs de leur pays, quelque chose comme ce *Tour de France de deux enfants* qui servait de livre de lecture dans notre jeunesse. (Il fut mit au goût du jour par les générations successives, on y supprima Dieu, l'Église, le Dimanche.) Sur ce programme Selma Lagerlöf a fait un chef-d'œuvre : *Le merveilleux voyage* de *Nils Holgerson* qui je pense est dans toutes les bibliothèques des hommes cultivés de France et dans toutes celles des enfants. Un jour au sujet de *Gaspard des Montagnes* Daniel Halévy me dit : « Voilà un livre que le gouvernement devrait acheter pour le mettre dans toutes les bibliothèques scolaires des écoles et lycées de France. » Mais nos gouvernements étaient bien incapables de penser, sinon de travers. Il fallait aussi empêcher les enfants de jeter des bouquets dans l'éternité. \*\*\* Je suppose -- ne la lisant pas -- que la grande presse a fait petit état de la mort de Pourrat. Mais des milliers de montagnards du Livradois et des Monts du Forez sont descendus à son enterrement, conscients qu'un homme de chez eux avait magnifié et éclairé de la lumière de l'esprit non seulement leur petite patrie, mais les aspirations confuses que Dieu a déposées dans l'âme « de tout homme venant en ce monde ». Henri CHARLIER. 79:912 Table des articles De mars 1986 à juin 1996 \[Voir Table.doc\] 95:912 ## DOCUMENTS ### Témoignages à l'occasion du 40^e^ anniversaire Jean Michel\ dans « Présent » du 30 mars Dans l'ouvrage que lui a consacré Danièle Masson ([^7]), cette dernière raconte comment, pourquoi et en quelles circonstances Jean Madiran eut l'idée de fonder *Itinéraires.* Le monde contem­porain, qui a renié toute piété filiale, a remplacé la gloire de Dieu par celle de l'homme. Avec cette terrible conséquence : « Ni Platon ni Maurras n'avaient imaginé une barbarie aussi lourde que la barbarie d'aujourd'hui. » Dans les ténèbres gran­dissantes de cette barbarie moderne, dans la fange épaisse et envahissante qui en découle, Jean Madiran fonda en mars 1956 *Itinéraires,* afin de maintenir un phare, une oasis de lumière où des esprits libres, éclairés et fidèles, pourraient témoigner en toute loyauté. Témoigner contre l'impiété et les impostures du temps présent. 96:912 Témoigner pour la vérité des évangiles, afin de transpercer le plus possible la gangue dure et opaque de ce « monde clos du mensonge » en train de nous recouvrir. Entreprise cruciale s'il en est, mais ô combien périlleuse en une époque où les hommes ont plus que jamais « bien moins d'amour pour la vérité que le monde et le démon n'ont de haine pour elle ». Reprenant l'injonction de Pie XII, « c'est tout un monde qu'il faut refaire depuis ses fondations »*, Itinéraires* jette depuis quarante ans les bases de cette refonte nécessaire des esprits, qui passe inévitablement, et fondamentalement, par une réforme intellectuelle et morale. Dans cette entreprise chevale­resque pour freiner la décadence, l'arrêter et peut-être en inver­ser le cours, *Itinéraires* est l'outil indispensable, capital, qui apprend à ceux qui combattent pour l'avènement des temps meilleurs *à mieux penser pour mieux agir*. C'est ce que nous disent, chacun à sa manière, les articles qui célèbrent, dans ce supplément littéraire, le quarantième anniversaire d'*Itinéraires,* et dont les auteurs ont fait, un jour, une rencontre décisive avec la revue de Jean Madiran. Danièle Masson\ *extrait de son livre :* « *Jean Madiran* » L'été 1955, pendant qu'il écrivait *Ils ne savent pas ce qu'ils disent,* s'imposait à Madiran l'idée d'une revue catholique. Elle s'imposait d'abord à cause de l'apartheid et de l'ostracisme auxquels étaient soumis les catholiques refusant l'impos­ture. Dans ses deux premiers livres, il remarque souvent, avec une ironie teintée d'amertume, qu'il est accusé d'écrire « sans mandat », et que ces deux mots dispensent de tout autre argu­ment et suppriment tout dialogue. Il est réduit à parler « en spec­tateur en matière de doctrine sociale », et même à se taire sur « ces choses mystérieuses dont un catholique supposé de droite n'a aucun droit de parler s'il n'en a reçu un impératif mandat ». 97:912 Et, puisque la « presse catholique » existante est sélective et exclusive, Madiran lance un défi bien dans sa manière, provo­cation-invocation qu'il faut prendre, aussi, à la lettre : « Les évêques seraient très heureux que s'étende l'éventail de la presse catholique. » Salleron répond : « Madiran a fait un rêve et j'en suis. » Il allait avoir quatre collaborateurs réguliers -- Henri Charlier, Marcel Clément, Louis Salleron, Henri Pourrat -- et quatre occasionnels -- Henri Massis, Marcel De Corte, l'amiral Auphan et Jean de Fabrègues (mort-né, puisqu'il ne donna pas un seul article). La perspective d'*Itinéraires* allait contre l'opportunisme commun au machiavélisme, au communisme, au progressisme chrétien. Se rappelant le mot d'André Charlier : « Le souci de la perfection est ce qu'il y a de plus pratique au monde », écho du précepte évangélique : « Ne vous souciez pas de ce que vous aurez à dire », il ne choisit pas une stratégie précise. Sim­plement, le premier numéro paraît en mars 56, quelques mois avant la révolte hongroise, qui justifie et renforce sa volonté d'agir contre le désordre établi, pour un anti-communisme méthodique. Il n'est pas indifférent, certes, à l'efficacité, à l'im­pact nécessaire : il est très nécessaire d'espérer pour entre­prendre. Mais il y a une tâche à accomplir, voilà tout ; le reste, c'est le surcroît, et Dieu s'en chargera. Et l'on ne peut manquer d'établir un parallèle entre l'attitude du paysan telle qu'il l'évoque à la fin d'*Une autre chevalerie naîtra *: « Le paysan sur son champ, lorsque monte l'orage, continue à tracer son sillon droit devant lui, parce qu'il sait bien qu'il n'a pas autre chose à faire que de tracer son sillon, à la grâce de Dieu », et les lignes qui achèvent l'article de Madiran, dans le premier numéro d'*Itinéraires :* « Cela servira bien à quelque chose. Cela servira peut-être à nos prochains, les plus proches ou les plus lointains. Peut-être à la France. Peut-être à rien ; à la grâce de Dieu ! Mais nous n'avons pas autre chose à faire, et nous ne pouvons pas faire autrement. » Ce rendez-vous involontaire avec la révolte hongroise, en effet, imposait à *Itinéraires* d'avoir pour exigence « incontour­nable » et prioritaire la résistance au communisme. Il s'agissait de « ne laisser aucun mensonge communiste sans réfutation », ce qui impliquait « une presse quotidienne », appel lointain de ce que serait, vingt-six ans plus tard, *Présent.* Et de dénon­cer l'imposture des « objectifs précis » et des « réformes concrètes ». 98:912 Il est étrange, d'ailleurs, de constater que les com­munistes, avec une efficacité souveraine, se servent simultané­ment ou successivement du mensonge et de la vérité. Du men­songe, pour amadouer les imbéciles, puisque, pour un révolu­tionnaire qui veut faire table rase, le réformisme est nocif. De la vérité, puisque Lénine déjà affirmait qu'il faut frapper sur la plaie de la misère ouvrière et non la guérir, ce qui serait du réfor­misme. (...) *Itinéraires* se présente, d'emblée, comme « chroniques et documents ». Qu'est-ce à dire ? Les collaborateurs d'*Itinéraires* seront « chroniqueurs et non docteurs. Chroniqueurs et non pamphlétaires ». Ils pourront être théologiens ou philosophes, et parler en tant que tels ; mais il ne leur sera pas demandé de faire un traité de théologie ou de philosophie. La chronique est conçue non comme la récréation de l'historien, mais comme une réflexion d'actualité à la lumière de la doctrine de l'Église. Elle exige de « chercher à fixer quelques instants de la couleur du temps qui passe et une conscience qui s'efforce au *sentire cum Ecclesia* ». Car il ne s'agit pas d'enseigner : c'est l'Église qui enseigne. L'esprit du chroniqueur est diamétralement opposé à l'attitude du « nouveau prêtre » qui se forge une conception de sa mission ail lieu de la recevoir du Père, et qui s'annexe, ainsi, l'Évangile. La chronique des idées et des faits est un exercice de fidélité et de loyauté. Il s'agit d'être « un chroniqueur qui ne cache pas son jeu ». Chroniqueur comme Xénophon, ou comme Platon. Chro­niqueur comme Joinville, ou même saint Matthieu et saint Luc. Autrement dit, l'exigence d'être des témoins éclairés ; et de transposer l'esprit de chevalerie qui « consiste à vivre simple­ment en chrétien son état de vie ». Yves Daoudal\ *dans* « *Présent* » *du 30 mars* Comme je n'ai pas la moindre mémoire des dates, je suis incapable de dire exactement quand j'ai connu *Itinéraires.