RECENSION de ***DE FINE ULTIMO HUMANAE VITAE*** du [[Broglie Guy de, sj (1889-1983)|Père de Broglie]] Extrait de la Revue de l'Université d'Ottawa 1949 [126] BIBLIOGRAPHIE Vitus de Broglie S. J. --- De Fine ultimo humanæ Vitæ. Tractatus theologicus. Pars prior positiva. [Parisiis], Beauchesnes et ses Fils, 1948. 25 cm, VI-299 p. Un peu de latin et l'on conçoit, le seul titre énoncé, un premier mérite au nouvel ouvrage du P. de Broglie : le mérite d'être rare. Nous possédons peu de livres de théologie positive, surtout en morale, malgré la masse d'études critiques et historiques qui se publient. Les seigneurs de la positive s'embarrassent peu, à l'ordinaire, d'ordonner en sommes les acquisitions de leurs disciplines, de façon qu'une saine spéculation puisse s'y implanter et s'en nourrir. C'est ce que réalise le P. de B. pour le traité de la fin ultime de l'homme. Nous tenons donc là un ouvrage dont on exagérerait difficilement l'importance et l'utilité. Le R. P. réunit dans son traité toutes les questions qui se rapportent à la fin ultime et qu'il déplore voir dispersées : « Mos invaluit attribuendi tractatui *de Deo uno* totam quaestionem de visione beatifica, tractatui *de Deo Creante et Elevante* quaestionem de ente supernaturali, tractatui *de Novissimis* quaestionem de resurrectione carnis, tractatui *de Caritate* quaestionem de munere desiderii finis ultimi in appetitu hominis regulando. » (p. V-VI). Nous approuvons le R. P. de vouloir manifester les liens que les documents de notre foi établissent [127] entre ces diverses questions, et capter la lumière née de leur rapprochement (p. VI). Toutefois cette légitime réaction ne doit pas entraîner une confusion d'aspects formels ; au contraire, nous aurons toujours à imiter saint Thomas qui traite de la vision béatifique comme vue de Dieu, à la q. 12 de la Ia ; comme béatitude, dans la Ia IIae. Cette dernière considération seule importe au traité de la fin. La division de l'ouvrage est toute naturelle. Viennent d'abord des *Prœnotanda generalia* (p 1) sur l'objet du traité ; les réponses des principales philosophies anciennes à la question de la fin ultime et celles de quelques modernes au problème du fondement de la moralité. Ces deux petits exposés d'histoire sont extrêmement concis et ne veulent, sans doute, que rappeler les articulations majeures des systèmes à des esprits déjà informés. Quant au corps du livre, la matière s'y distribue selon les sources inventoriées : Écriture, patristique (en fait, saint Augustin), magistère. Ne pouvant suivre dans le détail ces exposés de nature minutieux, nous nous bornerons à parler un peu de la méthode du R. P. L'A. procède par thèses. Les énoncés, assez longs pour être souples, ne sont, en aucune manière, des formules arbitrairement élaborées à prouver *per fas et nefas*[^1]. Ils feraient plutôt songer à des sommaires de chapitres, et encore se rapprochent-ils de la langue même de l'auteur étudié. Qualité louable dont voici un exemple : « In Epistolis Pauli proponitur singulis christianis ut ultimus agendi finis futura bonorum caelestium possessio, quae describitur ut conjunctio perfecta cum Christo glorificato ; in vita vero praesenti proponuntur eis ut fines proximi virtutis exercendae félicitas spei et pacis » (p 46, la sectio De ultimo fine secundum Scripturam, thesis 4 a ). L'exemple que nous donnons explique aussi la justesse des développements : on n'a pas à solliciter les textes, mais à les laisser à leur sens naturel. Cette intention de l'A. se remarque. Que jamais, en rien, elle ne se soit égarée au sein de la profusion de textes utilisés, tiendrait du miraculeux. Mais, sur les points où la lumière nous fait moins défaut, nous n'avons rien relevé qui ne fût plausible. Notons que le R. P. cite l'Écriture d'après la Vulgate ; il aurait pu multiplier les corrections textuelles qu'il glisse parfois entre parenthèses. Une autre note frappante de l'ouvrage est la sobriété ou la parcimonie dans les renvois à « la littérature ». Ils sont pratiquement absents. Réserve appréciable selon les goûts, mais, enfin, qui vaut mieux que la débauche, et le P. de B. ne s'est peut-être pas trompé en espérant nous intéresser à autre chose qu'au dernier état de son