# Bibliographie commentée des sciences par [[Midelt Bernard de (1934-2024)|Bernard de Midelt]] **SPÉCIFICITÉ, HIÉRARCHIE, SUBALTERNATION, ARCHITECTONIQUE** « *L'homme, lui, n'a naturellement qu'une connaissance générale de ses moyens d'existence ; par la raison il peut parvenir à la connaissance des choses singulières nécessaires à la vie humaine moyennant un raisonnement à partir des principes de la nature. Mais, comme un seul individu ne peut y atteindre en totalité, il est nécessaire aux hommes de vivre ensemble pour s'entraider et* **se spécialiser dans des recherches diverses selon la diversité de leurs talents** *: l'un dans la médecine, un autre à ceci, un autre encore à cela*. »[^1] [^1]: Thomas d’Aquin, *De regno*. « *C’est le philosophe qui peut être chrétien et non la philosophie* »[^2] [^2]: De Koninck Charles, Œuvres - *Tout homme est mon prochain*, tome II, volume 1, éditions PUL 2011, cité par J. Vallée p 10. ## I.- LA RAISON HUMAINE, CONCEPTUELLE ET DISCURSIVE **+ La raison conceptuelle et discursive**[^3] : [^3]: **Discours** : Définition : Mode de pensée qui atteint son objet par une suite d'énoncés organisés. Par métonymie : Exposé de la pensée ainsi conduite, raisonnement. Synonyme : pensée discursive; antonyme : intuition. « La mathématique (...), qui n'est après tout qu'un discours à règles exactes » (Valéry, Variété III, 1936, p. 170). Contre la thèse moderniste du "rationalisme scolastique" et du "Tout tient à tout" de Blondel[^4] : cf. Lucien B., *Qu’est-ce que la Théologie ?,* p 39 : [^4]: Tonquédec Joseph, L'idée d'immanence chez M. Maurice Blondel, *Revues pratique d’Apologétique*, T. XV. — n° 173. — 1er décembre 1912, p 348 et sq : « La division matérielle des traités est indispensable, tout simplement parce que l’homme, même surélevé par la grâce, ne saisit pas tout par un unique regard intuitif : il doit **discourir** pour parvenir à la saisie intellectuelle du tout : telle est l’exigence propre de sa **nature rationnelle.** » **+ Contre le "Tout tient à tout" :** Tonquédec Joseph, L'idée d'immanence chez M. Maurice Blondel, *Revues pratique d’Apologétique*, T. XV. — n° 173. — 1er décembre 1912, p 348 et sq : « Le principe d'immanence applique la notion d'immanence à la généralité des choses. Il fait de cette notion une catégorie première, fondamentale, où tout entre, de laquelle participe tout être, par le seul fait qu'il se réalise, qu'il tient une place dans l'univers. Le principe d'immanence s'érige en principe premier, c'est-à-dire qu'il se donne pour une de ces lois constitutives de la pensée et de l'être — telles que le principe d'identité — en opposition avec lesquelles rien ne saurait exister, être perçu ni conçu. En faisant abstraction des particularités qui le modifient chez les différents auteurs, et en lui laissant intentionnellement la plus grande élasticité, on peut le formuler ainsi : rien n'existe à l'état isolé ; **tout tient à tout**, non point par des liens adventices et séparables, mais par le fond et l'essence même. » **+ Définitions** : Définition 1 : Science : savoir organisé qui connaît les principes et les causes du domaine concerné. Définition 2 : « La connaissance du pourquoi, autrement dit : de la cause, définit…la science »[^5]. [^5]: Nodé-Langlois Michel, *op cit.*, p 54. **+ La connaissance du fait singulier, le doute, l’opinion, la science** : cf. Nodé-Langlois Michel, *Le vocabulaire de saint Thomas d’Aquin*, mot "Science", p 54, éd Ellipses 1999 : « Ce n’est pas que le savoir exclue toute contingence, car il peut fort bien porter sur une réalité elle-même contingente, par exemple **un fait singulier** envisagé comme tel : Agnès sait que "le petit chat est mort"... Un tel savoir n’est pourtant pas la science. Il consiste seulement à être sûr que les choses sont ainsi et pas autrement. Ce savoir nous est procuré par la sensation, et par l’expérience acquise moyennant la répétition et la comparaison des sensations. **Il nous donne à connaître le fait et non pas le pourquoi. »** « On oppose couramment **la science** à **l’opinion**. Celle-ci diffère du doute en ce qu’elle est un jugement, qui n’est pas forcément faux, mais est porté sans qu’on puisse s'assurer de sa vérité ni la garantir, avec la crainte par conséquent que le contraire ne soit vrai : sa vérité est comme accidentelle, et contingente… » \+ **Nature de la simple appréhension : le concept, le terme** : Cf. Chenique François, *Éléments de logique classique* - L'art de penser, de juger et de raisonner, éd L’Harmattan 2013**,** p 51 Chapitre V **:** Nature de la simple appréhension : le concept, le terme, p 59 : **«** b) Légitimité du concept. La conception classique se réfère à la philosophie du concept chez Aristote. Pour lui le *concept est la réalité première de la pensée,* celle qu'il faut d'abord saisir car elle est un préalable à toute activité de l'esprit. Ainsi, le concept, idée générale, est l'objet même de la définition de la science, car le singulier comme tel ne peut être défini [^6](3) et il n'y a de science que de l'universel [^7](4). [^6]: (3) *Omne individuum ineffabile*. [^7]: (4) *Existentia est singularium, scientia est de universalibus*. Les théories qui nient cette philosophie du concept ou *théories nominalistes* sont nombreuses, depuis les débuts de la philosophie grecque jusqu'à nos jours en passant par le Moyen-Âge chrétien ; » **+ Les divers noms du concept :** Cf. Chenique François, *Éléments de logique classique* - L'art de penser, de juger et de raisonner, éd L’Harmattan 2013, p 56. **a) Concept.** **b) Idée (avec i minuscule, eidos).** **c) Terme (terminus).** **d) Notion (notio).** **e) Appréhension (apprehensio).** **f) Intention (intentio).** **g) Raison (ratio).** **h) Espèce expresse (species expressa).** **a) Concept.** L'esprit humain *conçoit* les choses, et le fruit de cette *conception* est le concept. L'image est ici évidente, et il convient de distinguer : α) le concept subjectif : c'est l'acte même du mental qui conçoit (*actus ipsius mentis*) ; β) le concept objectif : c'est ce qu'exprime le concept, c'est-à-dire le résultat de l'acte du mental. La logique ne s'intéresse qu'au concept objectif; lequel jouit de cette remarquable propriété d'être commun à tous les hommes sains d'esprit [^8](3). [^8]: (3) Objectif et subjectif sont, depuis l'usage qu'en a fait Kant, chargés d'une signification particulière. **Dans la terminologie scolastique utilisée ici, le concept subjectif est l'acte du sujet, le concept objectif est le résultat de cet acte.** **b) Idée (avec i minuscule, eidos).** « idée » signifie « forme », et le concept reproduit en nous les formes ou similitudes des objets ; *eidos* signifie aussi « espèce » et c’est par les espèces (et par les différences **spécifiques**) que nous connaissons les objets. [57] **c) Terme (terminus).** Le concept est appelé parfois terme, parce qu'il apparaît comme le *terme* ou but de l'acte de simple appréhension ; mais il semble que ce soit le résultat d'une étymologie latine. Pour Aristote, le -terme *(horos*) est ce que l'on obtient en décomposant un jugement ; c'est encore, pour lui, ce qui *limite* ou *détermine* la proposition dans un syllogisme. Le terme désignera donc, pour nous, le concept lorsqu'il entre dans un jugement ou dans un raisonnement [^9](i). [^9]: (1) ARISTOTE, *Premiers Analytiques*, I, 1. **d) Notion (notio).** Le concept est une notion, c'est-à-dire ce qui est *connu,* ou **ce** par quoi l'intelligence *connaît.* **e) Appréhension (apprehensio).** L'objet est comme saisi, *appréhendé* par le concept. **f) Intention (intentio).** Par le concept, le mental est comme dirigé vers un objet, selon l'étymologie de « *intendere* » : tendre vers. **g) Raison (ratio).** Raison (*ratio*) signifie ici « *rapport* », qui est un des sens du grec *logos* (*verbum*). Le concept établit un *rapport* entre les objets et l'esprit qui connaît. **h) Espèce expresse (species expressa).** Grâce au concept, l'esprit humain *exprime* à lui-même l'objet conçu, le concept étant alors une *expression* directe de la chose dans l'esprit qui connaît. Cette notion est importante dans la théorie de la connaissance, car l'espèce expresse est une similitude *exprimée* par l'intelligence et dans laquelle celle-ci contemple l'objet qu'elle saisit. **+ Jamais une science ne démontre ses propres principes** : Cf. Lucien B., *Apologétique* : "Jamais une science ne démontre ses propres principes, ce serait contradictoire. Mais les sciences inférieures, dans un ordre donné, sont défendues par celle qui est première dans cet ordre. Quant à elle, sa prérogative est de se défendre elle-même. C’est ce qui a lieu dans l’ordre naturel pour la métaphysique. Cela se retrouve proportionnellement en cette sagesse supérieure qu’est la théologie sacrée. Saint Thomas l’explique en ST, 1-2, q 57, a 2 et ad1." (p 8) **+ La synthèse intellectuelle ne consiste pas reconstruire le tout à partir des éléments dissociés, mais à ressaisir dans le tout le principe d’où découle l’ordre constitutif de l’unité des** parties : Cf. Lucien B., *Apologétique* : "Et bien sûr toute analyse, toute abstraction s’éloigne en quelque façon de l’unité concrète du tout. Les scolastiques l’ignoraient-ils vraiment, eux qui ont toujours tenu que le tout n’est pas réductible à l’agrégation des parties ? C’est pourquoi la synthèse intellectuelle consécutive à l’analyse rationnelle ne consiste pas reconstruire le tout à partir des éléments dissociés, mais à ressaisir dans le tout perçu en son unité le principe d’où découle l’ordre constitutif de l’unité des parties. Cela vaut, analogiquement, dans tous les domaines où la distinction tout et parties est pertinente." (p 200) ## II.- LA SPÉCIFICITÉ DES SCIENCES : SPÉCIFICITÉ et DIFFÉRENCE SPÉCIFIQUE (DIAPHORA) **OBJET MATÉRIEL ET OBJET FORMEL** « *le corps humain est considéré comme objet de soin par la médecine, comme siège de fonction variées par la physiologie, comme composé de divers organes par l’anatomie, comme composé de matière et forme par la philosophie, comme harmonieux par l’esthétique etc*.[^10] » [^10]: F. Chenique, *op cit*, p336. **+ ARISTOTE** **SPÉCIFICITÉ et DIFFÉRENCE SPÉCIFIQUE** (*DIAPHORA*)[^11] [^11]: Pellegrin Pierre Aristote – *La politique Livre I*, au mot "Différence spécifique (Diaphora)", coll Les Intégrales de philo, éd Nathan, p 90. « Cette notion ne se comprend que relativement à celles de genre (*génos*) et d’espèce (*eidos*, au pluriel *eidè*). Ainsi dans le genre "animal" l'espèce "homme" est-elle caractérisée par la différence spécifique "raisonnable". […] Ainsi dire qu'une Cité est une grande famille (c'est-à-dire ne reconnaître entre Cité et famille qu'une différence de plus et de moins) est inacceptable pour Aristote qui reconnaît entre Cité et famille une différence spécifique. » Aristote, *Organon, Premières analytiques*, I, 30, 17-20 « **Dans toutes les sciences les principes sont spéciaux** pour la plupart; et c'est à l'expérience de fournir ces principes pour chacune d'elles. Par exemple, l'expérience astronomique fournit les principes de la science astronomique; et ce n'est qu'après avoir longtemps observé les phénomènes qu'on est arrivé aux démonstrations de l'astronomie. Tous les arts, toutes les sciences en sont là. »[^12] [^12]: Cf. par exemple : Bassu Sébastien, *Connaître en citations – Aristote*, éd Ellipses, p 37-44. **+ THOMAS D’AQUIN** **Les sciences se distinguent d’après leur objet formel quo ; leur diversité, autrement dit, procède de l’esprit, et, à un autre point de vue, des principes qu’il renferme** : Thomas d’Aquin, *II Anal*, I, 1. 41, n° 10-11 **N° 10 : 365**. […] Mais il faut considérer au sujet du premier point [260] que puisque la cause de l’unité d’une science devra se prendre à partir de l’unité du genre-sujet (*ex unitate generis subiecti*), la cause de **la diversité des sciences ne se prend pas à partir de la diversité du sujet, mais à partir de la diversité des principes**. Il dit en effet qu’une science diffère d’une autre parce que ses principes sont différents de telle manière que **les principes des deux sciences ne procèdent pas de principes antérieurs** et que **les principes d’une science ne procèdent pas des principes d’une autre science** car s’ils procédaient des mêmes principes ou si les principes de l’une procédaient des principes de l’autre, on n’aurait pas affaire à des sciences différentes **N° 11 : 366**. Mais pour en avoir l’évidence il faut savoir que ce n’est pas la diversité matérielle de l’objet qui entraîne une diversité d’habitus, mais seulement la diversité formelle. Donc, puisque le connaissable est l’objet propre de la science, **les sciences ne se distingueront pas d’après la diversité matérielle des choses à connaître, mais seulement d’après leur diversité formelle**. Mais tout comme la raison formelle de l’objet visible se tire de la lumière par laquelle la couleur est perçue, de même la raison formelle de l’objet à savoir se prend à partir des principes par lesquels une chose est connue de science. Et c’est pourquoi, si différentes que soient quant à leur nature les différentes choses à savoir, aussi longtemps qu’elles sont connues par les mêmes principes, elles relèvent d’une seule et même science car alors elles ne différeront pas en tant qu’objets de science. **+ OBJET MATÉRIEL ET OBJET FORMEL :** Cf. Chenique François, *Éléments de logique classique* - L'art de penser, de juger et de raisonner, 2006, p 43, 55, 336 : objet matériel et objet formel : **« Objet matériel et objet formel de la simple appréhension.