* Pourtant la revue de Jean Madiran a joué non seulement un rôle important dans ma vie intellectuelle et spirituelle, mais aussi un rôle déterminant dans ma vie professionnelle : puisque c'est par *Itinéraires* que je suis venu à *Présent.* 99:912 J'ai connu *Itinéraires* peu après ma « conversion », ou plutôt mon retour à la foi catholique. Par un cheminement personnel sans liens avec la mouvance dite « traditionaliste ». Jusqu'à l'inévitable convergence avec les milieux qui voulaient garder l'intégrité de la foi et de la liturgie, où l'on me parla de la revue de Jean Madiran, qui était fort intéressante quoique souvent écrite « au vitriol ». Comprenant parfaitement que, dans l'état où je retrouvais « l'Église qui est en France », on use de vitriol pour faire entendre sa souffrance, cela ne pouvait qu'accroître ma curiosité. Et je découvris donc *Itinéraires*. Et ce fut une sorte de révélation. J'entends par là ce sentiment de plénitude et de joie intellectuelle qui naît de ce qu'on lit ce que l'on pense, ce que l'on croit profondément vrai, mais beaucoup mieux exprimé et plus précisément exposé que ce que l'on aurait pu dire. Avec des brumes qui se dissipent et des rayons de lumière qui s'affir­ment à chaque page et à chaque numéro. Et avec cet émer­veillement naïf du néophyte qui n'imaginait pas qu'une telle revue pût exister, et exister en quelque sorte spécialement pour lui. Mais voici que bientôt, à force de lire ce qu'il pensait, le néophyte se mit à avoir la plume qui le démangeait. Car, se disait-il, voici telle et telle chose qui me passe par la tête et qui s'inscrirait bien dans le contexte. Ainsi, le néophyte se décida-t-il un jour à envoyer un texte de son cru. Sans guère d'illu­sion, et en tremblant, car, à lire les éditoriaux et les chroni­ques de Jean Madiran, le personnage paraissait peu com­mode. Mais voici que l'article parut. C'était en février 1979 (la date n'est pas dans ma mémoire, elle est sur le numéro). J'y parlais du poisson de saint Corentin. Parce que je venais de comprendre, comme dans un éclair spirituel, la profondeur de signification spirituelle de la « légende ». Quand j'étais enfant, on vendait, à la sortie de la cathédrale de Quimper (et des autres églises du diocèse), des gâteaux en forme de poisson, le dimanche où était solennisée la fête de saint Corentin. 100:912 Je crois bien qu'aucun prêtre alors, ni en chaire ni au catéchisme, ne m'avait expliqué le symbolisme de ce poisson dans sa fontaine, dont le vénérable évêque mangeait chaque jour la moitié et qu'il retrouvait intact le lendemain. De cette parabole sacramentelle et particulièrement eucharistique (il y a aussi l'épisode où la chair du poisson est partagée entre plusieurs convives, comme si elle était multipliée, etc.), il ne restait qu'une sorte de coutume folklorique. Or il y avait là un exemple éclatant de ce qu'une « légende » peut être plus pro­fondément *vraie* qu'un fait historique avéré. Naturellement, la publication de mon article sur le symbo­lisme du poisson de saint Corentin ne put que m'enhardir à envoyer d'autres textes à *Itinéraires.* Ainsi parurent neuf articles, au fil des numéros, et voici qu'arriva 1981. Et par *Itinéraires* j'appris le projet de création de *Présent.* Je fus le premier, je crois, avec Rémi Fontaine, à me présen­ter, à peine débarqué de ma Bretagne, au 5 rue d'Amboise. Accueilli par le sourire de Zita de Lussy, avant de me retrouver devant l'impressionnant et intimidant aréopage des fondateurs du journal. C'était le 11 novembre 1981, et cette date est l'une des très rares dont je me souvienne. A juste raison, puisque depuis ce jour-là je suis à *Présent,* et que je n'étais jamais resté nulle part si longtemps. Ce qui m'a donné tout le temps de découvrir Jean Madiran, et d'être plus impressionné par sa capa­cité à réagir à l'événement en mettant immédiatement le doigt sur l'essentiel, que par le « vitriol » de ses écrits. 101:912 Et ce n'est pas tout. *Itinéraires* est encore à l'origine d'un autre changement dans ma vie. En 1985, j'y avais fait paraître une recension critique d'un livre qui dénonçait la « gnose » tous azimuts, avec une forte propension à la débusquer où elle n'est pas. Il se trouve que dans cet article je citais à plusieurs reprises des textes parus dans une autre revue, *La Pensée Catholique.* Le directeur de cette revue, l'abbé Luc Lefèvre, me fit venir dans son bureau, pour me féliciter et me remercier de cet article. Car j'y citais de façon élogieuse -- à dessein, bien entendu -- un collaborateur de *La Pensée Catholique* qui était par ailleurs dénoncé de façon virulente comme « gnostique » par l'auteur du livre. Je rencontrai ensuite quelquefois l'abbé Lefèvre, qui avait plus de 90 ans, et qui me demanda si j'accepterais de prendre la direction de la revue, conjointement avec un prêtre du Pas-de-Calais, l'abbé Julien Bacon. Perspective qui demeurait théo­rique, jusqu'à ce que sur son lit de mort, en avril 1987, l'abbé Lefèvre me dise dans un souffle : « C'est vous qui ferez le nu­méro de mai-juin. » Me voici donc, aujourd'hui, par *Itinéraires,* membre du conseil éditorial de *Présent* et, par *Itinéraires,* rédacteur en chef de *La Pensée Catholique.* On comprendra que ce 40^e^ anniver­saire ne me laisse pas indifférent... Nicole Delmas\ « *Si mes yeux pouvaient parler* » ([^8]) *-- *Voulez-vous travailler avec moi à *Itinéraires ?* Je vous apprendrai. J'avais entendu parler de la revue, je ne connaissais rien aux corrections typographiques, mais j'aimais la langue française et les yeux qui m'interrogeaient étaient si beaux... Alors, j'ai appris. 102:912 J'ai appris à respecter *scrupuleusement* la ponctuation de Jean Madiran (que d'audace, incon­sciente, j'ai manifestée quel­quefois, mais... j'étais jeune. Pour les accents, il me fait confiance) depuis 23 ans. J'ai appris l'économie avec Louis Salleron et la peinture avec Bernard Bouts. Que la terre est belle et l'homme à sa place les deux pieds sur la terre, avec Gustave Thibon. (Pour les 20 ans d'*Itinéraires,* je servis d'hôtesse à son stand et pus apprécier l'exquise gentillesse de ce monsieur si simple et si savant.) J'ai appris à me fondre dans la grandeur de Dieu avec D. Minimus et à le remercier d'avoir créé le Beau avec Henri Charlier. J'ai éclaté de rire, assise dans l'ombre de Jacques Perret sur un banc du Jardin des Plantes, en train de croquer l'autre qui passe. Avec toujours, à la fin, cet insupportable... A suivre. De tous ces manuscrits -- qui sans *Itinéraires* n'auraient peut-être jamais été publiés -- combien en ai-je lus, sur deman­de (pour certains décryptés), et relus, par plaisir, tel avec son orthographe... qui lui était si spéciale, tel autre à l'écriture appli­quée et aux recensions tellement claires (merci Georges Laffly). Et Marcel De Corte si à l'aise dans les vertus, et Gustave Corçâo dont je citais des phrases autour de moi, et Dom Gérard, cher Dom Gérard, qui transforme en prières tout ce qu'on lui confie, et... Je pense être celle qui a lu le plus attentivement chaque écrit, essayé de comprendre chaque phrase, voulu respecter chaque texte. Qu'ils me pardonnent ceux que j'aurais un jour trahis par une correction mal venue. Si mes yeux pouvaient parler, ils diraient : merci d'être invitée au banquet ; ils prieraient avec ceux qui, là-haut, inspirent la revue. -- Voulez-vous travailler avec moi ? -- Oui, toujours. Robert Le Blanc\ Mon premier verre de Madiran\ *dans* « *Présent* » *du 30 mars* Je n'étais pas encore bachelier quand j'ai découvert Madiran, et ce ne fut pas par *Itinéraires.