fichier. La mode cependant est forte et je n'aurais pas détesté voir quelques grands noms cités, pour m'indiquer sans peine quelle ligne d'interprétation l'A. suivait. Pour les Pères, il s'en est tenu à une exposition de la doctrine augustinienne (mais ample : près de cinquante pages). Il donne ses raisons (p. 70-71). Elles en convaincront d'autres moins que nous. De la troisième partie (Sectio III), traitant des erreurs condamnées en la matière, nous nous permettrons de signaler, pour leur valeur actuelle et leur acribologie, les préliminaires du deuxième chapitre (p 126-142) : « De notionis « naturae » sensu et valore. De notione « exigentiarum » naturae. De notione generali « supernaturalitatis » ejusque momenlo theologico et dogmatico. » Les quatre premiers des six appendices que le R. P. imprime à la fin de son livre, se rapportent à ces mêmes thèmes. **Le troisième** (p 245-264), **une longue critique du « Surnaturel » du P. de Lubac, intéressera les esprits qui n'estiment sereine qu'une critique fraternelle.** En terminant nous aimerions revenir à la préface, dont voici le début: « Ex tractatibus quibus scientia theologica constituitur, nullus rectius dici potest esse ceterorum fundamentum quam tractatus de Ultimo Fine Vitæ Humanæ. » (p. V). Sur quoi, il faut un peu taquiner l'A. Nous ne nous soucions pas, en cela, d'apaiser [128] les auteurs d'apologétique, dont c'est le plaisir classique de donner leur traité pour fondamental. Mais la tranquille affirmation du P. de B. persuade à qui sait lire, qu'elle emporte toute une conception de la théologie. **La théologie serait avant tout pratique**, et, si elle devait l'être, nous ne dirions rien. C'est pourquoi lorsque l'A. dit que, par rapport à la théologie pratique, « hoc demonstratione vix indiget » (Cela n'a guère besoin de démonstration), nous n'aurions même pas besoin de ce « vix » (à peine) scrupuleux pour nous rendre. Or c'est la spéculative même qui se trouverait reposer « quodammodo » (en quelque sorte) sur le traité de la fin ultime. La preuve s'administre ainsi : la foi n'est pas seulement habitus intellectuel d'adhésion à des vérités divinement enseignées, « sed est etiam virtus proprie dicta, immo virtus theologica, qua libere et conscie tenditur in primam Veritatem ut in finem supernaturalem aliquando consequendum. Hinc oportet omnis actus fidei primo et principaliter feratur in ipsam credentis vocationem ad prædictum finem ; quae proinde vocatio in omni actu fidei respici debet ut dogma quoddam primarium cui credens per Dei testimonium adhaeret «  (p. V). Étrange. Serais-je brouillé avec le bon latin scolastique ? Ces « ut in finem » et « omnis actus fidei primo et principaliter feratur » me semblent indiquer qu'on veut parler formellement d'aspects formels. Ou je ne comprends rien au saint Thomas que cite le R. P. dans son ouvrage. Je croirais que le P. de B. pense à la psychologie de la foi et remarque justement, avec tout le monde d'ailleurs, que dans toute démarche de la foi, l'appétit, et donc antérieurement la connaissance, de la fin ultime imprime le mouvement à l'âme croyante. Cette foi est donc première et toujours présente en tout acte de foi. Sans doute. Mais on raisonne tout aussi bien: impossible de croire à notre vocation à la fin ultime, sans que d'abord notre foi porte sur Celui qui sera notre béatitude et tel qu'il sera notre béatitude. Nous sommes au rouet, comme dans la petite dialectique rabelaisienne sur la priorité de soif ou de beuverie. Il n'y a qu'un moyen de solution : l'objet de la foi, *virtus theologica*, tel que l'expose saint Thomas. On s'aiderait peut-être de la lumière de deux autres vérités : la béatitude, même surnaturelle, de la créature n'ajoute rien à Dieu; et, la théologie spéculative n'est guère pratique, mais il est éminemment pratique de spéculer. La raison de nous appesantir sur cette préface équivoque, notre admiration pour un excellent ouvrage : c'est tout un. Rosaire Bellemare, o.m.i. Avec l'autorisation de l'Ordinaire et des Supérieurs. [^1]: NdlE : Per fas et nefas (du latin Per fas « ce qui est permis » et nefas « ce qui n'est pas permis ») est une locution latine qui signifie « par toutes les voies, par tous les moyens possibles ».