** Précisons ces notions à propos des objets concrets que nous connaissons : **a) L'objet formel est ce qui est directement atteint par les sens.** Le « *coloré»* est l'objet formel de la vue, parce que la couleur est atteinte directement par l'œil ; le « *sonore »* ou le « *bruyant* est l'objet formel de l’ouïe ; l’« *odoriférant* », l'objet formel de l'odorat etc. **L'objet formel est l'aspect des choses atteint par une puissance (par exemple, par la vue).** **b) L'objet matériel est l'objet qui nous est connu.** L'objet matériel est ce qui est atteint -par la médiation de l'objet formel : je reconnais la voiture, mais ce que je saisis directement, c'est une forme colorée, un bruit particulier, une odeur spéciale, etc. **L'objet matériel est la chose atteinte, considérée dans toute sa réalité.** **c) L’objet de la simple appréhension.** Ce qui est connu par la simple appréhension est son *objet* ; mais cet objet peut être compris de deux manières - soit comme la chose *qui* est connue (*objet matériel*) ; - soit comme la chose *dans la mesure* où elle est connue (*objet formel*), c'est-à-dire en tant qu'elle est dans l'esprit connaissant grâce à la simple appréhension. C'est ce dernier sens que nous retiendrons pour l'objet de la simple appréhension, car il n'est pas sûr que nous appréhendions la totalité du contenu de la chose. L'objet de la simple appréhension est donc seulement *ce qui est appréhendé.* On appelle « terme » *(terminus*) l'objet qui est appréhendé par la première opération de l'intelligence, et en tant qu'il est appréhendé, c'est-à-dire en tant qu'il se trouve dans l'esprit *(mens).* Il convient alors de distinguer le *terme mental,* ou concept, et ce par quoi il s'exprime, le *terme oral* : le terme oral ou écrit est le signe du concept, comme le concept est le signe de la chose [^13](1). » [^13]: (1) Distinguons encore : le concept formel : *id in quo intelligimus* ; le concept objectif : *id quod intelligimus*. **+ Pour savoir si un acte est naturel ou surnaturel :** Cf. Broglie Guy de, *Sur la place du surnaturel dans la philosophie de saint Thomas* - Lettre à M l’abbé Blanche, RSR numéro 1 février 1925, tome 15 (SP237) : « Donc, pour savoir si un acte est naturel ou surnaturel, la question à poser ne portera pas directement sur le degré d'excellence intrinsèque de la chose à laquelle l'acte a rapport. » 3.- Ce n’est donc pas l’*objet matériel* de l’intelligence mais l’acte de l’intelligence qui est à prendre en considération pour savoir si un acte est naturel ou surnaturel. Ce qui est vrai c’est que « notre nature ne peut produire un acte qui dépasse les limites de sa puissance » Et l’aquinate insiste : « Or tel n’est pas l’acte qui consiste à aimer Dieu par-dessus tout, puisque cet acte, nous venons de le dire, est naturel à toute créature. » Pour saisir l’importance de ce qui peut paraître comme une subtilité il convient de s’informer préalablement de distinctions classiques en science logique. 4.- Ce qui caractérise la connaissance naturelle n’est pas l’*objet matériel* mais l’*objet formel* de la chose. Qu’appelle-t-on *objet matériel* en science logique[^14] ? [^14]: . On ne confondra pas objet "matériel" pris au sens de la logique classique avec cause "matérielle" pris au sens de la science pratique. Materialiter/formaliter (Objet matériel/objet formel quod et quo). Les théologiens disent que la notion de formel et matériel est relative : c’est un rapport de plus déterminé à moins déterminé. Sur les différents sens de formel et matériel, cf. B. Lucien, *Qu’est-ce que la théologie ?* Objet ou sujet d’une science, page 137. « L’*objet matériel* est constitué par la réalité totale qui se trouve en face de la faculté de l’âme[^15], de l’habitus[^16] ou de la science[^17] »[^18]. [^15]: *Faculté* de l’âme : on dit aussi *puissance* de l’âme. [^16]: Habitus : Un habitus est une certaine disposition, bonne ou mauvaise, du sujet au regard de sa forme ou de sa fin. On dit que les puissances et les habitus sont spécifiés par les *objets* (formels) vers lesquels ils sont orientés. La vue est ainsi spécifiée par l’étendue colorée, l’*habitus* mathématique par la quantité etc. Cf. F. Chenique, *op cit*, p 43. Aristote énumère cinq habitus : « Trois sont spéculatifs : l’intelligence, la science et la sagesse ; deux sont pratiques : la prudence et l’art. Ces habitus se distinguent par la fin qu’ils poursuivent : les habitus spéculatifs ont pour fin la *connaissance pure*, les habitus pratiques sont ordonnés à l’*action*. » (F. Chenique, *op cit*, p. 332). [^17]: La science considérée en tant qu’habitus. [^18]: F. Chenique, *op cit*, p 335. « L’objet matériel d’une science ou d’une discipline est tout ce dont s’occupe cette science ou cette discipline, même si (d’autres sciences ou) d’autres disciplines le font déjà à des points de vue différents.[^19] » [^19]: F. Chenique, *op cit*, p 43. Or on constate facilement que plusieurs sciences peuvent avoir le même *objet matériel*. Par exemple, « **le corps humain est considéré comme objet de soin par la médecine, comme siège de fonction variées par la physiologie, comme composé de divers organes par l’anatomie, comme composé de matière et forme par la philosophie, comme harmonieux par l’esthétique etc**.[^20] » [^20]: F. Chenique, *op cit*, p336. Puisqu’il existe plusieurs sciences pour une seule et même réalité sensible il faut bien que les connaissances diffèrent par autre chose que l’*objet matériel*. Par exemple, « Dieu est l’objet matériel de la théologie et de la théodicée (ie la théologie naturelle)[^21] » Quel est donc cette autre chose ? La logique classique le nomme *objet formel*. [^21]: F. Chenique, *op cit*, p 335. « L’objet formel est ce qui est directement atteint par les sens.[^22] » [^22]: F. Chenique, *op cit*, p55. « L’objet formel de la logique est *l’objet dans la pensée*, alors que la métaphysique s’attache à *l’objet pensé* et la psychologie à la *pensée de l’objet*.[^23] » [^23]: F. Chenique, *op cit*, p 337. 5.- La distinction *objet matériel* et *objet formel* est insuffisante. On distingue, dans la notion d’objet formel, *l’objet formel quod* et *l’objet formel quo.* L’objet formel quo est **le moyen par lequel** (=quo) l’objet est atteint. Par exemple : **La philosophie se distingue de la théologie par l’objet formel quo : alors que la philosophie envisage tout à la lumière de la raison naturelle** (*sub lumine rationis*), **la théologie reçoit ses principes d’une révélation et considère son objet matériel (Dieu) à la lumière de la foi** (*sub lumine fidei*).[^24] [^24]: D’après F. Chenique, *op cit*, p 337. Origine latine de ce vocabulaire : *L’objet formel quod* est l’aspect d’être qui (=quod), dans l’objet, est atteint par la puissance. *L’objet formel quo* est le moyen par lequel (=quo) l’objet est atteint par la puissance. Qu’est-ce que *l’objet formel quo* ? *L’objet formel quo* est le moyen par lequel l’objet est atteint par la puissance. Ou encore *l’objet formel quo* est la raison formelle grâce à laquelle l’objet est atteint par la puissance. Par exemple, le "coloré" est le point de vue qui, partant de la faculté la vue, vise l’*objet matériel*. Pour une faculté comme l’odorat, le point de vue, l’*objet formel quo*, n’est évidemment pas le "coloré" mais l’"odoriférant", pour l’ouïe, le "sonore" etc. Qu’est-ce que l’*objet formel quod* ? Par l’*objet formel quo* (ie le "coloré"), la vue atteint la couleur et non pas la réalité totale de l’objet coloré. Autrement dit, la vue n’atteint pas l’*objet matériel* mais un certain aspect de l’être qui existe dans la réalité totale. Cet aspect de l’être se nomme l’*objet formel quod*. Ainsi « la couleur (de l’*objet matériel*) est l’*objet formel quod* de la vision.[^25] » [^25]: F. Chenique, *op cit*, p 336. 6.- Les sciences se distinguent par l’*objet formel quo*.[^26] [^26]: F. Chenique, *op cit*, p 337. Les sciences se distinguent par leur objet formel quo, étant entendu que « l’objet formel *quo* est la lumière intellectuelle qui détermine l’objet formel *quod* en se portant sur l’objet *matériel*.[^27] » [^27]: F. Chenique, *op cit*, p 336. La philosophie se distingue de la théologie par l’*objet formel quo* : alors que la philosophie envisage tout à la lumière de la raison naturelle (*sub lumine rationis*), la théologie reçoit ses principes d’une révélation et considère son objet matériel (Dieu) à la lumière de la foi (*sub lumine fidei*).[^28] [^28]: D’après F. Chenique, *op cit*, p 337. **+ Les trois degrés d’abstraction** : Cf. Madiran Jean, *Itinéraires* n° 156 Septembre-octobre 1971 *Memento : les trois degrés d’abstraction* (fichier numérique) **+ Les trois degrés d’abstraction** : Cf. Chenique François, *Éléments de logique classique* - L'art de penser, de juger et de raisonner, 2006, p 52 : **3. Les trois degrés d'abstraction.** **a. L'abstraction physique :** Dans cette opération, l'intelligence appréhende les objets physiques avec leurs qualités sensibles, mais néglige les *notes* déterminantes et individuantes ; elle abstrait donc de la matière en tant qu'elle est « principe d'individuation » *(materia signata quantitate* ou *materia individualis)* pour retenir seulement la matière qui se trouve à la racine des qualités sensibles communes *(materia sensibilis communes),* et conserver les qualités et la mobilité des choses. Cette abstraction est dite *physique,* car elle permet la formation des concepts physiques : la lumière, la couleur, le cheval, l'arbre etc. **b. L'abstraction mathématique :** Dans cette opération, l'intelligence fait abstraction de toutes les qualités sensibles pour ne retenir que la **quantité** *intelligible*; elle rejette donc la quantité sensible qui par ses qualités est encore perceptible aux sens, comme la couleur, la dureté, etc., pour ne retenir que le fondement matériel de la quantité appelée par Aristote et par l'École « matière intelligible individuelle » *(materia intelligibilis).* Une telle abstraction est dite *mathématique,* car elle nous fournit les concepts mathématiques : la droite, le triangle, le cercle, les nombres réels, les matrices, les anneaux, les corps, etc. **c. L'abstraction métaphysique :** Enfin, au troisième degré, l’intelligence **abstrait de toute matière et de tout mouvement** pour retenir uniquement ce qui convient également aux êtres matériels et aux êtres- immatériels, c'est-à-dire la *qualité intelligible.* Cette abstraction parfaite, dite *métaphysique,* nous fournit les notions premières : l'être, l'unité, la vérité, la bonté, la substance, l'accident, etc. [^29](1). [^29]: (1) Il faut noter que le « dégagement » de la matière ne s'effectue pas toujours de la même manière, et qu'entre les trois degrés il n'y a qu'une simple analogie, et non pas un processus uniformément répété ; saint Thomas réserve le terme de *separatio* pour désigner l'abstraction métaphysique ; Cf. S. THOMAS, *Métaph.* VI, lect. 1, no 1 ; *De Trinitate,* q. 5, a. 1 et 3 ; *S. th.,* q. 85, a. 1, ad 2. Sur ce sujet important, consulter également Gardeil, *Métaphysique,* pp. 18-19 ; notons enfin que la théorie indienne de la connaissance ignore l'abstraction au sens technique du mot. Cf O. LACOMBE, *l'Absolu selon le Védânta,* p. 45. Nous retrouverons l'abstraction à propos de la classification des sciences (Chap. XVIII, section 2). ## III.- LA CONSTITUTION DES SCIENCES La constitution d’une science (par oppositions à sa simple connaissance), sa méthode : **La méthode de la science politique est spéculativo-pratique** La science politique est pratique ; c’est uniquement sa méthode qui est spéculativo-pratique.[^30] [^30]: Thomas d’Aquin st, *Commentaires Politique d’Aristote*, Préface n6 et n8, éd NEL 1974. **Qu’est-ce que la méthode d’une science ?