* Dans mon souvenir surgit très nettement un titre, à la « une » de La Nation française : « Noël au cardinal Otta­viani ! » 103:912 (J'ai ressenti la même impression, plus récemment, devant un autre titre exclamatif, jaculatoire, de Madiran, emprunté cette fois à Claudel : « Délivrance aux âmes captives ! » Mais l'auteur, qui ne collectionne pas ses articles, n'en a aucun souvenir, et nous ne l'avons pas retrouvé.) Je revis facilement mon enthousiasme d'adolescent à la lec­ture de ce bref article. L'année 1962 avait été une des plus sombres de l'Histoire de France. N'était-ce pas, d'ailleurs, la fin de l'Histoire de la France, puisque une large partie de sa popu­lation avait déclaré qu'elle se désintéressait d'une autre partie, celle qui vivait en Algérie ? Et voilà que l'ouverture d'un concile donnait lieu à un déchaînement de l'intelligentsia contre les défenseurs de la foi catholique, symbolisés par le cardinal Ottaviani, préfet du Saint-Office, qui aggravait son cas en demandant une nouvelle condamnation du communisme. Oui, sombre époque, dont je n'ai pas le moindre regret : le *politiquement correct* d'aujour­d'hui n'est qu'une forme atténuée (mais étendue aux mœurs) de ce qu'était l'oppression des esprits en 1962. Pas un grand organe français n'eût alors ouvert, ne fût-ce que son courrier des lec­teurs, à la moindre contestation venue de droite : la collusion de la Gauche et du Gaullisme dressait un mur de béton. Et là, dans l'hebdomadaire tout hérissé de noir de Pierre Boutang, un homme jeune se levait pour défendre le vieil Ottaviani et pour dire leur fait aux clercs dominants. Des amis m'ont retrouvé le texte (merci, R.L. et J.-P.A. !) (*...*) *On dirait parfois que le seul reproche à faire encore au communisme est d'avoir mis des évêques en prison. S'il les déli­vrait, et les laissait venir au Concile, il n'y aurait donc plus de grief ?* (*...*) *Le communisme a mis sur pied le système le plus com­plet, le plus atroce, le plus parfait d'aliénation et d'exploitation de l'homme par l'homme. Chrétiens ou non, les hommes qui subissent le communisme sont les plus pauvres parmi les pau­vres du monde contemporain. Une dérision diabolique nous les présente au contraire comme les heureux bénéficiaires de pro­grès inédits. Et dans l'Église même, plusieurs le croient un peu, et un peu plus chaque jour.* 104:912 *Le cardinal Ottaviani est aux yeux de tous ce roc dans la tempête, qui maintient pour les pauvres l'amour de la vérité et la vérité de l'amour. Ceux qui se gorgent du sang du pauvre, ils auraient peut-être tout à fait réussi à se faire prendre pour des philanthropes, s'il n'y avait eu le cardinal Ottaviani pour appe­ler mensonge le mensonge, et crime le crime.* On le lui fait payer, sans doute. Mais voici Noël, voici l'Enfant qu'attendaient les Prophètes « depuis plus de quatre mille ans », voici le chant des Anges, et l'heure des Béatitudes. Noël au cardinal Ottaviani, défenseur des pauvres dans l'Église. La petite fille Espérance relevait donc la tête à la fin de l'ar­ticle. On se doute qu'après ce premier verre de Madiran je suis devenu un lecteur assoiffé d'Itinéraires. Jean-Claude Absil\ dans « Présent » du 30 mars J'ai découvert *Itinéraires* il y a trente-cinq ans exactement, de façon fortuite. Fortuite ? Non, providentielle. En mars 1961, les mœurs, si dégradées qu'elles fussent, déjà, ne présentaient pas encore le tableau de l'effrayante incitation officielle à la luxure (il n'était question ni de propagande pour la contraception ni de liberté d'avortement), la famille était encore relativement respectée et, dans l'enseignement secondaire où je faisais mes débuts, les professeurs ne se souciaient guère de pédagogie « inductive », ni « d'activités de décloisonnement » mais enseignaient le français, le grec, le latin, l'histoire... et de solides mathématiques « euclidiennes ». Pourtant, quelques mois auparavant, des grèves révolution­naires, des émeutes et même des actes de sabotages criminels, suscités par des agitateurs professionnels socialo-communistes, avaient paralysé presque totalement les activités économiques et administratives de la Belgique et accentué le profond malaise qui régnait dans ce pays depuis les dramatiques événements de l'été 1960 et la folle indépendance du Congo belge. 105:912 Avec quelques amis, jeunes professeurs et étudiants pour la plupart, ressentant tout l'*angor patriae,* nous étions entrés en rap­port avec la Cité catholique et nous avions créé, dans quelques villes universitaires, des cercles d'études Verbe, où nous étu­diions *Le marxisme-léninisme,* de Jean Ousset. L'un d'entre nous, un étudiant français, connaissait des moi­nes de l'abbaye bénédictine de Saint-Wandrille. Il nous décida à aller passer, à quelques-uns, la semaine sainte dans cette abbaye... Je me souviendrai toute ma vie de cette journée du mardi saint 1961. Le R.P. Lafont, un moine de l'abbaye, que j'interro­geais sur les pénétrations marxistes dans les milieux catho­liques, me conseilla vivement de lire *Itinéraires* et me prêta fort gentiment une série de numéros récents de la revue. Les articles de Jean Madiran, « La pratique communiste de la dialectique » et « La technique de l'esclavage révélée par la Constitution soviétique », furent, pour moi, une « révélation » et me permirent de comprendre les méthodes de ceux qui, aujour­d'hui encore -- aujourd'hui davantage qu'hier --, veulent nous conditionner et nous jeter, au nom sans doute de la « libre pen­sée », dans l'esclavage de la pensée unique, de la totalitaire pen­sée « politiquement correcte », du soi-disant anti-racisme. Dès les mois suivants, nous étions plusieurs nouveaux abon­nés à *Itinéraires* et nous attendions, avec quelle joyeuse impa­tience, de dévorer les articles où Jean Madiran alliait à une argu­mentation dialectique imparable la clarté éblouissante du verbe, agrémentée parfois, à la manière de son maître Péguy, d'un cer­tain goût pour la répétition... et pulvérisait de façon implacable les fausses argumentations (« *corrupta ratio non est ratio* », dit saint Thomas) de théologiens séduits par le monde. D'autres rédacteurs d'*Itinéraires* apprirent à ma génération à penser juste et, par les diagnostics précis, parfois sévères, mais réalistes, d'Henri Charlier, de Marcel De Corte, de Louis Salleron, d'Henri Rambaud... nous comprimes peu à peu que notre époque se caractérisait par une crise de *finalité* sans pré­cédent, « une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure » (Bernanos), et que, à notre juste place, dans le tem­porel, nous devions engager de façon décisive la « réforme in­tellectuelle et morale » en travaillant pour l'éternité : « fuir, souffrir et combattre avec l'Église, par les moyens de Dieu, pour les motifs de Dieu » (déclaration fondamentale de la revue *Itinéraires*)*.