# Article de Héry sur Suarez[^1]
[^1]: autres articles sur Suarez in Certitudes n°14 *Vers l’intégrisme laïque* et, non publié sur avis du supérieur, pour Catholica
**(à lire après « [[Nécessité du politique à partir de l’ordre naturel des choses contre l’augustinisme politique|Nécessité du politique]] »)**
Nous présentons ci-dessous un résumé des déviations de Suarez, à partir de l’article de C. Héry, en suivant l’ordre du schéma thomiste : Dieu[^2] - ordre naturel des choses - raison pratique - juste naturel nommé aussi droit naturel - loi naturelle - droit positif d’un Etat poursuivant le bien commun, schéma qui a été exposé dans « Nécessité du politique à partir de l’ordre naturel des choses contre l’augustinisme politique ».
[^2]: cad le Christ, roi des nations et non pas roi des coeurs
*L’énoncé de la thèse est en caractère gras, suivi des erreurs subséquentes*
**Distinction nécessaire entre ordre naturel et ordre surnaturel** (Thomas d’Aquin contre l’augustinisme politique de certains disciples de st Augustin) **d’où deux sociétés complètement différentes** (la société-Eglise et la société politique).
Chez Suarez[^3] cet ordre naturel est « doué de l’autonomie du concept pur, idéal et séparé »[^4] mais simultanément il est « définalisé »[^5] et « sacral »[^6]. En réalité l’ordre naturel est une action liée au bien commun politique (et non pas un « ordre statique[^7] » comme l’était le classicisme[^8] qui donnera par la suite un ordre moderne, quasi sacral[^9]).
[^3]: Suarez François, *De legibus*, Des lois et du Dieu législateur, éd Dalloz 2003
[^4]: Héry Christophe, Conflits actuels n°12, *Vertiges de la modernité, Jésuites et théologie politique à l’âge baroque*, p 90
[^5]: p 93
[^6]: p 92
[^7]: Alors que chez Thomas d’Aquin « l’ordre n’est pas une substance mais une relation » (p 94) ie une action
[^8]: p 93
[^9]: p 93
De son coté, De Lubac, en héritier de Suarez, voit du surnaturel dans le naturel et par le biais de ce « monisme surnaturel et sacral » arrive à « la laïcité ouverte (c’est-à-dire religieuse ?) »[^10]. Il est vrai que la fin **intrinsèque** (ie le bien commun temporel) est ordonnée à la fin extrinsèque (ie la vie éternelle). Mais cet ordre n’est pas essentiel ; il est concret et accidentel.
[^10]: p 92
Cet ordre n’est pas essentiel : il n’est pas inscrit dans la nature humaine. Dieu aurait pu créer l’homme sans l’appeler à la vision béatifique ni lui conférer la vie surnaturelle. **La nature humaine ne contient pas de surnaturel**.
Cet ordre est concret et accidentel : Dieu a créé l’homme en vue de la vie éternelle. La vraie fin ultime de l’homme est **extrinsèque**.[^11]
[^11]: Cf. Bernard de Midelt, Nature de la société politique, éd REP p 35
**La raison pratique à l’origine de la politique** (la science politique produit de la raison pratique et non pas spéculative dit Thomas d’Aquin contre les théologiens[^12] et les métaphysiciens) contre Suarez pour qui la volonté en Dieu et en l’homme est au dessus de la raison pratique (ce que C. Héry nomme le volontarisme du De legibus)[^13].
[^12]: la théologie morale informe la science politique mais pas la théologie au sens strict qui est une science spéculative. La science politique provenant d’une théologie « purement déductive » (p 95) s’oppose à la vision thomiste d’une science politique, produit de la raison
[^13]: p 90
Chez Suarez, Dieu n’est pas lié par son propre ordre naturel normalement intelligible car, dans ce cas, la volonté divine (et d’ailleurs également la volonté humaine) ne serait pas vraiment libre[^14]. C’est la primauté du volontarisme sur la raison pratique. Par voie de conséquence, les suaréziens qui abandonnent la référence à Dieu tombent dans l’arbitraire étatique.
[^14]: p 95
**Le juste naturel ou droit naturel, concept qui précède celui de loi naturelle[^15]**, contre les catholiques, disciples de Kant ou de Suarez qui ramènent le juste à une « loi naturelle figée…générale, univoque et toujours vraie »[^16] grâce à une « conception arbitraire de la loi »[^17].
[^15]: Sériaux Alain, Le droit naturel, Que-sais-je n°2806, chapitre II
[^16]: p 100
[^17]: p 92
La science politique ne suffit pas ; la prudence politique (qui inclut l’analyse politique) est nécessaire. Pas chez Suarez où la loi naturelle « est aussi immuable que la quiddité de l’homme qu’elle régule et ne peut donc supporter aucune variation dans ses conclusions, qu’interviennent ou non des circonstances de temps, de lieu ou autres »[^18]. Autrement dit le juste naturel (appelé ici par CH, et par extension, loi naturelle) n’existe plus.