** Une science est un savoir organisé, engendré par les causes explicatives des choses. Elle a un double rapport nécessaire, l’un à son objet, l’autre au sujet qui sait : le premier, constitutif de sa nature et de son espèce scientifique ; le second essentiel à son actuation, en tant qu’accident de la raison. La science en tant que telle regarde ce qui est connaissable ; mais comme destinée à perfectionner le sujet, elle se rapporte à celui qui sait. **Nous devons donc considérer non seulement** les rapports de la politique avec son objet (ie la poursuite du bien commun de la cité) mais encore **ses rapports subjectifs avec l’esprit humain.**[^31] Ce qui engendre sa méthode. [^31]: Schwalm M-B, *Leçons de philosophie sociale*, éd Bloud 1912 p 351. Deux exemples : **+ La méthode de la science politique :** Thomas d’Aquin, Proème, *Exposition de la Politique d’Aristote*, [79066] Sententia Politic., pr. 8 : 8\. « Nous pouvons enfin définir à partir de tout ce qui vient d'être dit le mode et l'ordre propres à cette sorte de science. Quand les sciences spéculatives s'attachent à l'examen d'un tout quelconque, que font-elles ? Elles élaborent, en se fondant sur l'observation des parties et principes de l'ensemble considéré, un concept susceptible de rendre compte de ce à quoi cet ensemble se trouve soumis, aussi bien que des processus qu'il met lui-même en jeu. De même notre science, considérant les parties et les principes constitutifs de la cité, définira le concept rendant compte : de ces parties dont elle est faite, de ce à quoi elle se trouve soumise, et des processus qu'elle-même met en jeu. Et comme elle reste pratique, la politique expliquera aussi par quels moyens chacun de ces trois éléments peut être mené à sa perfection propre, ainsi que toute science pratique est tenue de la faire. » La dernière phrase de ce paragraphe définit la finalité de cette science pratique qu’est la science politique. \+ Excursus Note sur la traduction personnaliste de Marcel Clément pour la fin du paragraphe : - Hugues Kéraly pour la fin du n 8 in *Préface à la politique*, éd NEL 1974 p 27 : 8…. Et comme elle reste pratique, la politique expliquera aussi par quels moyens chacun de ces trois éléments peut être mené à sa perfection propre, ainsi que toute science pratique est tenue de la faire. - MB Schwalm pour la fin du n 8 in *Leçons de philosophie sociale*, t II p 350 : 8…Comme c’est une science pratique elle montre en outre comment chaque chose peut être accomplie, ce qui est de rigueur dans une science pratique. - Jean-Baptiste Échivard pour la fin du n 8 in *Une introduction à la philosophie*, tome III, éd FX de Guibert 2006 p 157 : 8…Comme elle est une science pratique elle manifeste en plus comment les réalités singulières peuvent être perfectionnées : ce qui est nécessaire pour toute science pratique. - Marcel Clément pour la fin du n 8 in *Du bien commun*, éd L’escalade 1998 p 18 : 8…Et parce qu’elle est pratique elle manifeste en outre **comment les individus peuvent être perfectionnés** – cette connaissance des singuliers étant nécessaire dans toute science pratique. **+ Importance de la méthode en science politique :** Ce qui rapproche inéluctablement la pensée politique de gens aussi différents qu’Aristote, Thomas d’Aquin, Charles Maurras, Marcel de Corte etc., c’est la méthode utilisée pour constituer leur science politique. À savoir l’examen attentif de l’ordre naturel. Thomas d’Aquin écrit, par exemple : « **L'observateur attentif de l'histoire d'hier et de celle d'aujourd'hui** **reconnaîtra que** les tyrans ont sévi plus nombreux dans les pays gouvernés par…. »[^32] [^32]: Thomas d'Aquin st, *De regno*, I, V Et Aristote, de son côté : « La science morale qui se connaît surtout **par la méthode d’observation**. »[^33] [^33]: Aristote, *Ethique*, I, III, 1095 a. “La science morale” dont parle ici Aristote est la science de tout l’agir humain qui se subdivise elle-même en trois parties : celle de la morale individuelle, celle de la morale familiale et enfin celle de la politique. Cette dernière est architectonique des deux autres (cf. supra). Méthode qui conduit forcément aux mêmes conclusions. L’impression que l’on pourrait parfois ressentir d’une idéologie commune est fausse. **+ La constitution de la science apologétique :** Cf. Lucien B., *Apologétique*, p 14 : Les sciences apologétiques parfaite et imparfaite : 1.- La science apologétique parfaite implique, pour la constituer, le savoir du théologien catholique et donc la grâce[^34], [^34]: M-L Guérard op, *Dimensions de la Foi*, tome II, p 274, n 6 : « C’est au théologien qu’il revient de construire la science apologétique. » 2.- La science apologétique imparfaite : « Cette démarche complexe d'ordre naturel aboutissant à la mise en lumière de la **crédibilité rationnelle** de la Révélation apportée par Jésus-Christ est véritablement une démarche de **type scientifique** au sens plus large aujourd'hui admis. Il s'agit d'une démarche *pluridisciplinaire*, puisqu'elle met enjeu notamment la métaphysique, l'histoire et l'exégèse. Étant donc reconnu que le qualificatif de « scientifique » ici utilisé **laisse ouverte** la question de la certitude (ou de la probabilité) des conclusions et n’implique pas une démarche « par les causes », nous pouvons recevoir les explications de Gardeil sur la possibilité d'une science apologétique imparfaite, distincte de la théologie et d'ordre strictement naturel : « La caractéristique de cette apologétique sera d’être purement rationnelle d’esprit et scientifique de procédé. »[^35] [^35]: A. Gardeil, *La crédibilité et l’apologétique*, 1928, p 231. Selon le p. Gardeil, « on peut constituer, "extraire" de l’apologétique théologique une véritable science imparfaite, d’ordre naturel, concluant à la crédibilité rationnelle.[^36] [^36]: Cf. Lucien Bernard, *Apologétique*, p 21. ## IV.- SUBALTERNATION et ARCHITECTONIE **+ Vocabulaire :** La proposition : "La science B est subalternée à la science A" est équivalente à la proposition : "La science A est architectonique de la science B" **+ La science qui se rapporte aux autres comme architectonique à l’égard de celles qui lui sont "subordonnées" ou subalternées :** Cf. Thomas d’Aquin, *In Met.,* lib. 1 n° 50 (cf. n°25) **« 25**. *En premier lieu* il manifeste la majeure de la preuve lorsqu’il dit : ¨ C’est pourquoi sont à la fois premiers etc.¨. Et voici cette preuve. Ceux qui connaissent la cause et la raison d’être des choses se comparent à ceux qui connaissent seulement les faits, comme les **arts architectoniques** se comparent aux arts manuels. Mais les arts architectoniques sont plus nobles : donc ceux qui connaissent les causes et les raisons d’être des choses sont plus savants et plus sages que ceux qui connaissent seulement les faits. » **« 50**. Ensuite lorsqu’il dit [25] : ¨ En vérité il appartient au plus haut point ¨. Il montre finalement, par ce raisonnement, que *le sixième* élément de la définition appartient lui aussi au sage. **C’est la science qui considère la cause finale, en vue de laquelle tous les moyens singuliers doivent être mis en opération, qui est la science qui se rapporte aux autres comme étant première ou comme architectonique à l’égard de celles qui lui sont subordonnées ou qui sont à son service, ainsi qu’on peut le voir à partir de ce que nous avons dit plus haut. Car le pilote du navire auquel revient l’usage du navire qui est aussi sa finalité, est comme un architecte à l’égard de celui qui le fabrique et qui est son subordonné.** Mais la science dont nous traitons considère au plus haut point la cause finale de toute chose. Ce qui apparaît à partir de ceci que cela même, en vue de quoi les moyens singuliers doivent être mis en opération, est pour une chose son bien, c’est-à-dire le bien qui lui correspond. Quel que soit le genre de choses qu’on examine, la fin est le bien. En réalité, ce qui est le bien de toutes les choses, c’est-à-dire de l’ensemble de l’univers, est ce qu’il y a de meilleur dans toute la nature : et c’est à cela que se rapporte l’examen de cette science; donc, c’est cette science qui est première ou **architectonique** à l’égard de toutes les autres. » \+ **Nécessité d’éclairer le sujet d'une science de degré inférieur par des principes empruntés à un degré supérieur d'abstraction** (**subalternation**) : Cf. Gardeil H.D., *Initiation à la philosophie de S. Thomas d’Aquin*, Introduction, Logique, 3e édition, Éditions du Cerf, 1956 : *Principe de la classification des sciences*, p 159-160 : « [159] 2. L'organisation des sciences dans le cadre des degrés d'immatérialité. À chacun de ces degrés correspond, on le sait, l'une des trois grandes parties de la philosophie, physique, mathématique, métaphysique. Mais à l'intérieur ou dans les intervalles de ces trois grands étages du savoir, nous pouvons distinguer des plans intermédiaires d'intelligibilité. a) À l'intérieur de chaque degré tout d'abord, on pourra distinguer des modalités plus ou moins abstraites ; c'est constatable surtout pour le 2e degré, où saint Thomas discernait déjà un plan géométrique moins abstrait et un plan arithmétique plus abstrait. De nos jours il faudrait sans doute lui superposer un plan algébrique. b) On peut encore varier l'intelligibilité des sciences en constituant des sortes d'intermédiaires entre les degrés d'abstraction, ce que saint Thomas, après Aristote, a appelé [160] des *scientiæ mediæ* ; on y parvient **en éclairant le sujet d'une science de degré inférieur par des principes empruntés à un degré supérieur d'abstraction** (**subalternation**). Les anciens proposaient les exemples de la perspective ou optique, de la musique et de l'astronomie. De nos jours il faudrait comprendre dans cette catégorie tout l'ensemble compris sous le nom de physique mathématique. \- Les sciences intermédiaires sont, grâce à leurs principes d'ordre plus élevé, plus intelligibles que les sciences se trouvant au niveau de leur sujet. Cependant, remarque saint Thomas, ce sont plutôt des sciences de degré inférieur, « *dicuntur esse magis naturales quam mathematicæ* » (qui sont dites plus naturelles que les mathématiques), et cela parce que la spécification se fait essentiellement par le terme et que le terme de ces sciences intermédiaires se trouve dans le degré inférieur. » **+ De toutes les sciences pratiques, la science politique a un rôle architectonique par rapport à toutes les autres** : Cf. Thomas d’Aquin : [79072] *Sententia Politic*., pr. 7. [79072] *Sententia Politic*., pr. 7 Tertio possumus accipere dignitatem et ordinem politicae ad omnes alias scientias practicas. Est enim civitas principalissimum eorum quae humana ratione constitui possunt. Nam ad ipsam omnes communitates humanae referuntur. Rursumque omnia tota quae per artes mechanicas constituuntur ex rebus in usum hominum venientibus, ad homines ordinantur, sicut ad finem. Si igitur principalior scientia est quae est de nobiliori et perfectiori, necesse est politicam inter omnes scientias practicas esse principaliorem et **architectonicam** omnium aliarum, utpote considerans ultimum et perfectum bonum in rebus humanis. Et propter hoc philosophus dicit in fine decimi Ethicorum quod ad politicam perficitur philosophia, quae est circa res humanas. 7\. En troisième lieu, nous pouvons établir quelle est, par rapport à toutes les autres sciences pratiques, la dignité de la politique, son rang. La cité tient le rang suprême des choses que la raison humaine peut réaliser. D'une part, en effet, toutes les autres formes de communauté humaine lui sont ordonnées, et d'autre part, toutes les inventions des arts mécaniques sont vouées à l'homme comme à leur fin. Si donc la science la plus digne est celle qui porte sur l'objet le plus noble et le plus parfait, il est nécessaire que, de toutes les sciences pratiques, la politique soit au premier rang et ait un rôle **architectonique** par rapport à toutes les autres. Elle considère en effet le bien le plus haut et le plus achevé de la vie humaine. C'est pourquoi le Philosophe déclare à la fin du livre dixième des *Éthiques*[^37] que la science des choses humaines a son couronnement dans la politique. [^37]: Aristote, *Éthique à Nicomaque*, X, 9, 1181 b 14. \+ Thomas d'Aquin st, *Sententia Eth.,* I, 2 § 31 « [72735] *Sententia Ethic*., lib. 1 l. 2 n. 13 - L'autre propriété de la science architectonique, à savoir employer les sciences inférieures, appartient aussi à la politique mais seulement par rapport aux sciences pratiques ; d'où il infère que les vertus, c’est-à-dire les arts opératifs les plus précieux et les plus nobles, semblent être ceux qui sont sous la politique, à savoir l'art militaire, l'économique et la rhétorique que la politique emploie tous pour sa fin propre, c’est-à-dire le bien commun de la cité. Ensuite à partir de ce qu'il a établi, il conclut tel qu'il avait proposé. Voici ce qu’il dit : comme la politique emploie toutes les autres disciplines pratiques comme on l'a dit plus haut; et comme c'est elle-même qui pose la loi qui dit qu'est-ce qu'il faut faire et de quelles choses il faut s'abstenir, comme on l'a dit plus haut; il s'ensuit que la fin de la politique en tant qu'**architectonique**, embrasse, c’est-à-dire contient sous la sienne propre, les fins des autres sciences pratiques. D'où il conclut que la fin de la politique est un bien humain, à savoir le meilleur parmi les choses humaines. » ## V.