* 106:912 Quelques années plus tard... après la révolution de mai 1968 et face à l'accélération effrayante des processus révolutionnaires de désagrégation des familles, de l'enseignement... et de la Cité, Marcel De Corte nous expliqua, dans de nombreux articles, notamment ceux consacrés aux quatre vertus cardinales, l'ensei­gnement admirable du « Maître de ceux qui savent » sur le Bien Commun, supérieur à tous les biens particuliers, objectif essen­tiel de l'activité pratique, de l'activité politique, et raison for­melle de la concorde, de l'amitié politique. Grâces soient rendues à tous les rédacteurs d'*Itinéraires* qui, par leurs démonstrations lumineuses et leur sûre pédagogie, nous ont « préservés à jamais des vagabondages de l'esprit ». J'invite les amis de *Présent,* et spécialement les militants, à rechercher les anciens numéros d'Itinéraires, à les étudier, la plume à la main, à les commenter dans les cercles d'études de philosophie politique. Qu'ils, n'oublient jamais l'enseignement définitif du Docteur Angélique : « L'homme est constitué débiteur, à des titres différents, vis-à-vis d'autres personnes, selon les différents degrés de perfec­tion qu'elles possèdent et les bienfaits différents qu'il en a reçus... » (Sm Théol., IIa, IIae, q. 101, a. 1 resp.) Qu'ils aient à cœur, comme les y invite si souvent Jean Madiran, de réciter « chaque jour, trois fois le jour, le matin, à midi, le soir, de préférence en latin, l'Angelus (remplacé durant le temps pascal par le Regina Cœli), aux intentions tout spécia­lement de tous les anciens rédacteurs d'Itinéraires. Olivier Mirande\ Plus que jamais d'actualité\ dans « Présent » du 30 mars Quarante ans ! Le bel âge que voilà. Le bel âge assurément ! Notre siècle -- notre fin de siècle surtout --, qui, parfois, ne peut se retenir d'être stupide, ne veut voir dans le « quadra » qu'un personnage blasé, désabusé. 107:912 Un personnage qui, pour n'avoir pas de maîtres et peu de formation, n'attend rien des autres, rien de la vie, assurément rien de l'au-delà, et se recroqueville en lui-même. Or *Itinéraires* démontre à l'envi la faiblesse d'une telle vision. *Itinéraires* prouve la beauté de cet âge dont saint Thomas d'Aquin dit qu'il est le commencement de la philosophie, cet âge qui, ayant atteint l'expérience, n'a pas encore perdu l'en­thousiasme de la jeunesse. L'enthousiasme ! Ce mot définit sans nul doute, et à lui seul, la vocation d'*Itinéraires :* la voix de Dieu en nous. Telle sans doute l'idée, première et capitale, qui préside aux quarante années de cette vie intellectuelle. Telle est, en tout cas, la « Déclaration liminaire » qui ouvre, en ce mois de mars 1956, le premier numéro d'*Itinéraires :* *-- Le Christ est la Voie, la Vérité, la Vie. Nous sommes d'accord sur la soumission à la doctrine qu'enseigne l'Église catholique. Nous la recevons telle qu'elle se définit elle-même. Nous y trouvons la règle suprême de nos pensées et de nos actes. Nous lui rendons le témoignage de notre foi publiquement exprimé et, s'il plaît à Dieu, de nos œuvres.* L'affirmation est claire et sans détour. *Itinéraires* veut affir­mer hautement la vocation spirituelle de la France. Et l'affir­mant, elle ne peut faire autrement que d'affirmer sa vocation politique. Les affirmant toutes deux, elle ne peut manquer de les répéter, mois après mois, années après années, elle ne peut man­quer de redire chaque fois, à temps et à contre-temps, à ses lecteurs cette unité spirituelle et politique indivisible qu'est la France. « A temps et à contre-temps ». C'est certes l'exhortation de saint Paul (II Timothée 4, 2). Mais c'est aussi, à la suite du grand apôtre, la volonté affirmée d'*Itinéraires* dès la « Déclaration liminaire ». Si, dès les premières pages d'*Itinéraires,* cette affirmation a pris, tant dans le domaine politique que dans le domaine reli­gieux, le sens du combat contre le communisme, elle a trouvé bien vite d'autres champs d'expression : liberté religieuse, anti­racisme, lutte contre l'avortement..., pour ne citer que les plus saillants. Sans pour autant oublier, au-delà du combat propre­ment dit bien qu'en étant l'âme, les articles de formation. 108:912 Mais l'affirmation si nécessaire de la Vérité, à laquelle s'était consacrée *Itinéraires,* a pris, au cours des années, pour les enne­mis de l'Église et les adversaires du mouvement national, de plus en plus le sens d'une affirmation à contre-temps. D'où le sentiment d'urgence pour l'équipe d'*Itinéraires* qu'il était de plus en plus temps de l'affirmer. C'est dans cet état d'esprit que (un peu plus de) vingt-cinq ans après son aînée naissait *Présent.* Pour répondre, au quoti­dien et auprès d'un public plus étendu et moins acquis aux idées spirituelles et politiques, à cet état d'urgence. Pour augmenter, chez les lecteurs déjà assidus d'*Itinéraires,* les moyens de com­battre. *Actualité d'* « *Itinéraires *» Contrairement à ce que certains pourraient penser (et à ce que d'aucuns pensèrent), il ne s'agissait donc aucunement d'un changement de formule. C'était bien plutôt une décision politique visant à affirmer chaque jour davantage l'identité na­tionale d'un mouvement qui voyait ses forces s'amenuiser au fur et à mesure que l'ennemi se pressait de toutes parts. Et si l'existence de *Présent* était de répondre jour après jour aux attaques quotidiennes contre l'identité nationale, la néces­sité spirituelle et politique d'*Itinéraires* demeurait entière. Voire, elle en était augmentée. *Itinéraires* a d'ailleurs continué, avec les quelques difficultés qui sillonnent chaque existence, continué d'être ce pour quoi elle était faite, continué de dénoncer et de confondre les adversaires, continué d'affirmer l'Église et la France. Et c'est en restant fidè­le à ce qu'elle était qu'elle atteint aujourd'hui cette maturité de quarante ans, quand tant d'autres ont sombré. Elle continue parce qu'elle reste inébranlablement, indéfec­tiblement attachée à la Vérité du Christ qu'elle affirmait dès la première ligne et à la grandeur de l'Église son épouse qu'elle n'a cessé de défendre. Elle y est attachée comme le stylite à sa colonne, sachant que là résident les paroles de Vie. Sachant, comme le dit l'Apôtre, que la folie de Dieu est plus sage que les hommes (I Corinthiens 1, 25). 109:912 C'est toute une équipe, et des plus prestigieuses, qu'il fau­drait remercier pour ces quarante années de droiture et de Vérité. Toute une équipe qui a œuvré sans relâche et sans défaillance. Mais pour nous, et plus spécialement pour le rédac­teur de *Présent,* pour le membre de l'équipe plus jeune qui a voulu suivre le flambeau de son aînée, c'est un homme plus précisément qu'il faut, qu'il convient de saluer. Celui qui a présidé à la naissance d'*Itinéraires* comme du petit frère *Présent :* Jean Madiran. Celui qui, dès les premières pages d'*Itinéraires,* défi­nissait le sens du combat qui est toujours celui de *Présent* aujourd'hui -- Cela servira bien à quelque chose. Cela servira peut-être à nos prochains les plus proches ou les plus lointains. Peut-être à la France. Peut-être à rien ; à la grâce de Dieu ! Mais nous n'avons pas autre chose à faire, et nous ne pouvons pas faire autrement. Alors, comment féliciter plus véritablement *Itinéraires* qu'en formulant le vœu de piété filiale le plus vrai qui soit Ad multos annos ! Un lecteur se souvient\ Témoignage recueilli par Anne Brassié\ *dans* « *Présent* » *du 30 mars* Le nom de Jean Madiran revêt pour moi une importance exceptionnelle car il est lié à un événement majeur de ma vie : *le moment où mes yeux se sont ouverts aux évidences de la foi*. J'allais vers ma quarantième année et, depuis l'adolescence, je suivais passionnément, d'aussi près que possible et dans un agnosticisme apparemment serein, le débat politique. Lecteur de l'*Action Française* avant guerre, de *Je Suis Partout* après mon retour de captivité, c'est dans *Rivarol* et *Les Écrits de Paris* que j'ai rencontré la signature de Jean Madiran. Il y était question des prêtres ouvriers et du père Chenu. L'intérêt que j'ai porté à ces articles m'a amené à lire *Ils ne savent pas ce qu'ils disent,* puis *Ils ne savent pas ce qu'ils font.