[^18]: p 100
**La loi naturelle propose des jugements permanents et universels dans le domaine du juste naturel**. Normalement la loi naturelle (et la loi positive) éclaire la raison, au sens où elle traduit un ordre réel et **intelligible** des choses[^19].
[^19]: p 97
Chez Suarez « la loi n’est rien d’autre, univoquement, que la volonté signifiée » de Dieu[^20].
[^20]: p 97
**Le droit positif permet de connaître habituellement le droit naturel et la loi naturelle**. Se consulter ou consulter l’ordre naturel des choses pour connaître la loi naturelle est une vision personnaliste sans fondement. Seule une élite de gens naturellement vertueux s’ordonne d’elle-même au bien commun (proposition soulignée par JM Vernier, contre le personnalisme politique). D’où l’absolue nécessité du politique.
Chez Suarez le droit positif vient du « pacte social »[^21] comme, plus tard chez JJ Rousseau du contrat social. Suarez annonce la démocratie moderne.
[^21]: p 89
**L’Etat poursuit le bien commun qui est la vie selon la vertu (naturelle)**
Chez Suarez et les augustiniens politiques « la société civile serait naturellement destinée à conduire l’homme à sa fin surnaturelle »[^22]. Par voie de conséquence, et si cela était vrai, le mieux serait de supprimer la politique en faveur d’une théocratie plutôt que de faire de la politique un simple moyen au service de l’Eglise. D’où « la prétention à tirer une politique de l’Evangile (relu à la lumière de Vatican II ?) »[^23].
[^22]: p 91. Cf. pour un bon exemple : G Devillers, Sel de la terre n°48 p 32 et s
[^23]: p 92
Toujours chez Suarez, la loi positive qui est normalement « intelligence du bien commun » est remplacée par le « droit volontariste, individualiste ou collectif »[^24]. Ainsi « on ne choisit pas sa fin (ie le bien commun) mais on choisit d’obéir »[^25]. L’Etat est donc « définalisé »[^26] alors même que « tout ordre suppose une fin »[^27]. L’efficience prévaut sur la finalité[^28]. L’ordre est un état et non plus une « dynamique naturelle de toutes choses vers leur fin »[^29]. Autrement dit la politique est une activité « morale » mais au sens kantien du terme.
[^24]: p 91
[^25]: p 91
[^26]: p 93
[^27]: p 94
[^28]: p 95
[^29]: p 98
En conclusion :
Suarez est le représentant d’une « théologie chrétienne sécularisée »[^30]. Une des conséquences de cette funeste théorie politique est le « double emploi » entre la révélation et la loi naturelle, ce qui achève la confusion des deux ordres naturel et surnaturel[^31] .
[^30]: p 93
[^31]: p 97
Chez st Thomas l’homme est par nature un animal politique : bien que libre, il est néanmoins inclus dans le tissus social sans pouvoir s’en retirer à sa guise. Pour Suarez « la nature de la société politique est par conséquent contractuelle et volontariste »[^32]. Dieu donne l’autorité au peuple « pour désigner librement un prince et **nouer un pacte avec lui** »[^33].
[^32]: p 102
[^33]: p 102
**Questions sur deux intuitions justes de Suarez**
a) Malgré ses erreurs, Suarez a néanmoins vu que la finalité politique n’est pas accessible à tous les citoyens et que par suite ceux-ci doivent obéir aux lois (positives dérivées de la loi naturelle). Seule une élite peut réfléchir sur l’ordre des choses et delà en dégager la politique, soit au niveau de la science politique soit au niveau de la prudence politique.
En outre l’ordre naturel des choses n’est jamais qu’une image de la volonté de Dieu sur les hommes. Effectivement, d’une certaine manière, c’est la « volonté signifiée » de Dieu.
b) Par ailleurs dans cette distinction chez Suarez entre intelligence et volonté (p 95), ne retrouve-t-on pas la distinction classique entre sciences spéculatives et pratiques. Or la politique est une science pratique qui poursuit un bien concret et non un bien ontologique. Autrement dit, quel est le rapport chez Suarez entre la métaphysique et la politique ?
Mais on peut aussi prendre l’aporie de Suarez comme le rapport entre la science politique et la prudence politique. Chez Suarez, si on comprend bien l’explication de C Héry, il existerait une science politique « kantienne » (personnaliste ?) et donc pas de prudence politique (celle-ci permet justement de moduler les jugements permanents et universels de la science en fonction des circonstances).