- DES MALADIES DES SCIENCES **Les scientifiques peuvent être atteints à des degrés divers par le "révisionnisme" scientifique :** **À titre d’exemples, nous citerons ici le Retour aux sources, l’Historicisme et le Scientisme** : **1.- Le Retour aux sources en théologie** On sait que la collection proposée par les éditions du Cerf *Sources chrétiennes*, de par l’intention de ses promoteurs soulignée dès le début, « fut trop souvent de trouver chez les Pères de l’Église un prétexte pour s’affranchir de la théologie de saint Thomas » et de la science dogmatique.[^38] [^38]: Dominicus, *Les quatre-vingts ans du Cerf*, *Sel de la terre*, n°71, p 144. Ce retour aux sources chrétiennes favorise la tendance fondamentaliste. **2.- L’historicisme que l’on rencontre également en théologie** (cf. PR86) « Le relativisme propre à l'historicisme tend à déconsidérer comme choses du passé les philosophies antérieures, pour ne privilégier que ce qui arrive en dernier. Non seulement l'historicisme est aliéné à la conscience historique, mais tend à faire le lit de l'idée selon laquelle les Modernes comprennent mieux les auteurs du passé, que ceux-ci ne se comprenaient eux-mêmes. Cette appréhension surplombante du passé, en tant qu'elle réinterprète l'histoire à la faveur des opinions du présent et sous le mode du relativisme, préfigure le nihilisme, et par sa distinction entre faits et valeurs, l'éclatement de la philosophie en sciences humaines. »[^39] [^39]: Cf. <https://www.wikiberal.org/wiki/Historicisme> On trouve déjà cette tendance chez M-D Chenu in *Introduction à l’étude de S Thomas d’Aquin*, ouvrage dont le message subliminal est « Les réponses de saint Thomas étaient bonnes pour son époque, pas pour la nôtre. »[^40] [^40]: Denis Ramelet, *Déclin et renouveau du Thomisme*, Catholica n° 104 été 2009. Cf. également G. Devillers, *Politique chrétienne*, p 3 : « Une telle question n'avait guère de sens à l'époque de saint Thomas d'Aquin, l'unité foncière de la société chrétienne allant de soi pour tous. » "À l'époque de saint Thomas d'Aquin" permet à l’auteur de confiner la pensée politique de Thomas d’Aquin à la période médiévale ; les œuvres de science politique de l’aquinate cessent ainsi d’apporter à notre époque des jugements universels et permanents sur le politique. Voici un passage de la recension que fait Marcel De Corte du livre du cardinal J. Siri, *Gethsémani[^41]*, soulignant les dégâts théologiques causés par la mentalité historiciste : [^41]: Marcel De Corte, *Bilan du mouvement théologique contemporain selon le cardinal Joseph Siri*, Revue universelle des faits et des idées, 1981 n° 70, p 30. « Il faut remonter jusqu'à Jean-Baptiste Vico (1668-1744) pour découvrir les premiers textes qui considèrent que l'homme est l'auteur de sa propre histoire parce qu'il la fait, parce qu'il en est le seul constructeur. Pour Vico, le vrai est uniquement ce que l'on fait, il est une idée ou une représentation mentale projetée dans le monde de manière autonome, à peu près comme le sculpteur projette la forme de la statue qu'il a en son esprit dans l'argile ou dans le marbre. L'histoire n'est qu'une construction perpétuelle et toujours changeante de sa propre réalité par l'homme. Vico n'a pas appliqué ses idées à l'histoire sacrée, mais il était fatal qu'on le fit et que l'homme fût proclamé le créateur de tout ce qu'il peut connaître de Dieu. […] La mentalité que le Cardinal Siri appelle "historiste" a suscité dans tous les domaines un esprit de critique et d'autonomie anthropocentrique", particulièrement dans "l'herméneutique" ou dans l’interprétation de l'Écriture sainte. La philosophie immanente à "la conscience historique" en a imprégné toutes les recherches. » **3.- La tendance numérisante pour obtenir un label "science" physico-mathématique** Dans le no 661-662 de juin-Juillet 2002 de la revue *Critique*, intitulé *Sciences dures ?*, Françoise Balibar et Elie During, écrivent : « C’est un lieu commun tenace : les sciences seraient d'autant plus « dures » qu'elles seraient plus authentiquement des sciences. [...] L’opposition des sciences dures (physico-mathématiques) aux sciences humaines hérite de ces confusions et de ces préjugés. » On voit que la modernité privilégie ces sciences préposées à l’objet mathématique, déniant le titre de science à la métaphysique (c’est le débat sciences dures/sciences « molles »). Ce qui s’explique assez bien par la prédominance de la science du *Faire* (ποίησις) [^42] dans le monde moderne. Qu’est-ce que le *Faire* dont il est question ici ? En grec ancien : *poïêsis* désigne la fabrication, l’activité opératoire, la poésie. Il convient d’entendre le verbe *Faire* au sens de *Je fabrique* par opposition au *Connaître* et à l’*Agir humain* (au sens de *J’agis* sur moi-même ou sur les autres). Or il se trouve que l'activité théorique et l'activité pratique, distinctes cependant de l'activité "poétique" *en raison de leurs objets respectifs différents*, peuvent être contaminées par le *Faire*. [^42]: . Cf. Gobry Ivan, *Le vocabulaire grec de la philosophie*, collection Ellipses 2010, p 164. « C'est seulement avec Aristote et saint Thomas d'Aquin ainsi qu'avec leurs disciples *fidèles* que commence la philosophie proprement dite en ses deux aspects : le spéculatif et le pratique. La morphologie de l'esprit humain explique cette assertion qui peut paraître audacieuse. La distinction aristotélicienne (reprise par sait Thomas) entre *science spéculative* ou *sagesse* dont la fin est le connaître pour le connaître, *science pratique* où la connaissance est de soi orientée vers la πρᾶξις (praxis) et vers sa fin qui est le Bien dans une causalité finale, et, d'autre part, la *science poétique* (ποίησις) où le connaître est originellement liée à la production d'une œuvre extérieure à l'agent, me paraît d'une importance épistémologique et métaphysique fondamentale. Le brouillage des transcendantaux peut déterminer dans la philosophie des ravages importants. Tous les idéalismes philosophiques et les idéologies politiques, même les plus opposées en apparence, comme le démocratisme et le communisme, en sont imbibés. »[^43]. [^43]: Extrait de Marcel De Corte : *AUTOBIOGRAPHIE PHILOSOPHIQUE*, *FILOSOFIA OGGI*, 1985, n° 4. On peut hésiter sur le nom à donner à cette dérive : Paradigme de la méthode physico-mathématique ? Néo-positivisme ? Oubli de la cause formelle qui implique l'oubli de la cause finale ? Ou plus radicalement : "Empirisme" ou "Scientisme". ## VI.- Des DIFFÉRENCES QUANT AUX SCIENCES DANS L’ORDRE NATUREL ET L’ORDRE SURNATUREL **Les sciences éthiques, dont l’architectonique est la science politique, ne sont pas subalternées à la théologie (contre J. Maritain)** **+ L’Église catholique affirme l’existence de deux ordres de connaissance :** Citations in Lucien B., *Révélation et Tradition*, p 32-33 : **Concile Vatican I, Session III. 24 avril I870** ; **Constitution dogmatique Dei Filius sur la foi catholique** ; ch. 4 « Foi et raison » ; D 1795, DS 3015 : L'Église catholique a toujours tenu et tient **encore qu'IL** **EXISTE DEUX ORDRES DE CONNAISSANCE**, distincts non seulement par leur principe, mais aussi **PAR LEUR OBJET.** Par leur principe, puisque dans l’un c'est par la raison naturelle et dans l'autre par la **foi divine** que nous connaissons. Par leur objet, parce que, outre les vérités que la raison naturelle peut atteindre, nous sont proposés à croire les **MYSTÈRES cachés en Dieu, qui ne peuvent être connus s'ils ne sont divinement révélés** (cf. canon 1, DS 3021).[^44] [^44]: Passage clef, au point de vue magistériel, sur l’existence de deux ordres, même du côté de l’objet, encore amplifié par le paragraphe suivant. C'est pourquoi l’Apôtre, qui témoigne que Dieu a été connu des gentils « par ses œuvres » (Rm 1,20), lorsqu'il parle de la grâce et de la vérité qui nous viennent de Jésus Christ (Jn 1,17), déclare : « Nous prêchons la sagesse de Dieu dans le mystère, une sagesse cachée que Dieu a prédestinée avant tous les siècles pour notre gloire, qu'aucun des princes de ce siècle n'a connue... Dieu nous l’a révélée par son esprit, car l'esprit pénètre tout, même les profondeurs de Dieu » (1Co 2,7 s.). Et le Fils unique lui-même rend grâces au Père d'avoir caché ces choses aux sages et aux prudents et de les avoir révélées aux petits (Mt 11,25). « Hoc quoque perpetuus Ecclesiae catholicae consensus tenuit et tenet **DUPLICEM ESSE ORDINEM COGNITIONIS NON SOLUM PRINCIPIO, SED OBIECTO ETIAM DISTINCTUM** : principio quidem, quia in altero **naturali ratione**, in altero **fide divina** cognoscimus ; obiecto autem, quia praeter ea, ad quae naturalis ratio pertingere potest, credenda nobis proponuntur MYSTERIA in Deo abscondita, quae, nisi revelata divinitus, innotescere non possunt [can. 1, DS 3021]. (...) » **+ La déchristianisation que subit le monde depuis deux ou trois siècles est parallèle à l’affaissement du sens de la nature :** De Corte Marcel, *Jacques Maritain et la « question »,* Revue catholique des idées et des faits, Liège, 17 mars 1939 : « Nous pouvons néanmoins remarquer que la position adoptée par Jacques Maritain, lorsqu’il interprète philosophiquement l’histoire, est sujette à critique. Nous la croyons insuffisante parce qu’elle ne laisse qu’une part restreinte, sinon nulle, au développement de la *nature* humaine prise comme telle : l’homme qui est emporté dans le flux historique de la durée n’est pas seulement un être promu à une destinée supraterrestre, heureuse ou malheureuse, il est un être naturel, possesseur d'une nature, blessée sans doute par le péché originel, mais cependant inaltérée en sa constitution, et qui, par vocation naturelle (osons ce pléonasme) doit réaliser dès ici-bas sa nature. Saint Thomas ne l’a pas entendu autrement, et c’est pourquoi sa morale est imprégnée de ce que M. Étienne Gilson appelle à juste titre le **naturalisme chrétien***.* Il est impossible de réduire la part de la nature : ou bien on l’accepte *telle qu'elle est* en sa structure ontologique propre que la Grâce vient consolider et surélever, ou bien, si l’on en retranche la plus infime partie, qu’il s’agisse de la chair ou de l’esprit, on l’élimine. M. Maritain ne l’ignore pas, qui a si vigoureusement combattu l’angélisme cartésien. Sans la nature, la Grâce est privée de fondement réel : greffée sur un être de raison, elle s’étiole et disparaît. De ce point de vue, on pourrait dire que la déchristianisation que subit le monde depuis deux ou trois siècles est parallèle, d’une part, à l’affaissement du sens de la nature et des réactions naturelles chez l’homme (au profit des explosions émotives ou idéologiques), et, d’autre part, à la prolifération de ce qu’on pourrait appeler l*'utopisme.* Dès lors, si l’on interprète philosophiquement l’histoire comme développement de l'homme vers sa fin surnaturelle, il importe de ne jamais négliger le rôle joué par la nature : pareille omission impliquerait un **surnaturalisme**, **apparemment vivace et pieux**, mais qui risque, faute de base solide où s’élever, de se muer en pure abstraction logique, imposant tyranniquement aux situations concrètes où l’homme se trouve placé la plus odieuse des dictatures. » \+ **Notre intelligence peut atteindre, par sa connaissance naturelle dans l’ordre naturel, certaines choses qui sont au-dessus d’elle :** Broglie Guy de, *Sur la place du surnaturel dans la philosophie de saint Thomas* - Lettre à M l’abbé Blanche, RSR numéro 1 février 1925, tome 15 (SP237) : **« 2.