* 110:912 J'ai été frappé par la clarté et la vigueur du style, par la façon simple et naturelle de traiter de sujets qui ne m'étaient pas familiers, et par l'importance qu'à la réflexion ils prenaient pour moi. Car ils concernaient aussi une question que je mûrissais, suite aux drames de l'après-guerre : la politique, la passionnante et indispensable politique, le *Politique d'abord* qui peut légitimement exiger votre vie, était-ce vraiment la clef de toute valeur humaine, celle sur la­quelle se greffent toutes les autres ? J'ai reçu de Jean Madiran, au moment où il le fallait, expri­mée dans les termes qu'il me fallait, une réponse providentielle et salutaire. Il me faisait toucher la dimension religieuse, la réa­lité spirituelle qu'il m'a paru tout de suite invraisemblable d'avoir pu ignorer si longtemps. Il était, si j'ose le dire, le révé­lateur, le médecin accoucheur d'une foi en gestation inconsciente. La lecture régulière et attentive d'*Itinéraires* connue peu après sa création m'a, au fil des mois et des années, avec son admirable équipe rédactionnelle, nourri et formé dans la foi de l'Église, en même temps que tenu bien informé de la « marche du siècle ». Je me suis efforcé de bien comprendre la nature des liens qui unissent le religieux au politique, ainsi que les bases de la doctrine sociale. Et je suis de ceux qui, ayant apprécié la qua­lité intellectuelle et morale de tant de textes proposés, ont amas­sé dans leur cœur une confiance et une gratitude à la mesure des bienfaits reçus. Rémi Fontaine\ *dans* « *Présent* » *du 30 mars* Avoir l'âge d'*Itinéraires* et avoir traversé la crise de l'Église en s'attachant (par la lecture) à la magnifique cordée rassemblée par Jean Madiran, des Charlier à Dom Gérard, en passant par Salleron, Thibon, De Corte, Corçâo et beaucoup d'autres ! Avoir l'âge d'*Itinéraires* donc et se trouver soi-même (physiquement) dans la seconde cordée rassemblée par le même Madiran à *Présent...* 111:912 Nul doute qu'avec toutes ces générations on puisse dire aujourd'hui avec lui, derrière Charette, Péguy, Maurras et tous les autres : « Sommes la jeunesse de Dieu, la jeunesse de la fidélité ! Et cette jeunesse vient préserver pour elle et pour ses fils la créance humaine, la liberté de l'homme intérieur. » Yves Chiron\ Reconnaissance de dette\ dans « Présent » du 30 mars L'autre semaine, sous la plume de son « spécialiste » de l'in­formation religieuse, *Le Monde* faisait un constat, en première page : « Le silence des intellectuels catholiques ». A vrai dire, comme à l'accoutumée sous la plume d'Henri Tincq, les pers­pectives étaient faussées. Dressant l'état des lieux de la culture catholique d'aujourd'hui, il ne trouvait à citer que deux philo­sophes « phénoménologues » (Jean-Luc Marion et Michel Henry), trois historiens (R. Rémond, J. Delumeau et J.-M. Mayeur), et quelques sociologues et psychanalystes. Il avait omis, sciemment bien sûr, les noms de Jean Madiran, Jean Borella ou Jean de Viguerie. C'est tout un pan de la culture catholique d'aujourd'hui, vivante et fidèle -- et à ce titre honnie -- que le « journal de référence » occulte ou, à l'occasion, calomnie ou ridiculise. Le fait n'est pas nouveau. En vérité, quand Tincq se plaint du « silence des intellectuels catholi­ques », le lecteur est en droit de s'insurger. C'est lui, et ses sem­blables dans les journaux, les radios et les télévisions, qui, depuis des décennies, ont cherché à réduire au silence la résis­tance spirituelle des catholiques traditionnels et leur œuvre de « réforme intellectuelle et morale ». En 1977 Ce n'est donc point par *Le Monde* ni par l'un quelconque des « pouvoirs culturels du monde moderne (qui) cultivent les vices de la société permissive » (selon l'expression de Jean Madiran) que j'ai découvert *Itinéraires.* 112:912 C'est par la grâce d'un professeur de philosophie, pendant l'année scolaire 1976-1977, dans un collège privé (sous contrat) de Lille. J'avais seize ans. J'ignorais tout, jusqu'au nom de Mgr Lefebvre (malgré l'immense écho qu'avait eu la messe célébrée à Lille le 29 août précédent par le fondateur de la Fraternité Saint-Pie X, après la suspense *a divi­nis*). Pendant cette année de Terminale, outre Platon et saint Thomas d'Aquin, notre professeur de philosophie, Gilbert Callet, me fit découvrir Charles Maurras, Gustave Thibon, Jean Madiran, les congrès de Lausanne, la CRC, *Itinéraires.* Pour un jeune esprit, entiché jusque là de littérature du XIX^e^ siècle et de Nietzsche -- découvert avec passion l'année précédente --, à la foi plus qu'incertaine et détourné alors de toute pratique reli­gieuse, c'était la révélation d'un monde inconnu. Il fallut bien du temps pour ordonner, intellectuellement et spirituellement, cet héritage. Au fil des années, et grâce à la générosité des « Compagnons d'*Itinéraires* », je devins un lecteur régulier d'*Itinéraires.* Non loin du lieu où j'étais alors, pour quelque temps, l'évêque jetait dans sa poubelle, sans les ouvrir, les deux ou trois numéros de *La Pensée Catholique* qu'il recevait. Le fait me frappa par ce qu'il révélait, au sommet de la hiérarchie catholique, d'hostilité et de mépris envers la tradition nationale et chrétienne. *Itinéraires* me devint d'autant plus chère. Ce qui me séduisait était le mélange d'austérité et de pugnacité qui se dégageait de chaque numéro. Et aussi le fait que la rigueur intellectuelle, la défense vive de la vérité n'allaient pas sans une bienveillance, qui reste aujourd'hui encore l'exception dans les rangs de la Tradition. La revue avait un peu plus de vingt ans quand je l'ai décou­verte, elle fête ses quarante ans aujourd'hui. C'est dire si, quand elle m'est devenue familière, elle représentait déjà un capital, un héritage. Des articles du début des années 80, me restent en mémoire les articles de Marcel De Corte sur les vertus de force et de tempérance, le numéro spécial consacré à saint Benoît, l'art de la controverse que déployait Jean Madiran (en multipliant les notes, les textes commentés, les annexes). Me semblait remarquable aussi le voisinage des chroniques littéraires de Jacques Perret et des méditations liturgiques et spirituelles de Benedictus. 113:912 Outre la richesse et la diversité des auteurs publiés chaque mois dans les 130-160 pages d'*Itinéraires,* ce qui, en soi, en fait un monument de la culture catholique de notre demi-siècle, l'acribie de Jean Madiran reste l'autre grande leçon. Patiente et pertinente lecture des textes, travail intellectuel, non point pour des ratiocinations historiques ou religieuses qui tournent à vide mais pour un combat intellectuel et spirituel à mener. « Un travail qui est un combat », selon le titre de l'éditorial qui ouvre le n° 236, septembre-octobre 1979, numéro tout entier consa­cré à la réédition de la *Démocratie religieuse* de Charles Maurras. Aujourd'hui, *Itinéraires* a pris un nouveau rythme, trimes­triel. La revue lutte toujours contre la « décomposition » mo­rale, religieuse, intellectuelle. Ceux qui prédisaient sa mort, après les événements que l'on sait, en sont pour leurs frais. Et s'ils ne la lisent plus, ils passent à côté d'articles très substan­tiels que, à mon sens, ils ne trouveront nulle part ailleurs, même pas dans *Présent* qui a un format, un rythme et une mission autres. Je pense, notamment, à « L'installation du mensonge » de Jean Madiran (automne 1993) ; « La déchristianisation de la France » de Jean de Viguerie (été 1995) ou « Analyse du consen­sus » de Rémi Fontaine (automne 1995). Pour tous, anciens ou nouveaux lecteurs, restent le loisir et le plaisir de se « replonger » dans les quelque 350 numéros d'*Itinéraires* parus à ce jour. Il n'y a pas de revue française qui ait publié autant d'études du P. Calmel, o.p., de Charles de Koninck, de Marcel De Corte, de Louis Salleron, de Gustave Thibon, pour ne citer que quelques noms qui ont marqué l'histoire des catholiques fidèles de cette deuxième moitié du siècle. Dans aucune autre revue, à ma connaissance, on n'a lu de véritables recensions, complémentaires mais point forcément contradictoires, du *Maurras* de Boutang ou du *Louis XV* de del Perugia. Quant à ceux qui, comme moi, se désespèrent de reconstituer un jour une collection complète de la revue, ils peuvent, avec profit, se reporter aux *Éditoriaux et chro­niques* de Jean Madiran, publiés en 3 volumes (1983, 1984, 1985) aux éditions Dominique Martin Morin. Qu'on ne voie point là une sorte de révérence obligée, ce genre de poli­tesse me fait horreur. Il s'agit plutôt d'une reconnaissance de dette. 114:912 Cosme-Damien\ *dans* « *Rivarol* » *du 3 mai* Parmi les revues généralistes (politique, religion, arts et lettres) qui persistent en cette fin de siècle, rares sont celles qui ne portent pas la marque du collier. Observez bien, en petits caractères, au bas des premières pages, que ce soit dans la *Nouvelle Nouvelle Revue Française* (*les Cahiers* Antiques-Antiques, disait Céline), dans la communisante *Europe,* dans les jésuitiques *Études,* dans les hystériques *Temps modernes,* dans *Esprit, Le Débat,* etc. : « Publié avec le concours du Centre National des Lettres ». *Itinéraires,* comme nos *Écrits de Paris,* s'honore, au contraire, d'une parfaite liberté vis-à-vis de l'État et des larbins Politiquement Corrects du CNL. On admire d'autant plus Jean Madiran d'être parvenu à maintenir sur les flots ce bateau qui arbore fièrement la croix, bleu sur blanc, comme les caravelles de Colomb, alors que tant de vaisseaux mieux dotés ont coulé : *Revue de Paris, Table ronde, Mercure de France, Nef* de Lucie Faure... Fondée en 1956 avec le soutien des frères Charlier, de Louis Salleron, de Dom Gérard, d'Henri Pourrat (qui lui donna plu­sieurs contes), la revue s'est battue sur plusieurs fronts -- reli­gieux avant tout (et elle a toujours été lue avec attention, sinon avec plaisir, dans les bureaux du Vatican), mais aussi politique avec l'Algérie française, la lutte contre le gaullisme et le socialo-communisme, la percée du Front national, la mise à nu des prétendus antiracisme et antirévisionnisme. En février 1986, pour ses trente ans, elle publia un index des collaborateurs et de leurs articles : quelle richesse ! Y compris des grands de la litté­rature contemporaine, comme Pourrat, Jacques Perret, Curvers, Thibon, Michel de Saint Pierre... et des noms rétrospectivement étonnants, comme celui du Pr Michel Delsol, le beau-père de Charles Millon. 115:912 On parle beaucoup de francophonie, il y a même un minis­tère pour ça ! Eh bien, peu de revues ont été lues avec autant de passion qu'*Itinéraires* en Belgique et en Suisse, comme en témoignent Jean-Claude Absil, et les collaborations de Marcel De Corte, Charles De Koninck, Alexis Curvers, Roger Lovey (pour ne citer que des défunts). Passée aujourd'hui du rythme mensuel au rythme trimestriel, la revue *Itinéraires* n'a rien perdu de sa vivacité, qu'elle propose des numéros ou dossiers spéciaux, dont certains sont très recher­chés aujourd'hui, sur l'Algérie française, Massis, Mgr Lefebvre, Jacques Perret, Chesterton, Veuillot, plus récemment sur Robert Poulet, Étienne Gilson, *Centesimus Annus,* Claudel, Waugh ou La Fontaine (un Sévigné est, paraît-il, en préparation), ou qu'elle offre un sommaire varié comme le dernier numéro (Prin­temps 1996), qui nous conduit de Clovis (remarquable édito de Madiran) au combat des sauveteurs pour la vie, et propose en prime un double dessin peu connu, Léon Bloy croqué par André Rouveyre... Souhaitons à *Itinéraires* de franchir le cap de l'an 2000 et d'aborder la cinquantaine avec la même verdeur. Il aurait besoin pour le faire sans soucis de quelques généreux abonnés supplé­mentaires. On ne maintient pas une culture catholique et fran­çaise sans y mettre le prix. ============== fin du numéro 912. # Mars 1997 (Numéro spécial hors série) « Moi, chrétien catholique de France, vieux en France comme les chênes et enraciné comme eux, fils de la sueur qui arrose la vigne et le blé ; fils de la race qui n'a cessé de donner des laboureurs, des soldats et des prêtres sans rien demander que le travail, l'eucharistie et le sommeil à l'ombre de la Croix ; moi, enfin, fidèle à toute la tradition et à tout le cœur de ma vieille patrie, plein de bonne fierté et de bonne gloire, voici mon intolérable affront : je suis constitué, déconstitué, gouverné, régi, raillé par des vagabonds d'esprit et de mœurs, qui ne sont ni chrétiens ni catholiques... Ils me gouvernent, ils sont mes maîtres, ils ont le pied et la main sur ma vie... Je suis conquis. » Ainsi s'exprimait Louis Veuillot il y a plus d'un siècle, dans les années 1860-1870. 2 Avant Maurras, comme Maurras, il fut loué puis condamné par le pape (voir : *Veuillot condamné,* dans *Itinéraires,* numéro 276 de septembre-octobre 1983). Nous autres, chétifs, nous n'avons été condamnés que par l'épiscopat, en 1966, et depuis lors l'épiscopat n'est jamais revenu sur cette condamnation, il s'y est toujours tenu. Sans doute Veuillot puis Maurras ont-ils été acquittés par le pape suivant, c'est bien ; mais le mal était fait. Je ne vois pas ce que Veuillot écrirait de différent aujourd'hui. J'ai recopié ces quelques phrases de lui en tête du présent numéro qui est « hors série » : il ne compte pas dans la numérotation. La troisième série de la revue a été close avec son numéro 12, paru au mois de juin, qui le laissait assez claire­ment entrevoir. Son éditorial cependant, intitulé « Quarante ans », se terminait en posant une ques­tion aux lecteurs : il laissait ouverte l'hypothèse d'une éventualité, celle où la question posée rece­vrait des réponses. Il n'y en eut qu'une de néga­tive, mais pleinement honorable, elle estimait que l'œuvre de la revue était accomplie. Elle avait rai­son, d'abord en vertu de cette considération : les réponses positives, comme c'était devenu de plus en plus prévisible, ont été peu nombreuses. Trop peu. Beaucoup trop. Et elles ne furent pas toutes, il s'en faut, aussi ardentes que celle qui m'est arri­vée de Rio, si lointaine, si proche... Et qui, ayant tout pressenti, m'adresse cet apologue brésilien : 3 « Manuel allait tous les jours à la ville, il y ren­contrait chaque fois un homme qui prêchait la bonne parole au milieu de la place. Très peu s'ar­rêtaient pour l'écouter. Manuel finit un jour par l'aborder et lui dire : -- *Il y a des années que je vous vois prêcher ici en vain. Cessez donc cet effort inutile !