-** Notre intelligence peut atteindre, par sa connaissance naturelle dans l’ordre naturel, certaines choses qui sont au-dessus d’elle. Thomas d’Aquin prend l’exemple de la connaissance de Dieu. Et il répond à l’argument suivant qui est entaché d’erreur : [38379] 2. « Aucune nature ne peut se surpasser elle-même. Or, aimer quelque chose plus que soi, c’est se porter vers quelque chose qui est au-dessus de soi. Aucune nature créée ne peut donc, sans le secours de la grâce, aimer Dieu plus qu’elle-même. » Thomas d’Aquin répond : [38384] 2. « Quand on dit qu’aucune nature ne peut se dépasser elle-même, cela ne signifie pas qu’elle ne puisse se porter vers un objet qui lui est supérieur ; il est manifeste en effet que notre intelligence peut atteindre, par sa connaissance naturelle, certaines choses qui sont au-dessus d’elle, comme c’est évident pour la connaissance naturelle de Dieu.[^45] » [^45]: Thomas d’Aquin st, *ST*, Ia IIae, q 109, a 3, ad 2. Et l’aquinate ajoute : « Car il est bien clair qu'il n'y a point de chose intrinsèquement plus excellente que Dieu, **lequel peut être lui-même objet et de notre connaissance naturelle et de notre amour naturel. »** **+ Peut-il exister une politique chrétienne ?** Voir en particulier : Deman Th. o.p., *Sur l’organisation du savoir moral* et *Questions disputées de science morale*, Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques, respectivement RSPT 1934, p. 258-280 et 1937, p. 278-306 (éd numérique) Gagnebet M-R op, *L’amour naturel de Dieu chez saint Thomas et ses contemporains*, Revue thomiste 1948-III et 1959 I-II. Ramirez Santiago, *La science morale pratique*, Bulletin Thomiste, IV (1934-1936), 1935, pp. 423-432. (éd numérique) Lucien B., *Qu’est-ce que la Théologie ?*, Un débat sur les autres sciences pratiques (Ramirez op et Deman op contre Maritain et Journet) : p 52. Midelt Bernard de, *Peut-il exister une politique chrétienne ?,* diffusion AFS. **+ La théologie n’est pas pour les sciences pratiques une science subalternante :** Lucien B., *Qu’est-ce que la Théologie ?*, p 60-62 : « Cette réponse de saint Thomas (ST, I, q 1, a 6) est doublement importante : 1° Elle souligne la distinction des **ordres de connaissance** : les autres sciences relèvent de la connaissance naturelle. En conséquence, tout en étant sagesse, la *Sacra Doctrina* qui dépend de de la Révélation surnaturelle n’a pas à établir leurs principes. Cette réponse met en place **la juste autonomie des sciences profanes et de la philosophie** par rapport à la Théologie sacrée. Celle-ci n’est pas pour celles-là une science **subalternante**. […] 2° Mais saint Thomas indique également que la *Sacra Doctrina* peut **juger** les autres sciences : parce que tout ce que celles-ci prétendraient affirmer en contradiction avec la Vérité révélée serait nécessairement faux. » **+ Il ne faut pas affirmer comme des dogmes de foi les opinions des philosophes qui ne répugnent pas à notre foi :** Thomas d’Aquin, Réponse à 42 questions du frère Jean de Verceil, supérieur général de l’Ordre des frères prêcheurs[^46] : [^46]: Cité in *Peut-il exister une politique chrétienne ?,* page 12. « Il me semble donc plus opportun de ne pas affirmer comme des dogmes de foi les opinions des philosophes qui ne répugnent pas à notre foi, même si elles s’appuient sur l’autorité d’un grand nom, et de ne pas non plus les nier comme opposées à la foi. » **+ C’est la contingence, et non pas la singularité comme telle, qui s’oppose à la connaissance scientifique :** Lucien B., *Qu’est-ce que la Théologie ?,* p 32-33 : Doctrine sacrée et faits singuliers : Ce n’est pas la singularité comme telle qui s’oppose à la connaissance scientifique : c’est la contingence (l’absence de nécessité). Comme les réalités du monde corporel, sensible, sont individuées par la matière (quantifiée) et que cette dernière est source de contingence, cela entraîne que les réalités matérielles ne peuvent être connues scientifiquement (au niveau humain) selon leur singularité. Mais il reste que, pour autant qu’une réalité singulière (chose ou fait) est imprégnée de nécessité dans sa singularité même, elle peut être objet de science. » **+ Autres références :** Lucien B., *Qu’est-ce que la Théologie ?*, Distinction de deux ordres de connaissances, p 65 Lucien B., *Qu’est-ce que la Théologie ?*, Deux ordres de connaissance, distincts, non seulement par leur principe mais aussi par leur objet : p 64-65. Gardeil A., L’Apologétique imparfaite, *La crédibilité et l’apologétique*, 1928, p 231[^47]. [^47]: La science apologétique imparfaite : « La caractéristique de cette apologétique sera d’être purement rationnelle d’esprit et scientifique de procédé. » cité par B. Lucien, *Apologétique*, p 14. SP 237 Ordre naturel – Connaissance – vertus : Acte naturel et acte surnaturel[^48] [^48]: Á partir de Broglie Guy de, *Sur la place du surnaturel dans la philosophie de saint Thomas - Lettre à M l’abbé Blanche*, RSR numéro 1 février 1925, tome 15. Fichier numérique BIBLIOGRAPHIE contre la subalternation de l’éthique naturelle \+ Conclusion rapide Si la science politique n’est pas subalternée à la théologie, pour autant, il n’en reste pas moins que « trop d'esprits pensent encore que la théologie ne s'occupe que de questions spéciales pour ne pas dire inhumaines ; et dès là qu'une question vitale ou passionnante se pose, ils n'ont gardent de croire qu'un théologien y puisse dire son mot. Certes, cette science est sacrée ; mais l'épithète lui jouerait un bien mauvais tour si elle l'enchaînait au sanctuaire.[^49] » [^49]: Th. Deman, o.p., *Sur l’organisation du savoir moral*, *Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques*, RSPT 1934, p. 258-280. Autrement dit, la théologie ne traite pas seulement de Dieu mais aussi des actes humains. *Per accidens* elle peut donc jouer un rôle positif vis-à-vis des autres savoirs naturels, tout spécialement pour la théologie naturelle. Mais dire cela n’est pas dire qu’elle se subalterne la philosophie ou la science politique. ## VII.- LES SCIENCES DANS L’ORDRE NATUREL **VII. 1- Les trois moyens de connaître** Marcel De Corte, *L’Histoire et les vertus de l’historien*, RUFI 1976 n°26 « L'homme dispose de trois moyens de connaître, et de trois seulement : *la connaissance dite théorique, spéculative, scientifique ou philosophique,* qui consiste dans la saisie par l'intelligence des êtres et des choses dont l'existence et l'essence ne dépendent pas de nous ; *la connaissance pratique —* au sens grec de l'adjectif — qui consiste dans la direction imposée par notre intelligence et notre volonté libre aux actes qui dépendent de ces deux facultés associées et, qui demeurent en nous pour nous perfectionner : *la connaissance poétique —* au sens grec de l'adjectif, derechef — qui consiste dans la fabrication, par notre intelligence et notre volonté conjointes, d'objets extérieurs à nous-mêmes conformément aux règles que ces objets exigent. Je connais théoriquement lorsque je sais définir tel ou tel corps naturel, le ramener à ses causes prochaines ou le suspendre à sa Cause ultime : l'eau, par exemple, est un composé de deux molécules d'hydrogène et d'une molécule d'oxygène, lesquelles, en dernière analyse, dépendent en leur existence et en leur essence du Créateur de l'univers. Je connais pratiquement lorsque j'accomplis des actes de justice qui me perfectionnent intérieurement. Je connais poiétiquement lorsque, par mon savoir-faire et par mon habileté technique, je construis une maison, peins un tableau ou écris un livre. *Théoria, praxis, poiêsis,* telles sont les trois activités de l'intelligence humaine : *contempler, agir, faire.* Il n'y en a pas d'autre. C'est ou bien *l'adequatio rei et intellectus*[^50], ou bien la *recta ratio agibilium*, ou bien la *recta ratio factibilium* : la correspondance de notre raison au monde extérieur dans l'acte de connaître pour connaître, sans autre fin que cet acte ; la droite détermination rationnelle des actions humaines ; la droite détermination rationnelle des choses à faire. [^50]: NdlE : « Veritas est *adæquatio intellectus et rei* » : « la Vérité est l'adéquation de la pensée et des choses ». (Thomas d’Aquin, *ST*, I, q. 16, a. 1). Prudentia est *recta ratio agibilium* : La Prudence est la raison droite des "agissables" (ie la raison droite de l’agir humain) (Thomas d’Aquin, ST, IIa-IIae, q. 47, a. 2). Ars est *recta ratio factibilium* : « L’ "Art" est la droite détermination des œuvres à faire ». (Thomas d’Aquin, *ST*, IIa-IIae, q. 134, a. 1). Tout le champ de la connaissance humaine est occupé par ces trois espèces de connaissance ou par leurs combinaisons à doses diverses. On peut chercher : on n'en trouvera aucune qui ne rentre dans l'une ou l'autre de ces catégories, dans leur mélange ou dans leurs sillages. L'histoire doit donc forcément rentrer dans l'une d'elles ou dans plusieurs d'entre elles à la fois selon diverses proportions. Mais ce n'est pas seulement ce critère de la finalité : interne à la connaissance dans le cas du savoir spéculatif, interne à l'agent moral dans le cas du savoir pratique, externe à celui-ci dans le cas du savoir technique, qui différencie l'ordre du savoir universel. Il y a aussi — et nous en verrons l'importance à propos de l'histoire le critère de l'objet. *La connaissance spéculative,* du fait qu'elle est ordonnée à la découverte de ce que sont les choses qui existent en dehors de nous, vise essentiellement le nécessaire : ce qui ne peut pas être autrement qu'il est. À moins de verser dans un nominalisme radical qui signifierait la mort de la science et de la philosophie, il est rigoureusement impossible que le savoir se porte sur ce qui devient purement et simplement et qui n'est jamais invariable devant la pensée qui l'appréhende. Il faut que quelque chose dans l'objet visé par l'esprit *se conserve* au sein des transformations qui l'affectent à nos yeux, pour qu'il y ait un savoir authentique. Sans cet élément permanent, immuable, nécessaire, la connaissance que nous pourrions avoir de l'objet s'évanouirait dans le néant. La *connaissance pratique* et la *connaissance poiétique,* au contraire, du fait de la dépendance de leur objet par rapport à l'intelligence et à la volonté qui l'engendrent, soit sous la forme d'actions humaines, soit sous la forme de concepts opérationnels aboutissant à la production d'êtres artificiels, sont orientées avec netteté vers le contingent, vers ce qui pourrait être ou ne pas être, vers ce qui dépend du libre arbitre humain. Il m'appartient d'être juste ou injuste et de l'être par tel ou tel moyen. Il m'appartient de décider que j'écrirai ou non telle ou telle œuvre en usant de telle ou telle méthode. Il suit de là que la vérité, *en matière spéculative,* se situe tout entière dans la conformité à la réalité existante que j'appréhende ; *en matière pratique,* dans la conformité de l'intelligence désirante ou du désir intelligent qui m'anime à la fin ultime de la vie humaine, et dans la convenance des moyens que je choisis à cette fin ; *en matière technique,* dans l'accord des procédés employés pour édifier une œuvre avec les exigences de cette œuvre elle-même. Dans la connaissance spéculative, le mouvement de la pensée va des choses à la pensée qui les appréhende : le réel extérieur est la mesure de l'intelligence. Dans la connaissance pratique, c'est l'inverse : c'est l'intelligence conjointe à la volonté qui mesure la convenance des moyens à la fin ultime poursuivie. Dans la connaissance fabricatrice d'objets, c'est à nouveau l'intelligence qui élabore, évalue et détermine les procédés qui conviennent à la réalisation de l'œuvre entreprise. Dans la connaissance spéculative, les choses exercent leur causalité sur l'esprit ; dans les deux autres l'esprit exerce la sienne sur les actes qu'il importe d'accomplir en vue de la fin, qu'il s'agisse d'une activité immanente, au niveau pratique, ou d'une activité transitive au niveau de la fabrication d'objets utiles à l'homme. Dans le premier cas, l'activité de l'esprit est surtout analytique, dans les deux autres, elle est synthétique. L'analyse va du *tout* aux parties, des éléments composés au composant, des effets aux causes, des faits aux lois qui les régissent, du particulier au général. La synthèse, par ailleurs, recompose le tout à partir de ses éléments, l'ensemble complexe à partir de ses éléments constitutifs, et elle va des principes aux conséquences, des causes aux effets, des lois aux faits singuliers qu'elles régissent, du général au particulier. » **VII. 2- Métaphysique et Éthique** (ie politique) \+ **L’ordre politique est différent de l’ordre métaphysique** [^51] [^51]: Métaphysique : science de l’être en tant qu’être. Si on se place maintenant du point de vue des conclusions auxquelles la métaphysique conduit : a) du point de vue de l’être, considéré dans son type intelligible, la métaphysique est alors l’ontologie et b) de l’être considéré dans sa cause première, elle est la théodicée (théologie naturelle) - Thomas d’Aquin st, *ST*, Ia IIae, q1 a 3. Cf. Également *De malo*, q 2 