* Mais l'homme lui répondit : -- *Si je me tais, ils m'auront vaincu. *» L'histoire est belle, bien qu'elle fasse un peu trop appel, je le crains, à l'orgueil humain. Et puis, s'il ne s'agit que de par­ler, on le peut toujours, même s'ils ne sont que deux ou trois qui s'arrêtent pour entendre. Imprimer une revue est une tout autre chose, qui n'est plus possible au-dessous d'un certain seuil numérique : la qualité des réponses ne peut sup­pléer à cet égard la quantité défaillante. La qualité est toujours là. De Lorraine : « N'ayant lu que tar­divement le numéro de juin d'*Itinéraires,* je me permets de répondre bien modestement à votre question. Votre revue vaut-elle son prix ? Je pense qu'elle vaut bien plus que son prix, car elle nous permet non seulement de savoir, mais aussi de comprendre les choses. Mille francs pour quatre numéros par an, cela fait 250 F pour chaque nu­méro d'un volume minimum de 90 pages. Quand on voit que le moindre livre vaut maintenant entre 150 et 200 francs, pour une qualité parfois fort médiocre, 250 F pour au moins 90 pages non seu­lement à lire mais à étudier, ce n'est pas cher. Alors je ne dirai qu'une seule chose : 4 continuez, s'il vous plaît, à nous permettre de comprendre les choses, au-delà de la seule perception des faits. *Itinéraires* constitue à mon sens un complément indispensable à *Présent* et je suis prêt, en fonction de mes moyens (je ne suis qu'un simple officier supérieur) à vous aider pour votre si indispensable travail, pourvu que vous puissiez nous aider à sai­sir le vrai sens des choses. » Il est bon quelquefois de *relire ;* un abonné d'Ile de France m'écrit en effet : « ... Mais voilà que je relis votre article des 40 ans d'*Itinéraires,* qui se termine par un point d'interrogation et « je vous écoute ». N'est-ce point annoncer que c'est la fin, ou le dernier de la série ? et que vous attendez des réactions... trop rares ! ou tardives comme la mienne. Déjà c'était bien regrettable de n'avoir qu'une parution tri­mestrielle. Même un petit volume, c'était *Itinéraires* (...). Mais quel travail vous avez fait et quelle bonne équipe dans *Présent* vous avez su réunir et former. » De fait la plupart des abonnés qui ont quitté *Itinéraires* m'ont informé qu'ils devenaient abonnés à *Présent ;* beaucoup d'entre eux m'ont expliqué que c'est une trop lourde charge d'être abonné à la fois à *Présent* et à *Itinéraires.* Cette hémorragie-là a dû commencer vers 1990-1991. En décembre 1992, dans le numéro XII de la seconde série, je citais une lettre qui observait, avec raison m'avait-il semblé : 5 « Il y a de nouveau des jeunes qui savent et qui aiment *lire.* On en voit se presser autour de vous pour vous questionner ou pour vous faire signer vos livres dans les trop rares occasions où vous vous y prêtez. Mais en général c'est *Présent* qu'ils veu­lent, qu'ils lisent et qu'ils aiment, plutôt qu'*Itinéraires. *» J'avais commenté : -- *Si c'est vraiment leur préférence... De toutes façons, c'est en définitive le public qui décide. En matière de publication et d'édition, on ne peut rien faire sans lui.* On ne peut pas dire que nos lecteurs n'auront pas, au fur et à mesure, été avertis de ce qui était en train de se passer. Je crois que parmi ceux qui, depuis quatre ans, ont les uns après les autres lâché *Itinéraires* pour *Présent,* il y en a beaucoup qui l'ont fait par lassitude ; par découragement ; plus exactement, par démission devant l'effort.. Et non pas devant l'effort financier. Devant l'effort intellectuel. Et moral. A contre-courant non pas un peu, non pas beaucoup, mais total. Dans trois ou quatre ans, par l'effet de cette même paresse devant l'effort mental et spirituel, ils finiront par semblablement quitter *Présent ;* lâcher *Présent.* Je les en avertis. Je les aurai avertis de cela aussi. A moins d'un sursaut : celui que, pour *Itinéraires,* j'ai demandé sans relâche depuis l'arrêt de la pre­mière série, la série mensuelle, en décembre 1989. Ce sursaut collectif n'est pas venu. Ne sont venues que des exceptions admirables, comme ce « sim­ple khâgneux de 19 ans » : 6 « Je suis en khâgne ([^9]) et ce faisant j'ai besoin d'une nourriture saine, fondée sur une étude profonde et substantielle qui me permette de marcher toujours dans la lumière de la vérité révélée par Dieu et resplendissant dans la réalité naturelle, à contre-courant des inepties philosophiques ou historiques (...). Je relisais avant de vous écrire l'éditorial du numéro XI et j'adhère totalement à vos propos : *Itinéraires* et *Présent* ont bien deux finalités différentes : l'un ne remplace pas l'autre... Alors, je vous en supplie, ne lâchez pas *Itinéraires *! » Ce n'est pas moi qui lâche *Itinéraires.* Tout a été dit dans *La frégate et les courants,* pages 237 à 248 justement de ce numéro XI, c'était en septembre 1992, on peut relire ces pages aujourd'hui. *La frégate et les courants,* à la fin de la seconde série, se terminait par : « Je vous attends ». *Quarante ans,* à la fin de la troisième série, s'est terminé par : « Je vous écoute ». On le voit, de l'un à l'autre, le niveau de ma demande avait passablement baissé. La réponse globale n'en est pas moins restée quasi­ment nulle. Cela me fait mal au cœur à la pensée de ceux qui auront accompagné et soutenu *Itinéraires* jusqu'au bout, avec l'ardent désir que la revue puisse continuer, ils y ont apporté leur dévouement de militants, leurs sacrifices de sous­cripteurs, leur *prosélytisme,* mot devenu péjoratif, chose désormais déconseillée. Mais ceux-là n'étaient pas mille. Ni la moitié. Ni finalement le quart. Ce petit reste, je le salue avec émotion. 7 Vous allez me dire que dans ce dernier éditorial, auquel je n'ai même pas mis de titre, je ne m'avise pas souvent d'aller à la ligne. C'est peut-être, voyez-vous, que je le fais exprès. Mettons : par discré­tion. Afin, ce serait trop tard pour la revue, de ne réveiller personne ; et de ne pas encombrer l'in­souciance des passants occasionnels. Si j'en reviens un instant à la considération des 'quarante années, j'y remarque que la succession aposto­lique et la primauté du siège romain n'ont apporté aucune attention réelle à nos représentations, nos argumentations, nos réclamations, nos supplica­tions (mais nous ne sommes pas les seuls dans cette déréliction). Nous avons été traités comme des parias dans l'Église tout autant que dans la cité. Même quand les voix qui s'exprimaient dans *Itinéraires* avaient l'autorité intellectuelle, la pro­fondeur de pensée, la rectitude flamboyante d'un Henri ou d'un André Charlier, d'un Louis Salleron, d'un Marcel De Corte, d'un Gustave Corçaô, d'un abbé Berto, d'un Alexis Curvers, d'une Luce Quenette, d'un Henri Rambaud, d'un Père Calmel, ce fut pour la hiérarchie ecclésiastique comme s'ils n'avaient rien dit, comme s'ils n'avaient pas existé. Dans les sphères dirigeantes de l'Église et selon l'idéo­logie qui s'y est imposée de plus en plus au long de ces quarante années, les arguments propre­ment religieux ont perdu leur poids, on y est devenu attentif surtout aux arguments démocratiques ([^10]). 8 On y prêche le culte et le bonheur et les droits de l'homme davantage que (ou même à la place de) « Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme », « né de la Vierge Marie, ressuscité le troisième jour, monté au ciel ». A force de prêcher de moins en moins la divinité de Jésus-Christ, il arrive de plus en plus qu'on ne la prêche plus du tout. Je répète aujourd'hui ce qu'avec la grâce de Dieu je n'ai jamais cessé et je ne cesserai jamais de professer : -- *L'Église de Jésus-Christ est une, sainte, catholique, apostolique. A chaque époque, cette apostolicité, cette catholicité, cette sainteté, cette unité animent ou désertent plus ou moins la structure de fondation divine sur laquelle repose temporellement sa continuité visible : la succession apostolique et la primauté du siège romain. Cette succession, cette primauté ne sont pas exemptes de défaillances graves. Mais ce qu'elles font mal, ou ce qu'elles ne font pas, per­sonne d'autre ne peut le faire à leur place. Nos* travaux étaient déposés à leurs pieds. A deux générations d'évêques, sous trois pontificats, ils n'auront servi à rien. Ils auront servi, c'était sans doute leur réelle destination, à quelques-uns qui individuellement y ont trouvé les motifs et moyens d'entreprendre leur propre réforme intel­lectuelle et morale. 9 J'adresse un dernier adieu public à nos morts, une dernière stèle à leur mémoire, avec eux nous avons accompli une œuvre de quarante années : Henri POURRAT Joseph HOURS Georges DUMOULIN Antoine LESTRA Charles DE KONINCK Henri BARBÉ Dom G. AUBOURG L'abbé V.-A. BERTO Henri MASSIS Dominique MORIN André CHARLIER Claude FRANCHET Henri RAMBAUD R.-Th. CALMEL, o.p. Henri CHARLIER Jean-Marc DUFOUR Luce QUENETTE Gustave CORÇAO Geneviève ARFEL Émile DURIN Fernand SORLOT Joseph THÉROL André GUÈS B.