a 4 et a 5 ad 2. « Rien n’empêche qu’un acte unique, considéré dans son espèce naturelle soit dirigé vers diverses fins volontaires, et par exemple le fait de tuer un homme, acte unique selon son espèce naturelle, peut avoir pour fin soit la conservation de la justice, soit la satisfaction de la colère, et l’on aura ainsi des actes moraux spécifiquement distincts puisque l’un est vertueux et que l’autre est un crime. C’est que le mouvement (ie l’action humaine) ne reçoit pas son espèce de ce qui n’est son terme que par accident (ie l’ordre métaphysique), mais de ce qui est son terme en raison de sa propre essence. Or les fins morales poursuivies à leur occasion **sont accidentelles aux choses naturelles** et en retour les fins de la nature sont accidentelles à la moralité. Rien donc ne s’oppose à ce que des actes identiques en nature revêtent des espèces morales diverses et réciproquement. »[^52] [^52]: Thomas d’Aquin st, *ST*, Ia IIae, q1 a 3. Cf. Également *De malo*, q 2 a 4 et a 5 ad 2. Le commentateur ajoute : « Deux actes peuvent avoir un même être naturel, ou appartenir naturellement à la même espèce, tandis que considéré moralement, ou dans leur être moral, ils appartiennent à des espèces différentes et même opposées. Tuer un homme, dans le cas de légitime défense où le tuer sous l’impulsion de la haine, c’est un même acte naturel ; mais à considérer les choses **sous le rapport moral**, il existe, entre ces deux actes, une différence qui les classe dans deux espèces bien distinctes : l’un est un malheur, l’autre est un crime. »[^53] [^53]: Lachat F., *Somme Théologique*, éd Vivés 1869 t 4 p 482 - Lachance Louis, *L’humanisme politique de saint Thomas d’Aquin - individu et État*, éd Sirey 1965 p 44 : Mais, faut-il le redire et l'établir, l'ordre politique est d'essence proprement morale. Se superposant au plan ontologique, il relève de disciplines propres. **Il n'a pas en effet les mêmes principes, il ne porte pas sur les mêmes objets, et la fin à laquelle il tend est différente.** L'ordre politique n'a pas non plus les propriétés de l'ordre métaphysique ni ne revêt son caractère de nécessité. Au surplus, il ne s'adresse pas aux mêmes dispositions dans le sujet. En un mot, les contrastes entre ces deux ordres sont si apparents, qu'on peut qualifier leur confusion - si étriquée soit-elle de données savantes - d'erreur certaine. Et pourtant des philosophes censés avertis en thomisme s'en rendent coupables[^54]. [^54]: Le moral, à l'instar du psychique, relève en partie de l'ordre de l'ineffable. On ne saurait sans le dénaturer le réduire au schéma physico-métaphysique des prédicaments aristotéliciens. Il consiste en une certaine disposition ou qualité (au sens analogique) du mouvement volontaire, conséquente au fait que la faculté du vouloir obéit à l'attirance de l'honnête, à la magie de la lumière immatérielle. Il provient, non pas de ce que la volonté veut le bien, ni même uniquement de ce qu'elle veut celui qu'elle doit vouloir, mais encore de ce qu'elle le veut comme il lui *faut* le vouloir. Il se superpose à sa tendance à la manière d'une dimension nouvelle et représente en elle un mode singulier de complaisance et d'affection. Il résulte de ce qu'elle n'aime pas les objets seulement pour eux-mêmes, mais surtout pour la mesure et le reflet qu'ils portent. Ce qui revient à dire qu'en définitive ce qui la meut, c'est le resplendissement de la raison créée et éternelle. Par conséquent, ce qu'elle préfère à tout et ce qui la délecte par-dessus tout, c'est la raison, ce sont les radiations de son éclat spirituel. Le bien qui la tire hors d'elle-même et en lequel elle inhère de tout son poids est sans doute noyé dans les modalités du sensible, mais s'enveloppe d'une nouvelle force de séduction du fait qu'il réfracte la mesure de la pensée. Et le dynamisme de l'inclination volontaire se trouve pour autant transformé, élevé à un rang et une dignité supérieurs. Cf. *Ia IIae*, q. 18, a. 1 et ss. Voici quelques textes où saint Thomas établit qu'il n'y a même pas recouvrement nécessaire entre le moral d'une part et l'ontologique de l'autre : « ... potest dici quod actus humanus in quantum est actus, nondum habet rationem boni vel mali moralis, nisi aliquid addatur ad speciem contrahens : licet etiam ex hoc ipso quod est actus humanus, et ulterius ex hoc quod est ens, habeat aliquam rationem boni, sed non huius boni quod est secundum rationem esse... » *De malo*, q. 2, a. 4. – « Bonum autem moris est quodammodo maius quam bonum naturae... ; licet aliquo modo bonum naturae sit melius, sicut substantia accidente... » *Ibid.,* a. 5, ad 2. Cf. a. 6, corp et ad 3. – « Non enim motus recipit speciem ab eo quod est terminus per accidens, sed solum ab eo quod est terminus *per se*. Fines autem morales accidunt rei naturali ; et e converso ratio naturalis finis accidit morali; et ideo nihil prohibet actus qui sunt idem secundum speciem naturae esse diversos secundum speciem moris et e converso ». *Ia IIae,* q. 1, a. 3, ad 3. Si l'on se rappelle que les sciences ne considèrent pas les propriétés essentielles et nécessaires de leur objet, on constate quelle erreur commettent ceux qui ne voient dans la morale qu'un corollaire de la métaphysique. Ils confondent le *per* se avec le *per accidens*. Voir *Ia IIae,* q. 3, a. 3, ad 4 ; a. 4, ad 2 ; q. 18, a. 1, ad 3 ; a. 5, 10-11. Tout d'abord, l'ordre moral n'a pas les mêmes principes que l'ordre ontologique. Ce ne sont pas les lois de la non-contradiction et de l'identité qui lui servent de critère propre, mais la définition du bien. Encore, cette définition ne doit-elle pas être spéculative, mais pratique. Cela se comprend pour peu qu'on se représente qu'il y a au moins trois manières de définir le bien. La première - expérimentale, physique, historiquement antérieure à toutes les autres - veut qu'il soit ce que tous les êtres désirent (*bonum est quod omnia appelunt*). C'est un fait d'expérience. La seconde, métaphysique celle-là exprime que le bien est l'acte perfectif, la perfection même de l'inclination affective. Ni l'une ni l'autre de ces définitions n'est [45] un principe d'action. Elles ne sont pas des impératifs, mais se contentent de constater et d'énoncer avec désintéressement ce qui est. La troisième, elle, marque en quoi consiste pratiquement le bien. Elle ne le considère pas comme objet d'analyse, mais comme objet et terme de l'action, comme perfection réalisable par elle (*ut operabile*)[^55]. Elle déclare qu'il est ce qui doit être fait (*bonum est faciendum*). **La loi foncière de l'action, c'est de tendre au bien.** Aux yeux du moraliste, le bien est ce qui *meut* à sa manière le vouloir libre, ce qui s'impose à lui et le contraint à se déterminer à l'action. Il est présence morale et engagement. La perfection est pour lui *une fin,* c'est-à-dire ce qui appelle la mise en œuvre des moyens, ce qui exige le contrôle de la passion, ce qui requiert *l'acquisition* des vertus et l'élaboration des lois morales. Toutes ces réalités ne sont pas considérées par lui en ce qu'elles incarnent un mode d'être, mais en ce qu'elles sont *causes de l'action bonne* et, finalement, de l'atteinte de la fin. [^55]: « ...secundum quod operabilia sunt ». *Ia,* q. 14, a. 16. – « ... tunc consideratur res ut est operabilis, quando in ipsa considerantur omnia quae ad eius esse requiruntur simul ». *De ver.,* q. 3, a. 3. En conséquence, **la fin que se propose la métaphysique est le connaître**, le connaître recherché pour lui-même, pour les avantages particuliers qu'il comporte, pour la délivrance, le perfectionnement et les joies qu'il procure à l'intelligence[^56]. En revanche, **la fin que veut atteindre la politique est la réalisation par l'ordonnance de l'action** (*intenditur quasi finis constructio ipsius subjecti*)[^57]. Ses visées se confondent avec celles-mêmes de l'agir (*finis operationis*)[^58]. Ainsi, si l'on compare spéculativement l'individu et l'État, l'on constate que le premier est une réalité substantielle et que le second résulte, en plus des individus qu'il encadre, d'un ensemble superposé de relations d'ordre purement accidentel. Et s'il était possible, à propos des relations, de faire abstraction des individus qu'elles unissent, nous pourrions conclure que l'individu est métaphysiquement supérieur à l'État. Mais ce genre d'abstraction hégélien est impossible. Il détruit la notion même d'État, un tout ne pouvant être pensé ou réalisé sans ses parties[^59]. Et alors, même en se tenant sur le terrain de la métaphysique, on ne voit pas comment on peut arriver à accorder la primauté à un particulier sur l'ensemble de ses concitoyens. Mais là n'est pas du tout la question. Ce qu'il s'agit uniquement de savoir en politique, c'est dans quels rapports réciproques établir l'individu et l'État pour que de leur action articulée découle le bien-vivre humain. La *réalisation* de la prospérité et du bonheur commun, voilà le critère, le premier principe ! La fin de la politique coïncide avec celle de l'action. » [^56]: Cf. *In I Metaph.,* lect. 3, nn. 53 et ss. ; L. II, lect. 2, n. 290. « ...verum absolutum est bonum eius, et falsum absolutum est malum ipsius ». *In VI Eth.,* lect. 2, n. 1130. [^57]: *In I Post. an.,* lest. 3. – « ... finis scientiae quae est circa operabilia, non est cognoscere et speculari singularia, sicut in scientiis speculativis, sed magis facere ea ». *In X Eth.,* lect. 14, n. 2138. Cf. *Ia,* q. 14, a. 16. [^58]: « ... finis practicae est opus, quia etsi « practici », hoc est operativi, intendunt cognoscere veritatem, quomodo se habeat in aliquibus rebus, non tamen quaerunt eam tanquam ultimum finem. Non enim considerant causam veritatis secundum se et propter se, sed ordinando ad finem operationis, sive applicando ad aliquod determinatum particulare, et ad aliquod determinatum tempus ». *In II Metaph.,* lect. 2, n. 290. Cf. *In Boet. de Trin*., q. 5, a. 1, ad 2 et 4 ; *In I Eth.,* lect. 3, n. 40; L. II, lect. 2, n. 256 ; lect. 9, n. 351 ; lect. 11, n. 369. [^59]: « Ratio autem alicuius totius haberi non potest, nisi habeantur propriae rationes eorum ex quibus totum constituitur ». *Ia,* q. 15, a. 2. **+ Les sciences pratiques (au sens strict) sont encore appelées sciences morales, ou sciences de l'agir humain :** Lucien B., *Situation de la philosophie politique selon st Thomas d'Aquin*, *Sedes sapientiae* n°21 « La philosophie de la nature nous a appris que l'intelligence est la plus haute faculté de l'homme. Et comme l'intelligence a pour objet formel la vérité, elle se trouve d'abord perfectionnée par les sciences qui ont pour but la seule connaissance et contemplation de la vérité : ce sont les sciences spéculatives. Mais l'intelligence, en tant que plus haute faculté de l'homme, est destinée par nature à diriger les autres puissances, en premier lieu la volonté qui lui est indissociablement unie. Lorsque l'intelligence assume cette fonction seconde, on parle de raison pratique, et les savoirs qui la perfectionnent dans ce rôle sont nommés sciences pratiques. Ces sciences sont de deux types : \- Les sciences pratiques au sens strict, qui dirigent l'action volontaire comme telle, c'est-à-dire en tant qu'elle doit par nature suivre le jugement de la raison droite. \- Les sciences qui dirigent la réalisation d'une oeuvre extérieure et sont appelées arts mécaniques ou techniques. Les sciences pratiques (au sens strict) sont encore appelées sciences morales, ou sciences de l'agir (scientia activa). Les arts mécaniques sont aussi nommés sciences du faire (scientia factiva). » **+ La philosophie politique a pour but de diriger l'action de l'homme en tant qu'animal politique, en tant qu'il vit naturellement en société. C'est donc une science morale :** Lucien B., *Situation de la philosophie politique selon st Thomas d'Aquin*, *Sedes sapientiae* n°21 : « La philosophie politique n'a pas pour but de connaître la nature et l'ontologie de la société humaine : cela relève de la philosophie de la nature et de la métaphysique. Elle a pour but de diriger l'action de l'homme en tant qu'animal politique, en tant qu'il vit naturellement en société. C'est donc une science morale. Qu'est-ce donc qu'une science morale dans la philosophie réaliste d'Aristote et de saint Thomas que nous nous efforçons de suivre ? Nous avons déjà cerné la question en disant que la science morale porte sur les actions volontaires. Précisons. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il y a identité entre acte moral, acte volontaire et acte humain : "actes moraux ou actes humains c'est une seule et même chose" (ST, I II q.1 a.3) ; "quelque chose appartient au genre des mœurs dans la mesure où elle est volontaire" (ST, III C.G. 9). La volonté étant l'appétit rationnel, l'appétit "informé de raison", on voit que l'acte humain est celui qui est posé sous la lumière de l'intelligence et dans la mouvance de la volonté. On dit aussi qu'il est le fruit de la volonté délibérée. C'est pourquoi l'acte humain est toujours en vue d'une fin : car la volonté a pour objet le bien et la fin, et l'intelligence connaît la raison de bien et de fin, ce qui lui permet de présenter à la volonté son objet. » \+ **Le politique, savoir architectonique, jouit de deux attributions.** **La première consiste à commander à la science et à l'art qui lui est subordonné de faire ce qu'il leur revient en propre de réaliser, comme l'art équestre commande à l'art de fabriquer le mors.** **La seconde consiste à les faire concourir à la recherche de sa propre fin (en se les subordonnant)**[^60] : [^60]: Thomas d’Aquin, *Commentaires de l’Ethique d’Aristote*, livre I, 2, n26 Autre leçon : Deux caractères appartiennent à une science architectonique. Commander ce que doit faire la science ou l'art qui lui est subordonné, comme l'art équestre commande à l'art de fabriquer le mors. Utiliser ce qui est ainsi produit en vue de sa propre fin. Or le premier de ces caractères convient à la science politique ou science de la cité, tant vis à vis des sciences spéculatives que vis à vis des sciences pratiques, cependant de manière différente. (Vernier Jean Marie, *Vu de haut* n°6, p 30). Thomas d’Aquin, *Exposition de l’Éthique d’Aristote*, Proème, n 16, 27, 28 (cf. TDA168) : « 16.- Comme l’art qui produit les freins[^61] est (placé) sous l’art de l’équitation, parce que celui qui doit monter à cheval commande à l’artisan comment produire le frein. […] Et la même raison vaut des autres arts qui produisent les autres instruments nécessaires à monter, par exemple les selles, ou quelque chose de cette sorte. Et l’art équestre ensuite est ordonné sous l’art militaire. […] Par suite sous l’art militaire non seulement est contenu l’art équestre, mais tout art ou vertu ordonné à l’activité guerrière, comme l’art de l’archer, l’art de la fronde, et tous les autres de cette sorte ; et par ce même mode les autres arts [sont ordonnés] sous d’autres. […] [^61]: Frein : les quatre mors qui sont dans la bouche du cheval. 27.- Mais **la [science] politique** commande à la **science spéculative** seulement quant à son usage, et non quant à la détermination de son activité. En effet la politique ordonne que certains enseignent ou apprennent la géométrie. En effet les actes de cette sorte en tant qu’ils sont volontaires appartiennent à la matière de l’éthique, et sont ordonnables à la fin de la vie humaine. Or le politique ne commande pas à la géométrie ce qu’elle conclut à propos du triangle : en effet ceci n’est pas soumis à la volonté humaine, mais dépend de la raison elle-même des choses. Et pour cette raison il (Aristote) dit que la politique pré-ordonne lesquelles des disciplines doivent être dans les cités, à savoir **tant pratiques que spéculatives**, et qui doit les apprendre, et jusqu’à quel moment. 28.-Et l’autre propriété d’une **science architectonique**, à savoir utiliser les sciences inférieures, appartient à la politique, seulement vis à vis des sciences pratiques ; d’où il ajoute ensuite que nous voyons les plus précieuses, c’est-à-dire les plus nobles des puissances, c’est-à-dire des arts opératifs être subordonnées à la politique, à savoir l’art militaire, l’économique et la rhétorique, lesquels sont utilisés par la politique en vue de sa fin, c’est-à-dire en vue du bien commun de la cité. »[^62] [^62]: Thomas d’Aquin st, *In Com Eth*, Proœmium (Proème), texte français de JM Vernier. **+ Il n'y a qu'une loi naturelle dont la Politique est le moteur :** Marcel De Corte, *Réflexions sur la nature de la politique*, *L'ordre français* n°191 mai 1975, p 21 : « En bref, pour saint Thomas comme pour Aristote *l'acte humain,* raisonnable, volontaire et libre (au sens du libre choix des moyens, et non du libre choix de la fin) est *essentiellement et exclusivement politique :* son axe, en son aspect objectif, est *la justice* qui consiste à rendre à autrui, considéré non pas individuellement, mais *in communi,* en tant qu'articulé en société avec tous les autres, ce qui lui est dû, et, en son aspect affectif, *l'amitié*. Il n'a pas à être en plus ou autrement « moral ». Politique qui fait régner par la loi une vie vertueuse moyenne dans la Cité, et morale ne font qu'un, *humainement parlant,* dans l'ordre de la nature. Il n'y a donc pas, selon nous, *« une même loi morale qui dominerait la moralité des individus et des Etats »,* comme le pense Hugues Kéraly (p 151). Il n'y *a qu'une loi naturelle* dont la Politique est le moteur, et *une loi surnaturelle* que le Christ a révélée aux hommes. » **+ Le Vrai et le Bien** Marcel De Corte Marcel, *Réflexions sur la nature de la politique*, L'ordre français n° 191 de mai 1975 p 9 et 11 « Je ne crois pas en effet que le savoir pratique au sens propre ait besoin du savoir spéculatif pour être...Selon nous, le savoir pratique est rigoureusement distinct du savoir théorique par son objet. Le savoir pratique porte sur des actes, c'est-à-dire sur des réalités dont il dépend de nous qu'elles soient conformes ou non au bien commun visé, et donc sur des réalités contingentes (qui peuvent être autrement qu'elles ne sont), le savoir théorique porte sur des réalités nécessaires (qui ne peuvent être autrement qu'elles ne sont) et qui fondent une connaissance scientifique ou philosophique inébranlable. Entre la politique et la métaphysique la distinction est rigoureuse. Dans l'Éthique à Nicomaque, Aristote suivi par saint Thomas, affirme que la politique a pour point de départ le fait, tandis que la métaphysique s'adosse au pourquoi. » « La politique ne s'oppose pas en l'occurrence à la métaphysique...mais elle s'en distingue en ce sens que la métaphysique découvre l'ordre de l'univers et le ramène à sa cause efficiente, tandis que la politique engendre, accomplit, instaure l'ordre social et l'organise en fonction de sa fin : le bien commun. La politique est par essence un empirisme organisateur, selon l'admirable définition de Maurras. Comment pourrait-il d'ailleurs en être autrement ? La métaphysique est l'apanage d'un petit nombre d'hommes, alors que tous les hommes vraiment hommes sont voués à des titres divers, infimes chez les uns, éminents chez d'autres, à vivre politiquement, à contribuer effectivement par les seuls moyens dont ils disposent : leurs actes humains, intelligents, volontaires et libres, à l'édification de la société ? » Ainsi l’ordre politique ne porte pas sur les mêmes objets que l’ordre métaphysique et la fin à laquelle il tend est différente. L’ordre politique n’a pas non plus les propriétés de l’ordre métaphysique ; il ne revêt pas son caractère de nécessité. Il ne s’adresse pas aux mêmes dispositions dans le sujet. Par suite on peut être surpris que certaines considérations métaphysiques soient préliminaires à la politique. C'est que ces principes valent pour toute réalité et leur ignorance est un obstacle insurmontable à la compréhension du réel, qu'il soit matériel ou humain. **+ Autres références sur la division aristotélicienne des sciences dans l’ordre naturel et la prédominance actuelle du Faire :** Marcel De Corte, *La division aristotélicienne des sciences et la pathologie de l’esprit* Marcel de Corte, *La connaissance poétique et la philosophie*. Marcel De Corte, *L’essence de la poésie*. Rulleau Jean-Marc, *Morale et Politique*, article de *Sel de la terre* n°07 1993 (résume partiellement l’article de Marcel De Corte de l’Ordre Français) Fichier Définitions 7 **:** Définitions autour des concepts de science politique et de loi naturelle ## VIII.- LES SCIENCES DANS L’ORDRE SURNATUREL **+ Sur la théologie dogmatique :** S. Thomas d’Aquin, *ST*, 2-2, q 10, a 12 « La doctrine des docteurs catholiques tient son autorité de l’Église. C’est pourquoi il faut s’en tenir à l’autorité de l’Église plus qu’à l’autorité d’Augustin ou de Jérôme, ou de n’importe quel docteur. »[^63] [^63]: cité par Lucien B., *Qu’est-ce que la Théologie ?,* p 5. **+ Différence entre Sacra doctrina et théologie des théologiens :** Lucien B., *Qu’est-ce que la Théologie ?,* p 8 : « Certes la « théologie des théologiens » se **sépare** de la *Sacra Doctrina* lorsqu'elle ne consiste plus qu'à étudier la « pensée des théologiens », à situer chaque production individuelle dans son « contexte historique », etc. La « théologie des théologiens » peut également se séparer de la *Sacra Doctrina* lorsqu'elle introduit à titre de principes des réalités et des vérités étrangères à la Révélation : nous aurons à examiner ce point avec l'étude de l'article 8. » **+ L'expression « sacra doctrina » employée par S. Thomas désigne directement l'Écriture Sainte considérée dans son contenu objectif :** Thomas d’Aquin et la Somme théologique : c’est la théorie de la *Sacra doctrina* : cf. Lucien B., *Qu’est-ce que la Théologie ?,* p 7 : « Il semble en effet clair que saint Thomas n'entend pas présenter dans sa *Somme Théologique* autre chose que la *Sacra doctrina,* c'est-à-dire la *Théologie.* Donc, expliquant ce qu'est la *Sacra Doctrine* saint Thomas entend bien exposer ce qui sera l'objet de son traité. Or cette *Somme Théologique* reste le modèle de ce que nous appelons la *théologie* : la plupart du temps nos traités de théologie se font en suivant ladite *Somme.* En conséquence, l'exposé de ST1 q 1 répond très bien à notre but : donner ici une première « introduction à la théologie ». En d'autres termes, nous reconnaissons avec les lecteurs modernes de saint Thomas que l'expression « *sacra doctrina* » employée par ce Docteur, tout particulièrement dans cette première question de la *Somme Théologique,* désigne directement l'Écriture Sainte. Mais nous précisons : l'Écriture Sainte considérée dans son contenu objectif. Et nous ajoutons qu'il ne faut pas oublier que ce contenu est l'objet de l'enseignement de Dieu au sens *actif*32[^64]. » [^64]: (32) En français le mot « enseignement » possède le double sens objectif (ce qui est enseigné) et actif (l'acte d'enseigner). En latin le mot « *doctrina* » possède aussi cette double signification : la doctrine elle-même, mais aussi l'acte de communiquer, cette doctrine. Cette double signification de « *doctrina* » est bien observée par Donneaud *(Théologie et intelligence de la Foi,* p. 562 et note 30) qui rectifie au passage la prise de position unilatérale de van Ackeren (*Sacra Doctrina* : the subject of the first question of the *Summa Theologica* of St Thomas Aquinas. - Roma, 1952) en faveur du sens actif. […] Surtout il suit de là que **l'opposition** affirmée par beaucoup de modernes entre la *Sacra Doctrina* et la « théologie des théologiens » est **trop forte** si on désigne par cette dernière la théologie que constitue un ouvrage comme la *Somme théologique* et les travaux de ceux qui, au fil des siècles, ont œuvré dans la même voie 34 [^65] [^65]: (34) En cela nous sommes en plein accord avec Oliva op, *Les débuts* *de l'enseignement de Thomas d'Aquin et sa conception de la* Sacra Doctrina, Vrin 2006, p. 280 : « ... la "théorie de ce qu'il [saint Thomas] pratiquera" dans la *Somme* ne peut pas être autre chose que la "théorie" de la *sacra doctrina*. » **+ Unité de la théologie dans ses divers domaines mais, néanmoins, différence entre théologie spéculative et théologie pratique (ie morale) :** Labourdette op, Texte privé, Correspondance Journet-Maritain, annexe II du volume III., p 830[^66] (par exemple là contre J. Weisheipl, *Frère Thomas d’Aquin*, p 285 et 286) : [^66]: cité par Lucien B., *Qu’est-ce que la Théologie ?,* p 41 en haut. « Entre théologie spéculative et théologie pratique (morale) il y a une différence assez grande pour que notre esprit ne s’adapte pas convenablement à son objet s’il ne prend en l’un et l’autre cas une attitude différente – sous la même lumière éminente qui assure l’unité formelle de la science. » **+ Sur les faux théologiens thomistes :** Tonquédec Joseph de, Préface, *La critique de la connaissance*, éd Beauchesne 1929 **Le dilettantisme** Ceux qui font dans son œuvre une légère cueillette de formules dont ils parsèment ensuite leur enseignement, et sous lesquelles ils abritent, vaille que vaille, leurs propres idées.[^67] [^67]: p XIV, Voir ci-dessous, à l’Appendice I, le fragment 3, début, p. 458, 459 : « J’en sais qui déclarent n’apercevoir aucune différence importante entre la philosophie ouvertement éclectique de Suarez et celle de saint Thomas. » **Les esprits pratiques** A une place tout de même plus honorable, il convient de ranger ces esprits pratiques, préoccupés exclusivement et un peu étroitement de fins morales ou religieuses, qui ne veulent connaître de saint Thomas que « les thèses utiles », « les grandes vérités » du spiritualisme éternel, celles que toutes les philosophies chrétiennes doivent maintenir, le reste se classant pour eux sous la rubrique « système », par quoi ils entendent des hypothèses précaires, des opinions incertaines, des raccords fragiles, opérés par l'ingéniosité individuelle entre les doctrines inébranlables admises par tous. **L’interprétationisme dominateur** Des esprits distingués traitent la doctrine thomiste en maîtres ; ils la manient et la malaxent avec une liberté grande, ils la prolongent ou la raccourcissent, ou l'infléchissent dans telle direction qui leur agrée. Tel détail, secondaire en lui-même, eût dû, en bonne logique, être interprété d'après l'esprit général de l'œuvre; mais on y découvre une ressemblance, une amorce de comparaison avec tel système moderne. Et de là on part pour accomplir un travail de syncrétisme, qui est tout le contraire d'un exposé objectif. ## IX.- CLASSIFICATION DES SCIENCES **+ Cf. Fichier numérique : Classification des sciences** \+ Gardeil H.D., Initiation à la philosophie de S. Thomas d’Aquin, Introduction, Logique, 3e édition, Éditions du Cerf, 1956, pp. 154-156 : § 11. *Principe de la classification des sciences* ## X.- SUR LA SCIENCE POLITIQUE **+ La confusion entre Science politique et Analyse politique**. La science politique connaît la santé, l’analyse politique connaît la maladie : Dans le cadre d’un retour aux sources en matière de science de la Cité, il n’est pas rare de voir proposer des cursus d’analyse qui ont mérité en leur temps d’être une référence dans ce domaine mais qui n’en sont pas pour autant jugements universels et permanents sur le politique. L’exemple le plus connu est celui de la DSE (Doctrine sociale de l’Église). Bien que ses plus chauds partisans aient reconnu eux-mêmes le caractère prudentiel de ses conclusions. En effet, lors du débat Jean Ousset et Jean Madiran d’un côté et le p de Soras de l’autre, tous les trois s’accordaient sur le fait que la DSE se composait, malgré son titre de *doctrine*, et pour l’essentiel, de jugements historico-prudentiels (et non pas de jugements universels et permanents comme la science politique de Thomas d’Aquin).[^68] [^68]: Cf. le n° 61 d’Itinéraires « *La Cité Catholique aujourd’hui* ». Autrement dit, la DSE est plus proche d’une prudence politique - marquée forcément par son époque - que d’une véritable science politique. Jean Madiran et le p de Soras tombaient d’ailleurs d’accord sur le fait qu’il était nécessaire, pour se référer à la DSE à notre époque, d’opérer une transposition (ce que le p de Soras pensait inutile, voire même impossible, mais ceci est une autre histoire). « Lorsqu'on parcourt les quatre énormes volumes comprenant quelque trois mille pages denses où le R.P. Utz a colligé les documents pontificaux relatifs à la Doctrine sociale de l'Église, on est frappé par le petit nombre de textes antérieurs au XVIIIe siècle et à la Révolution française : en gros pas même soixante pages ! L'inflation subséquente n'en est que plus significative. »[^69] [^69]: Marcel De Corte, Y a-t-il encore une Doctrine sociale chrétienne ? *Revue universelle des faits et des idées*, juillet 1975 n°13. Dit d’une autre manière, Aristote et Thomas d’Aquin ne sont pas, ou si peu, les docteurs de la DSE. Autre exemple de cette confusion entre Science politique et Analyse politique : on peut s’exposer en effet aux mêmes erreurs qu’apporte l’addiction politique à la DSE en se référant systématiquement et exclusivement à l’"école contre-révolutionnaire" du XIXe siècle en tant qu’élément constitutif d’une science politique. **+ La confusion entre science politique et prudence :** p. J M Santiago Ramirez : son Commentaire sur *ST*, q 47, a 7[^70] [^70]: Extrait de Ramirez (Santiago) Jacques Marie, *La Prudence*, 2006, texte français de Mme Brosselard-Faidherbe, p 25. Cf. SP 200 **:** *Différence entre science politique et prudence*. **«** 5° Rôle de la prudence Mais le principal de la prudence n'est pas la connaissance plus ou moins théorique et scientifique de ces vérités universelles - principes ou conclusions -, que peuvent donner d'autres habitus et vertus, mais la connaissance pratique des cas personnels, ainsi que la dérivation et l'application pratique de ces vérités à leur gestion. C'est pourquoi saint Thomas dit que **si la connaissance de l'un de ces deux extrêmes fait défaut, mieux vaut que ce soit celle de l'universel plutôt que celle du particulier**[^71]. [^71]: « La prudence étant une raison active, il est nécessaire que le prudent possède les deux connaissances, à savoir de l'universel et du particulier ; s'il n'en a qu'une, mieux vaut que ce soit cette dernière, c'est-à-dire la connaissance du particulier, qui est plus proche de l'action. » (S. Thomas d’Aquin, *In VI Ethicorum*, lect 6, n°1194). 19- Et comme la connaissance des singuliers s'obtient par les sens et par l'expérience, il s'avère que la prudence se fonde essentiellement sur l'expérience de la vie et des hommes. Pour ce motif, observe Aristote, **les jeunes peuvent fort bien être mathématiciens, mais non pas prudents, car ils n'ont pas encore une expérience suffisante.** Au contraire, les hommes déjà mûrs et d'un âge avancé sont généralement avisés et prudents, même s'ils sont inaptes aux mathématiques et autres sciences[^72]. [^72]: Cf. Aristote, VI *Ethicorum*, cap. 8, n° 5-7. éd. Didot, II, 71, 28-39. « La cause en est — commente saint Thomas — que la prudence porte sur les singuliers, qui nous sont connus par l'expérience. Or le jeune ne peut être expert, car l'expérience exige beaucoup de temps. » (Saint THOMAS, *in VI* *Ethicorum*, lect. 7, n° 1208). Les prudents sont nécessairement des hommes experts, non pas précisément des hommes sages, car ce sont des hommes d'action, non de haute spéculation. Le sage sans expérience peut discourir et discuter parfaitement sur l'objet de sa spécialité et l'enseigner à autrui — par exemple un médecin, un musicologue ou un architecte érudits et théoriciens ; mais ils hésitent et se trompent dans la pratique de leur office. A l'inverse, un homme simplement expérimenté, ayant beaucoup de pratique, exerce mieux ces offices ou d'autres du même genre, même s'il ne sait pas théoriser à leur sujet[^73]. » [^73]: Cf. S. THOMAS, *In I* *Metaphysicorum*, lect. 1, n° 20-30. **+ La Science Politique, universellement première vis à vis des sciences pratiques :** Cf. Guy-François Delaporte, *Organisation d’ensemble de la philosophie* : 5°) – les sciences pratiques et pragmatiques (fichier numérique) « Deux traits caractérisent la science la plus élevée : d'abord, elle fixe aux disciplines et aux arts qui lui sont subordonnés ce qu'ils doivent faire, comme le fait l'équitation pour la bourrellerie. Ensuite, elle s'en sert pour atteindre sa propre fin. La première caractéristique convient à la politique (ou science sociale), vis à vis des sciences tant théoriques que pratiques, quoique de façon différente pour les unes et pour les autres. La politique décide pour les autres sciences pratiques et de l'opportunité ou non d’intervenir, et des modalités de cette intervention. Par exemple, elle ne commande pas seulement au forgeron d'user de son art, mais aussi de le faire de façon à obtenir telles sortes de lames, car les deux aspects regardent la vie humaine. Mais elle n'intervient dans les sciences théoriques que pour leur seule mise en œuvre, et les laisse souveraines dans les modalités de leur activité. La politique désigne les professeurs et les étudiants en géométrie, car cet acte volontaire relève de la morale, comme tous ceux de ce genre, et contribue à la finalité de la vie humaine. Mais elle ne dicte pas à la géométrie ses conclusions sur le triangle, car cela ne dépend pas de la volonté, mais résulte de la nature même des choses. C'est pourquoi Aristote ajoute que la politique prévoit quels sont les enseignements théoriques et pratiques à prodiguer dans la cité, qui devra les apprendre et pendant combien de temps. » « On ne dira pas cependant que la politique est universellement première. Elle ne l'est que vis à vis des sciences pratiques traitant des choses humaines, et dont le but final relève de la politique. Car la fin ultime de tout l'univers est l'objet de la science de Dieu, première de toutes les sciences. » **+ Science politique et Doctrine chrétienne** **1.- Le péché ne prive pas le pécheur de toute vie morale, de toute honnêteté** **2.- A côté du péché, il est un autre mal qui abolit de fond en comble le bien collectif : c'est la mort.** Cf. Broglie Guy de, *Science politique et Doctrine chrétienne*, RSR 18 (1928): 553–93; 19 (1929) 5–42 (fichier numérique) : Thomas d’Aquin défend un double mouvement de la créature : **« La perfection de la créature douée de raison** consiste donc, **non pas seulement** en ce qui convient à cette créature selon sa nature, **mais aussi** en ce qui lui est accordé par une certaine perfection surnaturelle venant de la bonté divine.[^74] » [^74]: Thomas d’Aquin st, *ST*, IIa IIae, q 2, a 3. Rappelons que Baïus[^75] a été condamné pour avoir nié cette distinction en soutenant, entre autres, la proposition suivante (qui est donc condamnée) : [^75]: Michel de Bay, plus connu sous sa forme latinisée de Baïus, théologien de l'Université de Louvain. Ses positions (Bayanisme *ou* Baïanisme) sont officiellement condamnées dans la bulle "Ex omnibus afflictionibus" le 01.X.1567 par le pape saint Pie V. « Cette distinction d’un double amour, l’amour naturel par lequel Dieu est aimé **comme auteur de la nature**, et l’amour gratuit par lequel Dieu est aimé comme celui qui **rend bienheureux**, est vaine, inventée et conçue pour se moquer des saintes Ecritures et de nombreux témoignages des anciens.[^76] » [^76]: D 1024, DS 1934. D’où le commentaire de Guy de Broglie : « Non seulement en effet le péché n'a pas le pouvoir d'ôter par lui-même à qui le commet tous les biens terrestres extrinsèques à la moralité même (santé, savoir, richesse, etc.), mais il ne prive même pas le pécheur de *toute* vie morale, de *toute* honnêteté... À plus forte raison, ne supprime-t-il pas chez le pécheur toute aptitude à coopérer utilement au bonheur terrestre des autres. Et enfin, et surtout, le péché n'abolit pas par lui-même les espérances indéfinies qu'ouvre devant la race la perspective des siècles à venir, et dont on pourrait montrer qu'elles sont le premier et le plus grand bien que nous voulons à notre patrie. […] Mais, à côté du péché, il est un autre mal qui, lui, a le triste pouvoir d'abolir de fond en comble le bien collectif : ce mal, c'est *la mort.* Car si le bien collectif est, comme nous l'avons dit, un bonheur *terrestre*, il n'est concevable que dans et pour des êtres *terrestres* ; son ennemi fondamental doit donc être le mal qui, en détruisant les composés humains, anéantit du coup tout le bien propre de leur collectivité. Si tous les Français péchaient mortellement aujourd'hui, ou même chaque jour, ce serait sans doute un malheur bien plus grand *pour leurs âmes* (et donc absolument) que leur mort corporelle ; mais le bonheur terrestre de la collectivité française pourrait fort bien continuer d'exister, quoique diminué... Mais si, par contre, tous les Français mouraient aujourd'hui, ce bonheur terrestre serait aboli à fond et pour jamais, avec la société même dont il est le bonheur. Une telle hypothèse montre clairement que le mal le plus contraire au bien public *est la mort et non le péché.* Cette conclusion n'a rien de "peu chrétien" ; elle s'impose dès qu'on a bien compris que la patrie appartient au monde présent, et que son bonheur a pour première condition son existence : *Prius est esse simpliciter quam bene esse.* Aucune politique rationnelle n'est possible, si l'on ne pose que la *vie* de nos concitoyens importe au bien public beaucoup plus encore que leur *innocence* même, et que le service de la patrie engage donc plutôt à sacrifier celle-ci à celle-là, s'il advient qu'il faille opter entre l'une et l'autre.[^77] » [^77]: Guy de Broglie sj, Réponse à une attaque, *Recherches de science religieuse*, RSR avril 1932 tome XXII numéro 2 p 129 à 150. SP 155 : *La science politique thomiste* SP 167 : *Les morales* PM 18 : *Le problème des fausses sciences pratiques* (ie contre la "Morale") : Dans l’ordre naturel, la connaissance de la science pratique (ie l’Éthique) permet de juger la moralité des actes humains