-M. DE CHIVRÉ, o.p. Bernard BOUTS Michel de SAINT PIERRE 10 Louis SALLERON Alexis CURVERS Jacques PERRET Marcel DE CORTE \*\*\* Puisque la caisse de la revue est vide, les abonnés dont l'abonnement reste à courir seront matériellement dédommagés par un abonnement de même durée au quotidien *Présent,* dont ils dési­gneront le destinataire s'ils ne veulent pas l'être eux-mêmes. On comptera ainsi : pour chaque numéro (trimestriel) d'*Itinéraires* qui restait à recevoir, il y aura un abonnement de 3 mois à *Présent.* Le présent numéro d'*Itinéraires* étant « hors série » ne sera pas retenu dans ce décompte. Pour que ce transfert compensateur soit mis en service, il est nécessaire (et suffisant) de remplir et de renvoyer, de préférence avant le 29 mars, et au plus tard avant le 15 avril, le bulletin qui est en dernière page du présent numéro. Jean Madiran. 11 **DOCUMENTS** ### Le salut de l'AFS (*Action familiale et scolaire*) Dans son numéro 127 d'octobre 1996, L'*Action familiale et scolaire* (organe de l'association du même nom, 31 rue Rennequin, 75017 Paris), a publié l'article suivant d'Arnaud de Lassus : Étonnante rétrospective que celle que propose Jean Madiran dans le numéro de juin 1996 d'*Itinéraires* évo­quant le quarantième anniversaire de la revue, avec trois textes anciens : « *Les chiens* » (datant de 1965), « *Vingt-cinq ans* » (1981) et « *L'esprit d'Henri Pourrat* » (1959). Textes que l'on relit en 1996 avec autant d'intérêt que lors­qu'ils furent écrits (cette remarque est vraie pour un grand nombre d'articles de la revue comme ont pu s'en rendre compte ceux qui en possèdent une collection complète ou partielle). 12 « *Les chiens* » et « *Vingt-cinq ans* » font revivre le com­bat des idées politiques et religieuses des trente dernières années. Que de leçons à tirer, valables pour demain comme elles l'étaient hier ! « *L'esprit d'Henri Pourrat* » illustre l'une des qualités de la revue : la piété pour les anciens, spécialement pour ceux qui ont puissamment contribué à accroître et à défendre notre patrimoine. \*\*\* Depuis quarante ans, s'est manifesté dans *Itinéraires* une ligne de pensée continue marquée par la fidélité : fidé­lité à l'Église romaine et à la patrie française ; fidélité à la doctrine et à la liturgie traditionnelles ; respect de l'ordre naturel et surnaturel et du sens commun... Belle conti­nuité dont on né trouvé, sur une aussi longue période, que peu d'exemples. Les articles d'*Itinéraires* sur le concile Vatican II et la réforme liturgique (études de Jean Madiran, de Marcel De Corte, de Louis Jugnet, de Louis Salleron, du père Calmel, de l'abbé Dulac, du père Joseph de sainte Marie...) consti­tuent une analyse d'ensemble, la meilleure que l'on ait en France sur le sujet. La revue a su éviter le piège du conci­liarisme dans lequel tombent trop facilement nombre de catholiques traditionnels victimes de leur tendance à la conciliation abusive. Quant aux études politiques, elles présentent les mêmes qualités que les études religieuses : documentation précise, raisonnements exacts, démolition implacable des fausses argumentations. Ce qui a fait d'*Itinéraires* un instrument hors pair pour apprendre à penser juste et pour amorcer la réforme intel­lectuelle et morale dont notre pays a besoin. \*\*\* 13 En 1981, Jean Madiran donnait à son article « *Vingt­-cinq ans* », écrit pour le vingt-cinquième anniversaire de la revue, la conclusion suivante : « Ce sont les esprits surtout qui sont captifs ; les esprits et les cœurs. Captifs, comme l'annonçait Péguy, d'un despotisme temporel colonisant jusqu'à l'espace spirituel, un despotisme infectant par son mensonge universel jusqu'à la respiration des âmes. C'est contre cet empoisonnement intellectuel, c'est contre cette captivité spirituelle que nous luttons pied à pied, mot à mot, cœur à cœur. Il me semble que la plus grande erreur que nous ayons eu à combattre pendant ces vingt-cinq années a consisté en une sous-estimation permanente des forces et courants contraires qui nous dominent ; une sous-estimation de l'étendue, de la pro­fondeur d'une décomposition générale. Une vue plus exacte aurait suscité des résolutions plus vives, une mobilisation plus ardente, une action plus vigoureuse, un recours plus insistant aux ressources de l'ingéniosi­té temporelle et de la vie surnaturelle. Eh bien ! par la croix de Jésus, par le cœur de Jésus, par la miséricorde de Jésus, tâchons d'entamer notre second quart de siècle avec toute l'intrépidité nécessaires ». Souhaitons à *Itinéraires* de poursuivre sa tâche selon les mêmes lignes qu'il a si bien gardées jusqu'ici. \[Fin de la reproduction intégrale de l'article d'Arnaud de Lassus paru dans le numéro 127 (octobre 1996) de l'*Action familiale et scolaire*, 31 rue Rennequin, 75017 Paris.\] [^1]:  -- (1). La cassette audio de cette émission est en vente à Radio-Courtoisie, 61, bd Murat, 75016 Paris. [^2]:  -- (1). *Note sémantique, opportune et dilatoire *: j'emploie ce mot dans le sens admis et autorisé que lui a donné Bernanos. [^3]: **\*** -- Stanislas Fumet : cf. It. 31:337, note 3. [^4]:  -- (1). Le « capitalisme » est simplement le système économique où les apporteurs du capital sont distincts des apporteurs du travail. Ce n'est pas le capitalisme en tant que tel, c'est le capitalisme *libéral* (c'est-à-dire le capitalisme, animé en outre par une philosophie, le libé­ralisme, contraire à la loi naturelle) qui « aboutit à l'impérialisme de l'argent » ; et d'ailleurs moins à l'impérialisme de l'argent qu'au socialo-communisme, en passant par l'actuel libéral-socialisme. Mais le capita­lisme est susceptible d'être informé par n'importe quelle autre philo­sophie politique et morale. Les régimes socialo-communistes réellement existants sont l'aboutissement du capitalisme libéral et ils sont eux aussi capitalistes : c'est un capitalisme d'État. -- Quant à dire que l'on oppose au communisme un « non très ferme » simplement parce qu'il est « destructeur des libertés », c'est ignorer sa spécificité. Si le com­munisme ne faisait que détruire les libertés, on ne voit pas où serait sa nouveauté spécifique, et en quoi il se distinguerait par exemple de Napoléon Bonaparte, de Pierre le Grand, de Néron ou de Nabucho­donosor ; on ne pourrait plus discerner pourquoi l'esclavagisme com­muniste est pire que l'esclavage classique, par une différence qui n'est pas de degré, mais de nature. Ces vérités fondamentales sont pourtant attestées aussi bien par la doctrine catholique sur le communisme (en­cyclique *Divini Redemptoris,* 1937) que par le témoignage, les avertisse­ments, les admonestations de Soljénitsyne. [^5]:  -- (2). Dom Claude Jean-Nesmy, P. Réginald Simonin, chanoine Be­sombes : *Lucie raconte Fatima* (Fatima-Éditions, Desclée de Brouwer, Éditions Resiac). [^6]:  -- (3). « Quand est-ce que le troisième élément du *secret* nous sera dévoilé ? Déjà en 1946, à cette question, Lucie et Mgr l'évêque de Leiria me répondirent uniformément, sans hésitation et sans commen­taire : En 1960. » (Chanoine Barthas : *Fatima merveille du XX^e^* siècle, édition de 1957, p. 83.) -- Cf. aussi abbé Georges de Nantes, La Contre-réforme catholique, notamment n° 160 de décembre 1980, pp. 15-17. [^7]:  -- (1). Danièle Masson : *Jean Madiran,* un volume de 294 pages, aux Éditions Difralivre. [^8]:  -- (2). Car Nicole Delmas est chargée de la « révision », c'est-à-dire princi­palement de la « correction typographique » d'*Itinéraires* et de *Présent.* [^9]:  -- (1) Classe préparatoire au concours de l'École Normale Supérieure. [^10]:  -- (2) Sur ce point capital, voir : *Le concile en question. La correspondance Congar-Madiran.* Un volume aux Éditions Dominique Martin Morin.